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NOUVELLE SÉRIE

LITTÉRATURE

« car nous connaissons le règne des choses disproportionnées »

René CREVEL.

DANS CHAQUE NUMÉRO

IL SE PASSE QUELQUE CHOSE

ET PICABIA, DUCHAMP, ARAGON, PICASSO, TZARA, BARON, MAN RAY, DRIEU LA ROCHELLE, ERNST, MORISE, ELUARD (entre autres) ?

La seule revue qui ne vulgarise pas

"SUIVREZ-VOUS RROSE SÉLAVY AU PAYS DES NOMBRES DÉCIMAUX OU IL N'Y A DÉCOMBRES NI MAUX ?"

Robert DESNOS.

Le numéro : 2 fr.

Abonnement : France 20 fr.

Etranger 25 fr.

DIRECTEUR :

ANDRÉ BRETON

42, rue Fontaine

PARIS-IXe

Administration : Librairie GALLIMARD, 15, boulevard Raspail - Tél. : Fleurus 24-84

LIBRAIRIE GALLIMARD

15, BOUL. RASPAIL, PARIS 7e Téléph. : FLEU. 24-84 - Nord-Sud : BAC

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Le Gérant : ANDRÉ BRETON

PARIS. Imprimerie de la Revue LITTÉRATURE

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NOUVELLE SÉRIE : N° 7

1er Décembre 1922

DIRECTEUR :

ANDRÉ BRETON

= Rédaction : 42, rue Fontaine, PARIS (IXe) =

Administration : LIBRAIRIE GALLIMARD, 15, boulevard Raspail, PARIS

LITTÉRATURE paraît le 1er de chaque mois

SOMMAIRE

Benjamin PÉRET :   LA MARE AUX MITRAILLEUSES

Louis ARAGON :   LE GRAND TORE

Paul ELUARD et Max ERNST :   ET SUIVANT VOTRE CAS

   (Dessins de MAX ERNST)

Francis PICABIA :   DACTYLOCOQUE

André BRETON :   LES MOTS SANS RIDES

Robert DESNOS   RROSE SÉLAVY

André BRETON   REVE

DESSIN DE ROBERT DESNOS

PRIX DU NUMÉRO

France : 2 francs. - Etranger : 2 fr. 50

ABONNEMENTS

Les 12 numéros : 20 francs pour la France et 25 francs pour l'Étranger

La Collection de la première série de LITTÉRATURE comprend 20 numéros dont plusieurs sont épuisés et se vend 40 francs

P.1 LA MARE AUX MITRAILLEUSES

LES ENFANTS DU QUADRILATERE

Quand le soleil

descendra sur la terre avec sa moustache

nous ouvrirons les valises

et les fils des derniers rats

oublieront leur langage

Dans la chambre

Les oranges rouleront jusqu'au soleil

Si quelqu'un demande l'heure

la dernière venue lui donnera sa bouche

comme un gant

et sans souvenir de son père

lui dira qu'il n'y a pas de fleurs sans fumée

ni de pleurs sans colère

Ventre de ventre

mon ventre

ni pleurs sans colère

DEUX PETITES MAINS

Sur le coeur de la rue en gouttes d'eau

les bananes brodent des épingles

cuvent des orties

La robe de sang de la danseuse

tombe sur les pieds

du monsieur son amant

qui rit et qui s'efforce

qui s'efforce de couper un arbre

avec des dents de poissons

une échelle sur la jambe

C'est le pape

P.2 LA GRANDE MISERE DES DERNIERS CAILLOUX

C'est qu'il découvrit l'Amérique et les jupons

les pancartes et les bonnes soeurs

C'est que toutes les misères se soutiennent

autour de sa grandeur ensoleillée

Le president des achats vend le 13 pour le 15.

use ses moustaches comme du verre

mange comme un chat

pisse comme un hôtel

A l'heure où le plus jeune carburateur

emploie ses derniers joncs

pour le dernier garçon

La femelle se cache dans un drapeau

autour d'un ventre

sous des lunettes

LE LANGAGE DES SAINTS

Il est venu

il a prié

Comme il était seul

il est parti

mais il reviendra

l'oeil dans la main

l'oeil dans le ventre

et sentira

l'ail les aulx

Toujours seul

il mangera les asperges bleues des cérémonies officielles

LE DERNIER DON JUAN DE LA NUIT

Le quarante-deuxième pose son urine sur le canapé

Dansez voltigez les biroutes

Dépêche-toi j'ai envie de dormir

Edmond ROSTAND.

P.3 SIMPLEMENT

Son cul sur son épaule

La tête basse les yeux en l'air

Il parcourt le monde

Et fume sa pipe à l'envers

O jours sans demi lune

Cirages fromages cartonnages

Que faites-vous des animaux inferieurs

Les oeufs aux aigrettes de soie

Sèment des lacs d'encre bleue

Guident sa mémoire

L'âme faible la chair forte le cul léger

Il vole parmi les papillons

La queue en l'air

Benjamin PÉRET.

Je félicite vivement la nouvelle direction de Comoedia ! Quel beau journal, plein de belles conneries ! Il est vrai que M. Léon Bérard a écrit une belle lettre et que nous avons pu admirer sa belle figure, mais on cherche vainement dans les six belles pages un petit coin de lumière : rien, c'est le noir le plus absolu, mon pauvre Casella Comoedia porte ton deuil.

S'ils ont copié l'en-tête et les caractères du Figaro, ils ont moins de pudeur que dans ce journal ! Ils n'ont même pas songé à y laisser ton nom, au moins pendant quelque temps. Il est vrai que c'est une consolation de ne pas te voir figurer là...

Francis PICABIA.

Qui est-ce, Benjamin Péret ? Un homme ressemblant.

Paul ELUARD.

... Car je suis un arriviste d'un certain genre.

Jacques BARON.

P.4 LE GRAND TORE

Une idée fait son chemin à travers la montagne. Celle-ci, noire et brillante, a des initiales nickelées et le capot rouge. L'homme est un peu secoué. Nous sommes au soir de ses fiançailles.

Comme la balançoire retombe à terre, il en sort des voeux de félicité. Je n'ai pas de filet à papillons. Les yeux coupés en morceaux, je regarde l'avenir du jeune homme : une étoile qui joue à saute-moutons. Concepcion assez contente remet du fard sur ses lèvres. Bonjour Madame.

Mes mains.

Le père de Sullivan avait gagné dans le suif une fortune considérable. On comprend que la maman fût flattée. Il y eut des visites avec des mitaines, des conversations, des pastèques fraîches aux doigts racornis des ménagères. C'est ainsi qu'on toucha le jour des Rameaux. Un vrai velours.

Dans les nuits du Caire les changeurs portaient aux jeux clandestins le produit de leur science des cours et des langues. Nulle part plus qu'auprès des antiques races moisies le phonographe n'a de puissance. La présence de Boris le pâle s'explique par les guerres et les révolutions.

Sullivan tout à fait ivre revient plus tard dans la ville. Quartiers jamais traversés où des femmes bâillent au milieu des oranges. Le paysan songe aux caresses rudes des chiens d'Australie. La bouche de Concepcion. Ça va mal quand on commence à sentir ses bras et ses jambes tout à coup lâches.

Quelque part dans le nord un ministère vient de tomber avec un grand fracas. Maquarel.

Boris gagne. Quel jeu d'enfer. De petits yeux se ferment et des braguettes se déboutonnent à cause de la chaleur. « Je serai là, Nina cruelle », dit le phonographe. A Singapour une ancienne histoire judiciaire se dénoue : une vieille femme meurt les mains croisées sur le secret de Chicago, lourde de n'avoir jamais pu raconter cette ivresse autrement forte que celle de la Grande Guerre des gens d'Europe. Plus personne ne pensera à cette minute extraordinaire où Harry... ça y est, plus personne.

Concepcion au milieu de ses compagnes. D'où vient le vent ? L'une soutient d'ouest, les autres mouillent leur doigt. Il plierait les arbres en deux, en tous cas. La fiancée s'étonne d'elle-même, comme l'antre de sa bouche est bleu. Elle caresse P.5 un peu son jeune frère. Un enfant. Que fait Sullivan, Sullivan, Sullivan, un nom à coucher dehors, un nom à coucher... ha.

Les bordels laissent couler vers le port une chevelure d'hommes apaisés, des gens sans nom et sans désir. Un géant blond les yeux toujours pleins de genièvre s'accroche encore aux robes ouvertes des ruelles. L'année dernière quand j'étais la proie de l'Afrique. Ma chère Concepcion tu ne sais pas ce qui t'attend tontaine. Mon père était scieur de long. Tu mens. Mon père a fait dans le suif une fortune considérable.

Oh mais les événements internationaux se gâtent.

Prière aux faibles de se cacher. Un autre soir, voilà que les rues du Caire roulent de singulières pensées. Boris dans l'éclat d'une rixe regarde s'endormir un marchand de tapis. Je vous dis que la situation mondiale est précaire. Le Bosphore maintenant qui ressemble à une allumette. Là où les montagnes se sentent les coudes, entre l'l et le C de la carte, cataractes de banqueroutes : les cervelles sautent que c'est un vrai plaisir. Je vois un fleuve de suicides, j'entends des fanfares laïques, et dans tous les puits de la terre le niveau du pétrole baisse, baisse à vue d'oeil.

A Paris dans un atelier de la rive gauche, des gens s'ennuient à cent sous l'heure. Joseph se lève et sort. Les pissotières le reçoivent comme des soeurs. A travers leur tôle étoilée il surveille les ombres glissantes. Quel langage mystérieux parlent-elles ? se demandent Boris qui s'est pris dans les tapis du petit marchand et Sullivan tout seul dans la campagne.

Les ombres n'ont cure des desseins des hommes. Les voilà qui s'échappent et s'infiltrent entre les maisons. D'où viennent-elles ? Ombres ombres prenez garde : vous êtes le désordre et la perdition. Au fond croyez-vous vraiment que le père de Sullivan Barney, Josuah Harry Barney, ait gagné sa fortune dans le suif ? La panique s'en mêle dans les grands magasins. Dans un petit hôtel de la cité à Londres on demande leurs papiers à quelques êtres absurdes, bien fatigués, échoués à tous les étages avec leur amour. Il y avait un malais sur le nombre. Au Caire ou ailleurs la révolte s'étire entre les terrains vagues.

Ce n'est pas tout ça : Concepcion parle pour s'étourdir. Pas de peine. Sullivan assis à côté d'elle a un petit regard sournois. Elle touche ses genoux. Il écarte doucement les bras. Cette fois, nous n'y coupons pas : c'est la guerre. L'inouï : l'Espagne elle-même va se battre. Les ministères s'arrêtent de tomber. Boris chasse à grands coups de pieds une sorte de moineau courbé sous des tapis. Quelle colère. Joseph écrit quelque chose sur un mur. Tous ces gens sont faits pour s'entendre. Dans la grande lumière qui se lève sur le monde, la maman de Concepcion ne peut pas dormir à cause du suif. Après tout, le suif encore une façon de parler. Josuah Harry a oublié.

Le jour des noces se lève ébouriffé. Je renonce à décrire cette cérémonie pittoresque. Adressez-vous à l'Olympia. Au moment où les sonnettes et les bannières entrent en branle se produit l'éclipse. Sans être superstitieux on peut frissonner quand une éclipse coïncide avec l'élévation de votre propre messe de mariage. Petite P.6 confusion d'hostie. Joseph frissonne aussi mais c'est la fièvre. Il prend trop de goût à certaines pratiques, ce garçon. Toute cette journée est consacrée à des préparatifs sanglants : la mobilisation générale, et de l'église au repas sous le platane ces images défendues dans la tête de Sullivan. Le soir habillé en boxeur apparaît debout sur l'horizon. On joue partout de la musique. Boris lit le faire-part de son ancien camarade australien. Il est pris d'une hilarité sans mesure. Ne ris pas si fort, jeune homme pâle, des dents luisent au coin des rues. Les ombres sortent de la mer. Elles passent sur le père Barney, ivre-mort. Tu ne te souviens de rien, vieux responsable ? Tu es comme Dieu, un peu oublieux, un peu gâteux. Mais ton fils fait un petit tour en ville pendant que sa femme se déshabille. Une idée comme ça.

Pure coïncidence, il pense à Boris. Ça ne le fait pas rire, lui. Il s'enivre comme tout le monde, et il tourne dans sa cage, la ville. Des régiments passent l'oeil extatique. Les pigeons voyageurs frappés au coeur de la nuit par les ondes hertziennes entrecroisées choient verticalement. A minuit les cuirassiers sortent de la Pépinière. En attendant le jeune marié m'a l'air de ne plus savoir ce qu'il fait. Joseph le déserteur vient de débarquer en Espagne, car il ne sait pas que l'Espagne cette fois va promener des drapeaux et des uniformes dans les cafés, les égoûts et les champs labourés.

Conception ne se doute de rien. Elle est bien un peu triste, mais elle caresse n'importe quoi pour passer le temps. Qu'il tarde Sullivan. Ce n'est pas tant qu'il tarde, mais il est en tête à tête avec son passé, le passé de son père et leurs instincts communs. Le vieil homme ronfle. Le jeune revient en griffant les murs.. Une ombre encore une ombre. Mon cher Joseph vous ici. Curieuse rencontre. Ils seront deux au retour, sous l'abri rouge des rideaux. Concepcion se tord à terre. Elle ne veut pas du tout, voyons. Ma bonne, un soir de mobilisation. Mais Sullivan. Sullivan pourquoi m'avoir épousée ? Il la force, il tire les cheveux noirs, il crie à travers la chambre. Joseph regarde. Il faut faire ce que j'aime. Il n'y a pas deux moyens de m'aimer. Tous les rois du monde apparaissent à la lueur des torches au bord du balcon des palais : « Nous sommes quelques-uns, dit Boris à ce compagnon taciturne, qui ne pouvons plus nous passer de cela. Le besoin frénétique des trottoirs et des surprises. Nous n'aimons que les ombres sans visage, les ombres douces du hasard. - Mais, dit le quidam, n'avez-vous jamais songé à prendre femme ? » Cette nuit toutes les ombres sont là, appuyées au chambranle des ténèbres. Le fantôme des révolutions se dirige à petits pas vers l'extrême occident.

Vous ma fille à cette heure ? Mère, il n'y a pas de bonheur possible avec cet homme. Folle voulez-vous bien retourner chez notre cher Sullivan ou vous serez brûlée vive après votre mort. Les Espagnols ne se laissent pas faire : aux cris incompréhensibles des matelots se mêlent les clameurs du peuple armé. Les régiments se jettent sur les maisons, les fenêtres crachent de la poix et il y a des coups de poing entre le ciel et nous. Concepcion à l'aventure. La voyez-vous. Un homme noir la prend dans ses bras. Trois, quatre étages. On croise des fusils et des piques. L'univers craque sur un lit. Pompons des draperies, pompons mélancoliques. Le P.7 sang coule dans la ville insurgée. L'homme regarde maintenant un carré d'étoiles et les bas blancs de l'épousée se relèvent jusqu'aux cuisses. Les ombres dansent dans le vent.

Il n'y aura pas la guerre, ont décidé les financiers, nous jouons encore à la hausse. Les deux continents sont bien sages. Ils font dodo entre nos mains. Des mois et des mois se succèdent comme une chute d'épingles à cheveux. Dans la ville du Caire Boris entre au café chantant. Il lie conversation avec une Espagnole. Concepcion est tombée là à force d'inconscience. Elle fait tout ce qu'on veut. Homme blond, tu me plais, tu ressembles à Sullivan. Il a les mêmes passions que lui. Elle les satisfait sans mot dire, elle chante mieux que le phonographe le dernier succès de la saison. Homme blond, homme blond parle-moi des ombres. « Elles sont douces, elles vont à pas feutrés dans notre vie, et quand nous les avons aimées, elles nous possèdent. Leurs faces s'éteignent sous les baisers. Corps crucifiés aux murs des impasses, corps accroupis aux berges des canaux, que savons-nous du bonheur. J'aime cette fatalité charmante : rien ne peut plus me retenir. J'ai un peu trop bu, pas vrai ? » Il la quitta chancelant, et les verres tombèrent de la table. Le danseur de l'établissement venait d'entrer.

Louis ARAGON.

Ce sont les aveugles qui ont trouvé que la fortune est aveugle.

Monsieur Philippe Soupault est un aristocrate qui n'aime pas les odeurs d'une cuisine qu'il ne craint pas de manger.

On vient de créer un ordre pour les morts. Tous les dix ans une commission ouvrira les cercueils, et les cadavres qui se seront le mieux comportés contre les asticots seront décorés de la croix blanche. On la leur épinglera à la place du nez.

Francis PICABIA.

Le petit employé du Temps (Monsieur Souday) découvre la littérature moderne après plusieurs années de silence. Sait-on qu'avant les vacances nous lui avons fait connaître par les journaux le dégoût que nous éprouvions de ses mesquineries ? Toute bonne volonté s'explique, Paul, tu auras encore des verges.

Louis ARAGON.

P.8 ET SUIVANT VOTRE CAS

LA SÉRIE DES JEUNES FEMMES

I

Placer la femme à une dizaine de mètres d'un siège sur lequel on vient s'asseoir.

Appeler la femme et lui recommander de venir en courant. Elle place, sans s'arrêter, les mains suffisamment en avant sur vos cuisses et saute à califourchon aussi loin que possible. Elle descend tantôt à droite, tantôt à gauche, rejoint son point de départ en courant et revient ainsi de deux à cinq fois.

***

Au dernier saut retenir la femme à cheval, lui prendre les mains et les placer sur votre propre poitrine, extérieurement et assez bas sur les côtés. Il n'est pas défendu de s'extasier sur la vaste poitrine de la petite qui en sera infiniment chatouillée.

<Fig>

***

Elle est à califourchon sur vos genoux. Au risque de paraître illuminé, appelez-la et agitez l'objet sonore pour obtenir des mouvements très complets du torse et du bas sin. Il n'est pas besoin d'insister à ce sujet.

P.9 II

La femme couchée sur une surface plane, une table par exemple, recouverte d'une couverture pliée en deux.

Lui présenter l'objet en le plaçant au-dessus de la tête et dans son rayon visuel. Abaisser l'objet progressivement pour que la femme le suive du regard, soulève la tête d'abord puis la fléchisse, le menton venant en contact avec la poitrine.

Rester ainsi un petit instant et revenir tout doucement à la position de départ. Il est préférable que l'objet soit brillant ou de couleur vive.

***

<Fig>

Asseoir la femme sur la table, la laisser disposer les bras et les jambes à son gré.

Attirer son attention avec l'objet placé au-dessus de sa tête, le déplacer, l'abaisser vers la droite, continuer le mouvement vers le bas puis remonter vers la gauche. Reprendre ce même exercice vers la gauche.

Toujours tenir l'objet assez éloigné pour que la femme ne puisse le saisir. Ne le lui abandonner que pour la récompenser de ses efforts.

Paul ELUARD et Max ERNST.

P.10 DACTYLOCOQUE

Une idée m'est venue, comme ça, la bouche en coeur, le chloroforme sur table :

Le petit Jésus, sur une vache, est descendu un soir de réveillon dans ma cheminée afin de me prendre ce que j'avais dans mes bottines ! Il fut très déçu de n'y trouver que son portrait. Il ne pouvait décemment le rapporter, à cause de la Sainte Vierge.

J'habite à côté du Casino ; pour ne pas s'embêter dans « ce bas monde », il faut une mise en scène appétissante, je ne suis pas comme les autres, le Tango ne me plaît pas ; les croupes nerveuses sont pourtant autant de caresses mais mon cerveau se crispe sur mon sexe ; l'idée de jouissance fait briller le cuivre du talent minuscule que j'accorde à mes amis.

Je n'aime pas les faux passagers de la vie, les femmes qui croisent leurs jambes comme les hommes croisent leurs bras, je n'aime pas le renversement du programme, les mois pénibles, une étoffe de soie que l'ongle écorche, le maquillage, prendre un taxi, une porte d'entrée ; mais les fous, l'avenue Henri Martin, minuit, l'eau froide, sont mes amis.

La femme qui se trouve en ce moment près de moi, caresse ses seins, les pointes sont rouges ; sur chaque sein il y a un portrait, à gauche Foch, à droite le Soldat inconnu. Son ventre est peint en blanc, ses jambes en jaune, hélas, elle danse le Tango ! Ses fesses sont prises dans une boîte à bougies, le dessus de la boîte est fendu ainsi qu'une tirelire, de cette fente s'échappent des perles bleues, je les enfile. Les bras de cette femme sont en plâtre, sans articulations, elle les tient écartés, en croix. Tout à coup elle s'arrête de danser et je me sens pris de vertige dans le silence impressionnant.

Les lumières s'éteignent, le gramophone joue « Rose », je me mets P.11 à genoux, soudain voici la fraîcheur du matin... Il n'y a pas de risques à jouir, l'infériorité vient de la résignation ; il faut aimer les assassins et mépriser les victimes ; le ridicule n'existe pas.

J'aime la franchise, les hypocrites me dégoûtent, il faut préférer la jouissance physique à tout et ne s'abandonner qu'avec soi-même ; l'effusion partagée ressemble à deux autos face à face, qui cherchent mutuellement à se faire reculer.

Je viens d'éternuer, petites vacances dans l'infini, maintenant j'écoute une chanson lointaine, la chanson des spermatozoaires que l'appât de mon âme attire.

La fille du ventre blanc frôle ma jambe et me donne une émotion sincère, écoutez-moi :

Broyer du noir ou du blanc c'est pareil ; n'avez-vous pas l'obscur sentiment de la lumière ? personne ne vous trompe, vous n'êtes plus jaloux ; ne pensez pas aux cimetières, à la misère, vivez comme le petit Jésus, tout nus mais ayez un parasol pour mettre votre sexe à l'ombre.

Le spiritisme et la Théosophie font voir les êtres un peu comme dans une fumerie d'opium, mais le temps passe plus vite.

Maintenant, belle danseuse de Tango, mettez-moi du rouge sur les lèvres ; comme vous êtes belle ! Elle rougit sur le rouge de son maquillage et me dit : « vous n'avez pas honte ? »

Francis PICABIA.

12 octobre 1922.

P. S. Par discrétion, enterrez votre famille et vos amis autour des cimetières.

Nietzsche vivait sur le pont du surhumain ; Jean Cocteau vit sur le pont de la concorde.

Il n'y a d'indispensable que les choses inutiles.

F. P.

P.12 LES MOTS SANS RIDES

On commençait à se défier des mots, on venait tout à coup de s'apercevoir qu'ils demandaient à être traités autrement que ces petits auxiliaires pour lesquels on les avait toujours pris, certains pensaient qu'à force de servir ils s'étaient beaucoup affinés ; d'autres que, par essence, ils pouvaient légitimement aspirer à une condition autre que la leur ; bref il était question de les affranchir. A l'« alchimie du verbe » avait succédé une véritable chimie qui tout d'abord s'était employée à dégager les propriétés de ces mots dont une seule, le sens, spécifiée par le dictionnaire. Il s'agissait : 1° de considérer le mot en soi, 2° d'étudier d'aussi près que possible les réactions des mots les uns sur les autres. Ce n'est qu'à ce prix qu'on pouvait esperer rendre au langage sa destination pleine, ce qui, pour quelques-uns dont j'étais, devait faire faire un grand pas à la connaissance, exalter d'autant la vie. Nous nous exposions par là aux persécutions d'usage, dans un domaine où le bien (bien parler) consiste à tenir compte avant tout de l'étymologie du mot, c'est-à-dire de son poids le plus mort, à conformer la phrase à une syntaxe médiocrement utilitaire, toutes choses en accord avec le piètre conservatisme humain et avec cette horreur de l'infini qui ne manque pas chez mes semblables une occasion de se manifester. Naturellement une telle entreprise, qui est du ressort poétique, n'exige pas de chacun de ceux qui y prennent part tant de claire volonté ; il n'y a pas toujours lieu de se formuler un besoin pour le satisfaire. Et je n'entends développer ici qu'une image.

C'est en assignant une couleur aux voyelles que pour la première fois, de façon consciente et en acceptant d'en supporter les conséquences, on détourna le mot de son devoir de signifier. Il naquit ce jour-là à une existence concrète, comme on ne lui en avait pas encore supposée. Rien ne sert de discuter l'exactitude du phénomène de l'audition colorée, sur lequel je n'ai garde de m'appuyer. Ce qui importe, c'est que l'alarme est donnée et que désormais il semble imprudent de spéculer sur l'innocence des mots. On leur connaît maintenant une

<Fig>

P.13 sonorité à tout prendre parfois fort complexe ; de plus ils tentent le pinceau et on ne va pas tarder à se préoccuper de leur côté architectural. C'est un petit monde intraitable sur lequel nous ne pouvons faire planer qu'une surveillance très insuffisante et où, de-ci de-là, nous relevons pourtant quelques flagrants délits. En effet l'expression d'une idée dépend autant de l'allure des mots que de leur sens. Il est des mots qui travaillent contre l'idée qu'ils prétendent exprimer. Enfin même le sens des mots ne va pas sans mélange et l'on n'est pas près de déterminer dans quelle mesure le sens figuré agit progressivement sur le sens propre, à chaque variation de celui-ci devant correspondre une variation de celui-là.

La poésie d'aujourd'hui offre à cet égard un champ d'observations unique. Les noms de Paulhan, d'Eluard, de Picabia restent attachés à des recherches dont participèrent aussi l'oeuvre de Ducasse, Un coup de Dés de Mallarmé, La Victoire et certains calligrammes d'Apollinaire. Toutefois on n'était pas certain que les mots vécûssent déjà de leur vie propre, on n'osait trop voir en eux des créateurs d'énergie. On les avait vidés de leur pensée et l'on attendait sans trop y croire qu'ils commandassent à la pensée. Aujourd'hui c'est chose faite : voici qu'ils tiennent ce qu'on attendait d'eux. Le document qui en fait foi est, sous bien des rapports, d'un prix inestimable.

Certes les six « jeux de mots » publiés dans l'avant-dernier numéro de LITTÉRATURE sous la signature de Rrose Sélavy m'avaient paru mériter la plus grande attention et cela, en dehors de la personnalité de leur auteur : Marcel Duchamp, du fait de ces deux caractères bien distincts : d'une part leur rigueur mathématique (déplacement de lettre à l'intérieur d'un mot, échange de syllabe entre deux mots, etc.), d'autre part l'absence de l'élément comique qui passait pour inhérent au genre et suffisait à sa dépréciation. C'était à mon sens, ce qui depuis longtemps s'était produit de plus remarquable en poésie. Robert Desnos et moi nous ne prévoyions pourtant pas alors qu'un nouveau problème allait venir se greffer sur celui-ci, le portant du coup au premier plan de l'actualité. Qui dicte à Desnos endormi les phrases qu'on va lire et dont Rrose Sélavy est aussi l'héroïne, le cerveau de Desnos est-il uni comme il le prétend à celui de Duchamp, au point que Rrose Selavy ne lui parle que si Duchamp a les yeux P.14 ouverts ? C'est ce que, dans l'état actuel de la question, il ne m'appartient pas d'élucider. Il est à signaler qu'éveillé, Desnos se montre incapable, au même titre que nous tous, de poursuivre la série de ses « jeux de mots » même au prix de longs efforts. Depuis près d'un mois notre ami nous a, d'ailleurs, habitués à toutes les surprises et je connais de lui (de lui qui à l'état normal ne sait pas dessiner) une suite de dessins parmi lesquels : La Ville aux Rues sans nom du Cirque cérébral dont, aujourd'hui, je me contenterai de dire qu'ils m'émeuvent pardessus tout.

Je prie le lecteur de s'en tenir provisoirement à ces premiers témoignages d'une activité qu'on ne soupçonnait pas encore. Nous sommes plusieurs à y attacher une importance extrême. Et qu'on comprenne bien que nous disons : Jeux de mots quand ce sont nos plus sûres raisons d'être qui sont en jeu. Les mots, du reste, ont fini de jouer.

Les mots font l'amour.

André BRETON.

Rrose Sélavy

Dans un temple en stuc de pomme le pasteur distillait le suc des psaumes.

Rrose Sélavy demande si les Fleurs du Mal ont modifié les moeurs du phalle : qu'en pense Omphale ?

Voyageur, portez des plumes de paon aux filles de Pampelune.

La solution d'un sage est-elle la pollution d'un page ?

Je vous aime, ô beaux hommes vêtus d'opossum.

QUESTION AUX ASTRONOMES :

Rrose Sélavy inscrira-t-elle longtemps au cadran des astres le cadastre des ans ?

P.15 O mon crâne étoile de nacre qui s'étiole.

Au pays de Rrose Sélavy on aime les fous et les loups sans foi ni loi.

Suivrez-vous Rrose Sélavy au pays des nombres décimaux où il n'y a décombres ni maux ?

Rrose Sélavy se demande si la mort des saisons fait tomber un sort sur les maisons.

Passez-moi mon arc berbère, dit le monarque barbare.

Les planètes tonnantes dans le ciel effrayent les cailles amoureuses des plantes étonnantes aux feuilles d'écaille cultivées par Rrose Sélavy.

Rrose Sélavy connaît bien le marchand du sel.

EPITAPHE :

Ne tourmentez plus Rrose Sélavy car mon génie est énigme. Caron ne le déchiffre pas.

Perdue sur la mer sans fin Rrose Sélavy mangera-t-elle du fer après avoir mangé ses mains ?

Aragon recueille in-extremis l'âme d'Aramis sur un lit d'estragon.

André Breton ne s'habille pas en mage pour combattre l'image de l'hydre du tonnerre qui brame sur un mode amer.

Francis Picabia l'ami des castors

Fut trop franc d'être un jour picador

A Cassis en ses habits d'or.

Robert Delaunay : de l'eau naît, gare à l'hameçon,

Ma peur se reflète sur le verre comme un vapeur sur la mer.

DÉFINITION DE L'ART PAR RROSE SÉLAVY :

La vache tuberculeuse traite sans pitié jusqu'à perdre par mois la moitié d'un pis.

Rrose Sélavy voudrait bien savoir si l'amour, cette colle à mouches, rend plus dures les molles couches.

P.16 Pourquoi votre incarnat est-il devenu si terne, petite fille, dans cet internat où votre oeil se cerna ?

Au virage de la course au rivage, voici le secours de Rrose Sélavy.

Rrose Sélavy peut revêtir la bure du bagne, elle a une monture qui franchit les montagnes.

Rrose Sélavy décerne la palme sans l'éclat du martyre à Lakmé bergère en Beauce figée dans le calme plat du métal appelé beauté.

Croyez-vous que Rrose Sélavy connaisse ces jeux de fous qui mettent le feu aux joues ?

Rrose Sélavy c'est peut-être aussi ce jeune apache qui de la paume de sa main colle un pain à sa môme.

Est-ce que la caresse des putains excuse la paresse des culs teints ?

Le temps est un aigle agile dans un temple.

Qu'arrivera-t-il si Rrose Sélavy, un soir de Noël, s'en va vers le piège de la neige et du pôle ?

Ah ! meurs, amour.

Quel hasard me fera découvrir entre mille l'ami plus fugitif que le lézard ?

Un prêtre de Savoie déclare que le déchet des calices est marqué du cachet des délices ; met-il de la malice dans ce match entre le ciel et lui ?

Voici le cratère où le Missouri prend sa source et la cour de Sara son mystère.

Nomades qui partez vers le nord, ne vous arrêtez pas au port pour vendre vos pommades.

Dans le sommeil de Rrose Sélavy il y a un nain sorti d'un puits qui vient manger son pain la nuit.

Si le silence est d'or, Rrose Sélavy abaisse ses cils et s'endort.

P.17 Debout sur la carène le poète cherche une rime et croyez-vous que Rrose Sélavy soit la reine du crime ?

Au temps où les caravelles accostaient la Havane, les caravanes traversaient-elles Laval ?

QUESTION D'ORIENT :

A Sainte-Sophie sur un siège de liège s'assied la folie.

Rrose Sélavy propose que la pourriture des passions devienne la nourriture des nations.

Quelle est donc cette marée sans cause dont l'onde amère inonde l'âme acérée de Rrose ?

Benjamin Péret ne prend jamais qu'un bain par an.

P. Eluard : le poète élu des draps.

EPITAPHE POUR APOLLINAIRE :

Pleurez de nénies, géants et génies au seuil du néant.

Sans pâlir, Desnos a fait mourir sur son pal bien des désirs.

Monte à l'échelle, Drieu la Rochelle, pour étonner Dieu.

Amoureux voyageur sur la carte du tendre, pourquoi nourrir vos nuits d'une tarte de cendre ?

MARTYRE DE SANT-SÉBASTIEN :

Mieux que ses seins ses bas se tiennent.

Rrose Sélavy a visité l'archipel où la reine Irène-sur-les-flots de sa rame de frêne gouverne ses îlots.

From Everest mountain I am falling down to your feet for ever, Mrs Everling.

André Breton serait-il déjà condamné à la tâche de tondre en enfer des chats d'ambre et de jade ?

Rrose Sélavy vous engage à ne pas prendre les verrues des seins pour les vertus des saintes.

P.18 Rrose Sélavy n'est pas persuadée que la culture du moi puisse amener la moisissure du cul.

Rrose Sélavy s'étonne que de la contagion des reliques soit née la religion catholique.

Possédé d'un amour sans frein le prêtre savoyard jette aux rocs son froc pour soulager ses reins.

DEVISE DE ROSE SÉLAVY :

Plus que poli pour être honnête

Plus que poète pour être honni.

Est-ce que Rrose Sélavy découvrira en Amérique le fleuve d'alcool où boivent les lamas cholériques.

Oubliez les paraboles absurdes pour écouter de Rrose Sélavy les sourdes paroles.

EPIPHANIE :

Dans la nuit fade les rêves accostent à la rade pour décharger des fèves.

Au paradis des diamants les carats sont des amants et la spirale est en cristal.

Les pommes de Rome ont pour les pages la saveur de la rage qu'y imprimèrent les dents des Mores.

Lancez les fusées, les races à faces rusées sont usées.

Rrose Sélavy proclame que le miel de sa cervelle est la merveille qui aigrit le fiel du ciel.

Aux agapes de Rrose Sélavy on mange du pâté de pape dans une sauce couleur d'agate.

Apprenez que la geste célèbre de Rrose Sélavy est inscrite dans l'algèbre céleste.

Aller jeter ses prières à l'église, autant aller jeter ses pierres à l'éclipse.

Habitants de Sodome au feu du ciel préférez le fiel de la queue.

P.19 Dans le crâne de l'abbesse se livre le combat du crabe et de l'ânesse.

Tenez bien la rampe rois et lois qui descendez à la cave sans lampe.

Rrose Sélavy a découvert que la particule des nobles n'est pas la partie noble du cul.

Morts férus de morale votre tribu attend - elle toujours un tribunal ?

Rrose Sélavy affirme que la couleur des nègres est due au topique du cancer.

C'est dans l'art que les pions se taillent leur part du lion.

Beaux corps sur les billards vous serez peaux sur les corbillards !

Du palais des morts les malaises s'en vont par toutes les portes.

Pourquoi le problème de la vie est-il la proie des vis blèmes ?

Rrose Sélavy fonde une banque antarctique sur la banquise antiartistique.

Rocambole de son cor provoque le carnage puis carambole du haut d'un roc et s'échappe à la nage.

Rrose Sélavy met du fard au destin puis de son dard assure ses festins.

De cirrhose du foie meurt la foi du désir de Rrose.

Amants tuberculeux ayez des avantages phtisiques.

L'heure du stupre prévaut sur la stupeur des pauvres hères.

Rrose Sélavy au seuil des cieux porte le deuil des dieux.

Les pensées des hommes aiment les pensums,

Les orages ont pu passer sur Rrose Sélavy, c'est sans rage qu'elle atteint l'âge des oranges.

Ce que Baron aime c'est le bâillon sur l'âme.

P.20 Le dogme fatal du Christ ce n'est après tout que le cristal des fats.

Les idées de Morise s'irisent d'un charme démodé.

Les yeux des folles sont sans fard. Elles naviguent dans des yoles, sur le feu, pendant des yards, pendant des yards.

Le mépris des chansons ouvre la prison des méchants.

Le plaisir des morts c'est de moisir à plat.

Assassin des luths as-tu tué le salut des saints ?

Les yeux caves de Max Ernst estiment les cavernes où s'amusent les statues et où s'inscrivent les maximes de sa muse : Ernestine.

Sur quel pôle la banquise brise-t-elle le bateau des poètes en mille miettes ?

La dilection des femmes est-elle le dilemme de la fiction et des nombres ?

Rrose Sélavy sait bien que le démon du remords ne peut mordre le monde.

Rrose Sélavy nous révèle que le râle du monde est la ruse des rois mâles emportés par la ronde de la muse des mois.

DICTIONNAIRE LA RROSE :

Latinité - Les cinq nations latines.

La Trinité - L'émanation des latrines.

Nul ne connaîtrait la magie des boules sans la bougie des mâles.

Dans un lac d'eau minérale Rrose Sélavy a noyé la caline morale.

Rrose Sélavy glisse le coeur de Jésus dans le jeu des Crésus.

CONSEIL AUX CATHOLIQUES :

Attendez sagement le jour de la foi où la mort vous fera jouir de la faux.

Au fond d'une mine Rrose Sélavy prépare la fin du monde.

La jolie soeur disait : « Mon droit d'aînesse pour ton doigt, Ernest »

Cravan se hâte sur la rive et sa cravate joue dans le vent.

P.21 Dans le ton rogue de Vaché il y avait des paroles qui se brisaient comme les vagues sur les rochers.

QUESTION :

Cancer mystique chanteras-tu longtemps ton cantique au mystère ?

RÉPONSE :

Ignores-tu que ta misère se pare comme une reine de la traine de ce mystère ?

La mort dans les flots est elle le dernier mot des forts ?

L'acte des sexes est l'axe des sectes.

Le suaire et les ténèbres du globe sont plus suaves que la gloire.

Frontières qui serpentez sur les cîmes vous n'entourez pas les cimetières abrités par nos fronts.

Les caresses de demain nous révèleront - elles le carmin des déesses ?

Le parfum des déesses berce la paresse des défunts.

La milice des déesses se préoccupe peu des délices de la messe.

A son trapèze Rrose Sélavy apaise la détresse des déesses.

Les vestales de la Poésie nous prennent-elles pour des vessies ô ! Pétales.

Les enfants des hommes sont une somme de fantômes et de sang un peu.

Juchés sur des éléphants les fantômes femelles inscrivent au ciel l'oméga mystérieux égal des équations planétaires.

Héritiers impatients conduisez vos ascendants à la chambre des tonnerres.

Je vis où tu vis, voyou dont le visage est le charme des voyages.

L'orgueil de Rrose Sélavy sait s'évader du cercle qui peut se clore comme un cercueil.

Phalange des anges, aux angélus préférez les phallus.

P.22 Le gras légat sorti du cloître a vraiment l'éclat d'un goître.

Connaissez-vous la jolie faune de la folie ? - elle est jaune.

Votre sang charrie-t-il des grelots au gré de vos sanglots ?

La piété dans le dogme consiste-t-elle à prendre les dogues en pitié ?

Le char de la chair ira-t-il loin sur ce chemin si long ?

Images de l'amour, poissons, vos baisers sans poison me feront-ils baisser les yeux ?

Dans le pays de Rrose Sélavy les mâles font la guerre sur la mer. Les femelles ont la gale.

Les fats ignorent la vertu des glas quand les glaces refusent de refléter leur face.

A tout miché pesez Ricord.

Môts, êtes-vous des mythes et pareils aux myrtes des morts.

L'argot de Rrose Sélavy, n'est-ce pas l'art de transformer en cigognes les cygnes ?

Les lois de nos désirs sont des dés sans loisir.

Robert DESNOS.

P.23 REVE

Une partie de ma matinée s'était passée à conjuguer un nouveau temps du verbe être - car on venait d'inventer un nouveau temps du verbe être. Au cours de l'après-midi j'avais écrit un article qu'autant que je me rappelle je trouvais peu profond mais assez brillant. Un peu plus tard je m'étais mis à continuer d'écrire un roman. Cette dernière entreprise m'avait conduit à effectuer des recherches dans ma bibliothèque. Elles amenèrent bientôt la découverte d'un ouvrage in-8° que j'ignorais posséder et qui se composait de plusieurs tomes dont j'ouvris l'un au hasard. Le livre se présentait comme un traité de philosophie mais à la place du titre correspondant à une des divisions générales de l'ouvrage, comme j'aurais lu : Logique, ou : Morale, je lus : Enigmatique. Le texte m'échappe entièrement, je n'ai souvenir que des planches figurant invariablement un personnage ecclésiastique ou mythologique au milieu d'une salle cirée immense qui ressemblait à la galerie d'Apollon. Les murs et le parquet réfléchissaient mieux que des glaces puisque chacun de ces personnages se retrouvait plusieurs fois dans la pièce sous diverses attitudes avec la même intensité et le même relief et qu'Adonis, par exemple, était couché à ses propres pieds. Je me sentais en proie à une grande exaltation ; il me semblait qu'un livre d'observations médicales en ma possession m'apporterait sur la question qui me préoccupait une véritable révélation. J'y trouvai en effet ce que je cherchais : une photographie de femme brune un peu forte, ni très belle ni très jeune, que je connaissais vaguement. J'étais assis chez moi, à la table de l'atelier, le dos tourné à la fenêtre. La femme de la photographie vint alors frôler mon épaule droite et, après avoir prononcé sur moi quelques paroles comminatoires, elle alla poser la P.24 main gauche sur la corniche de la petite armoire située près de la porte et je ne la vis plus. Je poursuivis mes investigations : il s'agissait maintenant de chercher dans le dictionnaire un mot qui était probablement le mot : souris. J'ouvris à Rh et mon attention fut aussitôt attirée par la figure qui accompagnait le mot : rhéostat. On y voyait un petit nombre de parachutes ou de nuages suspendus ensemble à la manière des ballons d'enfant : dans chaque parachute ou dans chaque nuage il y avait, accroupi, un chinois. Je crus avoir trouvé ensuite ce qui m'était nécessaire à : rongeur. Mais déjà, je n'avais plus grande attention à donner de ce côté. Devant le piano, en face de moi, se tenait en effet M. Charles Baron, jeune homme que dans la réalité je n'arrive jamais à reconnaître, vêtu de noir et avec une certaine recherche. Avant que j'eusse pu lui demander compte de sa présence, Louis Aragon l'avait déjà remplacé. Il venait me persuader de l'obligation pour nous de sortir ensemble immédiatement : je le suivais. Au bas de l'escalier, nous étions avenue des Champs-Elysées, montant vers l'Etoile où, d'après Aragon, nous devions à tout prix arriver avant huit heures. Nous portions chacun un cadre vide. Sous l'Arc de Triomphe je ne songeais qu'à me débarrasser du mien, la pendule marquait sept heures vingt-neuf. Aragon, lui, objectait le risque de pluie, il voulait absolument que les cadres fussent à l'abri. Nous finîmes par les placer sous la protection des moulures supérieures, contre la pierre, légèrement inclinés, à hauteur de chevalet. Il était question, je crois, de venir les reprendre plus tard. Au moment où nous les déposions j'observai que le cadre d'Aragon était doré, le mien blanc avec de très anciennes traces de dorures, de dimensions sensiblement moins grandes.

André BRETON.

PRIX BALZAC. - « A mon avis les deux écrivains qui ont le plus influencé et qui d'une façon générale influencent encore les poètes et les écrivains de ma génération sont Guillaume Apollinaire et Jean Giraudoux. L'un est mort, l'autre est modeste. »

Philippe SOUPAULT.

Eh bien merde.

Louis ARAGON.

UN DUEL

A la suite d'un écho du Journal de Peuple, dans lequel notre ami Péret rapportait comment Bénévol trompe le public avec l'entremise d'un compère, M. Georges Chevalier dit « Georgette », adressa à ce journal la réponse suivante :

« M. Georges Chevalier connu sous le pseudonyme féminin de « Georgette » vient de rentrer a Paris ces jours derniers venant de province en tournées théâtrale. Ce matin un jeune homme venait a son hotel lui rendre visite en lui annoncent la nouvelle que lon venait de publier le moi dernier a son sujet et aux sujet de Benevol et Donato. M. G. Chevalier lue cette article et ma foit trouvait cela bien rédicule ; il dit tous sinplement : Moi cher Mesieurs je ne connait ni Donato ni Benevol, campt aux petit déjeuné du matin cela est faux et n'exite pas dutoux, sil j'ai monté sur la scène c'etait tous sinplement pour me rendre comte des expériences et non pour servir de charlatanisme au public.

« Comme vous ditte M. Mesieux ce petit jeune homme aux moeurs spécial connue sous le non de « Georgette » encien figurent dans les théâtres, qui maintenent est devenu artiste propriétaire dun cinéma concert en banlieu de Paris remercie beaucoup la personne qui lui a fait cet annonce en croyant peut être lui faire du mal : quelle se trompe. Cela Mesieux lui a fait que du bien.

G. CHEVALIER, di « Georgette ».

D'autre part, M. Bénévol ayant demandé des réparations ou des excuses, Benjamin Péret s'est déclaré prêt à rencontrer M. Bénévol. Aux dernières nouvelles, nous apprenons que Paul Eluard et Louis Aragon ont accepté d'être les témoins de Benjamin Péret. M. Louis de Gonzague Frick a décliné l'honneur de diriger le combat.

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Le Gérant : ANDRÉ BRETON

PARIS. Imprimerie de la Revue LITTÉRATURE

<Fig>

 

NOUVELLE SÉRIE : N° 8, 1er Janvier 1923

DIRECTEUR :

ANDRÉ BRETON

= Rédaction : 42, rue Fontaine, PARIS (IXe) =

Administration : LIBRAIRIE GALLIMARD, 15, boulevard Raspail, PARIS

LITTÉRATURE paraît le 1er de chaque mois

SOMMAIRE

Jacques BARON :   LA BELLE DAME EN SOI

Francis PICABIA :   SOUVENIRS DE VOYAGE

   FRANCIS MERCI

Louis ARAGON :   CORRESPONDANCE PRIVÉE

   JE M'ACHARNE SUR UN MORT

Paul ELUARD :   POEMES

Robert DESNOS :   AMOUR DES HOMONYMES

Roger VITRAC :   POISON

André BRETON :   POEMES

Benjamin PÉRET :   LA FLEUR DE NAPOLÉON

HORS-TEXTE : DEUX DESSINS, par Max ERNST

PRIX DU NUMÉRO

France : 2 francs. - Etranger : 2 fr. 50

ABONNEMENTS

Les 12 numéros : 20 francs pour la France et 25 francs pour l'Étranger

La Collection de la première série de LITTÉRATURE comprend 20 numéros dont plusieurs sont épuisés et se vend 40 francs

P.1 LA BELLE DAME EN SOI

Je me suis trouvé par hasard dans l'auto d'une femme assez belle, ou du moins donnant l'impression d'un charme spécial, harmonisant mon histoire avec la nuit qui nous entourait et je me sentais allé vers un infini trouble comme une rivière sans rivage, non point d'ailleurs que quelque émotion m'étreignît un tant soit peu, mais j'étais content d'être dans une automobile confortable où je pouvais dormir si le besoin m'en sollicitait sans courir le risque des réveils brusques ou sans que je pusse me poser la question de la bien-séance, pensant que mon geste était tout naturel vis-à-vis d'elle, et cependant je ne la connaissais pas.

C'est-à-dire qu'il y avait un troisième personnage dans la voiture qui pendant le temps entreprenait une cour assidue. Il me dit :

« Cher ami, quelle est donc votre adresse ? »

C'était d'une outrecuidance curieuse et je m'efforçai de rire en répondant :

« Hôtel Crillon. Comment, vous ne le saviez pas ?

- Non vraiment. D'ailleurs, il me semble en effet vous l'avoir déjà entendu dire. Voulez-vous une cigarette ? »

J'en pris une par politesse et me replongeai dans mon état de somnolence avec, en plus, le parfum blond du tabac et je regardai le dos du chauffeur pour m'efforcer de prendre part au phénomène de contemplation cher aux amoureux.

Peu de temps après, nous descendîmes tous les trois et montâmes dans l'appartement de la dame. Pour la première fois depuis notre rencontre je la vis en pleine lumière comme elle enlevait son chapeau. Nos regards se croisèrent, échangeant nos sourires, car c'est, n'est-ce pas, ce qui arrive toujours dans ce cas ?

P.2 Au fond elle n'était ni laide ni belle, ni charmante, ni intelligente, ni badine, ni gracieuse, ni sans intérêt ; elle était comme sa robe, une robe rouge, longue et simple ornée d'une ceinture en torsade et d'un pendentif assez original, et puis elle riait comme toutes les femmes avec des nuances ressemblant à ses qualités.

Je lui dis :

« Chère amie, je suis très jeune, et vous savez combien je peux vous désirer quoique n'ayant aucun amour, mais je vous désire parce que vous êtes belle ou charmante ou peut-être tendre ? Qu'en sais-je ? Rien, sinon que je vous aime comme étant une femme curieuse et que je vous désire pour savoir si vous êtes belle ou charmante, ou tendre ou originale ou gracieuse.

- Hélas ! me dit-elle, je ne suis peut-être rien de ce que vous croyez. Jusqu'ici je n'ai aimé personne. Quant à vous, je vous écrirai un jour ou l'autre pour savoir exactement qui vous êtes. Moi je suis une femme dont on sait exactement qui elle est.

***

- Mais, ajouta-t-elle, comme je vous connais maintenant je ne pourrais pas vous renvoyer de sitôt. Venez. »

Je la suivis dans sa chambre où était servi un repas froid qui avait toutes les apparences du soigné. Quelques liqueurs surfines achevèrent de mettre le trouble dans ma pensée qui était ravagée alors par des idées plus ou moins érotiques et merveilleuses. Je voyais de la chair féminine m'étreindre, me pénétrer ; autour de moi, un parfum d'une rare subtilité planait comme un oiseau sympathique et les coussins du divan n'étaient plus qu'un avec le corps de la femme. Rêve splendide de magnificences inattendues ! Viens ! Pâme et pâmoison ! Ohé, mon adoré, mon ange ! Tu es beau. Ah ah ah ah ! beau, belle, belle, belle !

***

Ceci est en somme assez banal. Cette dame ne m'apprit rien de nouveau et je conçois l'amour toujours de cette façon ridicule.

P.3 Le lendemain je me trouvais chez moi, ma pipe, ma robe de chambre et mon cortège de poétiques bêtises.

- Alors me dit Louis Gonara, mon ami de tous les jours, qui venait là suivant son habitude, vous allez quand même partir en Allemagne ?

- Ma foi oui, lui dis-je, l'argent me faisant défaut pour le moment.

La fleur que j'aime est charmante

comme une femme au regard tendre

envolée comme une auréole

Que savez-vous de vos amours

de la semaine et des années

mon amie la fleur délicieuse

Jacques BARON.

SOUVENIRS DE VOYAGES

L'Exposition coloniale de Marseille

« AH ! SI LES NEGRES ÉTAIENT ENCORE LA ! »

Nous avons erré de pays en pays, examinant avec ennui ces cartonnages de bookmakers ; on ne voit pas une seule femme, des hommes vendent au rabais des animaux empaillés : un petit tatou pour vingt francs, des martins-pêcheurs pour quinze francs. André Breton achète un tatou. Comme il ferait d'un chien, il le met sous son bras, le caresse, le réchauffe sous sa somptueuse pelisse ; et voici le seul miracle depuis le commencement du monde : le tatou revient à la vie, saute à terre, va flairer les pieds d'un gardien indigène en grand costume rouge, vert, bleu, jaune, violet et noir. Un Monsieur qui assistait à cette scène, prodigieusement intéressé, offre à Breton de lui acheter son tatou pour 500 francs, celui-ci hésite mais sa femme le presse d'accepter, n'aimant, dit-elle, les animaux que lorsqu'ils sont « naturalisés » ! Le Monsieur s'empare du tatou docile et nous sommes alors consternés de voir que celui-ci est toujours empaillé ! Le Monsieur est furieux, il s'arme d'un couteau et brutalement ouvre le ventre de l'animal, il s'en échappe des centaines de dollars et de petits papillons blancs sur les ailes desquels on peut lire imprimé en guise de réclame : Banque Mills et Cie. Jugez de notre effarement !

P.4 Madame Mills qui nous accompagne nous explique le phénomène par le fait que son mari se nomme Gascon !

Remis assez rapidement de cette première émotion, nous continuons à parcourir ce cimetière écoeurant dont nous sommes les cadavres.

Des lanternes indo-chinoises nous éclairent sous un parapluie. Bientôt, à la suite d'une averse formidable, nous voyons disparaître sous le sable les palais de Conakry et de Ziguinchore, les souks marocains, les boutiques annamites et le marchand de rahat-loucoum, il ne reste plus devant nous qu'un immense vélodrome au centre duquel, un peu à droite, se dresse un petit restaurant d'où s'échappe la musique sonore d'un jazz-band.

Quatre maîtres d'hôtel nous font des offres de service et nous décident à dîner en nous affirmant que là seulement nous pourrons goûter aux spécialités du pays.

Nous sommes intrigués par un va-et-vient de cyclistes en habit noir ; ce sont, paraît-il, les garçons qui font le service à bicyclette en tournant à toute vitesse.

Nous sommes les hôtes de notre ami le banquier américain ; pendant le dîner, il nous raconte sa vie, son oeuvre et son avenir. Il dit aussi à sa voisine : « Comme vous êtes jeune ! » à moi : « Je suis français », à Breton : « Je connais le monde entier ». Et chacun de nous pense à part soi : Le monde est comme l'exposition de Marseille, il n'est beau que vu dans l'Illustration.

***

Un ami m'avait dit : « Puisque tu vas partir pour la Havane, j'aimerais que tu me rapportes un de ces oiseaux qu'on nomme perroquets ; je vis seul, ce serait pour moi une compagnie.

A Cuba j'oubliai l'oiseau et voulus réparer cette étourderie en arrivant à Barcelone, mais je fus stupéfait du prix qu'on demandait des « loritos » et je renonçai à l'acquisition.

Mon ami n'ayant jamais vu de perroquet j'eus alors l'idée d'acheter une chouette pour un prix modique et je lui en fis cadeau. Il fut enchanté et me demanda tout de suite si l'oiseau parlait : « Pas encore, lui dis-je, mais il écoute, il écoute admirablement... »

Francis PICABIA.

Paul Morand écrit le dimanche pour les revues d'avant-garde, cette inspiration hebdomadaire me plaît vraiment ; toute la semaine il fait partie de l'arrière-garde mais le dimanche... Cher Monsieur, vous feriez mieux d'avoir un peu plus d'imagination toute la semaine et le dimanche de prier Dieu en compagnie de Léon Daudet pour que votre gloire dure toujours, ce qui m'étonnerait beaucoup.

F. P.

P.5 Correspondance privée 1

1. Au lendemain d'Antigone.

MON CHER RIVIERE,

Il vaut mieux que vous ne comptiez pas sur moi pour la chronique que je vous avais demandé de tenir. Ni les gens ni vous, n'en valez la peine.

Mais amicalement,

Louis ARAGON.

MA CHERE AMIE,

Ne m'attendez pas dimanche soir. Ni les gens ni vous, n'en valez la peine.

Mais amicalement,

LOUIS.

MON CHER DE BASSAN,

Ne comptez plus sur moi pour le spectacle que vous m'avez demandé d'organiser. Peut-être pourriez-vous vous entendre avec André Breton. De toutes façons il ne s'agit plus de faire représenter ma mauvaise pièce. Ni les gens ni vous, n'en valez la peine.

Mais sans mauvais vouloir,

Louis ARAGON.

MONSIEUR,

Veuillez passer chez moi lundi matin. Je tiens à votre disposition tout un lot d'éditions originales de Paul Valéry, Léon-Paul Fargue, André Gide, Jacques Rivière, Paul Morand, Max Jacob, Blaise Cendrars, Philippe Soupault, Portail, Valery Larbaud, Jean Cocteau, Jean Giraudoux (Amica America), Tristan Tzara, Georges Duhamel, C. F. Ramuz, André Suarès, Maurice Barrès, etc., desquelles quelques-unes avec dédicace.

J'ai l'honneur, Monsieur, d'être votre dévoué,

Louis ARAGON.

12, rue St-Pierre, Neuilly-sur-Seine.

P.6 Poèmes

PERSPECTIVE

Un millier de sauvages

S'apprêtent à combattre.

Ils ont des armes,

Ils ont leur coeur, grand coeur,

Et s'alignent avec lenteur

Devant un millier d'arbres verts

Qui, sans en avoir l'air,

Tiennent encore à leur feuillage.

LE JEU DE CONSTRUCTION

A RAYMOND ROUSSEL

L'homme s'enfuit, le cheval tombe,

La porte ne peut pas s'ouvrir,

L'oiseau se tait, creusez sa tombe,

Le silence le fait mourir.

Un papillon sur une branche

Attend patiemment l'hiver,

Son coeur est lourd, la branche penche,

La branche se plie comme un ver.

Pourquoi pleurer la fleur séchée

Et pourquoi pleurer les lilas ?

Pourquoi pleurer la rose d'ambre ?

P.7 Pourquoi pleurer la pensée tendre ?

Pourquoi chercher la fleur cachée

Si l'on n'a pas de récompense ?

- Mais pour çà, çà et çà.

DANS LA DANSE

A LOUIS ARAGON.

Petite table enfantine,

il y a des femmes dont les yeux sont comme des morceaux de sucre,

il y a des femmes graves comme les mouvements de l'amour qu'on ne surprend pas,

il y a des femmes au visage pâle

d'autres comme le ciel à la veille du vent.

Petite table dorée des jours de fête,

il y a des femmes de bois vert et sombre :

celles qui pleurent,

de bois sombre et vert :

celles qui rient.

Petite table trop basse ou trop haute,

il y a des femmes grasses

avec des ombres légères,

il y a des robes creuses,

des robes sèches,

des robes que l'on porte chez soi et que l'amour ne fait jamais sortir.

Petite table,

je n'aime pas les tables sur lesquelles je danse,

je ne m'en doutais pas.

Paul ELUARD

P.8 AMOUR DES HOMONYMES

A Paul ÉLUARD

« C'est une fâcheuse aventure : créer le mystère autour de nos amours. Pas si fâcheuse que ça.

Je l'aime, elle roule si vite, la grande automobile blanche. De temps à autre, au tournant des rues, le chauffeur blanc et noir, plus majestueusement qu'un capitaine de frégate, abaisse lentement le bras dans l'espace qui roule, roule, roule si vite, en ondes blanches comme les roues de l'automobile que j'aime.

Mais le mystère qui se déroule concentriquement autour de ses seins a capturé dans son labyrinthe de macadam taché de larmes la grande automobile blanche qui vogue plutôt qu'elle ne roule en faisant naître autour d'elle dans l'espace les grandes ondes invisibles et concentriques du mystère. La cible aérienne que les hommes traversent sans s'en douter se disloque lentement au gré des amants et la sphère, cerclée de parallèles comme ses seins, crève ainsi qu'un ballon. Dirigeables et ballons, aéroplanes et vapeurs, locomotives et automobiles, tout est mystère dans mon immobile amour pour ses seins. »

Après avoir parlé, je regardai :

Le désert qui s'étendait autour de moi était peuplé d'échos qui me mirent cruellement en présence de ma propre image reflétée dans le miroir des mirages. Les femmes qui tenaient ces glaces à main étaient nues, hormis leurs mains qui étaient gantées, leur sein gauche gainé de taffetas moiré noir à faire hurler mes gencives de volupté, hormis aussi leurs cheveux dissimulés sous une écharpe de fine laine jaune. Quand ces femmes se retournaient je pouvais tout voir de leur dos merveilleux, tout hormis la nuque, la colonne vertébrale et cette partie de la croupe où la cambrure prend naissance, cachées qu'elles étaient par les pans de l'écharpe. Cette nudité

<Fig>

La Mer, la Côte et le Tremblement de terre.

P.9 partielle et savamment irritante pour moi a-t-elle causé ma folie ? Dites-le moi, vous dont le mystère est la fin, le but.

Ne vous enfuyez plus, passagères de première classe quand l'émigrant clandestin, lié à l'hélice pour faire à peu de frais la traversée, vous appelle le soir, à l'heure où, penchées près de la hampe, vous cherchez à identifier vos cheveux, l'ondoiement de l'étendard et les flots. Vos visages et le reflet de vos visages se présentent tour à tour au-dessus et au-dessous de lui : Comment voulez-vous que son imagination, qui gravite au gré de l'hélice, autour de l'arbre d'acier sans racine, ne confonde pas votre réalité et votre image, fruits de l'arbre à hélice, belles passagères érotiquement vêtues, et pourquoi vous enfuir quand vous l'entendez dire dans la nuit, à l'heure où la croix du sud et l'étoile polaire se heurtent sur le tapis bleu des salles de bridge :

« Elles sont mystère, mystère. Leurs cheveux sont des toiles de mystère... le mystère est leur but, leur fin... leur faim c'est le mystère. Elles ont bu, mais elles ont faim, la fin du mystère est-elle le but de leur faim ? »

Pitié pour l'amant des homonymes.

Robert DESNOS.

Je n'ai pas connu Marcel Proust, j'ai vu seulement de lui quelques reproductions de portraits, parues dans les journaux, mais nous savons maintenant qu'il portait des gants dans son lit et qu'il avait les yeux bistrés ! Il a terminé son oeuvre « jusqu'au point final » ; elle vit, paraît-il, à son côté comme un bracelet-montre. S'il n'a que cela à nous laisser, une heure plus ou moins juste !

Je n'aime pas l'oeuvre de M. Proust mais si j'étais de ses admirateurs ou de ses amis, il me semble que je ne lui ferais pas l'injure de déclarer comme M. Paul Morand, pour assurer sa mémoire : « Nous sommes là ! »

Ah ! vous êtes là, cher Monsieur, vous et vos amis, pour défendre l'oeuvre de Marcel Proust ; il me semble qu'une oeuvre géniale se défend bien mieux toute seule et que certaines mains en y touchant font seulement un peu d'ombre sur les bords d'un soleil qui n'est pas encore levé !

Francis PICABIA.

P.10 POISON

(Drame sans paroles)

Premier Tableau.

Le fond de la scène est un vaste miroir. Dix personnages vêtus de blouses noires uniformes s'y mirent. Tout à coup ils font face au public, ils mettent la main droite en visière sur les yeux, se tâtent le pouls, consultent leurs montres, s'agenouillent, se relèvent et vont s'asseoir respectivement sur les dix chaises qu'on a disposées au premier plan. Une détonation fait voler le miroir en éclats, découvrant sur un mur blanc l'ombre d'une femme nue qui tient toute la hauteur du théâtre et qui va en diminuant graduellement jusqu'au moment où elle atteint la taille normale. Il semble que la femme ait choisi ce moment pour se révéler. Elle apparaît alors, issue du mur même en une statue de plâtre. Elle se dirige vers le premier des dix personnages qui lui donne une paire de gants rouges qu'elle chausse sur le champ. Elle quitte le premier pour le deuxième qui lui donne un bâton de raisin dont elle se farde les lèvres. Le troisième lui fait don de lunettes noires. Le quatrième d'une fourrure. Le cinquième de postiches bleus. Le sixième de bas de soie blanche. Le septième d'un voile de crêpe dont elle se fait une traîne. Le huitième d'un revolver. Le neuvième d'un enfant. Le dixième se déshabille, et la poursuit avec un marteau.

2e Tableau.

La scène représente une chambre dont le plancher est recouvert de débris de plâtre. Du pot à eau, sur la toilette, jaillit une gerbe noire de liquide. Les draps du lit trahissent une forme énorme. On P.11 entend la sonnerie d'un réveille-matin. La porte s'ouvre et une tête de cheval apparaît. Elle se balance un moment et le lit se découvre mystérieusement. Il en sort une fumée abondante qui obscurcit momentanément la chambre. Lorsqu'elle s'est dissipée, on peut voir une chevelure qui tombe du plafond sur un diamant d'une grosseur démesurée, apparu sur le lit. Un personnage traverse la scène en se frottant les mains et se dirige vers l'armoire à glace, devant laquelle il s'arrête un instant. Il lève les bras au ciel en ouvrant la bouche, puis s'assied devant une table. Il agite une sonnette, aussitôt une femme couverte d'une robe de perles lui apporte, sur un plateau, un petit déjeuner. Il attend qu'elle soit sortie pour peindre sur la glace de l'armoire sa propre silhouette. A peine a-t-il terminé que l'armoire s'ouvre et que la femme à la robe de perles lui saute dans les bras. Il la renverse sur une chaise et la baise longuement sur la bouche. Mais de l'armoire restée ouverte surgissent douze soldats et un officier qui les mettent en joue l'un et l'autre.

3e Tableau.

La scène représente un poème écrit :

Entre l'amour et l'orthographe

Il y a plume pour penser

Au cri

Le sang fait le tour de la place

Homme debout avec l'été

Liberté, liberté des terres

Perdue ah ! le... la vache

Avec des souliers de velours

Pointe du scalp et de la reine

Moins la tortue avec amour

Signé :

Hector de JESUS.

Un projecteur éclaire le poème sur lequel se superposent deombres chinoises faites à la main. Ce sont : un chat, une vieille, un P.12 jockey, un bilboquet, une raquette, un masque, un palmier, une bottine, un coeur.

4e Tableau.

La scène représente une étoffe de soie froissée. Au lever du rideau on entend un bruit de verres qui se brisent. Des vapeurs colorées différemment flottent au-dessus. Un jeune homme et une jeune fille, le premier vêtu d'un costume marin, la seconde d'une robe de laine blanche, apportent au milieu de la scène un fauteuil où vient s'asseoir un violoniste. Ce dernier se met à jouer une romance populaire. Il en a à peine exécuté les premières mesures que l'étoffe de soie s'anime de mouvements confus. On entend le son des trompes de pompiers et l'étoffe se déchire laissant apparaître des pieds, des mains, des têtes et autres parties du corps. Un homme et une femme suivis d'un petit chien et s'abritant sous des parapluies, traversent la scène. Le violoniste effrayé est maintenant debout sur son fauteuil. On entend des acclamations, il salue à droite, à gauche, et tombe en arrière dans les bras du jeune homme et de la jeune fille qui l'emportent.

5e Tableau.

La scène est vide. Un personnage à l'allure de peintre vient faire des taches de couleur sur les murs. Deux amoureux, pendant qu'il travaille, apportent un banc de jardin et s'y installent. L'amant est en chemise, l'amante est enveloppée dans un drap. Soudain l'amant fait le signe du cercle, le peintre le regarde et éventre le mur du fond. Il plonge son bras dans le trou béant et en retire un câble qu'il déroule. Il semble qu'au bout de ce câble se trouve un objet léger, mais le mur s'effondre et un paquebot s'avance sur la scène. Une lampe électrique placée à la pointe fait des signaux de détresse.

6e Tableau.

La scène représente une cuisine. Une femme surveille le fourneau. Entre un homme vêtu d'un complet-veston il a le visage ensanglanté. La femme lui offre un bol de bouillon. Il le boit d'un trait, P.13 puis ouvre la fenêtre. Il désigne du doigt un point dans la rue. On entend des sanglots et des plaintes. Des enfants font irruption et viennent se jeter à ses pieds. Il leur donne à chacun une petite tape amicale, et les reconduit à la porte. La mère, sans doute, apparaît alors en peignoir. Elle semble parler naturellement. L'homme la contemple et l'invite à regarder dans la rue. La porte du buffet s'ouvre et plusieurs centaines d'oranges roulent sur le parquet. Les trois personnages perdent l'équilibre et tombent.

7e, 8e, 9e, 10e, 11e Tableaux.

La scène représente une gare, un bureau, une cheminée, un livre, un tableau, devant lesquels se tiennent un homme, puis une femme, puis un homme, puis une femme, puis un homme portant respectivement des pancartes où sont inscrits les numéros 7, 8, 9, 10, 11.

12e Tableau.

La scène représente une bouche qui fait le simulacre de parler.

Roger VITRAC.

4-12-1922.

AVIS

Le crime est une chose admirable, mais l'assassin me dégoûte.

***

Dieu a inventé le concubinage, Satan le mariage.

Francis PICABIA.

P.14 POEMES

Pour l'estime des mondes les plus féminisés

Dans l'aisselle des astres

Là où seul le dogue des yeux garde les corps au bois dormant

L'après-midi comme un seul homme entre dans les cases ou parachutes.

Les sonneries mentent à qui mieux mieux

Au doigt les villes et les pluies enchantées

Obéissent

Il faut essayer la menace

D'intérieurs mous s'écoulent de lentes théories de marchands aux paumes tournées en avant pour le besoin architectural

Tandis que le premier mendiant en automobile suit de l'oeil le bâton levé du premier voleur de la brigade des voitures

Car le scandale a la part du lion dans le plus triste jardin zoologique de ma connaissance

Les autres ne savent qu'éteindre les vieux sinus verbaux qui s'espacent de moins en moins régulièrement le long de la voie

L'amour est un signal qui n'a pas fonctionné

***

Les soigneurs disent aux soignées

Là-bas sur les remparts de l'air l'interrogation est sentinelle

Paix à nos principes solitaires

Nous sommes les rossignols du Qui-vive

Ici les trèfles sont des coeurs

Et celles qui se sont battues

Pour des écailles de tortue

Manants des mille et mille seuils

Aux bras de songe d'outre-mer

P.15 Quand ferez-vous palpiter devant nos seins autre chose que ces navires

Déjà le jour danse très fort sur les jetees magistrales

Où se décide le sort des faibles à la peau nattée jusqu'aux pieds

Là nos cuisses s'ouvrent et se ferment belles de nuit

Tout près des volumes humains que ceignent les algues de platine

A vous mais dans les etendues postiches malgré les bonds prédestinés

***

C'est aussi le bagne avec ses brèches blondes comme un livre sur les genoux d'une jeune fille

Tantôt il est fermé et crève de peine future sur les remous d'une mer à pic

Un long silence a suivi ces meurtres

L'argent se dessèche sur les rochers

Puis sous une apparence de beauté ou de raison contre toute apparence aussi

Et les deux mains dans une seule palme

On voit le soir

Tomber collier de perle des monts

Sur l'esprit de ces peuplades tachetées règne un amour si plaintif

Que les devins se prennent à ricaner bien haut sur les ponts de fer

Les petites statues se donnent la main à travers la ville

C'est la Nouvelle Quelque Chose travaillée au socle et à l'archet de l'arche

L'air est taille comme un diamant

Pour les peignes de l'immense vierge en proie à des vertiges d'essence alcoolique ou florale

La douce cataracte gronde de parfums sur les travaux

André BRETON.

(Extrait de « LE VOLUBILIS ET JE SAIS L'HYPOTÉNUSE », pour paraître aux éditions Dalmau, Portaferrissa 18, Barcelone. - Tirage limité à cinq exemplaires.)

P.16 Georges Braque n'a plus rien à envier à Léon Bakst.

***

« Bonjour, Monsieur de Segonzac », tu peins comme Courbet.

F. P.

FRANCIS MERCI !

Il faut faire connaissance avec tout le monde, sauf avec soi-même ; il faut ignorer à quel sexe on appartient ; je ne m'occupe pas de savoir si je suis du genre mâle ou femelle, je n'estime pas plus les hommes que les femmes. N'ayant aucunes vertus, je suis certain de n'en pas souffrir. Beaucoup de gens cherchent la route qui peut les conduire à leur idéal : je n'ai pas d'idéal, le personnage qui fait parade de son idéal est tout simplement un arriviste. Je suis un arriviste aussi, sans doute, mais mon arrivisme est une invention pour moi-même, une subjectivité. L'objectivité consisterait à me faire décorer de la légion d'honneur, à vouloir devenir ministre ou à briguer l'Institut ! Or, pour moi, tout cela c'est de la merde !

Ce que j'aime c'est inventer, imaginer, fabriquer à chaque instant avec moi-même un homme nouveau, puis l'oublier, tout oublier. Nous devrions secréter une gomme spéciale effaçant au fur et à mesure nos oeuvres et leur souvenir. Notre cerveau devrait n'être qu'un tableau blanc ou noir, ou mieux, une glace dans laquelle nous nous regarderions un instant pour lui tourner le dos deux minutes après. Mon ambition est d'être un homme stérile pour les autres ; l'homme qui fait école me dégoûte, il donne sa blennorrhagie pour rien aux artistes et la vend le plus cher possible aux amateurs. Actuellement littérateurs, peintres et autres idiots se sont donné le mot pour lutter contre les « monstres », monstres qui n'existent pas, naturellement, et ne sont que pures inventions de l'homme.

Les artistes ont peur, ils se parlent dans le creux de l'oreille d'un

<Fig>

P.17 croquemitaine qui pourrait bien les empêcher de faire leurs petites saloperies ! Aucune époque, je crois, n'a été plus imbécile que la nôtre. Ces messieurs veulent nous faire croire qu'il ne se passe plus rien ; le train fait machine en arrière, paraît-il, c'est très joli à regarder, les vaches n'y suffisent plus ! et les voyageurs de ce Decauville à reculons se nomment : Matisse, Morand, Braque, Picasso, Léger, de Segonzac, etc., etc... Ce qui est le plus drôle c'est qu'ils acceptent comme chef de gare Louis Vauxcelles, l'homme dont la grosse serviette noire ne contient qu'un foetus !

Depuis la guerre, dans le monde entier règne un sentiment de morale lourde et imbécile. Les moralistes ne discernent jamais les faits moraux des apparences, l'Eglise pour eux est une morale comme la morale de boire de l'eau, ou de pas oser se laver le cul devant un perroquet ! Tout cela est arbitraire, les gens moraux sont mal renseignés et les renseignés savent que les autres ne se renseigneront pas.

Il n'y a pas de problème de la morale, la morale comme la pudeur est une des plus grandes sottises. Le fondement de la morale devrait avoir la forme d'un pot de chambre, voilà toute l'objectivité que je lui demande.

Cette maladie contagieuse qu'est la morale est arrivée à contaminer tous les milieux dits artistiques ; littérateurs et peintres deviennent des gens sérieux et bientôt nous aurons un ministre de la peinture et de la littérature ; je ne doute pas des plus effroyables conneries ! Les poètes, ne sachant plus que dire, se font les uns catholiques, les autres croyants ; ces hommes fabriquent leurs petits navets comme Félix Potin des conserves de poulet froid ; on dit que Dada est la fin du romantisme, que je suis un clown, et on crie vive le classicisme qui doit sauver les âmes pures et leurs ambitions, les âmes modestes si chères à ceux qui sont atteints par la folie des grandeurs !

Pourtant je ne perds pas l'espoir que rien n'est encore fini, il y a moi et quelques amis qui avons l'amour de la vie, vie que nous ne connaissons pas et qui nous intéresse à cause de cela même.

Francis PICABIA.

 

 


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