Benjamin Péret

Immortelle maladie , 1924

 

IMMORTELLE MALADIE, 1924

1

Sur la colline qui n’était inspirée que par les lèvres peintes

les yeux blancs s’ouvrent à la lumière de la fête

et la respiration va mourir de sa belle mort

On dirait qu’une main

se pose sur l’autre versant de la colline

et que les hommes crient

C’était du ciel de Dieu que tombaient les paroles absurdes

Maintenant partons pour la maison des algues

où nous verrons les éléments couverts par leur ombre

s’avancer comme des criminels

pour détruire le passager de demain

ô mon amie ma chère peur

2

Où est-il

Parmi les étoiles accroupies

ou les minéraux inconnus

qui flambent dans les corolles des fleurs fatales

Si je rêvais je pourrais répondre

Il descend du bec de la colombe

ou bien

Il monte les escaliers de neige qui conduisent aux roches soupirantes

les grands escaliers bénévoles

où vivent les poètes en caoutchouc

 

3

Le doigt dans l’eau

les chanteurs aimant chanter

ont l’air d’une fleur fanée

Fleur fanée CŒUR aimé

dit l’autre

Mais toi poussière de charbon

tu n’es pas aimée

et tu t’envoles vers le soleil

Nous grandissons dans le bruit des coups de pioche

Que fait-on à la terre

Le supplice commence avec le passage de la jeune fille aux

oranges

qui passe près de nous tous

aspire l’air à pleins poumons et pleure

parce qu’il faut pleurer sans mesure

Pleure jeune fille aux oranges

tu connaîtras l’amour des cordes de pendu

tu connaîtras l’amour et la caresse des plumes

 

4

Courir sur un miroir comme un aveugle

et chanter dans l’oreille des dieux

voilà mes désirs aujourd’hui

Mais le vent aura chassé les êtres de leur élément naturel

avant que je passe dans l’avenue plantée de moribonds

qu’un souffle salé ferait renaître

et qu’un cri de paon ferait mourir.

Si je passais ils resteraient éternellement moribonds

c’est pourquoi il faut que je défile devant eux

avec mon ombre

Faute de quoi le meilleur de moi-même

ne sera plus que l’insaisissable soupir

d’un animal que j’ai rêvé dans ma jeunesse

 

5

Montrez-moi le savant amoureux de la femme-cyclope

que j’en fasse mon égal

Après pourra venir l’ère des fleurs galantes

des squelettes patriotiques

et des catastrophes sans importance

je m’en fous

J’irai près des pyramides

qui ne sont que des colliers de martyrs

destinés à disparaître avec leurs propriétaires

et le souvenir de leurs ridicules

et je danserai devant ces fameuses pyramides

jusqu’à ce qu’elles disparaissent

 

6

Il s’agit de la pluie qui a mouillé les os les plus rebelles

La pluie des os atteindra un jour les oreilles nocturnes

et l’on saura ainsi que se prépare la mue des fruits

leur départ sur les ailes des monstres aux yeux de quartz

qui pleurent devant le soleil levant

Les poissons de chaleur s’envoleront

à l’équinoxe d’automne

et s’arrêteront à toutes les villes enchantées par les nombres

élevés

les fractions infinitésimales

et les regards des femmes qu’enveloppent les fleuves débordants

 

Pour moi je demande que le ciel s’en aille avec les nuages

avant que je devienne tout à fait imbécile

© Mélusine 2011
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