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<LittErature n° 9, mai 1919>

DADA

Tristan Tzara, Directeur

Pour tous Renseignements lui écrire :

MOUVEMENT DADA, Zurich-Seehof Schifflände, 28

KUNDIG

Passage des Lions

GENEVE

DÉPOSITAIRE EXCLUSIF POUR LA SUISSE DE LITTÉRATURE

et des éditions Au Sans Pareil

LE CVRPOUILLOT

Arts, Lettres, Spectacles

paraît deux fois par mois à Paris, illustré par A.-D. de Segonzac, Jean Galtier-Boissière, Valdo Barbey, Luc-Albert Moreau, rédigé par Henri Béraud, Francis Carco, Pierre Mac Orlan, Drieu la Rochelle, et donne l'opinion des jeunes sur le mouvement artistique, littéraire et dramatique.

(Collection des trois années de guerre : 20 fr. en plus.)

(Administration : 5, place de la Sorbonne, Paris. - Abonnement : France, 1 an (24 nos) : 15 fr. ; Etranger : 18 fr.

LITTÉRATURE

a publié

les “ POÉSIES ”

d'Isidore DUCASSE (Comte de LAUTRÉAMONT) ;

“ LES MAINS DE JEANNE-MARIE ”

Poème retrouvé d'Arthur RIMBAUD ;

les LETTRES DE GUERRE

de Jacques VACHÉ ;

des poèmes et des proses de :

Guillaume APOLLINAIRE.   Valery LARBAUD.

Louis ARAGON.   Stéphane MALLARMÉ.

Georges AURIC.   Darius MILHAUD.

André BRETON.   Paul MORAND.

Blaise CENDRARS.   Jean PAULHAN.

Charles CROS.   Raymond RADIGUET.

Pierre DRIEU LA ROCHELLE.   Pierre REVERDY.

Paul ELUARD.   Jules ROMAINS.

Léon-Paul FARGUE.   Henri ROUSSEAU.

Bernard FAY.   André SALMON.

André GIDE.   Philippe SOUPAULT.

Henri HOPPENOT.   Tristan TZARA.

Max JACOB.   Paul VALÉRY.

N° 9, REVUE MENSUELLE, Novembre 1919.

LITTÉRATURE

DIRECTION

9, PLACE DU PANTHÉON, 9

DIRECTEURS :

LOUIS ARAGON - ANDRÉ BRETON PHILIPPE SOUPAULT

RÉDACTION : 9, Place du Panthéon, PARIS.

ADMINISTRATION : AU SANS PAREIL, 102. rue du Cherche Midi.

ABONNEMENTS

Pour la France Edition ordinaire....   15 fr. par an

Edition de luxe....   60 fr. par an

Prix du numéro : 1 fr. 50

Pour l'étranger Edition ordinaire....   20 fr. par an

Edition de luxe....   80 fr. par an

Prix du numéro : 2 fr.

SOMMAIRE

Enquête.

André BRETON....   Les Champs Magnétiques (suite) : Saisons.

et Philippe SOUPAULT....

Guillaume APOLLINAIRE....   Quelconqueries.

Louis ARAGON....   Sommeil de plomb.

Max JACOB....   Poèmes en prose.

Blaise CENDRARS ....   M. 43. 57, Z. détenu (mémoires).

Raymond RADIGUET ....   Côte d'Azur.

Tristan TZARA....   Atrocités d'Arthur et Trompette et Scaphandrier.

Chroniques

LIVRES CHOISIS, par Louis ARAGON.

SPECTACLES, par Philippe SOUPAULT.

MUSIQUE, par Darius MILHAUD.

PALETS.

Il a été tiré de ce numéro 15 exemplaires sur papier de Hollande de Van Gelder Zonen numérotés de 1 à 15.

EXEMPLAIRE N°

P. 1 ENQUETE

Aux représentants les plus qualifiés des diverses tendances de la littérature contemporaine - tout en les priant de ne pas entrer dans l'exposé de ces tendances - nous avons cru bon de poser la question suivante :

POURQUOI ÉCRIVEZ-VOUS ?

Nous tiendrons nos lecteurs au courant des réponses qui nous seront parvenues.

P. 2 LES CHAMPS MAGNÉTIQUES

(Suite)

II. - SAISONS

Je quitte les salles Bolo de bon matin avec grandpère. Le petit voudrait une surprise. Ces cornets d'un sou n'ont pas été sans grande influence sur ma vie. L'aubergiste s'appelle Tyran. Je me retrouve souvent dans cette belle pièce avec les mesures de volume. Le chromo du mur est une rêverie qui se représente toujours. Un homme dont le berceau est dans la vallée atteint avec une jolie barbe à quarante ans le faîte d'une montagne et se met à décliner doucement. Les mendiants prononçaient le chatieau. Il y avait d'adorables colères d'enfant à propos de ces plantes qu'on applique sur les cors, il y avait les fleurs de lis conservées dans l'eau de vie quand tu tombais.

J'ai commencé à aimer les fontaines bleues devant lesquelles on se met à genoux. Quand l'eau n'est pas troublée (troubler l'eau nuit, paresser dans ce monde) on voit jaillir des pierres les parcelles d'or qui fascinent les crapauds. On m'explique les sacrifices humains. Comme j'écoute les tambours dans la direction du douë ! C'est ainsi qu'on nomme l'endroit non couvert où l'eau est faite de tous ces mouvements P. 3 des paysannes. L'herbe gobe la nuit une quantité de galets blancs et parle plus haut que les cavernes retentissantes. Debout sur la grande balançoire sombre j'agite mystérieusement un feuillard de laurier. (Cela vient du temps où l'on m'asseyait sur les genoux.) Une histoire n'a jamais su m'endormir et je trouve un sens à mes petits mensonges d'alors, jolis sorbiers de la forêt. Ah ! seront-ce indéfiniment les vacances et ces jeux en rase campagne où je suis chef ?

Petits siffiets ; je t'ai bien aimée aussi, banlieue avec tes pavillons de chagrins, ton désolant jardinage. Lotissement des terrains j'ai votre plan dans de petites agences désertes. Le droit de pêche est compris. Voyage aller et retour en troisième s'effectuant au rappel de la leçon du lendemain ou des grands pièges bleus de la journée. Je me défie toujours un peu des gares rayonnantes et même des salles d'attente tempérées, du poinçonnage énigmatique des billets. Mais je tends une main charmante au moment de monter dans l'odeur de chevrefeuille. D'affreuses couronnes de pâquerettes me rappellent les petites filles le jour de la première communion ; je descends un escalier monumental avec des livres de prix. Je ne revois de l'école que certaines collections de cahiers. La science pittoresque avec ce chiffonnier si rare, les grandes Villes du Monde (j'aimais Paris). J'ai craint les parloirs et l'entrée de l'homme qui vient relever les absences. Les récréations pour jouer à la balle au chasseur sont trop loin. C'est à la manière de réciter la Jeune Captive que je choisis mon premier ami. Nous broyons des pastilles de menthe douces comme les premières P. 4 lâchetés. La cour est réunie aux impératifs catégoriques du maître d'études. Les pupitres naviguent trois mâts sur le zéro de conduite avec l'étonnante poussière des vasistas qu'on trouvera moyen de fermer. Je fais ce que je peux pour que mes parents aient du monde le soir. J'admire beaucoup la canne de ce monsieur ; ce sont les premières nouvelles que j'ai reçues d'Ethiopie. Son neveu s'offrait à m'envoyer des tortues de là-bas : c'est, je crois bien, la plus belle promesse qu'on m'ait faite, et j'attends aussi toujours ces fleurs de Nice, gravure d'un calendrier. Voici que les prières se replient ; je commence à croire à des robes plus bleues devant le lit aux dessus de dentelle, ouvrage de ma mère. On se prend à espérer d'autres proportions que celles des tableaux souverainement tristes des conversations des parents. Je crois avoir été très bien élevé. A un âge plus heureux, on ne m'aurait pas fait entrer pour un boulet de canon dans une chambre à coucher d'amis où, je ne sais trop pourquoi, l'on assistait aux derniers moments du général Hoche. Son chapeau à plumes devait lui recouvrir entièrement le visage, et je sais très bien qu'il ne faisait plus clair. On m'a laissé quelques jours dans ce logement misérable où pas un siège ne tenait d'aplomb. C'est beaucoup plus tard que m'est venu le courage de résister aux entreprises des portes. Je descendrais maintenant seul à la cave, si je ne sais toujours pas conserver l'équilibre sur les marais salants de certains bruits de clés. Le blanchissement nocturne des herbes a de quoi surprendre ceux même qui ont l'habitude de dormir à la belle étoile.

Comment se fait-il que je ne voie pas la fin de cette P. 5 allée de peupliers ? Il faut que la dame qui s'y engage sorte à peine de la fable pour qu'elle ose parler haut dans les grandes marées du vent. Je l'entends encore très bien, quand je pose l'oreille sur ma main comme un coquillage ; elle va tourner dans le mois de juillet ou d'août. Elle est assise en face de moi, dans des trains qui ne partent plus ; elle veut cette petite branche qu'elle a laissée tomber à la renverse sur les rails. Le chemin de Maison-Blanche mène aux plus délicieux brouillards. Rêts de plumes pour prendre les oiseaux à cordes. Vous savez que je l'ai jetée un jour dans un terrain inculte et que je n'y pense pas plus que cela. Bouche, trace amère et peuplier ne font qu'un. De proche en proche, je ne vois rien à gagner à ces attendrissements sincères.

J'ai toujours eu pitié des plantes qui se reposent au haut des murs. De tous les passants qui ont glissé sur moi, le plus beau m'a laissé en disparaissant cette touffe de cheveux, ces giroflées sans quoi je serais perdu pour vous. Il devait nécessairement rebrousser chemin avant moi. Je le pleure et ceux qui m'aiment trouvent à cela des excuses fuyantes. C'est qu'ils ne me voient pas mal parti pour une éternité de ruptures sans heurts et m'accompagnent de leurs voeux. Je suis menacé (que ne disent-ils pas ?) d'un rose vif, d'une pluie continuelle ou d'un faux pas sur mes bonds. Ils regardent mes yeux comme des vers luisants s'il fait nuit ou bien ils font quelques pas en moi du côté de l'ombre. Je suis parvenu à la limite de cette connaissance aromatique et je guérirais les malades s'il me semblait bon. C'est dit ; j'invente une réclame pour le ciel ! Tout avance à l'ordre. Que voulais-je ? Ces carrés frottés d'astres, P. 6 vraiment ? De plus entreprenants vont soulever les petites plaques d'écume : malemort. Il y a des sorciers si misérables que leurs chaudrons servent à faire bouillir les nuages et ce n'est pas fini.

Je n'avance plus qu'avec précautions dans des endroits marécageux, et je regarde les bouts aériens se souder au moment des ciels. J'avale ma propre fumée qui ressemble tant à la chimère d'autrui. L'avarice est un beau péché recouvert d'algues et d'incrustations soleilleuses. A l'audace près, nous sommes les mêmes et je ne me vois pas très grand. J'ai peur de découvrir en moi de ces manèges séniles que l'on confond avec les rosaces de bruit. Faut-il affronter l'horreur des dernières chambres d'hôtel, prendre part à d'autres chasses ! Et seulement alors ! Il y a beaucoup de places dans Paris, surtout sur la rive gauche, et je pense à la petite famille du papier d'Arménie. On l'héberge avec trop de complaisance, je vous assure, d'autant plus que le pavillon donne sur un oeil ouvert et que le quai aux Fleurs est désert le soir.

Je suis relativement heureux de l'apparition de Notre-Dame du Bon Secours dans deux ou trois livres. Les grêlons que je prends dans la main fondront-ils éternellement ? Voyez-vous la photographie au magnésium du dément qui travaille en ces lieux à de petites dévastations sans courage et retourne les champs qui contiennent de beaux morceaux de verre ? Tu m'as blessé avec ta fine cravache équatoriale, beauté à la robe de feu. Les défenses des éléphants s'arc-boutent aux marches lever d'étoiles pour que la princesse descende et les troupes de musiciens sortent de la mer. Il n'y a plus que moi sur ce plateau sonore au balancement équivoque qu'est P. 7 mon harmonie. Ah ! descendre les cheveux en bas, les membres à l'abandon dans la blancheur du rapide. De quels cordiaux disposez vous ? J'ai besoin d'une troisième main, comme un oiseau, que les autres n'endorment pas. Il faut que j'entende des galops vertigineux dans les pampas. J'ai tant de sable dans les oreilles que je ne vois d'ailleurs pas comment j'apprendrai votre langue. Au moins, les anneaux de contact s'enfilent-ils bien loin sous la peau des femmes et ne pleure-t-il pas trop de petites vagues innocentes sur la mollesse des couches ? C'est rendezvous au-delà parmi les malices courantes, après des centaines d'expériences malignes. Petite vitesse. Pourvu que le courage ne me manque pas encore au dernier moment !

(A suivre.)

ANDRÉ BRETON et PHILIPPE SOUPAULT.

P. 8 QUELCONQUERIES

LE PHOQUE

J'ai les yeux d'un vrai veau marin

Et de Madame Ygrec l'allure

On me voit dans tous nos meetings

Je fais de la littérature

Je suis phoque de mon état

Et comme il faut qu'on se marie

Un beau jour j'épouserai Lota

Du matin au soir l'Otarie

Papa Maman

Pipe et tabac crachoir caf' conc'

Laï Tou

696666...6 9...

Les inverses 6 et 9

Se sont dessinés comme un chiffre étrange

69 :

Deux serpents fatidiques,

Deux vermisseaux.

Nombre impudique et cabalistique ;

6 : 3 et 3

9 : 3, 3 et 3

La trinité

P. 9 La trinité partout

Qui se retrouve

Avec la dualité ;

Car 6 : deux fois 3 ;

Et trinité 9 : trois fois 3 ;

69 : dualité, trinité.

Et ces arcanes seraient plus sombres

Mais j'ai peur de les sonder ;

Qui sait si là n'est pas l'éternité,

Par delà la mort camuse

Qui s'amuse

A faire peur ;

Et l'ennui m'emmantelle

Comme un vague linceul de lugubre dentelle

Ce soir.

FIORD

C'est la fête de Saint-Olaf

On excursionne en sky

D'amour on revient paf

C'est tout à fait exquis

Pas de chichi

UN DERNIER CHAPITRE

Tout le peuple se précipita sur la place publique

Il vint des hommes blancs des nègres des jaunes et quelques rouges

Il vint des ouvriers des usines dont les hautes cheminées ne fumaient plus à cause de la grève

Il vint des maçons aux vêtements maculés de plâtre

P. 10 Il vint des garçons bouchers aux bras teints de sang

Des mitrons pâles de la farine qui les saupoudrait

Et des commis de commerçants de toutes sortes

Il vint des femmes terribles et portant des enfants ou en ayant d'autres accrochés à leurs jupes

Il vint des femmes pauvres mais effrontées plâtréès maquillées aux gestes étranges

Il vint des estropiés des aveugles des culs de jatte des manchots des boiteux

Il vint même des prêtres et quelques hommes mis avec élégance

Et hors la place la ville semblait morte ne tressaillant même pas

ETOILE

Je songe à Gaspard ce n'est certainement pas

Son vrai nom il voyage il a quitté la ville

Bleue Lanchi où tant d'enfants l'appelaient papa

Au fond du golfe calme en face des sept îles

Gaspard marche et regrette et le riz et le thé

La voie lactée

La nuit car naturellement il ne marche

Que la nuit attire souvent ses regards

Mais Gaspard

Sait bien qu'il ne faut pas la suivre

LA CHASTE LISE

La journée a été longue

Elle est passée enfin

Demain sera ce que fut aujourd'hui

Et là-bas sur le château enchante

Nous sommes las ce soir

P. 11 Mais la maison nous attend

Avec la bonne soupe qui fume

Et dès l'aube demain

Le dur labeur

Nous reprendra

Hélas

Bonnes gens

CHAPEAU-TOMBEAU

On a niché

Dans son tombeau

L'oise perchéau

Sur ton chapeau

Il a vécu

En Amérique

Ce petit cul

Or

nithologique

Or

J'en ai assez

Je vais pisser.

GUILLAUME APOLLINAIRE.

P. 12 SOMMEIL DE PLOMB

A Philippe Soupault.

Le dormeur éveillé regarde la vie avec des yeux de petit enfant

Dormeur quel nuage obscurcit l'azur de ton front

L'homme secoue une tête plus pesante que l'orage

Il voudrait jouer aux quatre coins, mais il ne peut Il est tout seul

La balle du soleil en vain s'offre à lui

En vain les cerceaux des ponts

En vain

Henri IV l'invite à chat perche

Le monde coule à ses pieds et les passants ont toujours le même visage

Les plus pressés paraissent plus jeunes et les plus vieux paressent

A la voir on ne croirait pas la ville en carton ni le soir

Faux comme les prunelles des femmes et des amis les meilleurs

Quel danger je cours Immobile contre le parapet de l'univers

P. 13 Si j'allais me prendre à ce chromo l'aspect des maisons à huit heures d'été

Vertige Le décor devient le visage de la vie

La face de cette fille que j'ai tant aimée

Pour ses mains ses yeux faits et sa stupidité

Comme tu mentais bien paysage de l'amour

Il y avait cette place au creux de ton épaule

Et les frissons qui glissaient comme une eau sur ma figure

Courroux courroux mais tu chantais à voix basse comme la plus innoncente

Et tu ne trouvais que des consonnes sourdes

Des sons issus du sang pour nommer les lèvres les caresses

Tout ce qui dansait entre deux corps comme la flamme du désir

Un bourdonnement de mouches sur les fruits signifiait moi-même

Et quand j'étais trop las tu laissais avec à propos pendre un bras mûr

J'attends que renaisse la dame du souvenir

Un grand trou s'est fait dans ma mémoire

Un lac où l'on peut se noyer mais non pas boire

Aucun remords ne t'éveille et tu sens le lit sous tes reins

Jusqu'à ce que ce dernier appuie s'affaisse et que tu t'enfonces dans le vide

Au pays souterrain du songe

Alors je retombe en enfance

P. 14 Les livres sont rouges et dorés sur tranche

Il n'y a qu'un avenir tout simple

Là-bas entre les lianes des forêts bien connues

On fait du feu avec des morçeaux de bois sec et la boussole permet de s'orienter

Pourvu que les porteurs ne se révoltent pas

Pourvu que les dormeurs ne se réveillent pas

Mon corps je t'appelle du nom que les bouches ont perdu depuis la création du monde

Mon corps mon corps c'est une danse rouge c'est un mausolée un tir aux pigeons un geyser

Plus jamais je ne tirerai ce jeune homme des bras des forêts

Il peut sans peine sommeiller

Il n'est pas mort Il bouge dans un monde plus mou

Ne me parlez pas de la lumière du soleil

LOUIS ARAGON.

P. 15 POEMES EN PROSE

Tache d'humidité dans le dos.

Le chat dans la cendre, la reine dans la chambre. Le chat est dehors, on dirait qu'il neige au mois d'août mais c'est le clair de lune ; les yeux du chat y sont pour quelque chose.

La reine a la bouche très en avant et pas d'accent ; elle se dépêche pour paraître naturelle. Quelle bonne volonté, hélas ! il faut plaire à tous ! La reine habite les ateliors en planche de la rue Ravignan, il vient quelquefois des musiques militaires dans le corridor : comment font-elles ? La reine a eu une entrevue avec le roi ; le roi est vraiment très bien, un faux-col droit, une de ces cravates en soie cousue dite “ plastron ”. Les cravates faites à la main chaque matin n'ont pas la raideur nécessaire à la Majesté Royale. Le roi et la reine se sont entretenus un instant : l'histoire sait ce qu'ils se sont dits La reine m'a envoyé son valet pour ranger ma chambre. Je ne veux pas ranger ma chambre avant que le feu soit allumé, et je ne veux pas allumer de feu au mois d'août, fut ce à cause des neigeux clairs de lune, parce que j'attends un veston d'été et que si je porte un veston d'hiver c'est parce que celui de l'été a une tache d'humidité dans le dos. La reine d'Angleterre, - car c'est elle, - n'entre pas dans ces considérations-là. Le valet vient faire le feu et - ces domestiques de grande maison, tout de même - en un clin d'oeil cette chambre est transformée en un salon

P. 16 très propre. Les valets de reine sont au moins bacheliers ; celui-ci a bien l'air de l'être : quelle réserve, quelle pâleur... Malheureusement tous les ouvriers sont arrivés..., mes amis ! toujours un peu honteux d'être mes amis et moi d'être le leur. On ne m'a jamais pardonné ni d'être le protégé de la reine, ni d'être l'ami des ouvriers et voilà mon caractère et ma vie !

Vie intîme de l'âme.

Je monte encore deux marches, c'est le grenier. Mottes de terre ! Premier grenier : mottes de terre. Deuxième grenier : une dame qui a trop d'enfants parce qu'elle a trop de vices. Troisième grenier : le mari qui a de la patience ! de la patience ! de la patience et qui écrit : Je vois son doigt blanc ! Quatrième grenier : Mottes de terre ! Haies en motte de terre et genêts secs. Ecriteau : Grenier de Mme Mahé. On n'entre pas, c'est ma haie !

***

Une punaise ? Non les punaises ne sont pas en ivoire. Une pièce d'échiquier alors ? Les pièces d'échiquier ne galopent pas. C'est un cavalier sur la route en Provence.

***

Dans le fameux tableau : la Justice et la Vengeance poursuivant le Crime, l'une des figures célestes tient une lampe à abat-jour vert, l'autre essaie d'ouvrir un parapluie malgré le vent.

MAX JACOB.

P. 17 M. 43. 57 Z, détenu

(Mémoires.)

“... Ma cellule était très étroite. Elle mesurait six mètres de long sur deux de large. Cela ne me gênait point, habitué que j'étais à mener une vie enclose, sédentaire et quasi de complète immobilité. Cela ne me rendait pas malheureux. Mais ce qui me fit immensément souffrir dès le début et ce à quoi je ne pus jamais m'habituer par la suite, c'étaient l'obscurité régnante et le manque d'air. Comment vivre à l'ombre et loin de la lumière qui ouvre et distend les pores et qui vous creuse comme une caresse ? Une pauvre petite prise de lumière s'ouvrait au ras du plafond, semblait coincée entre les pierres et ne laissait filtrer qu'un pâle reflet, un tremblottant rayon, fade, anémié, bleui, de la grande lumière du dehors. C'était comme un glaçon avec une goutte d'eau trouble au bout. Et c'est dans cette goutte d'eau que j'ai vécu dix ans, comme un être au sang froid, comme un protée aveugle !

Seules les nuits m'apportaient quelque soulagement. La veilleuse au plafond brûlait jusqu'au petit jour. A force de la fixer, elle devenait énorme, éclatante, éblouissante. Cette flamme vacillante m'aveuglait. Je finissais par m'endormir...

....

...Il y avait aussi l'eau des water-closets qui bouillonnait à des intervalles réguliers dans les tuyaux. Ce bruit emplissait toute ma cellule, résonnait dans ma tête avec fracas, comme une chute d'eau. Je voyais des montagnes. Je respirais l'air des sapins. Je voyais une branche prise entre deux pierres et qu'un remous faisait aller et venir. Mais à la longue je m'habituai à ce dégorgement inattendu P. 18 des tuyaux. Je restais des heures sans l entendre. Puis, soudain, je me demandais s'il avait eu déjà lieu ou s'il allait bientôt se produire. Je faisais des efforts énormes pour me rappeler combien de fois il avait eu lieu dans la journée. Je comptais sur mes doigts, je me tirais sur les doigts à faire craquer les phalanges. Cela devenait une manie. Et le bruit retentissait, emportant tout mon échafaudage de comptes et de calculs. Je courais à la cuvette pour contrôler le fait. Au fond, le trou nauséabond était immobile comme un miroir. En me penchant dessus, j'obscurcissais tout. Je m'étais trompé, la vidange ne s'était faite que dans ma tête, elle n'avait pas eu lieu réellement. Je perdais la notion du temps. Tout était à recommencer. Un désespoir sans borne m'envahissait. Je me pris à ne plus rien vouloir entendre. Je me fis volontairement sourd. Sourd, bouché, sourd. Je passais mes journées sur mon grabat, les jambes ployées en chien de fusil, les bras croisés sur les épaules, les yeux fermés, les oreilles pleines de cire, recroquevillé sur tout mon être, petit, petit, immobile comme dans le ventre de ma mère...

....

... Beaucoup plus tard, j'arpentais ma cellule de long en large. Je voulais en prendre connaissance. Je posais mes pieds sur chaque dalle, sur chaque fente, minutieusement J'allais d'un mur à l'autre. Je faisais deux pas en avant, un en arrière. Je m'appliquais à ne pas poser les pieds sur les interstices du pavage. Je sautais alternativement une dalle, puis l'autre. Grès pif, grès paf, grès pouf : bon, trop dur, trop mou. Je marchais en ligne droite, en diagonale, en zig-zag, en rond. Je marchais les pieds croisés, les pieds tords. Je faisais des grimaces avec mes jambes. J'essayais le grand écart. Je connaissais la moindre aspérité du sol, la moindre déclavité, la moindre usure. Il n'y a pas un centimètre carré que je n'aie piétiné, mille et mille fois chaussé, en bas, pieds nus et même reconnu avec la main. Ce manège finit par m'assommer. Mon pas inégal résonnait sous la voûte comme un grelot funèbre. De guerre lasse, je passais derechef tout mon temps sur P. 19 une paillasse, les yeux fixés aux murs... Les moëllons en étaient grossièrement équarris, sans aucun plâtrage, avec des bavures de ciment dans les joints. Bout-à-boutés, ils se cavalaient par couples, angulaires, irréguliers, innombrables. Ils étalent d'un grain très serré, très doux au toucher. J'y collais souvent ma langue. Ils avaient un petit goût acidulé. Ils sentaient bon la pierre, pierre à-feu et ardoise, silex et argile, l'eau et le feu. A force de-les regarder, je reconnaissais leurs bonnes grosses faces sans malice. Mais, petit à petit, mon acuité se précisa. Je discernais des fronts bombés, des joues creuses, des crânes sinistres, des mâchoires menacantes. J'étudiais chaque pierre avec anxiété, sinon avec terreur. Les reflets de lumière, l'ombre les détachaient d'une façon bizarre. Les traînées de ciment dessinaient des formes étranges. Mon attention s'attachait à ces corps peu précisés, tâchait de les mettre en relief et de délimiter leurs contours, et, par une sorte de perversité, mon esprit s'acharnait à me faire peur.

C'en était fini de mon repas. Chaque pierre se mit à tourner, à se trémousser, à se dévisser. Des têtes menaçantes se tendaient vers moi, des gueules ouvertes, des cornes rigides. Des coulées de larves jaillissaient de chaque fente ; de chaque trou, des insectes monstrueux, armés de scies, de mandibules, de pinces géantes. Le mur montait, descendait, vibrait, susurrait. Et de grandes ombres se balançaient par devant. Je chavirais dans mon lit. Je fermais les yeux. Alors, après un grand renâclement d'eau, j'entendais un bruit d'éperons. Un grand cuirassier blanc entre dans ma cellule. Il me projette en l'air comme une balle, me rattrape, me balance, jongle avec moi. Je suis ravi. Je gémis. Je pleure. Je m'entends. J'entends la voix de ma souffrance. Je reconnais ma voix. Je me plains. Je me lamente.

Pourquoi, ah, pourquoi ?

....

...Le plafond se creuse comme un entonnoir, vertigineux malstroem qui absorbe goulûment toute la nature

P. 20 en déroute. L'univers retentit comme un gong ! Puis tout est étouffé par la voix formidable du silence. Tout disparaît. Je reprends conscience. Petit à petit la cellule s'agrandit. Les murs sont repoussés. L'enceinte recule. Il n'y a plus qu'un peu de chair humaine dérisoire qui respire doucement. Je suis comme dans une tête où tout parle silencieusement. Mes co-condamnés me retracent leur vie, leur détresse et leurs fautes. Je les entends dans leur cellule. Ils prient. Ils tremblent. Ils marchent. Ils vont et viennent à pas feutrés au fond d'eux-mêmes. Je suis le pavillon acoustique de l'univers condensé dans ma ruelle. Le bien et le mal font trembler ma prison et la souffrance anonyme, ce mouvement perpétuel en dehors de toute convention. Je suis tout abasourdi par cette langue énorme qui corne à mon oreille, qui m'hébète et qui m'absout.

....

Systole, diastole.

....

Tout palpite. Ma prison s'évanouit. Les murs s'abattent, battent des ailes. La vie m'enlève dans les airs comme un gigantesque vautour. A cette hauteur, la terre s'arrondit comme une poitrine. On voit au travers de son écorce transparente les veines du sous-sol charrier des pulsations rouges. De l'autre côté, les fleuves remontent, bleus, comme du sang artériel et où éclosent des milliards et des milliards d'êtres. Par au-dessus, comme des poumons noirâtres, les mers se gonflent et se dégonflent alternativement. Les deux yeux des glaciers sont tout proches et roulent lentement leur prunelle. Voici la double sphère d'un front, l'arête brusque d'un nez, les méplats rocailleux des parois perpendiculaires. Je survole le mont-dore plus chenu que la tête de Charlemagne et j'atterris sur le bord de l'oreille qui s'ouvre comme un cratère lunaire. C'est mon aire. Mon territoire de chasse. L'entrée est presque obstruée par une protubérance énorme qui est un tumulus où je m'embusque ; le tombeau de l'Ancêtre. Derrière, il y a un trou, où tout bruit extérieur tombe comme un pachiderme dans un piège. P. 21 Seule la musique s'insinue dans l'étroit corridor pour se faire prendre le long des parois du cornet. C'est là, dans l'obscurité complète de la caverne que j'ai capté les plus belles formes du silence. Je les ai tenues, elles m'ont passé entre les doigts, je les ai reconnues au toucher.

D'abord les cinq voyelles, farouches, peureuses, délurées comme des vigognes ; puis en descendant la spirale de plus en plus étroite et plus basse de plafond, les consonnes édentées, roulées en boules dans une carapace d'écaille et qui dorment, hivernent durant de longs mois ; plus loin encore, les consonnes chuintantes, lisses comme des anguilles et qui me mordillaient le bout des doigts ; puis, celles veules, molles, aveugles, souvent baveuses, que je pinçais avec les ongles comme des vers blancs, en grattant les fibrilles d'une tombe préhistorique ; enfin, les consonnes creuses, froides, cassantes, cortiquées que je ramassais sur le sable parmi des débris de coquillages ; et, tout au bout, à plat ventre, me penchant au-dessus d'une fissure, parmi les racines, je ne sais quel air empoisonné venait me fouetter, me picoter la face : de petits animalcules me couraient sur la peau, dans les endroits les plus chatouilleux ; ils étaient spiriformes et velus comme la trompe d'un papillon et avaient des détentes brusques, éraillées, graillantes.

....

Il est midi, le soleil verse de l'huile bouillante dans l'oreille du démiurge endormi. Le monde s'ouvre comme un oeuf. Il en jaillit une langue, ondoyante et congestionnée.

....

Non. C'est minuit. La veilleuse m'exténue comme une lampe à arc. Mes oreilles tintent. Ma langue pèle. Je fais des efforts pour parler. Je crache une dent, la dent du dragon.

....

Je ne suis pas de votre race. Je suis du clan Mongol qui a apporté une vérité monstrueuse : l'authenticité de la vie : cette connaissance du rythme qui ravagera toujours vos maisons statiques du temps et de l'espace. Entourez-moi P. 22 des cent mille baïonnettes de la lumière occidentale. Je suis le tyran. Mes yeux sont deux tambours. Tremblez, si je sors de vos murs comme de la tente d'Attila, masqué, effroyablement agrandi, revêtu de la seule cagoule, comme mes compagnons de bagne à l'heure de la promenade, et si avec mes mains d'étrangleur, mes mains rougies par le froid, je force le ventre aigrelet de votre civilisation.

Dans le préau de la prison le ciel nocturne arbore mes tatouages. Une incendie ravage la steppe uniforme de la nuit, uniforme comme le fond du lac Baïkal, uniforme comme le dos d'une tortue. Je m'y mire. Uranisme et musique. Je suis l'indifférent.

....

...Maintenant, rien ne devait plus me distraire de ma quiétude et de mon calme. Les années s'écoulèrent. J'en étais arrivé à ne plus penser à rien. J'étais immobile. On m'apportait à manger et à boire, on me sortait, on me faisait rentrer. J'étais absent, J'étais immobile avec une activité au bout des doigts, dans le genou, au bas de la colonne vertébrale ou dans la nuque.

... Je rentrais ma vie dans mes profondeurs comme ces zoophytes qu'on touche... Je me digérais... Physiquement cela m'a tout desséché.

....

...Un clou était planté dans le mur de ma cellule, haut dans le mur. A force de le regarder, je finis par le voir. Je l'avais contemplé durant plusieurs années sans le remarquer. Un clou, qu'est-ce un clou ? Tordu, rouillé, c'est moi fiché entre les pierres. Je n'ai pas de racines. Aussi, quand on vint me chercher pour me transférer à W..., on put m'extraire sans effort, sans souffrance. Je ne laissais rien derrière moi, qu'un peu de poussière blanchie, dix années minuscules, un peu de poussière d'araignée, un signe imperceptible sur le mur d'en face, hors la portée des yeux de mon successeur... ”

BLAISE CENDRARS.

1917.

P. 23 COTE D'AZUR

Ailleurs que dans les opéras les arbres sont verts

L'avenir

Ici

La dame le prévoit

Exception faite

Des jours de fête

Quand on traverse le viaduc

Les demoiselles d'honneur

Cela va sans dire

Se laissent conduire

De quoi vous plaignez-vous

Est-ce ma faute

Si ces rameurs

N'y vont pas de main morte

Dans les verres

Tiédit l'orangeade

Un soir d'août

N'importe lequel

(Août.)

RAYMOND RADIGUET.

P. 24 Atrocités d'Arthur et Trompette et Scaphandrier.

Sur le lac d'hydrogène ramassé au sexe du sommeil les cigarettes crient de petits oiseaux courent après le rythme des moteurs c'est-à-dire ondulation dei sospiri.

Décor : canot de sauvetage accroché au-dessus du lit

palmiers

canapé rouge de vieille forme

mannequin d'osier avec une plaque de gramophone sur la tête.

Ici je meurs, à la 3e couche comme digne scaphandrier, touche le miroir et regarde par principe ou langoureusement la bouche du mégaphone muet.

Chaque confrère sa blague, et la totalité des blagues : littérature.

Cylindres louches avec cache-nez, superposés, visitent la mer, au moins ton regard grand gardien d'antilopes dans le garage arrange le contre-coeur à la queue, piano à vaseline pianoline des poissons à mécanisme simple poitrinaire.

J'aime par-dessus tout la simplicité dada. Le squelette des machines est dada ou supérieur à celui des pythécanthropes. Une pensée peut s'allumer comme un bandage et sauter comme une certaine couleur verte que j'ai composée une fois avec le sang du colibri, le caoutchouc des bicyclettes à califourchon sur un fil télégraphique. Tranches de cartes postales P. 25 sur les branches du nouveau système homme ou chanson entre 4 yeux.

L'interruption ici du langage de Aa qui voulait lyncher lécher laisser et arracher la philosophie, Mississipi, et l'éruption des voyelles d'une rose placée sur la nuque de Napoléon, fixa la boutonnière robinet des diaphragmes, pour quelques instants, sur la fin bien placée de la phrase qui ne finira jamais.

DADA, 1918 ou 1917.

TRISTAN TZARA.

P. 26 LIVRES CHOISIS

Louise Faure-Favier - Ces choses qui seront vieilles.

A peine Lul eut-il fermé les yeux que les gens ouvrirent les leurs. Tout devint si simple que n'était pas la peine d'en parler. Personne ne s'émerveilla de la perspective établie, et quelques mois suffirent à donner un siècle de jeunesse aux regards que nous portions avec regrets sur un passé tout palpitant encore. Au bout de cent années, les roses acquièrent un éclat singulier qu'elles ne connurent point dans leur fraîcheur. C'est alors que les gens des villes vont les chercher dans les herbiers des antiquaires : “ Qu'elles sont douces, disent-ils, honnêtes et semblables aux paumes de nos mains ! ” Elles serviront désormais d'exemple aux fleurs vives des prairies qui ne peuvent pas prendre ce teint fané à ravir. Dans quel pays, Apollinaire, mangez-vous maintenant votre gloire comme une pomme fourrée de cendres ? Sentez-vous sur vos belles paupières mortes les doigts indiscrets des vivants ? Avec un peu de recul, on ne sait plus s'ils vous caressent ou s'ils profanent votre sommeil. Et peut-être n'êtes-vous qu'endormi.

Irène Hillel-Erlanger - Voyages en kaléidoscope, avec un titre et un thermomètre, dessinés par Van Dongen (1).

(1) Il n'est pas donné à tout le monde d'être Francis Picabia.

Par quelle agaçante magie, les étoiles exercent-elles sur nos coeurs un pouvoir si complet et si déraisonnable ? Qu'elles rayonnent sur les portes des bars, les affiches, les marques de fabrique, au front des juives algériennes, au bras d'un lutteur P. 27 ou au coeur des vitres brisées, elles émeuvent de leur clignotement stupide les spectateurs les plus endurcis. Il n'y a pas lieu de s'en indigner. Les enfants sensibles tirent de cette faiblesse humaine un plaisir qu'ils ne savent pas coupable : pour eux, on inventa le kaléidoscope. Jolis systèmes stellaires coloriés, à peine êtes-vous édifiés qu'un geste brusque vous détruit et que de vos ruines naît un nouvel ordre surprenant (qui ne le jurerait éternel ?). Quelle femme aurait pu pénétrer les secrets d'une cosmologie si troublante ? Madame Hillel-Erlanger se tire d'affaire avec de l'esprit : “ Triste époque, hélas, où l'on appelle esprit précisément celui des commisvoyageurs ! ”

Les jeux de lumière des étoiles ne rappellent que de loin les jeux de mots des joueurs de manille.

Francis Carco - Scènes de la vie de Montmartre.

Il y avait un peintre pisan qui ne savait donner aux pèlerins d'Emmaüs comme aux saintes filles de Béthanie que les traits mêmes de son visage. Je ne connais pas un romancier qui en agisse autrement.

Aussi bien si nous fixons trop longtemps les yeux d'autrui, n'y percevons-nous plus que notre propre visage.

Monsieur Carco a dû trouver en soi des caractères qu'il octroie sous un pseudonymat illusoire à plusieurs de nos contemporains. Vous m'en voyez navré, car la plupart de ses personnages ne lui font point honneur. Les choses les plus belles et les plus grandes deviennent mesquines, vraiment, quand on les conçoit dans un aussi médiocre esprit.

Ce livre n'est pas à prendre avec des pincettes.

O. Henry - Contes.

Nul problème, ni les jolis calculs de tir indirect, n'a su passionner vos coeurs, mes camarades, comme celui que posait jadis Nick Carter au collège.

“ Evaluez, s'il vous plaît, M. Bridge, le temps qui s'est écoulé de l'extinction des lumières au cri de la victime et de ce cri à la réapparition de l'électricité ”.

Les assassins qui traversaient le pont de Brooklyn disparaissaient à tout jamais. Depuis cette époque nous avons connu P. 28 les grands bars aux femmes pailletées, la modiste du village perdu dans les prairies, les voleurs de bétail et les vachers aux jambes de fourrure, toute la danse de l'Ouest sur l'écran presqu'aussi beau que la vie. Du mirage occidental qu'il reste peu dans les contes d'O. Henry ! C'est à peine si vers la fin du livre quelques mauvais garçons se dressent au-dessus de leurs chevaux, debout dans leurs étriers, pour crier la joie de tuer sans raison. Le plus souvent quels pitoyables aventuriers se mêlent à ce petit monde de pasteurs, de juges, de logeuses et de noceurs conventionnels qui s'agitent suivant la morale niaise des films sentimentaux. Qu'aurait écrit Maupassant s'il avait eu l'accent américain ?

LOUIS ARAGON.

LES SPECTACLES

Le Prix du Conseil Municipal.

Les mains tremblantes des joueurs et le sourire des snobs réjouissent les pick-pockets qui savent gagner leur pain à la sueur de leur front. Les chiffres volent sur cette pelouse. Dans ces grandes minutes, les villes sont oubliées, les cartons verts sont plus lointains que les nuages. Chaque homme, en entendant le galop des chevaux, se sent l'âme d'un assassin.

Le tumulte et le calme naissent aussi brusquement.

Les chevaux que l'on sort des écrins au bon moment sont des monstres charmants. Mais le plus beau fut assurément ce gros homme qui fumait un cigare et qui attendait très gravement le soir. Il pensait au lendemain qui sera tellement semblable à aujourd'hui.

Il y a les cocktails, les taxis et les fleurs artificielles.

Il y a les cigares, les chaînes de montre et les réverbèrcs.

“ Voici le temps des assassins ”.

Aux conrses on sent la vieillesse morose s'approcher. Bientôt nous n'aurons plus vingt ans et nous ne comprendrons plus la beauté des crépuscules ou des pourritures qui fleurissent dans les ruisseaux.

P. 29 L'Homme aux yeux clairs - William Hart.

Cet homme qui court et qui lutte s'arrête parfois dans les clairières ou sur les hauts plateaux. A la lisière des forêts, il jette un regard de mépris sur les plaines. Bercer n'importe qui dans ses bras ou tordre le cou de son ennemi. La haine est peut-être pour tous les hommes aux yeux clairs la seule raison d'exister.

Mais cet homme est trop franc. Il ignore la joie de vivre une vie double.

Il est bien plus doux de serrer la main de son plus cher ennemi que de l'étrangler.

Les luttes et les corps-à-corps nous amuseront toujours. Quelqu'un va mourir.

A qui le tour ?

PHILIPPE SOUPAULT.

MUSIQUE

Les vacances sont finies, premières vacances d'après guerre Voici l'octobre et la rentrée. Les concerts vont recommencer. Le petit groupe de la rue Huyghens a bien travaillé. Félix Delgrange sera content. Il pourra, cette année, faire entendre toute la production des vacances :

Germaine Tailleferre donnera un morceau pour piano et orchestre.

Francis Poulenc ses trois “ Cocardes ” sur des poèmes de Jean Cocteau.

Roland Manuel, devançant ses camarades, a fait exécuter au premier concert Pasdeloup un poème symphonique.

Arthur Honegger rapportera de Suisse une nouvelle sonate pour piano et violon.

Louis Durey un 2e quatuor à cordes et des chansons basques cueillies à Ahusky.

Georges Auric nous fera une surprise.

P. 30 Mais la guerre est finie, la démobilisation aussi. Nous voyons revenir des armées des musiciens, des “ jeunes ”, qui viennent grossir le “ petit groupe ” : tous ceux qui n'ont encore rien ou presque rien fait jouer, surpris par la guerre en plein travail, et qu'on ne voyait à Paris que pendant leurs brèves permissions.

Parmi ces “ nouveaux jeunes ”, Henri Cliquet nous apportera de nombreuses premières auditions. Cliquet travaillait au Conservatoire. La guerre interrompit ses études de contrepoint mais ne l'empêcha pas d'écrire et d'écrire beaucoup. On ne connaît de lui que son 1er quatuor à cordes, donné à la S. M. I. en 1913 et une Toccata pour piano jouée dans une séance de musique moderne chez Poiret en 1916. Sa musique a la fraîcheur de celle de Mozart, mais d'un Mozart devenu Mowgli s'amusant et clapotant dans une flaque d'eau. Parfois on croit que Cliquet fait une farce, mais un accord, une mélodie viennent éclore, sensibles et comme venus du fond du coeur. La musique qu'il écrit en 1912 pour une des “ Moralités Légendaires ” et pour “ Trois complaintes ” de Jules Laforgue est pleine de ce mélange de jeux d'enfant, de drôlerie, d'ironie et d'amertume. Avant la guerre, Cliquet écrit encore une “ Suite ” pour piano, une “ Marche ” pour orchestre, des mélodies sur des poèmes de Wilde, de Desbordes-Valmore et de Mme de Noailles. Mobilisé à l'hôpital de Versailles comme jardinier, Henri Cliquet se croit en vacances, son séjour à Versailles lui parait être son “ prix de Rome ” et il travaille : il écrit sa “ 1re Sonate ” pour piano et violon, ses “ 2e et 3e quatuors à cordes ”, des “ Variations ” et une “ Sonatine ” pour piano. Puis il part avec l'armée américaine. Les rag-times et les fox-trotts qu'il entendit le marquèrent : cette influence se fait sentir dans sa “ 2e Sonate ” pour piano et violon, sa “ Rapsodie française ” pour piano et orchestre, son “ Improvisation en forme de Variations ” pour piano écrites de 1917 à 1919 ainsi que dans ses plus récentes mélodies. Mais les Américains s'en vont. Henri Cliquet, ne vous attardez pas. Quand je prête l'oreille à leurs musiques, elles m'apparaissent si lointaines que déjà je ne les entends plus.

DARIUS MILHAUD.

P. 31 PALETS

Jean Paulhan le Souterrain.

Chaque inventeur a ses inventions et ses découvertes. Et il est pénible de comprendre pour les autres.

Soleil de plomb, visage noir, bouche d'ombre. De la lumière dans les veines, mais les yeux dans une nuit splendide et, ans erreur, parfaite. Seulement l'odeur des flammes et des fumées, seulement le sang et le vent, cette âme avalée, exhalée.

Des fruits viennent, sans doute, derrière cette terre masquée, des fruits à toutes les branches.

Le dernier élan, pour assister au partage, par son ami, d'un art visible : la poussière en surprise à l'herbe, les chocs des fleurs aux chocs des collines et le bon sens au vent élastique, tout nu dans le vide.

P. E.

Quelques poètes sont sortis.

A Philippe Soupault.

Comme autrefois, d'une carrière abandonnée, comme un homme triste, le brouillard, sensible et têtu comme un homme fort et triste, tombe dans la rue, épargne les maisons et nargue les rencontres.

Dix, cent, mille crient pour un ou plusieurs chanteurs silencieux. Chant de l'arbre et de l'oiseau, la jolie fable, le soutien.

Une émotion naît, légère comme le poil. Le brouillard donne sa place au soleil, et qui l'admire ? dépouillé comme un arbre de toutes ses feuilles, de toute son ombre ? ô souvenir ! Ceux qui criaient.

P. 32 Gaston Leroux est l'auteur du fauteuil hanté.

Les chiens avaient fermé leurs gueules. Il n'y a plus de fantômes, il n'y a plus que des morts. Feu mûr. Dans un coin, l'homme qui ne sait pas lire et celui qui commande ses inventions à Dédé sont de l'Académie. La pensée de l'un occupe le siège de l'autre. Danger de mort. Les honneurs sont des mouches et la colle pend aux plafonds. Cher petit perce-oreilles mélodieux.

La beauté n'entrant pas en compte, mieux vaut voir cela de très loin. Le mystère ressemble au mystère, sans besoin de miroirs ni de mémoire. Toutes les puérilités du coeur le composent. La science des détails.

Et Dédé n'est l'enfant du génie qu'à cause de tous les pauvres évènements qui bouleversent un monde.

Le doute et la tristesse viennent à la fin, au parfum plus tragique de sa mort.

LE MEME.

Le gérant : Philippe SOUPAULT.

Imp. R. TANCREDE, 15, rue de Verneuil, Paris (7e arr.).

DADA

Tristan Tzara, Directeur

est en vente

AU SANS PAREIL

102, Rue du Cherche-Midi

DADA 4-5 contient

des proses et des vers de PICABIA. TZARA, COCTEAU, REVERDY, SOUPAULT, BRETON, ARAGON, BIROT, etc.

des dessins et des reproductions de PICABIA, ARP, JANCO, HAUSSMANN, RICHTER, EGGELING, etc.

Prix : 4 Francs

KUNDIG

Passage des Lions

GENEVE

DÉPOSITAIRE EXCLUSIF POUR LA SUISSE DE LITTÉRATURE

et des éditions Au Sans Pareil

LITTÉRATURE

a publié

les “ POÉSIES ”

d'Isidore DUCASSE (Comte de LAUTRÉAMONT) ;

“ LES MAINS DE JEANNE-MARIE ”

Poème retrouvé d'Arthur RIMBAUD ;

les LETTRES DE GUERRE

de Jacques VACHÉ ;

des poèmes et des proses de :

Guillaume APOLLINAIRE.   Stéphane MALLARMÉ

Louis ARAGON.   Jules MARY.

Georges AURIC.   Darius MILHAUD.

André BRETON.   Paul MORAND.

Blaise CENDRARS.   Jean PAULHAN.

Charles CROS.   Raymond RADIGUET.

Pierre DRIEU LA ROCHELLE.   Maurice RAYNAL.

Paul ELUARD.   Pierre REVERDY.

Léon-Paul FARGUE.   Jules ROMAINS.

Bernard FAY.   Henri ROUSSEAU.

André GIDE.   André SALMON.

Henri HOPPENOT.   Philippe SOUPAU

Max JACOB.   Tristan TZARA.

Valery LARBAUD.   Paul VALÉRY.

N° 10, REVUE MENSUELLE, Décembre 1919.

LITTÉRATURE

DIRECTION

9, PLACE DU PANTHÉON, 9

DIRECTEURS :

LOUIS ARAGON - ANDRÉ BRETON PHILIPPE SOUPAULT

RÉDACTION : 9, Place du Panthéon, PARIS.

ADMINISTRATION : AU SANS PAREIL, 102, rue du Cherche-Midi.

ABONNEMENTS

Pour la France Edition ordinaire....   15 fr. par an

Edition de luxe ....   60 fr. par an

Prix du numéro : 1 fr. 50

Pour l'étranger Edition ordinaire....   20 fr. par an

Edition de luxe....   80 fr. par an

Prix du numéro : 2 fr.

SOMMAIRE

Un acte nécessaire.

Tristan TZARA....   Lettre ouverte à Jacques Rivière.

Igor STRAWINSKY....   Berceuse du Chat.

   Chansons plaisantes.

André BRETON....   Les Champs Magnétiques (suite) : III. - Eclipses.

et Philippe SOUPAULT....

Irène HILLEL-ERLANGER....   Par amour.

Chroniques

ENQUETE : Pourquoi écrivez-vous ?

Réponses de MM. Louis Vauxcelles, Henri Ghéon, Mme Jean Bertheroy, MM. Paul Féval fils, Jean Royére, Jean Giraudoux, Joseph Reinach, Fernand Divoire, Ceorges Pioch, Mme Rachilde, MM. F. Vandérem, Max-Jacob, Georges Lecomte, Mme Marcelle Tinayre, MM. Paul Morand, A. Doderet, J.-H. Rosny aîné, Paul Eluard, Jean Ajalbert, André Gide, Blaise Cendrars, Louis de Gonzague-Frick, Eugène Montfort, Willy, Pierre Mille, Pierre Reverdy, Jules Mary. Paul Valéry.

LIVRES CHOISIS, par Louis ARAGON, TRISTAN TZARA.

SPECTACLES, par Philippe SOUPAULT.

LES ARTS, par Maurice RAYNAL.

PALET.

Il a été tiré de ce numéro 15 exemplaires sur papier de Hollande de Van Gelder Zonen numérotés de 1 à 15.

EXEMPLAIRE N°

P. 1 UN ACTE NÉCESSAIRE

Nous apprenons avec émotion l'arrestation de MARINETTI, inculpé d'attentat à la sûreté de l'état italien et menacé d'une peine de plusieurs années de travaux forcés. N'admettant pas qu'on puisse se désintéresser de sauvegarder le droit de l'opinion, nous prenons l'initiative d'une manifestation publique en l'honneur du poète au cours de laquelle seront interprétés des fragments de son oeuvre. Les personnes désireuses d'y prendre part par la lecture d'hommages ou de tout autre manière sont priées de nous le faire savoir. En vue d'organiser le programme de cette manifestation, elles seront conviées prochainement à une réunion préalable. Nous publierons, d'autre part, les noms de ceux de nos lecteurs soucieux d'affirmer avec nous la solidarité qui unit les intellectuels, au-dessus et en dehors des nationalités et des partis. Les adhésions seront reçues à LITTÉRATURE jusqu'au 25 décembre.

P. 2 LETTRE OUVERTE

à Jacques Rivière

En réponse à la note MOUVEMENT DADA parue dans la Nouvelle Revue Française du 1er septembre 1919, Tristan Tzara a adressé à Jacques Rivière la lettre suivante, à laquelle celui-ci n'a pas fait droit de publication.

On n'écrit plus aujourd'hui avec la race, mais avec le sang (quelle banalité !). Ce que pour l'autre littérature était le caractéristique, est aujourd'hui le tempérament. C'est à peu près égal si l'on écrit un poème en siamois ou si l'on danse sur une locomotive. Ce n'est que naturel pour les vieux de ne pas observer qu'un type d'hommes nouveaux se crée un peu partout. - Avec d'insignifiantes variations de race l'intensité est, je crois, partout la même, et si l'on trouve un caractère commun à ceux qui font la littérature d'aujourd'hui, ce sera celui de l'antipsychologie.

Il y aurait encore tant de choses à dire et, d'abord, que penserait M. Gide en lisant dans le journal une nouvelle de ce goût : la création à Berlin d'une école gidesque ? Assurez le d'ailleurs que R. M. Rilke, dont il écrit que c'est le plus grand poète allemand parce P. 3 qu'il est devenu par simple formalité tchéco-slovaque, n'est qu'un poète sentimental et un peu bête. On peut, sans être né sur le territoire de la Tchéco-Slovaquie, sembler plus sympathique. Trop peu connue est l'opposition de certains littérateurs allemands en Suisse : espoir dans la défaite de l'esprit germanique, préparation lente de la révolution, etc., du reste, aussi peu intelligents que tout propriétaire d'un point de vue.

J'ai eu pendant la guerre une attitude (!) assez nette, pour que je puisse me permettre d'avoir des amis là où je les trouve sans être obligé d'en rendre compte aux personnages qui délivrent les certificats de bonne conduite dont l'opinion publique sait mal se passer.

Quoique je tente de ne perdre aucune occasion de me compromettre, je me permets de vous communiquer (un certain sens de la propreté m'a toujours inspiré le dégoût des élaborats journalistiques) que j'ai proposé, il y a trois années, pour titre d'une revue, le mot DADA. Cela se passa à Zurich où, quelques amis et moi, nous pensions n'avoir rien de commun avec les futuristes et les cubistes. Au cours de campagnes contre tout dogmatisme, et par ironie envers la création d'écoles littéraires, DADA devint le “ Mouvement DADA ”. Sous l'étiquette de cette nuageuse composition s'organisèrent des expositions de peinture, je fis paraître quelques publications et mis en colère le public de Zurich qui assista aux soirées d'art se réclamant de cet illusoire Mouvement. Dans le manifeste de DADA 3, j'ai décliné toute responsabilité d'une école lancée par les journalistes et appelée communément le “ Dadaïsme ”. Ce n'est, après tout, que comique si des maniaques ou des hommes ayant collaboré à la décomposition de P. 4 l'ancien organisme germanique ont propagé une école que je n'ai jamais voulu fonder.

Si on écrit, ce n'est qu'un refuge : de tout “ point de vue ”. Je n'écris pas par métier et n'ai pas d'ambitions littéraires. Je serais devenu un aventurier de grande allure, aux gestes fins, si j'avais eu la force physique et la résistance nerveuse de réaliser ce seul exploit : ne pas m'ennuyer. On écrit aussi parce qu'il n'y a pas assez d'hommes nouveaux, par habitude ; on publie pour chercher des hommes, et pour avoir une occupation (cela même, c'est très bête). Il y aurait une solution : se résigner ; tout simplement : ne rien faire. Mais il faut avoir une énorme énergie. Et on a un besoin presque hygiénique de complications.

TRISTAN TZARA.

P. 5 BERCEUSES DU CHAT

I

SUR LE POELE

Dors sur le poêle

bien au chaud, chat,

la pendule bat, elle bat

mais pas pour toi.

II

INTÉRIEUR

Le chat dans un coin casse des noisettes,

La chatte sur le foyer fait sa toilette,

Et les petits chats ont mis des lunettes.

Guignent, guignent les petits

si le vieux n'a pas fini,

pas encore, mais tant pis.

P. 6 III

DODO

Dodo, l'enfant do, l'enfant dormira bientôt...

Auiourd'hui le chat a mis son bel habit gris

pour faire la chasse aux souris.

Dodo l'enfant do, l'enfant dormira bientôt.

Otera son bel habit

si l'enfant n'est pas gentil

Dodo l'enfant do, l'enfant dormira bientôt.

IV

CE QU'IL A LE CHAT

Ce qu'il a le chat

c'est un beau berceau qu'il a ;

mon enfant à moi en a

un bien plus beau que ça.

Ce qu'il a le chat

c'est un coussin blanc qu'il a ;

mon enfant à moi en a

un bien plus blanc que ça.

Ce qu'il a le chat

c'est un tout fin drap qu'il a ;

mon enfant à moi en a

un bien plus fin que ça.

Ce qu'il a le chat

c'est un chaud bonnet qu'il a ;

mon enfant à moi en a

un bien plus chaud que ça.

P. 7 CHANSONS PLAISANTES

I

L'ONCLE ARMAND

Console-toi, vieil oncle Armand,

tu t'fais bien trop de mauvais sang ;

laisse aller tout droit ta jument

à l'auberge du Cheval Blanc :

là est un joli vin clair

qui fait soleil dans le verre ;

le joli vin rend le coeur content

noie ton chagrin dedans.

II

LE FOUR

Louise, viens vite, viens vite, ma fille,

ta pâte est levée...

Cours à la cuisine

chercher la farine...

Les canards commencent à souffler

dans leurs mirlitons crevés.

Voilà le coq qui leur répond

et les poules qui tournent en rond.

P. 8 III

LE COLONEL

Le colonel part pour la chasse,

tire sur une bécasse :

manque sa bécasse ;

tire sur une perdrix :

la perdrix s'enfuit,

tombe et casse son fusil ;

il appelle son chien ;

son chien n'répond rien.

Sa femme l'a reçu,

sa femme l'a battu.

Chassera jamais plus.

IV

LE VIEUX ET LE LIEVRE

Dans une ville en l'air

un vieux assis par terre.

Et puis voilà qu'le vieux

fait cuire sa soupe sans feu.

Un lièvre sur la route

lui demande sa soupe.

Et l'vieux a dit comme ça

au bossu d'se tenir droit,

au manchot d'étendre les bras,

et au muet d'parler plus bas.

Igor STRAVINSKY.

(trad. C.-F. RAMUZ).

P. 9 LES CHAMPS MAGNÉTIQUES

(Suite)

III. - ECLIPSES

La couleur des saluts fabuleux obscurcit jusqu'au moindre râle : calme des soupirs relatifs. Le cirque des bonds malgré l'odeur de lait et de sang caillé est plein de secondes mélancoliques. Il y a cependant un peu plus loin un trou sans profondeur connue qui attire tous nos regards, c'est un orgue de joies répétées. Simplicités des lunes anciennes vous êtes de savants mystères pour nos yeux injectés de lieux communs.

A cette ville du nord est appartient sans doute le privilège délicieux de cueillir sur ces montagnes de sable et de fossiles ces affres serpentines. On ne sait jamais ce que les filles de ces pays sans or nous apportent de liqueur condensée.

Le promontoire de nos péchés originels est baigné des acides légèrement colorés de nos scrupules vaniteux ; la chimie organique a fait de si grands progrès. Dans cette vallée métallique, les fumées, pour un sabbat cinématographique, se sont donné rendez-vous. On entend les cris d'effroi des goélands égarés, traduction spontanée et morbide du langage des colonies outragées. La seiche vagabonde jette un liquide huileux et la mer change de couleur. Sur ces plages de P. 10 galets tachés de sang on peut entendre les tendres murmures des astres.

L'équinoxe absolu.

Lorsque l'on tourne le dos à cette plaine on aperçoit de vastes incendies. Les craquements et les cris se perdent et l'annonce solitaire d'un clairon anime ces arbres morts.

Aux quatre points cardinaux la nuit se lève et tous les grands animaux s'endorment douloureusement. Les routes et les maisons s'éclairent. C'est un grand paysage qui disparaît.

Les plus humbles regards des enfants maltraités donnent à ces jeux une langueur repoussante. Les plus petits se sauvent et chaque souci devient un espoir sans bornes. Vieillesses des maladies inventées pouvez-vous lutter sans cesse ? Quatre des plus héroïques sentiments et toute la troupe des désirs repoussés pâlissent et perdent un sang épais. Courage auxiliaire des troupeaux empestés, union des lamentations montagnardes, torrents des malédictions salutaires. C'était une perpétuelle succession, la circulation saccadée des aurores et le circuît sensationnel des lentes rougeurs.

Dans un verre plein d'un liquide grenat un intense bouillonnement créait des fusées blanches qui retombaient en rideaux brumeux. Les hommes aux yeux éteints s'approchaient et lisaient leur destin dans les vitres dépolies des habitations économiques. Ils voyaient les mains potelées des marchandes de sensations habituelles et toujours au même endroit les animaux abrutis et dévoués.

Et cette ardeur lourde qui vers deux heures de l'après-midi passe près des ponts normaux, s'appuyait lentement sur les parapets. Les nuages sentimentaux accouraient. C'était l'heure exacte et prévue.

P. 11 La lumière galopante meurt continuellement en éveillant les bruissements infinis des plantes grasses. Les richesses chimiques importées brûlaient aussi lourdement que l'encens. Horizontalement les charmes festonnés de rêves actuels s'étendaient. Dans ce ciel bouillant les fumées se transformaient en cendres noires et les cris s'appliquaient aux degrés les plus hauts. A perte de vue les théories monstrueuses des cauchemars dansaient sans suite.

A cette heure tumultueuse les fruits pendus aux branches brûlaient.

L'heure des météores n'est pas encore venue.

La pluie simple s'abat sur les fleuves immobiles. Le bruit malicieux des marées va au labyrinthe d'humidités. Au contact des étoiles filantes, les yeux anxieux des femmes se sont fermés pour plusieurs années. Elles ne verront plus que les tapisseries du ciel de juin et des hautes mers ; mais il y a les bruits magnifiques des catastrophes verticales et des évène ments historiques.

Un homme ressuscite pour la deuxième fois. Sa mémoire est plantée de souvenirs arborescents et il y coule des fleuves aurifères ; les vallées parallèles et les sommets incultes sont plus silencieux que les cratères éteints. Son corps de géant abritait des nids d'insectes poisseux et des tribus de cantharides.

Il se lève et son effort éveille tous les bourdonnements cachés. Sur son chemin lumineux les animaux lançaient leurs cris.

La mer tourmentée illuminait les régions ; une végétation instantanée disparut et des agglomérations de vapeurs découvrirent les astres. Activité céleste pour la première fois explorée. Les planètes s'approchaient P. 12 à pas de loup et les silences obscurs peuplaient les étoiles. Les collines s'entourent des moindres lenteurs. Il ne reste sur les marais que les souvenirs des vols. La nécessité des absurdités mathématiques n'est pas démontrée. Pourquoi ces insectes soigneusement écrasés ne meurent-ils pas en maudissant les douleurs assemblées ? Tous les chers malheurs nous poussent vers ces coins délicieux. L'arbre des peuples n'est pas pourri et la récolte est sur pied. Les ordres des chefs ivres flottent dans l'atmosphère alourdie. Il n'y a plus à compter. Le courage est aboli. Concessions à perpétuité.

L'oiseau dans cette cage fait pleurer la jolie enfant vouée au bleu. Son père est explorateur. Les petits chats nouveaux-nés tournent. Il y a dans ce bois des fleurs pâles qui font mourir ceux qui les cueillent. Toute la famille est prospère et se réunit sous ce tilleul après les repas.

Un croupier verse l'or à pleines mains. L'oubli est la plus belle ardeur. On ne songe qu'aux cris. Les boissons chaudes sont servies dans des verres de couleur.

C'est en des ruelles sans but que trouvent naissance les grands péchés mortels condamnés au pardon. Sinistres poteaux indicateurs, il est inutile d'accourir munis de votre flacon de sel.

On a vue sur un nombre incalculable de lacs sans liens sucés par cette petite barque au nom merveilleux. De bonne heure ce disque haletant apparut sur les voies que nous traçions. Bras sans suite. Moulures sourcilleuses. Ce ne pouvait être qu'une alerte. Les balles de coton arrivaient à donner naissance au soleil vomi comme sur les affiches. Ce qui précède a trait aux singularités chimiques, à ces beaux précipités certains.

P. 13 J'arriverai peut-être à diriger ma pensée au mieux de mes intérêts. Soins des parasites qui entrent dans l'eau ferrugineuse, absorbez-moi si vous pouvez. Les sacs de chicorée ornement des armoires participent de leur teint. De tous les navigateurs supposables celui qui a la poitrine en forme d'escale me plaît le mieux. Sur une piste bondée d'étoiles ces cycles insensés soufflent le vent.

On n'a plus beaucoup de jours à dormir.

Après les fleuves de lait trop habitués au vacarme des pêcheuses, les grelots de l'estuaire, sous des bannières déteintes et dans ces perles se nacrent tant d'aventures passées qu'il fait bon. Né des embrassements fortuits des mondes délayés ce dieu qui grandissait pour le bonheur des générations à venir, comprenant que l'heure est venue, disparaît dans l'éloignement des mille électricités de même sens.

Suintement cathédrale vertébré supérieur.

Les derniers adeptes de ces théories prennent place sur la colline devant les cafés qui ferment.

Pneus pattes de velours.

Au large passent les fumées silencieuses et les balles suspectes. Sans merci le balancement amoureux des trombes saisit d'admiration les petits lacs et les ballons dirigeables évoluent au-dessus des armées. Ces rois de l'air adoptent une constitution nécessaire de brouillards et les tribunes s'ouvrent devant l'archevêque jaune qui a l'arc-en-ciel pour crosse et une mitre de pluie ensoleillée.

Au retour ailé de la carcasse d'âne sur le chant des mourants tout à la couleur des prairies ; seul un insecte s'oublie dans les roses de la lampe. Il est venu de ces canaux serrés dont est fait le paillon des bouteilles et s'ennuie à mourir. Je suis touché de sa contenance honorable, de ses vivacités charmantes quand je mets la main dessus. Le sang des perceoreilles P. 14 environne les plantes dont on fait tenir les feuilles au moyen d'épingles de sûreté.

Raide tige de Suzanne inutilité surtout village de saveurs avec une église de homard.

Les étalages deviennent la proie d'une infinité de microbes fluets et cela se met jusque dans les robes de mariées. Sous couleur d'amour on dépeint aux belles des demeures mouvantes aux murs saumons. Ces épiceries belles comme nos réussites aléatoires se font concurrence d'étage en étage du labyrinthe. Une pensée coupable assiège le front des commis. Sur une lanière de ciel sifflante les mouches parjures retournent aux grains de soleil. Aux petites lyres clignotantes se poursuivent trois ou quatre rêveries signalables dans les accidents de terrain. Les anarchistes ont repris place dans la Mercédès. Un marchand de chambres à air qu'ils ont fait boire à leur santé soupire en ensemençant la route. Nous n'osons plus penser au lendemain à cause de ces bouteilles remplies de copeaux de cuivre et argentées à la surface des mers. On pâlit sur des manuscrits déteints par le sommeil et épongés de cendre. On sera pris la mains dans le coffre-fort : 13 est un nombre sûr. Les mauvaises actions nous sont comptées comme les bonnes et nous les commettons de sang-froid : mais dans les villes délicieusement ajourées, les hôtels aux murs de verre (ô le plancher de nos larmes bataviques !) nous avons de ces lassitudes poignantes comparables à l'embroussaillement des eaux sur les montures de corail blanc. Nous nous étoilons en d'incompréhensibles directions, parmi les grandes veines bleues du lointain et dans les gisements.

On signale ici le passage émouvant des croiseurs P. 15 à une heure du matin. Ce n'est plus la course de régates rayure de ce jeudi. Je deviens régulier comme un verre de montre. Sur terre il se fait assez tard et l'on craint comme un rapprochement éternel de murailles. L'artifice des mois se déclare. Les rideaux sont des calendriers. Sans se distinguer des immeubles environnants deux ou trois maisons de rapport s'interpellent. Nous nous posons des devinettes atroces froissées sur rien comme du papier de soie. Cela dure longtemps sans qu'il soit nécessaire de se creuser la tête avec la charité ou autre chose. Sous le rapport des jeux nous sommes favorisés, à ce qu'on voit. Nous nous attirons de la limaille blessante pour le plaisir.

A la tête d'une compagnie d'assurances, nous avons fait mettre notre rêve qui est un beau malfaiteur. Les petits passe-temps anecdotiques qui montent aux jambes de nos cigares nous émeuvent médiocrement. Je n'ai pas un sou à mettre dans le journal. Au plus offrant des crépuscules s'abandonne un mobilier de grand style qui m'appartenait. Cela m'est égal à cause des moyens de transport qui mettent à ma portée le seul luxe instinctif. Je ne recherche rien tant que ces courants d'air qui déforment utilement les petites places. A Paris il y a des monticules poudreux qui se retirent de la circulation. Le veilleur de nuit fixe une lanterne jaune et rouge et se parle des heures à haute voix, mais sa prudence ne produit pas toujours l'effet espéré.

Il se prépare de jolis coups de grisou tandis que, la tête en bas, les élégantes partent pour un voyage au centre de la terre. On leur a parlé de soleils enfouis. Les grands morceaux d'espace créé s'en vont à toute vitesse vers le pôle. La montre des ours blancs marque l'heure du bal. Les agrès stupides de P. 16 l'air, avant d'arriver, forment des singes qui comprennent vite qu'on s'est moqué d'eux. Ils détendent leur queue d'acier trempé. Leur bonne étoile est l'oeil, révulsé à cette hauteur, des femmes qu'ils enlevèrent. La grotte est fraîche et l'on sent qu'il faut s'en aller ; l'eau nous appelle, elle est rouge et le sourire est plus fort que les fentes qui courent comme des plantes sur ta maison, ô journée magnifique et tendre comme cet extraordinaire petit cerceau. La mer que nous aimons ne supporte pas les hommes aussi maigres que nous. Il faut des éléphants à têtes de femmes et des lions volants. La cage est ouverte et l'hôtel fermé pour la deuxième fois, quelle chaleur ! A la place du chef on remarque une assez belle lionne qui griffonne son dompteur sur le sable et s'abaisse de temps à temps à le lécher. Les grands marais phosphorescents font de jolis rêves et les crocodiles se reprennent la valise faite avec leur peau. La carrière s'oublie dans les bras du contremaître. C'est alors qu'intervient le gros poussier des wagonnets qui excuse tout. Les petits enfants de l'école qui voient cela ont oublié leurs mains dans l'herbier. Comme vous ils s'endormiront ce soir dans l'haleine de ce bouquet optique qui est un tendre abus.

ANDRÉ BRETON et PHILIPPE SOUPAULT (1).

(1) Le fragment paru dans les numéros 8, 9 et 10, est tiré des Champs Magnétiques, à paraître prochainement.

P. 17 "Par amour"

fantaisie musicale et variations sur le

Nom

de

PEARL WHITE

Nom joliment ajusté à cette exquise héroïne de la vie américaine vue à travers le Ciné-feuilleton

“ Vie américaine ” 1919 comme

“ Vie parisienne ” 1865.

(Cora - Pearl - White)

Celle-ci : Paris par Triple prisme scintillant (Meilhac-Halévy-Offenbach)

Celle-là : rose de lapidaire taillée à facettes et

Pearl White

nous entraîne dans un New-York féerie

le Tube de Radium

et quelques choses analogues tenant lieu de baguette magique

PEARL

actuelle acrobatique

rieuse verveuse nerveuse (et de sang-froid)

sachet cachet

rêve d'amour et revolver

boxe bouquets

joyau gingembre et jiu-jitsu

ÉCRAN

Pearl paraît

d'abord

Son Elégance :

divinement chaussée

P. 18 nettement gantée

(si bien coiffée : à la qu'importe !)

bien équilibrée entre ces 2 pôles magnétiques du

Vrai-Chic :

la chaussure

et le gant

elle peut - avec quel brio ! - débrider sur des airs de bravoure sa virtuosité vibratile !

Miss Pearl White

abandonne le Ciné-feuilleton (dit-on) ?

Tant pis pour nous !

Oh ! je sais bien - il est bon ton

(de dire)

- C'est insipide

en cette époque de cocktails (secs) et cocaïne

(Certes !) il faut un certain courage pour soutenir son opinion et ce dialogue (simple)

- Aimez-vous les éclairs à la vanille ?

- Moi, j'en raffole !

il est bon ton cet air “ Protection de l'Enfance ” envers (et contre) ce qui plaît (simplement et de tout coeur !)

Charme !

(“ et ces bonheurs légers qui font aimer la vie... ”)

NOUS

heureusement

(le temps n'est plus où le spectacle fournissait chaque soir des rallongês à nos soucis quotidiens. Sur scène (alors) des messieurs épais commentaient leurs embarras gastriques et Le Moniteur des Intérêts matériels (sic) leur dame versait des larmes glacées sur ses embarras d'argent tout en faisant le recensement de ses amants)

PEARL

épousera-t-elle

le Beau Garçon

(après qu'elle aura démasqué, traqué (braqué son revolver sur) le félon que sa famille maladroite lui destine)

pour époux

Pearl

ce beau garçon

frais comme l'oeil

franc comme l'or

fidèle et fort

P. 19 qui vous escorte vous prête main forte

Oh ! oui ! ! oui ! oui !

embrassez-le ! épousez-le !

(à la fin du 35e épisode)

Pearl

“ Courage ! Voilà de la bonne Comédie ”.

Enigmes Signes

Vous êtes partout

si seulement nous savions lire savions voir

mais nous sommes des

liseurs charnels

et des

aveugles outrecuidants

Paraboles

Pearl

écrit la destinée

(comme fait chacun de nous sans le savoir),

dans chacun de ses gestes

- (alors... vraiment... vons trouvez si ridicules ? ces pas, repas, trépas, départs, suites et poursuites et traquenards, ces guet-apens perpétuels, ces chausse-trapes - sous-sols - envols - ces laminoirs marteaux-pilons - cuves - poisons, etc. etc.

et cette fraîcheur jamais perdue

et cette audace et cet oubli d'hier)

(chaque épisode moi je crois voir toute

l'Histoire

Sont-ils loin ces événemeuts qui nous frappaient qui nous broyaient nous surprenaient ?

Qu'avons-nous fait ? Nous battre nous débattre et vivre)

et nous dansions avant et nous dansons après

et toujours tête baissée nous donnerons dans les mêmes panneaux et nous en sortirons - si Dieu veut - pour recommencer

La vie nous apprend à vivre

non pas à nous diriger

autre chose

Sourire de Pearl

vous dites ?

- un peu sucre candi et en série ! ce sourire-là

- peut-être mais

P. 20 On devient ce qu'on fait semblant d'être

alors

plutôt que ce

verglas de méfiance et méchanceté à nous casser les bras les jambes

(en société)

plutôt :

le beau Soleil de ce Sourire

de

Pearl

Joie

d'être soi

d'être compris

épanoui

en

l'atmosphère d'amour !

Don de Sympathie

O généreuse affectueuse

impétueuse

Inspirée

Perle !

Rythme

rencontres

battements inouïs du coeur qui éclate

O

donnez-nous

donnez

ce

Rythme

encore...

encore...

....

- Mais... qu'est-ce que je voulais dire... Ah ! oui :

Le dernier Ciné-roman

de

Miss Pearl White

s'appelait

“ PAR AMOUR ”

IRENE HILLEL-ERLANGER.

P. 21 NOTRE ENQUETE

Nous commençons aujourd'hui la publication des lettres qui nous sont parvenues. Dans chaque numéro - non d'un numéro à l'autre - nous suivrons pour les faire paraître l'ordre inverse de nos préférences afin de maintenir l'intérêt de la lecture et d'éviter à nos correspondants la surprise d'un commentaire.

POURQUOI ÉCRIVEZ-VOUS ?

M. LOUIS VAUXCELLES

Pourquoi j'écris, mon confrère ? Mais pour le plaisir d'exprimer librement ma pensée.

LOUIS VAUXCELLES.

M. HENRI GHÉON

J'écrivais autrefois pour mon plaisir et pour la gloire ; je plaçais mon plaisir très haut et la gloire très loin ; je n'avais que l'amour de l'art. La guerre a changé tout cela. J'écris aujourd'hui pour servir. Pour servir Dieu, l'Eglise de Dieu et la France ; c'est le meilleur moyen à mon sens, de bien servir l'art, quand on est comme moi, chrétien, catholique et français. Mais, je ne dis pas que la gloire m'est devenue indifférente, et quant au plaisir que mon art me donne, il ne fut jamais, à beaucoup près, si vif, au temps où m'échappait l'impérieux devoir d'être utile.

HENRI GHÉON.

MADAME JEAN BERTHEROY

J'écris pour essayer d'exprimer tout ce qu'il peut y avoir de divin dans la condition humaine.

JEAN BERTHEROY.

P. 22 M. PAUL FÉVAL FILS

Né au milieu des manuscrits de mon père, dans une maison où les succès du romancier et de l'auteur dramatique apportaient l'aisance, avec le va-et-vient continuel des journalistes, des artistes, des éditeurs et des directeurs, il m'eût été bien difficile de rêver une carrière autre.

Écrire m'est un plaisir.

A côté de l'existence commune l'homme de lettres s'extériorise par imagination, des deux vies la seconde est préférable à la première.

Le rêve surpasse la réalité.

PAUL FÉVAL.

M. JEAN ROYERE

Nous me demandez pourquoi j'écris ? Je réponds :

un peu pour initier

beaucoup pour exalter

passionnément pour enivrer

pas du tout pour détruire.

JEAN ROYERE

M. JEAN GIRAUDOUX

J'écris le français n'étant ni suisse, ni juif et parce que je possède tous mes diplômes : Grand Prix d'Honneur du Lycée Lakanal (1904, excellente année), premier prix du Concours Général (1906, année non moins bonne). Licence ès-lettres, mention très bien. Sorti premier de l'Ecole Normale Supérieure. Né à Bellac (Haute-Vienne).

JEAN GIRAUDOUX.

M. JOSEPH REINACH

Parce que je crois, - et quand je crois, - à tort ou à raison, avoir quelque chose d'utile à dire.

JOSEPH REINACH.

M. FERNAND DIVOIRE

Demandez-ça à Monseigneur l'Hyperconscient.

FERNAND DIVOIRE.

M. GEORGES PIOCH

Pour vivre, - à tous les sens divers qui sont donné au verbe “ vivre ”.

GEORGES PIOCH.

P. 23 MADAME RACHILDE

Parce que j'aime le silence.

RACHILDE.

M. FERNAND VANDÉREM

Pour vivre - spirituellement et matériellement.

FERNAND VANDÉREM.

M. MAX JACOB

Pour mieux écrire !

MAX JACOB.

M. GEORGES LECOMTE

Président de la Société des Gens de Lettres

Pourquoi j'écris ? Pour essayer de voir plus clair en moi et pour regarder avec plus de passion attentive les spectacles de beauté. Par besoin de formuler pour soi-même mes émotions et de combattre pour mes idées, par amour des mots vivants clairs et colorés de la langue francaise, par goût de l'action libre. Car il n'est aucun mode d'expression qui donne aussi bien le sentiment de la pleine liberté. Devant son papier blanc, l'écrivain a la joie et la fierté de sentir qu'il ne dépend que de lui-même. Et c'est une des plus nobles joies.

GEORGES LECOMTE.

MADAME MARCELLE TINAYRE

J'écris, parce que cela me fait plaisir et parce que c'est ma vocation, comme un pommier porte ses pommes.

MARCELLE TINAYRE.

M. PAUL MORAND

J'écris pour être riche et estimé.

PAUL MORAND.

M. ANDRÉ DODERET

J'écris pour ne pas penser.

ANDRÉ DODERET

P. 24 M. J.-H. ROSNY AINÉ

de l'Académie Goncourt.

Par vocation, je crois... j'écrivais déjà à l'âge de onze ans, et je n'ai pas cessé depuis... C'est une maladie ultra chronique.

J. H. ROSNY AINÉ.

M. PAUL ELUARD

J'écris et crois répondre intéressant.

Son jeune et court récit indique sa jeunesse évidemment crédule. Rompez immédiatement, sans joie écrivez comme rien.

Ici, sans joues, épouvantable, crâne rond, ideux, S... jouit, empoche, crache, rougit. Inspiré, S.., joint écrire, couronne, rêver. Il se joue. Et, calme, renaît immobile, sage, pour apprendre une leçon.

ELUARD.

M. JEAN AJALBERT

de l'Académie Goncourt.

Pourquoi j'écris ? Je me le demande !

JEAN AJALBERT.

M. ANDRÉ GIDE

Vous pourrez classer les écrivains selon que leur réponse à votre enquête commencera par “ afin de ”, “ pour ” ou par “ parce que ”.

Il y aura ceux pour qui la littérature est surtout un but, et ceux pour qui surtout un moyen.

Quant à moi, j'écris parce que j'ai une bonne plume, et pour être lu par vous... Mais je ne réponds jamais aux enquêtes.

ANDRÉ GIDE.

M. BLAISE CENDRARS

Parce que.

BLAISE CENDRARS.

M. LOUIS DE GONZAGUE-FRICK

En vérité j'écris pour donner de mes nouvelles poétiques à mes amis dont je vous adresserai la liste complète et commentée au premier loisir.

LOUIS DE GONZAGUE FRICK.

P. 25 M. EUGENE MONFORT

Pourquoi j'écris ? Parce que j'ai ça dans la peau.

EUGENE MONTFORT.

M. WILLY

Pourquoi j'écris ?

Pour convaincre quelques confrères - des deux sexes - que malgré leur vif désir de me voir enterré, je dure encore.

WILLY.

M. PIERRE MILLE

Parce que je n'ai réussi dans aucune autre profession, même inavouable.

J'ai l'air de me fiche de vous, mais si vous voulez bien y réfléchir un instant, c'est là la seule définition scientifique qu'on puisse donner de la “ vocation ”.

PIERRE MILLE.

M. PIERRE REVERDY

Vous m'écrivez pour me demander.

J'écris pour vous répondre.

On écrit aussi pour faire parler de soi, en s'occupant bien plus de faire écrire sur ses oeuvres que de savoir si elles sont dignes qu'on en parle ; mais ceci est déjà une tendance ! Pour le moment je ne lis que les affiches électorales. Eh bien, on écrit aussi pour que les autres en prennent de la graine !!! Vous comprenez ce qu'il y a !

PIERRE REVERDY.

M. JULES MARY

Président d'honneur de la Société des Gens de Lettres

Vous me demandez : “ Pourquoi écrivez-vous ? ” C'est un problème dont je ne me charge pas de vous apporter la solution. Il eut été mieux, je crois, de me demander :

“ Pourquoi, au lieu d'être employé, professeur, laboureur ou “ soldat, pourquoi avez-vous écrit ? ” Car j'ai commencé d'écrire à un âge où je n'étais guère en état de sonder mon coeur et d'y voir clair. A dix ans, j'avais lu et relu dix fois l'Iliade dont une traduction m'était tombée sous la main. A douze ans, j'avais lu - étonnant voisinage - Balzac et les Grands Naufrages, Ponson P. 26 du Terrail et la Vie des Martyrs, George Sand et l'Histoire des Corsaires, Paul de Kock, Frayssinous et Lamennais.

Pourquoi, à treize ans, ai-je écrit mes premiers romans qu'on se passait, de pupitre à pupitre, à l'étude des grands, lesquels attendaient, anxieux, la suite au prochain numéro ?

Déjà !!

Pourquoi, les soirs d'été, afin de pouvoir lire en m'éveillant plus tôt, m'attachais-je un poignet aux barreaux de mon lit ?

Et ne vous semble-t-il pas naturel, dès lors, qu'aux jours où j'étais fatigué de lire, j'aie songé en guise de repos à donner de la lecture aux autres ?

Maintenant, pourquoi ayant commencé, ai-je continué ? Pour quoi, une de mes belles histoires terminée, suis-je entraîné vers d'autres personnages ? Pourquoi les combinaisons de situations représentent-elles pour moi non seulement la grande joie de mon travail, mais un besoin de mon cerveau ? Pourquoi ? Pourquoi ?

Pourquoi suis-je de la génération qui, plus douloureusement que les autres, a porté le fardeau de 1870 ? Pourquoi m'en suis-je souvenu, essayant de réagir en mettant dans mes récits, mes convictions ardentes, mon espérance et mes appels à l'énergie populaire ?

Enfin, pourquoi, au moment où je vous écris, une araignée toute petite, toute menue, presque transparente, tisse-t-elle sa toile dans les plantes vertes de ma véranda ?

Pourquoi ?

JULES MARY.

M. PAUL VALERY

Par faiblesse.

PAUL VALÉRY.

(A suivre)

P. 27 LIVRES CHOISIS

Giuseppe Ungaretti - Allegria di naufrage.

Le flambeau de la guerre s'éteint avec une épaisse fumée : un homme parle, et ses yeux ne sont point d'ici ; il parle, et la vent du sud souffle sur nos visages. Que s'est-il passé ? Une douleur sans nom court à travers les rues.

Dans ce pays, étranger, tu pourras lutter victorieusement avec les femmes : tes regards en exil resteront plus lointains que les leurs.

Joseph Conrad - La Folie-Almayer.

La grande tristesse des blancs au bout du monde suit les bateaux qui regagnent l'Europe, comme un dauphin soulevé par les vagues. Les hommes de couleur ne la comprendront jamais.

Alfred Poizat - Le Symbolisme (De Baudelaire à Claudel).

En voilà assez.

André Salmon - Prikaz.

La légende des siècles crée un précédent. L'histoire rappelle de loin les dentelles pour vitrines et la Russie est un pays qui ne se rencontre que sur les cartes. J'ai connu un étudiant qui ne parvenait pas à démêler ses cheveux gras. Sa maîtresse s'appelait S., lui-même était russe et moi, stupide, je le croyais mêlé à des évènements historiques.

André Billy - La Guerre des Journaux.

“ Le lacet d'Almereyda pend comme une branche de salut dans l'abîme des suppositions gratuites. Les journalistes font bonne contenance sur divers bancs, et je n'oublierai pas de dire que celui-ci est poète, celui-là spirituel et que tous ont du talent. Le pseudonyme dont je signe ces produits de consommation courante est une voilette si légère qu'elle ne me dispense pas des coups de chapeau. ”

Louis ARAGON.

P. 28 Pic(3f9p1)bia.

On s'infuse dans le cirque bourré de roues dentées et où il n'y a que des roues dentées, comme l'odeur d'iode sous l'épiderme des tapisseries de bar. Si le cirque est petit et acide réveille-matin, capter les cavatines excédées, et la tente est transparente, ma tante accroupie sur le trapèze, le salto vital s'appelle PENSÉE.

Chaque roue vante sa construction faciale, son épanouissement giratoire, la régularité ou la coquetterie lucide chantent la façon dont elles stupéfient la vitesse, etc. Les désirs des roues, les spécialités des centres déchirent le cerveau et cassent les glaces systématiquement, enfoncent les corridors, et produisent, dans la plupart des cas et pour le sang de mauvais caractère, la constipation dont on connaît les suites fâcheuses.

Les écoliers évitent les maladies de cet ordre, Elégie, ode, qui proviennent de la dilatation d'une certaine roue, que je rougis de nommer en cette place.

Il est nécessaire non seulement que la machine soit en ordre, mais surtout que les bouts des paroles s'entrelacent un à l'autre dans des passages inaperçus et que l'acclimatation des heures devienne, sur les oreilles fragiles, maladie d'altitude grammaticale, mazurka de colibris dans les piles électriques, prépare la mixture permanente et le mastodonte reviendra dans votre monde avec les aboiements aromatiques des renards intangibles.

(La solution de ce rébus, qui est aussi un discours de M. Aa, l'antiphilosophe, nous a été envoyée par FRANCIS PICABIA : Pensées sans langage, chez E. Figuière)

Tristan TZARA.

SPECTACLES

Le Palais de Glace.

Ces gens ingénieux tournent sans s'étourdir. Leurs cerveaux sont pleins des refrains de cirque et la nuit ne les atteint pas. Chacun est à sa place dans ce bas monde. On attend la lune ou tout autre phénomène.

Les mystères sont les bienvenus.

P. 29 On aperçoit parmi la foule des patineurs MM. Aa l'antiphilosophe, Jean Richepin et André Breton.

Plus près du ciel et de la mer, nous aurions serré la main des journalistes et des chantres de la renommée (disent-ils).

Louis Aragon parle et va pleurer sans doute. Je lui ai dit tout bas : “ Sors, petite automobile ! ”

Les gens tournent tous les soirs à la recherche du lendemain. Ils savent où ils vont.

Les réunions publiques.

Les réunions publiques jusqu'ici très calmes, deviennent houleuses et très mouvementées. C'est ainsi que des scènes violentes se sont produites dans une réunion tenue par l'Union républicaine nationale, dans le 2e secteur de Paris (liste Millerand-Barrès).

A cette réunion que présidait, rue des Pyrénées, M. Virot, conseiller municipal, se trouvaient MM. Puech, Barrès, Galli, Paté, Erlich, Petitjean, amiral Bienaimé, Heppenheimer et Raoul Persil, ancien chef de cabinet de M. Millerand.

M. Erlich qui, à son retour de Russie, a quitté le parti socialiste unifié, exposait ses impressions sur le régime bolchevik, dont il indiquait le danger, quand il fut interrompu par de vives clameurs qui prirent le caractère d'un véritable scandale.

En présence de cette obstruction systématique, les électeurs présents protestèrent avec indignation et quittèrent la salle de réunion, tandis que les perturbateurs acclamaient les noms de Lénine et de Sadoul. On entendit même des cris de : “ A bas la France ! ”

MM. Barrès, Erlich, Paté et leurs amis se rendirent dans une brasserie voisine où, flétrissant les auteurs du guet-apens qui venait de se produire, ils rédigèrent une affiche de protestation, qui a été placardée par les soins des comités de l'Union républicaine.

Philippe SOUPAULT.

P. 30 LES ARTS

Derniers échos des Expositions du Salon d'Automne, de l'Automobile et canine.

En définitive, nul ne saurait parler du Salon d'Automne avec plus d'impartialité que moi, puisque je n'y ai pas fourré les pieds.

Qu'il fut annuel et bien d'automne. Plus encore, quelle mort tenace. Au retour de chacune de ces agonies périodiques, un usage très ancien veut que ses organisateurs tentent de l'animer par le “ supplément ” de quelques clous. Comme l'on a de nos jours l'enterrement facile et que le jeu du cadavre est assez en vogue, l'on convie à la fête les artistes morts à la guerre. Un “ pendant ” fut ajouté : quelques poules lançant des modes. Jusqu'ici et pour la joie des yeux, les artistes ne s'étaient pour ainsi dire jamais occupés de choses de la mode ; à compter d'aujourd'hui, nous nous attendons à des tentatives extraordinaires. “ L'art et la mode ”

C'est avec la plus scrupuleuse attention que j'ai examiné les multiples envois soumis à nos appréciations. Moralement s'entend, comme l'on dit. Il s'agissait de quelques produits de ce genre amoncelés là en manière de liquidation des stocks, comme dit si bien M. Roger Allard.

L'héroïsme était ailleurs, car tout ceci fleurait comme la crainte de quelque censure picturale. On eut dit d'un concours pour garnir les décors de l'Octave Feuillet que n'a cessé de jouer la Comédie Française durant les cinq années de la guerre.

Si Gleizes et Picabia n'eussent été sociétaires... On le fit bien voir d'ailleurs à Archipenko dont, après l'avoir refusé, l'on cassa l'envoi.. pour lui apprendre. Nous pourrions, il est vrai, attribuer encore ce bousillage à l'effet de quelque sollicitude prolétarienne pour “ ces fainéants d'intellectuels ” dont parle M. Jean Longuet.

Ce que j'aime au fond dans les peintures, car au fond on les aime un peu comme Hugo aimait le crapaud, ce fut, pour mon amour de la science, cette application de la construction en P. 31 série, que la “ mère Filliou ” de Lyon a si ingénieusement mise en pratique dans ses célèbres repas en série, également, où le même menu est servi quotidiennement pendant un an.

Autre chose. Il y a quelque dix ans, n'est-ce pas, Metzinger, nous célébrions avec la Section d'or cette heureuse influence des mathématiques sur l'art, que je n'ai jamais cessé de prôner. Nous avons depuis modifié ce point de vue qui nous parut insuffisant et, partant, singulièrement assoupli le nombre artistique.

Cependant il est mieux pour un débutant de s'initier d'abord au rudiment, et lorsqu'il saura bien la géométrie plane, M. Lhote pourra s'atteler comme l'on dit aux géométries supérieures (projective, puis analysis situs) que ses camarades du cours supérieur ont depuis longtemps digérées. Ainsi chaque jour l'artiste découvre quelque Amérique ; il en est cependant qui ne s'aventurent que sur lescartes. Pourtant la carte n'est jamais si blanche que cela et je voudrais proposer deux aphorismes comme thèmes à des développements.

“ 1° Il n'y a pas de blanc dans la nature ; 2° Il n'y a jamais longtemps qu'on sait ça. ”

C'est ainsi qu'en jetant un dernier coup d'oeil “ d'ensemble ” sur ces peintures, je ne puis m'empêcher de songer au fameux “ Nietzche pour boniches ” dont parlait jadis notre cher Max Jacob ; jadis, aux temps où sans aucun doute il redoutait déjà le Coq et l'Arlequin.

Ma chronique se termine ici. Toutefois, attendons-nous à une surprise. Dans la feuille hebdomadaire où M. Meyer pinturrichiait récemment encore sur l'admirable Picasso, verronsnous pas très prochainement le spirituel critique s'étonner des transports pour David qu'affichent depuis quelque temps plusieurs candidats de sa liste. C'est qu'autrefois M. Meyer avait horreur de l'Institut.

Je me souviens d'une délicieuse mosaïque italienne. Pour figurer le fameux ciel “ se retira comme un livre qu'on roule ” de l'Apocalypse, l'artiste avait figuré un ange qui enroulait un parchemin bleu sur lequel étaient peintes des étoiles d'or.

L'Exposition canine encore qu'elle ne présentât aucun chien, offrait un spectacle assez vivant, mais le Salon de l'Automobile...

Ici pas de lignes inutiles. “ Il abrège parce qu'il voit tout ” disait Montesquieu de Tacite. Un guéridon qui porte à peine une magnéto se blottit contre le fond noir de la limousine. On dirait un tableau de Juan Gris. La magnéto, marque Eole, P. 32 est jolie comme un coeur et douce au toucher comme une petite bête. On l'a arrachée de l'auto pour la jeter pantelante et morte sur la table Imposants comme des vaisseaux, les camions de l'artillerie lourde dorment. Des châssis éclatants barrés d'arceaux lumineux et d'affiches multicolores évoquent une toile de Léger. Au dehors, on a fait tourner devant moi le moteur d'une “ Renault ” : j'ai pensé entendre battre mon coeur. Que dire encore des jolis barbarismes de l'appareillage électrique. Mais je n'ai pas le temps L'esprit de plu-ieurs d'entre nous planait sur cette machinerie précieuse. Laissons le Salon d'Automne aux Galeries Lafayette ; mais à quand nos matinées comme nos expositions au Salon de l'Automobile.

Maurice RAYNAL.

PALET

Salon d'Automne 1919.

N'ONT PAS EXPOSÉ : Mme Marie Laurencin, MM. Braque, Derain, Picasso, de Chirico, Léger, Gris, Delaunay, Kisling, La Fresnaye, Arp, Janco, Duchamp, Survage, Larionow, Chagall, Carra, Laurens, Lipschitz, Férat, Delmarle, Metzinger, Sévérini, de Zayas, Archipenko.

ONT EXPOSÉ : MM. Picabia, Vlaminck, Matisse, Modigliani, Gleizes et Zadkine.

Le gérant : Philippe SOUPAULT.

Imp. R. TANCREDE, 15, rue de Verneuil, Paris (7e arr.).



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