MÉLUSINE

titre de la revue Littérature

Littérature n° 5, juillet 1919

N° 5
REVUE MENSUELLE
Juillet 1919
LITTÉRATURE
DIRECTEURS :
LOUIS ARAGON - ANDRÉ BRETON
PHILIPPE SOUPAULT
RÉDACTION ET ADMINISTRATION :
9, Place du Panthéon, 9
ABONNEMENTS
pour la France Édition ordinaire .... 15 fr. par an
Édition de luxe ...... 60 fr. par an
Prix du numéro : 1,50 fr.
pour l'étranger Édition ordinaire .... 20 fr. par an
Édition de luxe ...... 80 fr. par an
Prix du numéro : 2 fr.
Pour la vente, s'adresser à la "Maison des Amis des Livres"
7, rue de l'Odéon,Paris
SOMMAIRE
Jacques VACHÉ Lettres.
Henri ROUSSEAU Un Philosophe..
Tristan TZARA Cirque.
Maurice RAYNAL Dépôt démobilisateur
Paul ELUARD Les Animaux et leurs Hommes : Préface.
Philippe SOUPAULT. Vie de John Millington Synge.
LES SPECTACLES
PALETS

P.00

LITTÉRATURE oui
mais DADA


1-2-3-4-5
1.2.3.4-5
1.2.3.4-5
1.2.3


Tristan Tzara, Directeur
Pour tous Renseignements lui écrire :
MOUVEMENT DADA, Zurich-Seehof Schifflände, 28


p.1

LETTRES DE JACQUES VACHÉ

A MONSIEUR A. B.
X. le 5 juillet.
CHER AMI,
J'ai disparu de la circulation nantaise brusquement et m'en excuse - Mais M. le Ministre de la Guerre (comme ils disent) a trouvé indispensable ma présence au front dans un délai très bref... et j'ai dû m'exécuter. Je suis attaché en qualité d'Interprète aux troupes britanniques - Situation assez acceptable en ce temps de guerre, étant traité comme officier - cheval, bagages variés et ordonnance - Je commence à sentir le Britannique (la laque, le thé et le tabac blond). Mais tout de même, tout de même quelle vie ! Je n'ai (naturellement) personne à qui parler, pas de livres à lire et pas le temps de peindre - En somme redoutablement isolé - I say, Mr. the Interpreter - Will you... Pardon, la route pour ? Have a cigare, sir ? Train de ravitaillement, habitants, maire et billet de logement - Un obus qui affirme et de la pluie, la pluie, la pluie - pluie - de la pluie - de la pluie - deux cents camions automobiles à la file, à la file - à la file. En total, je suis repris du redoutable ennui (voir plus haut) des choses sans aucun intérêt. - Pour m'amuser - J'imagine - Les anglais sont en réalité des allemands, et suis au front avec eux... et pour eux - Je fume à coup sûr un peu de “ touffiane ”, cet officier “ au service de Sa Majesté ” va se transformer en androgyne ailé et danser la danse du vampire - en bavant du thé-au-lait - Et puis je vais me réveiller dans un lit connu et je vais aller décharger des bateaux... Oh ! assez - assez ! et même trop - un complet noir, un pantalon à pli, des vernis corrects. Paris - étoffes

p.2

rayées - pyjamas et livres non coupés - où vas-t-on ce soir ?... nostalgiques choses mortes avec l'Avant-guerre - Et puis - quoi après ?? Nous allons rire, n'est-ce pas ?
.........................................................

Oh ! assez ! assez, et même trop -
Sydney, Melbourne - Vienne - New-York et retour - Hall d'Hotel - paquebot verni, bulletin de bagage, Gérant d'Hôtel - Rastaquouères - et Retour.
Je m'ennuie, cher ami - vous voyez... mais je vous ennuie aussi et je m'arrête ici après réflection.
Rappelez-vous que j'ai (et je vous prie d'accepter cela) une bien bonne amitié pour vous - que je tuerai d'ailleurs - (sans scrupules peut-être) - après vous avoir dûment dévalisé de probabilités incertaines...
Je vous demande mainténant sérieusement de m'écrire...
Je salue le peuple polonais selon les rites et je vous donne le souvenir le meilleur de J. T. H.
P. S. - Je relis ma lettre, et la trouve - en somme - incohérente - et bien mal écrite - Je m'en excuse poliment.

Dont acte.

X. le 11 octo. 16
      3. P. M.

CHER AMI,
Je vous écris d'un lit où une température agaçante et la fantaisie m'ont allongé au milieu du jour. J'ai reçu votre lettre hier - L'Evidence est que je n'ai rien oublié de notre amitié, qui, j'espère, durera tant rares sont les sârs et les mîmes ! - et bien que vous ne conceviez l'Umour qu'approximativement. Je suis donc interprète aux anglais - et y apportant la totale indifférence ornée d'une paisible fumisterie que j'aime à apporter ès les choses officielles je promène de ruines en villages mon monocle de crystal et une

p.3

théorie de peintures inquiétantes - J'ai successivement été un littérateur couronné, un dessinateur pornographe connu et un peintre cubiste scandaleux - Maintenant, je reste chez moi et laisse aux autres le soin d'expliquer et de discuter ma personnalité d'après celles indiquées - Le résultat n'importe.
Je vais en permission vers la fin de ce mois, et passerai quelque temps à Paris - J'y ai à voir mon très meilleur ami que j'ai complètement perdu de vue.
Une prochaine lettre contiendra - n'en doutez - une effigie de guerre - selon un post-scriptum raturé avec soin.
Où est T. F. ? - J'ai écrit au peuple polonais, une fois je crois, en réponse à deux amusantes lettres - Pourrai-je demander aussi une correspondance de vous ? - Je suppose - ayant pris la plume - pouvoir à l'avenir en user plus aisément ; d'ailleurs je vous ai écrit déjà une fois, si je me souviens.
A part cela - qui est peu - Rien. L'Armée Britannique, tant préférable qu'elle soit à la Française, est sans beaucoup d'Umour - J'ai prévenu plusieurs fois un colonel à moi attaché que je lui enfoncerai un petit bout de bois dans les oneilles - Je doute qu'il m'ait entièrement saisi = d'ailleurs ne comprenant pas le Français.
Mon rêve actuel est de porter une chemisette rouge, un foulard rouge et des bottes montantes - et d'être membre d'une société chinoise sans but et secrète en Australie.
Vos illuminés ont-ils le droit d'écrire ? - Je correspondrai bien avec un persécuté, ou un “ catatonique ” quelconque.
En attendant, je relis Saint Augustin (pour imaginer un sourire du peuple polonais), et essayer d'y voir autre chose qu'un moine ignorant de l'Umour.
Sur ce, je commence d'attendre une réponse, cher ami, à cette incohérence qui n'en comporte guère, et vous demande de croire à mon souvenir.

J. T. H.

p.4

X. 29. 4. 17

CHER AMI,
A l'instant votre lettre. Il est inutile - n'est-ce pas ? de vous assurer que vous êtes toujours resté sur l'écran - Vous m'écrivez une missive “ flatteuse ” - sans doute pour m'obliger décemment à une réponse qu'une grande apathie comateuse reculait toujours - Au fait pendant combien de temps, au dire des autres...? Je vous écris d'un ex-village, d'une très étroite étable-à-cochon tendue de couvertures - Je suis avec les soldats anglais - Ils ont avancé sur le parti ennemi beaucoup par ici - C'est très bruyant - Voilà. Je suis heureux de vous savoir malade, mon cher ami, un peu - Je reçois une lettre de T. F., presque non-inquiétante - ce garçon m'attriste - Je suis très fatigué de médiocres, et me suis résolu à dormir un temps inconnu - l'effort seul d'un réveil de ces quelques pages m'est difficile ; celà ira peut-être mieux la prochaine fois - Pardon - n'est-ce pas, n'est-ce pas ? - Rien ne vous tue un homme comme d'être obligé de représenter un pays - Aussi De temps à temps - pour ne pas tout même être suspect de mort douce, une escroquerie ou un tapotement hamical sur quelque tête de mort familière m'assure que je suis un vilain monsieur - Aujourd'hui, présenté à un générale de Division et à Tat-Major comme un peintre fameux - (Je crois que le dit a 50 ou 70 ans - peut-être est-il mort aussi - mais le nom reste) - Ils (le générale et le Tat-Major) se m'arrache - C'est curieux et je m'amuse à deviner comment cela tombera à plat - En tout cas... D'ailleurs... Et puis cela m'est assez indifférent, quant au fond - ce n'est pas drôle - pas drôle du tout. Non. Etes-vous sûr qu'Apollinaire vit encore, et que Rimbaud ait existé ? pour moi je ne crois pas - Je ne vois guère que Jarry (tout de même que voulez-vous, tout de même... UBU.) - Il me semble certain que Marie Laurencin vit encore : certains symptômes subsistent

p.5

qui autorisent ceci - Est-ce bien certain ? - pourtant je crois que je la déteste - oui - voilà, ce soir je la déteste, que voulez-vous.
Et puis vous me demandez une définition de l'umour - comme cela ! -
“ IL EST DANS L'ESSENCE DES SYMBOLES D'ETRE SYMBOLIQUES ” m'a longtemps semblé digne d'être cela comme étant capable de contenir une foule de choses vivantes : EXEMPLE : vous savez l'horrible vie du réveillematin - c'est un monstre qui m'a toujours épouvanté à cause que le nombre de choses que ses yeux projettent, et la manière dont cet honnête me fixe lorsque je pénètre une chambre - pourquoi donc a-t-il tant d'umour, pourquoi donc ? - Mais voilà : c'est ainsi et non autrement - Il y a beaucoup de formidable UBIQUE aussi dans l'umour - comme vous verrez - Mais ceci n'est naturellement - définitif et l'umour dérive trop d'une sensation pour ne pas être très difficilement exprimable - Je crois que c'est une sensation - J'allais presque dire un SENS - aussi - de l'inutilité théâtrale (et sans joie) de tout
QUAND ON SAIT
Et c'est pourquoi alors les enthousiasmes (d'abord c'est bruyant), des autres sont haïssables - car - n'est-ce pas - nous avons le génie - puisque nous savons l'UMOUR - Et tout - vous n'en aviez d'ailleurs jamais douté ? - nous est permis - Tout ça est bien ennuyeux, d'ailleur. Je joins un bonhomme - et ceci pourrai s'appeler OBCESSION - ou bien - oui - BATAILLE DE LA SOMME ET DU RESTE - oui.
Il m'a suivi longtemps, et m'a contemplé d'innombrables fois dans des trous innommables - Je crois qu'il essaie de me mystifier un peu - J'ai beaucoup d'affection pour lui, entre autres choses.

J. T. H.
Dites bien au peuple polonais que je veux lui écrire - et surtout qu'il ne parte pas comme cela sans laisser d'adresse.

p.6

A MONSIEUR T. FRAENKEL
X. 29. 4. 17.
CHER AMI,
J'ai été content de recevoir de vos nouvelles - Et puis, tout de même - de vous savoir à l'abri - Je m'ennuie beaucoup derrière mon monocle de verre, m'habille de khaki et bat les allemands - La machine à décerveler marche à grand bruit, et j'ai non loin, une étable à TANKS - un animal bien ubique, mais sans joie. J'ai écrit à Reverdy pour NORD-SUD - peut-être n'est-ce pas une mystification - J'adorerai à ce que vous m'envoyassiez des coupures montrant des dessins, et ces sortes de procédés linéaires (*) - J'ose espérer que vous aurez pitié du qui est isolé dans une nation étrangère à guerroyer = et puis ce général Pau qui n'est pas mort encore - tout de même ! tout de même !...

(*) DESSINS. En marge : ma sœur la putain familière. - ma sœur la vache de village. - mon frère le souteneur des grandes villes. - mon frère Zozime le Panopolitain. Au bas de la première page Le moral des troupes est figuré par un animal qui marche à bonne allure, la queue en bataille, une pipe allumée à l'anus. Derrière lui l'amoncellement des pipes cassées.
En attendant une lettre je vous salue en divers démiurges.

J. T. H.
A MONSIEUR A. B.
4. 6. 17.
CHER AMI,
J'espère, dans un passage prochain - (vers le 15 ou 20) à Paris, vous y voir - J'ai écrit dans ce sens au peuple polonais. Au cas où la poste fallacieuse voudrait perdre une lettre - voudrez-vous me répondre si Paris vous contiendra un peu vers ce moment là ?

p.7

Il fait bien brûlant, bien poussiéreux, et suant - mais que voulez-vous, ce doit être exprès - Les files des grands camions automobiles secouent la sècheresse et saupoudrent d'acide le soleil. Comme c'est drôle ! - Apollinaire - tant pis ! - des magazines glacés de girls blondes et les naseaux rasés du cheval-détective sont bien beaux. “ The girl I love (*) is on a magazine cover. ” Tant pis ! tans pis ! - Et puis qu'est-ce que cela fait, puisque c'est comme çà. Tout de même du culot d'obus les lilas blancs qui suent et s'affalent de vieilles voluptés solitaires m'ennuient beaucoup - des fleuristes estivales d'asphalte où des tuyaux d'arrosage pulvérise les endimanchements - Il fait très tiède et des personnes avec des lorgnons discutent de bourse je crois, avec des airs de ménagère. Tout de même encore ces odeurs de vieux melons râclés et d'égoût m'illusionnent bien peu ! Et puis cette jeune putain avec son linge qui pend et son odeur mouillée ! Une mouche ronde et verte nage dans le thé, les ailes à plat - Eh bien tant pis - voilà tout - Well.

* Ici, quelques notes de musique. Well - J'attends de vous une lettre, si vous voulez bien, cependant que le vrombissement banal des avions se gloire de touffes blanches de poudre, et que cet horrible oiseau file tout droit dans l'éblouissant, en pissant un filet de vinaigre.

Votre ami
J. T. H.
P. S. Ci-joint une lettre pour le peuple polonais dont je ne peux décidément pas retrouver l'adresse.
A MONSIEUR T. F.
Je reçois à l'instant votre “ Journal des Praticiens ” dont, collègue cher, j'ai à vous remercier. Tant pis ! Est-ce que tous les collabos de SIC mystifient ensemble M. le Birot ? Ce n'est pas fini, vous savez - et les Allemands nous ont envoyé des boulets encore ce matin, bien qu'à 12 kilos de la ligne - Je serai ennuyé de mourir si jeuneeeeee - Ah puis MERDRE.

p.8

Je m'en vai avoir l'ennui de passer à Paris et de vous voir - car j'espère y votre présence vers le 15 ou 20 de ce mois. Ecrivez, si vous daignez, un mot aussi pour me dire tout cela - et tâchez d'arranger un spectacle à grand effet pour que l'on tue ensemble quelques personnes et que je m'en aille - Ecrivez-le au reçu de ce papier, car les papiers mettent la moyenne de 6-7 jours à m'escalader.
Vous ai-je dit avoir reçu “ LES CAVES... ” et “ LE POETE ” - Apollinaire - c'est quelquefois pourtant encore drôle - Il doit avoir besoin de Phynances tout de même. Gide - Eh bien - Gide - quel bon hasard qu'il n'ait pas vécu le ROMANTIQUE - Quel triste Musset il eut fait je crois - Il est déjà presque froid, n'est-ce pas ? - En tout cas je vous remercie - je ne pouvais plus vraiment lire “ ALLAN MASON-DETECTIV. ” ou bien “ L'AUBERGE DE L'ANGE GARDIEN ” et puis les mauvaises plaisanteries me font fusiller quelquefois.
Pourtant je compte vous voir - j'attend un mot ?

Votre très dévoué
J. T. H.
DESSINS : en haut de la lettre, à gauche : un soldat assis par terre, le corps traversé par une épée, fume la pipe en considérant un éclatement. Le titre est : Souffrance morale ; - à droite un squelette couché sous un monticule planté d'une croix et d'une fleur est gardé par deux sentinelles baïonnette au canon. Titre : Type de Mort pour la Patrie (ACQUIS PAR L'ETAT). - Le même au bas de la page mais dans l'autre sens : Autre type de Mort pour la Patrie (ACQUIS PAR L'ETAT). Plus loin un colonel décharge à bout portant son revolver sur un soldat au garde-à-vous. (A suivre.)

p.9

UN PHILOSOPHE (*)

A l'instar du grand philosophe Diogène
Quoique ne vivant pas dans un tonneau
Je suis comme le Juif-Errant sur la terre
Ne craignant ni la bourrasque ni l'eau,
Trottinant, tout en fumant ma vieille pipe,
Bravant avec fierté la foudre, le tonnerre,
Pour gagner une somme modique
Malgré que la pluie mouille par terre
Je porte sur mon dos et sans réplique
L'annonce du journal indépendant l'Eclair.
HENRI ROUSSEAU.

(*) Poème composé pour le tableau.

p.10

CIRQUE

I
tu fus aussi étoile
l'éléphant sortant de l'affiche
voir un œil énorme d'où les rayons se laissent descendre en courves sur terre
qui ne voit que sous la toile
la force musculaire est grave et lente sous la lumière bleuâtre
nous donne la certitude en certains exemples
la précision des gymnastes parfois des clowns
doit attendre ?
la perspective tordant la forme du corps
c'est émouvant dans ces lueurs
loin d'ici
des mains invisibles qui tortuent les membres
toutes les taches jaunes aux points d'acier s'approchent de quelques centimètres du milieu
du cirque
on attend
ce sont des cordes qui pendent en haut
la musique
c'est le directeur du cirque
la directeur du cirque qui ne veut pas montrer qu'il est
content
il est correct

p.11

II
porte d'entrée
du chocolat vérité noisettes journal
on fait des présomptions de couloirs et de malles sur les inscriptions des portes
tu es inquiet mais moi j'ai confiance
il y a beaucoup de soldats aux regards nouveaux
les couches étroites horizontales de l'air la lumière forte tombe des escaliers
filtration par les grillages des rapports
les éléphants se couchent satellites noirs
est-ce prospectus de l'apparence ? conduis-nous sous le rideau et dans les cabines familières
un doigt inespéré nous touche tout d'un coup

III

ce n'est que le commencement
mon âme un atelier de fleurs en papier de nouveau
je n'ai pas oublié ma mère pourtant
le dernier engagement (si favorable)
elle me pardonnerait je crois
c'est tard
on trouve dans tous les coins des coups déréglés de tambour
si je pouvais chanter seulement
toujours le même toujours quelque part
cette lumière éblouissante les fourmis la transparence
surgissant de la main coupable
je partirai
la madone en bois sculpté est l'affiche la critique
silence opaque coupé par le tic-tac inégal
c'est mon cœur qui allonge la 5e mesure
et la gloire
entrevue
le rideau de velours après la marche finale
avec la plus subite inflexion penses-tu aussi à moi
quatre chiffres sur le mur
avec la dernière inquiétude
pourquoi chercher
et voilà une sonnerie qui ne cessera jamais

p.12

IV

le dompteur connaît
les mœurs des peuples ce qui se passe dans tous les paysages
les bouches des animaux leur salive
toutes les respirations lentes anxieuses haletantes
d'ennui de rage
l'effet des blessures
la manière sûre de les lier
contre la liqueur venimeuse une lumière le bandage d'or et la nourriture
il sait les moyens pratiques de transport
la force mesurée et juste des coups

V

anémie et élégances naphte virements
la bonté me met au cou des sonnettes
hurle
planète de rire liqueur nocturne violente brûlante
lourde noire
fumée montant rapidement en pyramide aiguë crie disque
jardinier de ton silence sur mer
et les vibrations de ta chair amère
accoucher et trafiquer

p.13

VI

- qui connaît la force mesurée et juste des coups
ni trop faibles ni trop forts
mes jambes sont longues et fines
écoulé d'une crevasse du soleil
d'acier
nous sommes des gens honnêtes
organisation de l'ampleur des lampes grasses rebondissantes
dansons crions
je t'aime le train part chaque jour
buvons arc voltaïque

CHANSON DE LA COCOTTE

l'opération dangereuse
tranquillise mes larmes
offre aux choses
des âmes de sœurs
splendeur et finesse
ont rongé mon cœur
je tourne sans cesse
les bras en spirale vers le ciel
il fait froid
écoute ma mère
et pense à moi
maintenant
le dernier arrivé du tropique
fleur équinoxiale phaéton à queue blanche
en auto vers Amsterdam autour d'une table et la soupape du second brouillard
TRISTAN TZARA.

p.14

DÉPÔT DÉMOBILISATEUR

Salle d'attente. Seize opérations.
Record. Une demi-heure en deux heures, et ce costume civil qui me gêne. Un miroir carré affecte lui-même de ne pas me saluer, d'un sourire entendu. Costume civil, vêtu de noir, aurais-je un frère.
A ses vêtements, l'on voit que l'aveugle ne s'est pas regardé dans la glace.

*   *   *

Les autos s'avalent l'une l'autre et chassent les pavés qui se pressent en foule. Je ne vois plus que les pavés. Il y en a sur moi, sur les maisons, sur le ciel, j'en ai un sur la langue, j'en ai dans les yeux. Les bœufs tués gardent dans l'œil la photographie des pavés qu'ils fixaient quand on les assomma.

*   *   *

Je marche devant moi, mais “ au ralenti ” comme au cinéma et j'ai pris un bâton, car cela n'en finit pas. Plus de temps ni d'espace. Pour ne poser mon pied nulle part, il me faudra une éternité. Je marche devant moi, comme font les aveugles.

*   *   *

Je suis seul comme la Tour Eiffel, et ajouré comme elle. “ La Tour ! ” F.L. F.L. F.L. F.L. F.L. A la guerre, les ondes hertziennes m'aimaient, et ma main en couvrait le monde. Seul, seul. Je n'ai jamais été démobilisé, et les passants qui marchent sur mon ombre me font mal.
MAURICE RAYNAL.

p.15

LES ANIMAUX ET LEURS HOMMES

PREFACE

Qu'une force honnête nous revienne.
Quelques poètes, quelques constructeurs qui vécurent jeunes nous l'avaient déjà enseigné. Connaissons ce dont nous sommes capables.
La beauté ou la laideur ne nous paraissent pas nécessaires. Nous nous sommes toujours autrement souciés de la puissance ou de la grâce, de la douceur ou de la brutalité, de la simplicité ou du nombre.
La vanité qui pousse l'homme à déclarer ceci beau ou laid, et à prendre parti, est à la base de l'erreur raffinée de plusieurs époques littéraires, de leur exaltation sentimentale et du désordre qui en résulta.
Essayons, c'est difficile, de rester absolument purs. Nous nous apercevrons alors de tout ce qui nous lie.
Et le langage déplaisant qui suffit aux bavards, langage aussi mort que les couronnes à nos fronts semblables. réduisons-le, transformons-le en un langage charmant, véritable, de commun échange entre nous.
Pour moi, rien ne me semble meilleur signe de cette volonté que ce poème écrit depuis que je songe à cette page d'ouverture :

SALON

Amour des fantaisies permises,
Du soleil,
Des citrons,
Du mimosa léger.
Clarté des moyens employés :
Vitre claire,
Patience
Et vase à transpercer.
Du soleil, des citrons, du mimosa léger
Au fort de la fragilité
Du verre qui contient
Cet or en boules,
Cet or qui roule.

PAUL ELUARD.

p.16

VIE DE JOHN MILLINGTON SYNGE

A M. Maurice Bourgeois.

Les oiseaux s'échappent des arbres, le vent tourne : de tous les côtés à la fois on entend la mer. Les nuages passent sur les villes et délivrent les fumées.
Swift se penche, regarde Sir William Temple s'éloigner et sourit.
Sur la grande place les vieillards parlent aux émigrants assemblés. Les hommes sont pâles. Il va pleuvoir : un émigrant part d'un grand éclat de rire. C'est un trappeur. On le nomme Jacques Vaché.
Quelqu'un marche le fusil en bandoulière. Le chien écoute puisque son maître parle ; le chasseur épaule : un oiseau tombe. Le soleil écrase l'herbe. John Millington Synge s'asseoit sur un rocher et compte les plumes du mort.
L'Irlande :
“ Quiconque a réellement vécu dans l'intimité des paysans irlandais reconnaîtra que les paroles et les idées les plus folles de cette pièce (le Baladin du Monde Occidental) sont à vrai dire bien ternes en comparaison des extravagances que l'on peut entendre dans n'importe quelle petite cabane des collines de Geesala, Carraroe ou de la baie de Dingle (1) ”. (1) Préface du Monde Occidental.

*   *   *

A quelques milles de Dublin, à Newtown Little, le 16 avril 1871, naissait Edmund John Millington Synge. Un an plus tard son père mourait.
Les frères jouaient et John partait dans les montagnes. Il pensait aux collections immenses ; le soir venu il guettait les papillons de nuit. Il n'y a plus personne à la maison : quand on est seul on peut parler tout haut et jouer du piano ou du violon. Au Trinity Collège, John Millington entendait aussi les bruits des ports : un nuage quelquefois est un continent.

p.17

*   *   *

A 23 ans il se croit musicien et part pour l'Allemagne. Il habite Darmstadt et Coblentz où il joue du violon et apprend l'harmonie. Peu à peu il s'aperçoit de son erreur et abandonne ce projet. Il visite Munich et Berlin, fait la connaissance de Ludwig Anzengrüber. Il s'en va.

La rivière de cassis roule, ignorée,
A des vaux étranges ;
La voix de cent corbeaux l'accompagne, vraie
Et bonne voix d'anges,
Avec les grands mouvements des sapinaies
Où plusieurs vents plongent. (1)

(1) Arthur Rimbaud : les Illuminations.

On poursuit les fleuves. Au bord du Rhin il accompagne les colporteurs et couche à la première
ferme rencontrée. Les servantes ne l'oublient pas.
Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une flamme
Ecoutez la chanson lente d'un batelier
Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes
Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu'à leurs pieds (2)

(2) Guillaume Apollinaire : Alcools.

Il pensait à Paris.

*   *   *

A tous les carrefours les passants s'arrêtent ; ils n'attendent rien : la lumière est plus forte. Le jour même de son arrivée il parcourait la ville : il y avait un fleuve plus grand que tous les autres ; le courant entraîne les épaves que l'on ne sait pas quitter des yeux. Il aimait les rues de Belleville et de Montrouge.
Pour écouter les discussions devant le comptoir et regarder jouer à la manille il entrait dans les cafés. Les soirs de printemps il s'asseyait sur un banc des boulevards extérieurs. Quelqu'un parfois remarquait cet “ étudiant tchèque ”.

p.18

Dans la chambre qu'il avait louée à l'hôtel de la rue Corneille il lisait Huysmans, Maeterlinck, Rimbaud. Il traduisait Mallarmé : au contact de la littérature française il prit conscience de sa force.

*   *   *

Ceux qui le connurent nous parlent “ des ténèbres de sa pensée, du brouillard qui pesait sur son intelligence et dont il n'arrivait que péniblement à se dégager ”. Il est vrai qu'il éprouvait une véritable difficulté à orthographier correctement et qu'il lisait pendant des heures, qu'il comprît ou qu'il ne comprît pas.
... Je m'accoude à la table, la lampe éclaire très vivement ces journaux que je suis idiot de relire, ces livres sans intérêt.
A une distance énorme au-dessus de mon salon souterrain, les maisons s'implantent, les brumes s'assemblent. La boue est rouge ou noire. Ville monstrueuse, nuit sans fin !
Moins haut sont des égouts. Aux côtés rien que l'épaisseur du globe. Peut-être les gouffres d'azur, des puits de feu ? C'est peut-être sur ces plans que se rencontrent lunes et comètes, mers et fables.
Aux heures d'amertume, je m'imagine des boules de saphir, de métal. Je suis maître du silence. Pourquoi une apparence de soupirail blémirait-elle au coin de la voûte ? (1)

(1) Arthur Rimbaud : les Illuminations.

Rimbaud fut un “ détraqué ”, Alfred Jarry un ivrogne, Lautréamont un fou et John Millington Synge un idiot ; je l'entends : “ Si je suis un idiot je viens d'entendre aujourd'hui ma propre voix dire des mots qui feraient lever le chignon d'un poète dans une ville de marchands ” (2).

(2) Le Baladin du Monde Occidental. (Acte III).

A la fin de l'année 1897 il partit en Irlande où il vécut au milieu des pâtres et des pêcheurs le long de la côte de Kerny à Mayo et près de Dublin, où il écoutait les chanteurs des rues.

p.19

*   *   *

Il revient à Paris.
On connaît les boutiques : un homme passe que l'on n'abandonne pas et le lendemain c'est un autre. On les entend : qu'ils sont tristes et joyeux. Un autre jour la ville change. Le ciel est toujours la même. D'une fenêtre on voit plus loin : les voitures sont gaies ; les amis parlent de tant de choses. Il faut sortir et la terrasse des cafés les accueille.
Puis sur le conseil de son ami Yeats, il fit un long séjour dans l'île d'Aran. A son retour il écrivit successivement l'Ombre de la Ravine, la Chevauchée à la mer et termina les Noces du Rétameur (1901-1902). En 1903 il écrit la Fontaine aux Saints, pièce en trois actes.
Il s'était retiré dans la vieille maison de Wiclow : “ Je trouvais plus de secours que n'eût pu m'en donner tout le savoir du monde dans une fente du plancher qui me permettait d'entendre ce qui se disait parmi les servantes dans la cuisine (1) ”.

(1) Le Baladin du Monde Occidental. (Préface).

Sur toutes les routes, derrière chaque arbre, des souvenirs le guettent ; les itinéraires éternels et les grandes imaginations enfantines : “ En Irlande, pour quelques années encore, nous avons une imagination populaire magnifique et tendre ; de sorte que ceux d'entre nous qui désirent écrire ont dès leurs débuts une bonne fortune qui n'est point offerte aux écrivains d'endroits où le printemps de la vie locale a été oublié, où la moisson n'est plus qu'un souvenir et où la paille a servi à faire des briques (2) ”.

(2) d°.

*   *   *

Au petit jour, sur les chemins qu'a creusés le vent dans les tourbières, il allait au hasard. Un paysan le suit : ce sont toujours des histoires de brigands. Autrefois. Les sentiers mènent à des clairières d'où l'on entend des rires. Le cœur bat. A la tombée de la nuit une vieille approche et l'on aperçoit les fenêtres éclairées. C'est la lampe qui

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est le but et la table. Les oreilles bourdonnent encore lorsque l'on écrit.
Synge composait à la machine à écrire et qu'il s'agît d'une pièce ou d'un article de journal, jusqu'à ce que chaque adjectif fût à sa place et que chaque phrase eût pris tournure et tombât bien, il reprenait sa rédaction depuis le commencement. Chacune de ses rédactions successives était désignée par une lettre de l'alphabet ; le Baladin du Monde Occidental qui atteignit la lettre K ne subit pas moins de douze remaniements complets, pas moins de onze élaborations successives avant que l'auteur ne s'en trouvât satisfait.
Le 21 janvier 1907, Synge écrivait la préface de The Playboy of the Western World qu'il venait de terminer.

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Cette pièce fut représentée pour la première fois à Dublin, le 20 janvier 1907, au milieu d'un effroyable tumulte. Pendant que le vacarme faisait rage et que les spectateurs tendaient le poing, on entendit Synge, assis dans la salle de l'Abbey-Theatre, s'écrier : “ Il va falloir constituer une société pour la préservation de l'humour irlandais. ” A Londres et en Amérique, le Baladin fut aussi mal accueilli. Au mois de décembre 1913, le théâtre de l'œuvre s'est honoré en donnant The Playboy of the Western World.
“ ... Peut-être n'y a-t-il rien au théâtre de plus réaliste et de plus parfait depuis Molière et Gogol ”, écrivait Guillaume Apollinaire le lendemain de la représentation, “ et c'est à dessein que je les cite car je ne vois personne d'autre avec lequel on oserait comparer l'auteur irlandais. De ce réalisme d'une perfection sans cesse inattendue se dégage une poésie si forte et d'une si rare qualité que je ne m'étonne pas si elle a choqué.
A New-York cette pièce causait des émeutes parmi les Irlandais qui ne voulaient point reconnaître dans ces personnages si singulièrement lyriques des âmes irlandaises et c'étaient des agents de police, presque tous irlandais, qui devaient intervenir pour faciliter la représentation

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d'une pièce qu'ils détestaient autant que faisaient les autres spectateurs, leurs compatriotes. A Paris ce fut de l'indifférence, sauf de la part des poètes qui furent vivement frappés par ce tragique si nouveau ; c'est que les poètes ont toujours plus ou moins tenté de tuer leur père ; mais c'est une chose bien difficile, témoin le Playboy, et voyant la salle le jour de la générale, je me disais : “ Trop de pères, pas assez de fils (1) ”.

(1) Guillaume Apollinaire : Les Soirées de Paris (janvier 1914).

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Après l'échec du Baladin et le scandale de la représentation, Synge, gravement malade, entra à l'hôpital privé Elpis, à Dublin. C'est là qu'il écrivit Deirdre of the sorrows, sa dernière pièce, c'est là qu'il allait mourir le 24 mars 1909.
Le soir entre doucement. Quelqu'un marche dans le couloir. Lorsque la maison s'endort le vent berce le jardin et l'abandonne. Un chien aboie ; chaque chose est à sa place : il n'y a plus qu'à se taire et à dormir. Demain le soleil ouvrira les fenêtres.
La veille de sa mort il détruisit des lettres, brûla des poèmes. Il exprima le désir d'être porté dans une chambre ensoleillée. “ C'est une jolie chambre, dit-il, et déjà je me sens mieux : maintenant je vais apercevoir les montagnes de Dublin ”. Le jour suivant, à cinq heures du matin, il dit à l'infirmière : “ Est-il bien utile de continuer à lutter ? ” et, se tournant du côté du mur, il rendit l'âme.
PHILIPPE SOUPAULT.

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LES SPECTACLES Papin contre Ferrey. - 20 rounds.
C'est une forêt. Le froid coule des lampes : on a refusé du monde. On attend. Le pneu Michelin boit l'obstacle. On suit la fumée des yeux : les lampes à arc. Un cri flotte comme un drapeau ; tout est fini maintenant, les heures sont les minutes. Il n'y a plus que les odeurs qui comptent : odeur de sueur et de tabac mouillé. Très loin, à l'horizon, des coups de poing jaillissent et des hommes dansent et dansent. Des cris passent. Byrrh, Byrrh. Des chiffres passent. Toujours et jamais. Il ne faut plus regarder au hasard. Un parfum bon marché nous guette à la sortie. Il est midi ou minuit. C'est un coup de revolver que l'on vient d'entendre.

Les Mamelles de Tirésias (Acte I). - Guillaume Apollinaire. - Théâtre National de l'Odéon.

Les portes claquent ; le rideau se lève : 1930 ou 1880, à Paris ou à Zanzibar, c'est-à-dire partout.
On ne peut se souvenir des pièces que l'on voyait aux Champs-Elysées ou au théâtre du Châtelet, mais on ne peut oublier ces rires qui nous secouaient, il y a vingt ans et hier encore, à la représentation des Mamelles de Tirésias.
Nous nous moquons de tout : là-bas, dans la rue que nous venons de quitter, on pensait, on écoutait. Ici l'on n'entend plus rien : on rit de si bon cœur. Quelquefois on aperçoit le sourire inoubliable de Guillaume Apollinaire. P. S.

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C'est avec une peine profonde - nous n'oublierons pas le charme de son accueil et les occasions qu'elle nous donna de rendre grâce à sa parfaite obligeance - que nous apprenons la mort de Mme Geneviève Bonniot, fille de Stéphane Mallarmé, dont la vie fut tendrement dévouée à la mémoire du maître.
Que Monsieur le Dr Bonniot veuille bien trouver ici l'expression de nos respectueuses condoléances.

PALETS
Irène Lagut

UN VRAI PETIT DIABLE : DICTEE
C'est le mois dernier qu'elle a atteint l'âge de raison. Il faut travailler d'après nature, affirment les parents. Elle voulut choisir elle-même le chapeau de paille destiné à la garder des insolations. Seule en face du gros arbre, laid à faire peur, elle trouve plus amusant de dessiner de mémoire, au verso de son Billet d'Honneur, les clowns qu'elle vit jeudi dernier, en récompense d'une semaine d'application. Mademoiselle Personne ne sera pas contente. C'est une vieille voisine qui, à ses heures perdues, enseigne les arts d'agrément. Si vous étiez à sa place quelle punition infligeriez-vous à une espiègle pareille ? ” Un point, c'est tout. RAYMOND RADIGUET.

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Matinée Paul-Claude L.
L'eau bout pour moi, pour moi pour cette fête. Le feu s'éteint ; quand l'eau sera froide elle ira rejoindre un des nombreux asiles liquides.
Je suis dans une maison où toutes les paroles prononcées donnent à ceux qui les écoutent l'illusion d'être enfermés et persécutés.
Je devrais connaître ce robuste paysan, l'auteur, au profil de caoutchouc, et ce petit anonyme, un grand poète. Inconnu. Quelle délicieuse condition ! En réalité, je n'ignore rien. Dans la grande famille des animaux, on ne peut se tromper, les prénoms ont un sens. Le chien dit au chien : “ Chien, passe devant ”, le perroquet au perroquet : “ Perroquet, perroquet, gratte ma tête ”, etc...
Mais parmi nous, il faut être André, Paul, Jean ou Pierre ou même Tristan en même temps que A. B. C. D. E... Z. Raffinement. Se contempler des pieds à la tête, puis prénom préféré et nom proférés (n'abandonnez pas vos amis), signer.
Montrer la même signature trois cents pages durant, fruit incapable de se former, de mûrir ou de pourrir, ce schéma de chromo avec le même point, la même rotule, cette béquille et cette flèche à propos (Amour ? c'est moi) pour toujours annoncer le produit officiellement consommé. Qui a parlé parlera. Mais tous ces gens sont fatigués. “ N'abandonnez pas vos amis. ” Sur la scène, l'auteur, né côté jardin, meurt côté cour et les acteurs immobiles, rangés au fond, se passant l'un à l'autre un regard et un applaudissement, suivent l'enterrement.
L'HOMME AUX 3 DENTS

Le Gérant : PHILIPPE SOUPAULT.
Paris. - Imprimerie Chatelain.