MÉLUSINE

titre de la revue Littérature

Littérature n° 15, juillet-août 1920

SOMMAIRE  
Paul Eluard Exemples
Louis Aragon Système Dd.
Max Jacob Poèmes en prose.
Pierre Drieu la Rochelle Extraits de la presse.
Jean Paulhan Si les mots sont des signes (suite).



AU SANS PAREIL, 37, Avenue Kléber, Paris (16e)

DERNIERES PUBLICATIONS

MARCEL WILLARD

TOUR D'HORIZON

avec 5 dessins en hors texte de Raoul Dufy, tirés à la presse à bras par A. Jourde

Un volume in-16 jésus, tiré à 353 exemplaires, dont 5 sur Japon ancien (épuisés) ; 23 sur Hollande (il reste quelques exemplaires : 30 fr.) ; 325 sur vergé d'Arches (15 francs).

ANDRÉ BRETON ET PHILIPPE SOUPAULT

LES CHAMPS MAGNÉTIQUES

Première édition in-16 jésus, avec le portrait des auteurs par Francis Picabia, tirée à 180 exemplaires, dont 5 sur Chine (40 francs) ; 25 sur Hollande (30 francs) ; 150 sur vergé d'Arches (12 fr. 50).

Deuxième édition sur vergé bouffant .... 5 francs

ISIDORE DUCASSE

(comte de Lautréamont)

POÉSIES

avec une préface de Ph. Soupault

Un volume in-16 écu, tiré à 600 exemplaires dont 10 sur Chine (25 fr.) ; 30 sur Hollande (20 fr.) ; 50 sur Arches (10 fr.).

500 sur vélin d'alfa .... 5 francs

PAUL MORAND

FEUILLES DE TEMPÉRATURE

Première édition in-16 jésus, tirée à 180 exemplaires dont 10 sur Japon (40 fr.) ; 20 sur Hollande (30 fr.) ; 50 sur vergé à la forme (15 fr.).

Deuxième édition sur vergé bouffant .... 5 francs

L'EFFORT MODERNE

LÉONCE ROSENBERG

19, rue de la Baume, PARIS

OEUVRES PAR :

LES MAITRES DU CUBISME

GEORGES BRAQUE, JUAN GRIS, AUGUSTE HERBIN, HENRI LAURENS, JEAN METZINGER, PABLO PICASSO, GINO SÉVÉRINI.

Du 3 mai au 1er juillet inclus de 10 à 12 heures et de 14 à 17 heures (Dimanches et fêtes exceptés)

2e ANNÉE : N° 15

REVUE MENSUELLE

Juillet août 1920

LITTÉRATURE

15 PAUL ELUARD EXEMPLES.

LOUIS ARAGON SYSTEME DD.

MAX JACOB POEMES EN PROSE.

PIERRE DRIEU LA ROCHELLE EXTRAITS DE LA PRESSE.

JEAN PAULHAN SI LES MOTS SONT DES SIGNES. (Suite)

CHRONIQUE

par TRISTAN TZARA, LOUIS ARAGON, BENJAMIN PÉRET, PHILIPPE SOUPAULT, PAUL ELUARD.

DEUX FRANCS

DIRECTEURS

Louis ARAGON, André BRETON, Philippe SOUPAULT.

Rédaction : 41, Quai Bourbon, Paris (4e).

Administration : AU SANS PAREIL, 37, avenue Kléber, (16e).

PRIX DU NUMÉRO :

France : 2 francs ; - Etranger : 2 fr. 50.

ABONNEMENTS

Pour 12 numéros : 20 fr. pour la France ; 25 fr. pour l'Etranger.

Il est tiré à part 10 exemplaires sur Hollande Van Gelder dont l'abonnement est de 60 fr. pour la France ; 80 fr. pour l'Etranger.

(La première année de LITTÉRATURE (12 numéros) : 20 fr.)

AU SANS PAREIL, 37, Avenue Kléber, Paris (16e)

DERNIERES PUBLICATIONS

ANDRÉ BRETON ET PHILIPPE SOUPAULT

LES CHAMPS MAGNÉTIQUES

Un volume in-16 jésus, tiré à 180 exemplaires,

dont 5 sur Chine (souscrits) ; 20 sur Hollande (30 fr.) ;

150 sur vergé d'Arches (15 fr.)

2e édition sur vergé bouffant.... 6 fr.

ISIDORE DUCASSE (comte de LAUTRÉAMONT)

POÉSIES

avec une préface de PHILIPPE SOUPAULT.

Un vol. in-16 écu tiré à 590 exemplaires,

dont 10 sur Chine (25 fr.) ; 30 sur Hollande (20 fr.) ;

50 sur Arches (10 fr.) ; 500 sur vélin d'alfa (5 fr.)

Il a été tiré de ce numéro 10 exemplaires sur Hollande Van Gelder

P. 1

EXEMPLES

DORMEUR

L'OMBRE DU COEUR VERS LE MATIN,

EN HATE,

AU REPOS.

RIEN N'ENVELOPPE EN SON SOMMEIL

CE COEUR PLUS GONFLÉ QUE LES VITRES.

OMBRE, NUIT ET SOMMEIL.

UN COEUR SE DÉBARRASSE

DE TOUT CE QU'IL IGNORE.

ROUES

ROUES DES ROUTES,

ROUES FIL A FIL DÉLIÉES,

USÉES.

CANTIQUE

L'ENFANT REGARDE LA NUIT DE HAUT,

(NE CROYEZ PAS AUX AVIONS, AUX OISEAUX, IL EST PLUS HAUT).

SI L'ENFANT MEURT, LA NUIT PRENDRA SA PLACE.

P. 2

QUATRE GOSSES

LE GOURMAND DÉPOUILLÉ,

GONFLANT SES JOUES,

AVALANT UNE FLEUR,

ODORANTE PEAU INTÉRIEURE.

ENFANT SAGE,

SIFFLET,

BOUCHE FORCÉMENT ROSE,

BOUCHE LÉGERE SOUS LA TETE LOURDE,

UN A DIX, DIX A UN.

L'ORPHELIN,

LE SEIN QUI LE NOURRIT ENVELOPPÉ DE NOIR

NE LE LAVERA PAS.

SALE

COMME UNE FORET DE NUIT D'HIVER.

MORT,

LES BELLES DENTS, MAIS LES BEAUX YEUX IMMOBILES,

FIXES !

QUELLE MOUCHE DE SA VIE

EST LA MERE DES MOUCHES DE SA MORT ?

AUTRES GOSSES

CONFIDENCE :

“ PETIT ENFANT DE MES CINQ SENS ET DE MA DOUCEUR. ”

BERÇONS LES AMOURS,

NOUS AURONS DES ENFANTS SAGES.

BIEN ACCOMPAGNÉS

NOUS NE CRAINDRONS PLUS RIEN SUR TERRE,

BONHEUR, FÉLICITÉ, PRUDENCE,

LES AMOURS

ET CE BOND D'AGE EN AGE,

DU RANG D'ENFANT A CELUI DE VIEILLARD,

NE NOUS RÉDUIRA PAS

(CONFIDENCE).

P. 3

L'ART DE LA DANSE

VITRES BLEUES, HERBES, LA PLUIE, DANSEUSE,

LA DANSEUSE IMITAIT LES DANSEUSES,

IMAGES PLUSIEURS FOIS DÉCOUPÉES.

LE CAOUTCHOUC TENDU, LE PARAPLUIE OUVERT,

LES PIEDS MOUILLÉS, LES CHEVEUX FRISÉS,

ELLE EST PARTOUT,

ELLE VOYAGE POUR NE PLUS VOYAGER,

ELLE DANSE DE TOUS LES COTÉS,

DANS LES MAINS DE L'AVEUGLE,

DANS LE MIROIR-GIGOGNE,

AU-COEUR-AU-COEUR

ET DANS LA TERRE DE SA DANSE,

MAGIE-MAGIE-MAGIE.

SEDUCTION

LE COEUR EST UNE IMAGE,

LE COEUR EST UN MOYEN.

“ ... A L'ALLURE DISTINGUÉE. ”

ET REPRENONS :

FILLE AIMABLE,

ECARQUILLANT LES DOIGTS,

TU ATTENDAIS.

LE BAISER S'EST POSÉ LA,

UN BON BAISER SATISFAIT,

DE HAUTE ANTIQUITÉ

MÉLANGE DE SERPENTS.

“ ... A L'ALLURE DISTINGUÉE. ”

S'EN VA.

P. 4

L'ART DE LA DANSE

LA PLUIE FRAGILE, SOUTIEN DES TUILES

EN ÉQUILIBRE. ELLE, LA DANSEUSE,

NE PARVIENDRA JAMAIS

A TOMBER, A SAUTER

COMME LA PLUIE.

OUVRIER

VOIR DES PLANCHES DANS LES ARBRES,

DES CHEMINS DANS LES MONTAGNES,

AU BEL AGE, A L'AGE DE FORCE,

TISSER DU FER ET PÉTRIR DE LA PIERRE,

EMBELLIR LA NATURE,

LA NATURE SANS SA PARURE,

TRAVAILLER.

SÉDUIRE

L'ADORATION DES REGARDS

SÉDUIT LES YEUX QUI VOIENT MAL CE QU'ILS VOIENT.

ROUGISSANTE,

LES YEUX AURONT DU PLAISIR SUR SES JOUES

ET QU'ILS EN PRENNENT POUR TOUJOURS.

QUI LA VOIT VIERGE ET LA SAIT VIERGE,

VIERGE EN SATIN,

CONNAIT AUSSI, SOUS SES PAUPIERES COURONNÉES,

LA JOIE VEILLEUSE.

CAR LA HONTE, TOUJOURS AVOIR HONTE,

NON,

MAIS OUVRIR UNE MAISON

ET MONTRER SON BON VISAGE,

CELUI-LA.

P. 5

FETES

LA VALSE EST JOLIE,

LES GRANDS ÉLANS DU COEUR LE SONT AUSSI.

RUES,

UNE ROUE VALSAIT ÉPERDUMENT.

DES ROUES, DES ROBES, DES CHAPEAUX, DES ROSES.

ARROSÉE,

LA PLANTE SERA PRETE POUR LA FETE A SOUHAITER.

LE COEUR

LE COEUR A CE QU'ELLE CHANTE,

ELLE FAIT FONDRE LA NEIGE,

LA NOURRICE DES OISEAUX.

PAUL ELUARD.

Retour au sommaire


P. 6

Système Dd.

(Introduction à une morale momentanée)

La pensée de la destruction bien sentie, bien méditée devrait dans un seul jour changer l'univers en monastère ou en tombeau. Quand donc rougira-t-on de jouer la vie ? Les farces les plus courtes sont les meilleures. Voilà bien longtemps que cela dure, l'homme, les oiseaux et le reste. Vous qui dormez dans les villes, ces vastes hospices aux cabanons numérotés, desquels les cimetières sont les jardins les plus frais, vous ne valez pas moins que les campagnards assis sur leurs fumiers, idées croupissantes, oignons de sottise ou pourriture d'intelligence.

L'oeuvre de Dieu est belle, elle est chose d'enivrement. Qu'importe de mourir un jour puisque nous l'aurons aperçue, avec ses ravissantes palmeraies, ses montagnes, ses vallées, la mélancolie, les petits bateaux, deux et deux font quatre, le merveilleux équilibre qui prouve l'existence du Créateur, les joies de l'enfance, de la jeunesse, de l'âge mûr, de la vieillesse, la folie, la sagesse, Paris capitale de la France, les exemples touchants de la piété filiale, de l'amour pur, du doux renoncement de soi-même ! Le bonheur du jour est un bonheur sans mélange.

La liberté par le suicide ou par l'évasion, on revient toujours à ce point de l'histoire. Mais que sait-on de ces moyens de transport ? J'ai lu de belles pages sur ces sujets : édredons rouges, verres de vin. Vous ne me ferez pas croire que le propriétaire soit assez bête pour avoir laissé la clef sur la porte : un coup de revolver, on n'est pas quitte à si bon prix. Où prend-on que les condamnés à vie doivent se tuer ? Les bagnes seraient vides.

P. 7

Où me mènes-tu, pensée ? disait le vieil imbécile. - Au bout de ton nez, répondit la petite godiche. - Il y a des gens sur la terre, c'est comme des poux. Quand vous aurez fini de faire des enfants, vous me le direz. Après quoi, vous n'aurez plus qu'à recommencer. L'innocence des nouveaux-nés, c'est encore une curieuse invention : nous sommes tous des nouveaux-nés, des innocents, je veux dire des coupables. Le bon sens, la logique, Mesdames et Messieurs, quel coupe-gorge ! On est volé comme dans un bois.

Ce petit discours commençant à vous ennuyer, comme la vie me fait, cherchons ensemble le moyen de sortir de ce traquenard. Pareil au camelot qui vous offre des cartes postales, puis d'une voix discrète : Voulez-vous des photographies, Monsieur ? Après ces préambules honnêtes, je vous propose à l'oreille un système qui n'a pas la garantie du gouvernement, un système tout nouveau, tout chaud, tout beau, avec une plaque sur laquelle on lit : Ne fermez pas la porte, un système, enfin, un système, un système :

UN système.

Le système Dd : nuit, cataracte, vis a tergo des minutes et des pensées, horloge, ballottage des sentiments, domaine désertique aux pavés oolithiques (oeufs d'hommes et crânes d'autruches), anneau brisé de la raison, chaîne de montre !

Le système Dd : jeu du miroir blanc sur le miroir noir, jeu du miroir blanc sur le miroir plan, jeu du miroir plan sur le miroir convexe, jeu du miroir convexe sur le miroir concave, jeu.

Le système Dd se propose :

de résoudre tous les problèmes en moins de temps qu'il ne faut pour le dire ;

de poser tous les problèmes en moins de temps qu'il ne faut pour penser ;

de passer le temps au crible, de brouiller les cartes, de casser la tête du pauvre monde ;

de dormir debout, d'éclairer la nuit, d'obscurcir le jour, de faire rouler vos bonnes billes de loto d'yeux ;

de gagner ou de perdre à tous les coups aux jeux d'adresse et de hasard, passe-boules, quilles, couteaux, roulettes, petits chevaux, rhétoriques, politiques, poésies, religions, amours, bridge aux enchères ;

P. 8

de décrocher le soleil, d'éteindre les enthousiasmes aux petits ventres rebondis ;

de casser vos logiques si essentiellement logiques, de faire des ronds dans l'eau, des carrés dans l'air, ni carrés ni ronds, ni dans l'air ni dans l'eau.

Le système Dd se propose : de faire ceci, cela, le contraire, ni ceci, ni cela, ni le contraire, de ne rien faire, de tout faire, et de vous faire taire et mourir un peu.

Le système Dd a deux lettres, a deux faces, a deux dos, admet toutes les contradictions, n'admet pas la contradiction, est sans contredit la contradiction même, la vie, la mort, la mort, la vie, la vie, la vie, avis aux amateurs.

Les gens qui nous aperçoivent tout à coup dans la lumière demeurent saisis : vous courez à la mort ; la vie ne doit pas, pour vous être drôle tous les jours ; comme vous devez être malheureux, où tout cela vous conduira-t-il ? Il n'y a pas de société possible dans ces conditions, vous voulez la fin du monde : vous n'y pensez pas ; c'est une manière de parler ; mais alors vous êtes anarchiste ? Ah Maman, Maman, Maman, le Monsieur est anarchiste !

Vous croyez vous cacher en mettant vos mains devant vos yeux. Vous espérez rendre tout simple, tout heureux grâce à quelques lâchetés anodines. Braves gens, ne vend pas son âme au diable qui veut. Comment pouvez-vous venir aux spectacles avec, dans le coeur, tant de rats musqués, d'écureuils et autres rongeurs épouvantables, maladies, banqueroutes, adultères, trahisons, rhumes de cerveau ? Vous venez ici chercher l'oubli aux yeux vides comme ceux des statues. Je vous verse la liqueur déception et je me moque de vous parce que l'ennui, l'impatience, l'indignation, le mépris, le rire faux comme vos bretelles, sont tout ce que vous trouvez à dire. Il n'y a pas que moi qui soit laid, bête, sale, prétentieux, nul, nul : vous tous et moi faisons la paire. Le joli couple ! Ne me criez pas que je m'égare : quand je vous contemple, j'en reviens toujours à mes moutons galeux.

Le système Dd vous fait libre : brisez tout, visages camards. Vous êtes les maîtres de tout ce que vous casserez. On a fait des lois, des morales, des esthétiques pour vous donner le respect des choses fragiles. Ce qui est fragile est à casser. Eprouvez votre force une fois ; après cela, je vous défie bien de

P. 9

ne pas continuer. Ce que vous ne pourrez pas casser vous cassera, sera votre maître. Cassez les idées sacrées, tout ce qui fait monter les larmes aux yeux, cassez, cassez, je vous livre pour rien cet opium plus puissant que toutes les drogues : cassez. Portez partout vos doigts douteux. Le doute est le puit le plus noir, le plus profond qui s'offre à vous : y tomber, c'est faire une chute sans fin qui vous procurera pour l'éternité la charmante sensation de la descente en ascenseur.

Doute du doute : vous pourrez toujours retourner vos ongles ensanglantés contre les idées les plus puériles. Jamais vous n'arriverez à douter de rien, ni à casser quoi que ce soit. Vous êtes immobiles, vous croyez bouger. Faiblesse ou force, tout n'est que chanson. Le vent qui danse sur les neiges des montagnes se moque pas mal de vos petites explosions d'appartement. A une certaine échelle, il n'y a plus d'imbéciles, il n'y a plus que des imbéciles. Il n'y a pas de raison pour toujours regarder le monde par le petit bout de la lorgnette.

Le premier D de mon système était le doute, le second D sera la foi.

Je crois en moi, en toi, en soi, en tous les autres.

Je crois aux miracles, aux occasions, aux sciences occultes, à la Science, au savon, à la générosité du coeur, au dévouement social.

Je crois le ciel bleu, les arbres verts, le drapeau tricolore, le drapeau rouge, la terre ronde comme une boule, la jeunesse jeune, la vieillesse vieille. Je crois, je crois au doute, je doute de ma foi. Je doute de croire à mon doute. Ce que je crois, je le crois.

Ce qui a été, ce qui sera ne peuvent empêcher ce qui est d'être. Ce que j'ai dit, ce que je dirai ne peuvent m'empêcher de dire ce que je dis. Janus blanc et noir, le système Dd sera l'école de la sincérité. Un ancien Ministre de la République, Commandeur de la Légion d'Honneur et membre de plusieurs sociétés savantes, lequel subvient de ses deniers à la propagande du mouvement DADA, me disait l'autre jour : "De toute ma carrière je n'ai rencontré qu'un homme sincère : le banquier Rochette." Sincèrement, là, entre nous, êtes-vous sincère ?

Point de mire plus variable que le vent des girouettes où le chasseur tourne avec son gibier d'est indifféremment vers les

P. 10

deux pôles, aube ou crépuscule on ne sait plus, soleil tout de même, fleur d'or des gosiers, canari déplumé, cri du coeur, la sincérité est la monnaie courante de l'air. On agite vainement à mes yeux le drapeau signal de l'opinion publique : admiration, mépris, indifférence, tout m'est souverainement égal. Seul, au milieu du vaste monde, ce petit univers de votre imagination, je vous regarde en face, sans rien vouloir, sans rien chercher en vous, même pas ce grain de sottise qui grelotte dans vos orbites, et je ris comme un champ de blé (1).

(1) Extrait des Aventures de Télémaque (roman à paraître).

LOUIS ARAGON.

Retour au sommaire


P. 11

POEME

  • Il y un dièze plus haut que la mer.

  • Vous faites des bulles de savon ?

  • Non ! je jouai de la flûte.

  • Avez-vous vu des esprits, le diable ou quelque créature de myopes ?

  • J'ai cru une nuit que je voyais le diable, mais c'étaient les voitures d'un vidangeur. Une autre fois, c'étaient les grandes lettres qui formaient la manchette d'un journal.

  • Je vous donnerai un miroir encadré dans des perles fines du plus bel orient avec le reposoir de la main en corail et perles.

  • J'exécute le dièze. C'est apocryphe et affreux.

A jamais pour toujours.

Je quitte mes amours.

Missolonghi.

PARTIE DE CANOT

Celui qui a inventé l'aéro passait des jours sans se laver, sans se lever, il passait la vie la poitrine hors du sort de sa cabane et quand il allait s'élever, se lever, se laver, on frappait à la porte de l'enceinte et il faisait un geste de dépit. C'est pourquoi il a inventé l'aéro. Nous voici invités à une partie aéronautique : c'est le Golfe, j'ai peur ; rassurez-vous, mon ami, voici un fauteuil d'osier à oscillations constantes pour vous exercer au mal de mer. C'est bien cela ! Les avions partent comme des rayons de soleil et sur une seule barque aérienne, nous sommes une dizaine de familles. J'avoue que je n'ai pas de crainte, bien que mon pantalon prenne quelquefois le frais au postérieur. Le Pilote crie : “ Petit, prends ton “ starf ” et écris “ chocolat ” sur la voile ”. Le starf est un grand bâton qui sert à tout dans l'aviation, même de porte plume pour les vastes surfaces. Nous atterrîmes à une auberge où je crus devoir m'extasier au sujet du sport nouveau, mais l'aubergiste déclara que de trop haut, il n'y a plus de paysage et que de trop bas, il y avait trop de danger. Je me souviens pourtant des perspectives nouvelles. La ceinture de sauvetage pour aviateurs, c'est la perspective d'en haut. Je ne sais pas si je me fais comprendre.

MAX JACOB.

Retour au sommaire


P. 12

Extraits de la presse

  • Le CASINO DU LAC TCHAD vient d'être terminé.

  • L'élan des spermatozoïdes est brisé par de puissants tourbillons. De nouvelles polarisations enferment chaque sexe dans son propre cercle. La population terrestre diminue de un million d'âmes par lustre.

  • Mangez de la POUDRE D'ÉTOILES. Vous serez poëte.

  • Les jeux olympiques, cette année, ont été sanglants. Les Javanais ont battu les 60 peuples de la planète. Au cours du match de rugby, deux joueurs moururent d'une explosion de coeur. Il en résulta une mêlée des spectateurs qui se cassèrent et se déchirèrent.

  • Le bar le plus frais dans la saison chaude est l'Anglo-Indian sur le Gaurisankar.

  • Grâce aux soins contraires de la Société Protectrice des Animaux et du Club des Nemrods Marins, les mers sont pleines de baleines. Chassez-les dans vos canots automobiles avec l'Epieu-grenade “ Walhalla ”.

  • J'aime faire des enfants, nous répondit entre autres le poète Pancrace. J'ai déjà rencontré trois femmes qui ont bien voulu collaborer avec moi. La dernière était une Norvégienne. Elle vient d'accoucher au "Gynécée du Lac Titicaca". Par malheur, c'est raté, car l'enfant est mulâtre. Sa mère m'a téléphoné au Trocadéro qu'elle regrettait de me décevoir ainsi et qu'elle espérait bien me retrouver. Au reste, elle ne se rappelle pas avoir parlé à aucun nègre. Des signes l'avertirent au cours d'une partie de tennis. Elle voulut que le chirurgien son partenaire opérât sur le champ. Elle fut donc délivrée sur une litière (...)

P. 13

  • (...) de filets et de chandails. Le bébé aurait attrapé un coup de soleil s'il n'avait été héréditairement habitué aux violences caniculaires.

  • Par les nuits d'été allez-vous promener aux pôles dans les avions de la Compagnie ZENITH. Nouveau chauffage électrique.

  • Par suite de la diminution de la main-d'oeuvre, on a dû augmenter la durée du travail dans le monde de vingt-cinq minutes. Une immense campagne a été entreprise dans toutes les écoles en faveur d'un puissant recrutement dans les limbes. Une fillette revenait de la classe, émerveillée des coïts magnifiques filmés au Collège des Athlètes, qu'on avait tournés devant elle au ralentisseur. Jeanne d'Ocre et Louis d'Aragon le boxeur ont publié leurs amours pour illustrer cette campagne. Le séjour des femmes-mères dans les palais dure maintenant douze mois.

  • Allez chasser dans les FORETS DE FRANCE, la contrée la plus sauvage d'Europe. Ruines, souvenirs des guerres et révolutions.

  • Le dimanche, la ville est abandonnée. Les Ligues d'Athlètes se dirigent vers les Stades sur leurs grands chars électriques. Les familles s'avancent en chantant leurs rudes hymnes parmi les gongs et les sirènes.

Mais dans les bas quartiers, la foule des pédérastes, des lesbiennes et des hermaphrodites se rue au Park de la Lune. Ce sont d'abord des pantomimes où le vice et la sentimentalité s'embrouillent. Puis, les bandes se répandent çà et là. Les uns se pressent à l'Usine des Emois où toutes sortes d'appareils les saisissent, les brandissent, les balancent, les font rouler, virer, tournebouler et les rejettent. Les autres commencent les danses.

Enfin on vient au souper : piments, fruits grotesques, glaces. Tout cela se termine par les inversions et la stupeur des drogues.

  • A Panama, dans la capitale de la Planète, on a représenté une allégorie historique : l'Age du Charbon.

Une usine à vapeur avait été reconstituée. On évoque un instant cette grandeur tourmentée qui navra les gens du XIXe siècle et où se complurent ceux du siècle suivant.

P. 14

Nous avons revu les colonnes rouges. On consacrait un culte cruellement neuf dans ce temple aux portiques brûlés aux frontons en déroute dans le ciel.

Une foule souillée s'agitait dans la prison de verre sale. Les crassiers engorgeaient l'horizon. Les masses du charbon se pailletaient de vains éclats.

L'effort rompu des machines nous a étreint le coeur.

Parfois au milieu de notre silence tout-puissant, nous regrettons ces temps de noble misère et d'effort démesuré, quand nos ancêtres s'acharnaient à retenir un peu du souffle chaud parmi les échappements sifflants.

  • Prenez les avions trolleys GRANDE CEINTURE si vous voulez faire le tour de la terre en moins de dix jours (prise de courant sur l'Equateur).

Pierre DRIEU LA ROCHELLE.

Retour au sommaire


P. 15

Si les mots sont des signes ou Jacob Cow le Pirate

(Suite)

Or, tous trois cependant se devaient entendre sous le mot “ lecteur ”. A quoi tient la démonstration : elle ne reçoit sa valeur et son sens propre qu'à la condition de paraître dire d'abord un peu plus qu'elle ne tient.

Nous penserons : “ L'on a voulu se jouer de nous ”, tout sera dit.

Elle ne serait pas réclame, si chacun pouvait facilement se débarrasser d'elle. A l'observer sans malveillance, l'on éprouvera sa vertu : elle est que notre première erreur, pour une part, nous compromette, et plus loin nous engage à faire que n'importe quel lecteur (et celui par exemple dont nous disposons : nous-même) obtienne pour rien... Ainsi nous invite-t-elle à la faire vraie.

Tout se passe comme s'il nous était peu naturel d'admettre, sous le mot unique de lecteur, quelques réalités, et précisément de tenir ce mot pour un signe.

III. RUSE DE MARC-AURELE

Je me suis souvent demandé avec étonnement,

écrit Marc-Aurèle,

pourquoi chacun de nous s'aime plus que tous les autres, et attache cependant moins de prix à son propre jugement sur soi-même qu'à celui des autres. Il est certain que si un Dieu ou un maître sage

P. 16

venait nous ordonner de ne jamais rien concevoir, ni rien penser en nous-mêmes sans aussi-tôt l'exprimer au dehors, le crier même, nous ne le supporterions pas un seul jour. Il est donc vrai que nous appréhendons l'opinion du voisin sur nous-mêmes plus que la nôtre.

L'on éprouve du raisonnement le passage, et l'endroit difficile. Il faut admettre, ou le reste s'effondre, que c'est sur la même pensée que les autres se prononcent, et nous - et donc que cette pensée se peut, à volonté, porter du dedans au dehors, ou l'inverse : les mots ne marquent pas sur elle, ces mots sont comme s'ils n'étaient pas.

(Je suppose qu'une idée aussi aiguë, et à chaque instant menacée, faisait le souci de Marc-Aurèle. Seulement il la voulait faire passer en proposant à l'attention un paradoxe plaisant.)

Les jugements communs sur le mensonge ou la sincérité supposent le même fond : c'est à savoir que l'on parle sa pensée directement, sans intermédiaires, plutôt que de parler ses mots (dont l'enchaînement et les jeux peuvent suivre des lois différentes, donner trois cents combinaisons inattendues.)

Il vient de là quelques sentiments : celui, entr'autres, de la duplicité du menteur qui dans le même moment, suppose la morale, pense le vrai et dit le faux - (mais il suffit d'une légère habitude du mensonge, pour reconnaître ici une illusion misérable). Et tous autres jugements dûs, comme il arrivait pour la réclame du sucre, à ce que nous nous conduisons avec les mots comme s'ils étaient les choses mêmes.

IV. RAISON DE LA RIME.

Agrys, lorsqu'il a suivi depuis les Romains les aventures d'un mot, parle fièrement de son sens véritable : la religion, dit-il, est lien des citoyens, puisque religio... (il espère ainsi mieux connaître la chose dans le même temps que le mot).

P. 17

Mais qu'est-il besoin d'aller chercher Agrys. Myre dit : “ On a bien raison de les appeler des protestants, ils protestent tout le temps ” et Béril : “ Savez-vous pourquoi je ne peux pas souffrir les menuisiers ? C'est parce qu'ils me nuisent ”. Répondra-t-on que Béril veut rire, je ne suis pas sûr qu'Agrys parle sérieusement. Toute la science du monde quel droit peut-elle ici fonder ? Tel mot a changé de sens, c'était pour échapper à sa première erreur ou confusion (ainsi ne trait-on plus une image, les cheveux, les yeux de la tête, mais le lait seul) ; tel autre, ç'a été à la faveur d'une confusion nouvelle, d'un jeu de mots : en sorte que l'étymologie exacte nous va renseigner sur son sens moins exactement que ne fait l'étymologie supposée (legs, de la sorte, ne reçoit pas sa signification de laisser, dont il sort, mais de léguer, qu'il imite).

Il reste que cette éymologie, où elle use de mots épuisés, court peu le risque d'être prise en défaut : nul de ces mots que l'on puisse retrouver, l'instant d'après, muni d'un sens trop différent (comme il arrive pour le calembour) - Mais ceci est déjà question de mesure, et de réussite : et précisément de la réussite de cette conviction, de ce souhait - dont relèvent pareillement l'analyse du grammairien, les jeux de mots divins de la Pythie - que les pensées et les mots sont confondus au point qu'il n'est pas un fragment de mot qui ne conserve, en toute aventure, SON fragment de pensée.

L'on parle volontiers du charme de la rime : faute, peut-être, de raisons. Il ne nous surprendra pas, il entre dans la ligne exacte de nos remarques, que la tâche de cette rime soit de fonder, pour un moment, une prétention des sons voisins aux pensées voisines - et flatter par là notre souci d'un langage parfait. On ne lui ferait point reproche, à l'occasion, de nuire au sens, si l'on n'avait compté qu'elle le favoriserait. L'on n'aurait pas cette déception, si l'on n'avait eu cet espoir.

(A suivre)

JEAN PAULHAN.

Retour au sommaire


P. 18

CHRONIQUE

POUR FAIRE UN POEME DADAISTE :

Prenez un journal.

Prenez des ciseaux.

Choisissez dans ce journal un article ayant la longueur que vous comptez donner à votre poème.

Découpez l'article.

Découpez ensuite avec soin chacun des mots qui forment cet article et mettez-les dans un sac.

Agitez doucement.

Sortez ensuite chaque coupure l'une après l'autre dans l'ordre où elles ont quitté le sac.

Copiez consciencieusement.

Le poème vous ressemblera.

Et vous voilà "un écrivain infiniment original et d'une sensibilité charmante, encore qu'incomprise du vulgaire."

AA L'ANTIPHILOSOPHE ET TRISTAN TZARA.


PIERRE DRIEU LA ROCHELLE : Fond de cantine.

Nous avons aimé la guerre comme une négresse. A combien l'émotion ? Les enchères ouvertes se sont refermées, mâchoires, sur quelques-uns d'entre nous. ous ne regretterons jamais assez un état d'exception. Je sacrifie volontiers l'humanité à l'épouvante. Le soleil de la peur est un punch incomparable. La guerre, malgré les petits mortels, a la grandeur du vent.

Dans le désordre des lumières, un garçon se déroule du sommeil. Il n'y a pas beaucoup de place au monde pour dormir. Assez drôle, tout ce bruit. Il vaut mieux tuer ou rire que crier ou mourir. Ce qu'on dit sonne bizarrement au petit matin des attaques. On croirait que ça rime. La gaucherie des hommes fait fuir les moineaux. Tiens : encore quelques mots de cassés. Plus on va, plus on aime les plaisirs de la terre, cette sacrée noix de malheur. L'autorité, entre autres, se satisfait auprès des femmes, fraîcheurs passagères, haltes, menthes à l'eau. On apprend peu à peu à nommer chacun par son nom. C'est curieux la chose de vivre.

P. 19

PIERRE BENOIT : Pour Don Carlos.

Nous feindrions difficilement une distinction qui ne nous soit pas naturelle. Donner un beau nom à son héros ne suffit pas : je comprends mal l'attention du monde pour un peintre mondain dont les modèles sont des calicots costumés. On n'exige pas des écrivains le poinçon de la Monnaie, aussi est-il aisé de donner pour argent comptant un style à clouer aux comptoirs. Il est d'ailleurs fort agréable de constater qu'à une époque, à laquelle les journalistes à court de copie épucent Flaubert sans se faire tirer les oreilles, la presse, les salons et l'Académie se laissent tromper sur la marchandise par le premier Benoît venu. L'esthétisme pour concierges de Koenigsmark, la fausse érudition de l'Atlantide, le faux métier de Diadumène, la psychologie de Pour Don Carlos qui abrite sa grossièreté sous la double égide de Marcel Prévost et de Stendhal, sont les meilleurs garants du succès de ces livres. Pousser de petits soupirs mystérieux en parlant de Renée Vivien, glisser négligemment le nom de Guys dans un monologne, voilà qui donne une haute idée de l'auteur et de sa culture. Le vol à l'esbrouffe ne tombera pas de sitôt en désuétude.

COMTE DE LAUTRÉAMONT : Les chants de Maldoror. ISIDORE DUCASSE : Poésies.

Celui qui pose une équation insoluble la résout en déchirant sa feuille de papier. Cela est d'un usage si commun qu'il se rencontre toujours un sot pour réclamer de nous ce geste. A vingt ans, Isidore Ducasse n'a point eu la peine d'un suicide.

LOUIS ARAGON.

Retour au sommaire



ASSASSINER

Il y a quelques mois, un Monsieur pris d'une louable ambition voulut se faire une réputation “ à la Landru ”. Hélas, il n'a réussi qu'à violer une fillette d'une dizaine d'années qu'il a ensuite coupée en 55 morceaux. (Que n'a-t-il fait l'inverse !). Après quoi, satisfait sans doute de la banalité de son action, il s'est laissé emprisonner comme un vulgaire et inhabile débutant. Nous aurions aimé voir ce Monsieur déployer quelque fantaisie dans son acte. Obéir à un instinct sexuel et se livrer à ses désirs sur une fillette, n'a rien en soi qui mérite une attention spéciale, mais le

P. 20

fait de couper l'enfant en 55 morceaux permet l'hypothèse d'un souhait de se dégager de l'obscur satyre qui viole délibérément les enfants en bas âge. Si les morceaux de la fillette étaient parvenus avec l'étiquette “ -confiserie ” à une personnalité marquante (Monsieur de Lamarzelle, par exemple) quelle n'eut pas été notre admiration pour l'auteur d'un tel geste !!!! Ce Monsieur se nommant le Cardinal Amette nous eut alors parut le jumeau du Colosse de Rhodes.

Le moyen de parler de Landru autrement que sur le mode admiratif !

Un crime ne nous intéresse que tant qu'il est une expérience (une dissociation de composés chimiques). Lorsque l'auteur a visé une cible déterminée : vengeance, crime passionnel, etc., cela devient non pas une chose coupable, (il ne saurait plus être question de culpabilité à l'encontre d'un homme qui tue son semblable, qu'à l'égard de deux rhinocéros, qui s'entretuent pour la possession d'une même femelle) mais quelque chose d'aussi peu curieux que de faire des enfants.

Si l'on ne punit pas deux taureaux qui se battent, pourquoi inflige-t-on une peine au meurtrier et quelle importance, croyez-vous, que le mort attache à cette vengeance grotesque.

Cet acte à l'égard d'un être vivant nous apparaît tout-à-fait injustifiable et parfaitement inintéressant.

La répression des crimes n'est rien qu'une injure à la vérité. Ces gens sont vrais en assassinant leurs voisins et c'est la justice qui punit un attentat à une morale de convention par un attentat à la liberté de l'instinct.

Les exemples de la criminalité infantile de plus en plus fréquents, et souvent à des âges où l'on ne peut tenir compte de l'éducation, sont là pour confirmer nos paroles.

Le suicide est la forme d'assassinat qui nous séduit le plus, quoique la majorité des suicides ne vaille pas mieux qu'une Fête Nationale : c'est une manière de se soustraire à quelque chose - le glissement d'une anguille dans les doigts. Si la vie et la mort sont toutes deux des maisons closes, il importe peu que ce soit l'une ou l'autre que l'on choisisse.

Cependant le même instinct qui porte à tuer se rebelle contre la mort. Il faut un courage énorme pour le supprimer et cela est vraiment très beau.

BENJAMIN PÉRET.

Retour au sommaire


P. 21

***

LE CHAMPIONNAT DU MONDE DE DANSES

Il y a des gens qui dansent comme on fume la pipe. Il y a ceux qui dansent parce qu'ils sont impuissants (ayez pitié des pauvres honteux) ; mais nous ne comprendrons jamais pourquoi l'on danse. Félicitons donc Comoedia d'avoir organisé un championnat de danses.

Je suis allé trouver Mlle Jasmine, excellente danseuse, prix d'honneur, - “ J'ai cherché longtemps, me répondit-elle, la clef des songes, la lumière des lampes vénitiennes, l'odeur des marguerites et la chaleur des plages d'Océanie. J'ai regardé souvent les yeux des femmes et des animaux, les drapeaux des républiques sud-américaines. ” J'ai salué respectueusement la danseuse Jasmine et je suis parti.

GEORGES DUHAMEL : L'Oeuvre des Athlètes. - (Théâtre du Vieux-Colombier).

Monsieur Duhamel nous présente Rémy Béleuf, beau crétin de lettres. Il faut l'entendre parler de la P.du M. (je traduis : Possession du Monde), de la C. (Civilisation) et de l'A. (l'art).

Il y a quelques années, Monsieur Duhamel s'était permis de baver sur Guillaume Apollinaire ; cette année, il s'attaque à Georges Duhamel. Je dois avouer que son Duhamel (ou son Béleuf, comme vous voudrez) est fort réussi.

Je m'étonne que cette pièce n'ait pas plu. J'admire beaucoup le courage d'un écrivain qui ne craint pas de présenter sur la scène son portrait aussi ressemblant, aussi saisissant de ridicule.

JULES ROMAINS : Cromedeyre-le-Vieil. - (Théâtre du Vieux-Colombier).

J'aurais préféré parler du conte cinématographique de Jules Romains, Donogoo-Tonka plutôt que de sa tragédie.

Je n'ai pas de chance.

J'ai lu Cromedeyre-le-Vieil : je ne me suis pas ennuyé.

Jai vu Cromedeyre-le-Vieil : je me suis ennuyé.

Jules Romains n'est pourtant pas ennuyeux. Est-ce Monsieur Copeau qui est un trop vieux jeune homme et qui récite les vers comme on ne sait plus le faire même à la Comédie-Française ? Est-ce moi qui suis un idiot qui n'aime pas les belles déclamations qui font pleurer les demoiselles qui préparent le brevet élémentaire ?

P. 22

J'attends avec impatience la prochaine pièce de Jules Romains. Il y aura beaucoup de sang et beaucoup d'injures.

CLOTURE DU VIEUX-COLOMBIER

Au début de la saison, Monsieur Jacques Copeau nous demandait de le juger, non sur ses paroles, mais sur ses actes. Il a crié sur les toits que le Vieux-Colombier allait désindustrialiser le théâtre, déscabotiniser l'acteur, respecter le public, etc... Bref, il voulait tout détruire. Pour y parvenir il a découvert le symbolisme (Phocas le Jardinier), ressuscité le naturalisme (le Paquebot-Tenacity et la Folle Journée) et a fait une concurrence déloyale à la Comédie-Française (les Fourberies, la Coupe enchantée, le Carosse du St Sacrement). Après une saison riche en réalisations de cette sorte, Monsieur Jacques Copeau a mérité l'admiration des écrivains et des artistes. Heureusement nous ne sommes ni des écrivains, ni des artistes et nous avons le droit de ne pas admirer l'oeuvre de M. Copeau.

Il a oublié de monter le Baladin du Monde Occidental (et les autres pièces de Synge), Ubu-Roi, l'Ours et la Lune, et je ne veux pas parler des vivants.

Il faut le reconnaître : “ tout ne peut pas se jouer sur l'air des lampions ”.

L'EXPÉDITION SHACKLETON AU CIRQUE D'HIVER

Ce qui attache et déçoit dans ce film, c'est qu'à proprement parler ce n'est pas un film. J'entends que rien ne fut préparé, répété, machiné, mais que la vie fut simplement photographiée. On comprend alors trop aisément que notre attention constamment et inutilement fixée se lasse de voir la longueur des minutes vécues. Quelques éclairs émeuvent en vain les spectateurs indifférents : il faut se méfier des miroirs trop fidèles.

Un odieux personnage récite avec un accent si ridicule, avec une telle suffisance un texte qui veut être spirituel que l'on oublie parfois la mort qui rôde autour de Shackleton et ses compagnons. C'est bien ce que désire ce jeune homme. Le courage et la persévérance du capitaine Shackleton (prononcez avec l'accent anglais) sont intéressants, mais l'esprit et la verve de Monsieur Victor Marcel le sont encore bien plus.

PHILIPPE SOUPAULT.

Retour au sommaire


P. 23

* * *

REVUE DES REVUES

L'exemple nous est donné par La Revue Ouverte dans son numéro de Juin. A côté de vers des novateurs expérimentateurs les plus appréciés, chacun peut y trouver des glaces, des gâteaux, des bijoux, une bicyclette et de nombreux objets d'art. Nous nous associons pleinement à cet effort vers le bien-être, la richesse, la nouveauté.

Cette direction n'est malheureusement pas suivie par le Mercure de France, la Grande Revue et l'Encrier qui s'obstinent, qui s'obstinent.

Dans les Ecrits Nouveaux, André Suarès prend à témoin Racine, Boileau, La Fontaine, Molière, Dickens Shakespeare, Goethe, Antoine, Victor Hugo, Dumas fils, la Patti, Coquelin, Jouvet, Caruso, Debussy, de Curel, Stendhal, Bach, Gluck, Monteverde, Sophocle pour prouver que “ J. Copeau n'est pas un plaisant ordinaire ”.

Naïf comme un peintre, Vlaminck dans le n° 4 d'Action fait son petit bolchevick et raconte que

Quand Jean Pierre Marie

Fils de Marie Jean Jules Pierre

Vint au monde

C'était une mauvaise affaire

Pareils, les poèmes de Roch Grey, de Marcel Sauvage et des suburbains.

Différents, les poèmes de Max Jacob :

MA VIE EN TROIS LIGNES

J'ai rêvé que j'étais dans l'eau bouillante d'une marmite fermée par un cadenas. J'entendais vaguement qu'on se battait en riant. D'abord quelqu'un ouvrit la marmite : “ Par lequel veux-tu être mangé ? ” On ouvrit une autre fois la marmite : “ Tu veux que ce soit l'autre qui te mange, alors tu n'es donc pas mon ami ? ” L'eau continuait à bouillir et comme disent les cuisinières, j'étais réduit, réduit, réduit, recuit et je finis par n'être presque plus. On ne trouva plus rien à manger de moi. Ce qui restait disait : “ Adieu ” !

P. 24

Différents aussi, ceux d'André Malraux, de Benjamin Péret et de J.-E. Blanche qui, parlant de Pablo Picasso et de Beauté, déclare que “ le jeu n'en vaut pas la chandelle ”.

Pour le plaisir demande pour le poète Jean Moréas une sépulture digne de lui. D'accord, d'accord, mais n'insistez donc pas, confrère.

Proverbe ne paraît plus.

Nous avons lu dans La Nlle Revue Française des poèmes de Paul Morand et un roman vert pomme pas mûre de Valéry Larbaud.

Le n° 2 de Poesia ne vaut pas le n° 1. Marinetti trônera-t-il donc toujours au milieu de ses sales victimes résignées, mais qui savent bien ce qu'il leur doit.

Nous ne comprenons pas pourquoi Le Coq ne contient que des poèmes, des proses, des opinions de Tristan Tzara et Francis Picabia et deux adorables déclarations de Marie Laurencin.

Cannibale est dada, dada, dada et dada, dada, dada.

La Minerve Française, les Marges et les Lettres Parisiennes paraissent tous les mois et ne publient que de l'inédit. Prenez-y bien garde : les manuscrits ne sont pas rendus.

Les Feuillets d'Art, la plus belle Revue du Monde, l'Amour de l'Art, un “ idéal ”. C'est tout.

P.E.

Le prochain numéro de Littérature paraîtra le 1er octobre sur 64 pages. Collaboreront à ce numéro : Louis Aragon, André Breton, Blaise Cendrars, Paul Eluard, Jean Giraudoux, Jean Paulhan, Benjamin Pérêt, Ezra Pound, Philippe Soupault, Tristan Tzara, etc.

Le Gérant : PHILIPPE SOUPAULT.