MÉLUSINE

titre de la revue Littérature

Littérature n° 12, février 1920

N° 12
REVUE MENSUELLE
Février 1920
LITTÉRATURE
DIRECTEURS :
LOUIS ARAGON - ANDRÉ BRETON
PHILIPPE SOUPAULT
RÉDACTION ET ADMINISTRATION :
9, Place du Panthéon, 9
ABONNEMENTS
pour la France Édition ordinaire .... 15 fr. par an
Édition de luxe ...... 60 fr. par an
Prix du numéro : 1,50 fr.
pour l'étranger Édition ordinaire .... 20 fr. par an
Édition de luxe ...... 80 fr. par an
Prix du numéro : 2 fr.
Pour la vente, s'adresser à la "Maison des Amis des Livres"
7, rue de l'Odéon,Paris
SOMMAIRE
Paul Valéry Ode secrète
Francis Picabia Papa fais-moi peur.
André Salmon Archives du Club des Onze.
Max Jacob Qu'on se le dise.
Georges Ribemont-Dessaignes Astres.
Louis Aragon, André Breton Démon du Foyer.
Tristan Tzara Surface maladie.
Philippe Soupault Hôtels.
Raymond Radiguet Paul et Virginie.
ENQUETE : Pourquoi écrivez-vous ?
Louis Aragon LIVRES CHOISIS
Philippe Soupault SPECTACLES
FIL SPÉCIAL par GOLLIFAN.

Il a été tiré de ce numéro 15 exemplaires sur papier de Hollande de Van Gelder Zonen numérotés de 1 à 15

P. 1

ODE SECRETE

Chute superbe, fin si douce,
Oubli des luttes, quel délice
Que d'étendre à même la mousse
Après la danse, le corps lisse !

Jamais une telle lueur
Que ces étincelles d'été
Sur un front semé de sueur
N'avait la victoire fêté !

Mais touché par le crépuscule,
Ce grand corps qui fit tant de choses,
Qui dansait, qui rompit Hercule,
N'est plus qu'une masse de roses !

Dormez sous les pas sidéraux,
Vainqueur lentement désuni !
Une Hydre inhérente au héros
S'est éployée à l'infini !

O quel Taureau, quel Chien, quelle Ourse,
Quels objets de conquête énorme,
Quand elle entre aux temps sans ressource,
L'âme extraordinaire forme !

O quel brusque étincellement
D'événements très précieux
Etonne universellement
Les silences qui sont aux cieux !

PAUL VALÉRY.

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P. 2

PAPA FAIS-MOI PEUR

Un homme la gent écrivante de bavarder
Caves du ventre une espèce toute
En envie seul coup un livre anti-liberté au fond
Ça me distraira des plus mauvaises s'assouvit
Voilà tout nier le génie tout refaire de l'antiquite
Dans les périodes dont je parle c'était
Idéal cinq cents sans crainte de neuf
Voilà tout
Nourriture du tabac publier ou
J'ai cet axiome que a du est et en
Dans rien puisse ne
De ne pas publier les bassesses de l'art pas
Vierge voilà l'homme
Ensemble au même niveau du tabac
Lors de la vogue or
Un moment les relations de Calais
Satisfaisant trouve celui-ci c'eût
Du libéralisme sur la place sinon une médiocrité
En littérature et rien venu en revanche
Nous avons les sens en commun
Et l'éloge inattendu
La jeune fille est pure c'est bien beau
Premières et secondes dans un exclusivisme
Homme honnête d'être

FRANCIS PICABIA.

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P. 3

INTRODUCTION A LA LECTURE DU RÉPERTOIRE DÉTAILLÉ DES ARCHIVES DU CLUB DES ONZE

(*) Il paraîtra sous le seul titre Archives du Club des Onze un volume contenant la somme manuscrite et des coupures caractéristiques des dites Archives qu'on suppose enfin confisquées, déchiffrées, traduites et mises au propre en leur totalité.
Les logis les plus précieux gardent à cette heure une perspective ouverte sur l'office. L'avenue aristocratique a des ardeurs et des fraîcheurs et des gaietés de voie plébéïenne. Des commères aux bras loués suspendent aux balcons des peaux de bêtes ou font claquer comme des drapeaux les chefs-d'œuvre de Téhéran, de Boukhara ; les boîtes à lait tintent, clarines ! Autour du kiosque, les journaux pliés, étalés, déployés, brandis, chiffonnés de rage, roulés en boule, avec leurs six colonnes et leurs manchettes et leurs titres multipliant à l'infini le sens et la dimension, les journaux allongent les drames et menus-plaisirs, catastrophes et récréations, les faits-divers du monde en merveilles de verre filé.
Les vapeurs du matin ouvrent et ferment les yeux à l'homme-tronc stylite, qui fut styliste ; le buste de bronze dieu du carrefour.
Aimé le bien-aimé, ganté de jaune, mène pisser le pékinois d'Orange. Un agent hume au long des murs l'odeur du capital.
Mollets nus, bas écossais, cols larges, serviettes en cuir de Russie, petits sacs bruns de football ; les enfants qui vont au lycée figurent déjà, en groupe conscient, un conseil d'administration.

P. 4

Au sommet d'une échelle de bambou, un gazier qui astique son candélabre chante, pour les boniches qui gloussent, émergeant de la mousseline des rideaux.
Petit pied
Petite menotte...
Térence Riphar - calotte de velours, tablier bleu, pantoufles brodées à la chinoise - frotte au tripoli le bouton de sonnette.
Térence Ripnar a vieilli.
Quinze ans ! L'ombre et la moiteur de la loge conservent aussi bien qu'un garde-manger les viandes, mais c'est l'amour et la gloire de l'amour qui faisaient voici quinze ans encore, Térence Riphar si ragoûtant au regard des créatures de feu, de l'escalier de service aux étages des maîtres.

Qui se souvient encore de Térence Riphar ? Quand les journaux à un sou n'avaient pas moins de vingt-cinq pages, ils publiaient à l'envie l'iconographie de Térence Riphar. Térence au seuil du bel immeuble. Térence en jaquette et chapeau melon, une cassette finement ciselée en main, allant “ porter le terme ! ” Térence présidant le banquet de l'Amicale des Loges du XVIe. Térence à vingt ans, caporal de secrétaires d'Etat-major, fier de ses belles épaulettes blanches. Térence frisé, huilé, verni, culotté de blanc, le brassard de communion au bras, avec des franges d'argent longues comme celles des épaulettes promises.
Vous souvenez-vous de lui ? L'affaire Syvanège ? Raphaël Syvanège ? Le député suicidé ? Le trésorier de la Ligue des Vexilaires ?...
Alors, Térence Riphar était bien beau et la belle Valérie Brocard, la belle-fille de Raphaël Syvanège, l'aimait de cet absurde et tumultueux amour dont l'avaient aimé Dona Ramire, la femme du docteur Fleiche, du ministre Courard, de Tourte l'académicien, de Misty-Mamisty le psychologue, de Sulpice Dyname, professeur au Collège de France et Parfaite Dora l'actrice et Cléopâtre Zongue la somnambule mondaine, tant d'autres !

P. 5

Mme Riphar, elle, ne vieillissait pas. Sans doute parce que, déjà réduite, voici quinze ans, à ne s'énivrer que des amours égoïstes de son Térence, rien n'entamait plus son rêve poursuivi dans le demi-jour de la loge en époussetant les photographies de femmes, de Dona Ramire à Cléopâtre Zongue par Valérie Brocard, et celle de son homme entre toutes chère à ses yeux : Térence au feutre cucurbite, le coffret Renaissance sous l'aisselle quadrillée, allant porter le terme.
Dans ce temps-là - quinze ans passés - la loge s'emplissait du parfum de jardins inouïs, six fois le jour, quand le facteur apportant le courrier jetait les enveloppes sur la table ronde couverte d'une toile cirée éducative, illustrée des effigies des héros et martyrs de la science ; Bernard Palissy sciant saintement son buffet Henri II pour que les autres pussent emplir les leurs de vaisselle artistique ; Pasteur guérissant de la rage une jeune bergère.

— Les plus belles sont pour vous, Monsieur Riphar.
Ou bien :
— Ah ! ce monsieur Riphar, il en a plus que ses locataires.

Soulevée par la puissance des essences combinées, la loge s'élevait alors au-dessus de notre univers avec sa table ronde autel du progrès vainqueur - ô Palissy ! - des embûches par les bûches ; vainqueur par la foi qui sauve des défaillances de ses servants, si l'on se persuade enfin de l'identité de l'erreur scientifique et de l'erreur judiciaire. Au zénith établi par l'idéale ascension se fixait la Constellation des Chromos et la Voie Irisée des coquillages et la Grande Ourse de la Commode-Secrétaire et le centre d'attraction planétaire du Chien empaillé et l'Etoile Polaire de la Lampe avec sa suspension et son abat-jour illustré d'un Vesuve en éruption, et les mondes mineurs du globe aux souvenirs nuptiaux, de la médaille du Bien Public et, pour qu'un dieu s'y repose, la halte

P. 6

astrale d'un fauteuil de peluche paon habillé de crochet, ouvrage de Mme Riphar.
C'est dans ce fauteuil que se laissait choir, lasse d'épousseter les précieux simulacres, Mme Riphar en possession de l'art de recréer ainsi ce ciel meublé depuis ce temps que les parfums épistolaires ne soulevaient plus la loge.
Le gazier sur son échelle de bambou chantait :
Petit pied
Petite menotte...
Térence fourbissait ses cuivres en réussissant d'évoquer le fantôme charmant de Valérie Brocard.
Le spectre se dissipa à la vue d'un inconnu. Un homme d'âge incertain, jeune encore cependant. vêtu à la façon d'un contremaître rangé, avec un rien d'artiste dans le choix de la coiffure. Des yeux clairs, une ombre de moustache. Un nez fin singulièrement remuant. Aux ordres nombreux dont les Chancelleries étrangères avaient payé son zèle, les Saints Maurice et Lazare, Victoria, Saint Wladimir, Saint Jacques. Léopold, Pour le Mérite, la Couronne de fer, etc., il préférait la simplicité des palmes académiques. Un ruban fatigué, mais jusqu'au rajeunissement de la toute fraîcheur, ultra-violet.

L'inconnu porta, d'un geste léger, une main gantée d'ocre aux bords du feutre noir.

— Monsieur le Concierge, avez-vous ici un nommé Gnou ?
— Parfaitement, j'ai ça ; mais dans la cour ; au troisième. Gnou, Martin ; c'est bien après lui que vous demandez ?
— Non, Amatémathée.
— Amat.... ?
— Amatémathée Gnou ; Amatémathée c'est son prénom.
— Il m'a pourtant toujours bien dit Martin, et sur ses lettres...
— Il ne vous a peut-être pas dit la vérité,

P. 7

— Voyez-vous ça !... C'est bien possible... on ne se méfie jamais trop du monde. Mais, dites-moi donc, comme ça, ce drôle de nom d'Amati...
— ...témathée.
— Qu'est-ce que ça signifie, si ça n'est pas un mot de sorcier comme Abracadabra ?
— Cela signifie, en grec, Erreur de Dieu.
— Erreur de... Ah ! nom de Dieu !... Sacré Monsieur Laitance !
— Le mouchard recula d'un pas, puis, d'un pas plus résolu, revint sur Térence Riphar.
— Vous me connaissez donc ?
— Oh ! Monsieur Laitance !... pour vous oublier il faudrait que je me sois oublié moi-même !... L'affaire Syvanège... c'était pas rien.
— Chut !
— Compris. Alors vous dites que ce Gnou, un locataire sur le compte duquel il n'y a rien à dire, a ce drôle de nom...
— D'Amatémathée, n'en doutez pas, Riphar ; au surplus, l'ayant, son droit est absolu à se prénommer aussi bien Amatothée...
— Voyez-vous ça !
— Et s'il lui plaît encore Theosphalle, dont il fait bien, pourtant, de se défier, à cause du calembour obscène qui tenterait trop les demi-savants.
— Tout de même ! Et tout ça, Monsieur Laitance, d'après vous qui avez de l'instruction ça voudrait toujours dire Erreur de Dieu ?
— Vous en savez autant que moi.
— Et c'est Martin qui est de la comédie ?... Mathilde !
— Laissez Mme Riphar à sa cuisine.
— Qu'est-ce qu'il a fait pour que vous l'arrêtiez ?... Il n'est pas là ce matin, vous savez.

Le mouchard haussa distraitement les épaules. Don Juan Pipelet se grattait le nez.

— Qui parle d'arrêter votre locataire ?... Il est à moi, cela suffit. Aimez-vous toujours les vers

P. 8

— J'en lis tous les soirs à Mme Riphar, et les vôtres sont si jolis !

Laitance daigna sourire et ouvrant la bouche en U
Qu'on apréhende ou bien qu'on élargisse
Quand sur un plan choisi par vos soins l'homme glisse
C'est toujours même sacrifice
humain - je vous le bonis -
Au dieu bénin, banni
Qui bénit la police.

— Divin !

Le vent du sud soufflait quand il l'a prise
Un chaste vent du nord lui rabat sa chemise,
Sans qu'aucun s'en effare,
O monde sans amour !
On conduit chaque jour,
O pensée indécise !
Judith à Saint-Lazare,
Abraham en Cour d'Assises.

— Céleste !... Ah ! vrai, vous me tirez des larmes en me rappelant ma jeunesse.
— Tu pleures, Monsieur Riphar ?... Tiens, Monsieur Laitance !
— Madame Riphar, je vous présente mes devoirs
— Qu'est-ce qui se passe donc ?
— Térence vous expliquera.

Térence saisit le policier par le châle de son gilet.

— Et ce sont ses parents, à ce Gnou, qui lui ont donné ce nom ; comment qu'ils ont su que c'était une erreur ?
— Térence, fit sévèrement l'inspecteur, je suis à moi seul la brigade des Cas ; on ne me confie que des Cas ; j'ai de la valeur, mais je ne les puis résoudre tous. Parlons net. Est-il riche ?
— Peuh !... prodigue... des pourboires idiots... mais pour ce qui est d'être riche...
— Est-il abonné à de nombreuses revues ?

P. 9

— Il les reçoit toutes ; mais sur la chemise il y a toujours d'imprimé, ou bien au timbre mou : Service... gratuit... specimen...
— A quelle titre les reçoit-il ?... Il n'est pas écrivain.
— Il n'y a même pas d'encre chez lui. Mme Riphar fait son ménage.

Mme Riphar prit la parole :

— Il n'est pas méfiant, un peu innocent même... et si c'est pour le surveiller...
— Ces revues qu'en fait-il ?... des collections ?
— Il les jette au panier, Monsieur Laitance.
— Sans les lire ?
— Que non !... mais pas entières... c'est-à-dire que dans chacune il découpe, ici ou là.
— Et ces fragments, il les conserve ?
— Dans une valise, aussi vrai que je suis l'épouse à Térence.

Laitance souriait de satisfaction.

— Entrez donc dans la loge prendre le madère, Monsieur Laitance.

Sur le seuil du sanctuaire aux images mondaines et voluptueuses. Laitance, songeur, articula :

— Ce Gnou, sans profession... je dis bien ?... ne s'est-il jamais flatté d'être archiviste ?
— Il n'a pas d'orgueil et il n'est pas bien liant.
— Oui... quel journal lisez-vous ?
— Le Figaro.
— Jamais Paris-Midi ?
— Des fois, pour les courses.
— Avez-vous le souvenir d'y avoir lu, aux environs de 1912, en écho à un filet de Gil Blas, certain articulet signé Jehan de l'Ecritoire et relatif à l'existence d'un club de onze membres dont chacun s'ignorant ignorait même qu'il fût membre de ce cercle ? On insinuait qu'il se pouvait agir d'un Baudelaire-Club analogue à ce Stendhal-Club dont... vous ne savez absolument rien. Or, ce club, dont l'existence ne fait pas de doute pour moi, mais qui n'est aucunement

P. 10

Baudelaire-Club, pauvre invention de journaliste, aurait un archiviste qui...

Mme Riphar referma la porte de la loge avec pré caution.

Aux approches de la dernière Exposition Universelle, les derniers écrivains à moustaches roulées et cravates flottantes blanches, dites à la Colin (Sardou, Mendès. Meurice, etc.), qui régalaient d'historiettes professionnelles les jouvenceaux de l'Ermitage, de la Plume et de la Revue Blanche, redisaient souvent celle inscrite sous la rubrique “ Hugo, Leconte de Lisle et Dieu ”. “ Lorsque je paraîtrai devant le Créateur, demandaient - selon ces vieillards - l'Olympio de Besançon, comment, en quels termes le saluerai-je ? ” L'Antechrist mulâtre de l'île Bourbon, naturellement méchant comme la fleur de lin est bleue, avec des gaietés glacées d'assassin à distance, tueur académique de mandarins, avec des jovialités de cornac librepenseur, des humeurs de pasteur de béhémots en boutique, passage Choiseul, secouant la neige de ses crins, conseillait perfide et clairvoyant : “ Si vous commenciez par “ Mon cher Confrère !... ”
Avant toute chose était le Verbe.
Après il y eut la Bible, les Evangiles et d'autres livres ; le Catéchisme, les brochures de propagande, les Actes des Apôtres, les journaux, que sais-je !
Dieu écrit trop. Dieu qui écrit trop décréta Amatothée Gnou (alias Amatémathée, voire le scabreux Theosphalle) ; Erreur dont Dieu manqua périr.
Dieu ne se relisant pas, sous peine de n'être plus Dieu, et les Séraphins lecteurs sautant, par paresse, les passages difficiles, et, par excès de délicatesse, les passages ennuyeux du Livre. Amatémathée dit Martin pût vivre, au moins jusqu'à l'instant que s'en inquiète le policier Laitance, chef de la brigade des Cas.
Si les Séraphins eurent tort en leur fausse délicatesse, l'auteur se réjouit d'un Gnou, Erreur monstrueuse qui justifie l'étude. Un livre encore vivra pour en administrer la preuve.

P. 11

Le gazier polissait les vitres convexes d'un dernier candélabre municipal.
Sur l'avenue, cheminant de conserve, passèrent Pied d'Ange, efféminé, parfumé ; le bel agent de la brigade des Scandales et, lourdaud, balancé comme un cargo plein de barriques, avec son nez courbe sur des bagantes huileuses, Prosper Fleur de Nase, de la déniée brigade des Mœurs. Spontanément, couvrant de leurs pas cadencés la façade du 72, Pied d'Ange et Fleur de Nase se découvrirent devant l'immeuble où “ travaillait ” Laitance.
On ne sait si parvint jusqu'à eux le soprano du maître faisant valoir cette odelette :
Petits pieds
Petites MENOTTES,
Il n'en est pas d'assez petites
Pour les poignets de Marguerite

— Une voix sort d'une guérite

Valentin parle à des troupiers -
O chaînes, sonnez, note à note,
Au gré de Faust que l'on acquitte,
Cette romance huguenote !

ANDRÉ SALMON.

(La fin - de cette introduction - dans un prochain numéro.)

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P. 12

QU'ON SE LE DISE

Monsieur VRON ;
Monsieur PICKLE ;
Monsieur RIDIDI DU RADADA ;
Monsieur et Madame POUFLE ;
Monsieur et Madame LESEMAJESTÉ et leurs enfants ;
Monsieur BREGEDENT ;
Madame BEGLE ;
Madame FARABEUF et ses neveux ;
Monsieur LANJUINAIS ;
Monsieur PIÉDEPORC ;
Madame CORON ;
Monsieur et Madame LÉONARD DE VINCI et leurs enfants ;
Monsieur COUCICOUCI, membre de l'Interprétation Nationale ;
Madame LEFEVRE, directrice ;
Madame MEMBRE, membre ;
Madame Arthur MEMBRE, membre ;
Monsieur et Madame Eugène MEMBRE, membres ;
Monsieur PETITFIXE, membre ;
Monsieur GRANDOEIL, directeur de la Direction Générale ;
Monsieur TOUTALEGUE, directeur général ;
Madame LONGANIMITÉ, ainsi que leurs père, mère, fils, filles, neveux, oncles, tantes, belles-mères et beaux-fils, et toute la famille, ont l'honneur de vous faire part qu'ils sont décorés de l'Ordre du Petit Bâton Transversal en ivoire de Chine.

MAX JACOB.

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P. 13

ASTRES

Le voiturier Scorpion guide un regard terrible vers l'absence noire
L'abeille écartèle les mille yeux uniques pour tirer un contentement
Et jaillissent les lancinements cancer d'être
Stupide Ourse du problème réduit
Dans le dédale moteur Colomb perpétué
La photographe a le tétanos
Ce serait trahir que de dire
Quoique hurlement froid en deça du saisi
Le sang se caille derrière l'iris évaporé aux confins invertis
Jusqu'à n'être plus
Car être et voir c'est encore négation
L'acteur Dieu avec arrière-pensée de larcin
Désir viol et de sa fille à travers le viol gigogne
Délesté de son cœur hélas son cœur poisson rouge hume un soleil double
Et s'éteint l'illumination en atroce contrition
Pleine des bêlements du troupeau cafard
Le serpent musique au travers des cendres apporte une llusion marionnette ressemblante
Mais de solitaire
Dans une grande chute
Solitaire
Dans les débris mécaniques les larmes sèchent sur l'habituelle balance
Le sauveur qui fait perdre le chemin
Est couché dans l'allumeur de réverbères
Qu'attendre
Etre délivré du poids et soumis universel
Amour ignorant de son objet

(1918)

G. RIBEMONT-DESSAIGNES.

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P. 14

DÉMON DU FOYER

A Madame Eve Francis.

Le meilleur c'est peut-être, les cuivres finis, de passer les cheveux de son mari au Faineuf.

Les murmures indistincts des femmes rétives nous parviennent à travers les murailles de l'esclavage. Les libertins jouent avec cette troisième puissance de l'inconnue comme avec une constellation les vents d'ouest que les gravures anciennes représentent avec des joues de santé et des cheveux bouclés par le tonnerre. Quel mal peut faire un regard jeté en passant dans le panier aux papiers où les hommes négligents ont laissé tomber leurs femmes décoiffées et lasses après ces luttes inégales dont l'issue est trop facilement prévisible, hélas ! Qui apporta ces corbeilles, - corbeilles de noces ? Mais sans doute les jalouses petites filles du mécontentement universel, élevées à force de soins par la Sainte Vierge et gardées à l'œil au couvent.

Après la déception de ces longues années aux yeux d'amandes amères, comment voulez-vous qu'une plante de bonne famille se contente des consolations luisantes du coton à repriser ? Ces pauvres croix sur fond orange donnent une piètre idée de la passion de chaque homme et du Mont des Oliviers semblable au réconfort du Dément et à la paresse des colporteurs. L'éponge imbibée de pitié si aigre dont on nous rafraîchit les lèvres après tant de nuits d'amour passées à la belle étoile, cette médiocre tasse de chocolat qui se prend au bord d'un lac consternant, tient plus ou moins de place dans notre poitrine, entre les crosses les mieux imaginées des processions humaines et les loboggans épouvantables du besoin de se nourrir. L'accueil forestier des cathédrales, la ferveur des prières désespérées, les paroles chaudes et perdues des grands prêtres pâles ne réussissent pas toujours à retenir par les cheveux celles qui tiennent entre leurs doigts maigres la fleur grise du mariage et qu'ébranle déjà la mousson d'automne. Elles répondent étrangement au bois sec des confessionnaux qui n'est jamais

P. 15

si jeune qu'on puisse en soulever l'écorce pour y graver une date et des initiales entrelacées. Les grandes anémones qui sont le surplis du vicaire n'étoilent guère que cinq ou dix minutes la nuit très avancée de leur cœur. “ O Dieu qui nous écoutes sous forme de grille, Tu sais bien qu'il est difficile de rester enfermées tout le jour dans le caveau conjugal qui est à peine plus doux que Ton regard. Tu sais bien... Mais il ne veut pas nous entendre et nous tordons nos désespoirs en forme de huit. La palme des souffrances stériles est la mieux ouvragée de celles qui sont sur les tombes : A mon époux adoré. J'ai les larmes aux yeux ; comme elle est couverte de poussière ! Il faudrait faire soigneusement le ménage, le matin, dans les cimetières. Les petits arrosoirs verts à portée de la main, nous les avons toute notre vie. Qu'il paraît beau, le tentateur des compagnes aux yeux modestement baissés quand il se montre en petit veston d'alpaga. Nulle tendresse ne raccommode ses coudes lumineux. Je ne puis pas manger indéfiniment cet affreux pain de ménage et sauriez-vous jamais m'indiquer la porte de sortie ? Albert, c'était le nom du garçon de bureau, mettait si souvent la tête dans son plumeau qu'il finit par tousser. Ah ! les chasseurs n'ont pas pensé à cela ! Je vous citerais mille exemples de ce genre, tous plus miséricordieux que le bois de campêche, ou le brou de noix, sans parler des puits de pétrole qui sont bien les plus rafraîchissants. Quels modèles de vertu m'ont été les saintes et les autres pour que je me défende ces pauvres petites joies sans plumes ? Il paraît que les hommes aiment que leurs femmes empruntent à la flore imprévue des marchands de couleurs la saveur du poivre de Cayenne et le piquant des feuilles d'aloës. ”

Aussi bien le battement des portes de commerçants se confond avec la diastole et la systole des plantes vertes qu'ils mettent à leur étalage pour que les maisons de rapport ne nous happent pas seulement aux étages supérieurs.

LOUIS ARAGON ET ANDRÉ BRETON.

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P. 16

SURFACE MALADIE

il dit la chanson du givre enfer son cou est raide
sa queue est une fleur de fil de fer
ses cheveux sont des ressorts sa tête rosace aplatie
chez lui tout est oxydé il chevauche sur une ligne
si je suis fou seigneur chrysanthème mon cœur est un vieux journal farci
ne me regarde trop tes lumières deviendront des fils de fer
et le squelette de ton enfant aussi
l'arbre n'a qu'une seule feuille
l'arbre n'a qu'une seule feuille
j'entends les pas du fou prière regarde le cheval vert l'athlète insoucieux et le saut du saint dans le cristal métal des variations le long des oreilles des éléphants
piano qui verse arc-en-ciel de soufre et fleurs lunulaires
phosphore et l'air les fleuves aux broderies de charbon
tu coules en moi multicolore
les veines dans certaines pierres
le feuillage saigne
golfe mouton
gonfle
la mort noircit les ongles
tes mains lucifuges caressent les louves el les fleuves
ton œil cuit : descends araignée de cuivre
attends sur le cœur j'ai de si belles taches
aux bords cicatricés comme les robes des jeunes filles
en arcs-en-ciel de cendre
les couleurs humides rôdent
ivres

TRISTAN TZARA

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P. 17

HOTELS

A minuit vous verrez encore les fenêtres ouvertes et les portes fermées. La musique sort de tous les trous où l'on peut voir meurir les microbes et les vers majuscules. Mais plus loin, toujours plus loin, il y a encore des cris si bleus que l'on meurt d'émoi. Tout est bleu ici. Les avenues et les grands boulevards sont déserts. La nuit est surpeuplée d'étoiles et le chant de tous ces gens monte vers le ciel comme la mer s'en va à la recherche de la lune, bonheur si lourd et si peu décevant pour les âmes délicates des vagues. Les plages sont pleines de ces yeux sans corps que l'on rencontre près des dunes et des prairies lointaines et rouges du sang des troupeaux fleuris. Cadavres des jours adorés, cirque des émotions et des ivresses rouges, rouges, mais où le cœur bat comme une cloche fine et pâlie par les soleils extérieurs. La porte majeure laisse écouler les fumées oranges comme les champignons que nous aimions, le bois est tout près et les femmes rondes courent de-ci de-là en ramassant les feuilles ressuscitées et passagères ; ce sont des oiseaux de toutes les couleurs et qui chantent mieux que le vent. Quadrilatère où l'on étouffe pour jamais. mais à la sortie on sait que le chasseur est là, avec tous ces chiens, tous ces yeux et personne n'oublie la montre putain d'église qui vous frappe à la tête comme une roche qui se désagrège sans un cri.

PHILIPPE SOUPAULT.

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P. 18

PAUL ET VIRGINIE

Ciel ! les colonies
Dénicheur des nids
Un oiseau sans ailes
Que fait Paul sans elle ?

Où est Virginie ?
Elle rajeunit
Paul et Virginie
Ciel des colonies

Pour lui et pour elle C'était une ombrelle

RAYMOND RADIGUET.

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P. 19

NOTRE ENQUETE

(Fin) 1

(1) Voir les numéros 10 et 11.

Nous terminons aujourd'hui la publication des lettres qui nous sont parvenues. Nous rappelons que dans chaque numéro - et non d'un numéro à l'autre - nous avons suivi pour les faire paraître l'ordre inverse de nos préférences, afin de maintenir l'intérêt de la lecture et d'éviter à nos correspondants la surprise d'un commentaire.

Pourquoi écrivez-vous ?

M. MARIUS ANDRE

J'écris parce que j'en éprouve le besoin et que c'est un des meilleurs moyens que j'ai trouvés de vivre dans la joie.
Je fais de temps en temps une poésie provençale parce que le lyrisme qui est en moi veut être exprimé dans la langue maternelle et que cela fait plaisir à quelques amis.
Je fais de la critique littéraire et des travaux d'histoire pour la défense de ce que je sais être la vérité. Je crois accomplir ainsi, dans mon petit coin et à ma manière, mon devoir de citoyen.

Marius ANDRÉ.

M. JACQUES COPEAU

Je réponds à votre circulaire du 1er octobre.
J'ai extrêmement peu de temps pour écrire. C'est pourquoi je m'efforce de n'écrire que pour dire quelque chose.

Jacques COPEAU.

Mme BERTHE DE NYSE

Ecrire est pour moi la plus délicate des jouissances, la plus exquise des joies et la plus efficace des consolations.
C'est poussée par une force intérieure que je prends la plume, alors que dans ma pensée la phrase est déjà entièrement dessinée.

P. 20

La Douleur est pour moi une féconde Inspiratrice, j'écris aussi pour chanter l'Amour, et quant à la Joie, il faut qu'elle soit éclatante et la fin d'une angoisse pour que j'éprouve le besoin de la célébrer à voix haute et non dans le calme et la solitude.
J'écris aussi, pour prolonger l'émotion causée par la vue d'un paysage rare, pour défendre les idées qui me sont chères et m'efforcer de les faire triompher. La Sincérité et la Passion sont en résumé les raisons majeures qui m'ont toujours amenée à écrire.

Berthe DE NYSE.

M. TANCREDE MARTEL

Pour obéir à une impérieuse vocation, ce que Théodore de Banville appelait “ l'amour du laurier ”. Au reste, mes livres : Blancaflour, Rien contre la Patrie, le Prince de Hanau et quelques autres, ont déjà répondu pour moi.

Tancrède MARTEL.

M. ALBERT KEIM

Il me semble qu'on écrit comme on vit, comme on respire, comme on aime, comme on souffre...
L'art, pour nous l'art littéraire, c'est un approfondissement de la réalité.
Il s'agit donc de fixer des êtres et des choses éphémères avec leur caractère éternel. Telle est notre volonté plus ou moins claire. Ah ! quelle étrange entreprise de tirer du néant l'étincelle de Dieu !...
Nous passons notre temps à sentir notre cœur battre avec celui des autres, à dire la pauvreté, ainsi que la splendeur humaines.

Albert KEIM.

M. OCTAVE HOUDAILLE

Pour donner du vol à l'essaim un peu confus des idées subjectives et les faire chanter dans la musique des mots.

Octave HOUDAILLE

LE CHEVALIER ANDRE DE FOUQUIERES

J'écris - car je considère que le livre et le ournal sont des tribunes qui me permettent d'exposer mes idées et de les défendre et de faire si possible des adeptes.

P. 21

C'est un grand plaisir personnel et c'est quelquefois une satisfaction pour autrui.
Quand j'ai publié mon voyage sur les Indes, je désirais que le lecteur soit imprégné des beautés et des splendeurs de l'Orient.
Quand j'écris sur la Tradition, je me fais illusion, peut-être, mais j'espère idéaliser notre société qui, hélas ! se démoralise et se nivelle à outrance.

André de FOUQUIERES.

Mme JEANNE LANDRE

J'écris parce que cela me permet de dire ce que je pense, sans voir la tête de ceux à qui je le dis.

Jeanne LANDRE.

M. HENRY D. DAVRAY

Je n'ai plus le temps d'écrire. Je dicte, même par téléphone, quand on me demande de dire quelque chose sur un sujet que je connais plus ou moins.

Henry D. DAVRAY.

M. PAUL DERMEE

a. Pour faire enrager certains de mes voisins.
b. Pour leur faire écrire grotesquement qu'on ne peut s'enrichir qu'en pillant le tronc des pauvres.

Paul DERMÉE.

M. EDMOND TEULET

Je me suis souvent posé cette question : pourquoi la source sourd-elle et l'oiseau chante-t-il ? sans jamais résoudre le problème.
A la réflexion, peut-être voulez-vous dire : dans quel but ?
Alors, je répondrai qu'il est multiple et changeant comme le crépuscule, cependant qu'immuable, puisque j'ai le sentiment d'être impressionné par l'amour du bien et du beau en la justice et l'idéal.

Edmond TEULET.

M. EDOUARD DUJARDIN

Pourquoi un écrivain écrit-il ? c'est, à mon avis, demander : Pourquoi un pommier produit-il des pommes ?
Bernardin de Saint-Pierre eût sans doute répondu que P. 22 les pommiers avaient un but et que ce but était de fournir aux humains une matière premiere aux beignets. Je crois moins à cette finalité qu'à l'accomplissement d'une fonction. La fonction accomplie, c'est-à-dire la pomme arrivée à maturité, le jardinier la cueillera, le marchand la jettera dans son panier, la cuisinière la fera cuire, et l'objet servira à meubler une table, à moins qu'on ne l'utilise à l'endroit de quelque orateur impudent. Une utilisation n'est pas un but.
Que l'œuvre de l'écrivain naisse ingénue, Nietzsche eût dit innocente, telle qu'un beau fruit riche des sucs de la terre et caressé de soleil, et il se trouvera qu'elle sera, tout aussi bien, belle aux regards et réconfortante au cœur des hommes, ou châtiment aux insolences.
En écrivant, l'écrivain accomplit une fonction ; Dieu (si j'ose m'exprimer ainsi) fait le reste.

Edouard DUJARDIN.

M. CAMILLE MAUCLAIR

J'ai bien envie de vous répondre avec Carmen : “ Je chante pour moi-même, et je crois qu'il n'est pas défendu de chanter. ”
J'écris avant tout parce que c'est pour moi une passion et une consolation. Je satisfais à un désir inné. Ensuite, j'écris pour engager autrui à aimer ce que j'aime et à le lui faire mieux comprendre.
Enfin, j'écris parce que j'adore le travail, et ce travail est celui qui me plait le plus. N'étant aucunement gendelettre ni arriviste, et vivant dans mon petit coin, je regrette énormément que le fait d'écrire constitue aussi un métier : un fichu métier, auquel il me faut demander mon pain alors que j'eusse voulu ne lui demander que des idées et des songes. Mais à tout autre métier j'eusse été inapte : Je tâche donc d'exercer celui-là avec honnêteté et même plaisir.

Camille MAUCLAIR.

M. ANDRE LEBEY

J'écris parce que je ne peux faire autrement. Et je dirais qu'on n'a qu'une excuse d'écrire, c'est, en effet, de ne pouvoir faire autrement.

André LEBEY.

P. 23

Mme la Comtesse DE NOAILLES

J'écris pour que le jour où je ne serai plus
On sache comme l'air et le plaisir m'ont plu,
Et que mon livre porte à la foule future
Comme j'aimais la vie et l'heureuse nature,

Comtesse de NOAILLES.

M. LÉON BALZAGETTE

Pourquoi cet enfant dans la rue siffle-t-il en suivant la grille qui surplombe la voie ?
Pourquoi, au sortir du gouffre des années misérables, gardons-nous encore, malgré tout, indéracinable, la vieille foi en l'homme et le monde ?
Pourquoi cette vie qui n'est plus la vie, parce qu'elle est trop imprégnée de fraîche mort, garde-t-elle néanmoins un arome ?
Pourquoi ai-je frémi d'aise et d'émotion en retrouvant. à la fin dé l'été, les feuillages et les eaux et les ciels familiers ?
Pourquoi, pourquoi ?
Il me semble que si je pouvais répondre à l'une de ces questions, mieux que par une autre question, je saurais dire aussi pourquoi j'écris.

Léon BALZAGETTE.

M. LOUIS DE ROBERT

Excusez-moi de ne pouvoir répondre à votre question. Quand on n'est plus un tout jeune homme, on n'est plus guère tenté de discuter sur son art : on préfère l'exercer. Pourquoi j'écris ? Je n'en sais rien du tout. Probablement parce que c'est la seule chose qu'il me plaise de faire.

Louis de ROBERT.

M. JACQUES DYSSORD

Parce que je ne peux pas faire autrement et à ce sujet, écoutez cet apologue : “ Il y avait autrefois, au château de Belle-Lurette, à deux pas de l'Espagne, une mère admirable qui avait souhaité de faire de son fils un saint. Il n'est pas de meilleur moyen pour attirer l'attention du Malin.

P. 24

“ Le fils commença de très bonne heure son noviciat de prodigue et un jour qu'il embrassait les larmes que venait de verser sa mère sur une de ses récentes équipées, elle lui dit :

— Mon enfant, pourquoi me fais-tu pleurer ainsi ?
— Parce que je ne peux pas faire autrement, répondit-il.

Et ils se regardèrent longuement au visage. ”

Jacques DYSSORD.

M. F. VANDERPYL

Vous ne m'avez pas demandé pourquoi j'écris. Vous avez raison...
Je n'écris pas, je gueule.

F. VANDERPYL.

M. MAURICE LEBLANC

Après vingt-cinq ans de travail et deux ou trois douzaines de romans publiés, il serait difficile d'analyser les raisons pour lesquelles on a commencé d'écrire. Chaque matin on prend la plume parce que l'on ne peut plus faire autrement sous peine de malaise, d'inquiétude et de remords. Il y a là vis-à-vis de soi-même, en même temps qu'une obligation morale, une nécessité physique. La santé de l'esprit et du corps, l'équilibre même de notre système nerveux, dépendent de notre tâche quotidienne, à laquelle chacun de nous croit loyalement qu'il était destiné.

Maurice LEBLANC.

M. JEAN PELLERIN

Si je vous répondais “ j'écris parce que j'écris ” vous jugeriez la réponse insuffisante - vous auriez raison ; impertinente - vous auriez tort...
Pourtant, je ne vois vraiment pas d'autre explication à fournir - même à moi-même.

Jean PELLERIN.

M. ANDRE GERMAIN

Il me semble que c'est à la fois une question générale et une question individuelle que vous nous posez.
Evidemment, c'est sans aucun motif légitime que pour la plupart nous écrivons.

P. 25

Ceci posé, vous comprendrez que je ne veuille pas répondre en mon nom personnel. Ou bien je formulerais un aveu d'extrême humilité ou bien je commettrais un acte de suffisance.
Les excès me répugnent.

André GERMAIN.

M. SEBASTIEN VOIROL

Pour tenter d'exprimer avec précision un idéal complexe.
Pour avoir ainsi de temps à autre la sensation agréable de triompher d'une difficulté.
Pour rendre hommage à la sémantique.
Pour embêter certains dont les jugements me semblent bas.
Pour interrompre par un travail adéquat un rêve épars et sans pareil.
Pour laisser la faible trace d'une individualité dont la formation présente un intérêt relatif et pour au moins 22 autres raisons.

Sébastien VOIROL.

M. RAYMOND RADIGUET

Un homme raisonnable ne peut agir sans motif.
CHAMFORT.

Il est toujours pénible de reconnaître la voix de Julius de Baraglioul.
Le meurtre, pas plus que la littérature, n'est à la portée de toutes les âmes. J'attendais votre question pour m'identifier à Lafcadio. Sans raison, il commet un crime : raison de plus pour le considérer non dépourvu de sérieux.
Cher Julius, si vous me dénoncez à la justice de ce pays, je feindrai d'avoir “ commis ” des poèmes afin de m'enrichir.
(Demandez plutôt à vos lecteurs : pourquoi lisez-vous ?)

Raymond RADIGUET.

M. JACQUES-EMILE BLANCHE

Avant de lire la lettre de M. Tristan Tzara, j'aurais répondu, ou à peu près :

“ Si on écrit, ce n'est qu'un refuge : de tout point de vue. ” Mais il est trop tard. Donc :
“ Je n'ai pas appris à jouer sur le violon ”, ou bien :
“ C'est pour recommencer les gestes de ma première enfance.

J.-E. BLANCHE.

P. 26

M. HENRI HOPPENOT

La question posée par vous à ces “ représentants les plus qualifiés des diverses tendances de la littérature contemporaine ” risque d'interrompre la carrière des plus sincères d'entre eux. Je marche dans la vie depuis huit jours, précédé de ce point d'interrogation et je n'écrirai peut-être plus jamais.
J'ai le profond regret de ne pouvoir vous dire que j'écris pour gagner de l'argent. Un pareil motif, en effet, me justifierait pleinement à mes yeux et j'ai d'autant plus de déception à ne pouvoir l'invoquer que tous nos gains futurs d'auteur ne suffiront sans doute pas à amortir les dépenses inconsidérées qu'entraînèrent jadis pour ma bourse de jeune homme l'impression de quelques plaquettes indéfendables.
Hors cette utilisation du cerveau-outil et cette transmutation de l'œuvre intellectuelle en toutes les belles et bonnes choses que l'argent seul procure, je ne trouve au fait d'écrire qu'une raison valable et celui qui aurait seul pu l'invoquer est mort.
Il vous aurait peut-être dit : j'écris pour me libérer de tout l'accidentel, pour récuser ce qui peut me détruire, pour tuer en l'exprimant ce à quoi je veux survivre. Mon œuvre est avant tout la négation de ce que je ne suis pas. J'arrache de moi les phrases et les rythmes comme les pièces d'un vêtement dégoûtant et je jette à la fosse commune ces défroques. Nu et seul, je demeurerai dans le désert.
L'homme sincère est mort, et nous tous qui écrivons et écrirons encore, nous ne le ferons que pour des raisons allant du deuxième au dix-huitième ordre du sentiment et que je laisse à mes distingués confrères le soin de vous exprimer.

Henri HOPPENOT

M. FRANCIS PICABIA

Je ne le sais vraiment pas et j'espère ne jamais le savoir.

Francis PICABIA.

M. KNUT HAMSUN

J'écris pour abréger le temps.

KNUT HAMSUN.

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P. 27

LIVRES CHOISIS

Paul Valéry - Introduction à la Méthode de Léonard de Vinci.

La critique des idées ne m'intéresse pas, mais de savoir comment elle me touche ; par quelle lente progression elle me pénètre ; comment, sous couleur de s'en prendre à la pensée d'un tiers, elle s'attaque à la mienne, et comment elle parvient à bouleverser ma matière mentale. C'est peu que de me prouver la faiblesse d'un syllogisme : j'exige qu'on ébranle ma foi en ses conclusions. A ce moment je crie : Arrêtez ! et je remonte le chemin de mon trouble à votre dialectique. Ou, si vous préférez : dès lors que vous me tenez prisonnier dans votre salle d'armes intellectuelle, il m'indiffère que vous me convainquiez de ceci ou de cela, je ne me passionne qu'à démonter le mécanisme de la conviction.

Que les vérités ne soient que rapports, la sagesse des nations l'affirme et je n'y contreviens pas. Je perdrais donc mon temps à compter les poids en balance, la position d'équilibre seule importe, le quotient de votre éloquence par ma crédulité (cette faculté qui m'est faite de vous abandonner mon bien), la mesure dans laquelle je me trouve à votre merci, ou de tout autre événement.

L'ambition où nous voyons Léonard (je veux dire vous-même) de connaître la valeur absolue de son esprit, et pis, Dieu me pardonne, de l'esprit, me déçoit si je l'examine. Connais-toi toi même est un conseil ironique, et qui souvent se pèse bien se connaît m'a toujours semblé un sophisme. A l'encontre de ce que l'autre (1) en pense, l'esprit ne peut s'appliquer qu'à des objets extérieurs à lui ou qui tiennent quelque chose du fini. Comment s'embrasserait-il ? On imagine difficilement ses noces solitaires (2)

(1) Malebranche.

(2) “ Par exemple, répliquez-vous, rien n'est plus aisé : il suffit d'être dupe un instant du langage ”.

Cette conscience que nous prenons de nous-mêmes suppose que nous nous heurtons à autrui, à ce mur qui nous en sépare, impalpable, réel. Nous ne saurions concevoir clairement notre essence, ni l'accident qui nous distingue d'un autre homme. Mais avec un peu d'entraînement le premier venu apprécierait ses limites : je n'en désire pas

P. 28

davantage. Malheureusement le succès nécessite ici une quiétude qui ne m'est pas laissée et, dans ce domaine, le Sandow reste à inventer.

Guy Lavaud - Imagerie des Mers.

Il a quelque chose de réconfortant à constater que fatalement un Guy Lavaud trouve un Lhote qui l'illustre ; en consentant à une pareille alliance on ne sait pas lequel des deux compères se joue le plus mauvais tour.

Max Jacob - La Défense de Tartufe.

“ Tant que les hommes auront de l'inclination pour un bien qui surpasse leurs forces et qu'ils ne le posséderont pas, ils auront toujours une secrète inclination pour tout ce qui porte le caractère du nouveau et de l'extraordinaire ; ils courront sans cesse après les choses qu'ils n'auront point encore considérées, dans l'espérance d'y trouver ce qu'ils cherchent, et, leurs esprits ne pouvant se satisfaire entièrement que par la vue de celui pour qui ils sont faits, ils seront toujours dans l'inquiétude et dans l'agitation jusqu'à ce qu'il leur paraisse dans sa gloire. ”

Il y a un homme sérieux comme un pape. Il y a ce sourire et cette voix fausse comme celle des anges. Il y a le jeu, que voulez-vous il est joueur ! Il y a la vie. C'est une dame qui a eu des malheurs. Comme sur les images, il y a tout le monde qui tutoie le poète (moi seul je n'oserai jamais). Il y a enfin l'arc-en-ciel qui fait un bien joli nœud-papillon autour du cou.

LOUIS ARAGON.

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SPECTACLES

Le temps est un songe. - H.-R. Lenormand.

On frappe les trois coups et le rideau se lève sur un point d'interrogation.
Les paysages qui passent devant nos yeux quand nous appuyons le front contre la vitre des compartiments sont illuminés par tous nos souvenirs ; ce sont les tableaux de ce drame. Est-ce l'avenir qui est devant nous ?
L'angoisse nous étouffe comme si l'on tirait les cartes.
La rue fraîche est un rêve.
Nous allons sans doute continuer à vivre.

P. 29

A l'abri des lois.

Les yeux des folles et leur ivresse ressemblent à des papillons.
Cette femme qui boit ne connaît que la fumée légère de ses désirs. J'aime ces grincements de dents, ces rages pâles et cette brusque colère.
Un gentleman correct vous apporte des roses. Déchirezles avec vos deux mains blanches, ma folle chérie, et jetezles au panier. Vous allez tuer quelqu'un et vous hésitez. Ouvrez vos yeux immenses puisque votre main ne tremble pas.
Ce film est ridicule et sentimental.
Pourquoi cette folle est-elle si belle. Nous irons revoir “ A l'abri des lois ”, n'est-ce pas, André Breton ?

Une ldylle aux Champs. - Charlie Chaplin.

Les poètes savent faire des additions sans avoir jamais rien appris. Charlie Chaplin conduit les vaches sur les sommets où repose le soleil. Au fond de la vallée, il y a cet hôtel borgne qui ressemble à la vie, et la vie n'est pas drôle pour ce garçon qui se croit sentimental.
Nous rions aux larmes parce que les fleurs sont celles du pissenlit et que dans les coquillages on écoute l'amour, la mer et la mort.

Les Ballets russes.

Que d'art ! que d'art !
Et ça va durer encore longtemps. Nous étouffions dans ce théâtre. Jusqu'au dernier accord, j'espérais qu'un spectateur allait se jeter d'une galerie. On aurait vu du sang, je n'ai vu que des sourires, et des sourires.
Sur la scène, on immolait André Derain.
Qu'est-ce que ça peut lui faire ? Il grincera des dents, il sourira en apprenant que Monsieur André Lhote l'injurie et le traite de “ plus grand peintre français vivant ”.
Puis il ira dans son atelier et demandera qu'on lui foute la paix.
Nous nous tairons et nous continuerons à l'aimer simplement.

PHILIPPE SOUPAULT.

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P. 30

FIL SPÉCIAL

Le docteur SERNER, philosophe dadaïste, vient de succomber à la suite d'une imprudence. Des peintres genevois s'étant introduits dans son appartement pour tapisser les murs de différentes peintures, SERNER, en rentrant, prit pour des réalités ces femmes et ne tarda pas à esquisser des attitudes malheureusement trop banales, lorsqu'il apprit de quoi il s'agissait. La mort fut instantanée.

ARCHIPENKO expose 38 sculptopeintures au Kunsthaus. ARP expose 16 hypoglosses, SCHAD 8 peintures Dada. 62 membres du Kunsthaus ont donné leur démission.

On nous assure que A. SAVINIO est un homme honnête. Rien de plus inexact : c'est un idiot.

Le duel TZARA-ARP n'a pas eu de suites fâcheuses, puisque les duellistes ont tiré avec des canons dans la même direction. La police a ouvert une enquête sur le mouvement Dada.

André SALMON n'est pas dadaïste.

M. ROBBER, le dadaïste américain, vient d'arriver à Zurich avec 2 autos. Le but de son voyage est d'écraser MARINETTI, qui malheureusement est déjà à Milan.

GOLLIFAN.


Notre enquête.

L'abondance des matières et le peu de place dont nous disposons nous contraignent de renoncer à leur publication des réponses de MM. Louis Barthou, Mgr Baudrillart, Pierre Boissie, Adolphe Boschet, Emile Boutroux, John Charpentier, Léon Daudet, Paul Deschanel, Robert Dieudonné, Georges Docquois, Mme Jeanne Dortzal, MM. Anatole France, Louis Forest, Eugène Figuière, Félix Galipaux, Lucien Gleizes, Halpérine-Kaminsky, Raymond Lefebvre, Général Mangin, Emile Massard, Frédéric Masson, Mme Lydie Martial, MM. Alexandre Mercereau, Gaston Picard, Raymond Poincaré, René Puaux, J. Joseph-Renaud, Charles Richet, Guillermo de Torre et Pierre Valdagne.

Nous leur présentons toutes nos excuses.