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NOUVELLE SÉRIE

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L'AFFAIRE BARRES

et des « OEUVRES », scandaleuses à divers titres, de MM. APOLLINAIRE, ARAGON, AURIC, BRETON, CENDRARS, CHIRICO, CROS, DRIEU, GIDE, JACOB, LARBAUD, MALLARMÉ, MARINETTI, Jules MARY, MILHAUD, MORAND, PANSAERS, PAULHAN, PÉRET, REVERDY, SATIE, SOUPAULT, TZARA, VALÉRY, etc.

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EXPÉDITION DANS LE MONDE ENTIER

Le Gérant : ANDRÉ BRETON

PARIS. Imprimerie de la Revue LITTÉRATURE

<Fig>

NOUVELLE SÉRIE : N° 5 1er Octobre 1922

DIRECTEUR :

ANDRÉ BRETON

= Rédaction : 42, rue Fontaine, PARIS (IXe) =

Administration : LIBRAIRIE GALLIMARD, 15, boulevard Raspail, PARIS

LITTÉRATURE paraît le 1er de chaque mois

SOMMAIRE

RROSE SÉLAVY

Francis PICABIA :   UN EFFET FACILE

   BILLETS DE FAVEUR

Jacques BARON :   UN ANGLAIS

Max MORISE :   CHASSE GARDÉE

André BRETON :   MARCEL DUCHAMP

Benjamin PÉRET :   A TRAVERS MES YEUX

Robert DESNOS :   REVES

Roger VITRAC :   MADEMOISELLE PIEGE

NOTES

par Jacques BARON, André BRETON, Roger VITRAC.

DEUX HORS-TEXTE

PRIX DU NUMÉRO

France : 2 francs. - Etranger : 2 fr. 50

ABONNEMENTS

Les 12 numéros : 20 francs pour la France et 25 francs pour l'Étranger

La Collection de la première série de LITTÉRATURE comprend 20 numéros dont plusieurs sont épuisés et se vend 40 francs

P.1 RROSE SÉLAVY TROUVE QU'UN INCESTICIDE DOIT COUCHER AVEC SA MERE AVANT DE LA TUER ; LES PUNAISES SONT DE RIGUEUR.

UN EFFET FACILE

Ce qui est plat sur la Terre, devient rond lorsqu'on le regarde du ciel ; j'ai mille images mathématiques dans l'imagination, pour mesurer l'infini et me donner une solution. - Solution, petite pluie fine sur le sable où j'aime ramasser des coquilles à marée basse, ces coquilles sont les caresses du soleil, mon oeil les absorbe comme de l'aspirine.

QU'EST-CE QUE ÇA FOUT !

Littérature de gymnase ! J'ai horreur des oeuvres qui sentent le déménageur, j'ai horreur de la littérature cirée, de la littérature imperméable.

Il faut marcher pieds nus et ne mettre ses bottines que pour entrer dans la mosquée littéraire, il faut vomir et non vernir, il faut porter des souliers de chinoises en gardant les doigts des pieds écartés, il faut arborer sous ses semelles un nom brodé en pétales de roses, et avoir comme éperon un chat ciselé sur un phallus !

DANS LE DERNIER NUMÉRO

Il faut oublier son sexe comme sa patrie et aimer le néant, car les âmes et les vaches ont la même odeur.

NOUS EN SOMMES TOUS

Il faut regarder les hommes et les femmes de bas ; l'immense simpathie que j'ai pour la vie est semblable à du riz au gras sur un chapeau de paille neuf !

P.2 NOUS SOMMES FAITS L'UN POUR L'AUTRE

Le mastodonte clair de lune, l'énorme poésie, merde ou rose, rose ou merde, m'est hostile.

La tête me tourne et je tourne avec ma tête. Crème fouettée, lames de canif des opinions nombreuses, vertiges et découragements, mourir comme un colosse, à tatons et le dos tourné au soleil, éclater comme une montgolfière.

MOI, JE SUIS LE PROTÉGÉ DU CIEL

A quoi bon discuter ! L'honnête homme, les actrices, la cuisine, les musées, la construction d'un mur, me charment comme l'eau claire, comme l'Orient antique, dans la bêtise des misères commandées.

SOUS SON PETIT PANTALON

L'intérieur, l'extérieur ressemblent à une tortue. La solitude est comparable à une lampe qui baisse. Goethe résume mon oeuvre : réflexion et lenteur, au milieu une DAME et un MONSIEUR qui ne couchent pas ensemble quand ils sont seuls !

La politesse est le contraire du pittoresque, le pittoresque le contraire de l'art, l'art le contraire de la vie, la vie le contraire de Dieu. Les souvenirs sont mélancoliques et la lune me sourit.

Francis PICABIA.

Un Anglais

Un homme joyeux qui regardait un crapaud à l'envers disait

Je suis joyeux parce que je n'ai pas de peines.

Soyez joyeux mon ami soyez joyeux

Je suis il dit en anglais

Il s'en alla sur un paquebot

Il s'en alla vraiment heureux

Il s'en alla vraiment content

Il s'en alla tout à fait gai

Jacques BARON.

P.3 CHASSE GARDÉE

Je quittai la classe de philosophie le samedi à quatre heures et je rentrai chez moi, nullement dans la joie de voir la semaine finie, mais l'esprit obsédé par l'obligation où je me trouvais de retourner au lycée après dîner pour prendre part à la composition des Trois Arts. Néanmoins je me déshabillai, à mon habitude, et je me mis à table, vêtu d'une chemise grise, d'un pantalon noir et de chaussettes blanches ; après mon repas, je fumai un gros cigare. Mon cigare fini je pensai à m'apprêter. Je regardai ma pendule : neuf heures et quart. Or je de vais être au lycée à neuf heures. La plus abominable catastrophe ne m'eût pas bouleversé davantage. « Je ne serai pas là-bas avant neuf heures et demie, me dis-je, et je n'aurai que deux heures et demie pour faire la composition que mes camarades font en trois. » L'idée qu'ils étaient déjà à l'ouvrage pendant que j'étais encore chez moi à m'habiller, m'était particulièrement intolérable, Je fus vite prêt. Vêtu Dieu sait comme, les cheveux au vent, la cravate dénouée, je me saisis de mes livres, de mon carton à dessins, de mon sous-cul et de quelques papiers où j'avais pris des notes pour apporter, le cas échéant, un secours illicite à ma mémoire défaillante. Dans ma précipitation, je pris deux paires de gants. Quand j'arrivai au lycée, je m'aperçus qu'il n'était que neuf heures dix. Ce me fut un soulagement. Je fus également tranquillisé quand je vis d'autres élèves arriver sans se presser, la canne à la main et l'air dégagé, pour prendre part à la composition qui, à vrai dire (je m'en aperçus alors), était un examen. C'est donc avec le plus grand calme que je m'approchai d'une tangente qui me remit quelques feuilles de papier bleu, me communiqua le sujet de la composition, puis m'annonça que j'avais toute la nuit devant moi pour achever son travail, et même une partie du lendemain si je voulais.

La première épreuve portait sur la musique. Le sujet était le suivant : « La symphonie en ut mineur de Beethoven. » J'en eus de la joie, car je connaissais assez bien cette oeuvre. Je rassemblai immédiatement mes connaissances : « Cette symphonie est la cinquième. P.4 Thèmes principaux. Enchaînement du troisième et du quatrième mouvement. On y trouve déjà la magnifique inspiration du génial auteur de la neuvième. Comparaison avec cette dernière symphonie. Si la neuvième trouve des accents plus sublimes, la cinquième offre un ensemble plus parfait et des proportions plus harmonieuses. » Ce qui me chagrinait, c'est que, quoiqu'ayant très exactement dans la mémoire les différents motifs, j'étais incapable de les transcrire sur le papier, faute de savoir les notes. « Si je trouvais un piano, me dis-je, peut-être parviendrais-je à les reconstituer. » Comme il n'y avait pas de piano dans la salle d'examen, je sortis dans le parc, où je n'en trouvai pas davantage. Alors je me résignai à ne pas noter les motifs et je bâclai une copie qui me parut malgré tout assez satisfaisante.

La seconde épreuve était l'épreuve d'art militaire. Il s'agissait d'enlever une position établie au sommet d'une butte en forme de pyramide tronquée à quatre côtés et couverte de bois. Je me joignis à quelques-uns de mes camarades. Au lieu de gravir la pente du côté nord, comme il semblait naturel, nous la gravîmes du côté ouest et nous agîmes avec une telle vélocité et dans un tel secret que nous tombâmes à l'improviste sur l'examinateur qui se tenait sur la plate-forme du sommet. Celui-ci ressentit quelque mauvaise humeur de s'être ainsi laissé surprendre, mais il ne put que nous donner à chacun une bonne note.

Nous pûmes jouir alors de notre succès. La plate-forme était entourée de tous côtés par une balustrade de bois peinte en vert, et abritée par un vaste parasol. De confortables fauteuils en osier et des pliants dits transatlantiques nous offrirent un repos bien gagné. Une jeune femme en toilette claire prenait le thé à quelques pas de nous. Nous avions vue sur tous les environs. Sur une éminence assez rapprochée, en contre-bas, nous apercevions la villa de madame Segond et ses dépendances, animées par le va-et-vient des chevaux et des volailles qui les habitaient. Nous aperçûmes le fameux dindon que madame Segond était parvenue à élever contre toute probabilité et malgré le climat si peu propice. A vrai dire il nous parut bien un peu étique et déplumé ; mais il ne laissait pas de courir en tous sens assez allègrement.

P.5 Quand nous fûmes suffisamment délassés, nous descendîmes de notre butte et nous joignîmes une voie de chemin de fer qui passait non loin de là. Nous la suivîmes quelques minutes jusqu'à un point où commençait un viaduc que nous voyons s'allonger sur la plaine, à perte de vue. Vers la droite nous en remarquâmes une seconde qui décrivait mille courbes, montait et descendait en empruntant par endroits un autre viaduc fort élevé et à arches fort espacées qui ressemblait plutôt à une suite de ponts suspendus aboutés. Sur une certaine longueur, ce viaduc se superposait au premier, surplombant le sol de cent à cent cinquante mètres. Ce chemin de fer extrêmement accidenté, appelé « Rapide de la Reine », formait un circuit fermé d'une longueur approchant un kilomètre ; il avait, m'apprit-on, été construit pendant la guerre par l'armée américaine, tant pour le transport des troupes que pour l'essai de nouveaux types de locomotives. Un train stationnait non loin de l'endroit où nous nous trouvions. Nous résolûmes d'y monter pour faire un tour de circuit. Au moment où nous nous disposions à y prendre place, il démarra. Je le rejoignis à la course et je m'accrochai à la dernière voiture qui était un wagon à impériale découverte. Le train prit de la vitesse. Je n'étais guère rassuré car je risquais de tomber à chaque instant. Lorsque l'on commença à rouler sur le viaduc, je fus pris de vertige. On arriva alors à une montée si abrupte que la locomotive n'eut pas la force de la gravir et que le train s'immobilisa au beau milieu. Je me trouvai suspendu entre terre et ciel, la tête en bas, cramponné des jambes et des mains aux saillies du wagon. Ma situation critique se prolongeant, je sentais mes forces s'amoindrir peu à peu et j'envisageais avec terreur le moment où elles allaient me trahir tout à fait. Les occupants de l'impériale poussaient des cris épouvantables. Un des moins robustes lâcha prise et alla s'écraser sur le sol d'une hauteur que je n'osai pas évaluer. Je vis qu'on l'emportait sur un brancard. Je crois bien que c'était l'élève officier de réserve Lyon, du 104e régiment d'infanterie. mais je n'en jurerais pas. Cependant, à l'aide de cordes et de poulies, disposées là en prévision d'un semblable accident, on arriva à remorquer le train qui effectua le reste du trajet sans encombre. Avec quel soulagement mis-je le pied sur le sol !

J'étais quelque peu brisé et étourdi ; mais je me remis assez vite. P.6 Je m'engageai dans un couloir très étroit aux parois duquel étaient fixées face à face deux rangées de mannequins représentant des femmes dans des costumes divers, la plupart fort légers, et dont les bras étaient articulés et munis de gants de boxe. A côté de chaque mannequin, une petite fente, semblable à celle des distributeurs de chocolat Menier, et cette inscription sur émail :

POUR BOXER

METTEZ DIX CENTIMES

Je choisis une brune dont les jambes étaient vêtues d'un maillot rose et le buste d'un corsage rouge retenu aux épaules par de minces bretelles de soie, et je glissai mes deux sous. Je reçus aussitôt une violente volée de coups de poings. Je commençai à me repentir de mon imprudence et je tentai de fuir sans riposter. Mais les bras des mannequins voisins sortirent immédiatement de leur immobilité et se mirent à me bourrer de horions. Je me démenais comme un beau diable, frappant à mon tour mes adversaires qui semblaient insensibles, lorsque le mannequin que j'avais provoqué le premier, allongeant ses deux jambes et s'appuyant du dos à la paroi du couloir, m'appliqua ses pieds si fort sur le ventre que je me trouvai pris entre eux et la paroi opposée comme dans un étau. Mes ennemis m'auraient assommé, si, d'un effort prodigieux, je ne m'étais dégagé. Je voulus d'un bond sortir de leur cercle, mais je butai et j'entraînai dans ma chute le mannequin rouge et rose. Il m'enlaçait étroitement et nous nous débattions à terre de telle sorte que nous mimions assez exactement l'amour. Je me remis à frapper. Sous mes coups le mannequin devint femme. Mes poings faisaient résonner ses côtes et mâchaient sa chair. Elle hurlait mais ne cédait point. Ce combat corps à corps commençait à exciter singulièrement mes sens. Un instant après continuant à lutter, nous nous accouplâmes. Alors je me mis à la serrer entre mes bras avec une telle puissance que je la sentis bientôt rendre le dernier soupir. J'essayai de me dégager, mais ses bras m'emprisonnaient.

Max MORISE.

P.7 LITANIE DES SAINTS

JE CROIS QU'ELLE SENT DU BOUT DES SEINS

TAIS-TOI, TU SENS DU BOUT DES SEINS

POURQUOI SENS-TU DU BOUT DES SEINS ?

JE VEUX SENTIR DU BOUT DES SEINS.

Rrose SÉLAVY.

MARCEL DUCHAMP

C'est autour de ce nom, véritable oasis pour ceux qui cherchent encore, que pourrait bien se livrer, avec une acuité particulière, l'assaut capable de libérer la conscience moderne de cette terrible manie de fixation que nous ne cessons de dénoncer ici. Le fameux mancenillier intellectuel qui a porté en un demi-siècle les fruits nommés symbolisme, impressionnisme, cubisme, futurisme, dadaïsme, ne demande qu'à être abattu. Le cas de Marcel Duchamp nous offre aujourd'hui une ligne de démarcation précieuse entre les deux esprits qui vont tendre à s'opposer de plus en plus au sein même de l'« esprit moderne », selon que ce dernier prétende ou non à la possession de la vérité qu'on représente à juste titre comme une femme idéale et nue, qui ne sort du puits que pour retourner se noyer dans son miroir.

***

Un visage dont l'admirable beauté ne s'impose par nul détail émouvant, et de même tout ce qu'on pourra dire à l'homme s'émoussera sur une plaque polie ne laissant rien apercevoir de ce qui se passe dans la profondeur, l'oeil rieur avec cela, sans ironie, sans indulgence, qui chasse alentour la plus légère ombre de concentration et témoigne du souci qu'on a de demeurer extérieurement tout-à-fait aimable, l'élégance en ce qu'elle a de plus fatal et par dessus l'élégance, l'aisance vraiment suprême, tel m'apparut à son dernier séjour à Paris Marcel P.8 Duchamp que je n'avais jamais vu et de l'intelligence de qui quelques traits qui m'étaient parvenus me faisaient supposer merveille.

Et tout d'abord observons que la situation de Marcel Duchamp par rapport au mouvement contemporain est unique en ceci que les groupements les plus récents s'autorisent plus ou moins de son nom, sans qu'il soit possible de dire à quel point son consentement leur a jamais été acquis, et alors qu'on le voit s'en détacher avec une liberté parfaite avant même que l'ensemble d'idées dont l'originalité lui revenait en grande part ait pris ce tour systématique qui en détourne quelques autres. Serait-ce que Marcel Duchamp parvienne plus vite que quiconque au point critique des idées ? Il semble, en tout cas, à considérer la suite de sa production, que son adhésion du premier jour au cubisme ait été tempérée par une sorte d'avance au futurisme (1912 : Le Roi et la Reine entourés de nus vites) et que sa contribution à l'un et à l'autre n'ait pas été sans s'accompagner très tôt de réserves d'ordre dadaïste (1915 : Broyeuse de chocolat). Dada ne réussira pas mieux à lever de tels scrupules : la preuve en est qu'en 1920 à l'heure où l'on n'en peut plus rien attendre et où Tzara, qui organise le Salon Dada, se croit autorisé à faire figurer Marcel Duchamp parmi les exposants, celui-ci lui câble d'Amérique ces simples mots : « Peau de balle » qui le mettent dans l'obligation de remplacer les tableaux attendus par des pancartes reproduisant à une grande échelle les numéros d'ordre du catalogue et n'arrivant à sauver que médiocrement les apparences.

***

Qu'on ne s'y méprenne pas, nous n'entendons nullement codifier l'esprit moderne et, pour le plaisir de l'énigme, tourner le dos à ceux qui font mine de la résoudre. Qu'il vienne ce jour où, deviné, le sphinx se jettera à la mer. Mais ce ne sont jusqu'ici que simulacres. Nous nous sommes réunis et nous nous réunirons encore dans l'espoir d'assister à une expérience concluante. Soyons, si vous voulez, aussi ridicules et aussi touchants que des spirites, mais défions-nous, mes amis, des matérialisations quelles qu'elles soient. Le cubisme est une matérialisation en carton ondulé, le futurisme en caoutchouc, le P.9 dadaïsme en papier buvard. Au reste je vous le demande, quelque chose pourrait-il nous faire plus de tort qu'une matérialisation ?

***

Vous aurez beau dire, la croyance à l'immatérialité n'est pas une matérialisation. Laissons certains de nos amis se débattre à l'intérieur de ces tautologies grotesques et reportons-nous à Marcel Duchamp qui est, lui, le contraire de saint Thomas. J'ai vu faire à Duchamp une chose extraordinaire, jeter en l'air une pièce en disant : « Pile je pars ce soir en Amérique, face je reste à Paris. » A cela nulle indifférence, il préférait sans doute infiniment partir, ou rester. Mais la personnalité du choix, dont Duchamp est des premiers à avoir proclamé l'indépendance, en signant, par exemple, un objet manufacturé, n'est-elle pas la plus tyrannique de toutes et ne convient-il pas de la mettre à cette épreuve, pourvu que ce ne soit pas pour lui substituer un mysticisme du hasard ?

Ah ! si la pièce pouvait mettre un mois, un an à tomber, comme tout le monde nous entendrait ! Par bonheur c'est dans l'intervalle d'une respiration que cela se décide - naturellement l'exécution s'impose - et il ne faut pas manquer d'oxygène pour aussitôt recommencer. (Il va sans dire que l'intelligence de ce qui précède demeurera le privilège de quelques-uns auxquels il appartiendra aussi d'apprécier hélas ! pour leur plus grand divertissement, la phrase venue sous la plume d'un homme qui reste, au fond, bien étranger à ces spéculations, Guillaume Apollinaire, phrase qui donne la mesure de cette capacité prophétique à laquelle il tenait tant : « Il sera peut-être réservé à un artiste aussi dégagé de préoccupations esthétiques, aussi préoccupé d'énergie que Marcel Duchamp de réconcilier l'Art et le Peuple »).

***

Écrivant ces lignes, en dépit du titre extrêmement ambitieux sous lequel j'ai cru pouvoir les rassembler, je ne me suis point promis d'épuiser ce sujet : Marcel Duchamp. Mon désir était seulement d'éviter, à propos de ce dernier, le retour à des erreurs semblables à celles d'Apollinaire ou de Dada, plus encore de ruiner toute systématisation P.10 à venir de l'attitude de Duchamp, telle qu'elle ne peut manquer d'apparaître aux gens simples, avec cet « amour de la nouveauté ». Je sais, Duchamp ne fait plus guère que jouer aux échecs et ce serait assez pour lui que de s'y montrer un jour inégalable. Il a donc pris, dira-t-on, son parti de l'équivoque intellectuelle : si l'on veut il consent à passer pour un artiste, voire, en ce sens, pour un homme qui a peu produit parce qu'il ne pouvait faire autrement. Ainsi lui, qui nous a délivré de cette conception du lyrisme-chantage à l'expression toute faite, sur laquelle nous aurons l'occasion de revenir, s'en remettrait pour le plus grand nombre à un symbole. Je me refuse à voir là de sa part autre chose qu'un piège. Pour moi, je l'ai dit, ce qui fait la force de Marcel Duchamp, ce à quoi il doit d'être sorti vivant de plusieurs coupe-gorges, c'est avant tout son dédain de la thèse, qui étonnera toujours de moins favorisés.

En égard à ce qui va suivre, il serait bon, je crois, que nous concentrions notre attention sur ce dédain et pour cela il nous suffira d'évoquer le tableau de verre auquel Duchamp aura bientôt donné dix ans de sa vie, qui n'est pas le chef-d'oeuvre inconnu et sur lequel avant son achèvement courent déjà les plus belles légendes, ou encore de nous remémorer tel ou tel de ces étranges calembours que leur auteur signe : Sélavy et Rrose qui appellent un examen spécial :

« CONSEIL D'HYGIENE INTIME :

IL FAUT METTRE LA MOELLE DE L'ÉPÉE DANS LE POIL DE L'AIMÉE.

***

Pour Marcel Duchamp la question de l'art et de la vie aussi bien que toute autre susceptible de nous diviser à l'heure actuelle ne se pose pas.

André BRETON.

Pour qu'un homme ne soit plus intéressant il suffit de ne pas le regarder.

Francis PICABIA.

<Fig>

VOICI LE DOMAINE DE RROSE SÉLAVY COMME IL EST ARIDE - COMME IL EST FERTILE - COMME IL EST JOYEUX - COMME IL EST TRISTE !

VUE PRISE EN AÉROPLANE PAR MAN RAY - 1921.

P.11 BILLETS DE FAVEUR

« A Moi Soi ; à Soi Moi » oui, vraiment, on est assis, Fernand Divoire a raison de le dire, lorsqu'on lit ses poèmes de haute imbécillité, et dire que ça s'appelle « Ivoire au Soleil » !

Isadora Duncan à qui je déclarais un jour que ce personnage était un con, me dit : « Je suis de votre avis, mais s'il vous entendait ça lui ferait tant de peine, vous savez, il est un peu amoureux de moi. »

M. Fernand Divoire n'est pas même en os, il est en stéarine !

***

La culotte en jersey de soie de Renée Dunan irait vraiment très bien à Mme de Noailles, peut-être mieux encore à Mme Gérard d'Houville.

***

Il me semble que A. P. Gallien, jeune homme plein de promesses, sombre dans la banalité la plus absolue. Il doit avoir de bien mauvaises fréquentations !

***

André Lhote nous montre dans « Feuilles libres » de mauvaises imitations de Picasso.

***

Jacques-Emile Blanche est en train de confectionner un tryptique à la gloire d'Erik Satie ; à gauche les Six, à droite Socrate, Lamartine, Jean Cocteau et Radiguet, et, dans le milieu, Satie devait figurer, mais ce vieux compagnon de l'intelligence ayant refusé de poser, Jacques-Emile Blanche compte peindre à sa place le fox-terrier écoutant au gramophone la voix de son maître !

***

Le Salon d'Automne compte cette année ouvrir ses portes aux artistes allemands, chose bien naturelle ; M. Desvallières, personnage bien pensant, comme vous le savez, trouve que ce n'est possible que si les Allemands payent leurs dettes. Cher Monsieur Desvallières, vous m'avez demandé un jour, pendant les opérations du jury, ce que j'avais fait pendant la guerre ; je vous ai répondu que je m'étais formidablement emmerdé. Elle est finie depuis quatre ans : ne cherchez pas à la continuer avec quelques autres illuminés.

P.12 Blaise Cendrars le responsable des Six ne s'en flatte pas mais le divin Jean d'Anjou, barnum parisien du Lavandou leur chef d'orchestre, voudrait se faire prendre pour l'auteur véritable de cette association.

***

Une chose que personne n'a encore vue est incompréhensible, jusqu'au moment où notre suggestion lui donne un sens idéal.

***

Brancusi vit entre la Haute-Egypte et Wagner.

***

Einstein est en train de mesurer la distance qui sépare Epstein de la lune.

***

Le phénomène est une apparition qui s'impose à toutes les volontés, comme une route s'impose à un automobiliste pour aller d'un point à un autre.

***

Georges Braque est le bedeau de la cathédrale, Picasso en est le bénitier, Rosenberg l'hostie, Kahnweiler le tronc pour les pauvres.

***

Quand vous entendez un bruit quelconque vous êtes obligé de formuler cérébralement l'image de ce qui a produit ce bruit pour le comprendre, vous faites de même devant une oeuvre d'art.

***

Max Jacob découvre de plus en plus Cocteau pour lui faire attraper froid.

***

Il y aurait peut-être un moyen de calmer les fous, ce serait de les enfermer dans une pièce dont les six côtés seraient recouverts de glaces, en faisant subir le même sort aux soi-disants lucides, ils deviendraient certainement fous, ce qui tendrait à prouver que le fou n'a pas besoin de public mais que le lucide ne peut s'en passer.

***

Marie Laurencin doit illustrer Edgard Poë, vraiment Helleu aurait été encore plus indiqué.

Francis PICABIA.

P.13 OH ! CREVER UN ABCES AU PUS LENT.

Rrose SÉLAVY.

A TRAVERS MES YEUX

1° Dada est mort ! Dada est mort ! Dada est mort !

2° Dada se proposait de détruire, mais il s'est désagrégé lui-même avant que son action se fasse sentir.

3° Dada n'était pas un commencement, mais une fin.

4° La grande séduction qui se dégageait des idées apportées par Dada, fit qu'on se satisfit d'elles sans chercher mieux. De là vint, rapidement, une impossibilité de transformation et la mort de Dada.

5° La contradiction qui permet d'avoir presque simultanément deux opinions différentes sur le même sujet est dada.

6° Le doute n'est peut-être pas dada.

7° On n'éprouve, aujourd'hui, pas plus de surprise à lire à un poème dada qu'un poème symboliste ou cubiste. Beaucoup attendent que paraisse « la poésie dadaïste en vingt leçons ».

8° Reverdy : un écrou oxydé ; Jean Cocteau : une crotte d'ange ; Raymond Radiguet, la pelle à crotte d'ange ; Max Jacob : le coeur de Jésus ; Tristan Tzara : dada ; Man-Ray, les cheveux de la rétine ; Georges Ribemont-Dessaignes : le quart d'heure de Dieu... (et j'en passe !) se sont assis à l'ombre et dorment.

9° Guillaume Apollinaire et Marcel Duchamp nous attendent.

10° Je quitte les lunettes dada et prêt à partir, je regarde d'où vient le vent sans m'inquiéter de savoir ce qu'il sera et où il me mènera.

11° Demain, je serai encore prêt à sauter dans la voiture de mon voisin s'il se dispose à prendre une direction autre que la mienne.

Benjamin PÉRET.

P.14 VACANCES D'ARTISTES

Le FIGARO, qui poursuit une enquête sous ce titre, publie le 20 août la réponse de Francis Picabia :

« MONSIEUR,

Je suis très flatté que vous me compreniez parmi « les artistes les plus en vue de ce temps ». Il est vrai qu'ils sont si nombreux !

Votre enquête arrive à propos. L'évolution Dada était complètement terminée, je puis vous avouer que j'ai quelques regrets d'avoir contribué à créer ce mouvement.

Je n'y voyais qu'un moyen de « déblaiement » qui permettrait, par la suite, une floraison plus puissante, plus intéressante, plus épurée.

Mon espoir a été déçu. Non seulement ceux dont nous avions assez sont demeurés, mais Dada, par son attitude relâchée, a permis à toute une corporation de jeunes impuissants de se produire, en essayant de se faire prendre au sérieux. Je tiens pourtant à dire que grâce à Dada j'ai pu connaître les deux seuls hommes véritablement intelligents qui en aient fait partie : André Breton et Louis Aragon. Comme moi ils ont le dégoût de ceux que le succès grisa et qui se prennent maintenant pour de grands hommes, ou cherchent à tirer parti de ce succès de façon mercantile ».

N'en déplaise à Francis Picabia, je serai le dernier à convenir que Dada ait eu pour but de préparer une renaissance quelconque. Je m'inscris même avec violence contre tout ce qui tendra à établir cette thèse si rassurante et, par suite, déjà très goûtée. Il faut lui rendre cette justice, Dada, si ses forces ne l'eussent trahi, ne demandait qu'à détruire de fond en comble. Libre à chacun de faire toutes réserves sur les moyens employés, il n'en est pas moins vrai que cette tendance, qui préserve encore aujourd'hui Dada du succès définitif, fut toujours mise en avant. Je ne connais pas d'homme plus préoccupé que Picabia de la caractérisation de l'esprit qui, pour quelques-uns d'entre nous, s'est fait jour depuis peu en dehors de Dada ; je sais aussi, chez lui, à quel admirable sens de la vie ce besoin répond et j'accuse tout au plus sa hâte, et je ne m'alarme pas comme certains de mes amis, quand je le vois, pour ensevelir plus vite un esprit qui s'est à son propre point de vue déconsidéré, P.15 prendre la contre-partie d'idées qui ne sont pas celles dont l'application a été fatale à Dada, au contraire.

***

Le 27 août, le même journal publie la lettre suivante de Philippe Soupault :

« Permettez-moi de rectifier quelques erreurs de détail, qui n'ont en somme aucune importance.

Dada n'est pas mort pour la bonne raison qu'il ne peut pas mourir, ou, si vous préférez, qu'il n'a jamais existé...

Dada n'a jamais rien voulu prouver. Il a suscité beaucoup de colères, beaucoup de rires, mais personne n'a jamais pu le définir. Dada, en effet, n'est qu'un état d'esprit...

Ce qui importe, après tout, à ceux qui ont su la vraie grandeur et l'incomparable force de Dada, c'est que tous les fruits pourris se détachent de l'arbre. Il faut être trahi. »

Ces quelques lignes, qui se passeraient si bien de commentaires (les lecteurs du FIGARO les jugeront stupides et Philippe Soupault se réjouira) m'inclinent pourtant à penser que leur auteur ne se rend pas très nettement compte de la situation. Mon intention n'est pas d'épiloguer plus longtemps sur la mort de Dada, mais se peut-il que quelqu'un soit encore dupe du mode de raisonnement dont Soupault nous donne ci-dessus un exemple si caractéristique ? En ce qui me concerne, je sais à quoi m'en tenir sur la contradiction verbale et je n'ai garde de la confondre avec une autre plus profonde. J'y vois même une des principales erreurs, une des plus sûres causes d'épuisement de Dada. Ce sont de tels procédés qui, en se généralisant, où il y avait un état d'esprit, laissent une école. Quelle école ! « Tics, tics et tics. » Mon cher Soupault, nous avons maintenant mieux à faire qu'à nous produire ; jadis nous l'avons écrit ensemble : il s'agit de toute autre chose. Moi, voyez-vous, je ne l'ai pas oublié et, comme j'ai encore quelque amitié pour vous, j'ai peur que vous en soyiez pour vos grâces.

André BRETON.

SA ROBE EST NOIRE DIT SARAH BERNHARD.

Rrose SÉLAVY.

P.16 REVES

En 1916

« Je suis transformé en chiffre. Je tombe dans un puits qui est en même temps une feuille de papier, en passant d'une équation à une autre avec le désespoir de m'éloigner de plus en plus de la lumière du jour et d'un paysage qui est le château de Ferrières (S.-et-M.) vu de la voie du chemin de fer de l'est. »

Durant l'hiver 1918-1919

« Je suis couché et me vois tel que suis en réalité. L'élecricité est allumée. La porte de mon armoire à glace s'ouvre d'elle-même. Je vois les livres qu'elle renferme. Sur un rayon se trouve un coupe-papier de cuivre (il y est aussi dans la réalité) ayant la forme d'un yatagan. Il se dresse sur l'extrémité de la lame, reste en équilibre instable durant un instant puis se recouche lentement sur le rayon. La porte se referme. L'électricité s'éteint. »

En août 1922

« Je suis couché et me vois tel que je suis en réalité. André Breton entre dans ma chambre, le journal officiel à la main. « Cher ami, me dit-il, j'ai le plaisir de vous annoncer votre promotion au grade de sergent-major, » puis il fait demi-tour et s'en va. »

Robert DESNOS.

Opalin. O ma laine.

Rrose SÉLAVY.

<Fig>

P.17 MADEMOISELLE PIEGE

(Fragment)

CHENE (le gérant). - Bon. Bon. Bon. (raccrochant) Bon. (appelant) Plomb.

PLOMB. - Monsieur Chêne ?

CHENE. - Pour le 49 : cinq.

PLOMB. - Bon.

Plomb disparaît dans l'ascenseur et redescend par l'escalier.

MONSIEUR MUSÉE (le fils), (se dégageant). - Vous y pensiez.

MONSIEUR CLAIR. - N'est-ce pas ?

MONSIEUR MUSÉE (le fils). - La pantoufle en effet.

MONSIEUR CLAIR. - Sous globe elle est chère. Vous le regrettez.

MONSIEUR MUSÉE (le fils). - Non, Monsieur Clair. - A pile ou face.

Il s'assied par terre.

MONSIEUR CLAIR. - Voici dix centimes.

MONSIEUR MUSÉE (le fils) lance la pièce.

MONSIEUR MUSÉE (le fils) et MONSIEUR CLAIR (ensemble). - Pile.

MONSIEUR MUSÉE (le fils). - Autant (silence). Pile.

MONSIEUR CLAIR. - Face.

MONSIEUR MUSÉE (le fils). - C'est face.

MONSIEUR CLAIR dignement s'éloigne et disparaît dans l'ascenseur.

CHENE. - Plomb.

PLOMB. - Monsieur Chêne ?

CHENE. - La porte.

Entre MONSIEUR MUSÉE (le père).

MONSIEUR MUSÉE (le fils). Papa.

MONSIEUR MUSÉE (le père). - C'est moi. Toi ?

MONSIEUR MUSÉE (le fils). - Oui. Je n'ai pas pu.

MONSIEUR MUSÉE (le père). - Tu t'arrangeras avec ta mère.

MONSIEUR MUSÉE (le fils). - Mais toi ?

P.18 MONSIEUR MUSÉE (le père). - Je viens pour affaires.

CHENE. - Monsieur ?

(Silence)

CHENE. - Monsieur ?

MONSIEUR MUSÉE (le père). - Le 49 ?

CHENE. - Elle est là.

CHENE appuie sur un bouton électrique. Sonnerie épouvantable.

MONSIEUR CLAIR redescend rapidement les mains ensanglantées. Il traverse le hall. PLOMB lui ouvre la porte. MONSIEUR CLAIR disparaît.

MONSIEUR MUSÉE (le père). - Mais c'est Clair.

MONSIEUR MUSÉE (le fils). - C'est lui.

MONSIEUR MUSÉE (le père). - Ah ... Et puis. Moi ?

MONSIEUR MUSÉE (le fils). - Papa.

MONSIEUR MUSÉE (le père). - Quoi ?

MONSIEUR MUSÉE (le fils). - Les caoutchoucs.

MONSIEUR MUSÉE (le père). - Parfaitement.

MONSIEUR MUSÉE (le fils). - La nouvelle auto.

MONSIEUR MUSÉE (le père). - Une merveille.

MONSIEUR MUSÉE (le fils). - Tes rhumatismes.

MONSIEUR MUSÉE (le père). - Disparus.

MONSIEUR MUSÉE (le père) disparaît dans l'ascenseur. MONSIEUR MUSÉE (le fils) est prostré.

CHENE à MONSIEUR MUSÉE (le fils). - Monsieur.

(Silence)

CHENE, même jeu. - Monsieur.

MONSIEUR MUSÉE (le fils) tourne la tête.

CHENE, interrogateur. - Monsieur ?

MONSIEUR MUSÉE (le fils). - Le 49 ?

CHENE. - Elle est là. Là-haut.

Sonnerie de téléphone.

CHENE (à l'appareil). - Ah ? Bon. Ah ? Bon. Ah ? Bon (il raccroche). Bon. (Il décroche). Allo. Allo. Mademoiselle. Mademoiselle s'il vous P.19 plaît Saxe 75-57. Allo. Trop rouge. Oui trop, trop. Mais trop rouge. Comment ? Eh bien cela n'a plus aucune importance, aucune, aucune. Merci comment. Le 49. Elle est là. (Il raccroche) Plomb.

PLOMB. - Monsieur Chêne.

CHENE. - La note de la blanchisseuse.

PLOMB. - Je la paierai. (Silence)

CHENE. - C'est tout.

PLOMB. - Non.

CHENE. - Il y a la robe de Mademoiselle Piège.

PLOMB (montrant une boîte). - Elle est là.

(Silence.)

MONSIEUR MUSÉE (le fils). [J'AI PERDU LE PEUPLE NOIRCI - QUI PRES DES JAMBES ET DES ARBRES - RIAIT DE LA TERRE DES ANGES - UNE MAIN D'ORANGE - ET LE SOUCI - AVANT LA NEIGE DÉPOUILLÉE - IL SE RAPPROCHA DE PARIS - OU JE NE L'ENTENDS PLUS MARCHER.]

(Criant.)

Monsieur.

CHENE. - Quoi. Le 49 ?

MONSIEUR MUSÉE (le fils). - Quoi. Quelle heure est-il

CHENE. - Cinq heures quarante-huit.

MONSIEUR MUSÉE (le fils). - (Silence) 58-59-60.

MONSIEUR MUSÉE (le fils) se tire une balle dans la tête.

CHENE. - Encore. Bon. Plomb.

PLOMB. - Monsieur Chêne.

CHENE. - Viens.

Ils accoudent MONSIEUR MUSÉE (le fils) sur la table devant les journaux.

CHENE. - Bon. Plomb.

PLOMB. - Monsieur Chêne.

CHENE. - La porte.

CHENE et PLOMB sortent.

Roger VITRAC.

P.20 M. PHILIPPE SOUPAULT ÉCRIT

A la suite d'une note parue dans notre dernier numéro. M. Philippe Soupault nous prie d'insérer la lettre suivante, en réponse à M. Jacques Baron :

Paris, 20 août 1922.

MON CHER AMI,

Je déteste les odeurs de cuisine et le bruit des casseroles me donne mal au coeur. Quand j'ai envie de vomir il m'est impossible de sourire. Et je ne sais ce qui me retient. Probablement la crainte de me salir.

Quand à votre tour, écoeuré par les odeurs d'eau de vaisselle que remue avec tant de grâce (je vous l'accorde) votre ami Francis, vous oublierez de sourire, vous aimerez peut-être un peu Westwego qui n'a pour seul mérite que d'être un poème sans sauce et sans moutarde.

Je ne suis malheureusement pas ambitieux. La « gloire » m'ennuie et si je lis les coupures de journaux (dont votre ami déjà nommé possède une jolie collection) avec quelque plaisir c'est que j'aime les belles injures et les colères des imbéciles.

Tranquillisez-vous. Je ne serai jamais ni ministre, ni trappeur, ni peintre, ni mineur, ni grand poète, ni épicier, ni cubain, ni artiste, ni érudit, mais j'espère peut-être un jour votre ami.

Philippe SOUPAULT.

Petit commentaire pour personnes usagées. - Ce que j'ai dit de Westwego, mon cher Soupault, n'était pas pour déchaîner un tel torrent d'encre. Il me semble utile pourtant de vous répéter que la confiance que vous pouviez prétendre inspirer aux gens dans un temps semble aujourd'hui n'être plus la même.

Quant à Westwego je n'en ai jamais parlé ni de Picabia non plus.

J. B.

« RETOUR D'ANGE » par Jean COCTEAU

Le plongeur remonte. Des perles ? Non. Des oeufs ? Non. Des ellipsoïdes ? A peine. Il lui manque une dent. Il souffle une bulle. Non : un mot. Lequel ? Celui-là. Pourquoi ?

- Merci.

P.21 Un marchand de tableaux ? - A côté.

Un peintre ? - A côté.

Un tableau ? - A côté.

Ouvrons une porte ? - A côté.

*

Neutres.

Racine - Cher ami.

Shakespeare - Cher ami.

Racine - Le noble coursier dit...

Shakespeare - Le cheval de bois dit...

Le Choeur - Si. Non. Si. Non. Si...

L'Autre - Merci.

Rimbaud (Oh. Oh).

Mallarmé (Eh. Eh).

Cézanne (Ane).

*

Dos à dos.

1re oreille de Picabia : « Les morts ont un masque de vers. »

2e oreille de Picabia : « Les vers ont un masque de morts. »

*

L'Esprit Moderne (presse-papier - Vésuve - suivez le guide).

- Partis à pied de Crécy en 1346.

nous arrivons aujourd'hui à Paris.

*

XVIIe siècle. - Chapeaux melons (2e étage).

Poètes en pleurs les parapluies de vos paupières.

Le PARAPLUIE dans vos cerveaux.

Soulageons la géométrie.

*

Au « Boeuf sur le toit ».

Rimbaud. - Confections. Fournitures pour robes.

Mallarmé. - Diamants. Vente et achat.

Un passant. - Que dites-vous ?

L'Autre. - Qu'ils disent.

P.22 Dialogue à deux Patries.

- Si le pommier ne te surprend

Archer le père vise au but.

A la dernière il se reprend

Il faut le scier au début.

L'Autre. - Le plancher des vaches, le plancher des vaches.

*

Art poétique.

Prenez un ange à fleur de terre entre l'humain et l'inhumain. Prenez l'ascenseur de la Tour Eiffel et montez tous les deux.

A la première plate-forme votre compagnon est un jeune animal. A la deuxième, un monstre sportif (sic), à la troisième, un angle (resic).

Mais à la hauteur du drapeau : C'est un poète.

Soulageons la géométrie.

*

La poésie ? - Quoi ? Quoi ?

Ce qu'on te reproche, cultive-le. C'est toi (Carte blanche)

Enfin vous vous reprochez « Le Prince Frivole ».

Roger VITRAC.

Rosa-Josepha et la vie sexuelle des monstres

La mort de Rosa-Josepha Blazek, le monstre double qui vient de terminer à Chicago sa curieuse existence, a défrayé la chronique de tous les journaux. On a rappelé partout la vie des deux soeurs, on a donné des détails parfois assez contradictoires sur leur fin, on a surtout évoqué le souvenir de l'accouchement dont le produit est normal, bien vivant, âgé d'une douzaine d'années. Mais on a dû s'arrêter là, sans pouvoir, dans les quotidiens, détailler la structure anatomique du célèbre pygopage et en tirer quelque enseignement au point de vue de sa physiologie sexuelle. C'est cependant là un sujet très intéressant qu'il n'est pas inutile de traiter, ne serait-ce que superficiellement, pour des médecins.

Nous sommes, en réalité, assez mal renseignés sur la conformation de Rosa-Josepha, au moins de façon générale. Lorsque les journaux ont avancé, sur la foi d'une dépêche américaine, qu'il n'y avait qu'un seul estomac pour les deux sujets, ils ont bien probablement commis une erreur, car l'estomac n'a pas pour habitude de loger dans des régions aussi basses. D'autre part, des radiographies ont été faites, paraît-il, post mortem, qui auraient démontré qu'il y avait, en un certain point, fusion des deux rachis, mais nous n'en savons pas plus long. Par contre, l'accouchement de Rosa-Josepha nous a fourni, sur la sphère P.23 uro-génitale, des renseignements très précis et là nous pouvons faire quelques réflexions.

Nous savons, en effet, qu'elles possédaient deux utérus, mais un seul vagin, une seule vulve, une seule vessie, un seul urètre. Lors donc que l'on a paru regretter que l'on n'ait pas séparé ces deux soeurs, on n'a pas réfléchi à cette condition anatomique qui aurait obligé à un véritable tour de force chirurgical, à moins que l'on n'eût pris le parti, bien invraisemblable, de sacrifier délibérément l'une des deux. Cette structure nous démontre, en tout cas, que Rosa et Josepha furent toutes deux épouse du père de l'enfant en question. L'une seulement (c'était Rosa) conçut et conduisit à bien la grossesse. C'est, à n'en pas douter, la véritable mère. Puis, le jour de la délivrance venu, Rosa seule encore, connut les douleurs de la période de dilatation. Par contre, celles de l'expulsion leur furent communes et véritablement, Josepha put à bon droit accuser le sort qui la faisait ainsi souffrir. Elle eut encore raison de se plaindre par la suite, puisqu'elle eut comme sa soeur, du lait dans les seins. Marcel Baudouin a fait remarquer à ce propos que si le système nerveux est nettement double, ainsi qu'on le suppose, ce ne sont pas les fibres nerveuses qui peuvent être pour quelque chose dans l'établissement de la secrétion lactée, mais bien le système circulatoire, car celui-ci, évidemment, chez des sujets ainsi conformés, devait être unique en quelques points.

Tout ceci est assez bizarre, on en conviendra, mais certainement moins que la mentalité du monsieur qui put revendiquer la paternité de l'enfant. Il est vraiment regrettable que l'on ne connaisse pas d'interview de lui, car sa psychologie devait être pleine d'originalité. On comprend mieux celle de la pauvre fille que le fait d'être soudée à sa soeur de cette anormale façon n'empêcha pas de succomber, comme tous les humains ou à peu près, à la passion. On ne voit pas bien pourquoi le cerveau des monstres de ce genre ne serait pas fait comme le nôtre et pourquoi ils ne ressentiraient pas les mêmes désirs, sinon les mêmes besoins. Il est même peu aisé de savoir si l'amour conçu pour le monsieur en question le fut par l'une des deux soeurs ou par les deux à la fois, ou même par celle-là seule qui, justement, n'a pas été mère. Tout cela est resté enveloppé d'un profond mystère et le demeurera désormais toujours. En tout cas il paraît certain qu'il a dû y avoir consentement double à l'acte sexuel, car on conçoit mal que celui-ci ait pu être perpétré dans des conditions différentes.

On a parlé, à ce propos, de mariage. J'ignore jusqu'à quel point ce mot est exact et j'ai toutes raisons de supposer qu'il ne l'est en aucune façon. Car enfin, voyez-vous les scrupules qui se présenteraient à l'esprit de l'officier d'état-civil chargé de consacrer cette union légitime ? Renseigné sur la conformation anatomique des deux sujets, il aurait dû faire légale une union qui donnait, en somme, deux femmes à un seul homme. Ignorant au contraire de cette conformation, il ne pouvait prendre une telle responsabilité, car il n'en restait pas moins assuré que toute approche conjugale aurait un témoin qui la rendrait attentatoire à la pudeur. Cruelle énigme, en vérité, qui a dû ne pas même se poser car le pygopage et son époux se sont passé sans doute de toute légitimation de ce genre. P.24 Pas davantage, quoi qu'on en ait dit, les frères Siamois ne durent se marier. Ils eurent cependant des femmes et des enfants. Xiphopages unis par un pont entre le sternum et l'ombilic, ils ne présentaient, par contre, aucune région, génitale commune. Mais le cas le plus complexe est à n'en pas douter, celui d'un monstre xiphodyme, connu sous le nom des frères Tocci. Soudés par leur partie inférieure jusqu'à la base du thorax, constituaient-ils un seul être à deux têtes ou deux êtres à un seul abdomen et à un seul bassin ? Toujours est-il qu'ils ont épousé (?) deux femmes parfaitement distinctes et cette fois je vous laisse à réfléchir sur tout ce qui s'ensuit. Je vous donne seulement, d'après M. Baudouin, cette probabilité que, de leurs deux testicules, l'un appartenait à l'un des frères et le second à l'autre.

Tout ceci n'a pas que des conséquences physiologiques ou morales. Il peut en avoir aussi de judiciaires. Et les faits qui viennent de suivre la mort de Rosa-Josepha Blazek le démontrent péremptoirement. Une lutte semble s'être livrée autour de la fortune rondelette que leur avaient procurée leurs nombreuses exhibitions dans tant de cirques et de music-halls. Si l'on considère, en effet, que l'enfant actuellement vivant (et parfaitement conformé, comme ceux des frères siamois) n'a n'a en elles deux qu'une seule mère, il hérite du million qu'elles laissent. Si l'on peut faire admettre que Rosa seule fut véritablement mère, le frère des deux défuntes peut légitimement réclamer la part de celle qui ne conçut point. Ne nous étonnons pas si c'est ce point de vue, pour nous bien secondaire, qui nous fournira peut-être les meilleurs renseignements sur l'anatomie du défunt pygopage. Jusqu'ici on n'a fait que des radiographies, qui ne pouvaient pas donner grand'chose. Il est probable que l'on a dû, depuis procéder à une autopsie, qui sera beaucoup plus démonstrative et qui, au point de vue biologique pur, sera des plus intéressantes. Peut-être débrouillera-t-elle cet imbroglio, mot juste assez fort en l'espèce, puisque les dépêches dont j'ai parlé plus haut semblent vouloir démontrer que l'on s'est jadis trompé et que c'est non pas Rosa, mais Josepha qui aurait conçu. Ici la chose paraît difficile à admettre, car enfin, si les deux soeurs ont terminé l'accouchement, on doit savoir laquelle des deux l'avait commencé.

Dr Henri BOUQUET.

PARAITRE :

Abominables Fourrures abdominales

Rrose SÉLAVY.

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PARIS. Imprimerie de la Revue LITTÉRATURE

<Fig>

 

NOUVELLE SÉRIE : N° 6, 1er Novembre 1922

DIRECTEUR :

ANDRÉ BRETON

= Rédaction : 42, rue Fontaine, PARIS (IXe) =

Administration : LIBRAIRIE GALLIMARD, 15, boulevard Raspail, PARIS

LITTÉRATURE paraît le 1er de chaque mois

SOMMAIRE

André BRETON :   ENTRÉE DES MÉDIUMS

   RENÉ CREVEL

   ROBERT DESNOS

   BENJAMIN PÉRET

Francis PICABIA :   HISTOIRE DE VOIR

   CONDOLÉANCES

   SAMEDI SOIR 16 SEPTEMBRE 1922

Jacques BARON :   AMOUR

Louis ARAGON :   LE DERNIER ÉTÉ

Max MORISE :   DIFFÉRENTS INDIFFÉRENTS III

HORS-TEXTE : PHOSPHATE, de Francis PICABIA

PRIX DU NUMÉRO

France : 2 francs. - Etranger : 2 fr. 50

ABONNEMENTS

Les 12 numéros : 20 francs pour la France et 25 francs pour l'Étranger

La Collection de la première série de LITTÉRATURE comprend 20 numéros dont plusieurs sont épuisés et se vend 40 francs

P.1 ENTRÉE DES MÉDIUMS

Une manoeuvre imprévue, un rien dont, les yeux à demi fermés les uns sur les autres, nous n'osions même augurer l'oubli de nos querelles, vient de remettre en marche le fameux steam-swing autour duquel nous n'avions pas besoin naguère de nous donner rendez-vous. Voici près de deux ans que l'étrange balançoire avait cessé de fonctionner, non sans nous avoir projetés assez vivement dans les directions les plus diverses, et que nous essayions avec plus ou moins de grâce de reprendre connaissance. Il m'est déjà arrivé de dire que si nous nous rejetions, sans doute à tort et à travers, la responsabilité de l'accident, du moins il n'était pas un seul de nous qui regrettât d'avoir pris place dans le wagon faiblement éclairé du genou des filles, le wagon qui bat la mesure entre les maisons.

A n'en pas douter, nous y sommes de nouveau : Crevel, Desnos et Péret d'une part, Eluard, Ernst, Morise, Picabia et moi d'autre part. On verra tout à l'heure en quoi diffèrent nos positions. Dès maintenant, et sans aucune arrière-pensée, j'ajoute qu'il est trois hommes dont la présence à nos côtés m'apparaît tout à fait nécessaire, trois hommes que j'ai vu se comporter de la façon la plus émouvante au départ précédent et qui, par suite d'une circonstance déplorable, leur absence de Paris, ignorent tout jusqu'ici de ces préparatifs : Aragon, Soupault, Tzara. Qu'ils me permettent de les associer virtuellement à notre aventure *, ainsi que tous ceux qui n'ont pas désespéré de nous, qui se souviennent d'avoir partagé notre conviction première et, en dépit de nous-mêmes, ne l'ont jamais crue à la merci de ses avatars.

* Depuis, en présence de ces phénomènes, l'attitude du second a été au-dessous de tout.

L'angle insolite sous lequel se présentent les faits que j'entreprends de relater justifierait mainte et mainte précaution. Certes il y a longtemps que le mot « Littérature », qu'on trouvera une fois de plus en tête de ces feuillets, semble une étiquette de pure fantaisie. Néanmoins c'est grâce à lui qu'il nous est beaucoup pardonné. Passait encore l'inobservation du rite littéraire, quelques esprits forts y trouveraient leur compte et il paraît que l'art n'en était pas moins bien servi. Mais on n'apprendra pas sans haussement d'épaules que nous avons consenti à nous plier à une formalité autrement imbécile, plus bas il sera temps de dire laquelle ; on verra que l'accomplissement de cette formalité s'impose à qui veut contrôler nos résultats. Je m'attends bien à ce que, lecture faite, beaucoup estiment avec soulagement que la « poésie » n'y perd rien : son compte est bon.

On sait, jusqu'à un certain point, ce que, mes amis et moi, nous entendons par surréalisme. Ce mot, qui n'est pas de notre invention et que nous aurions si bien pu abandonner au vocabulaire critique le plus vague, est employé par nous dans un P.2 sens précis. Par lui nous avons convenu de désigner un certain automatisme psychique qui correspond assez bien à l'état de rêve, état qu'il est aujourd'hui fort difficile de délimiter. Je m'excuse de faire intervenir ici une observation personnelle. En 1919 mon attention s'était fixée sur les phrases plus ou moins partielles, qui, en pleine solitude, à l'approche du sommeil, deviennent perceptibles pour l'esprit sans qu'il soit possible de leur découvrir une détermination préalable. Ces phrases, remarquablement imagées et d'une syntaxe parfaitement correcte, m'étaient apparues comme des éléments poétiques de premier ordre. Je me bornai tout d'abord à les retenir. C'est plus tard que Soupault et moi nous songeâmes à reproduire volontairement en nous l'état où elle se formaient. Il suffisait pour cela de faire abstraction du monde extérieur et c'est ainsi qu'elles nous parvinrent deux mois durant, de plus en plus nombreuses, se succédant bientôt sans intervalle avec une rapidité telle que nous dûmes recourir à des abréviations pour les noter. « Les Champs magnétiques » ne sont que la première application de cette découverte : chaque chapitre n'avait d'autre raison de finir que la fin du jour où il était entrepris et, d'un chapitre à l'autre, seul le changement de vitesse ménageait des effets un peu différents. Ce que j'en dis, sans préjudice de ridicule ou de réclame, tend surtout à établir qu'en l'absence de toute intervention critique de notre part les jugements auxquels nous nous exposions en publiant un tel livre a priori tombaient à faux. Nous n'en risquions pas moins, en prêtant même malicieusement l'oreille à une autre voix que celle de notre inconscience, de compromettre dans son essence ce murmure qui se suffit à lui-même et je pense que c'est ce qui arriva. Jamais plus par la suite, où nous le fîmes sourdre avec le souci de le capter à des fins précises, il ne nous entraîna bien loin. Et pourtant il avait été tel que nous n'attendons encore de révélation que de lui. Je n'ai jamais cessé d'être persuadé que rien de ce qui se dit ou se fait ne vaut hors de l'obéissance à cette dictée magique. Il y a là le secret de l'attraction irrésistible qu'exercent certains êtres dont le seul intérêt est de s'être un jour faits l'écho de ce qu'on est tenté de prendre pour la conscience universelle, ou, si l'on préfère, d'avoir recueilli sans en pénétrer le sens à la rigueur, quelques mots qui tombaient de la « bouche d'ombre ».

De temps à autre il est vrai que je m'en réfère à un autre point de vue et cela parce que selon moi tout l'effort de l'homme doit être appliqué à provoquer sans cesse la précieuse confidence. Ce que nous pouvons faire est de nous porter au-devant d'elle sans crainte de nous égarer. Bien fou qui l'ayant approchée un jour se vante de la retenir. Elle n'a chance d'appartenir plusieurs fois qu'à ceux qui sont rompus à la gymnastique mentale la plus complexe. Ces derniers s'appellent aujourd'hui Picabia, Duchamp. Chaque fois qu'elle se présente, presque toujours de la façon la plus inattendue, il s'agit donc de savoir la prendre sans espoir de retour, en attachant une importance toute relative au mode d'introduction qu'elle a choisi auprès de nous.

Pour en revenir au « surréalisme » j'étais arrivé ces derniers temps à penser que l'incursion dans ce domaine d'éléments conscients le plaçant sous une volonté humaine, littéraire, bien déterminée, le livrait à une exploitation de moins en P.3 moins fructueuse. Je m'en désintéressais complètement. Dans le même ordre d'idées j'avais été conduit à donner toutes mes préférences à des récits de rêves que pour leur épargner semblable stylisation je voulais sténographiques. Le malheur était que cette nouvelle épreuve réclamât le secours de la mémoire, celle-ci profondément défaillante et, d'une façon générale, sujette à caution. La question ne semblait guère devoir avancer, faute surtout de documents nombreux et caractéristiques. C'est pourquoi je n'attendais plus grand'chose de ce côté au moment où s'est offerte une troisième solution du problème (je crois bien qu'il ne reste qu'à la déchiffrer), solution où interviennent un nombre infiniment moins considérable de causes d'erreur, solution par suite des plus palpitantes. On en jugera à ce fait qu'après dix jours les plus blasés, les plus sûrs d'entre nous, demeurent confondus, tremblants de reconnaissance et de peur, autant dire ont perdu contenance devant la merveille.

***

Il y a une quinzaine de jours, à son retour de vacances, René Crevel nous entretint d'un commencement d'initiation « spirite » dont il était redevable à une dame D... Cette personne, ayant distingué en lui de qualités médiumniques particulières, lui avait enseigné le moyen de les développer et c'est ainsi que, dans les conditions requises pour la production de ce genre de phénomènes (obscurité et silence de la pièce, « chaîne » des mains autour de la table) il nous apprit qu'il parvenait rapidement à s'endormir et à proférer des paroles s'organisant en discours plus ou moins cohérent auquel venaient mettre fin en temps voulu les passes du réveil. Il va sans dire qu'à aucun moment, du jour où nous avons consenti à nous prêter à ces expériences, nous n'avons adopté le point de vue spirite. En ce qui me concerne je me refuse formellement à admettre qu'une communication quelconque existe entre les vivants et les morts.

Le lundi 25 septembre, à neuf heures du soir, en présence de Desnos, Morise et moi, Crevel entre dans le sommeil hynotique et prononce une sorte de plaidoyer ou de réquisitoire dont il n'a pas été pris note (diction déclamatoire, entrecoupée de soupirs, allant parfois jusqu'au chant, insistance sur certains mots, passage rapide sur d'autres, prolongement infini de quelques finales, débit dramatique, il est question d'une femme accusée d'avoir tué son mari et dont la culpabilité est contestée du fait qu'elle a agi à la requête de ce dernier). Au réveil Crevel ne garde aucun souvenir de son récit. On l'exclut de l'expérience suivante, entreprise à sa participation près, dans les mêmes conditions. Aucun résultat immédiat. Au bout d'un quart d'heure, Desnos qui se tenait pour le plus impropre à offrir de telles manifestations, fortifié qu'il était dans cette opinion par l'échec qu'en ma compagnie il avait infligé quelques jours auparavant à deux magnétiseurs publics, MM. Donato et Benevol, laisse tomber la tête sur son bras et se met à gratter convulsivement P.4 la table. Il se réveille seul quelques instants plus tard, persuadé de ne pas s'être comporté autrement que nous. Pour le convaincre de son erreur, nous devons séparément lui notifier par écrit ce qui s'est passé.

Crevel nous ayant dit que l'action de gratter la table pouvait témoigner du désir d'écrire, il est convenu que la fois suivante on placera un crayon dans la main de Desnos et une feuille de papier devant lui. C'est ainsi que le surlendemain, dans des circonstances analogues, nous le voyons écrire sous nos yeux, sans bouger la tête, les mots : 14 juillet - 14 juil surchargés de signes + ou de croix. C'est alors que nous prenons le parti de l'interroger :

Que voyez-vous ?

- La mort.

Il dessine une femme pendue au bord d'un chemin.

Ecrit : près de la fougère s'en vont deux (le reste se perd sur la table).

Je pose à ce moment la main sur sa main gauche.

Q. - Desnos, c'est Breton qui est là. Dis ce que tu vois pour lui.

R. - L'équateur (il dessine un cercle et un diamètre horizontal).

<Fig>

Q. - Est-ce un voyage que Breton doit faire ?

R. - Oui.

Q. - Sera-ce un voyage d'affaires ?

R. - (Il fait non de la main. Ecrit :) Nazimova.

Q. - Sa femme l'accompagnera-t-elle dans ce voyage ?

R. - ????

Q. - Ira-t-il retrouver Nazimova ?

R. - Non (souligné).

Q. - Sera-t-il avec Nazimova ?

R. - ?

Q. - Que sais-tu encore de Breton ? Parle.

R. - Le bateau et la neige - il y a aussi la jolie tour télégraphe - sur la jolie tour il y a un jeune (illisible).

Je retire ma main. Eluard pose la sienne à la place.

Q. - C'est Eluard.

R. - Oui. (Dessin).

Q. - Que sais-tu de lui ?

R. - Chirico.

Q. - Rencontrera-t-il prochainement Chirico ?

R. - La merveille aux yeux mous comme un jeune bébé.

Q. - Que vois-tu d'Eluard ?

P.5 R. - Il est bleu.

Q. - Pourquoi est-il bleu ?

R. - Parce que le ciel niche dans (un mot inachevé, indéchiffrable, toute la phrase est biffée rageusement).

La main de Péret remplace celle d'Eluard.

Q. - Que sais-tu de Péret ?

R. - Il mourra dans un wagon plein de gens.

Q. - Est-ce qu'il sera assassiné ?

R. - Oui.

Q. - Par qui ?

R. - (Il dessine un train, un homme qui tombe par la portière). Par un animal.

Q. - Par quel animal ?

R. - Un ruban bleu ma douce vagabonde.

Long silence puis : Ne parlez plus d'elle, elle va naître dans quelques minutes

La main d'Ernst remplace celle de Péret.

Q. - C'est Ernst qui te donne la main. Tu le connais ?

R. - Qui ?

Q. - Max Ernst.

R. - Oui.

Q. - Vivra-t-il longtemps ?

R. - 51 ans.

Q. - Que fera-t-il ?

R. - Il jouera avec les fous.

Q. - Sera-t-il heureux avec ces fous ?

R. - Demandez à cette femme bleue.

Q. - Qui est cette femme bleue ?

R. - LA.

Q. - Quoi ? La ?

R. - Tour.

On met fin au sommeil de Desnos. Réveil en sursaut précédé de gestes violents.

Il est à noter que le même jour, avant Desnos, Crevel a repassé par un état analogue à celui du lundi (nouvelle histoire criminelle, toutefois plus obscure : La femme sera nue et c'est l'homme le plus vieux qui tiendra la hache.

Au cours d'un troisième essai auquel prennent part Eluard, Ernst, Morise, Péret, une jeune fille qui accompagne ce dernier : Mlle Renée et moi, Mlle Renée s'endort la première. Elle apparaît aussitôt en proie à une grande agitation et lance des phrases haletantes. Elle répond aux questions. Le gouffre... La sueur de mon père... Elle m'inonde. La sueur incolore de mon père m'inonde (Répétitions, marques d'effroi).

Une dernière tentative donne lieu au bout de quelques minutes à une explosion P.6 de rire de Péret, brusque et très prolongée. Dort-il ? On parvient à grand'peine à lui arracher quelques mots.

Que voyez-vous ?

- De l'eau.

- De quelle couleur est cette eau ?

Même réponse. Ton de l'évidence.

Il se lève précipitamment sans y être invité, se jette à plat ventre sur la table et fait le simulacre de nager.

Je juge fastidieux d'insister plus longtemps sur le caractère de chaque phénomène et sur les circonstances dans lesquelles nous l'avons vu se produire : Eluard, Ernst, Morise et moi qui, malgré toute notre bonne volonté, ne nous sommes pas encore endormis.

Au reste le caractère de ce qui va suivre est tel que je ne saurais rien y ajouter.

René Crevel

Samedi 7 octobre. Parlé.

La négresse aux bas blancs aime tellement les paradoxes ! La saison des petites plantes dans des pots encore plus petits est pourtant passée mais je dis : la négresse aux bas blancs aime tellement les paradoxes, aime tellement les paradoxes, qu'elle brode des baguettes noires sur ses bas blancs et encore des baguettes blanches sur les baguettes noires. Vovez cette femme qui est devenue un peu folle, ma foi, le jour où elle s'est aperçue qu'elle n'avait pas l'intérieur des mains noir. Et ceci se passait à Dunkerque.

Les empereurs nègres ont toujours fait usage de T. S. F. à monoplan et elle était arrivée dans un pays où il n'y a jamais de soleil ; sa mère vendait des cacahuètes et quand cette femme devint mère dans l'hôpital de sa ville natale et qu'on lui eut dit : « Ce petit morceau de chair un jour deviendra noir » ... elle en est morte de saisissement. Le docteur, joyeux drille, et sa femme dirent : « Nous allons adopter cette négresse » et comme cette fille est un peu folle on en fait une enfant de Marie.

A 17 ans !... Deauville plage fleurie... Les gens de Dunkerque économisent toute l'année pour prendre trois repas au Normandy. Et elle n'aimait pas le homard à l'américaine !

Désillusion ! romantisme ! romantisme ! vous avez la paume des mains blanche P.7 et vous vous appelez négresse mais négresse superbement puisque l'on vous fait la paume blanche pour que vous paraissiez plus foncée.

Le garçon se dit : « Drôle de clientèle, je n'aurai sûrement pas de pourboire » et le négre du banjo à qui elle fait de l'oeil ne peut pas l'aimer car il est normal et ne peut aimer que des blanches, aimer horriblement. Cette négresse est paradoxale puisque, pour aller au Casino, elle se met nue et met des bas blancs. Elle fait pousser des palmiers dans des dés à coudre et elle écoute chanter les mouettes qui deviendront des aigles. Ce sont des aigles après tout : est-ce leur faute si leur rocher s'est transformé en eau ?

Il y aurait aussi à parler de cet imbécile, Denis Papin et sa marmite, et il y a aussi les locomotives. Car l'eau n'est pas seulement de l'eau dans cette salle de bains à 1000 degrés, blanche comme l'intérieur de sa main qui s'élargit en bouée. Voyez : elle est plus immense que n'importe où car il n'y a rien de plus paradoxal qu'une salle de bains paradoxalement verte et blanche où le coton tresse l'infini du Sahara. Sahara de vapeur plus atroce que les Saharas de sable. Nous avons eu pourtant dans les yeux ces cailloux et ce sable et ce feston autour d'un feston rouge et qui sait, cette négresse avait peut être un oeil bleu, cela aurait fait un drapeau tricolore mais, nom de Dieu, pas de drapeau, le paradoxe est de deux couleurs. Les couturiers en ont abusé, du noir et blanc, mais la négresse s'en fout comme cette femme saharienne qui a connu un jour le désert dans une salle de bains mais l'infini est dans cet espace compris entre deux plis de peau et si cette femme ou le désert aimait être autre chose... Le désert c'est un cube de verre, mais, me direz-vous, l'abbé, du verre qui fond comme ont fondu ces yeux d'une amazone saharienne, yeux immenses d'où sont nées ces mines de diamants à la poursuite desquelles les explorateurs sont partis, à l'image d'une femme pour laquelle la politique européenne du XXe siècle s'est trouvée bouleversée. Elle a mis ses bas blancs mais cela importe peu dans cette histoire et, si elle se marie, elle se mariera en robe blanche, mais, comme la famille a dissipé son patrimoine pour manger du homard à l'américaine la noce se fera en métro à la station « Opéra ».

Pourquoi te plains tu, si tu te maries dans une cathédrale à l'aspect de water-closet ton mariage n'en sera plus putride et puis, dans une salle de bains, tu auras la ressource de la buée quand cet homme qui est contrôleur du métro ou général ou peut-être Napoléon descendu du dôme des Invalides t'emmerdera, prends une casse-role d'eau et va la faire chauffer à la station de métro « Opéra » et, si tu relèves tes jupes on verra un peu de chair noire entre les bas et la combinaison, et s'ils ont pitié de toi ils passeront leurs mains sur ton front et...

RÉVEIL

P.8 Robert Desnos

Jeudi 28 septembre.

Ecriture spontanée : Salut angélique.

Dessin obscur surchargé des mots : le 25 octobre 1926 à Nîmes.

Nîmes.

La poule qui se

La

Dessin d'une flèche.

25 octobre 1926 à Nîmes * à midi.

* A noter ici la possibilité d'une association d'idées fort singulière, Mme Paul Eluard, désignée apparemment dans l'écriture de Desnos par la Tour, se prénomme Gala. Sied-il de se reporter aux deux vers connus :

Gal, amant de la reine, alla (tour magnanime)

Galamment de l'arène à la tour Magne à Nîmes ?

Dessin d'un oeil. Une flèche désigne le centre de l'iris.

Même dessin sur la feuille suivante.

Je pose ma main. On lui dit que c'est moi.

R. - Le volubilis et je sais l'hypoténuse.

Main de Fraenkel.

Q. - Qui est Fraenkel ?

R. - Un ventre ouvert et un oeuf DEDANS.

Main de Klein.

Q. - Qu'as-tu à lui dire ?

R. - Qu'il fasse attention à son oeil droit et à la femme en deuil rouge.

Spont. Où est Toussaint Louverture ?

Main d'Ernst.

Q. - Qui est Ernst ?

R. - Le rail synonyme d'empereur et la flûte au son si doux si doux doux si doux si doux.

Q. - Qui est-ce qui écrit ?

R. - C'est Toussaint Louverture.

<Fig>

RÉVEIL

Desnos s'endort une seconde fois dans la soirée du 28 septembre.

Ecriture spontanée : umidité (sic) puis mot illisible.

P.9 Je connais un repère bien beau.

On lui ordonne à ce moment d'écrire un poème 1.

1. Plus tard Desnos, en ayant pris connaissance, et toutes réserves faites sur la personnalité véritable de son auteur, a manifesté le désir qu'à sa parution dans Littérature il portât la dédicace : A Francis Picabia.

Nul n'a jamais conquis le droit d'entrer en maître dans la ville concréte où s'accouplent les dieux il voudrait inventer ces luxures abstraites et des plantes doigts morts au centre de nos yeux

Coeur battant nous montons à l'assaut des frontières les faubourgs populeux regorgent de champions remontons le courant des nocturnes artères jusqu'au coeur impassible où dormiront nos voeux

Ventricu le drapeau clairon de ces pays l'enfant gâté par l'amour des autruches au devoir de mourir n'aurait jamais failli si les cigognes bleues se liquéfiaient dans l'air

Tremblez tremblez mon poing (dussé-je avaler l'onde) a fixé sur mon ventre un stigmate accablant 2 et les grands cuirassés jettent en vain leur sonde aux noyés accroupis au bord des rochers blancs.

2. C'est à la fin de ce vers que nous avons arrêté Desnos, pensant que le poème que dans la demi obscurité nous ne pouvions lire, était fini. Il se prêta de bonne grâce aux questions qui suivirent et c'est au bout de cinq ou dix minutes que sans transition il écrivit les deux derniers vers que nous ne reconnûmes pas tout d'abord.

Spont. La Tour.

Q. - Qui est la tour ? Une femme ?

R. - Oui, naturellement.

Q. - Tu la connais ?

R. - Oui (appuyé, crayon cassé).

Q. - Est-elle belle ?

R. - Je ne sais.

Q. - A-t-elle d'autres qualités ?

R. - Je ne l'aime pas.

Q. - Est-elle ici ?

R. - Oui (crayon cassé).

P.10 Q. - Il ne faut plus parler d'elle ?

R. - If you want.

Q. - Que feras-tu dans cinq ans ?

R. - Le fleuve (l'e final commence un dessin de vague, petit bateau, fumée). Ecrit avec beaucoup d'application : elle s'appelle Bergamote.

Q. - Que fera Breton dans cinq ans ?

R. - (Dessin du cercle avec son diamètre) Picabia Gulf Stream Picabia.

Q. - Aimes-tu Breton ?

R. - Oui (crayon cassé) puis lisiblement : oui.

Dessin d'une flèche.

Q. - Que fera Eluard dans cinq ans ?

R. - 1.000.000 frs.

Q. - Que fera-t-il de cet argent ?

R. - La guerre à la flotte.

Q. - Qui est Max Ernst ?

R. - Le scaphandrier et la grammaire espagnole.

Q. - Que penses-tu de Simone Breton ?

Pas de réponse.

Q. - Qui est elle ? Que vois-tu pour elle ?

R. - Je (biffé) volubilis (dessin de l'oeil avec la flèche) la belle aimée (dessin par-dessus lequel on lit :) le cheval.

Q. - C'est Gala Eluard qui te donne la main.

R. - Dessin ci-contre.

Q. - Que vois-tu pour elle ?

R. - L'heure fatale ou cela cela vous verrez

<Fig>

Q. - Que fera-t-elle ?

R. - Dessin d'une clé de sol.

Q. - Mourra-t-elle bientôt ?

R. - Opéra opéra.

(Ici se placent les deux vers : Et les grands cuirassés... etc.

Q. - Est-ce tout pour Gala Eluard ?

R. - O il y aura des allumettes de trois couleurs (dessin d'une main appuyée à une courbe) main contre la lune.

Q. - Que sais-tu de Max Ernst ?

R. - La blouse blanche de Fraenkel à la Salpétrière.

Q. - Qui est Max Ernst ?

R. - Un fa dièze.

RÉVEIL

Samedi 30 septembre. - Spont. Ah ! (puis mot illisible).

Q. - Où es-tu ?

R. - Robespierre.

P.11 Q. - Y a-t-il ici plusieurs personnes ?

R. - La multitude.

Robespierre (d'une très grande écriture) Robespierre.

Ici Desnos se met pour la première fois à parler. Voix sourde, triste, légèrement menaçante. On entend :

Ils deviendront plus blancs que l'étendard abhorré de la monarchie... Des lâches, des lâches... Et ce col blanc que vous me reprochez comme une parure inutile... vous jalousez le cou élégant qui en sort... Vous êtes des forgerons échappés de vos forges nocturnes... nocturnes... La guillotine... la guillotine... Je suis seul. Vous êtes la multitude et vous tremblez devant mon regard vert.

Q. - Derrière Robespierre qu'y a-t-il ?

R. - Un oiseau.

Q. - Quel oiseau ?

R. - L'oiseau de paradis

Q. - Et derrière la foule ?

R. - La (dessin représentant la guillotine. Ecrit :) le joli sang canapé.

Q. - Et quand Robespierre et la foule ne seront plus en contact, que se passerat-il ?

R. - La belle chanson amour de ma vie de ma vie innommée (crayon cassé).

Q. - Que deviendra la foule ?

R. - Que m'importe ?

Q. - Que deviendra Robespierre ?

R. - Le ciel.

Spont. Boy of my soul as a sky so white do is my boy my boy my boy where is the blue sky - the boat of my hair a beautiful steamer star boat.

Q. - Que faisait Breton il y a beaucoup d'années ?

R. - (Dessin du cercle avec son diamètre) dans 2.

Q. - Que vois-tu de ses relations avec Vaché ? De quel ordre sont-elles ?

R. - La Loire à 5 h. du soir un mardi d'otomne (sic).

Q. - Jacques Vaché est mort, tu le sais ?

R. - Non (puis de plus en plus furieusement, une dizaine de fois) Non (trois crayons cassés).

Q. - Ou est Vaché ? Que fait-il ?

R. - Il est (hésitation) non.

Q. - Que sais-tu encore de Vaché ?

R. - (Dessin, sans doute un soldat fumant la pipe) la fleur mauve.

Spont. Des larmes.

Q. - Pourquoi ?

R. - Ma mort - que dire de moi ?

Q. - Si ta mort est proche écris un poème.

R. - Tout est proche sous l... (puis :)

P.12 Tempête sur mon front que meurent les batailles et le sanglot

Voici la sonnette qui annonce la guerre et la fin de l'entr'acte

Ce ciel est une bouche où trouver mes baisers ceux qui me manquent.

Main d'Eluard.

Q. - Qui est là ?

R. - Paul Eluard.

Q. - Eluard écrira-t-il longtemps des poèmes ?

R. - Toujours.

Q. - Quand mourra-t-il ?

R. - Il mourra un jour d'un octobre.

Q. - Quand mourra-t-il ?

R. - (Dessin d'étoile) Dans 25 ans.

Q. - Es-tu bien ?

R. - Oui.

Q. - Que voudrais-tu faire ?

R. - Voler.

Main d'Ernst.

Q. - Quelle main touche la tienne ?

R. - Ernstestne.

Q. - A quoi est-il destiné ?

R. - Fou.

Q. - Quelle folie ?

R. - Le miel.

R. - Désires-tu quelque chose ?

R. - Voler.

<Fig>

RÉVEIL

Benjamin Péret

Lundi 2 octobre.

On lui dit : Il fait chaud. (Toutes les réponses sont parlées).

R. - Habillez-moi.

Q. - Où allez-vous ?

R. - Où on me mènera (puis :) Là où les hommes tombent morts, morts comme tombe la neige.

Q. - Où est ce pays ?

P.13 R. - Là (doigt tendu).

Q. - Est-ce en Europe, en Asie, etc. ?

R. - Non.

Q. - Dans une autre planéte ?

R. - Oui.

Q. - Jupiter ?

R. - Non. La plus éloignée de la terre.

Q. - Qu'y voyez-vous ?

R. - Une grande lame bleue... une grande lame bleue... qui roule, qui roule...

A partir de ce moment le visage de Péret prend une expression d'extase qui ne le quittera plus jusqu'au réveil. Il est tout à son étonnement, il rit aux anges.

Q. - A quoi sert-elle ?

R. - A rien.

Q. - Y a-t-il des animaux ?

R. - Un oeuf... un oeuf... un oeuf. Un oeuf tout rouge... Il roule (se reprenant :) il saute.

Q. - Est-il gros ?

R. - Très gros... très gros.

Q. - Plus gros qu'un homme ?

R. - Oh oui.

Q. - Qu'y a-t-il encore ?

R. - Des plantes comme du poil... Ça monte, les plantes, ça monte vite !

Q. - Décrivez-les.

R. - Toutes rondes.

Q. - De quelle couleur ?

R. - Toutes brunes... toutes brunes. Oh ! ça s'écrase.

Q. - Quoi ? Les plantes ?

R. - Oh ! qu'est-ce qui me tombe sur la tête ? C'est lourd, lourd. Ça tombe comme ça ! Je peux plus me lever.

Q. - Est-ce qu'il y a des bicyclettes ?

R. - Qu'est-ce que c'est que ça ?... Ah ! c'est comme de l'eau qui m'est tombée dessus. Ça ne coule pas.

Q. - Est-ce qu'on y fait l'amour ?

R. - Je ne vois rien.

Q. - Est-ce qu'il y a des maisons ?

R. - Il y a des trous.

Q. - Qu'y a-t-il dans ces trous ?

R. - Sais pas.. Je vois des choses, je ne sais pas ce que c'est, dans quelque chose, c'est pas l'air, c'est au-dessus de moi, c'est... ça ne ressemble à rien.

Q. - De quelle couleur sont ces choses ?

R. - Presque noires.

Q. - Et ce qui remplace l'air ?

R. - C'est rose.

P.14 Q. - Y a-t-il de l'eau ?

R. - Non, il n'y a pas d'eau.

Q. - Avez-vous rencontré des gens ?

R. - J'ai rencontré des plantes.

Q. - Vous leur avez parlé ?

R. - Oui.

Q. Quelle langue ?

R. - Sais pas.

Q. - Vous rappelez-vous la France ?

R. - Non.

Spont. Des choses dans l'air... Ça change de forme... C'est presque... Ça ressemble à un gros chrysanthéme.

Q. - Ça sent bon ?

R. - Ça n'a pas d'odeur.

Q. - Est-ce qu'on entend des bruits ?

R. - Oui... toujours... comme des sifflets.

Q. - Qu'est-ce qu'on mange ?

R. - On ne mange pas.

Q. - Est-ce qu'on dort ?

R. - Je ne sais pas.

Q. - Voulez-vous marcher un peu ?

R. - Pas besoin.

Q. - Quel âge avez-vous ?

R. - Sais pas.

Spont. Je n'ai jamais vu la nuit.

Q. - Est-ce qu'il y a des bureaux de poste ?

R. - Qu'est-ce que c'est ?

- Pour faire partir des lettres.

- Qu'est-ce que c'est, des lettres ?

- Pour envoyer des nouvelles à ses amis.

- Je n'ai pas d'amis.

Q. - Comment vous appelez-vous ?

R. - Je ne sais pas.

Q. - Est-ce que vous savez lire ?

R. - Qu'est-ce que c'est ?

Spont. Un grand animal !

Q. - Où est-il ?

R. - Devant moi, qui trotte tout près, dans l'air.. c'est pas de l'air.

Q. - Qu'est-ce que c'est ?

R. - Je ne sais pas.

Q. - Comment est-il cet animal ?

R. - Il est plat.

Spont. Il n'y a pas d'eau.

P.15 Q. - Qui vous a reçu quand vous êtes descendu ici ?

R. - Je suis pas descendu. Je suis venu... c'était comme ça.

Q. - Vous allez rester longtemps ?

R. - Je sais pas (hésitation) non je ne sais pas.

Q. - Connaissez-vous quelqu'un ?

R. - Non.

Q. - Avez-vous connu quelqu'un ?

R. - Non.

Q. - Renée. Ce nom ne vous rappelle rien ?

R. - Non.

Q. - Que voulez-vous ?

R. - De l'eau.

Q. - Pour vous laver ?

R. - Non.

Q. - Pour boire ?

R. - Non.

Q. - Pourquoi faire ?

R. - Pour voir.

Q. - Qu'est-ce qui vous fait rire ?

R. - Je ne sais pas : je ris.

Q. - Est-ce qu'il y a des femmes ?

R. - (Air extrêmement intéressé). Je ne sais pas. Qu'est-ce que c'est ?.. Je ne sais pas très bien.

Q. - Souhaiteriez-vous faire l'amour ?

R. - Non.

Q. - Que faites-vous ?

R. - Rien.

Q. - Qu'allez-vous devenir ?

R. - Rien.

Q. - Comment êtes-vous fait ? Avez-vous une tête, des bras, des jambes ?

R. - Non.

Q. - Avez-vous une âme ?

R. - Il n'y a pas d'âme.

Q. - Un esprit ?

R. - Non.

Q. - Des yeux ?

R. - Je ne vois rien.

Q. - Tout à l'heure vous voyiez quelque chose ?

R. - Je comprenais.

Spont. Ça roule, ça roule, loin, oh ! très loin. Un gros oeuf...

Q. - Est-ce toujours le même ?

R. - Oh non il y en a beaucoup. Ça saute haut ! Ah les plantes, (agitation) ah les plantes, qui poussent...

P.16 Q. - Voulez-vous vous en aller ?

R. - Pourquoi faire ?

Q. - Vous connaissez Péret ?

R. - Non.

Q. - Et que font les plantes ?

R. - Elles poussent.

Q. - Voulez-vous vous moucher ?

- Pourquoi ?

- Vous avez besoin,

- Non.

Q. - Qu'arrivera-t-il demain ?

R. - De l'eau à six heures. (Il rit).

Q. - Qu'y a-t-il de drôle ?

R. - Toujours les plantes.

Q. - Ça pousse ?

R. - Ça diminue ! Les oeufs sautent parmi les plantes.

Q. - Ils ne se cassent pas en tombant ?

R. - Non : ça s'aplatit et ça reprend sa forme après.

Q. - Voulez-vous venir avec moi ?

Pas de réponse.

On lui dit : Vous êtes à Paris, voici la Tour Eiffel, le soldat inconnu. Que voyez-vous ?

R. - Toujours les plantes.

RÉVEIL

André BRETON.

P.17 HISTOIRE DE VOIR

Les années passent, les boutiques ont des rideaux de mousseline. L'hystérie est accroupie sur ses talons, serrant dans ses mains une vipère en bois ; une bague est accrochée à la queue et dans le nez de ce petit serpent est incrusté un diamant ; dans ce diamant on peut voir, en le mettant tout près de son oeil, une femme agenouillée, elle parle et nous dit : « Demain sera moins beau qu'un secret, moins beau qu'un mauvais conseil, demain est un promontoire de pierres, de feuilles mortes, de flaques d'eau où la mélancolie à pas lents et sans lumière, sans chaleur et sans couleur, veut bleuir les fenêtres des sentiments chrétiens. »

Mon coeur aboie et bat, mon sang est un chemin de fer sans gare qui mène à Barcelone. Mon corps est un bocal d'excellent opium qui sert à charmer mes loisirs.

Paris est plus grand que Picabia mais Picabia est la capitale de Paris ; Breton est un grand fleuve de tabac turc et la mer se jette dans ce fleuve pour monter vers l'Infini.

Duchamp fait des grimaces dans les glaces du Pôle Sud comme si nous étions là ! Marcel, il faut teindre les icebergs en bleu, rose, vert, rouge, puis les couvrir de salive ; Gabrielle Buffet fera du ski sur leurs pentes multicolores en rêvant à sa correspondance du boulevard et dans le monde entier les grooms seront déguisés en magistrats.

Il est plus facile de nager dans l'eau sale que dans l'eau propre ; l'eau sale est plus lourde, dans l'eau de cuisine inutile de savoir nager ; les vieillards y clapotent avec bonheur et tous les crétins y font la planche. Canudo est chef baigneur des Eaux-Grasses ! Gonzague-Frick y enfonce sa tête pour savoir si vraiment c'est écrit en bon français ; nous, nous nageons dans le merveilleux cristal des sources de l'horizon.

Entre ma tête et ma main, il y a toujours la figure de la mort.

Francis PICABIA.

P.18 AMOUR

Tu t'en vas fatigué homme aux huit cerveaux mâles

N'as-tu pas un fauteuil en osier sous une arche

avec des coussins carrés

rembourrés de plumes de paon

Douce douce coule Matine

fleur difoliée ou femme assurément

que j'aime aux yeux curieux aussi

comme une belle à la toilette

Un parfum charnu comme un sein

vole autour de ma longue tête

Moi alpiniste blanc comme neige

et pâle

homme de foi alerte et vive

je vois trembler des émaux

et des morts qui étaient drôles

sont saouls et charment des amants

des amants qui ont des fleurs

pleines d'encre ou bien de poussière

Jacques BARON.

P.19 CONDOLÉANCES

Je suis véritablement en admiration devant Georges Ribemont-Dessaignes ; il soigne son style au point de le faire aimer de tous les idiots servant d'ornement à la littérature française, il écrit en ménageant ses effets philosophiques, il met dans sa sauce du laurier, du poivre rouge, du piment, enfin tout ce qu'il peut trouver dans le vieux tiroir de son arrière-cuisine. Il sert le tout chaudement et attend que ses admirateurs lui disent : « Epatant vraiment, extraordinaire, exquis, quel maître ! Ce plat a toute la finesse de la cuisine chinoise ; peut-être est-ce un peu fort, nous avons mal à la langue, mais qu'importe, les vins sont bons, buvons là-dessus, grisons nous ! »

Ainsi le tour est joué, les consommateurs n'ont plus qu'à aller aux cabinets.... tout comme Mme Durand ou M. Poincaré !

Voyez-vous, cher ami, toutes vos belles phrases, qui ressemblent plus ou moins aux boniments de Longuet, sont pour nous dire que tout est une mauvaise convention et que vous êtes un grand philosophe, une « fausse gloire » comme dit votre ami Tristan Tzara.

M. Tristan Tzara est un homme prévoyant ; il préfère « les fausses gloires aux vraies ! »

Mon cher Tzara, je crains bien que vous ne bénéficiiez jamais de l'une ni de l'autre ; parce que quelques hommes se sont amusés avec vous, ce n'est pas une raison pour vous croire un personnage qui attire les yeux du monde entier. Vous êtes un bon petit truqueur, pas maladroit. Vous avez été une distraction semblable à celles que l'on trouve dans tous les théâtres et music-halls durant les entra'ctes, et c'est tout.

Il est certain que vous avez encore moins vendu d'exemplaires de vos oeuvres que Rimbaud ou Lautréamont, de là il n'y a qu'un pas à faire pour arriver à suggestionner nos semblables en leur disant que le petit Tzara est le plus grand de tous parce qu'il ne ressemble ni à Napoléon, ni à Wagner !

Ce n'est pas mal imaginé pour plaire aux imbéciles !

Philippe Soupault flirte avec la bêtise et vulgarise supérieurement Henri Rousseau ! Qui aurait cru cela lorsqu'il disait d'une voix frisée et baudelairienne au public des Indépendants : « Nous ne voulons plus d'art pendant trente ans. » Maintenant il est directeur des Ecrits Nouveaux, il aurait préféré être directeur de la Nouvelle Revue Française ou du Mercure de France, mais on fait ce qu'on peut.... Il y a certaines plantes qui donnent une fleur et meurent après, je crois que Soupault est de cette espèce végétale.

Francis PICABIA.

P.20 PITHÉCOMORPHES

Le Mahométan est excité par la nudité du visage féminin, l'Européen par les mollets ; l'artiste malin excite le public de la même façon. - Il ne veut pas que l'on reproduise ses oeuvres mais il ne se cache pas. - Dans l'autre cas il se cache mais exhibe ses oeuvres. Le meilleur moyen des deux, est celui qui a le moins servi.

Je dédie cette pensée à mes bons amis Brancusi et Marcel Duchamp.

L'ESPRIT DE FAMILLE A RENDU L'HOMME CARNIVORE.

Francis PICABIA.

LE DERNIER ÉTÉ

Berlin, fin septembre.

Venons-nous de franchir une période d'éclipses ou de queues de comètes ? Dans les moyens de transport en commun c'est la question que se posent avec anxiété le jeune homme au veston d'alpaga et le commis qui porte un carton crevé à la place du coeur. Il est certain, les vieilles gens l'affirment, que nous n'avons plus d'étés. Où donc a disparu la poésie, ce joli peigne en celluloïd si commode après manger et boire baou-baou pour donner l'illusion (l'illusion) d'une sensibilité, bien entendu bien entendue ? Un doute né quelque part sur son essence même ne se propage page page qu'avec la lenteur connue des rides d'eau à la ronde et tout au bout de l'aire immobile encore, quel est ce port au pied d'une statue ? L'alcool seul est interdit en Amérique :

ZADKIEL L'OEIL A LA LENTILLE MAGIQUE

Chasse les puces cria Dieu

et nous dégringolâmes au galop derrière une oreille

la nuque le dos la main

la cuisse le jarret jusqu'au bout du petit ongle de l'orteil - mais

ici c'était une impasse désolée et néanmoins bien que

abandonnée en considération de tout dit et fait,

P.21 les chacals glapirent, Cyclope foudroya extraordinairement

et le jour que j'ai dit quand les chaînes d'elles-mêmes

et le peuple se tombe dans les bras et chantant vers le Seigneur 1.

1. Matthew Josephson.

On peut aujourd'hui sans rire parler de la poésie américaine et c'est pour nous étonner, qui n'avons plus qu'un souvenir lointain de la Gaule il y a 2000 ans (je dis deux mille) s'appelait la France. Sans doute aussi qu'aucun langage ne sonne aussi fort à notre oreille que celui-ci qui a traversé l'Atlantique.

Vie lance ma

Oui, émiette le poing(née lancée de conarefettis) chaque papillon nantun où des mil(lions de papivaci)llon nant brillion de S lanc ; éeenesquiviant que sont Y eux esquive-coi est brillante poignéedemiettes, vitelanc édansqui Est miettespipaillons, mites papillons sont planecheyan, t ; parchaque : un : miettepapilloneux est sont planechest antechoitout ! mil, coi milbrillions ma (lance tremble à poignée en) esquivant sont coibril L yeux est miet tes(tout) si, ye Ux 2.

2. E. E. Cummings.

Il n'y a pas que les mots qu'il soit impossible de traduire. Mon ami Josephson me parle des wagons de fumée chaude où les commis-voyageurs hurlent les passions populaires, tandis que le grand froid extérieur comme une lame d'épée passe à la vitesse de vous ne me croiriez pas, mais ici les meilleurs hommes entraînés dans la chute du mark redécouvrent les vitraux du moyen-âge pareils au bleu de leurs yeux. Arp mange les petits enfants. Que lit-il ? Alfred Mombert, plus oublié que Germain Nouveau, ou Van Hoddis :

Au bourgeois échappe de son crâne aigu le chapeau,

L'atmosphère bruit comme d'un cri.

Les couvreurs choient des toits et se brisent,

Et sur les côtes - à ce qu'on lit - grimpe le flot.

L'orage est là, les mers sauvages ne font

Qu'un saut à terre, pour disloquer les digues dures.

Un rhume de cerveau s'empare de la plupart des créatures.

Les chemins de fer tombent des ponts 3.

3. Jakob van Hoddis.

Il y a un homme à qui peut-être quelque chose d'étrange est arrivé : Richard Huelsenbeck, deux récits singuliers écrits, disparaît sans laisser d'adresse. Sa place reste vide et ses amis continuent à chanter de petits refrains mélancoliques. C'est à Weimar que fleurit une plante qui ressemble à la dent de sorcière. On ne P.22 sait pas encore ici que la jeunesse va préférer Paul Klee à ses devanciers. Kandinsky vit aussi là-bas, où l'on ne pense plus à Goethe wo die Zitronen blühn, où l'audace des anciens jours se promène encore dans les rues avec un pissenlit et une bicyclette (on ignore dans ce pays la terreur blanche de la peinture, qui nous vaut les nouvelles manières de ces Messieurs), où Tzara est venu raconter ses aventures parisiennes, tandis que Arp avalait toujours des petits enfants devant le public surpris surpris.

Pendant ce temps Berlin-5-minutes d'arrêt devient la ville la plus moderne d'Europe : les quartiers bourgeonnent au milieu des champs de pommes de terre (TERRE !), et les trains tout à coup dédaignant viaducs et tunnels descendent familièrement sur le pavé des rues. La réclame voilà la grande affaire : un faux Arp vante les liqueurs Rückforth, un faux Picabia quelque céramiste décorateur. Berlin s'étonne il s'agit du Circus Busch, ou encore Erotique ! cette fois pour un combat de boxe entre femmes au Frou-Frou. Grands éteignoires rouges, je m'approche et je lis :

Le feu pour le mettre à raison

Aie Minimax à la maison

MINIMAX

Enseignes lumineuses de Postdamer Platz, d'ici quelques jours le téléphone sans fil dans la ville, luxe des quartiers de l'ouest où voisinent millionnaires et putains, on n'a pas idée de ça dans notre village. JE recommande aux voyageurs une visite au Passage, avec son Panoptikum où l'on peut considérer toutes les races de femmes, nues et le ventre ouvert pour montrer les infimes variations des organes dans leur cavité naturelle. Je recommande aux voyageurs le coiffeur-manucure de Behrensstrasse, presque au coin de Friedrichsstrasse. Je recommande aux voyageurs voyons l'expressionnisme et le cubisme appliqués aux bars et musichalls (Scala, Lütherstrasse) au mépris du joli petit goût cuicuicui de nos artistes. Je recommande aux voyageurs quand tout est fini, les autobus blonds, les tramways à l'allure féroce, les métros dont les gares sont échappées de Boecklin, je recommande aux voyageurs qui se sont attardés dans les ombres et les clartés de Kurfürstendamm avec les filles et les garçons, je recommande aux voyageurs le petit omnibus à cheval qui va son train-train dans la nuit et ramasse les miettes du plaisir dans les grandes allées de la capitale.

J'ai l'honneur de signaler à votre bienveillante attention (Attention !) l'acteur WERNER KRAUS, des U. F. A. films : connaissez-vous le feu ? connaissez-vous le feu ?

P.23 Cependant quel est ce petit bruit occidental ? Il a été dit plus haut, et je ne me lasserai pas à le rappeler, qu'un doute où pourquoi comment vient de naître entre la Seine et l'Océan sur l'essence de la poésie. C'est à Paris seulement, la casquette et la Cascade on me le faisait remarquer, que la poésie prenait un caractère international. Paris ne mastroquait plus avec les os de François Villon comme ici l'on fait avec l'enclume d'Hans Sachs jour et amour. Paris depuis un demi-siècle sert de décor à une tragédie. Le dernier été, l'été dernier : un acte nouveau commence, et confusément j'en perçois les premières paroles. A titre d'exemple, voici comment écrit désormais mon ami Robert Desnos :

la trinité le nord-sud dormir

ou encore :

la timidité vaincue

l'ultime édith évanouie

Que s'est-il passé ? Je prie les gens de bonne foi de comprendre qu'il s'est passé se passe quelque chose. Vous savez très bien qu'il ne s'agit pas de l'histoire littéraire, en ce cas-là les cataclysmes se cristallisent d'eux mêmes autour d'un millésime : 1830, 1908 - et tout est dit. Aujourd'hui le mouvement perpétuel n'est peut-être plus une chimère. A l'époque où un physicien démontre l'existence d'une étoile, il est donné à des poètes de découvrir des domaines interdits à la poésie. Je vous prie aussi de ne pas rire, mais tu as ri, pauvre bête. Je me contenterai donc de poser pour la seconde fois la question que je posais me posais quand vous commenciez, Monsieur dame, votre petit hochement de tête et je mets au concours la réponse et tout le prix de cette vie et l'avenir :

QUE S'EST-IL PASSÉ CET ÉTÉ PASSÉ CET ÉTÉ ÉTÉ ?

Louis ARAGON.

DIFFÉRENTS INDIFFÉRENTS III

AU JEU LES ATOUTS NE SONT PAS MAITRES LES ATOUTS SONT TOUS DANS MON JEU COMME LES ATOUTS M'ATTENDRISSENT !

Max MORISE.

P.24 SAMEDI SOIR, 16 SEPTEMBRE 1922

L'odeur de femmes comme une consolation dans mes souvenirs d'enfance, même modérés, me permet d'embrasser les bâillements des petites distractions du suffrage universel ; les moqueries me caressent sérieusement, cela me fait rire.

A QUOI POUVEZ-VOUS PASSEZ VOTRE TEMPS ?

Est-ce la fin de la blague, car je dors énormément !

LISEZ-VOUS QUELQUE CHOSE ?

La seule chose raisonnable ressemble à Versailles ; l'horizon est au Dahomey, c'est l'ordre ! c'est la règle ! l'exception est le contraire des journaux philosophiques - Paris est un vieux remède gigantesque d'ineptie, Paris est filleul de la France et la France est uniquement Paris. Je ne crois pas à un cataclysme prochain ; quelqu'un qui sait m'accuse d'être prévenu comme un bourgeois dans un pays ennemi, force écoeurante de l'humanité. - Les muscles comme la vertu donnent des exemples spirituels que j'aime beaucoup, il y a encore heureusement des crapules dans le bon monde. J'aime les êtres qui ressemblent aux inondations ; les bateaux glissent sans bruit sur l'eau plate et mon jardin disparait sous le soleil qui brille comme la lune ; un évêque passe, c'est la grimace officielle, il me baise les mains, je ne m'en plains nullement ; je lui baise les mains, voilà la vraie gloire.

PERROQUET, je m'ennuie de vous, pendant quelque temps la ménagerie rappelle la famille ; centre des facultés de tendresses ; pourquoi paraissez-vous étonné, Victor Hugo est président de la Littérature, quant à tout le reste je le réclame pour moi.

Photographies des réceptions royales, obscénités originales, l'hygiène du dernier gâteux ne me donne aucune expérience. Je creuse un fortifiant, voilà l'événement où rebondissent mes articulations, mais il faut se résigner.

Francis PICABIA.

<Fig>

 


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