MÉLUSINE

titre de la revue Littérature

Littérature n° 6, août 1919

N° 6
REVUE MENSUELLE
Août 1919
LITTÉRATURE
DIRECTEURS :
LOUIS ARAGON - ANDRÉ BRETON
PHILIPPE SOUPAULT
RÉDACTION ET ADMINISTRATION :
9, Place du Panthéon, 9
ABONNEMENTS
pour la France Édition ordinaire .... 15 fr. par an
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Prix du numéro : 1,50 fr.
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Pour la vente, s'adresser à la "Maison des Amis des Livres"
7, rue de l'Odéon,Paris
SOMMAIRE
Charles CROS Sur la Mort de la Duchesse de Chaulnes. - Madrigal..
Max JACOB Autre personnage du Bal masqué.
Blaise CENDRARS Au cœur du monde.
Blaise CENDRARS Hôtel Notre-Dame.
Jacques VACHÉ Lettres (suite).
Paul MORAND Soir de Grève.
Louis ARAGON, Philippe SOUPAULT, Bernard FAY LIVRES CHOISIS
Philippe SOUPAULT. LES SPECTACLES
Tristan TZARA PALET : Aa l'Antiphilosophe

P.01

Monsieur Ernest Raynaud a bien voulu nous communiquer ces deux poèmes, qu'il tenait de Charles Cros et qui ne figurent ni dans Le Coffret de Santal ni dans Le Collier de Griffes.

“ Il y a là une échappée sur l'art de demain. Quand Charles Cros parle de “ la forêt des spontanéités ” et qu'il incorpore l'abstraction au monde sensible, il inaugure le procédé des “ raccourcis violents ” qu'exploitera Rimbaud avec tant de maîtrise.

Rimbaud, dans son premier voyage à Paris, avait été accueilli chez Cros et avait lu ses manuscrits. S'il se moquait de certains vers d'un féminisme exaspéré et noyés d'un excès de fadeur, il n'avait pas manqué d'être impressionné par ce fluide spirituel qui circule dans certaines pièces de Cros et les fait rayonner d'effluves lumineux.

Rimbaud dut se plaire à des phrases comme celles-ci, qui font présager les Illuminations :

“ Amphitrite rose et blonde passe, avec sa suite, dans un lointain glauque sous l'eau de la mer du Sud...

Une femme, la Reine des Fictions, est assise devant le clavier. Sous ses doigts roses, l'instrument rend des sons puissants qui couvrent le chuchotement des vagues et les soupirs de force des rameurs. ”

“ La symphonie dit la route aux rameurs et aux timoniers. ”

(Ernest Raynaud : Charles Cros ou la Leçon d'une Epoque. Mercure de France, 1er janvier 1919.)

P.02

SUR LA MORT DE LA DUCHESSE DE CHAULNES

Elle est morte, la duchesse,
La duchesse aux cheveux longs,
Mêlés, roux, châtains et blonds,
Sa plus réelle richesse.

On l'a tuée avec soin,
Au nom de toutes les frimes.
Moi, je trouverai des rimes
Qui s'en vont bien loin, bien loin...

Pour écraser, joie amère,
La vieille affreuse qui mord
Et poursuit jusqu'à la mort
Cette femme, cette mère !

Ils s'aimaient bien tous les deux :
Et puis la vieille est venue,
Puis une histoire inconnue,
Et deux tombes restent d'eux.

Je bénis vos derniers hôtes,
Belle morte en satin blanc ;
Dans votre regard troublant
Ils n'ont pas cherché de fautes.

P.03

Cheveux roux, châtains et blonds,
Notre réelle richesse,
Vous la leur léguez, duchesse,
En allant où nous allons,

Où nous avons l'espérance,
Après le passage noir,
De retrouver, de revoir
Les belles dames de France.

MADRIGAL

Belle, belle, belle, belle,
Que voulez-vous que je dise
A votre frimousse exquise ?
Riez, rose sans cervelle.

Vos yeux de saphir grands et clairs,
Inquiètent comme les ondes
Des fleuves, des lacs et des mers,
Et j'en ai des rages profondes.

Mais je suis pourtant désarmé
Par la bouche, rose de mai,
Qui parle si bien sans parole,

Et qui dit le mot sans pareil,
Fleur délicieusement folle,
Eclose à Paris, au soleil.

CHARLES CROS.

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P.04

AUTRE PERSONNAGE DU BAL MASQUÉ

Réparateur perclus de vieux automobiles,
l'anachorète, hélas ! a regagné son nid.
Par ma barbe ! je suis trop vieillard pour Paris ;
l'angle de ses maisons m'entre dans les chevilles.
Mon gilet quadrillé a, dit-on, l'air étrusque
et mon chapeau marron va mal avec mes frusques.
Avis ! c'est un placard qu'on a mis sur ma porte :
Dans ce logis tout sent la peau de chèvre morte.

MAX JACOB.

P.05

AU CŒUR DU MONDE

(Fragment)

Ce ciel de Paris est plus pur qu'un ciel d'hiver lucide de froid.
Jamais je ne vis de nuits plus sidérales et plus touffues que ce printemps
Où les arbres des boulevards sont comme les ombres du ciel,
Frondaisons dans les rivières mêlées aux oreilles d'éléphant,
Feuilles de platanes, lourds marronniers.

Un nénuphar sur la Seine, c'est la lune au fil de l'eau.
La Voie Lactée dans le ciel se pâme sur Paris et l'étreint
Folle et nue et renversée, sa bouche suce Notre-Dame.
La Grande Ourse et la Petite Ourse grognent autour de Saint-Merry.
Ma main coupée brille au ciel dans la constellation d'Orion.

Dans cette lumière froide et crue, tremblotante, plus qu'irréelle,
Paris est comme l'image refroidie d'une plante
Qui réapparaît dans sa cendre. Triste simulacre.
Tirées au cordeau et sans âge, les maisons et les rues ne sont Que pierre et fer en tas dans un désert invraisemblable.

P.06

Babylone et la Thébaïde ne sont pas plus mortes, cette nuit, que la ville morte de Paris
Bleue et verte, encre et goudron, ses arêtes blanchies aux étoiles.
Pas un bruit. Pas un passant. C'est le lourd silence de guerre.
Mon œil va des pissotières à l'œil violet des réverbères.
C'est le seul espace éclairé où trainer mon inquiétude.

C'est ainsi que tous les soirs je traverse tout Paris à pied
Des Batignolles au Quartier Latin comme je traverserais les Andes
Sous les feux de nouvelles étoiles, plus grandes et plus consternantes.
La Croix du Sud plus prodigieuse à chaque pas que l'on fait vers elle émergeant de l'ancien monde
Sur son nouveau continent.

Je suis l'homme qui n'a plus de passé. - Seul mon moignon me fait mal, -
J'ai loué une chambre d'hôtel pour être bien seul avec moi-même.
J'ai un panier d'osier tout neuf qui s'emplit de mes manuscrits.
Je n'ai ni livres ni tableau, aucun bibelot esthétique.

Un journal traine sur ma table.
Je travaille dans une chambre nue, derrière une glace dépolie,
Pieds nus sur du carrelage rouge, et jouant avec des ballons et une petite trompette d'enfant :
Je travaille à la Fin du Monde.

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P.07

HOTEL NOTRE-DAME

Je suis revenu au Quartier
Comme au temps de ma jeunesse
Je crois que c'est peine perdue
Car rien en moi ne revit plus
De mes rêves de mes désespoirs
De ce que j'ai fait à dix-huit ans

On démolit des pâtés de maisons
On a changé le nom des rues
Saint Séverin est mis à nu
La place Maubert est plus grande
Et la rue Saint-Jacques s'élargit
Je trouve cela beaucoup plus beau
Neuf et plus antique à la fois
C'est ainsi que m'étant fait sauter
La barbe et les cheveux tout court
Je porte un visage d'aujourd'hui
Et le crâne de mon grand-père

C'est pourquoi je ne regrette rien
Et j'appelle les démolisseurs
Foutez mon enfance par terre
Ma famille et mes habitudes
Mettez une gare à la place
Ou laissez un terrain vague
Qui dégage mon origine

Je ne suis pas le fils de mon père
Et je n'aime que mon bisaïeul
Je me suis fait un nom nouveau
Visible comme une affiche bleue
Et rouge montée sur un échafaudage
Derrière quoi on édifie
Des nouveautés des lendemains

P.08

Soudain les sirènes mugissent et je cours à ma fenêtre.
Déjà le canon tonne du côté d'Aubervilliers.
Le ciél s'étoile d'avions boches, d'obus, de croix, de fusées,
De cris, de sifflets, de mélisme qui fusent et gémissent sous les ponts

La Seine est plus noire que gouffre avec les lourds chalands qui sont
Longs comme les cercueils des grands rois mérovingiens
Chamarrés d'étoiles qui se noient - au fond de l'eau - au fond de l'eau.
Je souffle ma lampe derrière moi et j'allume un gros cigare.

Les gens qui se sauvent dans la rue, tonitruants, mal réveillés,
Vont se réfugier dans les caves de la Préfectance qui sentent la poudre et le salpêtre.
L'auto violette du préfet croise l'auto rouge des pompiers,
Fécriques et souples, fauves et câlines, tigresses comme des éloiles filantes.

Les sirènes miaulent et se taisent. Le chahut bat son plein. Là-haut. C'est fou.
Abois. Craquements et lourd silence. Puis chute aiguë et sourde véhémence des torpilles.
Dégringolade de millions de tonnes. Eclairs. Feu. Fumée. Flamme.
Accordéon des 75. Quintes. Cris. Chute. Stridences. Toux. Et tassement des effondrements.

Le ciel est tout mouvementé de clignements d'yeux imperceptibles
Prunelles, feux multicolores, que coupent, que divisent, que raniment les hélices mélodieuses.
Un projecteur éclaire soudain l'affiche du bébé Cadum
Puis saute au ciel et y fait un trou laiteux comme un biberon.

P.09

Je prends mon chapeau et descends à mon tour dans les rues noires.
Voici les vieilles maisons ventrues qui s'accotent comme des vieillards.
Les cheminées et les girouettes indiquent toutes le ciel du doigt.
Je remonte la rue Saint-Jacques, les épaules enfoncées dans mes poches.

Voici la Sorbonne et sa tour, l'église, le lycée Louis-le-Grand.
Un peu plus haut je demande du feu à un boulanger au travail.
J'allume un nouveau cigare et nous nous regardons en souriant.
Il a un beau tatouage, un nom, une rose et un cœur poignardé.

Ce nom je le connais bien : c'est celui de ma mère.
Je sors dans la rue en courant. Me voici devant la maison.
Cœur poignardé - premier point de chute -
Et plus beau que ton torse nu, beau boulanger -
La maison où je suis né.

BLAISE CENDRARS.

Paris 1917.

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P.10

LETTRES de JACQUES VACHÉ

(SUITE)

A MONSIEUR A. B.

X. le 16. 6. 17.

Mon cher ami,

J'ai reçu hier au soir votre mot. Je me permets d'inclure y cette sorte de lettre une sorte de dessin - car décidément je ne peins plus qu'à l'aide d'encres de couleur.

Ainsi que je l'annonce à M. J. Cocteau * je fais du plaisir de vous voir presque bientôt - croyant qu'on me laissera débarquer le 23 après-midi à Paris. Et de la sorte je pourrais fort bien aller voir “ Les Mamelles de Tirésias ” de Guillaume A. - sur lequel - et ceci est une autre Histoire - je maintiens cet après-midi mon jugement - Vous ai-je dit vraiment que Gide était froid ?

- C'est sous ce nom que Monsieur T. Fraenkel a fait paraître dans SIC un poème intitulé Restaurant de Nuit.

Troisième reprise de ce mot - ÇA COMMENCE A M'AGACER - Apparitions de pantins brisables et qui s'enquièrent ou vous font plaisir ! J'abats le quatrième. Well.

Avez-vous reçu, il y a bientôt un mois, il me semble - un individu souriant, très ennervant, avec des figures à l'entour qui m'ont fait bien des fois - de colère - éclater de rire un peu ? - Il avait présidé, je crois,

P.11

un certain temps à mes ébats guerriers et je serai, je l'avoue, déçu d'une perte - Bien - maintenant le chicot-crayon - se raccourcit et se casse - Et il fait une chaleur pleine de mouches et d'odeurs de boîtes de conserve entre-ouvertes.

Je suis votre serviteur
J. T. H.



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A MONSIEUR T. F.

X. 16. 6. 17.

Mon ami il fait bien chaud mais je vous répond. Vous estes bien gentil de me parer de rayons, et j'espère être à Paris - (naturellement ma permission fut retardée) - pour la représentation sur-réaliste de Guillaume Apollinaire, que je soupçonne de n'être que peu en retard, peut-être.

Est-ce que vous vous êtes payé pour 2 fr. de ficelle d'or, qui si joliment soutache l'uniforme, ou cela - (tout est possible après tout) est-il un don de l'Etat. Et puis quand allez-vous remettre l'ordre dans votre royaume * ? J'espère tout de même vous voir à mon passage ? Mon Dieu il fait chaud - Jamais je ne pourrai gagner tant de guerres !

  • DESSIN : Un médecin traîne péniblement une carriole sanitaire pourvue d'une queue et fumant la pipe. Une flèche indique la Russie. Brassard de neutralité, dessiné à part, à découper pour mettre en 1 a racine de 6 est partie à coller.

J'arriverai vraisemblablement à Paris le 23 dans l'après-midi - Voulez-vous être dans l'apéritif pour “ la Rotonde ” vers 6 1/2 ? ou bien répondez si vous pouvez au reçu de ce gâchis et indiquez-moi où, avec un peu de hasard, je pourrai rencontrer soit vous-même ou soit le pohète - ou bien les deux ? vous voudrez ne pas tramer une mauvaise rencontre plaisanterie - ce serai naturellement amusant, mais voudrez-vous considérer que je resterez si peu dans la ville-LUMIER ? - J'arriverai quai d'Orsay - venant d'A.... vers 4 1/2.. 6 h., le 23 après-midi.

Je vous suis dévoué
J. T. H.

P.12

Cher ami,

J'ai pensé bien souvent vous écrire depuis votre lettre du 23 juillet - mais je n'arrivais jamais à une forme définitive d'expression - et n'y suis pas encore arrivé - Je pense après tout préférable de vous écrire au hasard d'une improvisation immédiate - sur un texte connu presque, et même un peu réfléchi - Nous verrons à produire lorsque les hasards de notre conversation nous auront amené à une série d'axiomes adoptés en commun “ umore ” (prononcez : umoreu - parce que, tout de même, “ humoristique ” !) votre thème de pièce m'agrée en somme - Ne croyez-vous pas peut-être bon d'introduire (je n'y tiens pas essentiellement pour le moment) - un type intermédiaire entre le douanier et votre “ moderne ” n° 1 - une sorte de tapir d'avant-guerre, sans allure, non entièrement débarrassé de beaucoup de superstitions diverses, bien que déjà si âpre d'égoïsme, en fait - une sorte de barbare cupide et un peu émerveillé - Toute fois... Et puis tout le TON de notre geste reste presque à décider - Je le désirerai sec, sans littérature, et surtout pas en sens d'“ ART ”.

D'ailleurs. - L'ART n'existe pas, sans doute - Il est donc inutile d'en chanter - pourtant : on fait de l'art - parce que c'est comme cela et non autrement - Well - que voulez-vous y faire ?

Donc nous n'aimons ni l'ART ni les artistes (à bas Apollinaire) ET comme TOGRATH A RAISON D'ASSASSINER LE POETE !

P. 13

Toutefois puisqu'ainsi il est nécessaire de dégorger un peu d'acide ou de vieux lyrisme, que ce soit fait saccade vivement - car les locomotives vont vite.

Modernité aussi donc - constante, et tuée chaque nuit - Nous ignorons MALLARME, sans haine, mais il est mort - Nous ne connaissons plus Apollinaire - CAR - nous le soupçonnons de faire de l'art trop sciemment, de rafistoler du romantisme avec du fil téléphonique, et de ne pas savoir les dynamos. LES ASTRES encore décrochés ! - c'est ennuyeux - et puis parfois ne parlent-ils pas sérieusement ! - Un homme qui croit est curieux. MAIS PUISQUE QUELUNS SONT NÉ CABOTIN...

Eh bien - je vois deux manières de laisser couler cela - Former la sensation personnelle à l'aide d'une collision flamboyante de mots rares - pas souvent, dites - ou bien dessiner des angles, ou des carrés nets de sentiments - ceux-là du moment, naturellement - Nous laisserons l'Honnêteté logique - à charge de nous contredire - comme tout le monde.

O DIEU ABSURDE ! car tout est contradiction - n'est-ce pas ? - et sera umore celui qui toujours ne se laissera pas prendre à la vie cachée et SOURNOISE de tout - O mon réveillematin - yeux - et hypocrite - qui me déteste tant ! - ... et sera umore celui qui sentira le trompe l'œil lamentable des simili-symboles universels - C'est dans leur nature d'être symboliques.

L'umore ne devrait pas produire - mais qu'y faire ? J'accorde un peu d'umour à LAFCADIO, car il ne lit pas et ne produit qu'en expériences amusantes, comme l'Assassinat - et cela sans lyrisme satanique - mon vieux Baudelaire pourri ! - Il fallait notre air sec un peu ; machinerie - rotatives à huiles puantes - vrombis, vrombis - vrombis - Siffle ! - Reverdy - amusant le pohète, et ennuie en proses ; MAX Jacob, mon vieux fumiste - PANTINS - PANTINS - PANTINS

P. 14

- voulez-vous des beaux pantins de bois colorié ! ? - Deux yeux-flamme-morte et la rondelle de cristal d'un monocle - avec une pieuvre machine-à-écrire - J'aime mieux.

Tout ceci vous agace beaucoup parfois - mais répondez-moi - Je repasse à Paris vers les premiers jours d'octobre, peut-être pourrions-nous arranger une conférence-préface - Quel beau bruit ! J'espère bien vous voir, en tous cas.

Recevez mon meilleur souvenir.

J. T. H.

Cher ami,

C'est vrai que - d'après calendrier - il y a longtemps que je ne vous ai donné signe de vie - Je comprends mal le Temps, tout compte fait - J'ai souvent pensé à vous - un des très rares - qui voulez me tolérer (je vous soupçonne d'ailleurs, un peu, de mystification) - Merci.

Mes pérégrinations, multiples - J'ai conscience, vaguement, d'emmagasiner toutes sortes de choses - ou de pourrir un peu.

QUE VA-T-IL SORTIR DE LA, BON DIEU.

Je peux plus être épicier pour l'instant - l'essai fut sans succès heureux. J'ai essayé autre chose - (ai-je essayé ? - ou m'a-t-on essayé à...) ? Je ne peux guère écrire cela maintenant - on s'amuse comme l'on peut - voilà.

Décidément je suis très loin d'une foule de gens littéraires - même de Rimbaud, je crains, cher ami - L'ART EST UNE SOTTISE - Presque rien n'est une sottise - l'art doit être une chose drôle et un peu assommante - c'est tout - Max Jacob - très rarement - pourrait être UMOREU - mais, voilà, n'est-ce pas,

P. 15

il a finit par se prendre au sérieux lui-même, ce qui est une curieuse intoxication - Et puis - produire ? - “ viser si consciencieusement pour rater son but ” - naturellement, l'ironie écrite n'est pas supportable - mais naturellement vous savez bien aussi que l'Umour n'est pas l'ironie, naturellement - comme cela, - que voulez-vous, c'est comme cela, et non autrement - que tout est amusant, c'est un fait - comme tout est amusant ! (et si l'on se tuait aussi, au lieu de s'en aller ?)

Soifs de l'Ouest - je me suis frotté les mains l'une contre l'autre à plusieurs passages - peut-être mieux encore un peu plus court ? - André Derain, naturellement - je ne comprends pas “ le premier né c'est l'ange ” - C'est d'ailleurs au point - beaucoup plus au point qu'un certain nombre de choses montrée vers l'Hôpital de Nantes.

Votre critique synthétique est bien attachante - bien dangereuse d'ailleurs ; Max Jacob, Gris, m'échappent un peu.

Excusez, mon cher B., le manque de mise au point de tout ceci. Je suis assez mal portant, vit dans un trou perdu entre des chicots d'arbres calcinés, et, périodiquement une sorte d'obus se traîne, parabolique, et tousse. J'existe avec un officier américain qui apprend la guerre, mâche de la “ gum ” et m'amuse parfois - Je l'ai échappé d'assez peu - à cette dernière retraite - Mais j'objecte à être tué en temps de guerre - Je passe la plus grande partie de mes journées à me promener à des endroits indus, d'où je vois les beaux éclatements - et quand je suis à l'arrière, souvent, dans la maison publique, où j'aime à prendre mes repas - C'est assez lamentable - mais qu'y faire ?

Non - merci - cher ami - beaucoup - je n'ai rien au point pour le moment - NORD-SUD prendrait-il quelque chose sur ce triste Apollinaire ? - auquel je ne conteste pas un certain talent - et qui eût réussi je croit - qque chose - mais il n'a que pas mal de talent - Il fait de bien bonnes “ narrations ”

P. 16

(vous rappelez-vous le collège ?) - parfois.

Et T. F. ? remerciez-le, quand vous écrirez - de ses nombreuses lettres, si pleines d'observations amusantes et de bon sens - Well.

Votre ami
J. T. H.
A MONSIEUR T. F.
Cher ami,

J'aurai voulu répondre à votre lointaine missive par une visite ; mais, naturellement, vous en profitiez pour partir - Je suis presque toujours en prison pour le moment, c'est, pour l'Eté, plus frai - J'ai pourtant bien des assassinats amusants à vous conter - mais voilà...

Je rêve de bonnes Excentricités bien senties, ou de quelque bonne fourberie drôle qui fasse beaucoup de morts, le tout en costume moulé très clair, sport, voyezmoi les beaux souliers découverts grenat ?

Mais je dois me laisser faire - Je suis en consigne ici - dans l'attente de quelles nouvelles aventures ? - Pourvu qu'ils ne me tuent pas pendant qu'ils me tiennent ?... pauvres gens...

J'espère que ce document vous parviendra lors que vous serez encore vivant, et sans doute fort occupé à couper des membres avec une scie, selon la tradition, et armé d'un tablier blafard où se marqua une main huilée de sang frais.

Je me porte, me semble-t-il, bien, malgré que j'y entende peu de chose - mais ne crache - merci - ni ne tousse ?

J. T. H.

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P. 17

SOIR DE GREVE

Il est onze heures du soir
mais qui penserait à dîner ?
La lampe verte
soutient toute la nuit
et chauffe les sonnettes exorbitées, à l'alignement,
et dont chacune fait tressaillir un ministre,
Le Préfet de Police dit :
“ Il faut choisir ”,
Le Gouverneur militaire desserre son col,
et se rafraîchit les paumes sur sa plaque de grand-officier.

Dans l'air tendu de la gare de banlieue
les pavés passaient haut comme des oiseaux.
Les réverbères brisés
montraient leur chair de fonte blême et des tuyaux rompus
fusaient l'eau et le gaz.
Casques, civières.

Les pieds pris dans les fleurs de la Savonnerie
d'où monte l'ombre,
le Président du Conseil regarde le jardin bleu
et se demande
s'il faudra encore poser la question de confiance.

Rumeurs...
On entend crier un train qu'on égorge.
Mais ce ne sont que des permissionnaires.
Ce n'est encore que du vin rouge.

PAUL MORAND.

Rome 1917.

P. 18

LIVRES CHOISIS

Francis Jammes : La Vierge et les Sonnets.

Jadis les jeunes filles étaient si belles qu'il n'y avait pas besoin de décrire la campagne : les joues disaient assez le grand air, les lèvres la liberté des cœurs. Après tant d'années on ne reconnaît plus ces demoiselles. Elles ont séché, maigri, tourné à l'aigre, à la dévotion. Elles n'aiment plus que les fleurs artificielles un peu poussiéreuses dont on pare les autels. Finie, la gaîté. Elles chantent sans grâce des cantiques longs et ennuyeux qui ne possèdent pas même le charme de la naïveté. Vous pouvez être assurés qu'elles lisent le Pélerin et les Annales. Elles ont oublié le piano et portent des gants de filoselle.

DERNIERE HEURE. - Dans son discours de réception à l'Académie française, M. Francis Jammes fera l'éloge d'André Theuriet.

Gustave Rouger : L'esclave aux bêtes.

Il a été tiré de cet ouvrage, en simili-Hugo, 20 exemplaires sur simili-Japon, numérotés de 1 à 20 et 10 sur simili-Hollande, numérotés de 21 à 30.

Jean des Vignes Rouges : Sous le brassard d'Etat-Major.

“ Bon documentaire 250 mètres, intéressant, excellentes photographies ”. Le Mercure de France se fera un plaisir d'en rendre compte.

P. 19

Pierre Benoît : L'Atlantide.

Les aventures, les belles aventures. On part, mais reviendra-t-on ? “ S'il m'arrivait malheur en route, le bec de gaz que j'ai oublié d'éteindre brûlerait à tout jamais. ” Quelle grandeur chez un Verne, un Boussenard. Peu importe s'ils écrivent bien ou mal : ils me transportent. Dans le désert de Monsieur Benoît, il souffle je ne sais quel petit vent d'ironie : on a peur de se prendre au sérieux. Par souci des proportions, l'auteur ne fera pas Antinéa la fille de Neptune et de Cléopâtre. Il lui bâtit une généalogie plus bourgeoise. La petitesse d'esprit ne perd ses droits nulle part. Les ancien n'ignoraient pas l'existence de pygmées en Afrique. Il y a chez ceux que voici tant de scepticisme éclairé que leur père deviendra sûrement un auteur à succès. Mais abandonnez, Monsieur, les voyages extraordinaires. Ce genre n'est pas à votre taille.

Jacques-Emile Blanche : Propos de peintre : De David à Degas.

Le peintre a peu de linge et voilà longtemps qu'on lui voit ce complet. Dans la rue, il regarde les visages, les corps ; il est pris au piège par le monde. Changeantes lignes, qui saura limiter la vie ? ” Il tape avec sa pipe sur le dos de sa main. Malgré deux ou trois amis fidèles, personne n'achète ses toiles : aussi pourquoi fait-il les gens si laids ? Le dentiste, son voisin de palier, lui rend de temps en temps visite. Rue Saint-Jacques, il y a un marchand de vin qui ne manque pas de bon sens.

Eh bien, non : un peintre ne vit pas comme ça. Croyez-en Monsieur Blanche : il est reçu chez Madame de..., chez la princesse B..., il a de l'usage, un smoking, un habit. Le baise-main de Cézanne, n'en doutez pas, est donné en modèle dans les cours de maintien. Pour les cotillons, Van Gogh n'a pas son pareil. Ah ! quelle vie pour les artistes depuis que l'Art est de bon ton.

LOUIS ARAGON.

P. 20

André Warnod : Lily, modèle.

De si haut on peut voir tout Paris ; mais on préfère les rues étroites et les grands murs : Montmartre est une cage.

L'oiseleur y a enfermé Lily. Elle volète, fait quelques tours ; lorsqu'elle s'échappe elle perd la tête et ne sait plus où aller.

Ne plus savoir où aller

Les rues montent et les lumières font mal aux yeux. On pense à hier, on croise des gens qui regardent fixement et d'autres qui tournent le dos. Il faut tout oublier et mourir au petit bonheur.

PHILIPPE SOUPAULT.

“ Sur la Composition de Phèdre ” (1).

(1) E. Bourguet dans “ La Revue de Métaphysique et de Morale ”, p. 336-351.

L'aspect du Phèdre de Platon a toujours déconcerté les critiques et les lecteurs qui le lisaient : cette promenade le long de l'Ilyssos, les deux discours contre l'Amour des jeunes gens, suivis d'un mythe à sa louange, et d'une discussion dialectique sur l'art oratoire, que termine une prière à Pan, ces pages de ton ondoyant, pleines d'idées variées ont enfin été condamnées par quelques docteurs allemands qui n'y voyaient ni ordre, ni unité de sujet.

Dans une étude récente, M. Bourguet reprend le débat et le clot, semble-t-il. Le noyau même du Phèdre serait la conception philosophique de la rhétorique : la rhétorique établie comme science. Pour Platon l'objet de la vie de l'homme est d'atteindre aux idées et entre toutes à l'Idée du Bien : les jeunes hommes doivent y être conduits par la fréquentation et les paroles de leurs maîtres car les écrits sont choses factices et mortes. L'art oratoire est considéré comme l'instrument nécessaire de la méthode platonicienne dont le procédé est double : amour et dialectique. P. 21 L'Amour philosophique, et les discours qu'il inspire, mènent d'un bond à l'Idée du Beau, tandis que la dialectique élève l'âme du sensible à l'Intelligible en une ascension continue qui aboutit à l'Idée du Bien, dont le Beau est la manifestation. Sous ce jour le Phèdre est bien un résumé cohérent du Platonisme et une étude générale de l'Art oratoire : la promenade, les deux discours et le mythe exposent ce que doit être le rôle de l'Amour dans l'enseignement philosophique, la discussion indique la place et l'importance de la dialectique.

On s'étonne qu'une construction si forte ait échappé à de bons esprits, mais là est la leçon la meilleure du Phèdre ; les critiques n'ont pas compris car ils cherchaient à quel modèle le rattacher. La composition de ce dialogue, tout intellectuelle pourtant, ne suit aucun canon, aucune règle d'école, aucun préjugé. Platon n'a rien copié ; drame, poésie, philosophie, description, mythe, entrent dans son ouvrage à titre d'éléments. Il use de tout, il n'imite rien, il ne représente rien, il crée.

Le Phèdre prouve, persuade, charme, mais semble avoir comme but dernier et comme plan de se développer en sa pleine originalité d'œuvre d'art : c'est un être vivant, et grâce à lui on perçoit à la fois d'indépendance de l'Art chez les Hellènes et la forme particulière de son intellectualisme. D'après Platon et les Grecs c'est en s'affirmant, en se développant que l'Intelligence se libère du mécanisme, non en se renonçant. C'est par la création d'organismes complexes et complets selon ses procédés autonomes qu'elle devient féconde, se dépasse, et s'apparente aux forces spontanées du Monde.

BERNARD FAY.

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P. 22

LES SPECTACLES

Charlot Voyage. - Charlie Chaplin.

Le roulis et l'ennui bercent les journées. Nous avons assez de ces promenades sur le pont : depuis le départ, la mer est incolore. Les dés que l'on jette ou les cartes ne peuvent même plus nous faire oublier cette ville que nous allons connaître : la vie est en jeu.

C'est la pluie qui nous accueille dans ces rues désertes. Les oiseaux et l'espoir sont loin. Dans toutes les villes les salles de restaurants sont chaudes. On ne pense plus, on regarde les visages des clients, la porte ou la lumière. Est-ce que l'on sait maintenant qu'il faudra sortir et payer ? Est-ce que la minute qui est là ne nous suffit pas ? Il n'y a plus qu'à rire de toutes ces inquiétudes.

Et nous rions tristement comme des bossus.

PHILIPPE SOUPAULT.

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PALET

Aa l'Antiphilosophe.

Sur la casserole en effervescence de fox-trot : la folie légère - je me penche sur le bord et souffle dans le ventilateur. Du yacht jaillit l'héliotrope à travers la section tropique que le lest chatouille et les rides qui restent et traînent se réjouissent dans l'eau - comme Margot sous les bras.

Choléra se développe dans le violon dont le sentiment en longues traces graissées avec colophane craint le craquement des lois de gravitation. Je crache donc. - Mais ma grandeur remplie de suc sucre la salle. Légataire universel P. 23 de Marcel Prévost, tu avais un autre profil. Il résumait ses regards dans la tabatière et ramassait les étiquettes de cacao van Hooten. Je vous réserve, visitateurs, dans des tasses de Nyon, des roues de montres minuscules, défaites et leurs ressorts. Le rendez-vous avec la Grande-roue /4, 15/Embryons mis dans des vases avec des cuillers. Sacrilège météorologique. Pantalon. Les os automnaux. Voilà ce qu'il attendait pour siffler en octaves l'incandescence logarithmique de la seconde aiguille du voltamètre, ou la probabilité du cri, pensé à l'aurore. Pissat froid par le robinet olympique et les bonbons ouverts dans le télescope. Aa roule dans les coussins - pain en fabrication - sort sous forme d'œuf et se plante.

Plante rouge qui chatouille de son nom ma méninge. Plainte dans la plaine d'utilité. Dans le pli du diaphragme je sens 100 sons. Mais la clarté des sens plantation de notes dans l'argile à décoration fixe est question d'habitude, j'ai pêché hier, question de métier. A la pêche des souliers de suicidés, Aa cherche sa journée au-dessus de la folie précise et nette, et constate la banalité mathématique de l'ennui qu'il aime.

De l'ennui qu'il aime mathématique banalité. Beauté.

Eclaboussement de pets dans la corolle - son œil voit dans l'intérieur du ventriloque, quel bonheur, oo Aa se faufile sous les manchettes du prestidigitateur Printemps.

Voilà

Et se purifie entièrement au dépôt général en gros.

Ici les antennes brûlent l'impatience des agences télégr. les rayures appellent les scorpions, qui règlent le lavage automatique des urinoirs, envoie gratuitement des cigarettes à ceux qui en désirent avant le suicide, peach Brandy auréole de tes yeux. Les scorpions enfoncés dans les organes y circulent librement, les cadrans annoncent l'intoxication voilà les saints qui jouent la ronde parmi les chaînes, et le saut qui se prépare chez les modèles des peintres, dans les pavillons - voilà le fer qui menace sa chute liquide, la grêlêe, les dents. Voilà le remède. Extra-fin.

Voilà.

TRISTAN TZARA.

P. 24

Bibliographie : la collection de LITTÉRATURE est publiée AU SANS PAREIL (102, rue du Cherche-Midi - Paris VIe).

N° 1. - ARTHUR RIMBAUD : Les Mains de Jeanne-Marie ; avec un portrait du Poète par J.-L. Forain et une notice.
Un vol. in-8 écu sur vergé d'Arches.... épuisé.
44 exempl. numérotés sur Japon impérial épuisé.

N° 2. - ANDRÉ BRETON : Mont de Piété ; avec deux dessins inédits d'André Derain.
Un vol. in-16 jésus sur Hollande Van Gelder 12 fr. ”
8 exempl. numér. sur Japon impérial, l'ex. 30 fr. ”

Paraîtront en Septembre 1919 :

N° 3. - Lettres de Guerre, de JACQUES VACHÉ ; avec un dessin de l'auteur et une introduction.
Un vol. in-16 jésus sur vélin d'alfa
20 exempl. numér. sur Hollande Van Gelder

N° 4. - BLAISE CENDRARS : Dix-Neuf Poèmes élastiques ; avec un portrait de l'auteur par Modigliani.
Un vol in-16 double écu sur vélin d'alfa
44 exemplaires sur Hollande Van Gelder
6 exempl. numér. et signés par l'auteur, réimposés en in-4° sur Japon impérial.

N° 5. - PHILIPPE SOUPAULT : Rose des Vents.
Un vol. in-8 écu, sur vélin d'alfa
Tirage de luxe sur Hollande Van Gelder

N° 6. - LOUIS ARAGON : Feu de Joie.
Un vol. in-8 écu, sur vélin d'alfa
Tirage de luxe sur Hollande Van Gelder

N° 7. - ANDRÉ BRETON et PHILIPPE SOUPAULT : Les Champs magnétiques ; avec 9 reproductions d'après les tableaux d'Henri Rousseau.
Un vol. in-4° écu, sur vélin d'alfa
Tirage de luxe sur Hollande Van Gelder

N° 8. - PAUL ELUARD : Les Animaux et leurs Hommes, avec des dessins d'André Lhôte.
Un vol. in-8 écu sur vélin d'alfa.

Le Gérant : PHILIPPE SOUPAULT. Paris. - Imprimerie Chatelain.