MÉLUSINE

Dada Culture n° 18 Critical Texts on the Avant-Garde

DADA CULTURE n° 18 Critical Texts on the Avant-Garde. Edited by Dafydd Jones. Amsterdam-New York, NY, Rodopi, 2006.

Elle a l’apparence d’un livre. Elle bénéficie d’une couverture cartonnée. Le papier est glacé. Il y a pour illustrer d’assez nombreuses vignettes en noir et blanc. Elle est de langue anglaise. Telle se présente la revue DADA CULTURE. Le maître d’œuvre du très académique n°18 est Dafydd Jones, qui enseigne à l’Université de Cardiff (Pays de Galles). Cette livraison s’achève sur une bibliographie raisonnée et assez fournie des ouvrages parus ces derniers temps sur DADA et, comme il se doit, sur la liste des contributeurs, une dizaine d’auteurs britanniques ou américains. Un avant-propos remercie et une introduction précise le plan de l’ouvrage et ce, qu’en somme, les lecteurs auront à moudre : cinq parties comprenant chacune deux articles. L’ensemble se veut donc résolument très équilibré.

Le premier article s’inquiète des Manifestes et des Soirées-événements qui se tinrent à Zurich au Cabaret Voltaire. D’emblée le ton en quelque sorte métatextuel est donné : le choix du manifeste comme type de texte ou le fait d’organiser une soirée équivaut à une prise de parole, une volonté de s’affranchir, une révolte, un passage conscient à l’acte. Cela oriente DADA du côté d’une excentricité (si le centre se définit par la somme des préjugés et des habitudes qui façonnent une société) plutôt que du côté de la table rase ou d’une révolution à la russe. Dès lors, très nécessairement, la suite doit s’occuper de la langue ou de langage. Quoi de plus convenu en effet dans une société donnée que la langue ? Quoi de plus imposé à l’individu ? La langue est donc le lieu privilégié de la subversion.

L’attitude de DADA à cet égard aura été de privilégier dans la langue et les représentations qu’on s’en fait ceux des usages sur lesquels on insistait auparavant peu ou prou. D’oublier le sens (si l’on veut aller vite) au profit de divers tropismes sémiotiques : les inflexions de la voix et du corps, le rythme et la cadence et sonore et visuelle ; bref, DADA de s’attarder et sur le visuel et sur le sonore qui en-deçà déjà font sens. La subversion s’exercerait en faisant ainsi ressortir des aspects plus ou moins négligés ou rarement mis en avant lors des apprentissages de cette activité sociale qu’est le corps de la langue. En explorant et en forçant sur certains aspects sémiotiques (que signalent des théoriciens tels que Peirce et Saussure à peu près à la même époque), DADA crée. DADA ajoute à l’univers social auquel on s’en tenait généralement, l’univers supplémentaire d’une p’oasis multiforme.

Cet en deçà emprunte aux découvertes révélées par la technique. Ne donne-t-on pas volontiers à voir et à entendre dans les images du mouvement empruntées à la chronophotographie et à la phonétique naissantes ? Les connaissances techniques nouvelles nourrissent de loin en loin DADA. Ce qu’on ne voyait auparavant pas (ou ce qu’on négligeait) doit désormais être regardé, découvert, par un détour, une extériorisation, un « bovarysme ». Qui d’autre mieux que Duchamp peut ici servir la cause ? Mais ce n’est pas tout. Le machinisme et le Taylorisme ne sont pas sans incidence non plus et, dans la représentation qu’ils s’autorisent des corps, Otto Dix, Grosz ou encore Heartfield entraînent l’art non plus dans une veine réaliste ou naturaliste mais ils engagent l’art vers une réflexion critique. Comme la langue, le corps n’est plus consigné dans un usage convenu. Ça déborde. DADA surajoute. Dans une tradition finalement marquée par le déni, DADA se veut plus clairvoyant. On aura beau jeu ici de faire remarquer que l’invention de la psychanalyse coïncide avec l’émergence DADA et, du reste, le traverse.

Les conditions d’apparition d’un Schwitters, d’un Baader et d’un Cravan (tour à tour étudiés) sont ainsi à situer dans la pratique de cette société occidentale d’avant la première guerre mondiale et à interpréter comme l’expression d’un désir. Il y a une volonté farouche de « désobéissance civile », qui, oserais-je ajouter, vient de loin. Création d’idiolectes (Schwitters), bravades diverses en constituent le témoignage, le moment certes acméique. Mais on doit se rendre à l’évidence : DADA fait bien partie du système. Il faut alors penser ce système en quête d’expansion, et DADA comme le moment « m » d’une spirale déroulée vers l’infini. Si l’on veut s’appliquer à décrire d’un mot ce que furent les Avant-gardes, DADA est cette poussée.

Voilà ce que tendrait à définir à peu près le n°18 de la revue DADA Culture. Toutefois (mais c’est pour être sans doute conforme à la valeur d’annonce du titre « Critical Texts on the Avant-Garde »), on aimerait reprocher quand même à la plupart des textes de ce n°, de n’envisager dans sa diversité le phénomène DADA qu’à partir d’une rétro-lecture menée du point de vue contemporain d’auteurs consacrés (pour les seuls théoriciens français viennent et reviennent Deleuze, Derrida, Kristeva, Baudrillard, Foucault, Lacan, Althusser, Blanchot…), à coups de concepts peut-être plus ou moins passe-partout… L’approche plus nettement historique — et l’étude des sources — a du bon.