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<LittErature n° 6, août 1919 >

JEUX D'ESPRIT

1. - REBUS GRAPHIQUE

ISC le

indicatif

conditionnel

Raymond Radiguet.

2. - CRISTAL DE NEIGE

***

J'ai, voyez-vous, à coeur d'agir comme le chlore

Sur les tissus : commence aux deux tiers d'égayer ; -

Les boutons de la haie en puissance d'éclore ; -

Mange en parlant du sucre ; - égayer nous disions ; -

Problématique après ; - le dé d'or oublié

Dans la boîte à ouvrage ; - et plein d'illusions.

Je vous le donne en cent ; excusez mes rapines

Et ne tenez pour rien les couronnes d'épines.

3. - CONSONNES ABSENTES

X'exxix xaxxe xue x'exx xaxuxex xoxxe xe xixxe, xoxxe xe xuix xaxaxe. Xexa x'a x'ixxoxxaxxe xue xoux xoi cx xexaxixexexx.

Xxixxax Xxaxa.

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Arts, Lettres, Spectacles paraît deux fois par mois à Paris, illustré par A.-D. de Segonzac, Jean Galtier-Boissière, Valdo Barbey, Luc-Albert Moreau, rédigé par Henri Béraud, Francis Carco, Pierre Mac Orlan, Drieu la Rochelle, et donne l'opinion des jeunes sur le mouvement artistique, littéraire et dramatique.

(Administration : 5, place de la Sorbonne, Paris. - Abonnement : France, 1 an (24 nos) : 15 fr. ; Etranger : 18 fr. Collection des trois années de guerre : 20 fr. en plus.)

SOMMAIRE DU N° 3

Stéphane MALLARMÉ....   Le Château de l'Espérance.

Pierre REVERDY....   Critique Synthétique.

Paul MORAND....   Un beau jour.

Paul ELUARD....   Vache.

Isidore DUCASSE....   Poésies (II).

SOMMAIRE DU N° 4

Arthur RIMBAUD....   Les Mains de Jeanne-Marie.

Max JACOB ....   Mort morale.

Louis ARAGON ....   Pour Demain.

Raymond RADIGUET ....   Incognito.

André BRETON ....   Le Corset Mystère.

PINDARE ....   Un fragment inédit.

Pierre DRIEU LA ROCHELLE   Les Otaries.

Chroniques :

LIVRES CHOISIS par Louis ARAGON, Guiseppe UNGARETTI.

PEINTURE : Exposition Henri Matisse par Pierre REVERDY.

LES SPECTACLES par Philippe SOUPAULT.

PALETS : Chronique censurée par P. R.

André Lhôte, Le Nouveau Spectateur par CADUM.

LITTÉRATURE

a publié dans ses trois premiers numéros

les “ POÉSIES ”

d'Isidore DUCASSE (Comte de LAUTRÉAMONT) ;

“ LES MAINS DE JEANNE-MARIE ”

Poème retrouvé d'Arthur RIMBAUD ;

des poèmes et des proses inédits de :

Guillaume APOLLINAIRE.   Stéphane MALLARMÉ.

Louis ARAGON.   Darius MILHAUD.

Georges AURIC.   Paul MORAND.

André BRETON.   Jean PAULHAN.

Blaise CENDRARS.   Raymond RADIGUET.

Pierre DRIEU LA ROCHELLE.   Pierre REVERDY.

Paul ELUARD.   Jules ROMAINS.

Léon-Paul FARGUE.   André SALMON.

Bernard FAY.   Philippe SOUPAULT.

André GIDE..   Tristan TZARA.

Max JACOB.   Paul VALÉRY.

N° 6

REVUE MENSUELLE

Août 1919

LITTÉRATURE

DIRECTION

9, PLACE DU PANTHÉON, 9

DIRECTEURS :

LOUIS ARAGON - ANDRE BRETON PHILIPPE SOUPAULT

RÉDACTION ET ADMINISTRATION :

9 - Place du Panthéon - 9

ABONNEMENTS

Pour la France Edition ordinaire ....   15 fr. par an

Edition de luxe ....   60 fr. par an

Prix du numéro : 1 fr. 50

Pour l'étranger Edition ordinaire ....   20 fr. par an

Edition de luxe ....   80 fr. par an

Prix du numéro : 2 fr.

Pour la vente, s'adresser à la “ Maison des Amis des Livres ” 7, rue de l'Odéon, Paris.

SOMMAIRE

Charles CROS ....   Sur la Mort de la Duchesse de Chaulnes.

-   Madrigal.

Max JACOB ....   Autre Personnage du Bal masqué.

Blaise CENDRARS ....   Au Coeur du Monde.

LETTRES DE JACQUES VACHÉ (suite)

Paul MORAND....   Soir de Grève.

Chroniques

LIVRES CHOISIS par Louis ARAGON, Philippe SOUPAULT, Bernard FAY.

LES SPECTACLES, par Philippe SOUPAULT.

PALET : Aa l'Antiphilosophe, par Tristan TZARA.

Il a été tiré de ce numéro 15 exemplaires sur papier de Hollande de Van Gelder Zonen numérotés de 1 à 15.

EXEMPLAIRE N°

P.1 Monsieur Ernest Raynaud a bien voulu nous communiquer ces deux poèmes, qu'il tenait de Charles Cros et qui ne figurent ni dans Le Coffret de Santal ni dans Le Collier de Griffes.

“ Il y a là une échappée sur l'art de demain. Quand Charles Cros parle de “ la forêt des spontanéités ” et qu'il incorpore l'abstraction au monde sensible, il inaugure le procédé des “ raccourcis violents ” qu'exploitera Rimbaud avec tant de maîtrise.

Rimbaud, dans son premier voyage à Paris, avait été accueilli chez Cros et avait lu ses manuscrits. S'il se moquait de certains vers d'un féminisme exaspéré et noyés d'un excès de fadeur, il n'avait pas manqué d'être impressionné par ce fluide spirituel qui circule dans certaines pièces de Cros et les fait rayonner d'effluves lumineux.

Rimbaud dut se plaire à des phrases comme celles-ci, qui font présager les Illuminations :

“ Amphitrite rose et blonde passe, avec sa suite, dans un lointain glauque sous l'eau de la mer du Sud...

Une femme, la Reine des Fictions, est assise devant le clavier. Sous ses doigts roses, l'instrument rend des sons puissants qui couvrent le chuchotement des vagues et les soupirs de force des rameurs. ”

“ La symphonie dit la route aux rameurs et aux timoniers. ”

(Ernest Raynaud : Charles Cros ou la Leçon d'une Epoque. Mercure de France, 1er janvier 1919.)

P. 2 SUR LA MORT DE LA DUCHESSE DE CHAULNES

Elle est morte, la duchesse,

La duchesse aux cheveux longs,

Mêlés, roux, châtains et blonds,

Sa plus réelle richesse.

On l'a tuée avec soin,

Au nom de toutes les frimes.

Moi, je trouverai des rimes

Qui s'en vont bien loin, bien loin...

Pour écraser, joie amère,

La vieille affreuse qui mord

Et poursuit jusqu'à la mort

Cette femme, cette mère !

Ils s'aimaient bien tous les deux :

Et puis la vieille est venue,

Puis une histoire inconnue,

Et deux tombes restent d'eux.

Je bénis vos derniers hôtes,

Belle morte en satin blanc ;

Dans votre regard troublant

Ils n'ont pas cherché de fautes.

P. 3 Cheveux roux, châtains et blonds,

Notre réelle richesse,

Vous la leur léguez, duchesse,

En allant où nous allons,

Où nous avons l'espérance,

Après le passage noir,

De retrouver, de revoir

Les belles dames de France.

MADRIGAL

Belle, belle, belle, belle,

Que voulez-vous que je dise

A votre frimousse exquise ?

Riez, rose sans cervelle.

Vos yeux de saphir grands et clairs,

Inquiètent comme les ondes

Des fleuves, des lacs et des mers,

Et j'en ai des rages profondes.

Mais je suis pourtant désarmé

Par la bouche, rose de mai,

Qui parle si bien sans parole,

Et qui dit le mot sans pareil,

Fleur délicieusement folle,

Eclose à Paris, au soleil.

CHARLES CROS.

P. 4 AUTRE PERSONNAGE DU BAL MASQUÉ

Réparateur porclus de vieux automobiles,

l'anachorète, hélas ! a regagné son nid.

Par ma barbe ! je suis trop vieillard pour Paris ;

l'angle de ses maisons m'entre dans les chevilles.

Mon gilet quadrillé a, dit-on, l'air étrusque

et mon chapeau marron va mal avec mes frusques.

Avis ! c'est un placard qu'on a mis sur ma porte :

Dans ce logis tout sent la peau de chèvre morte.

MAX JACOB.

P. 5 AU COEUR DU MONDE

(Fragment)

Ce ciel de Paris est plus pur qu'un ciel d'hiver lucide de froid.

Jamais je ne vis de nuits plus sidérales et plus touffues que ce printemps

Où les arbres des boulevards sont comme les ombres du ciel,

Frondaisons dans les rivières mêlées aux oreilles d'éléphant,

Feuilles de platanes, lourds marronniers.

Un nénuphar sur la Seine, c'est la lune au fil de l'eau.

La Voie Lactée dans le ciel se pâme sur Paris et l'étreint

Folle et nue et renversée, sa bouche suce Notre-Dame.

La Grande Ourse et la Petite Ourse grognent autour de Saint-Merry.

Ma main coupée brille au ciel dans la constellation d'Orion.

Dans cette lumière froide et crue, tremblotante, plus qu'irréelle,

Paris est comme l'image refroidie d'une plante

Qui réapparaît dans sa cendre. Triste simulacre.

Tirées au cordeau et sans âge, les maisons et les rues ne sont

Que pierre et fer en tas dans un désert invraisemblable.

P. 6 Babylone et la Thébaïde ne sont pas plus mortes, cette nuit, que la ville morte de Paris

Bleue et verte, encre et goudron, ses arêtes blanchies aux étoiles.

Pas un bruit. Pas un passant. C'est le lourd silence de guerre.

Mon oeil va des pissotières à l'oeil violet des réverbères.

C'est le seul espace éclairé où trainer mon inquiétude.

C'est ainsi que tous les soirs je traverse tout Paris à pied

Des Batignolles au Quartier Latin comme je traverserais les Andes

Sous les feux de nouvelles étoiles, plus grandes et plus consternantes.

La Croix du Sud plus prodigieuse à chaque pas que l'on fait vers elle émergeant de l'ancien monde

Sur son nouveau continent.

Je suis l'homme qui n'a plus de passé. - Seul mon moignon me fait mal, -

J'ai loué une chambre d'hôtel pour être bien seul avec moi-même.

J'ai un panier d'osier tout neuf qui s'emplit de mes manuscrits.

Je n'ai ni livres ni tableau, aucun bibelot esthétique.

Un journal traine sur ma table.

Je travaille dans une chambre nue, derrière une glace dépolie,

Pieds nus sur du carrelage rouge, et jouant avec des ballons et une petite trompette d'enfant :

Je travaille à la Fin du Monde.

P.7 HOTEL NOTRE-DAME

Je suis revenu au Quartier  
Comme au temps de ma jeunesse  
Je crois que c'est peine perdue

Car rien en moi ne revit plus

De mes rêves de mes désespoirs

De ce que j'ai fait à dix-huit ans

On démolit des pâtés de maisons

On a changé le nom des rues

Saint Séverin est mis à nu

La place Maubert est plus grande

Et la rue Saint-Jacques s'élargit

Je trouve cela beaucoup plus beau

Neuf et plus antique à la fois

C'est ainsi que m'étant fait sauter

La barbe et les cheveux tout court

Je porte un visage d'aujourd'hui

Et le crâne de mon grand-père

C'est pourquoi je ne regrette rien

Et j'appelle les démolisseurs

Foutez mon enfance par terre

Ma famille et mes habitudes

Mettez une gare à la place

Ou laissez un terrain vague

Qui dégage mon origine

Je ne suis pas le fils de mon père

Et je n'aime que mon bisaïeul

Je me suis fait un nom nouveau

Visible comme une affiche bleue

Et rouge montée sur un échafaudage

Derrière quoi on édifie

Des nouveautés des lendemains

P. 8 Soudain les sirènes mugissent et je cours à ma fenêtre.

Déjà le canon tonne du côté d'Aubervilliers.

Le ciél s'étoile d'avions boches, d'obus, de croix, de fusées,

De cris, de sifflets, de mélisme qui fusent et gémissent sous les ponts

La Seine est plus noire que gouffre avec les lourds chalands qui sont

Longs comme les cercueils des grands rois mérovingiens

Chamarrés d'étoiles qui se noient - au fond de l'eau - au fond de l'eau.

Je souffle ma lampe derrière moi et j'allume un gros cigare.

Les gens qui se sauvent dans la rue, tonitruants, mal réveillés,

Vont se réfugier dans les caves de la Préfectance qui sentent la poudre et le salpêtre.

L'auto violette du préfet croise l'auto rouge des pompiers,

Fécriques et souples, fauves et câlines, tigresses comme des éloiles filantes.

Les sirènes miaulent et se taisent. Le chahut bat son plein. Là-haut. C'est fou.

Abois. Craquements et lourd silence. Puis chute aiguë et sourde véhémence des torpilles.

Dégringolade de millions de tonnes. Eclairs. Feu. Fumée. Flamme.

Accordéon des 75. Quintes. Cris. Chute. Stridences. Toux. Et tassement des effondrements.

Le ciel est tout mouvementé de clignements d'yeux imperceptibles

Prunelles, feux multicolores, que coupent, que divisent, que raniment les hélices mélodieuses.

Un projecteur éclaire soudain l'affiche du bébé Cadum

Puis saute au ciel et y fait un trou laiteux comme un biberon.

P. 9 Je prends mon chapeau et descends à mon tour dans les rues noires.

Voici les vieilles maisons ventrues qui s'accotent comme des vieillards.

Les cheminées et les girouettes indiquent toutes le ciel du doigt.

Je remonte la rue Saint-Jacques, les épaules enfoncées dans mes poches.

Voici la Sorbonne et sa tour, l'église, le lycée Louis-le-Grand.

Un peu plus haut je demande du feu à un boulanger au travail.

J'allume un nouveau cigare et nous nous regardons en souriant.

Il a un beau tatouage, un nom, une rose et un coeur poignardé.

Ce nom je le connais bien : c'est celui de ma mère.

Je sors dans la rue en courant. Me voici devant la maison.

Coeur poignardé - premier point de chute -

Et plus beau que ton torse nu, beau boulanger -

La maison où je suis né.

BLAISE CENDRARS.

Paris 1917.

P. 10 LETTRES de JACQUES VACHÉ

(SUITE)

A MONSIEUR A. B.

X. le 16. 6. 17.

Mon cher ami,

J'ai reçu hier au soir votre mot. Je me permets d'inclure y cette sorte de lettre une sorte de dessin - car décidément je ne peins plus qu'à l'aide d'encres de couleur.

Ainsi que je l'annonce à M. J. Cocteau * je fais du plaisir de vous voir presque bientôt - croyant qu'on me laissera débarquer le 23 après-midi à Paris. Et de la sorte je pourrais fort bien aller voir “ Les Mamell de Tirésias ” de Guillaume A. - sur lequel - et ceci est une autre Histoire - je maintiens cet après-midi mon jugement - Vous ai-je dit vraiment que Gide était froid ?

* C'est sous ce nom que Monsieur T. Fraenkel a fait paraître dans SIC un poème intitulé Restaurant de Nuit.

Troisième reprise de ce mot - ÇA COMMENCE A M'AGACER - Apparitions de pantins brisables et qui s'enquièrent ou vous font plaisir ! J'abats le quatrième. Well.

Avez-vous reçu, il y a bientôt un mois, il me semble - un individu souriant, très ennervant, avec des figures à l'entour qui m'ont fait bien des fois - de colère - éclater de rire un peu ? - Il avait présidé, je crois, P. 11 un certain temps à mes ébats guerriers et je serai, je l'avoue, déçu d'une perte - Bien - maintenant le chicot-crayon - se raccourcit et se casse - Et il fait une chaleur pleine de mouches et d'odeurs de boîtes de conserve entre-ouvertes.

Je suis votre serviteur

J. T. H.

A MONSIEUR T. F.

X. 16. 6. 17.

Mon ami il fait bien chaud mais je vous répond. Vous estes bien gentil de me parer de rayons, et j'espère être à Paris - (naturellement ma permission fut retardée) - pour la représentation sur-réaliste de Guillaume Apollinaire, que je soupçonne de n'être que peu en retard, peut-être.

Est-ce que vous vous êtes payé pour 2 fr. de ficelle d'or, qui si joliment soutache l'uniforme, ou cela - (tout est possible après tout) est-il un don de l'Etat. Et puis quand allez-vous remettre l'ordre dans votre royaume * ? J'espère tout de même vous voir à mon passage ? Mon Dieu il fait chaud - Jamais je ne pourrai gagner tant de guerres !

* DESSIN : Un médecin traîne péniblement une carriole sanitaire pourvue d'une queue et fumant la pipe. Une flèche indique la Russie. Brassard de neutralité, dessiné à part, à découper pour mettre en 1 a racine de 6 est partie à coller.

J'arriverai vraisemblablement à Paris le 23 dans l'après-midi - Voulez-vous être dans l'apéritif pour “ la Rotonde ” vers 6 1/2 ? ou bien répondez si vous pouvez au reçu de ce gâchis et indiquez-moi où, avec un peu de hasard, je pourrai rencontrer soit vous-même ou soit le pohète - ou bien les deux ? vous voudrez ne pas tramer une mauvaise rencontre plaisanterie - ce serai naturellement amusant, mais voudrez-vous considérer que je resterez si peu dans la ville-LUMIER ? - J'arriverai quai d'Orsay - venant d'A.... vers 4 1/2.. 6 h., le 23 après-midi.

Je vous suis dévoué

J. T. H.

P. 12 18. 8. 17.

Cher ami,

J'ai pensé bien souvent vous écrire depuis votre lettre du 23 juillet - mais je n'arrivais jamais à une forme définitive d'expression - et n'y suis pas encore arrivé - Je pense après tout préférable de vous écrire au hasard d'une improvisation immédiate - sur un texte connu presque, et même un peu réfléchi - Nous verrons à produire lorsque les hasards de notre conversation nous auront amené à une série d'axiomes adoptés en commun “ umore ” (prononcez : umoreu - parce que, tout de même, “ humoristique ” !) votre thème de pièce m'agrée en somme - Ne croyez-vous pas peut-être bon d'introduire (je n'y tiens pas essentiellement pour le moment) - un type intermédiaire entre le douanier et votre “ moderne ” n° 1 - une sorte de tapir d'avant-guerre, sans allure, non entièrement débarrassé de beaucoup de superstitions diverses, bien que déjà si âpre d'égoïsme, en fait - une sorte de barbare cupide et un peu émerveillé - Toute fois... Et puis tout le TON de notre geste reste presque à décider - Je le désirerai sec, sans littérature, et surtout pas en sens d'“ ART ”.

D'ailleurs. - L'ART n'existe pas, sans doute - Il est donc inutile d'en chanter - pourtant : on fait de l'art - parce que c'est comme cela et non autrement - Well - que voulez-vous y faire ?

Donc nous n'aimons ni l'ART ni les artistes (à bas Apollinaire) ET comme TOGRATH A RAISON D'ASSASSINER LE POETE ! P. 13 Toutefois puisqu'ainsi il est nécessaire de dégorger un peu d'acide ou de vieux lyrisme, que ce soit fait saccade vivement - car les locomotives vont vite.

Modernité aussi donc - constante, et tuée chaque nuit - Nous ignorons MALLARME, sans haine, mais il est mort - Nous ne connaissons plus Apollinaire - CAR - nous le soupçonnons de faire de l'art trop sciemment, de rafistoler du romantisme avec du fil téléphonique, et de ne pas savoir les dynamos. LES ASTRES encore décrochés ! - c'est ennuyeux - et puis parfois ne parlent-ils pas sérieusement ! - Un homme qui croit est curieux. MAIS PUISQUE QUELUNS SONT NÉ CABOTIN...

Eh bien - je vois deux manières de laisser couler cela - Former la sensation personnelle à l'aide d'une collision flamboyante de mots rares - pas souvent, dites - ou bien dessiner des angles, ou des carrés nets de sentiments - ceux-là du moment, naturellement - Nous laisserons l'Honnêteté logique - à charge de nous contredire - comme tout le monde.

O DIEU ABSURDE ! car tout est contradiction - n'est-ce pas ? - et sera umore celui qui toujours ne se laissera pas prendre à la vie cachée et SOURNOISE de tout - O mon réveillematin - yeux - et hypocrite - qui me déteste tant ! - ... et sera umore celui qui sentira le trompe l'oeil lamentable des simili-symboles universels - C'est dans leur nature d'être symboliques.

L'umore ne devrait pas produire - mais qu'y faire ? J'accorde un peu d'umour à LAFCADIO, car il ne lit pas et ne produit qu'en expériences amusantes, comme l'Assassinat - et cela sans lyrisme satanique - mon vieux Baudelaire pourri ! - Il fallait notre air sec un peu ; machinerie - rotatives à huiles puantes - vrombis, vrombis - vrombis - Siffle ! - Reverdy - amusant le pohète, et ennuie en proses ; MAX Jacob, mon vieux fumiste - PANTINS - PANTINS - PANTINS P. 14 - voulez-vous des beaux pantins de bois colorié ! ? - Deux yeux-flamme-morte et la rondelle de cristal d'un monocle - avec une pieuvre machine-à-écrire - J'aime mieux.

Tout ceci vous agace beaucoup parfois - mais répondez-moi - Je repasse à Paris vers les premiers jours d'octobre, peut-être pourrions-nous arranger une conférence-préface - Quel beau bruit ! J'espère bien vous voir, en tous cas.

Recevez mon meilleur souvenir.

J. T. H.

9. 5. 18.

Cher ami,

C'est vrai que - d'après calendrier - il y a longtemps que je ne vous ai donné signe de vie - Je comprends mal le Temps, tout compte fait - J'ai souvent pensé à vous - un des très rares - qui voulez me tolérer (je vous soupçonne d'ailleurs, un peu, de mystification) - Merci.

Mes pérégrinations, multiples - J'ai conscience, vaguement, d'emmagasiner toutes sortes de choses - ou de pourrir un peu.

QUE VA-T-IL SORTIR DE LA, BON DIEU.

Je peux plus être épicier pour l'instant - l'essai fut sans succès heureux. J'ai essayé autre chose - (ai-je essayé ? - ou m'a-t-on essayé à...) ? Je ne peux guère écrire cela maintenant - on s'amuse comme l'on peut - voilà.

Décidément je suis très loin d'une foule de gens littéraires - même de Rimbaud, je crains, cher ami - L'ART EST UNE SOTTISE - Presque rien n'est une sottise - l'art doit être une chose drôle et un peu assommante - c'est tout - Max Jacob - très rarement - pourrait être UMOREU - mais, voilà, n'est-ce pas,

P. 15

il a finit par se prendre au sérieux lui-même, ce qui est une curieuse intoxication - Et puis - produire ? - “ viser si consciencieusement pour rater son but ” - naturellement, l'ironie écrite n'est pas supportable - mais naturellement vous savez bien aussi que l'Umour n'est pas l'ironie, naturellement - comme cela, - que voulez-vous, c'est comme cela, et non autrement - que tout est amusant, c'est un fait - comme tout est amusant ! (et si l'on se tuait aussi, au lieu de s'en aller ?)

Soifs de l'Ouest - je me suis frotté les mains l'une contre l'autre à plusieurs passages - peut-être mieux encore un peu plus court ? - André Derain, naturellement - je ne comprends pas “ le premier né c'est l'ange ” - C'est d'ailleurs au point - beaucoup plus au point qu'un certain nombre de choses montrée vers l'Hôpital de Nantes.

Votre critique synthétique est bien attachante - bien dangereuse d'ailleurs ; Max Jacob, Gris, m'échappent un peu.

Excusez, mon cher B., le manque de mise au point de tout ceci. Je suis assez mal portant, vit dans un trou perdu entre des chicots d'arbres calcinés, et, périodiquement une sorte d'obus se traîne, parabolique, et tousse. J'existe avec un officier américain qui apprend la guerre, mâche de la “ gum ” et m'amuse parfois - Je l'ai échappé d'assez peu - à cette dernière retraite - Mais j'objecte à être tué en temps de guerre - Je passe la plus grande partie de mes journées à me promener à des endroits indus, d'où je vois les beaux éclatements - et quand je suis à l'arrière, souvent, dans la maison publique, où j'aime à prendre mes repas - C'est assez lamentable - mais qu'y faire ?

Non - merci - cher ami - beaucoup - je n'ai rien au point pour le moment - NORD-SUD prendrait-il quelque chose sur ce triste Apollinaire ? - auquel je ne conteste pas un certain talent - et qui eût réussi je croit - qque chose - mais il n'a que pas mal de talent - Il fait de bien bonnes “ narrations ” P. 16 (vous rappelez-vous le collège ?) - parfois.

Et T. F. ? remerciez-le, quand vous écrirez - de ses nombreuses lettres, si pleines d'observations amusantes et de bon sens - Well.

Votre ami

J. T. H.

12. 8. 18.

A MONSIEUR T. F.

Cher ami,

J'aurai voulu répondre à votre lointaine missive par une visite ; mais, naturellement, vous en profitiez pour partir - Je suis presque toujours en prison pour le moment, c'est, pour l'Eté, plus frai - J'ai pourtant bien des assassinats amusants à vous conter - mais voilà...

Je rêve de bonnes Excentricités bien senties, ou de quelque bonne fourberie drôle qui fasse beaucoup de morts, le tout en costume moulé très clair, sport, voyezmoi les beaux souliers découverts grenat ?

Mais je dois me laisser faire - Je suis en consigne ici - dans l'attente de quelles nouvelles aventures ? - Pourvu qu'ils ne me tuent pas pendant qu'ils me tiennent ?... pauvres gens...

J'espère que ce document vous parviendra lors que vous serez encore vivant, et sans doute fort occupé à couper des membres avec une scie, selon la tradition, et armé d'un tablier blafard où se marqua une main huilée de sang frai.

Je me porte, me semble-t-il, bien, malgré que j'y entende peu de chose - mais ne crache - merci - ni ne tousse ?

J. T. H.

P. 17 SOIR DE GREVE

Il est onze heures du soir

mais qui penserait à dîner ?

La lampe verte

soutient toute la nuit

et chauffe les sonnettes exorbitées, à l'alignement,

et dont chacune fait tressaillir un ministre,

Le Préfet de Police dit :

“ Il faut choisir ”,

Le Gouverneur militaire desserre son col,

et se rafraîchit les paumes sur sa plaque de grand-officier.

Dans l'air tendu de la gare de banlieue

les pavés passaient haut comme des oiseaux.

Les réverbères brisés

montraient leur chair de fonte blême

et des tuyaux rompus

fusaient l'eau et le gaz.

Casques, civières.

Les pieds pris dans les fleurs de la Savonnerie

d'où monte l'ombre,

le Président du Conseil regarde le jardin bleu

et se demande

s'il faudra encore poser la question de confiance.

Rumeurs...

On entend crier un train qu'on égorge.

Mais ce ne sont que des permissionnaires.

Ce n'est encore que du vin rouge.

PAUL MORAND.

Rome 1917.

P. 18 LIVRES CHOISIS

Francis Jammes : La Vierge et les Sonnets.

Jadis les jeunes filles étaient si belles qu'il n'y avait pas besoin de décrire la campagne : les joues disaient assez le grand air, les lèvres la liberté des coeurs. Après tant d'années on ne reconnaît plus ces demoiselles. Elles ont séché, maigri, tourné à l'aigre, à la dévotion. Elles n'aiment plus que les fleurs artificielles un peu poussiéreuses dont on pare les autels. Finie, la gaîté. Elles chantent sans grâce des cantiques longs et ennuyeux qui ne possèdent pas même le charme de la naïveté. Vous pouvez être assurés qu'elles lisent le Pélerin et les Annales. Elles ont oublié le piano et portent des gants de filoselle.

DERNIERE HEURE. - Dans son discours de réception à l'Académie française, M. Francis Jammes fera l'éloge d'André Theuriet.

Gustave Rouger : L'esclave aux bêtes.

Il a été tiré de cet ouvrage, en simili-Hugo, 20 exemplaires sur simili-Japon, numérotés de 1 à 20 et 10 sur simili-Hollande, numérotés de 21 à 30.

Jean des Vignes Rouges : Sous le brassard d'Etat-Major.

“ Bon documentaire 250 mètres, intéressant, excellentes photographies ”. Le Mercure de France se fera un plaisir d'en rendre compte.

P. 19 Pierre Benoît : L'Atlantide.

Les aventures, les belles aventures. On part, mais reviendra-t-on ? “ S'il m'arrivait malheur en route, le bec de gaz que j'ai oublié d'éteindre brûlerait à tout jamais. ” Quelle grandeur chez un Verne, un Boussenard. Peu importe s'ils écrivent bien ou mal : ils me transportent. Dans le désert de Monsieur Benoît, il souffle je ne sais quel petit vent d'ironie : on a peur de se prendre au sérieux. Par souci des proportions, l'auteur ne fera pas Antinéa la fille de Neptune et de Cléopâtre. Il lui bâtit une généalogie plus bourgeoise. La petitesse d'esprit ne perd ses droits nulle part. Les ancien n'ignoraient pas l'existence de pygmées en Afrique. Il y a chez ceux que voici tant de scepticisme éclairé que leur père deviendra sûrement un auteur à succès. Mais abandonnez, Monsieur, les voyages extraordinaires. Ce genre n'est pas à votre taille.

Jacques=Emile Blanche : Propos de peintre : De David à Degas.

Le peintre a peu de linge et voilà longtemps qu'on lui voit ce complet. Dans la rue, il regarde les visages, les corps ; il est pris au piège par le monde. Changeantes lignes, qui saura limiter la vie ? ” Il tape avec sa pipe sur le dos de sa main. Malgré deux ou trois amis fidèles, personne n'achète ses toiles : aussi pourquoi fait-il les gens si laids ? Le dentiste, son voisin de palier, lui rend de temps en temps visite. Rue Saint-Jacques, il y a un marchand de vin qui ne manque pas de bon sens.

Eh bien, non : un peintre ne vit pas comme ça. Croyez-en Monsieur Blanche : il est reçu chez Madame de..., chez la princesse B..., il a de l'usage, un smoking, un habit. Le baise-main de Cézanne, n'en doutez pas, est donné en modèle dans les cours de maintien. Pour les cotillons, Van Gogh n'a pas son pareil. Ah ! quelle vie pour les artistes depuis que l'Art est de bon ton.

LOUIS ARAGON.

P. 20 André Warnod : Lily, modèle.

De si haut on peut voir tout Paris ; mais on préfère les rues étroites et les grands murs : Montmartre est une cage.

L'oiseleur y a enfermé Lily. Elle volète, fait quelques tours ; lorsqu'elle s'échappe elle perd la tête et ne sait plus où aller.

Ne plus savoir où aller

Les rues montent et les lumières font mal aux yeux. On pense à hier, on croise des gens qui regardent fixement et d'autres qui tournent le dos. Il faut tout oublier et mourir au petit bonheur.

PHILIPPE SOUPAULT.

“ Sur la Composition de Phèdre ” (1).

(1) E. Bourguet dans “ La Revue de Métaphysique et de Morale ”, p. 336-351.

L'aspect du Phèdre de Platon a toujours déconcerté les critiques et les lecteurs qui le lisaient : cette promenade le long de l'Ilyssos, les deux discours contre l'Amour des jeunes gens, suivis d'un mythe à sa louange, et d'une discussion dialectique sur l'art oratoire, que termine une prière à Pan, ces pages de ton ondoyant, pleines d'idées variées ont enfin été condamnées par quelques docteurs allemands qui n'y voyaient ni ordre, ni unité de sujet.

Dans une étude récente, M. Bourguet reprend le débat et le clot, semble-t-il. Le noyau même du Phèdre serait la conception philosophique de la rhétorique : la rhétorique établie comme science. Pour Platon l'objet de la vie de l'homme est d'atteindre aux idées et entre toutes à l'Idée du Bien : les jeunes hommes doivent y être conduits par la fréquentation et les paroles de leurs maîtres car les écrits sont choses factices et mortes. L'art oratoire est considéré comme l'instrument nécessaire de la méthode platonicienne dont le procédé est double : amour et dialectique. P. 21 L'Amour philosophique, et les discours qu'il inspire, mènent d'un bond à l'Idée du Beau, tandis que la dialectique élève l'âme du sensible à l'Intelligible en une ascension continue qui aboutit à l'Idée du Bien, dont le Beau est la manifestation. Sous ce jour le Phèdre est bien un résumé cohérent du Platonisme et une étude générale de l'Art oratoire : la promenade, les deux discours et le mythe exposent ce que doit être le rôle de l'Amour dans l'enseignement philosophique, la discussion indique la place et l'importance de la dialectique.

On s'étonne qu'une construction si forte ait échappé à de bons esprits, mais là est la leçon la meilleure du Phèdre ; les critiques n'ont pas compris car ils cherchaient à quel modèle le rattacher. La composition de ce dialogue, tout intellectuelle pourtant, ne suit aucun canon, aucune règle d'école, aucun préjugé. Platon n'a rien copié ; drame, poésie, philosophie, description, mythe, entrent dans son ouvrage à titre d'éléments. Il use de tout, il n'imite rien, il ne représente rien, il crée.

Le Phèdre prouve, persuade, charme, mais semble avoir comme but dernier et comme plan de se développer en sa pleine originalité d'oeuvre d'art : c'est un être vivant, et grâce à lui on perçoit à la fois d'indépendance de l'Art chez les Hellènes et la forme particulière de son intellectualisme. D'après Platon et les Grecs c'est en s'affirmant, en se développant que l'Intelligence se libère du mécanisme, non en se renonçant. C'est par la création d'organismes complexes et complets selon ses procédés autonomes qu'elle devient féconde, se dépasse, et s'apparente aux forces spontanées du Monde.

BERNARD FAY.

P. 22 LES SPECTACLES

Charlot Voyage. - Charlie Chaplin.

Le roulis et l'ennui bercent les journées. Nous avons assez de ces promenades sur le pont : depuis le départ, la mer est incolore. Les dés que l'on jette ou les cartes ne peuvent même plus nous faire oublier cette ville que nous allons connaître : la vie est en jeu.

C'est la pluie qui nous accueille dans ces rues désertes. Les oiseaux et l'espoir sont loin. Dans toutes les villes les salles de restaurants sont chaudes. On ne pense plus, on regarde les visages des clients, la porte ou la lumière. Est-ce que l'on sait maintenant qu'il faudra sortir et payer ? Est-ce que la minute qui est là ne nous suffit pas ? Il n'y a plus qu'à rire de toutes ces inquiétudes.

Et nous rions tristement comme des bossus.

PHILIPPE SOUPAULT.

PALET

Aa l'Antiphilosophe.

Sur la casserole en effervescence de fox-trot : la folie légère - je me penche sur le bord et souffle dans le ventilateur. Du yacht jaillit l'héliotrope à travers la section tropique que le lest chatouille et les rides qui restent et traînent se réjouissent dans l'eau - comme Margot sous les bras.

Choléra se développe dans le violon dont le sentiment en longues traces graissées avec colophane craint le craquement des lois de gravitation. Je crache donc. - Mais ma grandeur remplie de suc sucre la salle. Légataire universel P. 23 de Marcel Prévost, tu avais un autre profil. Il résumait ses regards dans la tabatière et ramassait les étiquettes de cacao van Hooten. Je vous réserve, visitateurs, dans des tasses de Nyon, des roues de montres minuscules, défaites et leurs ressorts. Le rendez-vous avec la Grande-roue /4, 15/Embryons mis dans des vases avec des cuillers. Sacrilège météorologique. Pantalon. Les os automnaux. Voilà ce qu'il attendait pour siffler en octaves l'incandescence logarithmique de la seconde aiguille du voltamètre, ou la probabilité du cri, pensé à l'aurore. Pissat froid par le robinet olympique et les bonbons ouverts dans le télescope. Aa roule dans les coussins - pain en fabrication - sort sous forme d'oeuf et se plante.

Plante rouge qui chatouille de son nom ma méninge. Plainte dans la plaine d'utilité. Dans le pli du diaphragme je sens 100 sons. Mais la clarté des sens plantation de notes dans l'argile à décoration fixe est question d'habitude, j'ai pêché hier, question de métier. A la pêche des souliers de suicidés, Aa cherche sa journée au-dessus de la folie précise et nette, et constate la banalité mathématique de l'ennui qu'il aime.

De l'ennui qu'il aime mathématique banalité. Beauté.

Eclaboussement de pets dans la corolle - son oeil voit dans l'intérieur du ventriloque, quel bonheur, oo Aa se faufile sous les manchettes du prestidigitateur Printemps.

Voilà

Et se purifie entièrement au dépôt général en gros.

Ici les antennes brûlent l'impatience des agences télégr. les rayures appellent les scorpions, qui règlent le lavage automatique des urinoirs, envoie gratuitement des cigarettes à ceux qui en désirent avant le suicide, peach Brandy auréole de tes yeux. Les scorpions enfoncés dans les organes y circulent librement, les cadrans annoncent l'intoxication voilà les saints qui jouent la ronde parmi les chaînes, et le saut qui se prépare chez les modèles des peintres, dans les pavillons - voilà le fer qui menace sa chute liquide, la grêlêe, les dents. Voilà le remède. Extra-fin.

Voilà.

TRISTAN TZARA.

P. 24 Bibliographie : la collection de LITTÉRATURE est publiée AU SANS PAREIL (102, rue du Cherche-Midi - Paris VIe).

N° 1. - ARTHUR RIMBAUD : Les Mains de Jeanne-Marie ; avec un portrait du Poète par J.-L. Forain et une notice.

Un vol. in-8 écu sur vergé d'Arches....   épuisé.

44 exempl. numérotés sur Japon impérial   épuisé.

N° 2. - ANDRÉ BRETON : Mont de Piété ; avec deux dessins inédits d'André Derain.

Un vol. in-16 jésus sur Hollande Van Gelder   12 fr. ”

8 exempl. numér. sur Japon impérial, l'ex.   30 fr. ”

Paraîtront en Septembre 1919 :

N° 3. - Lettres de Guerre, de JACQUES VACHÉ ; avec un dessin de l'auteur et une introduction.

Un vol. in-16 jésus sur vélin d'alfa

20 exempl. numér. sur Hollande Van Gelder

N° 4. - BLAISE CENDRARS : Dix-Neuf Poèmes élastiques ; avec un portrait de l'auteur par Modigliani.

Un vol in-16 double écu sur vélin d'alfa

44 exemplaires sur Hollande Van Gelder

6 exempl. numér. et signés par l'auteur, réimposés en in-4° sur Japon impérial.

N° 5. - PHILIPPE SOUPAULT : Rose des Vents.

Un vol. in-8 écu, sur vélin d'alfa

Tirage de luxe sur Hollande Van Gelder

N° 6. - LOUIS ARAGON : Feu de Joie.

Un vol. in-8 écu, sur vélin d'alfa

Tirage de luxe sur Hollande Van Gelder

N° 7. - ANDRÉ BRETON et PHILIPPE SOUPAULT : Les Champs magnétiques ; avec 9 reproductions d'après les tableaux d'Henri Rousseau.

Un vol. in-4° écu, sur vélin d'alfa

Tirage de luxe sur Hollande Van Gelder

N° 8. - PAUL ELUARD : Les Animaux et leurs Hommes, avec des dessins d'André Lhôte.

Un vol. in-8 écu sur vélin d'alfa.

Le Gérant : PHILIPPE SOUPAULT.

Paris. - Imprimerie Chatelain.

DADA

1-2-3-4-5

1.2.3.4-5

1.2.3.4-5

1.2.3

Tristan Tzara, Directeur

Pour tous Renseignements lui écrire :

MOUVEMENT DADA, Zurich-Seehof Schifflânde, 28

KUNDIG

Passage des Lions

GENEVE

DEPOSITAIRE EXCLUSIF POUR LA SUISSE DE LITTÉRATURE

:: LE CRAPOUILLOT ::

Arts, Lettres, Spectacles

paraît deux fois par mois à Paris, illustré par A.-D. de Segonzac, Jean Galtier-Boissière, Valdo Barbey, Luc-Albert Moreau, rédigé par Henri Béraud, Francis Carco, Pierre Mac Orlan, Drieu la Rochelle, et donne l'opinion des jeunes sur le mouvement artistique, littéraire et dramatique.

Collection des trois années de guerre : 20 fr. en plus.)

(Administration : 5, place de la Sorbonne, Paris. - Abonnement : France, 1 an (24 nos) : 15 fr. ; Etranger : 18 fr.

LITTÉRATURE

a publié

les “ POÉSIES ”

d'Isidore DUCASSE (Comte de LAUTRÉAMONT) ;

“ LES MAINS DE JEANNE-MARIE ”

Poème retrouvé d'Arthur RIMBAUD ;

des poèmes et des proses inédits de :

Guillaume APOLLINAIRE.   Darius MILHAUD.

Louis ARAGON.   Paul MORAND.

Georges AURIC.   Jean PAULHAN.

André BRETON.   Raymond RADIGUET.

Blaise CENDRARS.   Pierre REVERDY.

Pierre DRIEU LA ROCHELLE.   Jules ROMAINS.

Paul ELUARD.   Henri ROUSSEAU.

Léon-Paul FARGUE.   André SALMON.

Bernard FAY.   Philippe SOUPAULT.

André GIDE.   Tristan TZARA.

Max JACOB.   Jacques VACHÉ.

Stéphane MALLARMÉ.   Paul VALÉRY.

N° 7

REVUE MENSUELLE, Septembre 1919, LITTÉRATURE

DIRECTION

9, PLACE DU PANTHÉON, 9

DIRECTEURS :

LOUIS ARAGON - ANDRE BRETON PHILIPPE SOUPAULT

RÉDACTION ET ADMINISTRATION :

9 - Place du Panthéon - 9

ABONNEMENTS

Pour la France Edition ordinaire ....   15 fr. par an

Edition de luxe ....   60 fr. par an

Prix du numéro : 1 fr. 50

Pour l'étranger Edition ordinaire ....   20 fr. par an

Edition de luxe ....   80 fr. par an

Prix du numéro : 2 fr.

Pour la vente, s'adresser à la “ Maison des Amis des Livres ” 7, rue de l'Odéon, Paris.

SOMMAIRE

Valery LARBAUD....   Ramon Gomez de la Serna.

Ramon GOMEZ DE LA CERNA....   Criailleries.

André BRETON....   Usine.

LETTRES DE JACQUES VACHÉ (fin)

Philppe SOUPAULT ....   Ailleurs.

Henri HOPPENOT ....   Disques.

Chroniques

LIVRES CHOISIS, par Louis ARAGON.

SPECTACLES, par Philippe SOUPAULT.

MUSIQUE : Darius Milhaud, par Georges AURIC.

PALET : Cénacles, par le Passant sans Perruque.

BIBLIOGRAPHIE.

Il a été tiré de ce numéro 15 exemplaires sur papier de Hollande de Van Gelder Zonen numérotés de 1 à 15.

EXEMPLAIRE N°

P. 1 RAMON GOMEZ DE LA SERNA

Bibliographie sommaire.

I. - Oeuvres de début ou de premières manières : depuis “ Entrando en fuego ” (1904) jusqu'à “ Tapices ” par “ Tristan ” 1913.) Tous ces ouvrages sont hors commerce ou épuisés. Pour une étude complète sur la formation de l'auteur, il faudrait lire aussi la revue “ Prometeo ”, contemporaine de ces essais.

II. - Principales oeuvres publiées de 1914 à 1919 : “ Primera Proclama de Pombo ” ; “ El Rastro ” (1915) ; Greguerias ”, “ Senos ”, “ El Circo ”, “ Pombo ” (1917) ; “ Muestrario ” (1918) ; traduction précédée d'une Etude, des “ Nouveaux Contes Cruels ” de Villiers de l'Isle-Adam (1919.)

III. - Ouvrages à consulter : “ Greguerias Selectas ”, avec prologue de Rafael Calleja (Madrid, 1919 ; éditions Calleja). C'est une anthologie, avec quelques inédits, des oeuvres de R. Gomez de la Serna. - Traduction française de quelques fragments importants ou caractéristiques (par Mme B. Moreno, M. Latour-Maubergeon et M. V. Larbaud) dans les numéros 3 et 4 (1re année) de la revue “ Hispania ” (96, boulevard Raspail, Paris). - On trouvera ces ouvrages chez M. P. Rosier, libraire, 26, rue de Richelieu.

Cette bibliographie semble annoncer une longue étude sur l'oeuvre de Ramon Gomez de la Serna, une de ces études bien documentées, établies sur fiches, comme en publient, sur des écrivains depuis longtemps connus, de grosses et graves revues comme la Quarterley ou l'Edinburgh Review. Mais rien ne déplaisait tant au jeune auteur de “ Pombo ” que de se voir traiter d'une façon aussi académique, et cette note ne sera que le commentaire de la bibliographie que nous venons d'inscrire en tête. Il ne s'agit pas, pour le moment, d'étudier l'oeuvre de R. Gomez de la Serna, P. 2 mais de renseigner brièvement les lecteurs français sur un des écrivains les plus originaux et les plus importants de la jeune littérature espagnole.

Les ouvrages que nous avons rangés dans la première partie (1904-1914) sont des oeuvres d'extrême-jeunesse qui paraissent avoir été composées sous un grand nombre d'influences contemporaines. On y voit l'auteur chercher - et quelquefois trouver - son expression propre au milieu, et en dépit, de tous les moyens que sa très riche culture littéraire met à sa disposition. On y retrouve une conception de l'art analogue à celle des premiers disciples des Décadents et des Symbolistes français : tout le groupe du Mercure, avec ses précurseurs et ses maîtres ; Laforgue et Huysmans, Maeterlink et Jules Renard. On y devine aussi l'apport fait par l'école sud-américaine de Paris à la lyrique espagnole, et quelques échos du mouvement esthétique anglais, depuis Ruskin jusqu'au groupe du Yellow Book. Enfin, on y aperçoit, à certains signes, l'influence de la précédente génération espagnole : celle de 1898, qui, avec ses précurseurs : Leopoldo Alas et Angel Ganivet, et ses maîtres : Unamuno, Azorin et Pio Baroja, a été comme l'annonciatrice de cette grande renaissance intellectuelle à laquelle nous assistons.

Ces ouvrages de la minorité de notre auteur (minorité légale : selon le Code espagnol on n'est majeur qu'à 23 ans) sont des drames lyriques, des mimes, des scénarios de ballets imaginaires, de longs poèmes en prose. Non seulement “ Ramon ” (c'est ainsi qu'il signait ses livres) cherchait alors son expression propre, mais il se contraignait à créer des personnages, à inventer des situations, à mettre en oeuvre des procédés déjà employés par ses maîtres, - ici, il fait songer à Oscar Wilde ; là, à Rachilde ; - en somme il s'efforçait de composer. Mais la contrainte, en art, est le crime impardonnable, et ces premiers ouvrages en portent le châtiment. On sent l'artifice ; on est assourdi par un vocabulaire d'une excessive richesse, et la virtuosité du poète est telle qu'elle dépasse son but et trahit la pauvreté du fond. Pourtant, ces poèmes et ces drames, si leur auteur avait cessé d'écrire en 1914, auraient suffi à lui donner une place enviable dans l'histoire littéraire d'Espagne, car ils contenaient déjà quelque chose de plus qu'une haute culture cosmopolite et qu'une grande science de la langue nationale : une personnalité esthétique P. 3 s'y ébauchait. Déjà le poète y exprimait son désir de se libérer des formules, même de ces formules neuves qu'il importait de France et d'Angleterre. Déjà il se laissait aller, s'abandonnait, s'appliquait moins, sacrifiait une partie de son vocabulaire, se rapprochait de plus en plus de la Nature. De moins en moins il résistait à son besoin d'écrire en marge de ce qu'il composait, de parler de lui-même, de Madrid, de ses expériences quotidiennes. Bientôt, mettant de côté toute autre préoccupation, il allait exprimer sa vraie vie intérieure, et tous les imperceptibles mouvements de sa sensibilité : ces rapprochements involontaires, ces images spontanées, frappantes, illogiques, qui se forment au sein de la vie psychique, et que la censure intérieure, servante de la logique et des formes toutes faites de la vie intellectuelle, empêche sévèrement de parvenir jusqu'à la conscience, et, à plus forte raison, de trouver leur expression communicable.

Déjà, en dehors des livres et des plaquettes qu'il faisait imprimer, il avait commencé à noter ses trouvailles et ses découvertes dans cet ordre de faits. Servi par son vocabulaire et son sens merveilleux des ressources du castillan, il donnait une forme à ces secrets, à ces mouvements confus de la vie intuitive. Ainsi, peu à peu, il se libéra, s'affranchit de ses principes esthétiques, perdit ses préjugés littéraires, renonça définitivement à composer, et se mit résolûment, ardemment, à “ décomposer ”.

Nous voici arrivés aux oeuvres énumérées dans la seconde partie de notre bibliographie. En principe, elles sont toutes faites de ces notations d'images spontanées et d'états d'âme, puisées en plein courant psychique, immédiatement, et sans que jamais intervienne le tout-fait.

En même temps qu'il s'abandonnait sans réserves à cette forme d'expression, Ramon Gomez de la Serna trouvait un nom pour la désigner. Il avait d'abord songé à des noms tels que Regards, Moments, Ressemblances ; mais il ne fut satisfait que lorsqu'il eût trouvé un mot plus précis et plus spécialisé et si purement espagnol et si nuancé qu'il est presque intraduisible : Gregueria (*). “ Cris confus, clameurs dont on ne saisait pas l'articulation ” dit Salva ; “ brouhaha ”, dit Darbas et Igon ; “ criaillerie ”, dit Bustamante. Il y aurait aussi : bavardage, ramage, jacasserie. P. 4 Rien de tout cela n'est l'équivalent. Nous avons provisoirement choisi “ criaillerie ”, mais il y a une idée de bruit confus et désagréable dans ce mot, tandis que la “ gregueria ” n'est pas forcément désagréable - au contraire. Dans une note aux morceaux traduits par Mme B. Moreno, l'éditeur de la revue “ Hispania ” proposait le mot “ algarade ” ; mais l'idée de discorde y est encore plus sensible que dans “ criaillerie ”. En espagnol on dit, par exemple : la “ gregueria ” des enfants qui sortent de l'école ; la “ gregueria ” des perroquets dans une forêt d'Amérique, etc. Or, ici il s'agit d'une “ gregueria ” intérieure, psychique, d'une “ gregueria ” de souvenirs et de sensations. Conservons donc, avec des réserves, le mot “ criaillerie ” qui se rapproche le plus, par le son, du mot espagnol, et voyons comment “ Ramon ” lui-même définit la “ gregueria ” :

(*) Accent tonique sur la pénultième.

“ Elle est tout dans un livre. Nous nous en sommes rendu compte en lisant à haute voix les livres ; car ce n'est que lorsque nous en sommes arrivés à cette espèce de “ criaillerie ” avortée qu'il y a dans les livres abondants, à cette unique criaillerie qui est l'unique chose qui soit un peu distincte en eux, c'est seulement alors que nous avons vu l'intérêt de tous les auditeurs coïncider... Notre âme est faite de criailleries, et si on la pouvait observer au microscope - un jour on le pourra, - on verrait vivre, circuler et vibrer en elle, comme sa seule vie organique, un million de criailleries... Pour surprendre le secret de polichinelle des criailleries, il faut commencer par rappeler notre âme à sa bonté et à sa crédulité premières. Et cela est parfois si difficile ! Pour comprendre les criailleries, ou plutôt, non pour comprendre leur sens littéral, qui est tellement clair que cela déroute, mais pour comprendre de quelle façon elles sont une surprise, pour voir qu'elles sont, sans aucun sérieux, quelque chose de dramatique et de réjouissant tout à la fois, il faut que nous nous repentions, et que nous démentions en nous-mêmes bien des choses dont bien des gens pensent qu'elles ne demandent ni repentir ni correction ; il faut n'être pas trop le professionnel de rien ; il faut posséder parfaitement une âme saine, bien submergée en nous, railleuse, pleurarde, et solitaire. Pour entendre, lire et voir les criailleries, il est nécessaire d'avoir un esprit libre, c'est-à-dire, de ne pas refuser à notre esprit sa propre extension, son vide, sa confession spontanée, sa sottise distillée, son indépendance... La criaillerie est ce qu'il y a de P. 5 plus casuel dans la pensée... La criaillerie est un regard fécond qui, après avoir été enfoui dans la chair, a donné son épi de paroles et de réalités... ” Ailleurs, il dit : “ Vers les images, nul pas volontaire... ”

Oui, la “ criaillerie ” est spontanée, inarticulée, irrépressible, plus physiologique peut-être qu'intellectuelle, ineffablement intime. L'important, la seule chose nécessaire, c'est de savoir l'accueillir, c'est de ne pas la refouler, de ne pas la mépriser, et de l'exprimer aussi complètement, d'aussi près que possible, avec tout ce qu'elle contient d'expérience, de prescience, de rappels, d'échos, de prolongements, de vie fragile et passagère.

Bien des lecteurs dont l'éducation littéraire est achevée considèrent avec stupeur les “ Greguerias ”. Ils ne comprennent pas de “ quelle façon elles sont une surprise ”. Ils y cherchent d'instinct une “ maxime ”, une “ pensée ”, une épigramme. Ils s'attendent à y trouver de “ l'esprit ”, un bon mot, une réflexion morale ayant un caractère universel et permanent. Ils cherchent “ la pointe ”. Et, comme ils ne trouvent rien de tout cela, la “ Gregueria ” leur paraît un défi au bon sens, une naïve platitude, le comble du trivial, la chose, entre toutes, qui ne valait pas la peine d'être écrite. Même les lecteurs qui ont étudié et compris les fines épigrammes d'un Jules Renard se trouveront arrêtés devant les “ criailleries ”. Peut-être comprendront-ils celles dont la forme est évidemment comique, comme celle-ci : “ Le poisson le plus difficile à pêcher, c'est le savon dans dans l'eau ” ; ou celle-ci : “ Oh, toute l'eau qui se fait vieille dans les nombreuses carafes du café ! Il y a tout un étang enfermé dans ces carafes. ” Mais comment accueillerontils celles dont toute ironie, toute intention “ spirituelle ” est absente ? Comme celle-ci : “ Au plus profond de la nuit, on comprend que les reverbères vivent pour eux-mêmes ”. Ou celle-ci : “ On a de la peine à se figurer qu'une tête de mort nettoyée et sèche puisse être celle d'une femme... Je parierais que vous n'avez jamais pensé qu'aucune de celles que vous avez vues ait été féminine. Il est difficile de parvenir, sans abolir en soi-même toutes les passions de la vie, à une telle déformation, si complète et si insexuée. ” Ou encore celle-ci : “ Dans la distribution des heures que nous faisons pour notre matinée, il faut retrancher le temps que nous employons à nous baigner dans le limbe matinal. ” Ou même celle-ci : “ Où poserons-nous ces épingles qu'elle nous P. 6 tend pendant qu'elle se déshabille ? Elles sont comme des arrhes de la félicité que nous allons obtenir... Nous les mettons n'importe où, nous les perdons, parce que nous ne pouvons pas croire qu'elle en aura besoin après ; parce qu'il nous semble qu'elle va demeurer nue toujours. ”

Seul, peut-être, le lecteur qui a étudié Rimbaud, qui l'a compris, comprendra et goûtera pleinement les “ criailleries ” et l'oeuvre de Ramon Gomez de la Serna. Cela ne veut pas dire que le poète espagnol soit devenu, en se libérant des influences de son éducation littéraire, un disciple de Rimbaud. Peut-être ignore-t-il le nom de Rimbaud. Mais c'est que Rimbaud a, le premier, introduit dans la littérature cette énergie intuitive affranchie du Tout-Fait ; et a fait, dans la poésie, cette large place à sa surprise des phénomènes les plus intimes de la vie psychique. Rimbaud a joué, dans l'évolution de la littérature, un rôle analogue à celui qu'a joué Monteverde dans l'évolution de la musique, lorsque, le premier, il a osé attaquer des dissonances sans préparation. Il s'agit là d'une invention, d'une innovation dans l'expression, - musicale ou littéraire. Peut-être Ramon Gomez de la Serna n'a-t-il pas même lu les “ Illuminations ”. Il a simplement profité du nouveau moyen d'expression, du perfectionnement introduit par Rimbaud dans l'expression litténaire. Seul aussi, du reste, le lecteur de Rimbaud pourra se montrer exigeant à l'égard des “ Greguerias ” ; il pourra y trouver encore trop d'esprit, trop peu de profondeur et d'ouverture ; mais du moins il saura de quoi il s'agit, et goûtera pleinement celles d'entre elles qui sont de parfaites “ surprises ”.

L'espace nous manque pour parler de chacun des six volumes publiés entre 1915 et 1919. On comprend de reste que ce sont moins des livres sur un certain sujet que des “ criailleries ” classées d'après les sujets et les lieux autour desquels elles ont été découvertes : le Rastro ; le cirque Parish (et Médrano et l'Hippodrome de Londres) ; “ l'antique Café et Bouteillerie de Pombo ”, où “ Ramon ” et ses amis se réunissent chaque samedi, entre dix heures du soir et deux heures du matin. “ Senos ” est un recueil de “ criailleries ” qu'un autre que Gomez de la Serna n'aurait pas manqué d'intituler pompeusement “ De l'amour et des femmes ”. Enfin les volumes intitulés “ Greguerias ” et “ Muestrario ” (“ La boîte d'échantillons ”) sont faits de criailleries non classées et peut-être inclassables.

P. 7 Nous pensons en avoir assez dit pour donner au lecteur une idée un peu précise de Ramon Gomez de la Serna, et surtout le désir de le lire dans la langue si belle qu'il a su embellir encore, rajeunir, vivifier, et rendre plus intime, plus confidentielle, plus sensible (elle, naturellement si sonore et si oratoire), plus moderne enfin, - ah, bien plus moderne, dans toute sa pureté classique, castillane, de race, “ castiza ”, madrilène des rues, bien plus contemporaine que n'ont su la rendre, malgré tous leurs efforts, tous leurs gallicismes et tous leurs italianismes, ces écrivains américains qui affectaient, jusqu'à ces dernières années, d'ignorer l'Espagne.

Maintenant, il ne nous reste plus qu'à renvoyer le lecteur aux traductions publiées dans la revue “ Hispania ”, et à lui offrir une bonne douzaine de “ Greguerias ” nouvellement traduites.

VALERY LARBAUD.

P. 8 CRIAILLERIES

L'eucalyptus est un arbre pour la foi... Si un jour je me sens mourir, je demanderai, comme les malades qui demandent Lourdes, qu'on me porte sur une civière jusque sous le pavois des feuilles languides, des feuilles d'un eucalyptus, pleines de science et de la substantielle doctrine de la vie.

 

Sur les champs inégalement éclairés par la lune, on dirait qu'on a mis à sécher une grande quantité de linge blanc : draps, chemises et pantalons de lune.

 

S'asseoir sur les marches des grands édifices les jours de soleil est quelque chose de somptueux... Elles ont un air de gradins de la gloire, ou de gradins de la vie. Elles rappellent ces chromos dans lesquelles chaque échelon correspond à un âge de la vie, bien que, sur ces escaliers des édifices publics, tous les gens soient mêlés, assis sans ordre, surtout les vieillards... Comme ils regardent la vie bien en face, ces gens assis sur les larges escaliers de pierre des édifices publics ! Comme il est grave et fondamental, ce tableau citadin !

 

On serait fâché de tuer cette mite qui vole... Elle a une robe de soie écrue, et elle est pleine d'une vie que nous ne pourrions pas imiter ; car il se peut bien qu'on arrive à imiter le mécanisme des grands animaux, mais non pas celui des très petits, chez lesquels le point dynamique de la vie est plus subtil, plus ingénieux et plus inquiet.

 

Dans les vaccins des brunes, comme dans ceux des blanches, il y a un point, une veilleuse incandescente qui éclaire P. 9 les voluptés, qui est chez elles comme un phare subtil, et comme le “ contrôle ” qui certifie que la chair est réellement de la chair.

 

Pourquoi les oiseaux ne se couchent-ils pas comme le font les hommes lorsqu'ils posent leur tête sur les oreillers ?... Cela fait que même leur mort paraît douce, parce qu'en mourant ils se couchent enfin, s'étendent, se reposent complètement.

 

Je ne sais d'où me vient le souvenir d'un ariston, d'un ariston plus profondément ariston que les autres, de l'ariston que j'ai aimé comme un petit garçon aime une petite fille... Je ne sais plus pendant quelle excursion de mon enfance je l'ai entendu... Mais, de cet ariston qui joua pour moi dans la plus grande solitude, comme s'il avait joué tout seul et spontanément, procèdent ma poétique et ma dramaturgie.

 

A l'aube les églises sont des églises de village... Petites églises tranquilles, nouvellement nées, propres, étrangement ingénues au milieu de la grande ville.

 

Le marchand mort vit dans la boutique, repasse les comptes pendant la nuit, se couche sur le comptoir, désigne du doigt ce paquet de ceci ou de cela qu'on ne trouve pas.

 

Des yeux transigeants, géniaux et purs nous regardent quand nous passons dans les lieux plantés d'arbres ; les yeux parfaits et triangulaires, sous le sourcil humain, qui s'exaltent et se peignent sur les peupliers blancs... Pendant un bon moment nous sommes restés à les contempler, nous demandant quelle sorte de Providence nous regardait en eux.

P. 10

Qu'il est émouvant, le cerceau de ce pauvre petit garçon, de ce petit ouvrier vêtu de bleu qui conduit la grande roue de voiture à l'atelier !

 

Il est remarquable que les jardiniers aient l'idée d'arroser aussi les statues nues, la pierre “ à poil ” des cariatides qui soutiennent les vasques, et des nymphes qui se cachent entre les massifs... Il y a une sensualité fraîche et claire dans ce tuyau d'arrosage qui lance tout le rude jet d'eau brillante sur les seins durs, les nuques solides et les fesses rondes... On dirait que cette douche froide, violente et prolongée donne de la vigueur aux statues... C'est un bonheur, les matins, d'assister à ce spectacle, qui est comme celui d'un bain authentique de la Diane qui court à travers les jardins du matin.

 

Dans la nuit déjà avancée, la tête vidée par le travail, nous sentons en elle un bruit comme s'il passait un grand omnibus chargé de malles, un de ces omnibus qui trépident sur les pavés inégaux, un omnibus qui ne passe pas.

 

Comme elles disent “ Adieu ! ” et comme elles sont faites pour dire “ Adieu ! ” les manches trop longues des Pierrots !

RAMON GOMEZ DE LA SERNA.

(Trad. par V. Larbaud).

P. 11 WERTHER EN TROIS PETITS ACTES

Ce vieux vase vous ressemble. C'est que les hommes n'ayant pu s'accoutumer à la terre, celle-ci prit le parti de s'acclimater à eux. Cependant si l'on savait que nos amis dussent mourir, on les aimerait davantage. Mais, moi-même, ne mourrai jamais. Je ne me suis jamais vu mort et le cas échéant, par impossible, je n'en reviendrais pas. Comme le malaxeur américain, je pulvérise, gruge et triture les ruines de la sage guerre éternelle, et toute ma maison repousse. Mais quel sujet de dissertation : un philosophe se penche sur une idée si profonde qu'il tombe dedans et n'en revient jamais.

O tramway Montparnasse-Etoile ! Au travers de la vitre, mon costume sombre formait tain, elle en profita pour se mirer sur mon gilet, son image me caressait... Trémolos de points de suspension, on a beau faire le malin. Une heure, rien qu'une heure, mais une heure qui se serait sauvée d'une montre. L'avenue courut bientôt entre nous deux, mais les rues sont toujours plus larges qu'on ne pense. Adieu ! l'on ne traverse jamais deux fois la même chaussée. Ça vous fait tout de même quelque chose.

En fermant les yeux, je sentis tourner la terre et j'étendis les mains pour me retenir où qui sait l'arrêter. Misérable petit vélodrome où l'on ne peut tourner que dans un sens et sur quoi l'on ne se rencontre jamais. Comme nous ne l'avons pas inventée, la mort n'aime pas les mathématiques. La mort n'a qu'une dimension, dans la mort on doit avoir de la place.

Maurice RAYNAL.

P. 12 USINE

LA grande légende des voies ferrées et des réservoirs, la fatigue des bêtes de trait trouvent bien le coeur de certains hommes. En voici qui ont fait connaissance avec les courroies de transmission : c'est fini pour eux de la régularité de respirer. Les accidents du travail, nul ne me contredira, sont plus beaux que les mariages de raison. Cependant il arrive que la fille du patron traverse la cour. Il est plus facile à se débarrasser d'une tache de graisse que d'une feuille morte ; au moins la main ne tremble pas. A égale distance des ateliers de fabrication et de décor le prisme de surveillance joue malignement avec l'étoile d'embauchage.

ANDRE BRETON.

P. 13 LETTRES de JACQUES VACHÉ

(SUITE)

A MONSIEUR LOUIS ARAGON

Cher ami et Mystificateur,

Je reçois à l'instant votre missive, datée 9 juillet - et vos poèmes. Je suis en prison, naturellement, et peu apte cependant à exprimer des choses visibles sur votre oeuvre : voulez-vous m'en excuser ?

Je me contente de vivre béatement à la manière des appareils photographiques 13 x 18 = C'est une façon comme une autre d'attendre la fin. Je prends des forces et me réserve pour des choses futures. Quel beau pêle-mêle, voyez-vous, sera ces à-venir et comme l'on pourra tuer du monde ! !... J'expérimente aussi pour ne pas en perdre la coutume, n'est-ce pas ? - mais doit garder mes jubilations intimes, car les émissaires du Cardinal de Richelieu...

J'avais bien dit que ce pauvre G. Apollinaire écrivait, vers la fin, dans la “ Bayonnette ” - encore un qui ne s'est pas “ pendu à l'espagnolette de la fenêtre ” mais il était déjà lieutenant trépané, n'est-ce pas, et on le décora - Well.

On lui laissera peut-être le titre de précurseur - nous ne nous y opposons pas.

P. 14 Il y a surtout des mouches plein le soleil, et des gamelles douteuses bourdonnantes - Il me faudrait des bons complets de serpillère vert d'eau, et un gilet blanc de barman - et ces femmes à la dissolvante odeur de linges sale parfumé...

Et vous, cher ami ?

J. T. H.

14. 11. 18.

A MONSIEUR A. B.

Bien cher ami,

Dans quel affalement me trouva votre lettre ! - Je suis vide d'idées, et peu sonore, plus que jamais sans doute enregistreur inconscient de beaucoup de choses, en bloc - quelle cristallisation ? ... je sortirai de la guerre doucement gâteux, peut-être bien, à la manière de ces splendides idiots de village (et je le souhaite).. ou bien... ou bien... quel film je jouerai ! - Avec des automobiles folles, savez-vous bien, des ponts qui cèdent, et des mains majuscules qui rampent sur l'écranvers quel document !... inutile et inappréciable ! - Avec des colloques si tragiques, en habit de soirée, derrière le palmier qui écoute ! - Et puis Charlie, naturellement, qui rictusse, les prunelles paisible. Le Policeman qui est oublié dans la malle ! !

Téléphone, bras de chemise, avec des gens qui se hâtent, avec ces bizarres mouvements décomposés - William. R. G. Eddie, qui a seize ans, des milliards à nègres-livrées, de si beaux cheveux blancs cendre, et un monocle d'écaille. Il se mariera.

Je serai aussi trappeur, ou voleur, ou chercheur, ou chasseur, ou mineur, ou sondeur. Bar de l'Arizona (Whisky-Gin and mixed ?), et belles forêt exploitables, et vous savez ces belles culottes de cheval à pistolet mitrailleuse, avec étant bien rasé, et de si belles mains à solitaire. Tout ça finira par un incendie, je vous dis, ou dans un salon, richesse faite. - Well.

P. 15 Comment vais-je faire, pauvre ami, pour supporter ces derniers mois d'uniforme ? - (on m'a affirmé que la guerre était terminée) - Je suis on ne peut plus à bout... et puis ILS se méfient... ILS se doutent de quelque chose - Pourvu qu'ILS ne me décervèlent pas pendant qu'ILS m'ont en leur pouvoir ?

J'ai lu l'article (dans Film) sur le cinéma, par L. A., avec autant de plaisir que je puis, pour le moment. Il y aura des choses assez amusantes à faire, lorsque déchaîné en liberté

ET

GARE !

Voudrez-vous m'écrire ?

Votre bon ami,

Harry James.

19. 12. 18.

Mon cher André,

Moi aussi aimerai à vous revoir - Le nombre des subtils est, décidément, très infimes - Comme je vous envie d'être es-Paris et de pouvoir mystifier des gens qui en valent la peine ! - Me voici à Bruxelles, une fois de plus dans ma chère atmosphère de tango vers trois heures, le matin, d'industries merveilleuses, devant qque monstrueux cocktail à double paille et qque sourire sanglant. - J'oeuvre des dessins drôles, à l'aide de crayons de couleur sur du papier gros grain - et note des pages pour quelque chose - je ne sais trop quoi. Savez-vous que je ne sais plus où j'en suis : vous me parliez d'une action scénique (les caractères - rappelez-vous - vous les précisiez) - puis des dessins sur bois pour des poèmes vôtre - serait-ce retardé ? - Excusez-moi de mal comprendre votre dernière lettre sybilline : qu'exigez-vous de moi P. 16 - mon cher ami ? - L'UMOUR - mon cher ami André... ce n'est pas mince. Il ne s'agit pas d'un néo-naturalisme quelconque - Voudrez-vous, quand vous pourrez - m'éclairer un peu davantage ? - Je crois me souvenir que, d'accord, nous avions résolu de laisser le MONDE dans une demi-ignorance étonnée jusqu'à quelque manifestation satisfaisante et peut-être scandaleuse. Toutefois, et naturellement, je m'en rapporte à vous pour préparer les voies de ce Dieu décevant, ricaneur un peu, et terrible en tous cas - Comme ce sera drôle, voyez-vous, si ce vrai ESPRIT NOUVEAU se déchaîne !

J'ai reçu votre lettre en multiples découpures collées, qui m'a empli de contentement - C'est très beau, mais il y manque qqu'extrait d'indicateur de chemin de fer, ne croyez-vous pas ? ... Apollinaire a fait beaucoup pour nous, et n'est certes pas mort ; il a, d'ailleurs, bien fait de s'arrêter à temps - C'est déjà dit, mais il faut répéter : IL MARQUE UNE EPOQUE. Les belles choses que nous allons pouvoir faire, MAINTENANT !

Je joins un extrait de mes notes actuelles - peut-être voudrez-vous le mettre à côté de poëme vôtre, quelque part en ce que T. F. nomme “ les gazettes mal famées ” - que devient ce dernier peuple ? Dites-moi tout cela. Voyez-moi comme il nous a gagné cette guerre !

Etes-vous à Paris pour quelque temps ? - Je compte y passer d'ici un mois environ, et vous y voir à tout prix.

Votre ami,

Harry James.

26 novembre 18.

Blanche Acétylène !

Vous tous ! - Mes beaux whiskys - Mon horrible mixture ruisselant jaune - bocal de pharmacie - Ma chartreuse verte - Citrin - Rose ému de Carthame.

P. 17 Fume !

Angusture - noix vomique et l'incertitude des sirops - Je suis un mosaïste.

... “ Say, Waiter - You are a damn' fraud, you are. ” Voyez-moi l'abcès sanglant de ce prairial oyster ; son oeil noyé me regarde comme une pièce anatomique ; Le barman me regarde peut-être aussi, poché sous les globes oculaires, versant l'irisé, en nappe, dans l'arcen-ciel.

OR.

l'homme à tête de poisson mort laisse pendre son cigare mouillé. Ce gilet écossais !

L'officier orné de croix - La femme molle poudrée blanche baille, baille, et suce une lotion capillaire - (ceci pour l'amour.).

“ Ces créatures dansent depuis neuf heures, Monsieur. ” - Comme ce doit être gras - (ceci pour l'érotisme, voyez-vous.).

alcools qui serpentent, bleuis, somnolent, descendent, rôdent, s'éteignent.

Flambe !

MON APOPLEXIE ! !

N. B. Les lois, toutefois, s'opposent à l'homicide volontaire.

P. 18 L'OPIUM !

Des jeunes gens s'étaient essayés à fumer le terrible suc.

Un triste événement qui jette dans la désolation deux familles des plus honorablement connues de la société nantaise, s'est produit lundi soir. Deux jeunes gens d'une vingtaine d'années, actuellement mobilisés, sont morts d'une intoxication provoquée par une absorption trop grande d'opium.

Nous n'avions pas eu encore - heureusement ! - à déplorer dans notre ville des effets aussi graves de cette funeste passion de ces “ stupéfiants ”, de ces drogues au charme mortel, qui s'est acclimatée depuis quelques années parmi nos jeunes hommes.

A L'HOTEL DE FRANCE

Lundi soir, un peu avant 18 heures, un jeune soldat du service de l'Intendance Américaine, A.-K. Woynow, se précipitait comme un fou, d'une chambre du 2e étage de l'Hôtel de France et demander à parler d'urgence au directeur. Celui-ci, averti, se présentait et apprenait de son interlocuteur que deux jeunes gens, amis de l'Américain, étaient mourants dans la chambre. Un médecin fut aussitôt recherché et le docteur de la Rochefordière fut trouvé et amené.

P. 19 Pénétrant dans la pièce, le praticien trouva étendus sur un lit, couchés l'un sur le côté droit et l'autre sur le côté gauche et sans aucun vêtement, deux jeunes gens qui paraissaient dormir profondément. Les visages étaient calmes, mais reflétaient un complet hébètement. M. de la Rochefordière constata que l'un des corps était déjà froid, alors que l'autre était chaud ; il ne fut pas long à prononcer son diagnostic : les deux inconnus étaient victimes d'une intoxication due à l'absorption à forte dose d'opium.

Cependant que le médecin prodiguait ses soins d'abord à celui des deux jeunes gens qui paraissait pouvoir encore être sauvé et ensuite à l'Américain qui s'était trouvé mal, M. le commissaire de police, prévenu, arriva pour faire les constatations.

LES VICTIMES

Des papiers recueillis et des indications relevées sur le registre de l'hôtel, il résulte que le mort était un nommé Jacques V..., 23 ans, adjudant au ...me escadron du train des équipages et fils d'un honorable officier supérieur habitant le 5e arrondissement....

Le commissaire enquêteur trouva dans la chambre un petit pot contenant de l'opium ; sur une table un couteau auquel adhéraient des parcelles de la terrible drogue ; enfin, près du lit, au milieu d'innombrables “ mégots ” de cigarettes égyptiennes, une vulgaire pipe en bois dont le fourneau était encore rempli d'opium.

De l'enquête ouverte, il résulte que Jacques V... et Paul B... appartenaient à une bande de jeunes “ noceurs ” français et américains fréquentant assidûment les lieux où l'on s'amuse.

L'idée leur vint de s'essayer à fumer l'opium - probablement dans l'espoir d'y trouver ces “ voluptés ” que le terrible suc donne... comme il procure aussi la mort.

Comment se procurèrent-ils une forte dose d'opium ? C'est ce qu'on ignore encore. Jacques V... en avait-il trouvé dans une cachette qu'aurait pu avoir son père, qui a servi aux colonies ? Le suc de pavot aurait-il été fourni par l'Américain Woynow, ou par quelque Chinois travaillant sur les quais ? Fut-il vendu par quelque commerçant marron ?

La famille de Jacques V... a été prévenue avec tous les P. 20 ménagements nécessaires. Quant aux parents de Paul B... ils sont absents de Nantes.

L'autorité militaire, saisie par la police, a fait enlever les deux cadavres.

(LE TELEGRAMME des Provinces de l'Ouest, mardi 7 janvier 1919.)

AUTOUR D'UN FAIT-DIVERS

Nous avons signalé hier, comme il convenait, le lamentable fait-divers qui a coûté la vie à deux jeunes gens de très honorables familles, empoisonnés par l'opium. Il y aurait bien des commentaires à faire sur ce dramatique événement qui comporte, d'ailleurs, en lui-même, sa leçon. Puisse-t-elle être comprise de ces jeunes écervelés qui, dans la recherche de certaines sensations malsaines, jouent ainsi avec la drogue qui abrutit quand elle ne tue pas.

Les victimes du drame d'hier étaient de braves soldats qui avaient fait leur devoir devant l'ennemi et avaient été blessés ; ils ne devaient pas être des fumeurs invétérés, les circonstances mêmes de leur mort démontrent leur inexpérience.

(L'EXPRESS DE L'OUEST, jeudi 9 janvier 1919.)

P. 21 AILLEURS

ON VOIT

Quelqu'un

au bord de la mer

pour toujours

la ville est cette étoile

à l'infini

à travers les vitres

la terre tourne

l'amitié de l'autre rive

la tête tourne

les prairies du vent

à bras tendus

les arbres en exil

PERSONNE n'a jamais vu le SOIR

PHILIPPE SOUPAULT.

P. 22 DISQUES

A Pao d'Assucar et à Darius Milhaud.

I

Je bois dans cette République Tropicale où Paul Claudel est ministre un verre de rhum

Le nègre au Carnaval n'est pas mon cousin

Je fume une cigarette roulée dans une feuille de maïs

et j'écoute moi toujours pousser la jorêt vierge

Elle pousse je l'entends des végétations d'inextricables silences dans la nuit

la lune abat des millions de palmes sur la glaise rose

et voici que le cri des crapauds creuse l'air

C'EST BEAU LA NATURE DE L'AMERIQUE BRESILIENNE

et je suis heureux d'avoir logiquement supprimé la rime pour toujours.

et de vous ménager à la fin de chaque vers cette déception qui n'est pas sans charme

tais-toi

pour que j'entende au Bec du Perroquet se balancer la liane la plus caline

et l'insinuation des mots touffus et verts

et plus près de moi les scrupules de ce duo de mandolines

au Bar Electric où danse un nègre populaire

P. 23 II

Une vinaigrette assortie au flot de votre robe orange

belle négresse je le suppose relèvera votre dîner

Comme un large soupir végétal le parfum de ce que l'on mange

roule le long de la ruelle poireaux choux ail et rissollées

Toute noire et toute belle

des mâles vous adoreront dans le grave soir culinaire

dont vous présiderez les fastes fidèle

à votre dignité séculaire

Grasse et luisante comme la plus confortable chevelure aux transes des poëtes translucides

tombe de la louche la traînée des légumes - Palmes - et des beaux mélanges liquides

Le Bonheur ouvre sur la Vie tous les yeux ronds du potage

Accourez Peuples plus innombrables que les grains de sable du rivage

l'immense négresse nocturne a trempé sa louche dans la mer

et voici qu'elle verse au monde la Voie Lactée qui dégouline de droite et gauche vers la terre

Pontoise Rio-de-Janeiro 1918 Henri HOPPENOT

P. 24 LIVRES CHOISIS

Paul Valéry : La Soirée avec Monsieur Teste.

Il existe un royaume où tout n'est que limites. On ne s'y promène pas impunément. Cependant Monsieur Teste ne semble point redouter ces parages. Il pénètre en soi-même et ne s'étonne pas de ce qu'il y rencontre : ce chemin lui est connu, connu le point précis où l'on se perd si l'on poursuit plus loin (je ne puis m'empêcher de songer à Ptolémée devant la carte du monde). Ignore-t-il le danger qui le menace ? Dans ces contrées où se forment les belles étoiles, les images poétiques, les idées de grandeur, il faut avoir le pied sûr et ne pas craindre le vertige. Sur une plaque, dans ces sombres lieux, on pourrait écrire les noms des plus hauts génies de l'humanité : c'est ici qu'ils s'abîmèrent, on montre encore aux étrangers la branche qu'ils saisirent vainement à la dernière minute. Mais Edmond Teste tient le système : quelle aisance il apporte à revenir sur ses pas !

Jadis on adorait comme des dieux les hommes qui sortaient vivants des enfers.

Marcel Proust : Pastiches et Mélanges.

Quel dactylographe ! L'auteur fait aussi bien marcher la machine à écrire Balzac que celles de toutes les autres marques qu'il essaye de la Faguet à la Saint-Simon. Le jeu risquait d'être vulgaire, mais à découvrir le mécanisme de tant d'esprits il y a tant d'ingéniosité qu'on s'émerveille P. 25 par la suite quand Marcel Proust pastiche Marcel Proust, de trouver si peu de génie à qui montra de tels talents.

A vrai dire, mon estomac supporte mal les mélanges.

Jean Pellerin : Le Copiste indiscret.

Si on jouait à écrire ? Le pastiche est un passe-temps comme un autre, pour le pédant, le critique, le pion ou le collégien : vous ou moi. Le copiste tire la langue : est-ce application ou espièglerie ? Je sais seulement qu'il vaut mieux que beaucoup de ses modèles.

Louis Delluc : La Danse du Scalp.

Les grands pantins s'ébrouent dans la boîte-à-médecine. Ils sont graves, gloutons, sales, cruels, laids, bêtes et luxurieux. Comment n'auraient-ils pas tout pour nous plaire ? Ces belles machines implacables vont toutes seules, dès qu'elles sont mises en marche. Quand elles rencontrent un obstacle, elles le renversent ou se heurtent sans résultat : Iles ne songeraient pas à le contourner. Vous rappelez-vous le stupide balayeur mécanique quand il arrive contre le mur et continue sa mimique ? Ici, elle entraîne parfois mort d'homme, mais qu'à cela ne tienne ! De temps en temps les jouets méchants s'embrouillent mutuellement les jambes. Le spectateur s'en amuse, il tourne lui-même le remontoir pour de petites expériences. La danse du scalp, joli théâtre de marionnettes ! La règle du jeu se trouve dans toutes les bonnes psychologiés.

Paul Claudel : La Messe là-bas ou plutôt non je préfère parler de L'Ours et la Lune.

Quand le garçon de bureau s'endort, son plumeau tombe et devient un palmier. C'est que dans le sommeil on cesse de mentir. Voyez comme les passions se font jour, roses des profondeurs, comme on quitte avec joie les vieux habits qui collaient à la peau à force d'être portés, le collier de plomb des scapulaires, les lorgnons fumés (c'est-à-dire le respect P. 26 humain). On ne sait comment ni pourquoi les gens sont là, ni ce qu'ils vont bien dire tout à l'heure quand on leur lâchera la bride. Tout cela se passe très loin et les paroles viennent de derrière la tête. Au vol, on ne les reconnaît plus : “ Qui parle ainsi ? Je n'ai pas ouvert la bouche. Ecrire des choses pareilles, vous n'y pensez pas ? Et mes intérêts, ma position sociale, mon confesseur ? ” Il se tait, il n'a plus rien à dire, il est débordé. Maintenant toutes les voix peuvent monter, comment voulez-vous qu'il les arrête ? Il y en a qu'on entendit jadis, vous souvenez-vous :

Et puis chantez matin et soir

La confusion est à son comble, les critères meurent dans tous les coins comme de petits insectes, le contrôle devient impossible : L'OURS ET LA LUNE est une oeuvre DADA.

LOUIS ARAGON.

Henri Bergson : L'Énergie spirituelle.

La poésie est en jeu, la musique est morte, les fleurs nous ne les regardons plus.

La philosophie est belle comme les poussières d'or qui descendent sur un rayon ou comme la mer phosphorescente.

L'assassinat est plus doux encore.

Henri Bergson a réuni en volume quelques conférences, et quelques études parues dans divers recueils, on ne peut que s'en réjouir. Nous admirerons toujours cet étonnant psychologue, mais nous oublierons bientôt le métaphysicien.

Et puis Monsieur Julien Benda va rager, et nous allons rire encore. “ Il est dans l'essence des symboles d'être symboliques ”, disait Jacques Vaché.

PHILIPPE SOUPAULT.

P. 27 LES SPECTACLES

Le Tour du Monde en 80 jours.

La troisième République.

Les palmiers sont faux, la mer est en toile.

Les danseuses volent : on commençait à trembler.

Il y a même des coups de revolver.

Belle tête de brigand !

C'est dans cette salle de spectacle où notre enfance est encore présente que l'on joue une vraie pièce de théâtre. Le maître d'école nous parlait des aurores boréales et nous pensions aux taches d'huile qui flottent sur les fleuves comme des méduses multicolores. Il fera apprendre aux élèves la deuxième scène de l'acte III du Tour du Monde en 80 jours.

P. S.

PALET

Cénacles.

Le docteur, sans daigner me prévenir, des cordes de soie de sa barre avait décoché l'as au milieu du grand portail de l'église cathédrale de Muflefiguière.

ALFRED JARRY.

On se met à plusieurs pour ne pas tomber à plat. Le voisin à l'oeil terne n'est jamais gênant. Le bègue ne fait pas toujours rire, mais il fait nombre. Tous ces Messieurs dansent en rond. De temps en temps, par convenance, on s'arrête et par convenance, on se salue. “ Allez dire partout que nous somme de grands poètes. ” Comme on palabrait sous un arbre, certains se crurent des penseurs, et bien que personne ne fût resté nu, on écrivit sur la porte : ACADEMIE.

LE PASSANT SANS PERRUQUE.

P. 28 MUSIQUE

DARIUS MILHAUD

Milhaud, en 1915, sortait du Conservatoire. Je l'y avais aperçu, au coin d'un couloir, tout rond et souriant, au milieu d'une de ces jeunes bandes ingénues qui fleurissaient alors les classes de M. Widor et de M. Gédalge. Ces messieurs vous happent, vous mâchonnent, vous déchirent bien vite. Férocité de l'oeil de M. Gédalge quand j'avais douze ans et qu'il me proposait en exemple son génie, “ sans littérature ni peinture ”. Pourquoi ne pas avoir suivi les conseils de ce vieux pêcheur à la ligne ? Puis, à trop entendre, dans quelque grande salle froide, autour d'un piano, la pauvre laide voix de M. Widor de chiffrer des cantates de Prix de Rome, quel mal au coeur on se prépare...

Au cours de contrepoint, j'avais choisi mon coin ; sagement, j'enregistrais des formules et me taisais. Milhaud, lui, portait des manuscrits, les jouait à sa façon, qui est brutale et puissante, inaugurant férocement un véritable règne de la terreur et s'imposant avec aplomb à des admirateurs de Théodore Dubois. Le “ maître ”, ahuri, se taisait, ne trouvant plus la force de désapprouver. Cher Milhaud !

Un jour, nous remontâmes ensemble vers Montmartre. J'appris alors qu'il avait mis en musique : Connaissance de l'Est, la Porte Etroite, la Brebis Egarée... Les trois grands hommes d'aujourd'hui, il me confia vite leurs P. 29 noms. Ce sont, je crois m'en souvenir : Ernest Bloch, Charles Koechlin, Albéric Magnard... Pour l'avenir, il paraissait devoir être réservé à consacrer le génie de M. Henri Cliquet, auteur de quatre mélodies.

J'entendis bientôt des oeuvres nouvelles de Milhaud. Car, déjà, il avait ce don que je ne veux pas tarder à dire, cette ahurissante fécondité qui fait que, lorsqu'il n'écrit pas, sans doute il songe à ce que, tout à l'heure, il écrira. C'est la seule personne qui médite un quator, préparant un cocktail, tournant, à la foire de Vaugirard, sur l'une de ces grosses automobiles en bois peint d'où l'on découvrait, à travers un vertige et un mal de tête fou, un ravissant jeu de massacre. Il m'a montré le catalogue, “ à peu près complet ”, de ses oeuvres. J'en suis encore étonné.

Au printemps 1916, Milhaud écrivait ses Poèmes Juifs, sa Sonate pour piano. Déjà était achevée la partition des Choéphores dont “ Pour la Musique ” a fait entendre, cette année, quatre fragments importants et qui l'ont révélé à ce que l'on appelle le “ grand public ”.

Ce sont, ces fragments, des choeurs traités avec une largeur, une rondeur tout à fait nouvelle. Un orchestre tout en métal, en poids, sur lequel les voix se découpent franchement. Rude et riche clameur d'arène.

On m'envoie et je viens de la maison

Portant ces vases en pompe et rythmant

Mon pas de coups rapides.

Il y a là un mouvement, un éclat de grosses pièces neuves remuées au soleil, une oeuvre bien fournie, un paquet de valeurs sur lesquelles il faudra bien jouer. Les trempettes, les trombones des Choéphores, ce comice agricole chez Eschyle, “ vociférations funèbres ”, “ ololokôs ”, ces gros pétards que l'on voudrait voir fuser, à midi, dans quelque cirque, comme ils nous projettent loin

P. 30 des louches orchestres encore bouleversés par l'appel des lourdes sirènes de Wagner.

Pourquoi n'applaudirais-je pas les Choéphores ? Qui aime les “ oeuvres étriquées ”, les “ oeuvres desséchées ” ? Ce n'est pas nous qui découvrirons jamais Jules Renard.

Les Choéphores, on y retrouve la foule, la vie, le soleil, les coups de coude, les gestes excessifs, une odeur lourde de sang, peut-être aussi un peu de cette vulgarité populaire - refrains pesamment scandés des chansons sur les routes - qui chavire si bien le coeur, après tant d'écoeurante “ distinction... ” Si je savais siffler, quel beau répertoire je pourrais me faire avec mes oeuvres préférées ! De Strawinsky à Satie, que d'occasions de me réjouir - et je n'oublierai pas cet air des Choéphores que je vous chante si souvent, mon cher Milhaud.

Peu de gens dans tout ceci retrouveront votre musique. Vous leur avez tendu un piège bien habile. Magnard, Koechlin, Ernest Bloch... ah ! oui, nous le savons, comme vous les admirez ! Et puis, il y a Eschyle, M. Paul Claudel, l'“ Art Grec ”, votre système harmonique si personnel et, dans ces étonnants “ Présages ”, un emploi saisissant et neuf de la batterie. “ L'espace pullule d'étranges lueurs et nommerais-je tout ce qui vole et qui rampe, et ces souffles comme animés par le mal ? ”... Mais de cela tout le monde parlera. Tout le monde a parlé. Et avec quel lyrisme !

Après avoir écrit les Choéphores, Milhaud partant au Brésil, secrétaire de M. le Ministre de France Claudel, devint Jacaremirim. Jacaremirim : le petit crocodile. Le “ petit crocodile ” travaillait toujours. Il est revenu. Le planton de la 20e section que j'ai rencontré à l'Ecole Militaire m'a parlé de ce monsieur dont il faisait le bureau : “ M. Claudel, “ un littéraire... ” Il ajoutait : “ Et son secrétaire, Milhaud ”.

Darius Milhaud, à Rio, composait l'Enfant Prodigue, cantate sur le Traité d'André Gide ; l'Homme et son Désir, importante symphonie qui accompagnera la représentation d'un “ poème plastique ” de Claudel.

Et aussi, sur les poèmes de Mallarmé, une suite de P. 31 Chansons Bas où je retrouve son coup de chapeau, sa canne en corne de zébu, sa démarche, le mouvement de son menton, son accent :

“ L'ennui d'aller en visite

Avec l'ail nous l'éloignons

L'Elégie au pleur hésite

Peu si je fends des oignons ”

Georges AURIC.

P. 32 BIBLIOGRAPHIE

"La Collection de Littérature" est publiée AU SANS PAREIL, 102, RUE DU CHERCHE-MIDI. - PARIS (VIe).

N° 1. - ARTHUR RIMBAUD : Les Mains de Jeanne-Marie ; avec un portrait du poète par J.-L. Forain et une notice.

Un vol. in-8° écu sur vergé d'Arches....   7 fr. 50

N° 2. - ANDRÉ BRETON : Mont de Piété ; avec deux dessins inédits d'André Derain.

Un vol. in-16 jésus sur Hollande van Gelder   12 fr. ”

Paraitront en Septembre 1919 :

BLAISE CENDRARS

DIX-NEUF POEMES ÉLASTIQUES

avec un portrait de l'auteur par Modigliani

Il est tiré de cet ouvrage :

1050 exemplaires in-16 double écu sr vélin d'alfa ....   6 fr. ”

et 50 exemplaires in-8° jésus, avec un second portrait de l'auteur en hors-texte et numérotés à la presse :

10 sur Japon ancien à la forme de 1 à 10..   100 fr. ”

40 sur Hollande van Gelder de 11 à 50....   50 fr. ”

LETTRES DE GUERRE

DE JACQUES VACHÉ

avec un dessin de l'auteur et une introduction par André Breton

Il est tiré de cet ouvrage :

960 exemplaires in-16 jésus sur vélin bouffant ....   3 fr. 50

30 exemplaires sur Hollande van Gelder numérotés ....   25 fr. ”

10 exemplaires sur Japon ancien à la forme numérotés ....   60 fr. ”

Un vol. in-8° sur vergé d'Arches....   7 fr. 50

PHILIPPE SOUPAULT

ROSE DES VENTS

avec quatre dessins de Marc Chagall

Il est tiré de cet ouvrage :

1.000 exempl. in-8° écu sur vélin d'alfa ..   3 fr. 50

40 ex. in-4° écu numérotés à la presse :

10 sur Japon impérial numér. de 1 à 10....   60 fr. ”

25 sur Hollande van Gelder num de 11 à 40   30 fr. ”

DADA

Tristan Tzara, Directeur

Pour tous Renseignements lui écrire :

MOUVEMENT DADA, Zurich-Seehof Schifflânde, 28

KUNDIG

Passage des Lions

GENEVE

DEPOSITAIRE EXCLUSIF POUR LA SUISSE DE LITTÉRATURE

:: LE CRAPOUILLOT ::

Arts, Lettres, Spectacles

paraît deux fois par mois à Paris, illustré par A.-D. de Segonzac, Jean Galtier-Boissière, Valdo Barbey, Luc-Albert Moreau, rédigé par Henri Béraud, Francis Carco, Pierre Mac Orlan, Drieu la Rochelle, et donne l'opinion des jeunes sur le mouvement artistique, littéraire et dramatique.

Collection des trois années de guerre : 20 fr. en plus.)

(Administration : 5, place de la Sorbonne, Paris. - Abonnement : France, 1 an (24 nos) : 15 fr. ; Etranger : 18 fr.

LITTÉRATURE

a publié

les “ POÉSIES ”

d'Isidore DUCASSE (Comte de LAUTRÉAMONT) ;

“ LES MAINS DE JEANNE-MARIE ”

Poème retrouvé d'Arthur RIMBAUD ;

les LETTRES DE GUERRE

de Jacques VACHÉ ;

des poèmes et des proses de :

Guillaume APOLLINAIRE.   Stéphane MALLARMÉ.

Louis ARAGON.   Darius MILHAUD.

Georges AURIC.   Paul MORAND.

André BRETON.   Jean PAULHAN.

Blaise CENDRARS.   Raymond RADIGUET.

Charles CROS.   Pierre REVERDY.

Pierre DRIEU LA ROCHELLE.   Jules ROMAINS.

Paul ELUARD.   Henri ROUSSEAU.

Léon-Paul FARGUE.   André SALMON.

Bernard FAY.   Philippe SOUPAULT.

André GIDE..   Tristan TZARA.

Max JACOB.   Paul VALÉRY.

N° 8

REVUE MENSUELLE

Octobre 1919.

LITTÉRATURE

DIRECTION

9, PLACE DU PANTHÉON, 9

DIRECTEURS :

LOUIS ARAGON - ANDRÉ BRETON PHILIPPE SOUPAULT

RÉDACTION : 9, Place du Panthéon, PARIS.

ADMINISTRATION : AU SANS PAREIL, 102, rue du Cherche-Midi.

ABONNEMENTS

Pour la France Edition ordinaire....   15 fr. par an

Edition de luxe....   60 fr. par an

Prix du numéro : 1 fr. 50

Pour l'étranger Edition ordinaire....   20 fr. par an

Edition de luxe ....   80 fr. par an

Prix du numéro : 2 fr.

SOMMAIRE

Guillaume APOLLINAIRE. ....   Banalités.

André BRETON....   Les Champs Magnétiques (fragment).

et Philippe SOUPAULT....

Tristan TZARA....   Noblesse galvanisée.

Max JACOB....   Plaintes d'un Prisonnier.

Louis ARAGON....   Quelle âme divine, roman.

Paul ELUARD....   Baigneuse du clair au sombre.

Pierre DRIEU LA ROCHELLE...   Cambridge.

ARTHUR RIMBAUD, VU PAR JULES MARY.

Chroniques

LIVRES CHOISIS, par Louis ARAGON.

SPECTACLES, par Philippe SOUPAULT.

REVUES, par André BRETON, Louis ARAGON et Philippe SOUPAULT.

Il a été tiré de ce numéro 15 exemplaires sur papier de Hollande de Van Gelder Zonen numérotés de 1 à 15.

EXEMPLAIRE N°

P. 1 Au moment où ceux qui gardaient devant Apollinaire vivant une attitude narquoise, s'emparent de son oeuvre et font servir sa gloire à leur jeu, nous croyons utile de publier ces poèmes, parus seulement dans la revue italienne Lacerba, dans lesquels nous retrouvons son génie et son visage.

BANALITÉS

VOYAGE A PARIS

Ah la charmante chose

Quitter un pays morose

Pour Paris

Paris joli

Qu'un jour

Dut créer l'Amour

Ah la charmante chose

Quitter un pays morose

Pour Paris

0 50

As-tu pris la pièce de dix sous

Je l'ai prise

P. 2 LE TABAC A PRISER

Tabaquin tabaquin ma tabatière est vide

Mets y pour deux sous de tabac mais du fin

Il fait si beau qu'en leurs bastides

Les messieurs de la ville s'en sont venus dîner

Les olives sont mûres et partout l'on entend

Les chants des oliveuses sous les oliviers

Le ciel est beau il fait tiède et je vais bien

Mais je suis si vieux que je me demande

Si je verrai le temps des lucioles

Tabaquin tiens tes deux sous

C'est du fin Merci bien tabaquin

J'ai du bon tabac

Dans ma tabatière

J'ai du bon tabac

Tu n'en auras pas

1890

l'X

Toutes les femmes de 45 à 50 ans se souviennent d'avoir été amoureuses de Capoul

M. CAPUS

Et de bien d'autres

P. 3 HOTEL

Ma chambre a la forme d'une cage

Le soleil passe son bras par la fenêtre

Mais moi qui veux fumer pour faire des mirages

J'allume au feu du jour ma cigarette

Je ne veux pas travailler je veux fumer

ANVERS

Anvers on bâtit une tour

Ville trompée un prince arrive

Dix fois de toi fera le tour

Toutes tes mains à la dérive

Maigre comme un cou de vautour

Maisons deviennent des lumières

Des corps marchent sans intellect

On dira beaucoup de prières

Pour l'oeil un volatile infect

Naît soudain oeufs tricentenaires

Des noms le mien et celui qui

A la saveur du laurier femme

GUILLAUME APOLLINAIRE.

P. 4 LES CHAMPS MAGNÉTIQUES

(Fragment)

LA GLACE SANS TAIN

Prisonniers des gouttes d'eau, nous ne sommes que des animaux perpétuels. Nous courons dans les villes sans bruits et les affiches enchantées ne nous touchent plus. A quoi bon ces grands enthousiames fragiles, ces sauts de joie desséchés ? Nous ne savons plus rien que les astres morts ; nous regardons les les visages ; et nous soupirons de plaisir. Notre bouche est plus sèche que les plages perdues et nos yeux tournent sans but, sans espoir. Il n'y a plus que ces cafés où nous nous réunissons pour boire ces boissons fraîches, ces alcools délayés et les tables sont plus poisseuses que ces trottoirs où sont tombées nos ombres mortes de la veille.

Quelquefois, le vent nous entoure de ses grandes mains froides et nous attache aux arbres découpés par le soleil. Tous, nous rions, nous chantons, mais personne ne sent plus son coeur battre. La fièvre nous abandonne.

Les gares merveilleuses ne nous abritent plus jamais : les longs couloirs nous effraient. Il faut donc étouffer encore pour vivre ces minutes plates, ces siècles en lambeaux. Nous aimions autrefois les soleils de fin d'année, les plaines étroites où nos regards P. 5 coulaient comme ces fleuves impétueux de notre enfance. Il n'y a plus que des reflets dans ces bois repeuplés d'animaux absurdes, de plantes connues.

Les villes que nous ne voulons plus aimer sont mortes. Regardez autour de vous : il n'y a plus que le ciel, et ces grands terrains vagues que nous finirons bien par détester. Nous touchons du doigt ces étoiles tendres qui peuplaient nos rêves. Là-bas, on nous a dit qu'il y avait des vallées prodigieuses : chevauchées perdues pour toujours dans ce Far-West aussi ennuyeux qu'un musée.

Lorsque les grands oiseaux prennent leur vol pour toujours, ils partent sans un cri et le ciel strié ne résonne plus de leur appel. Ils passent au dessus des lacs, des marais fertiles ; leurs ailes écartent les nuages trop langoureux. Il ne nous est même plus permis de nous asseoir : immédiatement, des rires s'élèvent et il nous faut crier bien haut tous nos péchés.

Un jour dont on ne sait plus la couleur, nous avons découvert des murs tranquilles et plus forts que les monuments. Nous étions là et nos yeux agrandis laissaient échapper des larmes joyeuses. Nous disions : “ Les planètes et les étoiles de première grandeur ne nous sont pas comparables. Quelle est donc cette puissance plus terrible que l'air ? Belles nuits d'août, adorables crépuscules marins, nous nous moquons de vous ! L'eau de Javel et les lignes de nos mains dirigeront le monde. Chimie mentale de nos projets, vous êtes plus forte que ces cris d'agonie et que les voix enrouées des usines ! ” Oui, ce soir-là plus beau que tous les autres, nous pûmes pleurer. Des femmes passaient et nous tendaient la main, nous offrant leur sourire comme un bouquet. La lâcheté des jours P. 6 précédents nous serra le coeur, et nous détournâmes la tête pour ne plus voir les jets d'eaux qui rejoignaient les autres nuits.

Il n'y avait plus que la mort ingrate qui nous respectait.

Chaque chose est à sa place, et personne ne peut plus parler : chaque sens se paralysait et des aveugles étaient plus dignes que nous.

On nous a fait visiter des manufactures de rêves à bon marché et les magasins remplis de drames obscurs. C'était un cinéma magnifique où les rôles étaient tenus par d'anciens amis. Nous les perdions de vue et nous allions les retrouver toujours à cette même place. Ils nous donnaient des friandises pourries et nous leur racontions nos bonheurs ébauchés. Leurs yeux fixés sur nous, ils parlaient : peut on vraiment se souvenir de ces paroles ignobles, de leurs chants endormis ?

Nous leur avons donné notre coeur qui n'était qu'une chanson pâle.

Ce soir, nous sommes deux devant ce fleuve qui déborde de notre désespoir. Nous ne pouvons même plus penser Les paroles s'échappent de nos bouches tordues, et, lorsque nous rions, les passants se retournent, effrayés, et rentrent chez eux précipitamment. On ne sait pas nous mépriser.

Nous pensons aux lueurs des bars, aux bals grotesques dans ces maisons en ruines où nous laissions le jour. Mais rien n'est plus désolant que cette lumière qui coule doucement sur les toits à cinq heures du matin. Les rues s'écartent silencieusement et les boulevards s'animent : un promeneur attardé sourit près de nous. Il n'a pas vu nos yeux pleins de P. 7 vertiges et il passe doucement. Ce sont les bruits des voitures de laitiers qui font s'envoler notre torpeur et les oiseaux montent au ciel chercher une divine nourriture.

Aujourd'hui encore (mais quand donc finira cette vie limitée) nous irons retrouver les amis, et nous boirons les mêmes vins. On nous verra encore aux terrasses des cafés.

Il est loin, celui qui sait nous rendre cette gaîté bondissante. Il laisse s'écouler les jours poudreux et il n'écoute plus ce que nous disons. “ Est ce que vous avez oublié nos voix enveloppées d'affections et nos gestes merveilleux ? Les animaux des pays libres et des mers délaissées ne vous tourmentent-ils plus ? Je vois encore ces luttes et ces outrages rouges qui nous étranglaient. Mon cher ami, pourquoi ne voulez-vous plus rien dire de vos souvenirs étanches ? ” L'air dont hier encore nous gonflions nos poumons devient irrespirable. Il n'y a plus qu'à regarder droit devant soi, ou à fermer les yeux : si nous tournions la tête, le vertige ramperait jusqu'à nous.

Itinéraires interrompus et tous les voyages terminés, est-ce que vraiment nous pouvons les avouer ? Les paysages abondants nous ont laissé un goût amer sur les lèvres. Notre prison est construite en livres aimés, mais nous ne pouvons plus nous évader, à cause de toutes ces odeurs passionnées qui nous endorment.

Nos habitudes, maîtresses délirantes, nous appellent : ce sont des hennissements saccadés, des silences plus lourds encore. Ce sont ces affiches qui nous insultent, nous les avons tant aimées. Couleur des jours, nuits perpétuelles, est-ce que vous aussi, vous allez nous abandonner ?

P. 8 L'immense sourire de toute la terre ne nous a pas suffi : il nous faut de plus grands déserts, ces villes sans faubourgs et ces mers mortes.

Nous touchons à la fin du carême. Notre squelette transparaît comme un arbre à travers les aurores successives de la chair où les désirs d'enfant dorment à poings fermés. La faiblesse est extrême. Hier encore. nous glissions sur des écorces merveilleuses en passant devant les merceries. Ce doit être à présent ce qu'il est convenu d'appeler l'âge d'homme : en regardant de côté, n'a-t-on pas vue sur une place triste éclairée avant qu'il fasse nuit ? Les rendez vous d'adieu qui s'y donnent traquent pour la dernière fois les animaux dont le coeur est percé d'une flèche.

Suspendues à nos bouches, les jolies expressions trouvées dans les lettres n'ont visiblement rien à craindre des diabolos de nos coeurs, qui nous reviennent de si haut que leurs coups sont incomptables.

C'est à la lueur d'un fil de platine que l'on traverse cette gorge bleuâtre au fond de laquelle séjournent des cadavres d'arbres rompus et d'où monte l'odeur de créosote qu'on dit bonne pour la santé.

Ceux qui ne se veulent pas même aventuriers vivent aussi au grand air ; ils ne se laissent pas empor ter par leurs imaginations fiévreuses et, du train où ils vont, tout bas : rien ne s'oppose à ce qu'ils tirent du mâchefer les verroteries qui apprivoisent certaines peuplades. Ils prennent lentement conscience de leur force qui est de savoir rester immobiles au milieu des hommes qui ôtent leur chapeau et des femmes qui vous sourient à travers un papillon du genre sphynx. Ils enveloppent de papier d'argent leurs paroles glaciales, disant : “ Que les grands oiseaux nous jettent la pierre, ils ne couveront rien dans nos profondeurs ” et ne changeraient pas de place avec P. 9 les gravures de modes. Je ris, tu ris, il rit, nous rions aux larmes en élevant le ver que les ouvriers veulent tuer. On a le calembour aux lèvres et des chansons étroites.

Un jour, on verra deux grandes ailes obscurcir le ciel et il suffira de se laisser étouffer dans l'odeur musquée de partout. Comme nous en avons assez de ce son de cloches et de faire peur à nous-mêmes ! Etoiles véritables de nos yeux, quel est votre temps de révolution autour de la tête ? Vous ne vous laissez plus glisser dans les cirques et voilà donc que le soleil froisse avec dédain les neiges éternelles ! Les deux ou trois invités retirent leur cache-col. Quand les liqueurs pailletées ne leur feront plus une assez belle nuit dans la gorge, ils allumeront le réchaud à gaz. Ne nous parlez pas de consentement universel ; l'heure n'est plus aux raisonnements d'eau de Botot et nous avons fini par voiler notre roue dentée qui calculait si bien. Nous regrettons à peine de ne pouvoir assister à la réouverture du magasin céleste dont les vitres sont passées de si bonne heure au blanc d'Espagne.

Ce qui nous sépare de la vie est bien autre chose que cette petite flamme courant sur l'amiante comme une plante sablonneuse. Nous ne pensons pas non plus à la chanson envolée des feuilles d'or d'électroscope qu'on trouve dans certains chapeaux haut de forme, bien que nous portions en société un de ceux-là.

La fenêtre creusée dans notre chair s'ouvre sur notre coeur. On y voit un immense lac où viennent se poser à midi des libellules mordorées et odorantes comme des pivoines. Vous voyez ce grand arbre où les animaux vont se regarder : il y a des siècles que nous lui versons à boire. Son gosier est plus sec

P. 10 que la paille et la cendre y a des dépôts immenses. On rit aussi, mais il ne faut pas regarder longtemps sans longue vue. Tout le monde peut y passer dans ce couloir sanglant où sont accrochés nos péchés, tableaux délicieux, où le gris domine cependant.

Il n'y a plus qu'à ouvrir nos mains et notre poitrine pour être nus comme cette journée ensoleillée. “ Tu sais que ce soir il y a un crime vert à commettre. Comme tu ne sais rien, mon pauvre ami. Ouvre cette porte toute grande, et dis-toi qu'il fait complètement nuit, que le jour est mort pour la dernière fois. ”

L'histoire rentre dans le manuel argenté avec des piqûres et les plus brillants acteurs préparent leur entrée. Ce sont des plantes de toute beauté plutôt mâles que femelles et souvent les deux à la fois. Elles ont tendance à s'enrouler bien des fois avant de s'éteindre fougères. Les plus charmantes se donnent la peine de nous calmer avec des mains de sucre et le printemps arrive. Nous n'espérons pas les retirer des couches souterraines avec les différentes espèces de poissons. Ce plat ferait bon effet sur toutes les tables. C'est dommage que nous n'ayons plus faim.

André BRETON et Philippe SOUPAULT.

P. 11 NOBLESSE GALVANISÉE

pour A. Br.

je me stérilise masque lent citron cloche

vautour se couche dans l'air noir et frisé

si je brise le vase fauche les oiseaux d'extase fixe

parmi les fruits la vitesse joue exerce l'incandescence du trident

la chaleur sort s'endort la guirlande de clous

sors petite automobile

asphalte fécondé lourdement

par écriture d'algues et de veines de vampyre

et la flèche attire la pluie

ou la guirlande de clowns en été et en tête

monstre de mer aux décorations de fer d'autruche

scies de paquebot chatouillent les os de porcelaine

scènes d'ensemble de toutes les sensations en fête

en éventail de verre pour les douceurs exprimables

TRISTAN TZARA.

P. 12 PLAINTES D'UN PRISONNIER

Perchez les prisons sur les collines

nous aurons la respiration saline

ça nous consolera de la discipline

Barbe-Bleue est ici depuis une huitaine

avec ses beaux-frères, avec Croquemitaine

“ Anne, ma soeur, ne vois-tu rien venir ”

regarde la mer bleue, regarde l'avenir !

- Je ne vois que l'aumônier et le médecin

Ils arrivent dans le bois de pins et leur aspect

me rend perplexe et circonspect

Faut-il me donner la fièvre jaune

en me frottant le nez avec la paume

ou une fluxion de poitrine

en buvant mon urine

P. 13 La fille du geôlier et le récidiviste

des résultats du steeple ont consulté la liste

Comme près des colonnes il y avait du vent

ils ne lurent pas plus avant

et la belle a fait un enfant.

Un entomologiste qui est sous les verroux

étudie à son gré la punaise et le poux ;

Nous avons un préfet un notaire un abbé.

Les malheureux, ça n'est pas bête,

ont fait de la cloison un piano alphabet

Ils se disent tout ce qui passe par la tête.

- moi, je n'ai jamais pu l'apprendre -

d'hommes à femmes des choses tendres.

Prisons, volière des doigts muets

La muse est un oiseau qui passe

par les barreaux de ma prison

j'ai vu son sourire et sa grâce

mais n'ai pu suivre son sillon

Adieu, muse, va dire aux hommes

ce soir de fête en la cité

que dans les prisons où nous sommes

on meurt de les avoir aimés

MAX JACOB.

P. 14 QUELLE AME DIVINE

(ROMAN)

Première partie

I

AU 3e DU 2 RUE DE MONTORGUEIL

“ Venez vite ! Victor ! Marie ! Alfred ! René ! ” criait Robert de Noissent. “ Qu'est-ce qu'il y a ? dit Victor. - Il y a que nous partons de la rue de Montorgueil, dit Robert. - Pour où ? dit Marie. - Pour où ? oui, pour où ? dit René. - Pour le 3 de la rue Pierre-le-Grand à Saint-Pétersbourg, dit René. - Ah, dit Alfred. - En effet, dit Monsieur de Noissent. - Oui, dit Madame de Noissent. ”

II

EN ROUTE

“ Victor ! Voici un wagon ! Venez vite ! Marie ! Alfred ! Robert ! René ! ”, criaient Monsieur et Madame de Noissent, et tous les de Noissent sont en un clin d'oeil dans le wagon. Un vieux Monsieur était déjà dans le wagon. En route.

III

LA NUIT

A 10 heures du soir, une jeune femme vint voir le vieux monsieur. “ Eh bien, qu'est-ce que fait Jean ? dit-il. - Il dort, dit la jeune femme ”. Et elle s'en alla. Cinq minutes après, Jean lisait ; cinq minutes après, Jean dormait ; cinq minutes après, Jean parlait ; cinq minutes après, Madeleine parlait avec Jean. Impossible de dormir, Marie gigotait, Robert vit le matin avec joie. “ Voilà Berlin, dit Victor. ” Le vieux Monsieur partit. “ Ah enfin, fit Alfred. ”

P. 15 IV

LE CAPITAINE SAND

Un jeune homme monta dans le wagon. “ Bonjour, Madame ? dit-il. - De Noissent, dit-elle. - Capitaine Sand, dit le jeune homme. - L'on ne perd pas au change, se dit Alfred. ” Puis Monsieur de Noissent dit : “ Capitaine, je suis heureux de vous avoir rencontré. - Et moi aussi ”, dit le capitaine Sand. Et le capitaine Sand chantonnait : “ Quelle âme divine ! Quelle âme, mon Dieu ! ” Et voilà la chanson du capitaine. Le capitaine aimait chantonner.

V

ENCORE LA NUIT

La deuxième nuit fut plus tranquille ; mais il y eut quand même quelque chose, car le capitaine fit un peu de tapage avec ses bottes. Mais ce fut tout. Victor, Marie, Alfred, Robert et René purent dormir.

VI

3, RUE PIERRE-LE-GRAND, A SAINT-PÉTERSBOURG

“ Voici Saint-Pétersbourg, dit Marie. ” Une heure après, on était 3, rue Pierre-le-Grand. “ Oh, fit Marie en entrant dans sa chambre, la jolie petite chambre ! ”

Deux heures après, on allait se promener. On alla voir le Palais.

VII

DEVANT LE PALAIS

“ Que c'est joli ! dit Victor - Oui, fit Marie. ”

Robert dit : “ Voilà la cathédrale. ” En effet, c'était l'Eglise.

VIII

LE POPE

C'était le 1er février 1885. Une procession devait avoir lieu le jour même. Un pope sortit de l'église, il était vieux. Sa robe blanche lui arrivait au-dessus des pieds. Son rabat était noir, sa toque était noire, et sa bannière avait une vierge, et ses cheveux étaient blancs.

P. 16 IX

PRINCE SERGE YORPANOFF

A la maison, la bonne dit : “ Un jeune homme est venu. - Qui ? dit Madame de Noissent. - Un prince, fit la bonne. - Lequel ? fit Monsieur de Noissent. - Le prince Serge Yorpanoff, fit la bonne. - Ah, fit Marie... ”

FIN DE LA PREMIERE PARTIE

Seconde partie

I

EXILÉ EN SIBÉRIE

Deux jours après, une lettre arrivait : Madame de Noissent, 3, rue Pierre-le-Grand, Saint-Pétersbourg : “ Chère Madame, je suis exilé en Sibérie. Serge Yorpanoff. ”

“ Le pauvre, fit Marie ”.

II

EN ROUTE POUR LA SIBÉRIE

Deux jours après, l'on partit en Sibérie. “ Voilà Moscou, fit Marie. - C'est Irkoutsk, dit Monsieur de Noissent, il faut descendre. - Ah, fit Victor. ” On descendit.

III

EN ROUTE POUR STRIÉTENSKY

On prit la diligence pour Striétensky. On partit. Et en route pour Striétensky.

IV

IL Y A QUELQU'UN DERRIERE CE BUISSON

“ Oh ! fit Marie, à voix basse, j'ai vu bouger. Il y a quelqu'un qui est là derrière ce buisson. - Peut-être un exilé, fit Victor à voix basse. ” Tout d'un coup Marie s'écria : “ Bonjour ! capitaine Sand ! ”

V

TRAHIS !

Chut ! fit-il à voix basse, vous êtes trahis. - Pourquoi ? fit Monsieur de Noissent à voix basse. - Parce qu'on a découvert P. 17 que vous alliez voir le Prince. Et c'est à cent milles d'ici, l'Etablissement. Sauvons-nous, fit le capitaine. - Oui, fit Marie. ” Et tout le monde se sauva.

VI

HISTOIRE DU CAPITAINE

Quand on fut dans un fourré, le capitaine raconta comment il les avait rejoints. “ Ayant appris que le beau-frère de ma cousine, Prince Yorpanoff, avait été exilé, je me promis d'aller le voir. J'allai chez vous, et la bonne me dit : Ils sont partis pour faire une affaire avec le prince Yorpanoff, exilé en Sibérie ; je les ai dénoncés ”. Je compris et je partis pour la Sibérie. Cinq minutes après, je sautai dans le compartiment à côté du vôtre. A Irkoutsk, je me fis enseigner le chemin de Striétensky. A Striétensky, je pris le chemin de Smolensk, à Smolensk je pris le chemin de la caserne où on vous mène. Bientôt, de buisson en buisson, je rejoignis votre voiture ; m'étant assuré que c'était bien vous, je me montrai, et voilà mon histoire !... ”

VII

LE PASSAGE DE L'IRTICHE

Tout en parlant, on traversa Para ; bientôt on arriva au bord de l'Irtiche. L'Irtiche ce jour-là, à sec il était complètement. Marie mit le pied sur l'Irtiche et s'enfonça jusqu'aux genoux. Bientôt on eut traversé l'Irtiche sans d'autre incident.

VIII

LE ZAVODIEN

Bientôt on arrivait à cent verstes des mines de l'établissement de Zavod, quand un homme apparut : il était jeune. Le capitaine se jeta dans ses bras et dit : “ Serge, mon ami, Serge. - Mes amis, mes chers amis, partons, dit le Prince Yorpanoff. - Oui, fit Marie. ”

IX

ENCORE LE 3 DE LA RUE PIERRE-LE-GRAND

Trois jours après, les de Noissent, le capitaine et le prince étaient arrivés au 3 de la rue Pierre-le Grand, à Pétersbourg. P. 18 Ils avaient renvoyé la bonne et fait leurs paquets, acheté une berline, pris un izvochtchik et un feltyègre. Et ils partirent pour la France.

X

ON PASSE LA FRONTIERE

Bientôt on arriva à la frontière. “ Passe-port, s'il vous plaît ! ” cria le douanier. “ Voilà ! ”, dit Monsieur de Noissent en tendant les passeports. On les visa et on passa la frontière.

XI

LE REFRAIN ÉTERNEL DU CAPITAINE RECOMMENCE

Cinq minutes après, la chanson du capitaine reprenait de plus belle :

Quelle âme divine ! Quelle âme, mon Dieu !

et coetera, etc., etc.

XII

TOUT LE MONDE EST HEUREUX

Bientôt l'on fut arrivé rue de Montorgueil.

Et tout le monde est heureux.

FIN

(1903-1904.)

LOUIS ARAGON.

P. 19 BAIGNEUSE DU CLAIR AU SOMBRE

L'après-midi du même jour. Légère, tu bouges et, légers, le sable et la mer bougent.

Nous admirons l'ordre des choses, l'ordre des pierres, l'ordre des clartés, l'ordre des heures. Mais cette ombre qui disparaît et cet élément douloureux, qui disparaît.

Le soir, la noblesse est partie de ce ciel.

Ici, tout se blottit dans un feu qui s'éteint.

Le soir. La mer n'a plus de lumières et, comme aux temps anciens, tu vourrais dormir dans la mer.

PAUL ELUARD.

P. 20 CAMBRIDGE

Que ce soit la nuit que ce soit le jour.

Que ce soit le soleil ou la lune.

Tout est plein.

Le plein soleil se déverse dans la pleine lune.

Un seul astre remplit le ciel.

Le liquide tout-puissant séjourne au fond de la tasse.

Maintenant c'est un alcool qui resplendit dans l'homme.

Maintenant c'est un mercure qui s'insinue dans les veines et veille froidement au coeur.

Mais tout le temps mon corps est plein.

De minuit à midi mon corps

De midi à minuit mon corps

Je suis plein de mon sang

De ce verjus la chaleur distille un peu d'âme.

P. 21 Je passe de la blancheur des draps étirée par le rêve dans les eaux longues sous la flanelle et le canoe.

Je mange des concombres.

Je lappe quelque peu d'une bière lente persuasion.

Je fume des herbes blondes.

Je lis les grands poètes avec une indulgence si profonde qu'un compromis affectueux intervient.

Les idées passent d'heure en heure.

Le monde végète copieusement dans ma tête.

Herbes grasses et traînantes de la Cam.

O latente responsabilité de la presse mondiale

Sur l'eau glissent des jeunes femmes fraîches comme leur linge.

Le désir repose au fond de la barque parmi les gaffes.

Une suffisante camaraderie règne entre ces rives.

Sommeillent aussi la préhistoire et la guerre.

Je suis sans ambition et oublie mes amis.

Je me baigne.

Puis un rayon hume ma peau goutte à goutte.

Je mûris.

Mes cheveux tombent.

C'est le dernier été où j'arbore mon enfance.

PIERRE DRIEU LA ROCHELLE.

P. 22 ARTHUR RIMBAUD VU PAR JULES MARY

Nous avons demandé au grand romancier populaire Jules Mary d'évoquer pour nos lecteurs la figure d'Arthur Rimbaud. Il a bien voulu nous adresser la lettre suivante :

4 août

Monsieur,

J'avais commencé d'écrire quelques notes de souvenirs sur Arthur Rimbaud, car je n'avais pas oublié la promesse que je vous ai faite, mais au fur et à mesure que j'avançais dans mon travail et que je remontais cette époque de ma jeunesse, je me suis aperçu que je ne pouvais parler de Rimbaud enfant et jeune homme sans que ma personnalité intervînt à tout propos. Outre que cela ne me plait guère, ce n'était ni votre désir ni le mien. J'ai donc jeté ces premières feuilles au panier.

Du reste, je n'apporte pas une bien large contribution aux biographies de mon ancien condisciple. Je crois vous l'avoir fait pressentir. En outre, il est plus difficile que je ne l'aurais cru de faire renaître des impressions d'enfance, naïves et primesautières, sur ce gentil gamin qu'était Rimbaud dont je vois, encore très clairement, les yeux bruns, P. 23 doux et malicieux. Plus difficile que je ne l'aurais cru de se dégager, pour parler de lui, des théories, des opinions fausses ou exagérées, des admirations ou des dénigrements qui ont roulé sur sa tombe et dont, s'il avait pu les entendre, son sourire narquois se fut fort amusé. Personne ne fut moins pontife que cet aimable et insouciant garçon et je pense de lui que si l'on tenta plus tard, dans les cénacles sacrés, de le griser de sa célébrité naissante, il n'y perdit pas sa raison. L'éclair de moquerie que j'ai connu dans ses yeux était trop indicateur d'un bon sens caché pour qu'il se laissât prendre aux énormes flatteries qui firent de la fantaisie échevelée de son esprit un symbole. Et j'ai gardé de mon petit camarade un souvenir charmant et mélancolique.

J'étais au séminaire de Charleville dont les classes étaient communes avec celles du collège, lorsque je fis la connaissance de Rimbaud. Tout de suite nous fûmes très liés, malgré notre rivalité de forts en thème. Nous avions le même goût excessif de lecture. Et ce goût, comme il est juste, nous faisait rechercher de préférence les livres qui n'avaient rien de classique. Pendant qu'à l'étude ou au dortoir j'écrivais au crayon mes premiers romans, il écrivait ses premiers vers. Il était externe et m'apportait de chez lui Lamartine, Musset, Hugo, sans compter Daphnis et Chloë, et la traduction des Comédies d'Aristophane où nous traduisions, à notre tour, non sans trouble, les commentaires latins qui accompagnent le texte français. J'eus ainsi bientôt une bibliothèque trop complète que l'on ne manqua pas de découvrir. Et je dus choisir entre une vocation religieuse à laquelle je n'avais jamais pensé et l'autre vocation impérieuse qui déjà fermentait et en dehors de laquelle je n'ai jamais compris que rien pût exister de possible pour moi.

Au collège, par une cristallisation dont, même à cette distance, je ne puis bien déterminer les causes, ce frêle garçon, au large regard, nous étonnait et passait, pour ainsi dire, au-dessus de nous. Sa réputation se faisait P. 24 hors de notre classe et, du dehors, y rejaillissait. Je suis surpris qu'aucune pièce de vers n'ait couru parmi nous sous le manteau, que nous aurions apprise par coeur et cependant nous savions qu'il était poète.

Bon élève, avec docilité et sans grand travail, très doux, sans éclats de gaieté, s'il prenait plaisir, du coin de l'oeil, aux mauvais tours qu'il est de tradition d'inventer contre les professeurs, ces méchancetés ne venaient pas de lui. Il n'aimait ni les jeux bruyants ni la violence de certains plaisirs. Déjà sa vie tenait tout entière dans l'horizon de ses lectures, dans sa fièvre d'apprendre et son besoin de composer. Plus jeune que nous de trois ou quatre ans, il était beaucoup plus âgé.

Pour cause de livres défendus, je dus quitter le séminaire et je ne ne retrouvai Rimbaud qu'après la guerre, à Paris. J'y étais très misérable. Il l'était autant que moi. A deux nous n'avions pas toujours à mettre une chemise propre et Rimbaud avait adopté l'ingénieux système qui consiste à ne posséder qu'une chemise. On la jette quand elle n'est plus portable, après en avoir acheté ou emprunté une autre qui la remplace. Ainsi nous économisions le blanchissage. Ce système il me l'expliqua certain jour où j'étais allé le surprendre de bon matin. Il demeurait alors dans une vaste chambre dont les deux uniques meubles étaient une table et un lit perdu au fond d'une alcôve de ténèbres. C'était, je crois, rue des Grands-Degrés, peut-être rue Saint-Séverin où j'habitais moi-même. Il était au lit et comptait y passer la journée, n'ayant rien de mieux à faire, étant de ces gens qui, ne pouvant pas manger, essayent de dormir. On disait, en ce temps-là, des pauvres diables de débutants, qu'ils menaient une joyeuse vie de Bohème. Mais si la vie de Bohème est de la vie gaie, la vraie, la nôtre, était lugubre.

J'avais, malgré mon dénûment, des habitudes régulières qui s'étonnèrent un peu, car autour de moi je ne voyais rien qui rappelât quelque travail et déjà le nom de Rimbaud courait sur toutes les lèvres parmi les étudiants du P. 25 quartier latin. Je ne pouvais pas m'imaginer cette renommée naissante sans le prodigieux élan d'un effort continu et je lui demandai naïvement :

- C'est ici que tu travailles ?

- Mais oui.

- Avec quoi ?

Il me répondit avec un demi-sourire, l'ironie aux yeux - cette ironie douce qui lui était si familière :

- Regarde... là-bas... sur la table...

Sur la table, ni plume, ni papier, mais un encrier de plomb empli d'une boue verdâtre et desséchée. Rimbaud riait sous ses draps.

Je ne sais comment mon porte-monnaie contenait ce matin-là une vingtaine de sous. Je l'emmenai déjeuner dans un restaurant tout proche où l'on “ avait droit ” pour cinquante centimes, à une soupe grasse, une portion de bouilli et un morceau de pain. Nous n'en mangions pas autant tous les jours. Il me rendit du reste cette fastueuse invitation quelque temps après en m'offrant, quai Saint-Michel, à l'éventaire d'un marchand de quatre-saisons, une botte de cresson qui composa notre diner, ce soir-là.

Et l'on se redisait ses poèmes...

On lui en prêtait même qui n'étaient pas de lui dans lesquel on le pastichait, déjà...

J'entendais :

Un soir plein de rose et de bleu mystique

Nous allions dans un lupanar antique

Le troisième vers, même en latin, braverait d'honnêteté, et je ne sais trop s'il y en eut un quatrième...

Sa vie m'échappait. Au vrai, je ne tenais pas à la connaître. J'obéissais à un sentiment bizarre que j'ai analysé depuis et qui était fait de compassion et de crainte. Sans éprouver une amitié véritable, qui n'eut pas le temps de se développer, j'avais pour lui un vif penchant et si sa vie me restait étrangère, du moins je n'ignorais pas certaines de ses habitudes contre lesquelles se révoltait ou plutôt P. 26 auxquelles répugnait mon caractère de jeune paysan déraciné, têtu, orgueilleux et solitaire. Rimbaud fréquentait alors assidûment, par snobisme - le mot n'était pas inventé - bien plus que par une attirance vicieuse un caboulot de la rue Saint-Jacques drôlement appelé : L'Académie d'absinthe. La verte y coûtait trois sous et ce prix modique amenait une clientèle nombreuse des types les plus variés. Pour trois sous, et s'il “ renouvelait ” pour dix ou neuf sous, le pauvre gosse prenait là des apéritifs qui, par dérision, demeuraient ses repas et qui, en plus, lui versaient l'oubli et la surexcitation. Je le rencontrai plusieurs fois comme il en sortait. Dans son large regard tremblait un peu de gêne et d'hésitation, mais toujours y luisait cette douce moquerie qui pouvait faire penser qu'il ne prenait guère au sérieux, ni lui-même, en ces heures de trouble, ni les autres ..

Puis, j'appris qu'il venait de partir pour la Belgique, ensuite qu'il était en Angleterre. Il courait à ses aventures. Je demeurai dans ma misère. Et je ne l'ai plus jamais revu.

Bien des années après, il écrivait à Paul Bourde, du Temps, une lettre affectueuse où il lui demandait de mes nouvelles. Il s'intéressait à mes travaux et à ma réputation. Cette lettre a été perdue après la mort de Bourde. Je le regrette. Rimbaud y donnait des détails sur son genre de vie. Il dirigeait alors un comptoir en Afrique aux confins du désert et faisait du commerce avec les caravanes. La poésie était loin ! Il n'en parlait pas. Se souvenait-il même qu'il avait été poète ? Je crois bien qu'il n'en avait cure !

Tel est, Monsieur, le simple et bien léger récit qui résume mes relations avec Rimbaud. Faites-en ce que vous voulez.

Un mot, avant de terminer.

Quel que soit le sort de ces pages, je tiens à vous remercier de me les avoir demandées et voici pourquoi :

Je me souviens d'un article écrit sur Arthur Rimbaud P. 27 par un certain Rodolphe Darzens, le même, sans doute, qui après un long sommeil dans la poussière de l'oubli, vient de se réveiller directeur d'un théâtre d'avant-garde, aux Batignolles, à mi-chemin de Montmartre “ mamelle du monde ”. Mon nom avait glissé dans la plume de mon flamboyant confrère et en l'y laissant tomber comme une ordure, il l'avait accompagné du commentaire suivant : “ Nous nous excusons devant les mânes de Rimbaud, d'accoler un pareil nom à sa mémoire... ” Je n'ai pas été surpris, Monsieur, d'apprendre que vous n'avez point pareille étroitesse de jugement et je vous sais gré de m'avoir déclaré “ que votre liberté d'esprit était assez grande pour vous permettre d'admirer à la fois l'oeuvre de Rimbaud et la mienne de sens pourtant si opposés. ”

Ce qui fut dit de moi jadis par Darzens était une grossièreté et une sottise. Votre courtoisie, spontanée, jeune et charmante, me les fait oublier.

Déchirez donc tout cela, Monsieur, ou publiez - je vous laisse juge.

Et recevez mes cordiaux compliments.

JULES MARY.

P. 28 LIVRES CHOISIS

André Breton - Mont de Piété.

Le développement de l'individu reproduit celui de l'espèce. Les gens regardent ces métamorphoses sans les comprendre et baptisent contradictions les fruits d'une logique supérieure. Quand il eut écrit des poèmes plus séduisants que les plumes des oiseaux mâles, André Breton se mit résolûment à prendre l'observation de l'esprit humain. Cette action sacrilège lui valut de déplaire à ceux-là même qui avaient applaudi à ses premières expériences. Nul ne fit jamais si bon marché du succès : il abandonna aux chercheurs d'or les filons qu'il mettait négligemment au jour et devint prospecteur de radium. Quelqu'un de ses aînés bénéficiera plus tard de ses découvertes. Il sourit à cette idée et laisse aux autres le soin de faire figure dans l'histoire. Il sait qu'on reconnaîtra toujours son sillage comme un paraphe au milieu des contemporains.

Avez-vous lu un livre merveilleux qui s'appelle Le Phare du Bout du Monde ?

Oscar Wilde - La maison de la courtisane.

André Gide possède un talisman qui me fait aimer Oscar Wilde. Mais quand je me trouve seul en face de cet Anglais trop bien habillé, qui me regarde à travers son monocle, j'ai envie de casser les vitres et de crier : Va donc, eh outil !

P. 29 Jacques Vaché - Lettres de guerre.

Il est sans exemple qu'un jeune homme ait douté de soi-même au point de se précipiter dans le braconnage sentimental des fins de saison. Les villes d'eau ne touchent que médiocrement les amateurs. On imaginerait plutôt de la part d'un garçon de vingt-quatre ans des écarts de conduite sur le turf ou dans le domaine virtuel de la pensée. Cependant mon héros avait arboré ce jour-là la fleur de l'arrière-pensée ; il sifflotait d'un air niais en arpentant les boulevards mûrs à point (une chaleur accablante) et ne trouvait que des sophismes à offrir aux passants. Le bonisseur du cinéma avait beau l'inciter à des grottes plus fraîches, le fils du colonel passait la tête haute sur le pavé plus régulier que le rythme de son coeur. Quel émoi transportait son esprit sans qu'on s'en aperçût ? Rien ne pouvait le faire prévoir. C'est ainsi que l'idée du suicide prévalut. Jacques Vaché trouva la mort dans un moment de réflexion.

André Salmon - La jeune sculpture française.

Les yeux des statues demeurent lettre morte pour les enfants qui ne peuvent pas comprendre cette grande douceur minérale, ni la caresse des formes humaines. C'est dans un hôtel de la rue des Martyrs, jalousies baissées, que le jeune homme apprit de source autorisée le sens de la vie et le charme de la sculpture. On n'avait pas convié les génies pour la circonstance. Le plus grand sculpteur des temps modernes sortit de l'aventure dans un dénûment complet.

Qu'André Salmon prenne garde : on brûle encore les prophètes.

Blaise Cendrars - Dix-neuf poèmes élastiques.

Voici des années mortes. On vit au jour le jour. De temps à autre, on tourne la page et ce qu'on lit au verso n'est pas pour effrayer. A force de monter les escaliers et de les descendre, je me suis fait une philosophie. Quelques pays, quelques amis : tout passe, et parfois il y a des colères bleues, des injures, des gifles, un peu de sang sur les doigts. Mais ce qui revient toujours, c'est le décor de Paris que traversent la Seine et le métropolitain comme deux poignards tatoués.

P. 30 Philippe Soupault - Rose des Vents.

Il cultivait dans des verres d'eau ces oignons cendrés dont naissent les belles jonquilles. Un jour la fleur qui s'ouvrit fut, comme une flèche indicatrice, un revolver braqué. Après la bifurcation il y eut des nuages très bas comme des hirondelles annonciatrices de la pluie. Tout naturellement Philippe Soupault désira la République de l'Equateur que les affiches des compagnies de navigation font reluire comme un sou neuf aux yeux du passant, lecteur assidu des horaires et des enseignes. Pour se retrouver lui-même, il lui suffisait de revenir s'accouder aux marbres des cafés dont on suit d'un oeil idiot les veines jolîment entrelacées. Là, les mots entendus prennent des inflexions subites et on lit par désoeuvrement les inscriptions de porcelaine des vitres qui tournent le dos De nouveau, voici le grand air : les maisons de rapport sont mortes, il ne reste que quelques arbres le pied pris dans une grille. Le vent hausse les épaules et arrache le feutre noir aux ailes plates de la tête de son propriétaire. Mon ami, jusqu'où vous mènera cette chauve-souris ? Je vois devant vous des plateaux calcaires : ils s'élèvent à perte de vue au-dessus de l'horizon qui court en regardant derrière soi.

LOUIS ARAGON.

P. 31 LES SPECTACLES

“ Tout va bien ”

La nuit tombe sur les places. Ce soir les murs nous font peur et nous regardons les yeux des passants. Nous descendons et les premières lumières naissent avant les étoiles.

- “ Où allons-nous ? ”

La tête vide, nous marchons. On peut tourner à droite ou à gauche, les mêmes femmes attendent. Nous connaissons déjà les yeux féroces des plus âgées ou le sourire terne des petites.

- “ Où allons-nous ce soir ? ”

Il y a ce merveilleux café et cette lumière jaune ; c'est un couloir de bruits. Les liqueurs tremblent. Les gestes lancent des rires.

Est-ce que nous savons où nous irons plus tard. Il fait si clair. Maintenant on ne parle plus. Combien de temps sommes-nous restés devant cette table ? C'est toujours la même nuit, et la même heure.

PHILIPPE SOUPAULT

P. 32 REVUES

La Nouvelle Revue Française.

Le numéro 72 (nouvelle série) contient :

1° Des considérations d'André Gide, qui n'ajoutent rien à notre admiration pour cet auteur ;

2° Un poème de M. Georges Simon, qui nous fait regretter les alexandrins de M. François Alibert ;

3° Vingt-cinq pages de M. Jacques Rivière (qu'il vaut mieux passer sous silence) ;

4° Un article de M. André Lhote, qui, appelé à “ jeter quelque lumière dans la question si controversée du cubisme ”, parle d'autre chose et, par l'insuffisance de sa critique n'arrive pas à nous faire oublier la médiocrité de sa peinture ;

5° Deux actes entiers de Paul Claudel ;

6° Des réflexions de M. Albert Thibaudet, qui nous apprend à confondre Vingt mille lieues sous les mers et Le voyage d'Urien ;

7° Divers propos insignifiants ;

8° L'annonce de la reparution de la Revue Critique des Idées et des Livres qui exerce, paraît-il, un effort parallèle à celui de la N. R. F. ;

9° Une note tendant, au moyen de ragots empruntés à la presse allemande, à renouveler contre nos amis du mouvement DADA la manoeuvre inqualifiable que le cubisme a mis dix ans à déjouer.

LOUIS ARAGON.

ANDRÉ BRETON.

PHILIPPE SOUPAULT.

Le gérant : Philippe SOUPAULT.

Imp. R. TANCREDE, 15, rue de Verneuil, Paris (7e arr.).



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