MÉLUSINE

titre de la revue Littérature

Littérature n° 14, juin 1920

SOMMAIRE  
Tristan Tzara La deuxième aventure célest de Monsieur Antipyrine
Jean Paulhan Si les mots sont des signes.
Philippe Soupault Épitaphes.
Pierre Drieu la Rochelle Premier article de critique.
Paul Eluard Attestation.
Clément Pansaers Ici finit la Sentimentalité.
Jean Arp Poèmes.
Georges Ribemont-Dessaignes Rate automatique.
Francis Picabia Le Premier mai.
Philippe Soupault SPECTACLES.




DEUX FRANCS

DIRECTEURS

Louis ARAGON, André BRETON, Philippe SOUPAULT.

Rédaction : 9, Place du Panthéon, Paris.

Administration : AU SANS PAREIL, 37, av. Kléber (16e).

PRIX DU NUMÉRO : France : 2 francs ; Etranger : 2 fr. 50.

ABONNEMENTS

Pour 12 Nos : France : 20 francs ; Etranger : 25 francs.

Il est tiré à part 10 exemplaires sur Hollande Van Gelder, dont l'abonnement est de 60 francs pour la France ; 80 francs pour l'Etranger.

  • (La 1re année de Littérature (12 numéros) : 20 francs.) -

LITTÉRATURE

publiera au cours de l'année 1920 des textes inédits de Blaise CENDRARS, Pierre DRIEU LA ROCHELLE, André GIDE, Max JACOB, Jean PAULHAN, Raymond RADIGUET, SERNER, Paul VALÉRY,

ainsi que

La main chaude, film ;

Etudes morales ;

Aventures de Télémaque ; par Louis ARAGON.

Les Pas Perdus ;

Lautréamont ; par André BRETON.

Exemples ;

Les Nécessités de la Vie ; par Paul ELUARD.

Fornications près des tables ; par Francis PICABIA.

Le serin muet, un acte ;

Zizi de Dada, un acte ;

Rate automatique (événements du jour) ; par G. RIBEMONT-DESSAIGNES.

Epitaphes ;

Jacques Vaché ;

Mes amis et moi ; par Philippe SOUPAULT.

Monsieur Aa, l'antiphilosophe ; par Tristan TZARA.

Il a été tiré de ce numéro 10 exemplaires sur Hollande Van Gelder

N° ...




P. 1

La Deuxième Aventure céleste de Monsieur Antipyrine

(fragment)

MONSIEUR ABSORPTION

cloches et plateaux de paille d'écorce

dilatent les pupilles de pélican dentelé

malgré l'agitation du sangmètre policeman du volcan

prédisposé à la tuberculose

métallurgique

et chien de garde

enfant coagulé sur le strapontin pot de chambre

tu es mieux comme manivelle

et tant mieux la dent du point de vue personnage restaurant

s'enivre d'attentat serpentin est un chapeau

tu aspirine comprends le là-bas de qui

s'est marié avec je ne sais pas qui

du magneto poignard 37

vulgairement trenteseptoline dit arthur

MADAME INTERRUPTION

les plumes et les scies

insecticide radiateur

MONSIEUR SATURNE

les insecticides sont amers

rappelle-toi par exemple la visite chez le ministre

cinq négresses dans une auto

LE CERVEAU DÉSINTÉRESSÉ

oh oui les pères et les factures

tout-de-même l'honneur

MONSIEUR ABSORPTION

je me déjà

OREILLE

il se déjà

P. 2

LE CERVEAU DÉSINTÉRESSÉ

sifflet gonflé de citronnade sans amour

réveil dans le lait condensé

rencontre un poisson de femme jaune merci aspire

la couleur de lanterne opium

les oreilles du violon

l'heure de la tranche de l'œil du vent

porte des moustaches

MADAME INTERRUPTION

eh bien mon œil porte aussi des moustaches

MONSIEUR ABSORPTION

sort par une pompe à gomme

mesure ou parfume

ou allume car je suis toujours possible

MONSIEUR ANTIPYRINE

je exportation

MONSIEUR SATURNE

avez-vous des grenouilles dans les souliers ?

OREILLE

B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.

MONSIEUR ABSORPTION

les pincettes chevalines

des sexes d'autruche saturés

OREILLE

somme payée à destination balbutia la reine

décoration en fleurs de caséine durcie

violer les enveloppes

préparer sur la course de têtes rondes l'indignation traversée des banquises

réveil matin attachés aux

sophies finies

mémorandum

aigre et éventuel sourire de bouchon mécanique

os de flûte

P. 3

rectifie

le liquide avec ornements en cuivre

dans une poche à explosion

d'où le nouveau-né sortira avec les fibres de palmier

sans carrosseries se leva résigné et gagna lentement la porte

yacht démonté en boutons de crustacés

à pied

ovation

surplus gonflé

illicite de tic tac

illumine

soudé

si non

très très cher

procession de gendarmes en bouteilles

parapluies et parasols

MADEMOISELLE PAUSE

pause

OREILLE

et autres matières grasses et stérilisées

pour enlever les tannes qui vous désolent faites bouillir

et faites tunnel

tu %

il long

MADAME INTERRUPTION

pour

MONSIEUR SATURNE

décidément décidément décidément décidément décidément décidément décidément décidément décidément

le front découvert du soleil

naturellement naturellement

MONSIEUR ANTIPYRINE

je connais un chiffre à genoux qui n'est pas un poème brosse jouant aux bouches des coquillages

mais l'adresse d'un artiste français

P. 4

et une composition de staccatto noir

de balcon végétal métronome sur un clin d'œil

médicament pour les vagues pulmonaires dans un sac

OREILLE

c'était à elle de se broderie

MONSIEUR SATURNE

l'emballage de 4 et 4 et 44 combien de points robinets de mensonges et chèvres en cellulose y a-t-il dans le corps humain drame bitume de lavage

MADAME INTERRUPTION

H.N.J. H.N.T. H.N.J. H.H.H.

MONSIEUR ABSORPTION

comme les bretelles des montagnes publiques soutiennent l'attention des pantalons tunnels

c'était à elle de se débrouiller

LE CERVEAU DÉSINTÉRESSÉ

le sommeil le général le carambolage de cœur

le tabac de raisin les narines de l'estomac aux cheveux gris

les épingles fraîches

le savon testiculaire dans le café

une côte de moteur à noisettes

et le cerveau glacé de l'aviateur amoureux

OREILLE

évacuent les racines cardiaques de la maladie éclipse et bijoux

répertoire

jumelles

glace anonyme

roséole

cravate des ruisseaux et zibeline à double cul

TRISTAN TZARA.

P. 5

Si les mots sont des signes ou Jacob Cow le Pirate

A Monsieur Paul Valéry.

Il est difficile de parler des mots de façon détachée, comme un peintre décrit le broyage des couleurs : ils touchent de trop près à notre vie, et tantôt favorables ou néfastes, ou bien insensibles et se refusant à porter sens. Ainsi se trouvent-ils mêlés à notre souci de les faire servir, et connus à travers ce souci.

Plus haut, il n'est pas de différence visible, et de fossé, du mot à la phrase, de la phrase au récit. L'écrivain, qui se paraît à lui-même faiseur de langage - comme il arrive à l'enfant, ou dans notre langue à l'étranger - c'est en imitant sa première opinion sur la nature et le jeu des mots qu'il se prévoit ou se compose.

D'où vient la gravité de cette opinion, et la portée singulière de toute erreur qu'elle peut enfermer.

I. SI LES MOTS SONT DES SIGNES.

L'on suppose le plus volontiers - j'entends les grammairiens ou les critiques - que les mots servent aux gens à s'exprimer. Ils sont signes de pensées ; et, avec eux, ces jonctions et ces fibres qui les viennent unir en toute phrase ; et jusqu'à leurs plus menues variations : l'imparfait du verbe, dit la grammaire, exprime...

P. 6

Une pareille idée du signe n'est pas si tranchée qu'elle ne puisse offrir double figure : de méfiance à l'égard des mots isolés. Car ces mots ne se suffisent pas, mais la pensée, que l'on découvre sous eux, est seule raison d'être et source de leur sens. Hors de cette pensée, ils nous peuvent abuser : “ Ce ne sont là, dit-on, que des mots... ”, ou : “ réfléchir avant de parler ”.

et figure de confiance pourtant, aussitôt que l'on a réuni la pensée au mot. Il semble alors que chaque mot se puisse éclairer de cette pensée ; (il n'en est pas d'irréductible : l'on a peine ainsi à supposer une phrase qui ne voudrait rien dire du tout). Ou bien, à l'inverse, que toute pensée possède son mot. “ Cherchez le mot propre ”, conseillent les critiques, et : “ Tout peut se dire ”.

Cette façon de voir entraîne quelque obscurité. Si le mot est apparence, l'idée réalité, il devient délicat d'expliquer que cette idée parfois suive le mot, sorte de lui, le traduise. Cilia, qui tâche à expliquer au médecin le mal dont souffre son enfant, à mesure qu'elle parle découvre sa crainte véritable, et s'étonne d'elle-même. Ou bien Atys, lorsqu'il est parvenu à dire à Chryse : “ Alors tu as menti ”, chacun d'eux recompose à partir d'un mot sa réelle pensée. Leur idée est signe ici de ce mot, et manière de le partager, loin que le mot le soit de l'idée. (De tel poète encore, nous savons qu'il est d'abord jeté parmi les mots, les presse, les épie, les attend).

P. 7

II. CINQ KILOS DE SUCRE POUR RIEN.

L'opinion comme la critique se peuvent dépasser : c'est où l'on saisit l'usage spontané des mots, grossier, sans réserves.

L'on a vu :

CINQ KILOS DE SUCRE à tout lecteur de “ L'AVENIR ”

Démonstration

Un acheteur au numéro débourse par an 365 exemplaires à 0 fr. 10, soit .... 36 50

Un abonnement d'un an pour Paris coûte .... 25 ” soit 36 ”

et donne droit à un achat de 5 kil. de sucre à 2 fr. 20 le kilo .... 11 40

C'est donc POUR RIEN que tout lecteur de “ L'AVENIR ” peut obtenir 5 kilos de sucre.

Il est sensible que le seul lecteur qui obtienne, à peu près, cinq kilos pour rien, est l'acheteur au numéro qui s'abonne, à la faveur de ce changement. L'abonné peut bien dépenser onze francs, s'il veut du sucre, et l'acheteur au numéro le plus fidèle n'aura rien.

(A suivre.)

Jean PAULHAN.

P. 8

ÉPITAPHES

On m'a dit qu'il existait des villes habitées par des hommes qui ignorent les noms. Les airs connus, les rengaines et les scies sont les meilleurs souvenirs.

Nous croyons devoir mettre le lecteur en garde contre la tendance qu'il pourrait avoir à considérer l'ensemble des pages qui vont suivre comme des oraisons funèbres tombées de la plume d'un poète.

Mes amis sont bien vivants. Je me suis amusé (singulier passe-temps affirme un lecteur) à les croire morts. Je dois avouer que je nourrissais un secret espoir. Mes vers furent impuissants. En réalité tous ces personnages qui portent des noms célèbres ne sont que Philippe Soupault.

En passant, je remercie mes amis d'avoir accepté d'être pour un instant les reflets d'un autre. Ils ont compris, mieux que moi-même, que ce n'était pas une raison parce que j'habitais près de la Morgue pour me prendre pour un croque-mort.

P.S.

P. 9

ARTHUR CRAVAN

Les marchands de quatre saisons ont émigré au Mexique

Vieux boxeur tu es mort là-bas

Tu ne sais même pas pourquoi

Tu criais plus fort que nous dans les palaces d'Amérique et dans tous les cafés de Paris

Tu ne t'es jamais regardé dans une glace

Tu as villégiaturé à l'hôpital

Qu'est-ce que tu vas faire au ciel mon vieux

Je n'ai plus rien à te cacher

La Seine coule encore devant ma fenêtre

Tes amis sont très riches

J'ai une envie folle de fumer

GEORGES RIBEMONT-DESSAIGNES

Autour de ta tombe

On creuse des trous un peu partout

pour y planter des géraniums et des concombres

Ils fleuriront un jour ou l'autre

mais personne ne le saura

et tu seras là bien tranquille

FRANCIS PICABIA

Pourquoi

as-tu voulu qu'on t'enterre avec tes quatre chiens

un journal

et ton chapeau

Tu as aussi demandé qu'on écrive sur ta tombe

BON VOYAGE

On va encore te prendre pour un fou là-haut

P. 10

THEODORE FRAENKEL

Il faisait un temps magnifique quand tu es mort

Le cimetière était si joli

que personne ne pouvait être triste

On s'aperçoit depuis quelque temps que tu n'es plus là

Je n'entends pas tes ricanements

Tu te tais

ou tu hausses les épaules

tu ne voudras jamais connaître le paradis

Tu ne sais plus où aller

Mais tu t'en moques

MARIE LAURENCIN

Ce bel oiseau dans sa cage

C'est ton sourire dans la tombe

Les feuilles dansent

Il va pleuvoir très longtemps

Ce soir avant de m'en aller

Je vais voir fleurir les arbres

Une biche s'approchera doucement

Les nuages tu sais sont roses et bleus

LOUIS ARAGON

Tes petites amies font une ronde

Elles t'ont tressé des couronnes

avec tes petits mensonges

Je t'ai apporté du papier

et une très bonne plume

P. 11

Tu feras des poèmes pendant l'Eternité

Ton ange gardien te console

Il noue ta cravate lavallière

et t'apprends à sourire

Tu m'as déjà oublié

Dieu est beaucoup plus beau que moi

PAUL ELUARD

Emporte là-haut ta canne et tes gants

tiens-toi droit

les yeux fermés

les nuages de coton sont loin

et tu es parti sans me dire adieu

Il pleut

Il pleut

Il pleut

TRISTAN TZARA

Qui est là

Tu ne m'as pas serré la main

On a beaucoup ri quand on a appris ta mort

On avait tellement peur que tu sois éternel

Ton dernier soupir

ton dernier sourire

Ni fleurs ni couronnes

Simplement les petites automobiles

et les papillons de cinq mètres de longueur

P. 12

ANDRE BRETON

J'ai bien aperçu ton regard

Quand je t'ai fermé les yeux

Tu m'avais défendu d'être triste

et j'ai quand même beaucoup pleuré

Tu ne me diras plus

tout de même tout de même

Les anges sont venus près de ton lit

mais ils n'ont rien dit

C'est beau la mort

Comme tu dois rire tout seul

Maintenant qu'on ne te voit plus

ta canne est dans un coin

Il y a beaucoup de gens qui ont apporté des fleurs

On a même prononcé des discours

Je n'ai rien dit

J'ai pensé à toi

PHILIPPE SOUPAULT.

P. 13

Premier Article de Critique ou La Poutre

On ne connaissait pas Rimbaud dans le quartier de la Plaine-Monceau. Aussi je dessinais à la gloire du rugby des sonnets que j'aurais voulu montrer au bibliothécaire du Sénat (poèmes barbares, antiques, modernes), ou à ce bon gros journaliste officiel (Théo), ou à ce conquistador académicien. Mais ils étaient morts.

Désirant trop les femmes, n'en possédant jamais assez, je convoitais encore les héroïnes de Binet-Valmer. J'écrivais des contes qui se ressentaient de cette fringale.

Raymond Lefebvre, déjà subversif, me prêta des numéros de la N. R. F. J'y rencontrai Claudel qui me donna un coup. Boxeur novice, j'encaissai tant bien que mal l'Otage et je m'en tins là.

En 1914, au retour d'un voyage en Belgique, où je perdis Zarathoustra, je soumis à un employé du Royal-Hôtel, à Deauville (M. Boylesve), un manuscrit intitulé : “ Bataille de Charleroi ”. Il me dit tout de suite avec le flair d'un chasseur de plésiosaures : “ Paul Adam est passé par là ”.

Un réfugié, avec qui je bus à Paimbœuf, me débarrassa de cette littérature ainsi que de mon argent. Tout cela était dans le même sac.

Cet hiver-là pendant des chasses en Champagne, je sculptai dans la betterave gelée des sonnets intitulés “ Fusée ”, “ Premier Assaut ”...

P. 14

Au printemps, je bâclai un conte que je dédiai à d'Annunzio et qui mit à l'épreuve l'affection de mon meilleur ami.

Je partis aux Dardanelles avec “ Les Vierges aux Rochers ”. “ Pas de femmes ”, avait dit Joffre.

Au retour de ma croisière, à Toulon, une infirmière ravissante qu'un bec-de-lièvre avait jetée dans la dévotion, me donna les “ Cinq Grandes Odes ”. Cela faisait trop de coups de soleil.

A Paris, au fond d'un hôpital, j'improvisai des brochures pour défendre Nietzsche et des pages dont je ne savais trop ce qu'elles étaient. L'année suivante j'étais à Verdun.

A la suite d'un accident, je me retrouvai en Auvergne puis à Paris où j'écrivis de plus en plus de pages dont je ne savais trop ce qu'elles étaient.

Je les montrai à une jeune fille que je courtisais, qui les montra à une amie, qui les montra à un poète, qui les montra à un éditeur.

Tous me dirent que c'était de la poésie.

J'avais aussi envoyé du papier à Paul Adam qui écrivit un article où il avait cité mon nom et de ces phrases dont je ne savais pas trop ce que c'était. Il disait aussi que c'était dans le genre de Rimbaud et Whitman.

Je ne les avais jamais lus. Mais si je ne connaissais pas mes grands-oncles, je connaissais mes oncles. J'achetai un Rimbaud. Encore un coup de sang. Il n'y a pas à avoir de pitié pour les jeunes hommes sanguins. Je n'étais plus en retard que de quelques pages : je connaissais l'unanimisme. J'avais ouï parler du futurisme par mon grand-père, embusqué en 70 et lecteur du Figaro où Marinetti avait ses entrées.

Je connus Sic, le cubisme. Je publiai à Sic un poème écrit en 1917 mais pensé trois ans avant ma naissance par quelque prédécesseur.

P. 15

J'avais eu vent d'Apollinaire en 1915.

Je connus Cendrar, la poésie chinoise, malgache, la vérité sur Rimbaud, la Henriade.

Je connus Jean Cocteau qui me jugea simple et compliqué.

Enfin, Dada naquit quand j'étais mort depuis longtemps.

Nous en reparlerons.

Pierre DRIEU LA ROCHELLE. *

* Je sais peu le latin et pas du tout le grec.

P. 16

Attestation *

* Pour “ L'Invitation au Suicide ”, de Philippe Soupault.

A André Breton.

L'auto moderne. Avec les différences d'encre, ceci est peut-être dans une opérette et nous faisons des folies avec le corps des autres.

La table des différences, à table parmi les grattoirs, les poches, les poids et les balances. Si la pudeur est offensée, elle rougit, mais le satyre ne rougit point de l'offensée. Le trou du rideau devient le miroir des distractions.

On sort, a dit Philippe Soupault. Scène dans la salle, scène dans la rue et quel pont alors pour passer le temps ? Plusieurs façons d'inviter : le jeu, la danse, la parole, la fusée-méditation, le langage du cœur et des fleurs, le cinéma, la vitesse, la lutte, - d'inviter au suicide.

Le même jour, voici,

nous étions LES MEMES,

moi, sur la place déserte, les yeux clairs, les yeux haut dans la tête vers la tête de la lumière

et Soupault dans les rues, en avant, riant, le rire lui servant à couvrir la ville des événements indispensables. Le rire ou la douceur dans le sang, le rire ou la raison dans la terreur, le rire ou l'insouciance dans l'affection, le rire ou l'amour P. 17 dans le mensonge. Il étudiait consciencieusement son rôle et répétait sans cesse le titre suivant :

J.-J. GRANDVILLE *

* Paris, Fournier, 1844.

UN AUTRE MONDE

Transformations, visions, incarnations, ascensions, locomotions, explorations, pérégrinations, excursions, stations, cosmogonies, fantasmagories, rêveries, folâtreries, facéties, lubies. - Métamorphoses, métempsycoses, apothéoses et autre chose.

(Texte par Taxile Delord.)

* * *

Les invités, mes amis, ont cru à un avertissement et n'ont pas éclairé la cible.

Mais les résultats ne se sont quand même pas fait attendre à Philippe Soupault. Ses cheveux sont déracinés, il ne porte plus ses mains à bout de bras et nous conservons son souvenir comme une montre toujours à l'heure.

PAUL ELUARD.

P. 18

ICI FINIT LA SENTIMENTALITÉ

I

Je sonne

je, cloche au pendentif de ma coupole.

Le gars berce son ours : - roulis et tangage - mouvement quadruple autour des quatre dimensions de la verticale.

Ouverts les accumulateurs - la station d'énergie dépasse la supériorité,

  • l'ours berce le gars -

traverse

les degrés de la progression arithmétique, la raison, et géométrique, - fluide... anti - a - négatif, a - positif, a - neutre - où le quotient se transforme :

le brut et l'organisé s'entre-pénètrent ; le stable équilibre vacille ; - le vice et la vertu, entre-pétrifiés, filent en deux nuances ultra -, infra -, enfilés ; - le moral, l'immoral, l'amoral : l'absurde et le logique, inclivables, en symétrie asymétrique, kaléidoscopique, en temps, espace - - Gars et ours se bercent en une station d'énergie centrale - A l'intersection du perceptible et de l'imperceptible : le cheveu du gars, merveille blonde, saisit le poil de l'ours.

Au mouvement de l'écartelage de l'acte en quatre dimensions, la verticale vibre A : un tourbillon syncopant sonore A...

Ours et gars se berçant au tremplin du vide : cube, cône, sphère tourbillonnent dans l'inertie : - les cristaux atomiques poreux s'anéantissent et...

le rien chaotique éclate.

Se volatilisent diatoniques entre le bruit et le silence, les vocalises A... Du gars, au désir d'élever son ours de la zone insensible à la sensible - le sensible se sentimentalise ;

dans le ventre de l'ours, le grelot sonne du jouet la sentimentalité enfantine.

Je, cloche, du pendentif de ma coupole dégringole :

les tessons sur la

pierre répercutent les éclats en A...

P. 19

II

Tu, petite annonce...

Un triangle de carmin entre deux cercles d'ambre sirote une “ coupemaison ”.

  • Le chaos est une boule tournant sur elle-même. - De petits projecteurs, par couples, derrière la voilette, explorent la pénombre que décrit le chaos dans l'espace : - des courbes se brisent sur les tangentes... Deux ovales ombrées de kohl redoublent la luminosité des phares minuscules. -

Je, prisme -

à mon tour centrifuge, pirouettant,

intercepte les lignes-forces lumineuses -

les réflectant, courbes - se dilatant, concentriques - irradiant en calories les désirs, les volitions vers le centre, intérieur : où, cyclone, torpille le chaos : - se contracte : en deçà des quatre dimensions dans l'espace =

s'y accumulent les durées, vibrant d'impatience au départ des petits projecteurs, deux à deux, circonscrits d'ombres de kohl en amande, qui clignent, s'obscurcissent, tour à tour se redressent ; - bruissent les commotions, bourdonnent ; - fourmillent les luminosités : s'entrechoquent ; - éclatent les éclairs aux courts-circuits...

L'interrupteur tangue en mon centre,

je, prisme :

volatilisé dans la pesanteur attractive du chaos :

en deçà des quatre dimensions dans l'espace, où la durée est électrocutée. Les courbes-forces lumineuses bleuissent, se contractent concentriques vers le centre ;

  • la crème en pain de sucre de la “ coupe-maison ” s'effondre aux lèches -

au delà de la zone visuelle, les cercles forment point : grossissant en ovale d'opale ; des doigts bagués clignent...

Le chaos, repu de temps et d'espace, s'évanouit en une fumée...

A louer - bruisse le tulle ; - chatouille “ à vendre ” l'odeur de la poudre de riz...

  • grille entre les deux facettes d'ambre une cigarette.

Tu - petite annonce, étalée au dos du sofa...

III

Qui ? - Liseur d'affiches ! -

Je, collectionneur de petites annonces : l'acte quintessencié des viscères -

L'urticaire dessine de minuscules ovaires, que les ongles raffinés, en

P. 20

gentille méchanceté, sculptent : vagins vigilamment maquillés -

Je, collectionneur, me noue un rythme concavo-convexe - fragments assemblés, par dissection, des infusoires ingambes - nageant dans la décoction des infections syphilitiques. -

Coller, je, mémoires de moi, collectionneur - les fragments des spéculations en deçà du physique. -

Mon numéro passant - choient tous les systèmes sur le nerveux : repéré, je, collage de mes mémoires, monte en cyclone ma ronde métarythmique. -

S'étirent les petites annonces - en épeires sociabilisées, trament et lancent leur fils -

je, spéculation fragmentaire, en mannequin disloqué, accroche à chaque nœud nerveux une ficelle, lancée de chaque point de l'hexagone, que tirent les petites annonces, remuantes -

Mon rythme concavo-convexe décompose tous mes collages.

Un orchestre exécute une improvisation en ha ! langueur.

La sueur redouble les soupirs, une syncope anéantit le monument spasmodique.

  • Tu respires encore, liseur d'affiches ? - Viens feuilleter mon album de petites annonces - Cela ? - : deux gouttes de pipi sous chaque chaise - résidu des calories que l'émotion pressa de la sincérité de ces petites annonces ! -

IV

Je, cloche en éclats, cacochyme...

Ma lumière infra-rouge illumine les jointures niellées de pommades iodées :

je, arlequin aux incrustations cubiques, ensoleillant les affiches de Salomé's, rangées en couples, en dimensions asymétriques, au bar, assonnant.

  • L'Orchite, à la douleur précieusement raffinée, m'est

  • je, éclats de cloche, cacochyme - une bombe, à calibre fameux, de sentimentalité impure...

La cure pathologique par suggestion pointe ; enflammées toutes les bouches : chaque éclat ouvre son moteur. Toutes les affiches, quant à la couleur se caméléonisant, - ronflent, planent : les Pierrots à toute dimension, comme à toute cadence se congestionnent aux petits mensonges, finement égrenés, se dégrenant délicatement du fil rompu, tournant en marmelade. Les grooms lèchent leur veste de carmin aux éclaboussements des bais.

  • Garçon ! un sirop glacé à ma dame - moi, je, cacochyme - camomille...

P. 21

Des désirs caméléonisés, anti-complémentaires, s'échauffent sur le rythme saccadé du quatuor stradivarius.

Les douleurs de l'orchite s'évaporent par une brisée acrobatique : Les nielles se disjoignent :

A, je, cacochyme :

les éclats battent les timbales, entr'écrasant mineur et majeur : mon habit d'arlequin se consume dans la sueur, qui fume : -

En une fumée vert-de-gris trouble, montant en pyramide - odeur de camphre et d'iode - s'évanouit le coït impur :

Un bain de son, cataplasme de lin - je, cloche en éclats, cacochyme...

V

Je, cacochyme...

De l'assemblée se courbent les pavillons en ellipse de sonorité.

Aluminium au foyer, le gramophone se dresse : démonstration scientifique des demi-teintes carusoïennes.

  • L'amorphe, pédagogue, dirige l'organisé -

Hypnotiser le mal

je, cacochyme, au foyer opposé :

suggestionner... cataplasme...

  • Lutte de la partie organisée, inerte sur elle-même, contre l'inerte organisé - acharnée -

Les tiraillements, en crochets, de la blennorrhagie uréthrale, s'accrochent aux rayons sonores :

sonorités de douleurs syphilitiques se fusionnant, aiguës, aux demi-teintes du ténor rêvant -

A, je, cacochyme - Finie la sentimentalité ! -

Piqûres d'aiguilles aux tympans rangés en ellipse : - transit de la sensation passive à l'excitation active. Les rétines s'élargissent : irritation spasmodique... De la frontière elliptique aux deux foyers, des rayons visuels combattent les rayons auditifs : l'ultra-violet illumine le silence. La frontière est féminine : - le centre gramophone se neutralise métallique - aluminium froid.

Je, cacochyme, centre mâle impuissant : s'y mêle l'oint de l'orchite : odeur de camphre, anti-spasmodique, délaie, couleur d'absinthe, trouble, les rayons femelles hypnotisés de la courbe de l'ellipse : en un troisième, faux, foyer : où grince une redondance sensi-auditive. Dans le silence, raidi en cône tronqué, crisse l'aiguille d'acier, sur la plaque, la finale : des demi-teintes carusoïennes.

  • Des chiens, les queues se déroulent, soulagés -

Je, cacochyme, romps la cure pathologique : un cataplasme en macaroni, à l'iodure de potassium et une piqûre au mercure !

P. 22

VI

Porter les instruments de purification, groom : -

la seringue sur la patène.

Je, cachectique...

Concentre les spores de tous les maux des passants, prismatique, le monocle.

  • Adoration de la sans-ovaires au matou châtré.

Cet apothicaire, éleveur de sangsues, achète de grosses dames.

Une tisane de chiendent...

Ouvrir les robinets calorifiques : turque la température...

Le cambouis de mes moyeux se liquéfie...

  • La danseuse nègre, groom...

Ici finit la sentimentalité !

Devant les maux se localisant - les douleurs filent par l'oblique, de biais -

Je, cloche en éclats, cacochyme, me désagrège - diaphane - : cachectique de tous les maux des vivants...

Nage sur l'eau, l'œil droit sous le dais du monocle : trois rayons, obliques, s'y brisent - seuls en force de percer le tourbillon des vapeurs impures...

  • Tirer de bien plus grosses bouffées, groom en grisaille.

  • Ne pas t'éreinter, négresse occidentale - chausser le monocle au creux de ton aisselle : éclate la fameuse comédie humaine -

Daigne se lever, du fond de la baignoire, bénévolement, mon moi :

prendre - vous découvrir toutefois) - la seringue,

sainte : - injecter le sérum aux frères en humanité

  • purifier le monde...

  • Ici, en cette toilette émaillée, finit la sentimentalité ! -

Enregistrer pour la postérité, gramophone : les éclats carillonnent - airain.

La cachexie s'écoule avec le cambouis crasseux : vérifier au diapason...

En courbe acrobatique, monter au pendentif de ma coupole :

  • Sonne grelot de l'ours - le gars vocalise A -

Je, cloche, carillonne au pendentif de ma coupole, une mélopée en A.

CLÉMENT PANSAERS.

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de "La Pompe des Nuages"

des animaux riants écument par les pots de fer les rouleaux de nuages font sortir les animaux de leurs noyaux et des pierres nu fers à cheval se lèvent de vieilles pierres pierres à entendre une souris trotter dans les branches et des arêtes d'arbres percent les boules de neige sur les chaises les rois galopent dans les montagnes et prêchent le cor de décembre baissez les ponts de paille jetez à la boîte des lettres de fer qui ne font pas de bruit et qu'on entend bien dans la bouteille de glace les tourterelles gèlent

en janvier neige du graphite dans la peau de chèvre en février apparaît le bouquet de craie blanche lumière et d'étoiles blanches en mars l'ange étrangleur entre en rut et les tuiles et plis flottent et les étoiles se balancent dans leurs anneaux et les fleurs de chasse de vent secouent leurs chaînes et les princesses chantent dans leurs pots de brume qui part sur de petits doigts et ailes à la poursuite des vents du matin

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de "Perroquet supérieur"

sur les chaires d'eau les cascadeurs agitaient leurs petits étendards comme le montre la figure 5

les aventuriers à fausses barbes montés sur des fers de diamant à l'aide de peaux de baleines gonflées neigeant l'estrade

le grand lion fantôme haroun-al-raschid prononcez aroung-al-radi bâilla trois fois et montra ses dents qu'il avait noires à force de fumer

les serpents à sonnettes mercerisés se déroulèrent de leurs bobines moissonnèrent leur récolte et l'enfermèrent dans des pierres

de la bordure de la mort s'avançaient les yeux des jeunes étoiles

après la flagellation sur la joue du soleil les fers de l'âne dansaient sur des goulots de bouteilles

sang et mort tombaient comme des flocons des tours de cuir combien de squelettes tournaient les roues des portes

lorsque la cascade eut poussé trois fois le cri du coq sa tapisserie blêmit jusque dans le sang et la matrice du marin éclata

les armoires montèrent de la profondeur et étalèrent leurs ancres

enfin la mer risqua l'évanouissement des compas amers

ARP.

(traduit de l'allemand par André BRETON et Tristan TZARA)

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La seule occupation intellectuelle de la masse, c'est la révision du grand Catalogue public. Cela va de “ Caillaux est-il coupable ? ” à “ quelle heure est-il ? ” en passant par : “ quelle est la plus belle femme de France ? ” - On voit que c'est un bel artichaut à effeuiller. C'est que le cerveau de la masse est bien constitué. Avec un peloton d'exécution, un laboratoire d'analyse, et une musique de la garde.

Méthode invariable. On prend des faits bien étiquetés ou qu'on étiquette d'office. On les fait bouillir jusqu'à ce que seule demeure l'étiquette, et que la partie réalité soit disparue dans un vague bouillon.

On mesure avec un thermomètre spécial la chaleur sentimentale du bouillon dont on prélève un échantillon qu'on classe ensuite. On classe également l'étiquette, au point mesuré par l'altimètre. C'est un bel herbier éthique. Ce Monsieur a dans le cœur un géranium de 1 mètre 25 de haut, et dans le sang un lait condensé de 75 degrés centigrades. C'est un artiste extraordinaire ou un grand Docteur. Musique de la garde. Tout ce qui est au dessous du zéro de l'altimètre est mis hors la loi, la loi étant bien entendu l'aiguille rouillée sur laquelle on empile les étiquettes.

C'est ainsi qu'en ce moment on s'efforce de savoir quelle est la plus belle femme de France. Le public vote. Pour préciser son propre vœu, chaque personne plonge son doigt dans l'œil ou dans la bouche de la femme - car c'est tout ce qu'il en voit - et suivant le rapport de la chaleur du doigt à celle de l'organe en question, le vote s'établit tout seul.

La méthode concernant les classements sentimentaux et les classements scientifiques est la même. Et pour cause. Les savants ont tous un quelconque de leurs organes en forme de saxophone. Cela est “ plus ” ou cela est “ moins ”. La plus belle femme de France. L'heure la plus précise du monde.

Une association scientifique pour réviser l'heure et l'annoncer par radio au monde entier - Evidemment est excepté du monde entier l'ensemble des “ empires centraux ” - Quelle heure est-il ? L'heure, s'il vous plaît. La passion de l'heure est plus forte que celle de l'alcool. L'heure est une fleur, c'est une femme, c'est un pot de moutarde. C'est un chou-fleur ; c'est un obus asphyxiant. C'est absolu, c'est fixe et éternel. Onze heures vingt-cinq. C'est un poste de police. C'est le Pape, ou une serviette hygiénique.

Les savants révisent l'heure comme on nettoie son fourneau. Ils envoient les vêtements de la vérité au dégraissage, et curent le puits

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de la Nue. Comme celle-ci est une putain engagée au mois et peu soigneuse ou soignée, et qui persiste à mettre de la poudre sur sa crasse, ils ont du travail, un travail délicat, lorsque hebdomadairement ils visitent l'intégrité d'un hymen toujours renaissant.

G. RIBEMONT-DESSAIGNES.

Le 1er Mai

Les jours de fête sont toujours pour moi plus gais le lendemain. F. P.

Pas de poésie, pas de littérature, pas d'antilittérature, écrire quelque chose pour Littérature...

Premier Mai, atmosphère bien connue des dimanches, avec espoir de révolution (très difficile de savoir à quel moment commence une révolution et quand elle finit).

Une amie charmante vient me chercher pour visiter un petit hôtel, délicieux paraît-il, à deux pas de chez moi ; impossible de refuser. Impression : les meubles et autres objets d'art ont l'air d'avoir été vendus et rachetés plusieurs centaines de fois ; ils semblent avoir acquis leur valeur par contacts avec les voitures de déménagements.

Les femmes ne comprennent pas l'acte du corps. Oh, bien, oui ! tu as peut-être raison vois-tu ; belle, douce, je ne suis rien, j'aime les lignes...

Deux étages à monter pour trouver une chambre agréable donnant au Midi ; de là j'aperçois un jardin potager, au milieu duquel des nonnes cloîtrées jouent à cache-cache ! Cela me fait croire au premier mai et j'ai envie de me joindre aux sœurs, étant révolutionnaire. En rentrant, je raconte à Tristan Tzara les émotions de ma promenade, il demande, lui aussi, à jouer à cache-cache...

Mais parlons de choses sérieuses : La conscience de Sardanapale et celle du Christ, qui était un homme de goût, leur faisaient préférer un cercueil moucheté d'étoiles, aux larmes qu'ils pouvaient verser. Mais non ! La jalousie, voilà l'hiver, la neige qui tombe, le drame sifflé par un merle sans pitié.

Verlaine a doré son sexe, il avait la syphilis, une cirrhose du foie, des rhumatismes et du génie.

Ribemont-Dessaignes est le secrétaire de Marthe Chenal et du “ Mouvement Dada ”, ce qui est la même chose.

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Je voudrais bien savoir ce que c'est qu'un poète ; j'en suis un, je crois, car mon cerveau vésicatoire s'ouvre pour faire un tableau, de belles choses patientes. Belles choses, petite opération, petite infection dans la glace, impressions grotesques ; quel goût la dernière goutte !

O altitude embêtée dans les entrailles jaunes et bleues des bâillements.

Baudelaire s'était fait faire un costume dans du drap de billard. Lord Byron en habit, sortant de l'Opéra à Venise, regagna son hôtel à la nage.

Marthe Chenal se fout autant de la Marseillaise que du mouvement Dada, comme elle a raison !

On voit la campagne et la mer par ma fenêtre ; quelle maladie cette lèpre là ; aimer l'ennui de la belle vue qui reflète la tristesse d'aujour-d'hui. Je ne suis pas de votre avis, toutes les pièces que l'on joue en ce moment à Paris sont absolument idiotes.

A la fin de mai, il y aura à Paris des éléphants comme des pipes, et aussi des singes sublimes.

La peinture d'Henry Bataille est aussi stupide que sa littérature.

Oscar Wilde se promenait à New-York, dans la 5e Avenue, en pantalons courts et chaussettes !

Je voudrais fumer le tabac des oiseaux mouches. Merci ! je ne prends jamais de thé. Ne trouvez-vous pas que le modernisme de Cocteau ressemble à un stoppage ?

Jouer du piano sur la passerelle ; c'est étrange, l'humidité, mais nous causons en garçons momies. Cela tient à l'ennui, à la disette de nouvelles et au médecin des cravates blanches. Le fond de l'eau paraît faux, le plongeur criait du fond de l'eau et sa voix était fausse. Les coquilles madrépores donnent des indigestions comme un bouillon sur les yeux. Je lève la tête, les hommes et les femmes sont des fontaines du Palais Royal, bachelières à répétitions.

André Gide, l'aquarium vide, n'aime pas les Juifs, comme s'il y avait encore des Juifs ! Quelle naïveté, cher Monsieur.

La bêtise, comme le plafond de fleurs d'orangers, sauf dans une caserne pleine de fleurs en bas-relief silence, pousse au mois de mai. La verdure rangée autour des arbres, prodigieux paysage courroies de nuages, descend dans ma poitrine comme un dessin.

Le chant du coq qui gambade en brodequins d'argent, nous fera danser dans une lanterne, dans un temps plus ou moins long. Effacez ! plus rien à faire, plus rien à voir, les journaux sont des carafons éventés.

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Il y a le mal de chien, toujours triste, il volte en rond, autour de nous. J'ai les yeux humides, mon sang tout le long de la route est impuissant envers les œillades méprisantes ; prenez votre lorgnon pour contempler le mouvement d'un cheval, c'est bien un motif public.

Le 1er mai va finir sous la pluie comme celui de l'année dernière.

Francis PICABIA.

Livres choisis

Paul ELUARD. - Les animaux et leurs hommes.

La révision des images, jolies barrières neuves où s'accouder, ne se fait pas sans le sourire ni le mystère. Il s'agit de donner un nom à des rapports, zodiaque du cœur. Le mot propre comme un ange ouvre ou ferme, on ne sait plus, les régions interdites de la connaissance claire. Au passage à niveau des idées, le bétail attend les trains d'hommes. Humain, trop humain. Et honnête !

L'accent tonique de la pensée se retrouve après bien des années de confusion mentale. Tout paraît simple maintenant : le sujet ou l'attribut, c'est tout un. S'exprimer revient à nier un peu le principe d'identité, consentir au malentendu, prendre l'effet pour la cause. Au diabolo de la parole, le danger serait de se donner le change. Paul Eluard casse le jouet. Où va-t-il avec le dessus du vent ? Il va rire.

Ernest TISSERAND. - Les Contes de la Popote.

L'observation des caractères et des mœurs est encore pour de nombreux écrivains une méthode de travail de laquelle ils ne songeraient pas à faire le procès. Relative ou absolue, ils n'en corrigent jamais l'erreur. Ils ne la supposent même point. A une telle certitude, les avantages ne manquent pas. On ne leur opposerait que faiblement les inconvénients de la vulgarité. Parfois (1) même nos expérimentateurs maladroits abandonnent sans préméditation leurs exercices, tombent sans le savoir dans l'excès contraire, perdent leur esprit critique et se débattent au milieu des matériaux inconscients. Cherchez l'homme, comme disait Monsieur Lecoq.

(1) Voyez Théodore.

Blaise CENDRARS. - La fin du monde.

Il y a une prison qui s'appelle la Santé. Il suffit de se lever pour

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en écrouler les murs. Cela fait du bruit dans le quartier. La gaîté peut être impassible, la vie peut être muette. On se promène sur le macadam, on s'arrête chez un débitant, on regarde le soleil en hochant la tête : je suis content, tu es idiot, le ciel est bleu, nous sommes en République, vous êtes malades de rire, ils sont délicats des poumons. L'affirmation gratuite porte en soi sa récompense. Il n'y a au monde que cette joie sans mélange, beau temps, beau temps, beau temps. Les gros caractères, au moins, cela ne fatigue pas la vue. Quand j'ai du linge propre, je ne crois pas à la mort. Ne craignez rien pour le coffre : il est solide. Je vous serre la main : pourquoi criez-vous ?

Max JACOB. - Cinématoma.

La femme aime à parler : cela est vrai des femmes en général ; ainsi femme est pris là dans un sens collectif. Mais la proposition est fausse dans le sens distributif, c'est-à-dire que ce n'est point vrai de chaque femme en particulier.

On se sert dans tous les langages de certaines expressions ou formules de politesse, qui ne doivent point être entendues dans le sens littéral étroit : J'ai l'honneur de... Je suis à vos pieds, c'est un fou, c'est une folle. Ces dernières paroles ne marquent pas toujours que la personne dont on parle ait perdu l'esprit au point qu'il ne reste plus qu'à l'enfermer ; on veut dire seulement que c'est une personne qui suit ses caprices, qui ne se prête pas aux réflexions des autres, qu'elle n'est pas toujours maîtresse de son imagination, qu'on ne saurait avoir avec elle ce commerce réciproque de pensées et de sentiments qui fait l'agrément de la conversation et le lien de la société.

L'ironie, enfin, est ce petit bol qu'on passe au dessert pour que nous y trempions des doigts plus fatigués que le ciel des forêts et des montagnes.

Francis PICABIA. - Poésie Ron-Ron.

Né en Afrique, il était naturellement noir. Quand on lui demandait son nom il disait merci :

“ Les poissons respirent de l'eau contenant de l'air. Les baleines ne respirent pas de l'eau contenant de l'air, mais elles respirent de l'air contenant de l'eau.

Quelques éléments sont connus.

Aucun élément n'est connu.

Tous les éléments sont connus.

Tous les éléments ne sont pas connus.

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Quelques éléments ne sont pas connus.

Il pleut.

AAA. AAE. AAI. AAO. AEA. AEE. AEI. AEO.

AIA. AIE. AII. AIO. AOA. AOE. AOI. AOO.

EAA. EAE. EAI. EAO. EEA. EEE. EEI. EEO.

EIA. EIE. EII. EIO. EOA. EOE. EOI. EOO.

IAA. IAE. IAI. IAO. IEA. IEE. IEI. IEO.

IIA. IIE. III. IIO. IOA. IOE. IOI. IOO.

OAA. OAE. OAI. OAO. OEA. OEE. OEI. OEO.

OIA. OIE. OII. OIO. OOA. OOE. OOI. OOO.

La raison n'a que quatre voyelles.

Né en Afrique, il était naturellement noir. Quand on lui demandait son nom, il disait merci.

Henry de MONTHERLANT. - La relève du matin.

Matin de la mort, l'enfance grave se promène. A côté de la ville des hommes, une cité d'arbres s'ouvre tranquillement aux automobiles du dimanche. Là, les garçons grandissent en criant. La vie débute à balle-chasse. Longues avenues des retours d'école, qu'avons-nous écrit à la craie sur vos murs ? A la limite des demeures, nous avions le monde miraculeux des voyages extraordinaires : île des cèdres, cascades, allées cyclables de nos imaginations. A la Plume d'or, les couvertures des cahiers représentaient des batailles : nous ne parvenions pas à nous consoler d'Azincourt.

Passé comme une lettre à la poste, mil neuf cent dix ne se doutait de rien.

Guillaume APOLLINAIRE. - La femme assise.

Prendre le porte-plume entre le pouce et le médius, l'appliquer sur le papier avec l'index demi-fléchi de façon que la plume pose sur son bec, appuyer l'avant-bras sur la table et rester assis bien droit, on ne connaît aujourd'hui pour écrire que cette seule recette. Aussi les écrivains les mieux réputés n'ont-ils qu'une écriture de comptables. Tout homme porte en son cœur un René Bazin qui sommeille. Le style, c'est l'homme même, l'ânerie du naturaliste a fait florès : suivant les genres, nos auteurs, qui furent les lauréats de nos lycées, s'appliquent à des pages de ronde, de cursive ou de bâtarde. Quel beau spectacle, quelle émulation !

Cependant, la vie brûle et nous marchons. A l'épreuve du feu, on reconnaîtra ceux qui sont dignes de régner. Nos corps, cendres du ciel, s'altèrent au grand jour. Comme un mouchoir plié, ma jeunesse tient dans le creux de ma main. Où est-il passé celui qui fumait le tabac du monde entre la douceur et le dédain ; Guillaume Apollinaire est mort et enterré.

LOUIS ARAGON.

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Louis ARAGON. - Feu de joie.

La paille qui brûle est notre jeunesse. Louis Aragon s'est approché de ce feu pour s'y chauffer les doigts. Le cœur reste froid. Pourquoi mon ami parle-t-il de son enfance avec cette désinvolture ? Je sais qu'il ne peut oublier les livres de prix, les ballons multicolores et les yeux inquiétants des filles de joie. Je sais encore que cette indifférence est une pudeur mal déguisée. Mais nous n'avons pas peur de lui, nous n'avons pas peur de pleurer.

Pourquoi ce sourire insolent ?

Pour Louis Aragon, la terre est une assez jolie bulle de savon. Il est dangereux d'y allumer du feu. Les flammes sont jaunes ou bleues pour notre plaisir. Beaucoup ont souri en lisant ces poèmes, beaucoup les ont trouvé charmants, je n'ai pu m'empêcher d'être triste en songeant à ces jolis feux qu'on allume dans la campagne et qui ne durent qu'une soirée. J'attends au bord d'une route l'incendie des fermes et des forêts.

Ne vous hâtez pas trop de pleurer de peur d'être obligé d'en sourire. J'agite mon mouchoir et je regarde. Viendrez-vous, mon ami ! Je vous attends. Nous vous attendons.

PHILIPPE SOUPAULT.

Spectacles

Théâtre Moderne : Fleur-de-Péché.

On danse autour des longues joies qui sifflent. Il n'y a rien qui ne soit admis dans ce théâtre au fond d'un passage. Ce n'est pas qu'on craigne de trop dire, mais on sait que rien ne demeure. Les calembours, les jeux de mots passent la rampe, s'irisent, flottent, puis crèvent. La convention forme le décor et la lumière est faite d'illusions. L'auteur nous présente “ une femme de feu ”, une mère prude, une étrangère en quête de “ sensations fortes ” et les geishas qui n'apparaissent que pour laisser des regrets. Les personnages principaux, les plus curieux, n'agissent jamais à la légère. Voici d'abord Fleur-de-Péché, le valet Langdru et puis le bonze. Toute cette pièce repose sur le malentendu, principe essentiel au théâtre, sur la règle du nulle-part.

De ma place, où je pouvais apercevoir les rats courir sous les fauteuils, les cygnes peints sur des glaces, j'oubliais Paris, l'heure et mon âge. La pièce se passe au Japon, mais l'auteur, au lieu de chercher la vraisemblance, néglige la couleur locale et nous berce de mensonges. Il ne cherche qu'à amuser et à éveiller le désir. Ne riez pas, il sait être tragique. Ecoutez Fleur-de-Péché :

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La maison de mon cœur est prête

Et ne s'ouvre qu'à l'avenir

Puisqu'il n'est rien que je regrette

Mon bel époux tu peux venir

Théâtre du Vieux-Colombier : Le Paquebot Tenacity, par Charles Vildrac.

Nous espérions que le naturalisme était mort et enterré, et voilà que sur la scène du Vieux-Colombier (théâtre qui n'est pas comme les autres, affirme M. Jacques Copeau) M. Vildrac nous sert “ une tranche de vie. ” On voit s'agiter un ivrogne bavard ; une servante d'auberge, des ouvriers, une patronne criarde.

Le succès couronne les efforts du Vieux-Colombier. “ Pensez donc, ma chère, le directeur a supprimé la rampe, ajouté un escalier et le rideau n'est pas rouge, mais gris et de quel gris ! ”

Le théâtre des illusions perdues.

Comédie des Champs-Elysés : Le Bœuf sur le toit, par Darius Milhaud et les Fratellini.

J'ai lu autrefois, dans le numéro 2 de Littérature, une charmante étude de Darius Milhaud sur la musique brésilienne, intitulée Le Bœuf sur le toit. Je me demande aujourd'hui sous quelle influence Milhaud a composé cette farce. Elle est triste comme un bonnet de nuit.

La Fête espagnole, par Louis Delluc.

La grande rage qui plane au-dessus des nuages et qui laisse dans son sillage une odeur de sang, se pose un instant sur l'épaule d'une femme. Le soleil éclate dans l'air. Il fait rouge. Le soir descend et les éclairs sont les reflets de la lune sur les couteaux. Qu'importent après tout ces râles et ces cris de gens qu'on ne connaît plus. Il y a le regard d'un homme si fort qu'il peut vous emporter dans ses bras au bout du monde.

Madame Eve Francis, d'un geste ou d'un regard, sait soulever la colère, la haine, la joie et l'amour. Nous ne pouvons oublier ce sourire lointain comme la fumée.

PHILIPPE SOUPAULT.

Le gérant : PHILIPPE SOUPAULT.

ASSOCIATION LINOTYPISTE, 23, rue Turgot, PARIS.