MÉLUSINE

titre de la revue La Révolution Surréaliste
titre de la revue La Révolution Surréaliste

Minotaure n° 9, octobre 1936

P.2

CONSTANCE DU FAUVISME

Si l’on examine attentivement, le premier éblouissement passé, les plus récentes manifestations de ces grands peintres que sont Matisse, Picasso, ou Bonnard, l’on arrive assez facilement à constater qu’un souffle âpre de « fauvisme » emporte leurs dernières œuvres, anime leurs mouvantes architectures, élève, si l’on peut dire, le ton de leurs couleurs magnifiques.
D'où vient cette violence? Le sait-on, au juste? Elle est probablement le phénomène d’une protestation véhémente contre un archaïsme opportun et « arrangeant » venu avec la crise qui cherche à jeter sa poussière un peu partout, sur les audaces vitales de jadis, sur les crudités dites « de mauvais goût », sur les explosions devenues inquiétantes. Elle est peut-être un rétablissement brusque contre la désaffection picturale toute apparente de ces dernières années. Elle est, en tous cas, la manifestation mâle de la présence constante d’un esprit qui, tout en ayant su arrondir ses contours au frottement de la vie et adoucir sa verve jusqu’à la rendre imperceptible et peu gênante, sait encore, du moins en cas de besoin, se rappeler à notre bon souvenir et se manifester brutalement au moment où on l’attendait le moins, à l’instant précis où l’on avait fini par redresser tranquillement l’éternel jeu de quilles.

il y a quelques dix ans, je publiais dans « Comœdia » une série d’articles sous le titre commun : « Besoin d’un nouveau fauvisme », où j’essayais de définir, oh ! bien imparfaitement, certaines tendances, apparaissant déjà chez de jeunes peintres, alors confirmées d’ailleurs par la suite chez quelques deux ou trois meilleurs d’entre eux. Le problème du fauvisme se posait chez ces peintres comme un besoin moral de protester contre le règne triste et plat dans les Salons dits modernes d’un académisme retrouvé qui ne valait guère plus et n’était pas moins faux que celui qui désigne la peinture issue de l’École des Beaux-Arts et des Salons officiels. (Il existe aussi, peut-être, un autre académisme plus vrai, qui serait une modestie profonde du peintre devant l’œuvre à réaliser, mais celui-là c’est une autre histoire, une histoire bien longue pour être racontée dans une simple parenthèse.) Ce besoin de protestation chez quelques peintres jeunes qui voulaient retrouver les éléments de la peinture pure coïncidait alors avec un autre mouvement de protestation, d’origine plus poétique, qui cherchait à puiser dans le fond extra-plastique de la poésie les éléments d'une violence et d’un rajeunissement nécessaires.
Mais si l’on peut constater dès maintenant l’origine commune de ces deux mouvements, si l’on connaît déjà les routes différentes qu’ils suivirent réciproquement, leurs divergences, leurs objectifs opposés, il n’en est pas moins vrai qu’il restera peut-être encore à préciser un jour leurs points de contact, communions devenues d’autant plus flagrantes que tel ou tel peintre évolua depuis en passant tout naturellement de l’un à l’autre.
Contentons-nous néanmoins de constater aujourd'hui la nécessité ressentie par les aînés de revenir à une nouvelle violence, à une pureté intégrale des moyens, à des formes essentielles, toutes choses qui confèrent une expression analogue au fauvisme, à leurs œuvres les plus récentes.

Cette expression est d'autant plus significative qu'elle atteint des peintres comme Picasso ou Bonnard, qui ne furent jamais, à proprement parler, des « fauves ». Elle atteint plus régulièrement Henri Matisse. Voici donc quelques explications, plus autorisées que les miennes, et que Matisse a bien voulu me donner sur ce mouvement actuel : — « Quand les moyens se sont tellement affinés, tellement amenuisés, que leur pouvoir d'expression s'épuise, il faut revenir aux principes essentiels qui ont formé le langage humain. Ce sont, alors, les principes qui « remontent », qui reprennent vie, qui nous donnent la vie. Les tableaux qui sont des raffinements, des dégradations subtiles, des fondus sans énergie, appellent des beaux bleus, des beaux rouges, des beaux jaunes, des matières qui remuent le fond sensuel des hommes. C'est le point de départ du fauvisme : le courage de retrouver la pureté des moyens. « Nos sens ont un âge de développement qui ne vient pas de l'ambiance immédiate, mais d'un moment de la civilisation. Nous naissons avec la sensibilité d'une époque de civilisation. Et cela compte beaucoup plus que tout ce que nous pourrons apprendre d'une époque. Les arts ont un développement qui ne vient pas seulement de l'individu, mais aussi de toute une force acquise, la civilisation qui nous précède. On ne peut pas faire n'importe quoi. Un artiste doué ne peut pas faire quoi que ce soit. S'il n'employait que ses dons, il n'existerait pas. Nous ne sommes pas maîtres de notre production. Elle nous est imposée. « Dans mes dernières peintures j'ai rattaché des acquisitions de ces vingt dernières années à mon fond essentiel, à mon essence même. »

Les reproductions des pages qui suivent montrent les diverses étapes de quelques tableaux de Henri Matisse terminés tous cette année. Elles soulignent l'évolution d'une œuvre en état de gestation, tout le drame de la création picturale, depuis la mise en marche du départ, à travers les phases inquiétantes des éliminations, jusqu’à la conquête de la forme essentielle, la forme dépouillée de tout incident, n’ayant gardé que les éléments expressifs d’une spontanéité durable, la forme définitive. « La réaction d’une étape — dit Matisse — est aussi importante que le sujet. Car cette réaction part de moi et non du sujet. C’est à partir de mon interprétation que je réagis continuellement jusqu’à ce que mon travail se trouve en accord avec moi. Comme quelqu’un qui fait sa phrase, il retravaille, il redécouvre... A chaque étape j’ai un équilibre, une conclusion. A la séance suivante, si je trouve qu’il y a une faiblesse dans mon ensemble, je me réintroduis dans mon tableau par cette faiblesse — je rentre par la brèche — et je reconçois le tout. Si bien que tout reprend du mouvement et comme chacun des éléments n’est qu’une partie des forces (comme dans une orchestration), tout peut être changé en apparence, le sentiment pour suivi restant toujours le même. Un noir peut très bien remplacer un bleu puisqu’au fond l’expression vient des rapports. On n’est pas esclave d’un bleu, d’un vert ou d’un rouge. Vous pouvez changer les rapports en modifiant la quantité des éléments sans changer leur nature. C’est-à-dire, le tableau sera toujours fait avec un bleu, un jaune et un vert dont on modifie les quantités. Ou bien vous pouvez préciser les rapports qui constituent l’expression du tableau en rem plaçant le bleu par un noir, comme à l’orchestre l’on remplacera une trompette par un hautbois. »
« ... A la dernière étape le peintre se trouve libéré et son émotion existe entière dans son œuvre. Lui-même, en tout cas, en est déchargé. »
Une œuvre de Matisse est ce qui reste, après le jeu dynamique des recherches et les sacrifices librement consentis. Elle n’est que ce qui reste, c’est-à-dire ce qui dure. C’est tout ce qu’il faut.

E. Tériade.

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LE COMPLEXE DE MIDI

ON pouvait pour de multiples raisons supposer que l’heure de midi, dans les pays ardents du Sud plus particulièrement, était susceptible de répercussions reliGieuses et mythologiques considérables. Cependant leur étude a été constamment délaissée. La raison en est d’ailleurs manifeste : les textes sont très peu nombreux, extrêmement dispersés et, qui plus est, aucun ne dépasse les limites réduites de l'allusion. Mais il suffit pour fonder la recherche de tel texte décisif de Servius (1) affirmant que presque toutes les divinités apparaissent à midi. Il est d’ailleurs facile de mettre en lumière ce qui consacre les prestiges de l’heure de midi. C’est en effet le moment où la présence du soleil au zénith divise le jour en parties égales sur lesquelles régnent les signes contraires de la croissance et du déclin. C’est donc l’instant où les forces de vie et de lumière le cèdent aux puissances de mort et de ténèbres : de fait, en Grèce ancienne, midi estl’heure de passage qui borne de part et d’autre l’influence des dieux ouraniens et celle des dieux infernaux (2). Mais c’est aussi l’heure de la diminution maxima de l’ombre, par conséquent celle qui, par excellence, expose l’âme à tous les périls. Pour des raisons analogues, midi est très généralement l’heure de l’apparition des morts — qui n’ont pas d’ombre. Telles sont, sur le plan le plus élémentaire, les raisons qui prédestinent midi à voir surgir les spectres : on voit que, parmi les fabulations de l'imagination humaine, elles ne postulent que les plus générales et les plus originelles : la magie sympathique et le principe de correspondance, l’identification de l’âme à l'ombre portée par le corps. Si l’on passe de la météorologie à la physiologie, on constate que l’heure de midi n’a pas de moindres titres à forcer l’attention. À cette heure sans air, l’ardeur du soleil ne pardonne pas : le coup de chaleur, l’insolation, la fièvre cérébrale avec leur cortège de troubles physiques et mentaux, offrent assez de preuves de l’activité des démons pour qu il faille en supposer l’existence. En Grèce, ces accidents ne font que figurer dans les attributions de divinités ou de fantômes qui ne s’en tiennent pas là.

Pan, Hécate, l’Eurpense, les nymphes, les Sirènes. Mais ailleurs, dans le monde slave par exemple, où ces démons portent le nom même de midi, qu’ils sévissent avec une poêle chauffée à blanc ou en arrachant la tête des épaules « comme une fleur », il est aisé de reconnaître dans leur fonction, la raison suffisante de leur création. À toutes ces composantes la nuit ne peut opposer que « le silence et l’horreur des ténèbres ». Certes ce n’est pas négligeable : le sentiment de mystère et d’angoisse que dégage l’obscurité est déterminé par la phénoménologie même de la perception. Mais la lumière n’est pas dépourvue non plus de qualités propres à la rendre apte à la divulgation des sceptres. Le créateur y fait trembler un flamboiement qui la peuple d’une vie inquiétante et innombrable toujours à la limite de la manifestation. Il n’empêche que, si minuit avait une existence objectivement perceptible, l’ardeur du jour ne serait pas le moment privilégié de l’apparition des puissances infernales, et, de fait, midi a cédé la place à l’heure la plus profonde des ténèbres, partout où les horloges à sonnerie ont permis à tous, par les célèbres « douze coups de minuit », de déterminer l’instant précis de l’heure fatidique. Auparavant, minuit n’avait pas d’existence propre dans le cours de la nuit comme midi en avait une dans celui du jour. Aucun signe comparable à la position du soleil ou à l’exiguïté de l’ombre ne pouvait le dénoncer aux hommes,qui se trouvaient ainsi conduits à opposer l’instant de midi à la nuit indivise, et qui, en tout cas, ne pouvaient guère définir minuit que comme la contre-partie nocturne de l’heure diurne des fantômes. Aussi n’y a-t-il jamais eu de démons spécifiques de minuit : aucun n’en a jamais porté le nom. On en voit facilement la raison : minuit n’a pas d’existence individualisée ni rien dans son conditionnement physique qui en fasse un instant objectivement dangereux ou même seulement remarquable. Il ne deviendra, quand les horloges à sonnerie lui donneront quelque individualité, qu’une heure d’apparition où les spectres, sans distinction de nature, se manifesteront comme en vertu d’une convention préalable, mais qui n’en possédera pas d’attitrés. Ainsi minuit reçoit les spectres, il ne les envoie pas. - Une autre détermination, d’un caractère tout différent, a contribué sans aucun doute à la décadence mythologique de l’heure de midi : l’influence du christianisme. Les Grecs ne qualifiaient pas moralement la clarté et les ténèbres. Aussi, selon leurs conceptions, les démons apparaissent-ils indifféremment le jour et la nuit (3). Mais dès que la lumière fut considérée comme une manifestation du principe du bien et l’obscurité comme l’empire même du mal, — distribution à quoi le manichéisme n’avait pas été indifférent —, on affirma que les démons avaient choisi l’ombre (4) et que, semblables à des chauves-souris, ils créaient les ténèbres autour d’eux et fuyaient le jour (5). Il devint ainsi évident que les démons haïssaient la lumière et qu’inoffensifs pendant le jour où régnent les puissances bienfaisantes, ils ne pouvaient sévir qu’à la faveur de la nuit. Dans ces conditions, la précellence de midi en matière de fantômes s’atténua vite, mais un tel foyer de déterminations de toutes sortes ne pouvait cesser de parler à la sensibilité humaine puisqu’aussi bien celle-ci ne pouvait cesser de reconnaître dans l’image de l’heure la satisfaction effective de ses aspirations élémentaires. A midi, la vie, semble-t-il, s’accorde un temps d’arrêt, l’organique retourne à l’inorganique, tout brûle inutilement et sans ardeur pour un vain contentement de luxe et de théâtre. L’activité, quelle qu’elle soit, prend les allures déplaisantes et risibles de l’agitation. Toute pulsation s’est arrêtée au point mort. Le triomphe suprême des forces positives se résoud en renoncement, leur jaillissement en sommeil, leur plénitude en démission. La volonté de vivre se retire on ne sait où, comme absorbée par un sable avide. Cette exaltation silencieuse de toutes les abdications, invincible inondation morale, ne connaît plus ni velléité ni remords qu’elle ne submerge aussitôt. Il est aisé d’apercevoir quelle séduction un tel tableau peut exercer sur l’homme asthénique, toujours prêt à l'à quoi bon : on comprend que les docteurs du Moyen-Age aient fait du démon de midi celui de la tristesse coupable ou « acedia » (6), qui s’emparait des moines vers le milieu du jour et dont les effets étaient si graves qu’on n’hésita pas à la mettre au nombre des péchés capitaux. Cassien (7) a donné une description psychologique fort précise du fléau. Le moine qui en est atteint se prend d’un dégoût irrésistible pour la vie qu’il mène, son monastère et ses compagnons. Il est la proie d’une paresse insurmontable. Le travail quotidien le décourage et le rebute, la lecture même lui fait horreur. Il est las et, en même temps, il ressent une faim lancinante et comme un besoin morbide de sommeil quand approche la sixième heure, le redoutable midi. Il ne cesse alors d’interroger le soleil, le trouvant trop long à s’incliner vers le couchant. C’estbien pour lui le midi immobile de Platon. Telle est Yacedia : « hypotention psychologique » manifeste, avec des curiosités dérisoires jointes à la dispersion intellectuelle sous toutes ses formes (8). C’est la tiédeur devant la vie, l’anxiété sourde d’un cœur insatisfait, et la confusuion irrationnelle de l’intelligence. Il ne s’agit pas seulement d’une nostalgie vague, ce sont des véritables accès d’aboulie, des états aigus de dépression psychologique bien connus des psychiâtres (9) et dont la valeur humaine d’expérience est incomparable. A l’arrière-fond, la tentation sexuelle est présente : l’acédieux veut quitter le monastère pour aller visiter une femme qui n’a personne pour la soutenir. Quelquefois la hantise sexuelle est plus précise (10). Alcuin regarde l’acédieux comme accablé de désirs charnels (11), et Alain de Lille cite comme exemple de tristesse coupable, les impuretés de David, de Samson et de Salomon : la faute du juste commise par ennui (12). Telle est la dernière métamorphose des spectres de midi autrefois vampires et succubes surgissant à l’heure des morts pour se nourrir de sang et de sperme, véhicules de la force et de la vie. Telle est leur moralisation extrême. On pourrait suivre pas à pas l’évolution. On n’insistera ici que sur son point d’aboutissement : le lourd et brûlant sommeil de la nature fournissant à l’homme dans la plus haute position de l’astre de la lumière et dans cette satiété au bord du déclin, à la fois la justification, l’illustration et l'exaltation du laisser-aller de la vie vers son contraire. Aucune flatterie n’est aussi sûre que celle qu’apporte aux aspirations élémentaires de l’individu l’ardente accalmie de midi, s’il est vrai du moins, que la vie psychique, peut-être la vie nerveuse en général, est dominée par la tendance à l’abaissement, à l’invariation, à la suppression de la « tension interne provoquée par les excitations » (13). La vie et la conscience sont, au dire des biologistes, des conquêtes pesantes pour la matière inorganisée qui tend toujours, pour des raisons internes, à retourner à létat inanimé primitif. Le complexe de Nirvânâ, le désir essentiel d’atteindre une façon d’être qui soit à la fois un paroxysme et une démission n’aurait pas d’autre origine. On n’en saurait trouver de plus primaire, de plus irréductible. Si c’est à une telle nécessité que l’heure de midi offre un support sensible, ses prestiges sont assurés de la complicité fidèle du cœur humain, car « il faut due que la paresse est comme une béatitude de l âme qui la console de toutes ses pertes et lui tient lieu de tous ses biens » (14).

Roger Caillois.


(1) in Verg. Georg., IV, 401.
(2) EUSTATHE : In Iliad., VIII, 66; Schol. in Iliad., VIII, 66; Etym. Magn.
ed. Gaisford ord, p. 468 ; Schol. in Apoll. Rh., I, 587.
(3) Cf. Lucien : Philops., 17.
(4) Eusèbe : Praep. evang., VII, 16, 2; Grégoire de NAZIANCE, Par], Gr. XXXII, 1376.
(5) Saint Basile : Pair. Gr., XXX, 277.
(6) Evagre de Pont : Patr. Gr., XL, 1271 ; Nilus D'ANCYRE, ibid., LXXIX, 1159; Jean Climaque, ibid., LXXXVIII, 859; etc., etc...
(7) Instituta Cœnotioruin, X, 2, 3.
(8) Cf. P. Alphandéry : Journal de Psychologie, 1929, pp. 768 787 : « De quelques documents médiévaux relatifs à des états psychasthéniques »
(9) Cf. Ibid., p. 768. M. Alphandéry évoque très justement certaines descriptions de Pierre Janet.
(10) Nombreux sont les textes où le démon de midi déguisé en nonne ou non assaille les moines pendant leur sieste et leur prodigue des " caresses de prostituée » (Césaire d'HEISTERBACH : Dial. Mirac., V, 33). Mai il s'agit là de récits folkloriques dont l’analyse ne peut rentrer dans cette esquisse. Je signale seulement que le plus développé d’entre eux est l’histoire du pape Sylvestre II et de Meridiana au nom si transparent (Gualterins Mayer . Nugae curiatum, IV, 11)
(11) Patr. Lat., CI, 635.
(12) Ibid., CCX, 127-128.
(13) Sigm. Freud : Essais de Psychanalyse, tr. franc. 1927, p.70 - cf les travaux de A. Weissmann (Ueber die Dauer des Leben, 1882, Ueber Leben und Tod, 1892) : dans la substance vivante, est une partie toujours virtuellement morte, soma, à laquelle correspondent les instincts qui conduisent de la vie à la mort et une partie immortelle en puissance, les cellules germinales qui tendent à s'entourer sans cesse d’un nouveau soma et qui sont le support des instincts dirigé vers le renouvellement de la vie. (14) La Rochefoucauld : Réflexion CCXC de l'édition de 1665 (supprimée dans les éditions suivantes).

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RÉALITÉ ET MYTHOLOGIE DES CRANACH

La nature ne fait peut-être pas de sauts, mais tout le long de son histoire l’art ne s’en est jamais privé. Bien au contraire, comme cet exercice ne va pas sans quelque danger, il arrive que pour pallier à certaines défaillances périodiques, l’art s’agrippe à plusieurs bouées, voire quelques brins d’herbe qui lui permettent de se ressaisir magnifiquement, après avoir jeté au vent les engins de sauvetage qui lui ont permis de passer la tourmente. Ainsi de la mythologie, de la mythologie considérée ici comme l’histoire fabuleuse des héros et des dieux de l'antiquité. Il n’en est pas moins vrai que, tout de même, le merveilleux mythique exerce sur la sensibilité des peintres une on attirance certaine, que quelques-uns de ces derniers subissent son charme historique, allégorique ou sentimental à la manière dont beaucoup d’entre ceux qui ont fait la guerre ne peuvent plus se retenir de la conter en leur art et ailleurs. Mais d’autres rejettant totalement sa « lettre » ne retiennent que les enseignements de son « esprit » : ce que font les grands peintres, c'est-à-dire ceux qui demandent au moyen d’expression qu’ils ont choisi de puiser dans ce moyen même des ressources pour leur talent.
Considérons l’œuvre étonnante des Cranach et qui demeure si vivante parce que constituant une réalité dégagée de tout arbitraire académique du sujet. L’artiste qui veut extérioriser lui-même le mythe de sa propre sensibilité ne considère pas la mythologie comme prétexte à un art qui ne serait que de l'illustration ; il n'en fait pas de sujets pour discours académiques ou politiques, harangues militaires, reconstitutions historiques, romances sentimentales ou tous autres sujets de pendules, fonds d’assiettes et drames cinématographiques. Les Cranach, malgré le « retour à l’antiquité », qui faisait fureur de leur temps, n’ont en somme conservé de la mythologie que les titres des épisodes, un peu comme on émaillerait ou abîmerait une conversation de quelques citations, ou comme l’on se conformerait à quelque mode vestimentaire. D’abord, et sans doute parce qu’ils ne connaissaient guère que cela d’une mythologie dont la psychanalyse n’avait pas encore découvert, approfondi ou réinventé les arcanes. Mais aussi pour d’autres raisons dont les motifs éclatent à chacune de ces pages d’une réalité si humaine, si farou chement personnelle.
Car pour ce qui est de la mode, les Cranach n’ont même pas sacrifié aux engouements de la Renaissance, puisqu’ils ont donné surtout libre cours à ce désir profond d’exprimer une réalité farouchement personnelle, propre à leur génie de primitifs attardés. D’abord à la manière de Cézanne, ce « calotin » qui ne peignit jamais une scène religieuse ; de Courbet, cet anarchiste qui ne peignit jamais une scène révolutionnaire ; ils ne cherchèrent que la seule expression d’une sensualité traduite selon les préceptes d’une rigueur picturale poussée aux conséquences extrêmes, à l’état le plus aigu, le plus vif possible. Point de formules que celle qu’ils ont créée. De là cette jeunesse durable, si actuelle, d’un art qui, mieux qu’un art, est une réalité terrienne, gonflée de sève à éclater, mais qui n’éclate pas. La vitalité, ici, s’arrête aux limites extrêmes de la vie. Les contours de ces nudités se gonflent, s’exaltent, comme un arbre pousse dans le ciel, selon le lyrisme le plus exubérant. Mais tout se contient, se résorbe en deçà des frontières d’une plastique harmonieusement humaine. La réalité lyrique s’arrête aux bornes du réalisme. Et nous n’assistons jamais aux spectacles un peu morbides encore qu’attirant des intimités anatomiques, des chirurgies inesthétiques de plusieurs graveurs allemands dont les œuvres n’ont surtout été retenues que pour leur bizarrerie. Ceux d’entre nous qui aiment à regarder par le trou des serrures verront ici leur curiosité demeurer insatisfaite. L’œuvre des Cranach ne reste pas le reflet d’une inquiétude d’époque, elle n’est pas non plus l’exemple grammatical d’une théorie, d’une analyse, elle est une réalité toute objective dont la violence même demeure de bonne compagnie. Lucrèce se poignarde, sans doute, mais elle ne l’a pas volé, se dira Cranach. Et ces «crimes», les Cranach les exécuteront sans animosité. Ils ne s’infligeront pas la peine d’exacerber une férocité qu’ils ne possèdent d’ailleurs point. La violence, chez eux, ne cherchera de secours auprès d’aucune mythologie. Elle éclatera dans la puissance audacieuse des lignes et des volumes. Ce qu’on a appelé des « déformations » et dont tant d’exemples étonnants existent chez les Cranach, seront les purs témoignages d’une virulence de tempérament qui n’a pas besoin de thèmes illustratifs. La sensualité des Cranach a élu parmi certains éléments naturels l’inspiration dynamique qui s’accordait le mieux avec le besoin d’expansion lyrique qui fait le fond de leur tempérament. Je pense au déploie ment d’une flamme avant sa fusion dans le ciel, au déroulement de la volute "CAS cranach le vieux d’une vague avant qu’elle ne s’écroule. Ce sont peut-être les mouvements d’un tel ordre qui ont engendré cette floraison de formes puissamment gonflées, mais lancées dans le ciel de la toile suivant un rythme mesuré, retenu au bord de l’éclatement par la discipline d’une pesanteur qui sait contenir la force intérieure qui les suscite. Mais cette pesanteur agit ici sans aucune autre règle que sa puissance indéfinie. Nulle loi de composition, nulle réminiscence de la tradition, la rusticité d’un primitif, c’est une floraison toute d’instinct. Ces corps nus évoluant dans les branches d’arbres et les plis d’étoffes ont procédé à la manière de plantes poussées dans un sol généreux, sous un soleil puissant, enrichi de l’humidité nécessaire. Il y a des lianes tropicales, des végétations de forêt vierge, des fleurs de serres chaudes dans ces efflorescences de lignes grasses, subtilement ardentes et dont l'immobilité difficilement contenue semble vouloir jaillir hors de la toile. Il se dégage de ces œuvres l’impression d'une réalité très inquiétante. C'est la vie d’une réalité très particulière, une vie qui n’est pas celle de l’art, une vie qui n’est pas non plus l’artificielle des créations monstrueuses de la biologie, une vie qui n’est pas celle de la mécanique de nos sentiments obscur. Courbe d’une cuisse, ondulation d’un ventre, galbe d’une jambe, volute d’un sein, ce sont comme les développements nourris de phrases mélodiques. Le réalisme est outrepassé, c’est la floraison d'un chant qui s’élève, la réalité précise d’un mouvement qui se dégage du néant de l’immobilité ; c’est une naissance, une génération toute spontanée. Phrases de Mozart plutôt que développements wagnériens, cris jaillis du cœur, c’est l’inspiration mieux exprimée comme sans contrôle, mais avec les moyens les plus rudimentaires, c’est-à-dire les plus purs. Ainsi les qualités plastiques, comme les rouages d’une machine, disparaissent sous l’attirance d’une pure réalité, mystérieuse, parce qu’inspirée par des éléments d'une simplicité qui étonne et qu’on s’étonne de n’avoir pas imaginée. La réalité des Cranach reste d'une profondeur qui trouble ; elle est insoutenable, comme les regards d’enfants. Son spectacle nous laisse angoissés, insatisfaits. Rien n'est fermé ; l’on voudrait savoir davantage, l’on voudrait découvrir le secret latent qui ne se trahira jamais. La réalité des Cranach pose des faits insolites qui nous immobilisent haletants. Il y a dans cette inimitable réalité quelque chose de non fini, d'infini, qui provogue des espoirs désespérés. On a l’impression d admirables pierre usées polies par l’eau, par le temps, mieux, d'arbres dont l'on se demande ce qu’il advient des branches hautes qui s'amenuisent et viennent à rien dans le ciel. Les yeux s'a grandissent devant une réalité si précise et si inconnue, comme devant certaines couleurs qui font dilater les pupilles Et les sensibilités de dilatent à leur tour pour tâcher d’atteindre les limites de son exaltation ingénue dans l’espoir de saisir, enfin, le sens de ce qui doit arriver, qui arrivera certainement, de ce qu'on attend confusément comme une révélation qui mettra fin à ce léger mal qui étreint la poitrine, là, aux alentours du cœur.

Maurice RAYNAL

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THE MARVEL OF MINUTENESS

Especially regarding certain Masterpieces of Early Sixteenth Century German Portraiture in the Kunsthistorisches Museum in Vienna

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LE MERVEILLEUX CONTRE LE MYSTÈRE

À PROPOS DU SYMBOLISME

Splendide dix-neuvième siècle, en deçà duquel il faut remonter d’un bond au quatorzième pour fuser dans le même ciel retournable, en peau de chat-tigre ! Le refus de la vie donnée, que ce soit sOcialement ou moralement, y aiguille l’homme sur une série de solutions nouvelles du problème de sa nature et de sa fin. Une fermentation extraordinaire, que nous ne connaissons plus... Aujourd’hui tous les yeux sont en effet tournés vers les espoirs qu’offre la transformation économique du monde, transformation dont l’urgence ne fait aucun doute, même si l’on peut tenir pour très improbable qu’une grande partie des espoirs en cause soient, de son fait, réalisés. Quand on en sera quitte avec cette interrogation brûlante, je pense qu’il sera temps, et temps seulement, de se reprendre à considérer la courbe singulière, à coup sûr très enseignante, des idées au dix-neuvième siècle, que rien ne permet de tracer d’un trait plus sûr que l’histoire de la poésie. J’ai toujours aimé entre toutes cette lueur vert-orangé qui me cerne du même fin pinceau, dans le lointain, le décor romantique conventionnel et ce quartier presque enfoui de la Boucherie à Paris, que hante l’ombre inapaisable de Nicolas Flamel. Cette lueur perverse, qui fait le tour des tours, m’apprivoise, au plus secret de moi-même, à l’égard de ce à quoi je me découvrirais consciemment le plus hostile : l’Allemagne de 1936, où l’on reconstruit ces tours, l’Allemagne d’où tout ce que nous pouvons penser de plus nous-mêmes est venu et reviendra. On sait assez de quelle lueur je parle, qui commence par prendre en écharpe les façades gigantesques de Hugo, s'insinue même chez Musset derrière l’insupportable « Rolla » — honnie tout spécialement à la fois par Ducasse et Rimbaud — dans l’admirable « Chanson » du 3 février 1834, glisse sur l’œuvre d’Aloysius Bertrand, habille d’abeilles mentales le grand débile Xavier Forneret, fait bombe-cocon dans «Les Chimères» de Nerval. C’est d’eux, sans attendre le symbolisme comme mouvement déclaré, qu’il est indispensable de faire partir une volonté d’émancipation lotale de l’homme, qui puiserait sa force dans le langage, mais serait tôt ou tard réversible à la vie. Les mondes renversés, les utopies criantes ou non, les rêveries d’eden se sont fait dans le langage une place que le réalisme primaire ne parviendra pas à leur reprendre. La cause profonde en est, selon moi, que le langage non strictement usuel, non strictement adapté aux besoins pratiques, entraîne de la part de qui s’y exerce un effort pénible, met en jeu une certaine quantité de souffrance. Les mots requis ne sont pas touj ours libres, ils se font prier, voire implorer. Ce que je tiens le plus à dire n’est pas, il s’en faut, ce que je dis le mieux. Une grande déception me vient de l’absence, mille fois constatée, de tout se cours extérieur en pareil cas. Par contre, ce secours ne m’a jamais fait défaut quand je me suis aventuré sur des routes moins certaines. C’est seulement alors que j’ai cru éveiller parfois les instruments de musique, que j’ai prêté à mes paroles la chance de quelque retentissement. Il y a là un rappel à l’ordre des plus sévères, des plus brisants pour l’orguei comme celui qui porte à écrire, par exemple. Tant du dépit de traduire l’idée claire par des mots qui n’admettent aucun prolongement et s’arrêtent au vestibule de l’oreille que de la joie amère de voir s’ordonner en pleine résonance ce dont consciemment on se sent la moins responsable, me paraît devoir inéluctablement résulter, au profit des mondes imaginaires, un rejet du monde réel qui ne peut prendre fin qu’avec ce monde. Il est impossible de concevoir une Révolution qui abolisse cet état de choses, recréateur à perte de vue de l’idée de Révolution. Jamais un changement de régime social n’entraînera une telle adéquation de l’esprit au nouvel ordre établi que ce drame, fonction des conditions humaines d’expression, soit conjuré une fois pour toutes. Sous prétexte que l’actualité exige de nous une prise de position plus terre-à-terre, rien ne serait plus injuste que de tourner en dérision les efforts des poètes du siècle dernier, tout entiers en proie à ce dilemme. Voilà pourtant à quoi une mode intellectuelle récente, d’inspiration soi-disant révolutionnaire, tente de nous induire. C’est ainsi qu’il n’est question plus ou moins explicitement, dans les commentaires auxquels a donné lieu la commémoration du symbolisme, que de l’indifférence coupable de ceux qui s'en réclamèrent envers les problèmes spécifiques de leur temps, de leur désertion devant la vie de tous les jours. A mon sens, on rouvre par là très inutilement une querelle qui trouve tout apaisement dans la prise de conscience du mécanisme de sublimation chez certains êtresb à l’exclusion des autres : dérivation et utilisation à des fins communes lointaines d‘« excitations excessives découlant des différentes sources de la sexualité ». De telles dispositions particulières supposent une défiance majeure à l’égard du réel ambiant qui peut aller, dans les cas extrêmes, jusqu’à la négation totale de ce réel. L’enrichissement psychique indéniable qui, au cours des âges, peut être porté à l’actif du processus de sublimation devrait l’entourer de plus de compréhension et le mettre à l’abri socialement de toute nouvelle menace d’intolérance. Baudelaire ne nous subjugue à ce point que parce que, des poètes français, il est le dernier en date à traduire dans un langage sensiblement direct, dans un langage qui les moule sans se laisser briser par elles, les émotions toutes puissantes qui le possèdent. Avec lui la chose exprimée ne se distingue encore presque en rien de celui qui l’exprime : elle préexiste, ce qu’il importe par dessus tout d’observer, au mode de son expression. Toute possibilité d’accident grave exclue, l’homme est toujours le maître de son attelage, il sait où il va. Mais la spécification par Baudelaire de la route à suivre n’en est pas moins troublante : « à travers des forêts de symboles », « au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau ». Sur cette route, aux relais suivants,, n’attendent plus que des chevaux prêts à s’emballer. Les lézardes du sens qui, chez Baudelaire, se font pourtant jour dans des pièces comme « Le Beau Navire », vont se multiplier et s’étendre après lui au point de faire chanceler le mur des échos. Ce sera l’effet d’une coulée verbale que le romantisme n’a su diriger que vers des écluses de fortune : tel ou tel « sujet » que le poète se propose théoriquement de traiter et qui s’obscurcit en chemin de développements parasites. Cette coulée verbale, longtemps mal contenue, prend tout à coup un aspect torrentiel. Abandonnées les rênes du sens commun, une autre espèce de sens pressant, divinatoire, guide l’homme vers où il veut aller sans le savoir. Toujours plus loin ! Dans cette direction de l’inconnu, il faut qu’il consente à se laisser porter plutôt qu’il ne se porte. Il lui faut renoncer à ce bien, longtemps tenu pour le plus précieux de tous : l’intelligence critique de ses actes. La lucidité est la grande ennemie de la révélation. Ce n’est que lorsque celle-ci s’est produite que celle-là peut être autorisée à faire valoir ses droits. L’aventure poétique prend ici un tour angoissant : les ponts de communication de l’homme avec ses semblables, au moins momentanément, sont coupés. Tout, de sa part, prend figure de course à l’abîme.
Il est frappant que l’apport d’un grand poète ne représente le plus souvent pour ses contemporains que visions, hallucinations auditives et autres casse-cous. Plus frappant encore que des phénomènes optiques, acoustiques généraux viennent rectifier ensuite à son profit, souvent d’une manière éclatante, cette sorte de jugement. Rimbaud, pour être compris, a besoin de plus de recul que ne peut en prendre, parlant de lui, Mallarmé, dans une lettre détes table à Harrison Rhodes, datée d’avril 1896. D’emblée, par contre, Verlaine et Mallarmé font école — et long feu. Le passant sublime, le grand serrurier de la vie moderne, Lautréamont n’est aperçu, de toute la génération symboliste, que par Bloy et Gourmont qui le désignent expressément comme fou. Il est encore, de nos jours, à peine question de Cros, sinon comme de la fleur de liseron sur laquelle devait prendre modèle le premier phonographe (mais de l’auteur du «Hareng-Saur» et de ces «Illuminations» avant la lettre que paraissent être «Vanité sous-marine », « Le Vaisseau piano »?). Un Corbière grelottant de contradictions et de rancunes, mais visité de longs pressentiments, le cède en influence à un Laforgue, heureusement déclinant, qui sifflote. Une revanche prochaine les attend, comme elle attend tous ceux qui ont poursuivi ou poursuivront la vérité à jamais insaisissable mais présente dans l'expression neuve, Germain Nouveau, jusque dans les mirages de la mendicité, Alfred Jarry — le très grand Alfred Jarry — jusqu’au sommet de la côte cycliste, en éclatant de rire. Les feux de plus en plus vifs qu’au bout d’une cinquantaine d’années se prennent à jeter certaines des œuvres précédentes, l’abaissement graduel de la lumière de cer taines autres permettent ici de séparer les joyaux de la pacotille. Une telle discrimination demeurerait toutefois insuffisante si l'on ne cherchait à pénétrer la différence de nature qui distingue les unes des autres. Il y va, pour la courte période qui nous occupe, du choix que la sensibilité de l’homme a pu faire entre deux routes, la première s’avérant à distance celle qu’elle devait suivre, la seconde celle qu’elle devait éviter.

Au point historique où il convient d’aborder ce problème, soit à la mort de Baudelaire, les poètes sont prêts à tomber d’accord sur un principe fondamental : le langage peut et doit être soustrait à l’usure et à la décoloration qui résultent de sa fonction d’échange élémentaire ; en lui sont incluses des possibilités de contact beaucoup plus étroit entre les hommes que les lois qui président à un tel échange ne le font généralement supposer ; la culture systématique de ces possibilités ne mènerait à rien moins qu’à la recréation du monde. Il va sans dire que le nouveau langage en vue tend à se distinguer le plus possible du langage courant, le meilleur moyen qu’il a d'y parvenir étant de faire un sort exubérant à la valeur émotionnelle des mots. Cette vie émotionnelle des mots, très loin de n’être fonction que de leur sens, les dispose à ne se plaire les uns aux autres et à ne rayonner au delà du sens que groupés selon des affinités secrètes, qui leur laissent une infinité de nouveaux moyens de se combiner. Où les deux routes dont je parlais divergent, c’est à l’instant où le poète décide de se tenir pour le maître ou pour l'esclave de telles combinaisons. Lautréamont, Cros, Rimbaud, Nouveau, Corbière, Jarry — Maeterlinck qui, seul après eux de tous les symbolistes proprement dits, accomplit ce miracle d’ouvrir sur un dos de femme ruisselant de pluie d'or la boîte de peluche bleue de « Serres chaudes » et des « Chansons » — sont de ceux qui se sont livrés à ces combinaisons pieds et poings liés, qui n’ont pas cherché à savoir où le sphinx, toutes griffes dans leur chair, les entraînait, n’ont pas tenté de ruser avec lui. Les autres, les fortes têtes de l’école mallarméenne, s’enfoncent aujourd’hui dans le sable de je ne sais quelle île de Pâques mentale, la bouche de la plupart à la hauteur de l'oubli. C est qu ils ont cru pouvoir garder à la portée de leur main la fiole de jour et la fiole de nuit pour nous composer les breuvages qu’ils voulaient doux, qu'ils voulaient amers. Je ne sais rien de plus puéril que ce souci de Mallarmé de ne pas laisser paraître, avant d’y avoir « mis de l’ombre », un texte de lui qu’il venait de lire et qui risquait d’avoir été trop bien entendu. Pour suivre sciemment une telle distillation ne peut aboutir qu’à se dissoudre soi-même. Aux rayons de cet artificiel soleil de minuit, on ne peut voir aujourd’hui que René Ghil, Stuart Merrill, Francis Vielé-Griffin commander parfois aux hautes vagues. Non touché comme eux de la main de sucre, Saint-Pol-Roux tourne vers nous des yeux d’un bleu toujours plus pur, toujours plus lavé par le vent des images.

De l’instant où les mots sont appréciés sous un angle de plus en plus exclusivement affectif, où l’on prête à leur association, sous certaines formes, un pouvoir de liaison profonde, unique, d’un être à un autre, mieux même où l’on fait le rêve, par eux, « de saisir l’Essence », il est clair que le comportement en matière de langage tendra de plus en plus à se régler sur le comportement en amour. Je dis que, dans les deux cas, c’est le problème passionnel qui se pose dans toute sa rigueur. Le poète et l’amant se doivent, en présence de la forme qui les hante, à une conscience infiniment moins troublante que troublée. Le mystère recherché pour lui-même, introduit volontairement — à toute force — dans l’art comme dans la vie, non seulement ne saurait être que d’un prix dérisoire, mais encore apparaît comme l’aveu d’une faiblesse, d’une défaillance. Le symbolisme ne se survit que dans la mesure où, brisant avec la médiocrité de tels calculs, il lui est arrivé de se faire une loi de l’abandon pur et simple au merveilleux, en cet abandon résidant la seule source de communication éternelle entre les hommes.

André Breton.

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SUR LES DERNIÈRES ANNÉES DE CÉZANNE

La plus ancienne exposition personnelle de Cézanne celle que M. Vollard organisa en 1895, est la date d’un tournant dans la vie du maître, en même temps qu’elle symbolise une nouvelle tendance artistique qui s’était annoncée depuis quelques années.
En effet l’intérêt qu’inspire la peinture de Cézanne augmente après 1890 pour des raisons multiples. Le succès public des impressionnistes était assuré : de Monet, Renoir et Pissarro l’attention se porta sur Cézanne ; les deux livres les plus anciens que nous ayons sur l’impressionnisme (Lecomte, 1892 et Geffroy, 1894) parlent de lui avec admiration. Entre temps les symbolistes, Gauguin en tête, qui avaient besoin d’un appui tant contre les impressionnistes que contre les pointillistes, prirent l’image poétique de Cézanne pour le mystère dont ils étaient en quête et proclamèrent la grandeur de Cézanne. A partir de 1895, on vit se dessiner une réaction contre le symbolisme : le « naturisme » qui rêvait d’une communion de l’individu avec la nature par l’ardeur et par la passion, attitude plutôt morale qu'esthétique. Le naturisme, lui aussi, amena l’attention sur Cézanne. Caillebotte était mort en 1894, laissant au musée du Luxembourg sa collection où se trouvaient deux œuvres de Cézanne. Les polémiques relatives à l’acceptation de la collection se prolongèrent jusqu’en 1896 ; elles répan dirent le nom de Cézanne. Mais la réputation de l’artiste date de l’exposition de M. Vollard. L’enthousiasme fut énorme parmi les peintres les plus jeunes et les plus avertis, et dans le jugement du public même une manière de réserve se dessina. Toutefois un grief subsistait, que même ses admirateurs admettaient : il s’agissait là d’un génie incomplet. Natanson, seul, comprit l’erreur dont il donnait cette définition ironique : « Complet, épithète hypocritement synonyme d’avantageux pour l’empressement des marchands ». Mais il ne manqua pas de collectionneurs avisés pour acquérir des œuvres de Cézanne : le comte de Camondo, Auguste Pellerin, Charles Loeser, Egisto Fabbri. Cézanne resta étranger à sa réhabilitation entre 1895 et 1900. Mellerio écrivait en 1896 : « Encore vivant, de lui on parle comme d’un disparu. » Il se croyait malade et se sentait beaucoup plus vieux qu’il n’était. Et puis les clameurs des journaux et les réactions qui s’ensuivirent le froissèrent. Son impressionnabilité aiguë, unie à un amour-propre accentué, lui avaient constitué une susceptibilité que la légende exagéra sans bornes. Elle n’en déterminait pas moins chez lui des élans de fureur aussi vite enflammés qu’éteints, qui ne facilitaient ni sa vie, ni son art. D’autre part, l’ambition de la perfection, la conscience de sa dignité et la réserve dans les désaccords avec autrui, le conduisirent non seulement à l’humilité qui fut une force pour lui, mais encore à la mortification volontaire, préjudiciable et même dangereuse. Le 1er mai 1896, il écrivait à Gasquet : « Vous ne voyez donc pas à quel triste état je suis réduit, pas maître de moi, l’homme qui n’existe pas... Mais je maudis les X... et les quelques drôles qui, pour faire un article de cinquante francs, ont attiré l’attention sur moi... Certes, un artiste désire s’élever intellectuellement le plus possible, mais l’homme doit rester obscur. Le plaisir doit résider dans l’étude... Vous voulez qu’à mon âge je croie encore à quelque chose? D’ailleurs je suis comme mort ». Rien de plus pénible : ce lutteur formidable que rien n’a pu faire plier, ni la colère de la foule, ni l’abandon des amis, obtient la victoire au moment où il semble se considérer comme mort. En 1897, il perdit sa mère ; il abandonna alors ses pinceaux pendant des mois, ce qui ne lui était pas arrivé depuis plus de trente ans, et il n’osa plus pénétrer dans sa villa : le Jas de Bouffan, qu’il avait décoré dans sa jeunesse et dont il avait tiré quelques-uns de ses chefs-d’œuvre. En 1899 il finit par vendre la villa et habiter à Aix dans la ville même. Il continua de faire la navette entre Aix et Paris, tout en quittant Paris pour la forêt de Fontainebleau, Aix pour le Château Noir qu’il prit en location, ou pour un atelier qu’il se fit construire en 1902, sur le Chemin des Lauves, qui domine la ville.
Après 1900, Cézanne supporta avec plus de sérénité les inconvénients de l’âge. Il se croyait ou se disait faible et chercha un appui moral dans la religion sous l’influence de sa sœur Marie. Déjà auparavant, d’ailleurs, il répugnait au radicalisme de Zola et de Monet. Cependant dans une lettre à son fils, qui date de 1906, on lui voit faire de grandes réserves quant à l’observance. Il prend ombrage de ce qu’un abbé tente de l’approcher. Le 12 août, il écrit : « A Saint-Sauveur, à l’ancien maître de chapelle Poncet, a succédé un crétin d’abbé, qui tient les orgues et qui joue faux. De façon que je ne puis plus aller entendre la messe, sa manière de faire sa musique me faisant absolument mal. Je crois que pour être catholique, il faut être privé de tout sentiment de justesse, mais avoir l’œil ouvert sur les intérêts ». Entre temps, sa réputation grandissait. Le Salon des Indépendants exposa des œuvres de Cézanne en 1901 et en 1902. Le Salon de l’Exposition Universelle de 1900 avait trois tableaux de lui ; en 1904, une grande exposition organisée par le Salon d’Automne, fut une espèce de consacration suivie de deux autres expositions au même Salon en 1905 et en 1906, qui comprenaient chacune dix œuvres. En 1901, Maurice Denis expose son Nommage à Cézanne; en 1905, le Mercure de France insère dans son « Enquête sur les tendances actuelles des arts plastiques la question suivante : « Quel état faites-vous de Cézanne ». La majorité des peintres répond avec respect et parfois avec enthousiasme. Enfin l’idée se dessine d’un pélerinage à Aix, pour approcher le prophète de l’art nouveau : aux peintres Maurice Denis, K. X. Roussel, Émile Bernard, Charles Camoin, J.-F. Schnerb, R -P Rivière se joignirent les écrivains Edmond Jaloux, Joachim Gasquet, Léo Larguier, Joseph d’Arbaud, Emmanuel Signoret, Louis Aurenche, Marc Lafargue, Jean Borély.
Justement, après 1900, Cézanne s’aperçut que l’attention qu’il inspirait n’était pas une spéculation de journalistes, mais une conviction d’artistes. Le ton change ; en 1902, à la suite d’une demande de M. Maurice Denis le priant d’exposer, il écrit à M. Vollard : « Il me semble que je ne peux pas me séparer des jeunes gens qui se sont conduits avec moi d’une manière aussi sympathique. Si j’expose je ne crois pas donner une idée fausse des progrès de mes études. » En 1904, l’année de son apothéose au Salon d’Automne où il avait exposé 42 peintures, Cézanne retourna à Paris et se réjouit de son succès. Mais il était trop vieux pour supporter la foule de ses admirateurs. Il se retira à Melun, puis retourna à Aix dont il ne bougea plus. En 1906, l’été fut particulièrement torride à Aix ; Cézanne en souffrit, sans renoncer à son travail. Beaucoup désormais voyaient sa gloire, lui pas. Il continuait de travailler en solitude. Dans sa solitude, dans la décadence physique dont il avait conscience, une unique affection le soutenait : son fils. Le 22 septembre 1906 il lui écrivait : « Je vois assez en noir, je me sens donc de plus en plus obligé de me reposer sur toi, et de trouver en toi mon Orient. Il n’y a que toi qui puisse me consoler dans ma triste situation. » Il écrivait encore le 15 octobre : «Je continue de travailler avec difficulté, mais enfin il y a quelque chose. C’est l’important, je crois... Je crois les jeunes peintres beaucoup plus intelligents que les autres, les vieux ne peuvent voir en moi qu’un rival désastreux... Un peu de satisfaction morale, mais pour ça il n’y a que le travail qui puisse me la donner, ferait beaucoup pour moi. » C’est un testament spirituel. Il se résignait à n’être pas compris et formulait un acte de foi en la jeunesse ; il invoquait une satisfaction morale mais ne la sollicitait pas du jugement d’autrui : il la demandait uniquement à son travail. Il est mort sept jours plus tard, le 22 octobre.

Pour ce qui est des événements extérieurs de la vie de Cézanne, la dernière période commence en 1895; pour, qui en est de son art, elle commence avant, sans qu'on puisse préciser de date, au moment où l idéal géométrique se réduit à un sous-entendu, où la sensation reprend pleinement ses droits, où la touche fière et délibérée créé avec une liberté plus grande que dans la période impressionniste. Ce n’est pas un retour en arrière, c’est un dépassement de ce qu’on peut entrevoir de trop théorique dans certaines productions des années 1880 à 1887. Les années, la maladie, les mortifications volontaires, d'autant plus graves qu’elles s’opposaient davantage aux enthousiasmes des autres, se reflètent dans ses œuvres, mais d'une façon bien différente de ce que la critique suppose. Au lieu d'un affaiblissement c’est une nouvelle fureur de création qu'on voit paraître. Cette ténacité dans le travail, qui le fait aspirer au progrès sept jours avant sa mort, oppose à la fatigue du corps une force toujours plus indomptable. L'harmonie des couleurs atteint un degré de complexité et de vivacité encore inconnu ; la forme adhère de plus en plus aux besoins du style de Cézanne. Il devient toujours plus « naturel » dans le sens de parallèle à la nature, « comme l’amandier fleurit », de par la force de sa sensation « impénétrable » , et en même temps il est de plus en plus libéré de la nature, de la façon de voir objective dont la photographie ou la tradition formaliste restent le témoin. Dans ses dernières années, il emploie plus fréquemment l’aquarelle, et il lui donne une importance particulière. L’aquarelle n’est plus seulement étude, ou bien dessin développé : elle devient peinture se suffisant à elle-même. Peinture plus rapide et immédiate, et plus cursive que la peinture à l’huile, moins épaisse, moins insistante, moins appliquée, l'aquarelle facilite à Cézanne la réalisation picturale précisément parce qu’elle l’arrache à la préoccupation du fini. Pour Cézanne les aquarelles sont comme ces poésies que le poète écrit pour lui seul et qui, parfois, sont les plus intimes. Ainsi les aquarelles de Cézanne ont-elles beaucoup influé sur sa peinture à l’huile. Si l’on tient compte de ce fait, on comprend mieux certains chefs-d’œuvre de ses dernières années. Comparez la peinture à l’huile représentant les Baigneurs de la collection de M. Roussel (fig. 13), avec quelques- unes des aquarelles de la collection de M. Paul Cézanne fils (fig. 10-12). Il y a la même touche, le même goût, le même effet. Les couleurs sont intenses, la masse des formes est réalisée par les lumières, figures et paysages ont le même traitement pictural. Les jaune-orange constituent le ton principal de la lumière, comme le vert-bleu-violet celui de l’ombre ; c’est-à-dire que l’intensité des couleurs accentue son harmonie par un contraste fondamental unique. Les célèbres Grandes baigneuses ont une valeur architecturale à part ; mais comme spontanéité et vivacité de création, la petite peinture et les aquarelles publiées ici n’ont pas été surpassées. Ainsi que dans la composition des baigneurs et des baigneuses, Cézanne s’abandonne à l’imagination dans ses paysages. Il voit dans un village les mêmes plans qui s’opposent et s’entrecroisent (fig. 2), qu’il avait vu à Gardanne quinze ans auparavant, mais il les voit avec un plus grand détachement, avec une liberté absolue. Regardez comme l’effet est parfait et complet, même si la toile est restée découverte en maints endroits. Dans la figure 3, vous voyez un paysage différent qui est comme bouleversé par la passion humaine, comme si l’âme de Cézanne eut vibré toujours davantage avec la nature, et eût trouvé partout une rai son de drame. Mais là où les rochers expriment le mieux la grandiosité du désordre cosmique, c’est dans les représentations de Bibemus (fig. 4, 6, 7), une carrière qui se trouve à quelques kilomètres d’Aix-en-Provence. La violence exercée par les hommes sur la pierre devient un motif tragique. La terre même semble se débattre au milieu de tourments dignes de l’Enfer dantesque. Tout est prétexte pour Cézanne à extérioriser son orage intérieur. Les sommets lyriques, inégalés peut-être, qui sont le testament artistique de Cézanne, lui ont été inspirés par la montagne Sainte-Victoire (fig. 8 et 9). Il la contemple avec l’œil ingénu de sa première jeunesse, il la regarde encore et la voit de plus en plus lointaine, trônant au-dessus d’un espace immense où des tons orangés et verts-bleus-violets représentent à la fois la terre et le feuillage. Le coup de pinceau est toujours plus libre et plus dégagé, comme dans les aquarelles, mais la couleur est plus forte. La montagne, en s’éloignant, prend de la spiritualité : elle est devenue, pour Cézanne, son aspiration au ciel. La vallée s’est muée en ombre, d’où l’on monte vers la lumière. Près de lui, sur la table, il ne voit que l’image terrible de sa mort prochaine (fig. 1).

Pour illustrer cet article je n’ai pas choisi les œuvres les plus célèbres, qui ont été reproduites maintes fois, mais des peintures et des aquarelles inédites. Elles sont, en général, moins finies que les œuvres célèbres, mais elles sont aussi parfaites comme œuvre d’art. Elles vous prouvent que c’est idiot de croire que Cézanne n’a pas su réaliser ; bien au contraire, il a su réaliser, dès le premier coup de pinceau qu’il a donné sur sa toile. Parce qu’il imprime à chacune de ses touches l’ardeur de tout son être. Jamais ligne ne fut plus saturée de vie sensible ; jamais coup de pinceau ne s’appuya davantage sur une construction idéale.

Lionello Venturi.

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TERRES CUITES DE BÉOTIE

Elles sont dans un musée, derrière une vitre, en Grèce, et le hommes qui les ont sculptées, comme on dit, vivaient neuf à sept siècles avant Jésus-Christ... c’est-à-dire il y a très très longtemps... à ce qu’il paraît. Enfin ! les hommes meurent, les statuettes restent... d’autres hommes viennent les voir..., disent leur mot et puis s’en vont manger ou autre chose..., les statuettes sont toujours là. Un jour, un homme arrive, on retire les statues de la vitrine, l’homme leur tire le portrait et s’en va... les portraits paraissentndans une revue... d’autres hommes les regardent... disent leur mot et puis s’en vont manger... dormir ou autre chose... n’importe quoi. Statuettes de Béotie, je vous regarde avec attention et puis aussi avec un peu de tendresse. Évidemment, si vos photos s’envolaient... si le musée de Grèce brûlait et vous avec, je ne prendrais pas le deuil pour ça, je n’éclaterais pas en sanglots, mais tout de même vous me plaisez et les hommes qui vous ont faites avec leurs mains sans doute, qu’ils m'auraient plû aussi peut-être... les hommes qui vivaient là-bas... en Béotie... quelques siècles avant J.C..., avant Jésus-Christ et ses maux en croix, son calvaire solitaire et ses écritures saintes. Petits êtres de terre cuite, doux et simples comme des animaux et gentils comme des cœurs... boucs... pigeons... hommes..., vous bandez comme des ânes et vous en êtes fiers ! Comme vous avez raison. Boucs, chèvres, chevaux et jockeys... hommes à tête simple qui tenez tranquillement avec vos mains vos pieds... femmes lointaines et liées à deux avec deux seuls seins pour vous deux, petites statues de poivre rouge... centaures à trois pattes... charmants animaux inanimés... petites créatures entières, petits monuments aux vivants... vous êtes très beaux à voir vraiment. Et tellement gentils avec ça... un peu carnivores... un peu cocasses comme la vie quand elle est cocasse... tremblements virils et malgré tout un petit peu féminin pluriel... démesurément amoureux... joyeux et graves comme l’amour et marrants aussi bien sûr... Ceux qui vous ont fabriqués avec leurs mains vous ont fabriqués à leur image... j’aimerais bien voir ces hommes-là, les prendre par le bras et leur parler joyeux... boire le coup avec eux... ... Un peu saouls tous ensemble on s’en irait voir les statues d’aujourd’hui... et le grand fou rire nous prendrait devant les monuments aux morts, devant les monuments aux malades... devant les monuments aux vieillards... aux châtrés... à l’assassin... au maréchal de France... aumaurras... aux goitreux... au fou... au feu... à l’aide... à l’archevêque de Paris... à la chèvre de Monsieur Seguin... au Galliffet... au crétin... à l’etc..., etc..., etc. Mais où sont les simples sculpteurs de Béotie... évidemment bien sur ils sont partis et les sculpteurs d’aujourd’hui sculptent à la sueur de leur front des maréchaux foch en mie de pain quotidienne... des présidents doumergues en sindoux tricolore avec la flanelle triste et la braguette de bronze... des saintes genevièves en nougat blanc... des dieux le père en pierre ponce pilate... des anatole france d’alors en pierre à évier... des poilus inconnus en poil à gratter compressé... des déroulèdes en étron chromé... de Jeannes d’Arc en veau asphalté... des révérents pères de foucauld en guano dépoli... des miracles de la Marne en os de canaque... ... Et toute cette pierre tombale grouille immobile sur les places publiques du soir au matin et du matin au soir. « Beaucoup trop de statues, pas assez d’urinoirs », dit un monsieur très correct courant très vite les mains au ventre, avec la douloureuse grimace de celui qui a envie...
« Qu’est-ce que vous dites, et l’art, alors, l’art avec un grand tas... point d’exclamation, on n’est tout de même pas des barbares, deuxième point d'exclamation, ouvrez le ban et le général s’installe sur sa chaise... on va — de son vivant... inaugurer en sa présence... sa statue.
La Marseillaise... on tire le drap... la général, ébloui, s'aperçoit soi-même équestre en relief et beaucoup plus grand que nature entièrement taillé à la main dans la pierre à fusil.
Il n’en croit pas ses yeux le général... il se lève... se rasseoit... se relève... salue à la romaine, se rasseoit encore... tripote ses moustaches à la gauloise et puis se relève encore et dit : « Il n’y a pas à dire... c’est monumental... monumental c’est le mot... un monument... un vrai monument... un monument monument... très content... il est très bien... très solide... bien coupé... surtout les tourelles... très bien ajustées les tourelles... deux cheminées... il faut ce qu’il faut... mais qu’est-ce qu’il attend pour partir ? Consternation générale, le général en général n’avait pas beaucoup d’idées générales, mais voilà que d’un seul coup il n’a plus d’idées du tout... se voir comme ça... en pierre et en os et à cheval encore sans tomber par terre à 87 ans s’il vous plaît... la joie et la fierté... vous comprenez... comme un fromage d’hiver qu’on a eu tort de laisser sortir en plein été, le dedans de la tête du général a tourné. Il se confond soi-même avec son frère l’amiral, prend sa statue pour un croiseur, s’étonne qu’on ne la lance pas tout de suite dans l’eau de la mer, demande s’il y a la grève, répond que oui, hurle qu’on est tous trahi et s’enfuit en trébuchant, affirmant et sanglotant qu’il a été torpillé dans le dos... ... La consternation générale le suit... le sculpteur court derrière et la statue équestre reste seule sur la place comme sur une toile de chirico... Tout est calme... le général de pierre se tait... le cheval de pierre ne bronche pas... le crottin de pierre n’en mène pas large... les oiseaux de pierre vont venir pour le manger... De très loin des bribes de voix... c’est le général qui dit ce qui lui reste à dire... ... Halte-là on ne passe pas... la patrie est en danger... deux morceaux de sucre dans le café... que personne ne sorte... défense de descendre avant l'arrêt... tue-le... tuez-les... aimez-vous les uns les autres... une minute de silence... cinq minutes d’arrêt... buffet... j’ai failli attendre... soldats je suis content de vous... taisez-vous, méfiez-vous... debout les morts... pas de gymnastique... papa cadencé... défense de fumer... défense nationale... défense d’éléphant en avant, en avant... le plus court discours m’en dit plus long qu’un long croquis... du haut de ces pyramides sacré-cœur de jésus la mobilisation n’est pas la guerre, ariane ma sœur, garde à vous, je pense donc, je suis, je vous salue marie manu militari... Et tout ça se passe le Vendredi-Saint, vers 3 heures de l’après-midi au xx e siècle après Jésus-Christ..,

Jacques Prévert.

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EDGAR DEGAS CHEZ AMBROISE VOLLARD

(à suivre)

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NAISSANCE D'UN HOMME

La vague de notre génie s’élève, s’abaisse, s’élève, s’abaisse. Chaque fois, son avide courbure revient chargée d’un butin d’étoiles qui, après bien des lunes, se changeront peut-être en granulations salines ou boueuses insanités. Mais le plan initial d’où elle émana et où elle se ramasse et se recompose à nouveau règne toujours à la même hauteur ou à la même absence de hauteur. De tels voyages pour la conquête, ou pour la reconquête, de la connaissance et des procédés, il est commode et légitime de les considérer comme des phénomènes pourvus d’un certain nombre d’apparences particulières qui permettent aux esprits de s’entendre, en gros, sur le sens, le nom et la réalité sociale d chacun d’eux, le christianisme par exemple ou, sur un plan bien différent, l’esthétique de l’après-guerre ou le freudisme. Ces accidents expansifs ne se produisent pas avec une soudaineté et une autonomie telles que risquât de s’évanouir la ligne indispensable qui, dessinant d’une même encre les vallées et les sommets de la volute, assume leur profil général et signifie leur dépendance mutuelle. Il est d’ailleurs probable que l’humanité, analogue à l’éternité non moins qu’à la divinité, existe en masse, présente et complète dans chacun de ses instants comme dans chacun de ses ressortissants. La vague à répétition de son intelligence et de son désir correspond à une sorte de pulsation qui, si elle prouve et si elle consent que le sang passe et qu’il tourne et retourne, ne forme néanmoins la matière ni la couleur du sang. Sa poussée périodique suggère souvent un sentiment d’ascension, qu’on soupçonne bien d’être superficiel mais dont l’insistance surprend. Dans son déplacement plus ou moins vertical, qui peut-être, mais Dieu m’en garde ! ne se produit qu’au ras de l’écorce, positive ou symbolique, du monde de la terre, elle ne renonce que momentanément son tremplin, lequel, du moins tant que nous posséderons ce corps et cette tête, demeure notre organisme avec ses jeux les plus saisissables et ses témoignages les plus grossiers, desquels la franchise comporte les mérites qui s’attachent traditionnellement à cette posture morale. Nous constatons aujourd’hui, à différents étages de notre sensibilité et de notre langage, les signes rugueux et colorés d’un de ces spasmodiques contacts d’Antée avec le sable ou la glaise d’ici-bas. Y discerner un retour ou un reniement, ne s’impose pas. Au contraire, de nouvelles forces viendront au géant de cette touchante et profitable manifestation de fidélité à ses origines. Oui, après les tentatives ou les réussites de recensement, de division et même de positive désintégration, de l’étoffe de notre conscience, après que nous voulûmes, en art, être, au même instant, dans nous-même et dans notre objet, et ailleurs encore, après qu’il nous importa de capter, au fil de notre poème, une électricité majeure dont les doigts nous brûlent encore, après que, entraînés à rejoindre ou à simuler les propriétés des anges par les voies télégraphiques de l’éther, nous sentîmes se racornir inégalement et se corrompre à toute vitesse les diagonales de l’espace et connûmes avec un peu d’horreur qu’il était plus curt et plus radical de se rendre de Venise au Bourget que du Bourget au cimetière de Bagneux, après que nous fîmes sauter des couvercles et que nous enfonçâmes des portes et que, dans la direction la plus apparemment opposée aux exubérances de la pensée, nous amorçâmes et nous exigeâmes un immonde spiritualisme et une sorte paradoxale d’évasion jusque dans la frénésie gastronomique ou balnéaire qui culmina voici quelques années, nous nous remettons, à la faveur de circonstances économiques qui inspirent l’économie et cette forme de l’économie ou de l’épargne qu’on appelle l’ascèse, mais aussi sous la pression un peu exténuante de tant de couronnes, faites exactement comme des roues, que nous valurent nos récents succès dans le pays invisible, nous nous remettons avec agrément devant un morceau de pain et nous ne refusons pas les pièces de cent sous. Il nous plaît, en effet, qu’une monnaie de métal, épaisse et tintante, remplace les coupures bleues ou roses et amuse nos doigts par un ensemble de vertus solides propres à nous consoler des pertes de solidité que les références de cette monnaie, et son principe même, peuvent subir dans le ténébreux sous-sol des gouvernements. Le pain, lui, des compétences médicales ou pseudo-médicales le découvrent chaque jour, le bon pain de nos ancêtres, le vrai pain de froment de France. Plus il sera noir, plus il se hérissera de paille, mieux il répondra à sa pureté, spécialement à sa pureté nominale. Les gens, cependant, continuent à mâcher, mêlé au saucisson délectable, le pain crayeux, artificiel, allégorique, blanc dedans et roux dehors, léger à l’œil, gracieux à la canine, que les siècles civilisés parachevèrent. Mais une exaltation pharmaceutique à la gloire du primitivisme et de la rusticité put, à propos de croûte et de mie, s’accomplir ici, timide métastase des grandes épidémies de rénovation médiévale qui se consomment dans un empire voisin. L’abondance des représentations cinématographiques — la flotte américaine emprunte le canal de Panama... un incendie ravage des puits de pétrole... — nous impose sans relâche une notion oculaire des éléments physiques, si bien que nos pères immédiats, supposés plus rapprochés des vieilles sources, n’en surent certes pas tant que nous sur les formes, les hanches et les mâchoires de l’eau et du feu, cependant que nos déplacements dans des véhicules fulgurants mais exigus nous soumettent à des cas de conscience, alimentaires, musculaires, digestifs, qui nous rappellent avec acuité la mesure exacte de notre corps et de ses servitudes. Qu’un sauvage haut de six pieds monte dans telle auto que je sais, c’est alors seulement qu’il connaîtra qu’il a deux jambes. En avion nos filles et nos compagnes, et les plus vaporeuses éprouveront dans le même instant que des ailes leur vinrent, en papier de chocolat baleiné de fer, mais que, pour autant, leur intestin ne démissionna pas. Ce réalisme, ce nouveau réalisme fleurit dans d’humbles détails, en marge des puissantes ruées vers la neige, la mer, la nature, et des systématiques récréations de l’athlétisme. Par touches menues, rares et habiles, il soumet notre style de vie à quelque émouvante parenté avec celui des hommes reculés. Nos plus tragiques, nos plus grandioses procédés d’exaspération intellectuelle, de paroxysme atmosphérique aboutirent... Mais ils aboutirent aussi à des babioles de cuir ou de fer, à des gouttes d’eau froide, à des mouvements du cou, à des contractions du pouce qui ressuscitent subrepticement chez nous les gestes inoubliables que conseillèrent à l’anatomie des rôdeurs les plus préhistoriques et nus leur démêlé avec l’univers épineux. Nous ouvrons notre journal comme ils ouvraient un poisson. L’aviateur substitue le danseur qui s’enlève et retombe, éclairé par les flammes, et par elles guetté. Le motocycliste, espèce d’animal d’avant tous les hommes, ver à soie qui dévide un chemin inutile, figure, repeint et traduit, en outre, le semeur, un bizarre semeur aussi vif que les vents. La dactylographe tisse à son métier, un tapis de lettres. L’homme qui se sert d’un stylo déterre, pour amener un reste d’encre violette au bec de sa plume, la détente de l’avant-bras du lanceur de harpon, et, cheminant ensuite sur le papier, il héberge en lui et modernise l’appréhension du pèlerin songeant que le niveau de l’eau baisse dans la gourde. L’homme qui tourne subtilement le bouton de la T. S. F. accepte pour sa main l’avide flexion en forme d’hélice qu’inaugura le maraudeur qui, dans l’obscurité dorée du hêtre creux, tâtonne pour ne capter ni Londres ni Moscou mais la reine des abeilles. L’un comme l’autre visse, dévisse le vide... Autour de l’homme, soudain, cela vibre, cela tournoie. Un coin de forêt, un coin de maison — et la_maison tout entière -— s’emplit de bourdonnements. L’automobiliste, par certaines de ses réactions, évoque bien davantage le pilote des trains de bois flotté, puissamment charrié par une force lisse et continue, mécanisé par l’inépuisable, qu’il ne fait son devancier, le héros mondain, que des trotteurs calamistrés traînaient au Bois dans une voiture vernie. Il est presque trop facile d’ajouter à ces résurgences les pressions apéritives que nous exerçons sur la petite queue de métal qui pend derrière la tête des siphons et qui reproduisent fidèlement, au moment de nos haltes à travers la brousse de Paris, les manières de l’ingénu tirant la chaleur et la lumière crépitantes d’une manipulation de pierres ou de branchettes frottées. De nos jours, en effet, dans nos villes, l’eau fraîche et potable conserve plus que le feu quelque côté rare et miraculeux. La joie un peu terrifiée que les hommes, sans doute, éprouvèrent lorsqu’ils parvinrent à faire jaillir, de l’absence de flamme, la flamme, loin d’escorter nos rites actuels d’allumage par le moyen de la suédoise ou du briquet, s’est reportée sur les mouvements qui suscitent l’eau. Et chacun sait que les avatars citadins du pêcheur a la ligne sont, non pas nos pêcheurs à la liane — ces fanatiques qui, dans les petits cafés, introduisent des pièces de vingt sous au sein d’un mécanisme afin d'actionner une réduction de grue qui, en principe, doit, à l'aide de la benne qui lui pend happer quelqu'un des menus objets disposés à l'intérieur de l'armoire vitrée où elle opère. Des gars mangèrent des fortunes à force de se payer les savoureuses attentes de l'instant voluptueux où la benne, lentement baladée au bout du bras de fer, se refermera sur le néant d’un cendrier ou d’un crayon, parachevant du même coup, par une urgente analogie avec la cigogne des légendes puériles, ce symbolisme érotique dont les profils et le comportement de l’appareil publient un nombre important d’aperçus.
L’un des plus significatifs parmi les rafraîchissements actuels de l'instinct réside dans l’emploi, contre la pluie, des imperméables qui détrônèrent le parapluie. Il est obligatoire de considérer dans le parapluie l’architype de ces ingéniosités civilisées, d’ordre d’abord orthopédique, qui tendent à prolonger ou protéger d’engins ou d’accessoires notre personne charnelle dont une certaine oblicité de la préoccupation chrétienne nous conduisit à voiler et à déformer la découpure honteuse et périssable, à l’aide des plus roublardes chinoiseries. (Personnellement, je n’ai rien contre les parapluies, sauf que je les perds).
Le propre des inventions à mettre dans le même sac que celle du parapluie est qu’elles ne laissent pas à leur usager la plénitude de sa liberté kinesthésique. Parapluie, bicyclette et même téléphone à récepteur mobile apparaissent encore comme des progrès vaguement incongrus, par la surprise obtenus, coups de Jarnac qu’on ne saurait porter sans un certain tremblement d’orgueil et d’inquiétude à l’hostilité ou à l’inertie de la nature, quelque domptée que la prétende la présence des urinoirs et des réverbères. Le maniement du parapluie et des engins de la même veine demande, en général, de l’attention et du raidissement. Au delà du parapluie qui, avec son fil blanc et ses bottes secrétés, ne dessine l’arbre ou le toit pas plus que notre briquet ou nos allumettes ne réalisent la postérité du silex ou des bâtonnets du père Adam, se situe l’imperméable. Le garçon ou la fille qui porte un imperméable se tient sous un arbre, un arbre à la mesure de notre statue. Comme la petite paysanne qui s’abrite de la pluie sous un arbre indiscutable, lequel, saturé d’eau, la douchera tout d’un coup, l’adolescent imperméabilisé n’oublie pas que, bientôt, son fauve vêtement laissera passer l’eau, mais il goûte, à marcher sous l’ondée, tête nue et les mains dans les poches, le sentiment, à la fois humain et animal, de dominer le climat sans cesser de s’y mélanger.
Ces tics et ces trucs, ces fraîches brindilles, ces traces argileuses, tant de caleçons de bain en peau de pécari, tant de mocassins ornés de poils de la bête, notre complexion physique et, qui sait? notre fondamental manque d’imagination leur permettent, leur commandent de pulluler secrètement et d’une manière comme virginale au moment même où les lézards empennés de Jérôme Bosch, la lampe d’Aladin et les trente-six mille fariboles engendrées par la noble hystérie des poètes gonflés de dynamite séminale deviennent un matériel courant. En peinture, en littérature aussi, les petites crispations de l'orteil du géant, quand celui-ci se retrempe à la connivence territoriale, abondent maintenant. En dehors de tout parti-pris, et d autant plus profonds que davantage ennemis d’une intention didactique ou polémique, ils se veulent, ils se préfèrent limités à leurs propres dimensions, à leur pur manifeste.
Que les regards de l’artiste moissonnent les couleurs et les cris de la terre humaine pour que les rouages du génie en tirent un pain où la dent retrouvât autant que possible le son et la paille des décors immédiatement accessibles aux sens! Que les mains de l’artiste puisent dans la lourde monnaie de soleil et de bronze que les paysages quotidiens lui proposent sans marchander, et qu’il renonce, momentanément, à la transmettre à ses fidèles sous les espèces d’un chèque trois, quatre ou mille fois barré ! que fatalement solidaire de tous les épisodes abstractifs, de tous les sondages d’une réalité peut-être plus réelle que la réalité qu’il vient de franchir et de pratiquer, et qu'il ne songe pas à répudier, il s’abandonne, sans craindre de s'égarer ou de déchoir, à exploiter de plain-pied les données brutes et promptes de ses yeux et de son âme au premier affût de l'aube ! Et je lui jure, moi, que ces données ne seront pas les marraines d’un académisme restauré mais bien, sur un plus haut degré de la spirale que notre évolution décrit à travers le néant conscient, les tonnantes et puissantes armées de bisons dont le galop va faire sortir de cette planète le corail prodigieux d'une esthétique sublime.

AUDIBERTI.

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