Littérature n° 9, novembre 1919
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SOMMAIRE | |
André BRETON & Philippe SOUPAULT | Les Champs Magnétiques (suite) : Saisons. |
Guillaume APOLLINAIRE | Quelconqueries. |
Louis ARAGON | Sommeil de plomb. |
Max JACOB | Poèmes en prose. |
Blaise CENDRARS | M. 43. 57, Z. détenu (mémoires). |
Raymond RADIGUET | Côte d'Azur. |
Tristan TZARA | Atrocités d'Arthur et Trompette et Scaphandrier. |
Louis ARAGON | LIVRES CHOISIS |
Philippe SOUPAULT | SPECTACLES |
Darius MILHAUD | MUSIQUE | PALETS |
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Aux représentants les plus qualifiés des diverses tendances de la littérature contemporaine - tout en les priant de ne pas entrer dans l'exposé de ces tendances - nous avons cru bon de poser la question suivante :
Nous tiendrons nos lecteurs au courant des réponses qui nous seront parvenues.
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LES CHAMPS MAGNÉTIQUES
(Suite)
II. - SAISONS
Je quitte les salles Bolo de bon matin avec grandpère. Le petit voudrait une surprise. Ces cornets d'un sou n'ont pas été sans grande influence sur ma vie. L'aubergiste s'appelle Tyran. Je me retrouve souvent dans cette belle pièce avec les mesures de volume. Le chromo du mur est une rêverie qui se représente toujours. Un homme dont le berceau est dans la vallée atteint avec une jolie barbe à quarante ans le faîte d'une montagne et se met à décliner doucement. Les mendiants prononçaient le chatieau. Il y avait d'adorables colères d'enfant à propos de ces plantes qu'on applique sur les cors, il y avait les fleurs de lis conservées dans l'eau de vie quand tu tombais.
J'ai commencé à aimer les fontaines bleues devant lesquelles on se met à genoux. Quand l'eau n'est pas troublée (troubler l'eau nuit, paresser dans ce monde) on voit jaillir des pierres les parcelles d'or qui fascinent les crapauds. On m'explique les sacrifices humains. Comme j'écoute les tambours dans la direction du douë ! C'est ainsi qu'on nomme l'endroit non couvert où l'eau est faite de tous ces mouvements
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des paysannes. L'herbe gobe la nuit une quantité de galets blancs et parle plus haut que les cavernes retentissantes. Debout sur la grande balançoire sombre j'agite mystérieusement un feuillard de laurier. (Cela vient du temps où l'on m'asseyait sur les genoux.) Une histoire n'a jamais su m'endormir et je trouve un sens à mes petits mensonges d'alors, jolis sorbiers de la forêt. Ah ! seront-ce indéfiniment les vacances et ces jeux en rase campagne où je suis chef ?
Petits siffiets ; je t'ai bien aimée aussi, banlieue avec tes pavillons de chagrins, ton désolant jardinage. Lotissement des terrains j'ai votre plan dans de petites agences désertes. Le droit de pêche est compris. Voyage aller et retour en troisième s'effectuant au rappel de la leçon du lendemain ou des grands pièges bleus de la journée. Je me défie toujours un peu des gares rayonnantes et même des salles d'attente tempérées, du poinçonnage énigmatique des billets. Mais je tends une main charmante au moment de monter dans l'odeur de chevrefeuille. D'affreuses couronnes de pâquerettes me rappellent les petites filles le jour de la première communion ; je descends un escalier monumental avec des livres de prix. Je ne revois de l'école que certaines collections de cahiers. La science pittoresque avec ce chiffonnier si rare, les grandes Villes du Monde (j'aimais Paris). J'ai craint les parloirs et l'entrée de l'homme qui vient relever les absences. Les récréations pour jouer à la balle au chasseur sont trop loin. C'est à la manière de réciter la Jeune Captive que je choisis mon premier ami. Nous broyons des pastilles de menthe douces comme les premières
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lâchetés. La cour est réunie aux impératifs catégoriques du maître d'études. Les pupitres naviguent trois mâts sur le zéro de conduite avec l'étonnante poussière des vasistas qu'on trouvera moyen de fermer. Je fais ce que je peux pour que mes parents aient du monde le soir. J'admire beaucoup la canne de ce monsieur ; ce sont les premières nouvelles que j'ai reçues d'Ethiopie. Son neveu s'offrait à m'envoyer des tortues de là-bas : c'est, je crois bien, la plus belle promesse qu'on m'ait faite, et j'attends aussi toujours ces fleurs de Nice, gravure d'un calendrier. Voici que les prières se replient ; je commence à croire à des robes plus bleues devant le lit aux dessus de dentelle, ouvrage de ma mère. On se prend à espérer d'autres proportions que celles des tableaux souverainement tristes des conversations des parents. Je crois avoir été très bien élevé. A un âge plus heureux, on ne m'aurait pas fait entrer pour un boulet de canon dans une chambre à coucher d'amis où, je ne sais trop pourquoi, l'on assistait aux derniers moments du général Hoche. Son chapeau à plumes devait lui recouvrir entièrement le visage, et je sais très bien qu'il ne faisait plus clair. On m'a laissé quelques jours dans ce logement misérable où pas un siège ne tenait d'aplomb. C'est beaucoup plus tard que m'est venu le courage de résister aux entreprises des portes. Je descendrais maintenant seul à la cave, si je ne sais toujours pas conserver l'équilibre sur les marais salants de certains bruits de clés. Le blanchissement nocturne des herbes a de quoi surprendre ceux même qui ont l'habitude de dormir à la belle étoile.
Comment se fait-il que je ne voie pas la fin de cette
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allée de peupliers ? Il faut que la dame qui s'y engage sorte à peine de la fable pour qu'elle ose parler haut dans les grandes marées du vent. Je l'entends encore très bien, quand je pose l'oreille sur ma main comme un coquillage ; elle va tourner dans le mois de juillet ou d'août. Elle est assise en face de moi, dans des trains qui ne partent plus ; elle veut cette petite branche qu'elle a laissée tomber à la renverse sur les rails. Le chemin de Maison-Blanche mène aux plus délicieux brouillards. Rêts de plumes pour prendre les oiseaux à cordes. Vous savez que je l'ai jetée un jour dans un terrain inculte et que je n'y pense pas plus que cela. Bouche, trace amère et peuplier ne font qu'un. De proche en proche, je ne vois rien à gagner à ces attendrissements sincères.
J'ai toujours eu pitié des plantes qui se reposent au haut des murs. De tous les passants qui ont glissé sur moi, le plus beau m'a laissé en disparaissant cette touffe de cheveux, ces giroflées sans quoi je serais perdu pour vous. Il devait nécessairement rebrousser chemin avant moi. Je le pleure et ceux qui m'aiment trouvent à cela des excuses fuyantes. C'est qu'ils ne me voient pas mal parti pour une éternité de ruptures sans heurts et m'accompagnent de leurs vœux. Je suis menacé (que ne disent-ils pas ?) d'un rose vif, d'une pluie continuelle ou d'un faux pas sur mes bonds. Ils regardent mes yeux comme des vers luisants s'il fait nuit ou bien ils font quelques pas en moi du côté de l'ombre. Je suis parvenu à la limite de cette connaissance aromatique et je guérirais les malades s'il me semblait bon. C'est dit ; j'invente une réclame pour le ciel ! Tout avance à l'ordre. Que voulais-je ? Ces carrés frottés d'astres,
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vraiment ? De plus entreprenants vont soulever les petites plaques d'écume : malemort. Il y a des sorciers si misérables que leurs chaudrons servent à faire bouillir les nuages et ce n'est pas fini.
Je n'avance plus qu'avec précautions dans des endroits marécageux, et je regarde les bouts aériens se souder au moment des ciels. J'avale ma propre fumée qui ressemble tant à la chimère d'autrui. L'avarice est un beau péché recouvert d'algues et d'incrustations soleilleuses. A l'audace près, nous sommes les mêmes et je ne me vois pas très grand. J'ai peur de découvrir en moi de ces manèges séniles que l'on confond avec les rosaces de bruit. Faut-il affronter l'horreur des dernières chambres d'hôtel, prendre part à d'autres chasses ! Et seulement alors ! Il y a beaucoup de places dans Paris, surtout sur la rive gauche, et je pense à la petite famille du papier d'Arménie. On l'héberge avec trop de complaisance, je vous assure, d'autant plus que le pavillon donne sur un œil ouvert et que le quai aux Fleurs est désert le soir.
Je suis relativement heureux de l'apparition de Notre-Dame du Bon Secours dans deux ou trois livres. Les grêlons que je prends dans la main fondront-ils éternellement ? Voyez-vous la photographie au magnésium du dément qui travaille en ces lieux à de petites dévastations sans courage et retourne les champs qui contiennent de beaux morceaux de verre ? Tu m'as blessé avec ta fine cravache équatoriale, beauté à la robe de feu. Les défenses des éléphants s'arc-boutent aux marches lever d'étoiles pour que la princesse descende et les troupes de musiciens sortent de la mer. Il n'y a plus que moi sur ce plateau sonore au balancement équivoque qu'est
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mon harmonie. Ah ! descendre les cheveux en bas, les membres à l'abandon dans la blancheur du rapide. De quels cordiaux disposez vous ? J'ai besoin d'une troisième main, comme un oiseau, que les autres n'endorment pas. Il faut que j'entende des galops vertigineux dans les pampas. J'ai tant de sable dans les oreilles que je ne vois d'ailleurs pas comment j'apprendrai votre langue. Au moins, les anneaux de contact s'enfilent-ils bien loin sous la peau des femmes et ne pleure-t-il pas trop de petites vagues innocentes sur la mollesse des couches ? C'est rendezvous au-delà parmi les malices courantes, après des centaines d'expériences malignes. Petite vitesse. Pourvu que le courage ne me manque pas encore au dernier moment !
(A suivre.)
ANDRÉ BRETON et PHILIPPE SOUPAULT.
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QUELCONQUERIES
LE PHOQUE
J'ai les yeux d'un vrai veau marin
Et de Madame Ygrec l'allure
On me voit dans tous nos meetings
Je fais de la littérature
Je suis phoque de mon état
Et comme il faut qu'on se marie
Un beau jour j'épouserai Lota
Du matin au soir l'Otarie
Papa Maman
Pipe et tabac crachoir caf' conc'
Laï Tou
696666...6 9...
Les inverses 6 et 9
Se sont dessinés comme un chiffre étrange
69 :
Deux serpents fatidiques,
Deux vermisseaux.
Nombre impudique et cabalistique ;
6 : 3 et 3
9 : 3, 3 et 3
La trinité
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La trinité partout
Qui se retrouve
Avec la dualité ;
Car 6 : deux fois 3 ;
Et trinité 9 : trois fois 3 ;
69 : dualité, trinité.
Et ces arcanes seraient plus sombres
Mais j'ai peur de les sonder ;
Qui sait si là n'est pas l'éternité,
Par delà la mort camuse
Qui s'amuse
A faire peur ;
Et l'ennui m'emmantelle
Comme un vague linceul de lugubre dentelle
Ce soir.
FIORD
C'est la fête de Saint-Olaf
On excursionne en sky
D'amour on revient paf
C'est tout à fait exquis
Pas de chichi
UN DERNIER CHAPITRE
Tout le peuple se précipita sur la place publique
Il vint des hommes blancs des nègres des jaunes et quelques rouges
Il vint des ouvriers des usines dont les hautes cheminées ne fumaient plus à cause de la grève
Il vint des maçons aux vêtements maculés de plâtre
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Il vint des garçons bouchers aux bras teints de sang
Des mitrons pâles de la farine qui les saupoudrait
Et des commis de commerçants de toutes sortes
Il vint des femmes terribles et portant des enfants ou en ayant d'autres accrochés à leurs jupes
Il vint des femmes pauvres mais effrontées plâtréès maquillées aux gestes étranges
Il vint des estropiés des aveugles des culs de jatte des manchots des boiteux
Il vint même des prêtres et quelques hommes mis avec élégance
Et hors la place la ville semblait morte ne tressaillant même pas
ETOILE
Je songe à Gaspard ce n'est certainement pas
Son vrai nom il voyage il a quitté la ville
Bleue Lanchi où tant d'enfants l'appelaient papa
Au fond du golfe calme en face des sept îles
Gaspard marche et regrette et le riz et le thé
La voie lactée
La nuit car naturellement il ne marche
Que la nuit attire souvent ses regards
Mais Gaspard
Sait bien qu'il ne faut pas la suivre
LA CHASTE LISE
La journée a été longue
Elle est passée enfin
Demain sera ce que fut aujourd'hui
Et là-bas sur le château enchante
Nous sommes las ce soir
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Mais la maison nous attend
Avec la bonne soupe qui fume
Et dès l'aube demain
Le dur labeur
Nous reprendra
Hélas
Bonnes gens
CHAPEAU-TOMBEAU
On a niché
Dans son tombeau
L'oise perchéau
Sur ton chapeau
Il a vécu
En Amérique
Ce petit cul
Or
nithologique
Or
J'en ai assez
Je vais pisser.
GUILLAUME APOLLINAIRE.
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SOMMEIL DE PLOMB
A Philippe Soupault.
Le dormeur éveillé regarde la vie avec des yeux de petit enfant
Dormeur quel nuage obscurcit l'azur de ton front
L'homme secoue une tête plus pesante que l'orage
Il voudrait jouer aux quatre coins, mais il ne peut Il est tout seul
La balle du soleil en vain s'offre à lui
En vain les cerceaux des ponts
En vain
Henri IV l'invite à chat perche
Le monde coule à ses pieds et les passants ont toujours le même visage
Les plus pressés paraissent plus jeunes et les plus vieux paressent
A la voir on ne croirait pas la ville en carton ni le soir
Faux comme les prunelles des femmes et des amis les meilleurs
Quel danger je cours Immobile contre le parapet de l'univers
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Si j'allais me prendre à ce chromo l'aspect des maisons à huit heures d'été
Vertige Le décor devient le visage de la vie
La face de cette fille que j'ai tant aimée
Pour ses mains ses yeux faits et sa stupidité
Comme tu mentais bien paysage de l'amour
Il y avait cette place au creux de ton épaule
Et les frissons qui glissaient comme une eau sur ma figure
Courroux courroux mais tu chantais à voix basse comme la plus innoncente
Et tu ne trouvais que des consonnes sourdes
Des sons issus du sang pour nommer les lèvres les caresses
Tout ce qui dansait entre deux corps comme la flamme du désir
Un bourdonnement de mouches sur les fruits signifiait moi-même
Et quand j'étais trop las tu laissais avec à propos pendre un bras mûr
J'attends que renaisse la dame du souvenir
Un grand trou s'est fait dans ma mémoire
Un lac où l'on peut se noyer mais non pas boire
Aucun remords ne t'éveille et tu sens le lit sous tes reins
Jusqu'à ce que ce dernier appuie s'affaisse et que tu t'enfonces dans le vide
Au pays souterrain du songe
Alors je retombe en enfance
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Les livres sont rouges et dorés sur tranche
Il n'y a qu'un avenir tout simple
Là-bas entre les lianes des forêts bien connues
On fait du feu avec des morçeaux de bois sec et la boussole permet de s'orienter
Pourvu que les porteurs ne se révoltent pas
Pourvu que les dormeurs ne se réveillent pas
Mon corps je t'appelle du nom que les bouches ont perdu depuis la création du monde
Mon corps mon corps c'est une danse rouge c'est un mausolée un tir aux pigeons un geyser
Plus jamais je ne tirerai ce jeune homme des bras des forêts
Il peut sans peine sommeiller
Il n'est pas mort Il bouge dans un monde plus mou
Ne me parlez pas de la lumière du soleil
LOUIS ARAGON.
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POEMES EN PROSE
Tache d'humidité dans le dos.
Le chat dans la cendre, la reine dans la chambre. Le chat est dehors, on dirait qu'il neige au mois d'août mais c'est le clair de lune ; les yeux du chat y sont pour quelque chose.
La reine a la bouche très en avant et pas d'accent ; elle se dépêche pour paraître naturelle. Quelle bonne volonté, hélas ! il faut plaire à tous ! La reine habite les ateliors en planche de la rue Ravignan, il vient quelquefois des musiques militaires dans le corridor : comment font-elles ? La reine a eu une entrevue avec le roi ; le roi est vraiment très bien, un faux-col droit, une de ces cravates en soie cousue dite “ plastron ”. Les cravates faites à la main chaque matin n'ont pas la raideur nécessaire à la Majesté Royale. Le roi et la reine se sont entretenus un instant : l'histoire sait ce qu'ils se sont dits La reine m'a envoyé son valet pour ranger ma chambre. Je ne veux pas ranger ma chambre avant que le feu soit allumé, et je ne veux pas allumer de feu au mois d'août, fut ce à cause des neigeux clairs de lune, parce que j'attends un veston d'été et que si je porte un veston d'hiver c'est parce que celui de l'été a une tache d'humidité dans le dos. La reine d'Angleterre, - car c'est elle, - n'entre pas dans ces considérations-là. Le valet vient faire le feu et - ces domestiques de grande maison, tout de même - en un clin d'œil cette chambre est transformée en un salon
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très propre. Les valets de reine sont au moins bacheliers ; celui-ci a bien l'air de l'être : quelle réserve, quelle pâleur... Malheureusement tous les ouvriers sont arrivés..., mes amis ! toujours un peu honteux d'être mes amis et moi d'être le leur. On ne m'a jamais pardonné ni d'être le protégé de la reine, ni d'être l'ami des ouvriers et voilà mon caractère et ma vie !
Vie intîme de l'âme.
Je monte encore deux marches, c'est le grenier. Mottes de terre ! Premier grenier : mottes de terre. Deuxième grenier : une dame qui a trop d'enfants parce qu'elle a trop de vices. Troisième grenier : le mari qui a de la patience ! de la patience ! de la patience et qui écrit : Je vois son doigt blanc ! Quatrième grenier : Mottes de terre ! Haies en motte de terre et genêts secs. Ecriteau : Grenier de Mme Mahé. On n'entre pas, c'est ma haie !
Une punaise ? Non les punaises ne sont pas en ivoire. Une pièce d'échiquier alors ? Les pièces d'échiquier ne galopent pas. C'est un cavalier sur la route en Provence.
Dans le fameux tableau : la Justice et la Vengeance poursuivant le Crime, l'une des figures célestes tient une lampe à abat-jour vert, l'autre essaie d'ouvrir un parapluie malgré le vent.
MAX JACOB.
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M. 43. 57 Z, détenu
(Mémoires.)
“... Ma cellule était très étroite. Elle mesurait six mètres de long sur deux de large. Cela ne me gênait point, habitué que j'étais à mener une vie enclose, sédentaire et quasi de complète immobilité. Cela ne me rendait pas malheureux. Mais ce qui me fit immensément souffrir dès le début et ce à quoi je ne pus jamais m'habituer par la suite, c'étaient l'obscurité régnante et le manque d'air. Comment vivre à l'ombre et loin de la lumière qui ouvre et distend les pores et qui vous creuse comme une caresse ? Une pauvre petite prise de lumière s'ouvrait au ras du plafond, semblait coincée entre les pierres et ne laissait filtrer qu'un pâle reflet, un tremblottant rayon, fade, anémié, bleui, de la grande lumière du dehors. C'était comme un glaçon avec une goutte d'eau trouble au bout. Et c'est dans cette goutte d'eau que j'ai vécu dix ans, comme un être au sang froid, comme un protée aveugle !
Seules les nuits m'apportaient quelque soulagement. La veilleuse au plafond brûlait jusqu'au petit jour. A force de la fixer, elle devenait énorme, éclatante, éblouissante. Cette flamme vacillante m'aveuglait. Je finissais par m'endormir...
....
...Il y avait aussi l'eau des water-closets qui bouillonnait à des intervalles réguliers dans les tuyaux. Ce bruit emplissait toute ma cellule, résonnait dans ma tête avec fracas, comme une chute d'eau. Je voyais des montagnes. Je respirais l'air des sapins. Je voyais une branche prise entre deux pierres et qu'un remous faisait aller et venir. Mais à la longue je m'habituai à ce dégorgement inattendu
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des tuyaux. Je restais des heures sans l entendre. Puis, soudain, je me demandais s'il avait eu déjà lieu ou s'il allait bientôt se produire. Je faisais des efforts énormes pour me rappeler combien de fois il avait eu lieu dans la journée. Je comptais sur mes doigts, je me tirais sur les doigts à faire craquer les phalanges. Cela devenait une manie. Et le bruit retentissait, emportant tout mon échafaudage de comptes et de calculs. Je courais à la cuvette pour contrôler le fait. Au fond, le trou nauséabond était immobile comme un miroir. En me penchant dessus, j'obscurcissais tout. Je m'étais trompé, la vidange ne s'était faite que dans ma tête, elle n'avait pas eu lieu réellement. Je perdais la notion du temps. Tout était à recommencer. Un désespoir sans borne m'envahissait. Je me pris à ne plus rien vouloir entendre. Je me fis volontairement sourd. Sourd, bouché, sourd. Je passais mes journées sur mon grabat, les jambes ployées en chien de fusil, les bras croisés sur les épaules, les yeux fermés, les oreilles pleines de cire, recroquevillé sur tout mon être, petit, petit, immobile comme dans le ventre de ma mère...
....
... Beaucoup plus tard, j'arpentais ma cellule de long en large. Je voulais en prendre connaissance. Je posais mes pieds sur chaque dalle, sur chaque fente, minutieusement J'allais d'un mur à l'autre. Je faisais deux pas en avant, un en arrière. Je m'appliquais à ne pas poser les pieds sur les interstices du pavage. Je sautais alternativement une dalle, puis l'autre. Grès pif, grès paf, grès pouf : bon, trop dur, trop mou. Je marchais en ligne droite, en diagonale, en zig-zag, en rond. Je marchais les pieds croisés, les pieds tords. Je faisais des grimaces avec mes jambes. J'essayais le grand écart. Je connaissais la moindre aspérité du sol, la moindre déclavité, la moindre usure. Il n'y a pas un centimètre carré que je n'aie piétiné, mille et mille fois chaussé, en bas, pieds nus et même reconnu avec la main. Ce manège finit par m'assommer. Mon pas inégal résonnait sous la voûte comme un grelot funèbre. De guerre lasse, je passais derechef tout mon temps sur
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une paillasse, les yeux fixés aux murs... Les moëllons en étaient grossièrement équarris, sans aucun plâtrage, avec des bavures de ciment dans les joints. Bout-à-boutés, ils se cavalaient par couples, angulaires, irréguliers, innombrables. Ils étalent d'un grain très serré, très doux au toucher. J'y collais souvent ma langue. Ils avaient un petit goût acidulé. Ils sentaient bon la pierre, pierre à-feu et ardoise, silex et argile, l'eau et le feu. A force de-les regarder, je reconnaissais leurs bonnes grosses faces sans malice. Mais, petit à petit, mon acuité se précisa. Je discernais des fronts bombés, des joues creuses, des crânes sinistres, des mâchoires menacantes. J'étudiais chaque pierre avec anxiété, sinon avec terreur. Les reflets de lumière, l'ombre les détachaient d'une façon bizarre. Les traînées de ciment dessinaient des formes étranges. Mon attention s'attachait à ces corps peu précisés, tâchait de les mettre en relief et de délimiter leurs contours, et, par une sorte de perversité, mon esprit s'acharnait à me faire peur.
C'en était fini de mon repas. Chaque pierre se mit à tourner, à se trémousser, à se dévisser. Des têtes menaçantes se tendaient vers moi, des gueules ouvertes, des cornes rigides. Des coulées de larves jaillissaient de chaque fente ; de chaque trou, des insectes monstrueux, armés de scies, de mandibules, de pinces géantes. Le mur montait, descendait, vibrait, susurrait. Et de grandes ombres se balançaient par devant. Je chavirais dans mon lit. Je fermais les yeux. Alors, après un grand renâclement d'eau, j'entendais un bruit d'éperons. Un grand cuirassier blanc entre dans ma cellule. Il me projette en l'air comme une balle, me rattrape, me balance, jongle avec moi. Je suis ravi. Je gémis. Je pleure. Je m'entends. J'entends la voix de ma souffrance. Je reconnais ma voix. Je me plains. Je me lamente.
Pourquoi, ah, pourquoi ?
....
...Le plafond se creuse comme un entonnoir, vertigineux malstroem qui absorbe goulûment toute la nature
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en déroute. L'univers retentit comme un gong ! Puis tout est étouffé par la voix formidable du silence. Tout disparaît. Je reprends conscience. Petit à petit la cellule s'agrandit. Les murs sont repoussés. L'enceinte recule. Il n'y a plus qu'un peu de chair humaine dérisoire qui respire doucement. Je suis comme dans une tête où tout parle silencieusement. Mes co-condamnés me retracent leur vie, leur détresse et leurs fautes. Je les entends dans leur cellule. Ils prient. Ils tremblent. Ils marchent. Ils vont et viennent à pas feutrés au fond d'eux-mêmes. Je suis le pavillon acoustique de l'univers condensé dans ma ruelle. Le bien et le mal font trembler ma prison et la souffrance anonyme, ce mouvement perpétuel en dehors de toute convention. Je suis tout abasourdi par cette langue énorme qui corne à mon oreille, qui m'hébète et qui m'absout.
....
Systole, diastole.
....
Tout palpite. Ma prison s'évanouit. Les murs s'abattent, battent des ailes. La vie m'enlève dans les airs comme un gigantesque vautour. A cette hauteur, la terre s'arrondit comme une poitrine. On voit au travers de son écorce transparente les veines du sous-sol charrier des pulsations rouges. De l'autre côté, les fleuves remontent, bleus, comme du sang artériel et où éclosent des milliards et des milliards d'êtres. Par au-dessus, comme des poumons noirâtres, les mers se gonflent et se dégonflent alternativement. Les deux yeux des glaciers sont tout proches et roulent lentement leur prunelle. Voici la double sphère d'un front, l'arête brusque d'un nez, les méplats rocailleux des parois perpendiculaires. Je survole le mont-dore plus chenu que la tête de Charlemagne et j'atterris sur le bord de l'oreille qui s'ouvre comme un cratère lunaire. C'est mon aire. Mon territoire de chasse. L'entrée est presque obstruée par une protubérance énorme qui est un tumulus où je m'embusque ; le tombeau de l'Ancêtre. Derrière, il y a un trou, où tout bruit extérieur tombe comme un pachiderme dans un piège.
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Seule la musique s'insinue dans l'étroit corridor pour se faire prendre le long des parois du cornet. C'est là, dans l'obscurité complète de la caverne que j'ai capté les plus belles formes du silence. Je les ai tenues, elles m'ont passé entre les doigts, je les ai reconnues au toucher.
D'abord les cinq voyelles, farouches, peureuses, délurées comme des vigognes ; puis en descendant la spirale de plus en plus étroite et plus basse de plafond, les consonnes édentées, roulées en boules dans une carapace d'écaille et qui dorment, hivernent durant de longs mois ; plus loin encore, les consonnes chuintantes, lisses comme des anguilles et qui me mordillaient le bout des doigts ; puis, celles veules, molles, aveugles, souvent baveuses, que je pinçais avec les ongles comme des vers blancs, en grattant les fibrilles d'une tombe préhistorique ; enfin, les consonnes creuses, froides, cassantes, cortiquées que je ramassais sur le sable parmi des débris de coquillages ; et, tout au bout, à plat ventre, me penchant au-dessus d'une fissure, parmi les racines, je ne sais quel air empoisonné venait me fouetter, me picoter la face : de petits animalcules me couraient sur la peau, dans les endroits les plus chatouilleux ; ils étaient spiriformes et velus comme la trompe d'un papillon et avaient des détentes brusques, éraillées, graillantes.
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Il est midi, le soleil verse de l'huile bouillante dans l'oreille du démiurge endormi. Le monde s'ouvre comme un œuf. Il en jaillit une langue, ondoyante et congestionnée.
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Non. C'est minuit. La veilleuse m'exténue comme une lampe à arc. Mes oreilles tintent. Ma langue pèle. Je fais des efforts pour parler. Je crache une dent, la dent du dragon.
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Je ne suis pas de votre race. Je suis du clan Mongol qui a apporté une vérité monstrueuse : l'authenticité de la vie : cette connaissance du rythme qui ravagera toujours vos maisons statiques du temps et de l'espace. Entourez-moi
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des cent mille baïonnettes de la lumière occidentale. Je suis le tyran. Mes yeux sont deux tambours. Tremblez, si je sors de vos murs comme de la tente d'Attila, masqué, effroyablement agrandi, revêtu de la seule cagoule, comme mes compagnons de bagne à l'heure de la promenade, et si avec mes mains d'étrangleur, mes mains rougies par le froid, je force le ventre aigrelet de votre civilisation.
Dans le préau de la prison le ciel nocturne arbore mes tatouages. Une incendie ravage la steppe uniforme de la nuit, uniforme comme le fond du lac Baïkal, uniforme comme le dos d'une tortue. Je m'y mire. Uranisme et musique. Je suis l'indifférent.
....
...Maintenant, rien ne devait plus me distraire de ma quiétude et de mon calme. Les années s'écoulèrent. J'en étais arrivé à ne plus penser à rien. J'étais immobile. On m'apportait à manger et à boire, on me sortait, on me faisait rentrer. J'étais absent, J'étais immobile avec une activité au bout des doigts, dans le genou, au bas de la colonne vertébrale ou dans la nuque.
... Je rentrais ma vie dans mes profondeurs comme ces zoophytes qu'on touche... Je me digérais... Physiquement cela m'a tout desséché.
....
...Un clou était planté dans le mur de ma cellule, haut dans le mur. A force de le regarder, je finis par le voir. Je l'avais contemplé durant plusieurs années sans le remarquer. Un clou, qu'est-ce un clou ? Tordu, rouillé, c'est moi fiché entre les pierres. Je n'ai pas de racines. Aussi, quand on vint me chercher pour me transférer à W..., on put m'extraire sans effort, sans souffrance. Je ne laissais rien derrière moi, qu'un peu de poussière blanchie, dix années minuscules, un peu de poussière d'araignée, un signe imperceptible sur le mur d'en face, hors la portée des yeux de mon successeur... ”
BLAISE CENDRARS.
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COTE D'AZUR
Ailleurs que dans les opéras les arbres sont verts
L'avenir
Ici
La dame le prévoit
Exception faite
Des jours de fête
Quand on traverse le viaduc
Les demoiselles d'honneur
Cela va sans dire
Se laissent conduire
De quoi vous plaignez-vous
Est-ce ma faute
Si ces rameurs
N'y vont pas de main morte
Dans les verres
Tiédit l'orangeade
Un soir d'août
N'importe lequel
(Août.)
RAYMOND RADIGUET.
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Atrocités d'Arthur et Trompette et Scaphandrier.
Sur le lac d'hydrogène ramassé au sexe du sommeil les cigarettes crient de petits oiseaux courent après le rythme des moteurs c'est-à-dire ondulation dei sospiri.
Décor : canot de sauvetage accroché au-dessus du lit
palmiers
canapé rouge de vieille forme
mannequin d'osier avec une plaque de gramophone sur la tête.
Ici je meurs, à la 3e couche comme digne scaphandrier, touche le miroir et regarde par principe ou langoureusement la bouche du mégaphone muet.
Chaque confrère sa blague, et la totalité des blagues : littérature.
Cylindres louches avec cache-nez, superposés, visitent la mer, au moins ton regard grand gardien d'antilopes dans le garage arrange le contre-cœur à la queue, piano à vaseline pianoline des poissons à mécanisme simple poitrinaire.
J'aime par-dessus tout la simplicité dada. Le squelette des machines est dada ou supérieur à celui des pythécanthropes. Une pensée peut s'allumer comme un bandage et sauter comme une certaine couleur verte que j'ai composée une fois avec le sang du colibri, le caoutchouc des bicyclettes à califourchon sur un fil télégraphique. Tranches de cartes postales
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sur les branches du nouveau système homme ou chanson entre 4 yeux.
L'interruption ici du langage de Aa qui voulait lyncher lécher laisser et arracher la philosophie, Mississipi, et l'éruption des voyelles d'une rose placée sur la nuque de Napoléon, fixa la boutonnière robinet des diaphragmes, pour quelques instants, sur la fin bien placée de la phrase qui ne finira jamais.
DADA, 1918 ou 1917.
TRISTAN TZARA.
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LIVRES CHOISIS
Louise Faure-Favier - Ces choses qui seront vieilles.
A peine Lul eut-il fermé les yeux que les gens ouvrirent les leurs. Tout devint si simple que n'était pas la peine d'en parler. Personne ne s'émerveilla de la perspective établie, et quelques mois suffirent à donner un siècle de jeunesse aux regards que nous portions avec regrets sur un passé tout palpitant encore. Au bout de cent années, les roses acquièrent un éclat singulier qu'elles ne connurent point dans leur fraîcheur. C'est alors que les gens des villes vont les chercher dans les herbiers des antiquaires : “ Qu'elles sont douces, disent-ils, honnêtes et semblables aux paumes de nos mains ! ” Elles serviront désormais d'exemple aux fleurs vives des prairies qui ne peuvent pas prendre ce teint fané à ravir. Dans quel pays, Apollinaire, mangez-vous maintenant votre gloire comme une pomme fourrée de cendres ? Sentez-vous sur vos belles paupières mortes les doigts indiscrets des vivants ? Avec un peu de recul, on ne sait plus s'ils vous caressent ou s'ils profanent votre sommeil. Et peut-être n'êtes-vous qu'endormi.
Irène Hillel-Erlanger - Voyages en kaléidoscope, avec un titre et un thermomètre, dessinés par Van Dongen (1).
(1) Il n'est pas donné à tout le monde d'être Francis Picabia.
Par quelle agaçante magie, les étoiles exercent-elles sur nos cœurs un pouvoir si complet et si déraisonnable ? Qu'elles rayonnent sur les portes des bars, les affiches, les marques de fabrique, au front des juives algériennes, au bras d'un lutteur
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ou au cœur des vitres brisées, elles émeuvent de leur clignotement stupide les spectateurs les plus endurcis. Il n'y a pas lieu de s'en indigner. Les enfants sensibles tirent de cette faiblesse humaine un plaisir qu'ils ne savent pas coupable : pour eux, on inventa le kaléidoscope. Jolis systèmes stellaires coloriés, à peine êtes-vous édifiés qu'un geste brusque vous détruit et que de vos ruines naît un nouvel ordre surprenant (qui ne le jurerait éternel ?). Quelle femme aurait pu pénétrer les secrets d'une cosmologie si troublante ? Madame Hillel-Erlanger se tire d'affaire avec de l'esprit : “ Triste époque, hélas, où l'on appelle esprit précisément celui des commisvoyageurs ! ”
Les jeux de lumière des étoiles ne rappellent que de loin les jeux de mots des joueurs de manille.
Francis Carco - Scènes de la vie de Montmartre.
Il y avait un peintre pisan qui ne savait donner aux pèlerins d'Emmaüs comme aux saintes filles de Béthanie que les traits mêmes de son visage. Je ne connais pas un romancier qui en agisse autrement.
Aussi bien si nous fixons trop longtemps les yeux d'autrui, n'y percevons-nous plus que notre propre visage.
Monsieur Carco a dû trouver en soi des caractères qu'il octroie sous un pseudonymat illusoire à plusieurs de nos contemporains. Vous m'en voyez navré, car la plupart de ses personnages ne lui font point honneur. Les choses les plus belles et les plus grandes deviennent mesquines, vraiment, quand on les conçoit dans un aussi médiocre esprit.
Ce livre n'est pas à prendre avec des pincettes.
O. Henry - Contes.
Nul problème, ni les jolis calculs de tir indirect, n'a su passionner vos cœurs, mes camarades, comme celui que posait jadis Nick Carter au collège.
“ Evaluez, s'il vous plaît, M. Bridge, le temps qui s'est écoulé de l'extinction des lumières au cri de la victime et de ce cri à la réapparition de l'électricité ”.
Les assassins qui traversaient le pont de Brooklyn disparaissaient à tout jamais. Depuis cette époque nous avons connu
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les grands bars aux femmes pailletées, la modiste du village perdu dans les prairies, les voleurs de bétail et les vachers aux jambes de fourrure, toute la danse de l'Ouest sur l'écran presqu'aussi beau que la vie. Du mirage occidental qu'il reste peu dans les contes d'O. Henry ! C'est à peine si vers la fin du livre quelques mauvais garçons se dressent au-dessus de leurs chevaux, debout dans leurs étriers, pour crier la joie de tuer sans raison. Le plus souvent quels pitoyables aventuriers se mêlent à ce petit monde de pasteurs, de juges, de logeuses et de noceurs conventionnels qui s'agitent suivant la morale niaise des films sentimentaux. Qu'aurait écrit Maupassant s'il avait eu l'accent américain ?
LOUIS ARAGON.
LES SPECTACLES
Le Prix du Conseil Municipal.
Les mains tremblantes des joueurs et le sourire des snobs réjouissent les pick-pockets qui savent gagner leur pain à la sueur de leur front. Les chiffres volent sur cette pelouse. Dans ces grandes minutes, les villes sont oubliées, les cartons verts sont plus lointains que les nuages. Chaque homme, en entendant le galop des chevaux, se sent l'âme d'un assassin.
Le tumulte et le calme naissent aussi brusquement.
Les chevaux que l'on sort des écrins au bon moment sont des monstres charmants. Mais le plus beau fut assurément ce gros homme qui fumait un cigare et qui attendait très gravement le soir. Il pensait au lendemain qui sera tellement semblable à aujourd'hui.
Il y a les cocktails, les taxis et les fleurs artificielles.
Il y a les cigares, les chaînes de montre et les réverbèrcs.
“ Voici le temps des assassins ”.
Aux conrses on sent la vieillesse morose s'approcher. Bientôt nous n'aurons plus vingt ans et nous ne comprendrons plus la beauté des crépuscules ou des pourritures qui fleurissent dans les ruisseaux.
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L'Homme aux yeux clairs - William Hart.
Cet homme qui court et qui lutte s'arrête parfois dans les clairières ou sur les hauts plateaux. A la lisière des forêts, il jette un regard de mépris sur les plaines. Bercer n'importe qui dans ses bras ou tordre le cou de son ennemi. La haine est peut-être pour tous les hommes aux yeux clairs la seule raison d'exister.
Mais cet homme est trop franc. Il ignore la joie de vivre une vie double.
Il est bien plus doux de serrer la main de son plus cher ennemi que de l'étrangler.
Les luttes et les corps-à-corps nous amuseront toujours. Quelqu'un va mourir.
A qui le tour ?
PHILIPPE SOUPAULT.
MUSIQUE
Les vacances sont finies, premières vacances d'après guerre Voici l'octobre et la rentrée. Les concerts vont recommencer. Le petit groupe de la rue Huyghens a bien travaillé. Félix Delgrange sera content. Il pourra, cette année, faire entendre toute la production des vacances :
Germaine Tailleferre donnera un morceau pour piano et orchestre.
Francis Poulenc ses trois “ Cocardes ” sur des poèmes de Jean Cocteau.
Roland Manuel, devançant ses camarades, a fait exécuter au premier concert Pasdeloup un poème symphonique.
Arthur Honegger rapportera de Suisse une nouvelle sonate pour piano et violon.
Louis Durey un 2e quatuor à cordes et des chansons basques cueillies à Ahusky.
Georges Auric nous fera une surprise.
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Mais la guerre est finie, la démobilisation aussi. Nous voyons revenir des armées des musiciens, des “ jeunes ”, qui viennent grossir le “ petit groupe ” : tous ceux qui n'ont encore rien ou presque rien fait jouer, surpris par la guerre en plein travail, et qu'on ne voyait à Paris que pendant leurs brèves permissions.
Parmi ces “ nouveaux jeunes ”, Henri Cliquet nous apportera de nombreuses premières auditions. Cliquet travaillait au Conservatoire. La guerre interrompit ses études de contrepoint mais ne l'empêcha pas d'écrire et d'écrire beaucoup. On ne connaît de lui que son 1er quatuor à cordes, donné à la S. M. I. en 1913 et une Toccata pour piano jouée dans une séance de musique moderne chez Poiret en 1916. Sa musique a la fraîcheur de celle de Mozart, mais d'un Mozart devenu Mowgli s'amusant et clapotant dans une flaque d'eau. Parfois on croit que Cliquet fait une farce, mais un accord, une mélodie viennent éclore, sensibles et comme venus du fond du cœur. La musique qu'il écrit en 1912 pour une des “ Moralités Légendaires ” et pour “ Trois complaintes ” de Jules Laforgue est pleine de ce mélange de jeux d'enfant, de drôlerie, d'ironie et d'amertume. Avant la guerre, Cliquet écrit encore une “ Suite ” pour piano, une “ Marche ” pour orchestre, des mélodies sur des poèmes de Wilde, de Desbordes-Valmore et de Mme de Noailles. Mobilisé à l'hôpital de Versailles comme jardinier, Henri Cliquet se croit en vacances, son séjour à Versailles lui parait être son “ prix de Rome ” et il travaille : il écrit sa “ 1re Sonate ” pour piano et violon, ses “ 2e et 3e quatuors à cordes ”, des “ Variations ” et une “ Sonatine ” pour piano. Puis il part avec l'armée américaine. Les rag-times et les fox-trotts qu'il entendit le marquèrent : cette influence se fait sentir dans sa “ 2e Sonate ” pour piano et violon, sa “ Rapsodie française ” pour piano et orchestre, son “ Improvisation en forme de Variations ” pour piano écrites de 1917 à 1919 ainsi que dans ses plus récentes mélodies. Mais les Américains s'en vont. Henri Cliquet, ne vous attardez pas. Quand je prête l'oreille à leurs musiques, elles m'apparaissent si lointaines que déjà je ne les entends plus.
DARIUS MILHAUD.
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PALETS
Jean Paulhan le Souterrain.
Chaque inventeur a ses inventions et ses découvertes. Et il est pénible de comprendre pour les autres.
Soleil de plomb, visage noir, bouche d'ombre. De la lumière dans les veines, mais les yeux dans une nuit splendide et, ans erreur, parfaite. Seulement l'odeur des flammes et des fumées, seulement le sang et le vent, cette âme avalée, exhalée.
Des fruits viennent, sans doute, derrière cette terre masquée, des fruits à toutes les branches.
Le dernier élan, pour assister au partage, par son ami, d'un art visible : la poussière en surprise à l'herbe, les chocs des fleurs aux chocs des collines et le bon sens au vent élastique, tout nu dans le vide.
P. E.
Quelques poètes sont sortis.
A Philippe Soupault.
Comme autrefois, d'une carrière abandonnée, comme un homme triste, le brouillard, sensible et têtu comme un homme fort et triste, tombe dans la rue, épargne les maisons et nargue les rencontres.
Dix, cent, mille crient pour un ou plusieurs chanteurs silencieux. Chant de l'arbre et de l'oiseau, la jolie fable, le soutien.
Une émotion naît, légère comme le poil. Le brouillard donne sa place au soleil, et qui l'admire ? dépouillé comme un arbre de toutes ses feuilles, de toute son ombre ? ô souvenir ! Ceux qui criaient.
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Gaston Leroux est l'auteur du fauteuil hanté.
Les chiens avaient fermé leurs gueules. Il n'y a plus de fantômes, il n'y a plus que des morts. Feu mûr. Dans un coin, l'homme qui ne sait pas lire et celui qui commande ses inventions à Dédé sont de l'Académie. La pensée de l'un occupe le siège de l'autre. Danger de mort. Les honneurs sont des mouches et la colle pend aux plafonds. Cher petit perce-oreilles mélodieux.
La beauté n'entrant pas en compte, mieux vaut voir cela de très loin. Le mystère ressemble au mystère, sans besoin de miroirs ni de mémoire. Toutes les puérilités du cœur le composent. La science des détails.
Et Dédé n'est l'enfant du génie qu'à cause de tous les pauvres évènements qui bouleversent un monde.
Le doute et la tristesse viennent à la fin, au parfum plus tragique de sa mort.
LE MEME.
Le gérant : Philippe SOUPAULT.
Imp. R. TANCREDE, 15, rue de Verneuil, Paris (7e arr.).
DADA
Tristan Tzara, Directeur
est en vente
AU SANS PAREIL
102, Rue du Cherche-Midi
DADA 4-5 contient
des proses et des vers de PICABIA. TZARA, COCTEAU, REVERDY, SOUPAULT, BRETON, ARAGON, BIROT, etc.
des dessins et des reproductions de PICABIA, ARP, JANCO, HAUSSMANN, RICHTER, EGGELING, etc.
Prix : 4 Francs
KUNDIG
Passage des Lions
GENEVE
DÉPOSITAIRE EXCLUSIF POUR LA SUISSE DE LITTÉRATURE
et des éditions Au Sans Pareil
LITTÉRATURE
a publié
les “ POÉSIES ”
d'Isidore DUCASSE (Comte de LAUTRÉAMONT) ;
“ LES MAINS DE JEANNE-MARIE ”
Poème retrouvé d'Arthur RIMBAUD ;
les LETTRES DE GUERRE
de Jacques VACHÉ ;
des poèmes et des proses de :
Guillaume APOLLINAIRE. Stéphane MALLARMÉ
Louis ARAGON. Jules MARY.
Georges AURIC. Darius MILHAUD.
André BRETON. Paul MORAND.
Blaise CENDRARS. Jean PAULHAN.
Charles CROS. Raymond RADIGUET.
Pierre DRIEU LA ROCHELLE. Maurice RAYNAL.
Paul ELUARD. Pierre REVERDY.
Léon-Paul FARGUE. Jules ROMAINS.
Bernard FAY. Henri ROUSSEAU.
André GIDE. André SALMON.
Henri HOPPENOT. Philippe SOUPAU
Max JACOB. Tristan TZARA.
Valery LARBAUD. Paul VALÉRY.