Benjamin Péret

L'Auberge du "cul volant", 1922

 

L’auberge du "cul volant" 1922

Je soussigné, Benjamin Péret, certifie que ces lignes ont été écrites, sous ma dictée, la première partie avant de faire l’amour et la seconde partie après.

1. – Avant

L’homme à la couille sauvage descendit de l’arbre qu’il occupait depuis son premier mariage. Il tenait dans chaque main un sexe, d’où sortaient des millions de petites larves qui s’envolaient aussitôt et allaient se poser sur de grosses fleurs bleues. Au contact de ces larves, les fleurs jaillissaient comme si elles eussent été de caoutchouc.

L’homme était un double mâle. Il s’avança vers un rocher où se dessinait à hauteur d’homme une ligne de vagins. Du doigt, il toucha l’un d’eux, qui rendit un son aigu, le second, rendit un son plus aigu encore, le troisième révéla au toucher la sensibilité d’un sourcil. Il appuya sur le quatrième avec son pouce de toutes ses forces, et la pierre s’enfonça. A mesure que la pierre s’enfonçait, deux grands bras blancs, et deux jambes aussi blanches que les bras apparurent et se couvrirent de roses en un instant.

L’homme disparut, cependant qu’à la place du vagin, une longue traînée de soufre coulait jusqu’à terre. Non loin de là, une grande fleur jaune qui s’entrouvrait, quitta son pied et s’enroula autour d’un arbre, – une sorte de magnolia. Elle se colla sur une des fleurs de l’arbre qui disparut dans sa corolle ; et de là aussi, on put voir quelques minutes après, du soufre couler goutte à goutte.

De l’endroit où l’homme était disparu, partait maintenant un bruit d’hélice tournant à toute allure, et de seconde en seconde, des fragments d’os et de chair sortaient du trou par lequel l’homme était entré.

Quatre mouches, et deux grosses araignées bleues, se mirent à tourner silencieusement autour du petit tas d’os et de chair qui se mit à tourner sur lui-même. Bientôt, une tête se forma puis un bras, une jambe, un sexe, et le corps tout entier d’un enfant nouveau-né apparut.

L’enfant porta la main à son sexe qui était mâle, les mouches et les araignées disparurent par le même trou que l’homme. L’enfant, la main à son sexe jouissait. Les arbres, les animaux, les rochers s’incurvaient et dessinaient tous la forme d’un vagin. L’enfant se leva, courut à l’arbre qu’il voulut saisir, mais l’arbre devint liquide, et lui coula entre les bras, il courut aux rochers et ceux-ci s’envolèrent.

De nouveau l’enfant toucha son sexe du doigt et jouit. Une haie de sexes mâles se dressa de chaque côté de lui, et l’enfant s’envola suivi de deux seins, l’un blanc, l’autre noir. Il descendit à quelque distance de là, sur le bord d’un ruisseau ; et là, il vit sortir de l’eau l’homme à la couille sauvage, dont les mains étaient remplies d’excréments, qui fleurissaient au contact de l’air. Une petite cervelle tomba en sifflant, pénétra dans le crâne de l’enfant et assura sa croissance.

L’homme mit l’enfant dans son ventre, et deux jeunes Espagnoles se jetèrent à ses pieds, embrassant sa verge avec passion. Elles s’arrondirent subitement, se mouchetèrent de taches semblables à celles d’un léopard.

L’homme se roidit comme s’il allait mourir ; celle qui à cet instant léchait sa verge, se roidit également. Et tous deux, animés d’un mouvement hélicoïdal, s’enfoncèrent droit dans un nuage électrique, et descendirent aux pieds de Dieu.

2. – Après

Le marchand de tapis s’arrêta devant l’auberge et dit : Petites filles fraîches, jeunes garçons tout blancs ! Qui en veut, Messieurs et Dames ?

L’homme au nombril d’écaille, qui portait une main sur la tête, s’éveilla du long sommeil qu’il venait de faire en compagnie d’une négresse : celle qu’il avait ramenée d’un pays où les plantes se déplacent et font l’amour en marchant. Il sortit son revolver et tira sur le marchand, mais celui-ci avait prévu le coup et s’aplatit adoptant à peu près la forme d’une tortue.

En regardant les lampes électriques, il commença à s’enivrer. La petite marchande d’étoiles passa, et vendit à tout le monde sa petite marchandise parfumée, ainsi elle put dîner ce soir-là.

L’homme au nombril d’écaille, le premier s’éveilla de nouveau. Une colombe portant le rameau d’olivier, voltigeait au-dessus de sa tête. Il ouvrit la fenêtre, l’air était pur, le ciel était bleu, les oiseaux chantaient, mais tous les hommes mangeaient dans les arbres avec les oiselles, et les oiseaux étaient dans le lit des femmes.

C’était le matin du 2 avril 1922, et les machines souffraient comme des femmes en couches. Seul l’homme qui s’était aplati comme une tortue allongeait la tête vers la vulve qu’il apercevait à quelque distance de lui, mais à chaque mouvement qu’il faisait pour s’avancer, correspondait un mouvement de la vulve qui s’éloignait.

Une sarcelle, venant à passer entre eux, comprit leur émoi, et consentit à s’étendre pour les relier. La pointe du bec appuyée sur la vulve, une patte sur la tête de l’homme, elle tournait.

L’homme au nombril d’écaille les vit, et éclatant de rire leur dit :

« Vous êtes bien punis mes pauvres enfants. »

 

© Mélusine 2011
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