MÉLUSINE

titre de la revue Littérature

Littérature n° 10, décembre 1919

N° 10
REVUE MENSUELLE
Décembre 1919
LITTÉRATURE
DIRECTEURS :
LOUIS ARAGON - ANDRÉ BRETON
PHILIPPE SOUPAULT
RÉDACTION ET ADMINISTRATION :
9, Place du Panthéon, 9
ABONNEMENTS
pour la France Édition ordinaire .... 15 fr. par an
Édition de luxe ...... 60 fr. par an
Prix du numéro : 1,50 fr.
pour l'étranger Édition ordinaire .... 20 fr. par an
Édition de luxe ...... 80 fr. par an
Prix du numéro : 2 fr.
Pour la vente, s'adresser à la "Maison des Amis des Livres"
7, rue de l'Odéon,Paris
SOMMAIRE
Un acte nécessaire
Tristan TZARA Lettre ouverte à Jacques Rivière.
Igor STRAWINSKY Berceuses du Chat.
Igor STRAWINSKY Chansons plaisantes.
André BRETON & Philippe SOUPAULT Les Champs Magnétiques (suite) : III. - Eclipses.
Irène HILLEL-ERLANGER Par amour.
ENQUETE : Pourquoi écrivez-vous ?
Louis ARAGON & Tristan TZARA LIVRES CHOISIS
Philippe SOUPAULT SPECTACLES
Maurice RAYNAL. LES ARTS
PALETS

P. 1

UN ACTE NÉCESSAIRE

Nous apprenons avec émotion l'arrestation de MARINETTI, inculpé d'attentat à la sûreté de l'état italien et menacé d'une peine de plusieurs années de travaux forcés. N'admettant pas qu'on puisse se désintéresser de sauvegarder le droit de l'opinion, nous prenons l'initiative d'une manifestation publique en l'honneur du poète au cours de laquelle seront interprétés des fragments de son œuvre. Les personnes désireuses d'y prendre part par la lecture d'hommages ou de tout autre manière sont priées de nous le faire savoir. En vue d'organiser le programme de cette manifestation, elles seront conviées prochainement à une réunion préalable. Nous publierons, d'autre part, les noms de ceux de nos lecteurs soucieux d'affirmer avec nous la solidarité qui unit les intellectuels, au-dessus et en dehors des nationalités et des partis. Les adhésions seront reçues à LITTÉRATURE jusqu'au 25 décembre.

P. 2

LETTRE OUVERTE

à Jacques Rivière

En réponse à la note MOUVEMENT DADA parue dans la Nouvelle Revue Française du 1er septembre 1919, Tristan Tzara a adressé à Jacques Rivière la lettre suivante, à laquelle celui-ci n'a pas fait droit de publication.

On n'écrit plus aujourd'hui avec la race, mais avec le sang (quelle banalité !). Ce que pour l'autre littérature était le caractéristique, est aujourd'hui le tempérament. C'est à peu près égal si l'on écrit un poème en siamois ou si l'on danse sur une locomotive. Ce n'est que naturel pour les vieux de ne pas observer qu'un type d'hommes nouveaux se crée un peu partout. - Avec d'insignifiantes variations de race l'intensité est, je crois, partout la même, et si l'on trouve un caractère commun à ceux qui font la littérature d'aujourd'hui, ce sera celui de l'antipsychologie.

Il y aurait encore tant de choses à dire et, d'abord, que penserait M. Gide en lisant dans le journal une nouvelle de ce goût : la création à Berlin d'une école gidesque ? Assurez le d'ailleurs que R. M. Rilke, dont il écrit que c'est le plus grand poète allemand parce

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qu'il est devenu par simple formalité tchéco-slovaque, n'est qu'un poète sentimental et un peu bête. On peut, sans être né sur le territoire de la Tchéco-Slovaquie, sembler plus sympathique. Trop peu connue est l'opposition de certains littérateurs allemands en Suisse : espoir dans la défaite de l'esprit germanique, préparation lente de la révolution, etc., du reste, aussi peu intelligents que tout propriétaire d'un point de vue.

J'ai eu pendant la guerre une attitude (!) assez nette, pour que je puisse me permettre d'avoir des amis là où je les trouve sans être obligé d'en rendre compte aux personnages qui délivrent les certificats de bonne conduite dont l'opinion publique sait mal se passer.

Quoique je tente de ne perdre aucune occasion de me compromettre, je me permets de vous communiquer (un certain sens de la propreté m'a toujours inspiré le dégoût des élaborats journalistiques) que j'ai proposé, il y a trois années, pour titre d'une revue, le mot DADA. Cela se passa à Zurich où, quelques amis et moi, nous pensions n'avoir rien de commun avec les futuristes et les cubistes. Au cours de campagnes contre tout dogmatisme, et par ironie envers la création d'écoles littéraires, DADA devint le “ Mouvement DADA ”. Sous l'étiquette de cette nuageuse composition s'organisèrent des expositions de peinture, je fis paraître quelques publications et mis en colère le public de Zurich qui assista aux soirées d'art se réclamant de cet illusoire Mouvement. Dans le manifeste de DADA 3, j'ai décliné toute responsabilité d'une école lancée par les journalistes et appelée communément le “ Dadaïsme ”. Ce n'est, après tout, que comique si des maniaques ou des hommes ayant collaboré à la décomposition de

P. 4

l'ancien organisme germanique ont propagé une école que je n'ai jamais voulu fonder.

Si on écrit, ce n'est qu'un refuge : de tout “ point de vue ”. Je n'écris pas par métier et n'ai pas d'ambitions littéraires. Je serais devenu un aventurier de grande allure, aux gestes fins, si j'avais eu la force physique et la résistance nerveuse de réaliser ce seul exploit : ne pas m'ennuyer. On écrit aussi parce qu'il n'y a pas assez d'hommes nouveaux, par habitude ; on publie pour chercher des hommes, et pour avoir une occupation (cela même, c'est très bête). Il y aurait une solution : se résigner ; tout simplement : ne rien faire. Mais il faut avoir une énorme énergie. Et on a un besoin presque hygiénique de complications.

TRISTAN TZARA.

P. 5

BERCEUSES DU CHAT

I

SUR LE POELE

Dors sur le poêle
bien au chaud, chat,
la pendule bat, elle bat
mais pas pour toi.

II

INTÉRIEUR

Le chat dans un coin casse des noisettes,
La chatte sur le foyer fait sa toilette,
Et les petits chats ont mis des lunettes.

Guignent, guignent les petits
si le vieux n'a pas fini,
pas encore, mais tant pis.

P. 6

III

DODO

Dodo, l'enfant do, l'enfant dormira bientôt...
Aujourd'hui le chat a mis son bel habit gris
pour faire la chasse aux souris.
Dodo l'enfant do, l'enfant dormira bientôt.

Otera son bel habit
si l'enfant n'est pas gentil

Dodo l'enfant do, l'enfant dormira bientôt.

IV

CE QU'IL A LE CHAT

Ce qu'il a le chat
c'est un beau berceau qu'il a ;
mon enfant à moi en a
un bien plus beau que ça.

Ce qu'il a le chat
c'est un coussin blanc qu'il a ;
mon enfant à moi en a
un bien plus blanc que ça.

Ce qu'il a le chat
c'est un tout fin drap qu'il a ;
mon enfant à moi en a
un bien plus fin que ça.

Ce qu'il a le chat
c'est un chaud bonnet qu'il a ;
mon enfant à moi en a
un bien plus chaud que ça.

P. 7

CHANSONS PLAISANTES

I

L'ONCLE ARMAND

Console-toi, vieil oncle Armand,
tu t'fais bien trop de mauvais sang ;
laisse aller tout droit ta jument
à l'auberge du Cheval Blanc :
là est un joli vin clair
qui fait soleil dans le verre ;
le joli vin rend le cœur content
noie ton chagrin dedans.

II

LE FOUR

Louise, viens vite, viens vite, ma fille,
ta pâte est levée...
Cours à la cuisine
chercher la farine...
Les canards commencent à souffler
dans leurs mirlitons crevés.
Voilà le coq qui leur répond
et les poules qui tournent en rond.

P. 8

III

LE COLONEL

Le colonel part pour la chasse,
tire sur une bécasse :
manque sa bécasse ;
tire sur une perdrix :
la perdrix s'enfuit,
tombe et casse son fusil ;
il appelle son chien ;
son chien n'répond rien.
Sa femme l'a reçu,
sa femme l'a battu.
Chassera jamais plus.

IV

LE VIEUX ET LE LIEVRE

Dans une ville en l'air
un vieux assis par terre.
Et puis voilà qu'le vieux
fait cuire sa soupe sans feu.
Un lièvre sur la route
lui demande sa soupe.
Et l'vieux a dit comme ça
au bossu d'se tenir droit,
au manchot d'étendre les bras,
et au muet d'parler plus bas.

Igor STRAVINSKY.

(trad. C.-F. RAMUZ).

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LES CHAMPS MAGNÉTIQUES

(Suite)

III. - ECLIPSES

La couleur des saluts fabuleux obscurcit jusqu'au moindre râle : calme des soupirs relatifs. Le cirque des bonds malgré l'odeur de lait et de sang caillé est plein de secondes mélancoliques. Il y a cependant un peu plus loin un trou sans profondeur connue qui attire tous nos regards, c'est un orgue de joies répétées. Simplicités des lunes anciennes vous êtes de savants mystères pour nos yeux injectés de lieux communs.

A cette ville du nord est appartient sans doute le privilège délicieux de cueillir sur ces montagnes de sable et de fossiles ces affres serpentines. On ne sait jamais ce que les filles de ces pays sans or nous apportent de liqueur condensée.

Le promontoire de nos péchés originels est baigné des acides légèrement colorés de nos scrupules vaniteux ; la chimie organique a fait de si grands progrès. Dans cette vallée métallique, les fumées, pour un sabbat cinématographique, se sont donné rendez-vous. On entend les cris d'effroi des goélands égarés, traduction spontanée et morbide du langage des colonies outragées. La seiche vagabonde jette un liquide huileux et la mer change de couleur. Sur ces plages de

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galets tachés de sang on peut entendre les tendres murmures des astres.

L'équinoxe absolu.

Lorsque l'on tourne le dos à cette plaine on aperçoit de vastes incendies. Les craquements et les cris se perdent et l'annonce solitaire d'un clairon anime ces arbres morts.

Aux quatre points cardinaux la nuit se lève et tous les grands animaux s'endorment douloureusement. Les routes et les maisons s'éclairent. C'est un grand paysage qui disparaît.

Les plus humbles regards des enfants maltraités donnent à ces jeux une langueur repoussante. Les plus petits se sauvent et chaque souci devient un espoir sans bornes. Vieillesses des maladies inventées pouvez-vous lutter sans cesse ? Quatre des plus héroïques sentiments et toute la troupe des désirs repoussés pâlissent et perdent un sang épais. Courage auxiliaire des troupeaux empestés, union des lamentations montagnardes, torrents des malédictions salutaires. C'était une perpétuelle succession, la circulation saccadée des aurores et le circuît sensationnel des lentes rougeurs.

Dans un verre plein d'un liquide grenat un intense bouillonnement créait des fusées blanches qui retombaient en rideaux brumeux. Les hommes aux yeux éteints s'approchaient et lisaient leur destin dans les vitres dépolies des habitations économiques. Ils voyaient les mains potelées des marchandes de sensations habituelles et toujours au même endroit les animaux abrutis et dévoués.

Et cette ardeur lourde qui vers deux heures de l'après-midi passe près des ponts normaux, s'appuyait lentement sur les parapets. Les nuages sentimentaux accouraient. C'était l'heure exacte et prévue.

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La lumière galopante meurt continuellement en éveillant les bruissements infinis des plantes grasses. Les richesses chimiques importées brûlaient aussi lourdement que l'encens. Horizontalement les charmes festonnés de rêves actuels s'étendaient. Dans ce ciel bouillant les fumées se transformaient en cendres noires et les cris s'appliquaient aux degrés les plus hauts. A perte de vue les théories monstrueuses des cauchemars dansaient sans suite.

A cette heure tumultueuse les fruits pendus aux branches brûlaient.

L'heure des météores n'est pas encore venue.

La pluie simple s'abat sur les fleuves immobiles. Le bruit malicieux des marées va au labyrinthe d'humidités. Au contact des étoiles filantes, les yeux anxieux des femmes se sont fermés pour plusieurs années. Elles ne verront plus que les tapisseries du ciel de juin et des hautes mers ; mais il y a les bruits magnifiques des catastrophes verticales et des évène ments historiques.

Un homme ressuscite pour la deuxième fois. Sa mémoire est plantée de souvenirs arborescents et il y coule des fleuves aurifères ; les vallées parallèles et les sommets incultes sont plus silencieux que les cratères éteints. Son corps de géant abritait des nids d'insectes poisseux et des tribus de cantharides.

Il se lève et son effort éveille tous les bourdonnements cachés. Sur son chemin lumineux les animaux lançaient leurs cris.

La mer tourmentée illuminait les régions ; une végétation instantanée disparut et des agglomérations de vapeurs découvrirent les astres. Activité céleste pour la première fois explorée. Les planètes s'approchaient

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à pas de loup et les silences obscurs peuplaient les étoiles. Les collines s'entourent des moindres lenteurs. Il ne reste sur les marais que les souvenirs des vols. La nécessité des absurdités mathématiques n'est pas démontrée. Pourquoi ces insectes soigneusement écrasés ne meurent-ils pas en maudissant les douleurs assemblées ? Tous les chers malheurs nous poussent vers ces coins délicieux. L'arbre des peuples n'est pas pourri et la récolte est sur pied. Les ordres des chefs ivres flottent dans l'atmosphère alourdie. Il n'y a plus à compter. Le courage est aboli. Concessions à perpétuité.

L'oiseau dans cette cage fait pleurer la jolie enfant vouée au bleu. Son père est explorateur. Les petits chats nouveaux-nés tournent. Il y a dans ce bois des fleurs pâles qui font mourir ceux qui les cueillent. Toute la famille est prospère et se réunit sous ce tilleul après les repas.

Un croupier verse l'or à pleines mains. L'oubli est la plus belle ardeur. On ne songe qu'aux cris. Les boissons chaudes sont servies dans des verres de couleur.

C'est en des ruelles sans but que trouvent naissance les grands péchés mortels condamnés au pardon. Sinistres poteaux indicateurs, il est inutile d'accourir munis de votre flacon de sel.

On a vue sur un nombre incalculable de lacs sans liens sucés par cette petite barque au nom merveilleux. De bonne heure ce disque haletant apparut sur les voies que nous traçions. Bras sans suite. Moulures sourcilleuses. Ce ne pouvait être qu'une alerte. Les balles de coton arrivaient à donner naissance au soleil vomi comme sur les affiches. Ce qui précède a trait aux singularités chimiques, à ces beaux précipités certains.

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J'arriverai peut-être à diriger ma pensée au mieux de mes intérêts. Soins des parasites qui entrent dans l'eau ferrugineuse, absorbez-moi si vous pouvez. Les sacs de chicorée ornement des armoires participent de leur teint. De tous les navigateurs supposables celui qui a la poitrine en forme d'escale me plaît le mieux. Sur une piste bondée d'étoiles ces cycles insensés soufflent le vent.

On n'a plus beaucoup de jours à dormir.

Après les fleuves de lait trop habitués au vacarme des pêcheuses, les grelots de l'estuaire, sous des bannières déteintes et dans ces perles se nacrent tant d'aventures passées qu'il fait bon. Né des embrassements fortuits des mondes délayés ce dieu qui grandissait pour le bonheur des générations à venir, comprenant que l'heure est venue, disparaît dans l'éloignement des mille électricités de même sens.

Suintement cathédrale vertébré supérieur.

Les derniers adeptes de ces théories prennent place sur la colline devant les cafés qui ferment.

Pneus pattes de velours.

Au large passent les fumées silencieuses et les balles suspectes. Sans merci le balancement amoureux des trombes saisit d'admiration les petits lacs et les ballons dirigeables évoluent au-dessus des armées. Ces rois de l'air adoptent une constitution nécessaire de brouillards et les tribunes s'ouvrent devant l'archevêque jaune qui a l'arc-en-ciel pour crosse et une mitre de pluie ensoleillée.

Au retour ailé de la carcasse d'âne sur le chant des mourants tout à la couleur des prairies ; seul un insecte s'oublie dans les roses de la lampe. Il est venu de ces canaux serrés dont est fait le paillon des bouteilles et s'ennuie à mourir. Je suis touché de sa contenance honorable, de ses vivacités charmantes quand je mets la main dessus. Le sang des perceoreilles

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environne les plantes dont on fait tenir les feuilles au moyen d'épingles de sûreté.

Raide tige de Suzanne inutilité surtout village de saveurs avec une église de homard.

Les étalages deviennent la proie d'une infinité de microbes fluets et cela se met jusque dans les robes de mariées. Sous couleur d'amour on dépeint aux belles des demeures mouvantes aux murs saumons. Ces épiceries belles comme nos réussites aléatoires se font concurrence d'étage en étage du labyrinthe. Une pensée coupable assiège le front des commis. Sur une lanière de ciel sifflante les mouches parjures retournent aux grains de soleil. Aux petites lyres clignotantes se poursuivent trois ou quatre rêveries signalables dans les accidents de terrain. Les anarchistes ont repris place dans la Mercédès. Un marchand de chambres à air qu'ils ont fait boire à leur santé soupire en ensemençant la route. Nous n'osons plus penser au lendemain à cause de ces bouteilles remplies de copeaux de cuivre et argentées à la surface des mers. On pâlit sur des manuscrits déteints par le sommeil et épongés de cendre. On sera pris la mains dans le coffre-fort : 13 est un nombre sûr. Les mauvaises actions nous sont comptées comme les bonnes et nous les commettons de sang-froid : mais dans les villes délicieusement ajourées, les hôtels aux murs de verre (ô le plancher de nos larmes bataviques !) nous avons de ces lassitudes poignantes comparables à l'embroussaillement des eaux sur les montures de corail blanc. Nous nous étoilons en d'incompréhensibles directions, parmi les grandes veines bleues du lointain et dans les gisements.

On signale ici le passage émouvant des croiseurs

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à une heure du matin. Ce n'est plus la course de régates rayure de ce jeudi. Je deviens régulier comme un verre de montre. Sur terre il se fait assez tard et l'on craint comme un rapprochement éternel de murailles. L'artifice des mois se déclare. Les rideaux sont des calendriers. Sans se distinguer des immeubles environnants deux ou trois maisons de rapport s'interpellent. Nous nous posons des devinettes atroces froissées sur rien comme du papier de soie. Cela dure longtemps sans qu'il soit nécessaire de se creuser la tête avec la charité ou autre chose. Sous le rapport des jeux nous sommes favorisés, à ce qu'on voit. Nous nous attirons de la limaille blessante pour le plaisir.

A la tête d'une compagnie d'assurances, nous avons fait mettre notre rêve qui est un beau malfaiteur. Les petits passe-temps anecdotiques qui montent aux jambes de nos cigares nous émeuvent médiocrement. Je n'ai pas un sou à mettre dans le journal. Au plus offrant des crépuscules s'abandonne un mobilier de grand style qui m'appartenait. Cela m'est égal à cause des moyens de transport qui mettent à ma portée le seul luxe instinctif. Je ne recherche rien tant que ces courants d'air qui déforment utilement les petites places. A Paris il y a des monticules poudreux qui se retirent de la circulation. Le veilleur de nuit fixe une lanterne jaune et rouge et se parle des heures à haute voix, mais sa prudence ne produit pas toujours l'effet espéré.

Il se prépare de jolis coups de grisou tandis que, la tête en bas, les élégantes partent pour un voyage au centre de la terre. On leur a parlé de soleils enfouis. Les grands morceaux d'espace créé s'en vont à toute vitesse vers le pôle. La montre des ours blancs marque l'heure du bal. Les agrès stupides de

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l'air, avant d'arriver, forment des singes qui comprennent vite qu'on s'est moqué d'eux. Ils détendent leur queue d'acier trempé. Leur bonne étoile est l'œil, révulsé à cette hauteur, des femmes qu'ils enlevèrent. La grotte est fraîche et l'on sent qu'il faut s'en aller ; l'eau nous appelle, elle est rouge et le sourire est plus fort que les fentes qui courent comme des plantes sur ta maison, ô journée magnifique et tendre comme cet extraordinaire petit cerceau. La mer que nous aimons ne supporte pas les hommes aussi maigres que nous. Il faut des éléphants à têtes de femmes et des lions volants. La cage est ouverte et l'hôtel fermé pour la deuxième fois, quelle chaleur ! A la place du chef on remarque une assez belle lionne qui griffonne son dompteur sur le sable et s'abaisse de temps à temps à le lécher. Les grands marais phosphorescents font de jolis rêves et les crocodiles se reprennent la valise faite avec leur peau. La carrière s'oublie dans les bras du contremaître. C'est alors qu'intervient le gros poussier des wagonnets qui excuse tout. Les petits enfants de l'école qui voient cela ont oublié leurs mains dans l'herbier. Comme vous ils s'endormiront ce soir dans l'haleine de ce bouquet optique qui est un tendre abus.

ANDRÉ BRETON et PHILIPPE SOUPAULT (1).

(1) Le fragment paru dans les numéros 8, 9 et 10, est tiré des Champs Magnétiques, à paraître prochainement.

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"Par amour"

fantaisie musicale et variations sur le
Nom
de
PEARL WHITE
Nom joliment ajusté à cette exquise héroïne de la vie américaine vue à travers le Ciné-feuilleton
“ Vie américaine ” 1919 comme
“ Vie parisienne ” 1865.
(Cora - Pearl - White)
Celle-ci : Paris par Triple prisme scintillant (Meilhac-Halévy-Offenbach)
Celle-là : rose de lapidaire taillée à facettes et
Pearl White
nous entraîne dans un New-York féerie
le Tube de Radium
et quelques choses analogues tenant lieu de baguette magique
PEARL
actuelle acrobatique
rieuse verveuse nerveuse (et de sang-froid)
sachet cachet
rêve d'amour et revolver
boxe bouquets
joyau gingembre et jiu-jitsu
ÉCRAN
Pearl paraît
d'abord
Son Elégance :
divinement chaussée

P. 18

nettement gantée
(si bien coiffée : à la qu'importe !)
bien équilibrée entre ces 2 pôles magnétiques du
Vrai-Chic :
la chaussure
et le gant
elle peut - avec quel brio ! - débrider sur des airs de bravoure sa virtuosité vibratile !
Miss Pearl White
abandonne le Ciné-feuilleton (dit-on) ?
Tant pis pour nous !
Oh ! je sais bien - il est bon ton
(de dire)

— C'est insipide
en cette époque de cocktails (secs) et cocaïne
(Certes !) il faut un certain courage pour soutenir son opinion et ce dialogue (simple) — Aimez-vous les éclairs à la vanille ? —Moi, j'en raffole !
il est bon ton cet air “ Protection de l'Enfance ” envers (et contre) ce qui plaît (simplement et de tout cœur !)
Charme !
(“ et ces bonheurs légers qui font aimer la vie... ”)
NOUS
heureusement
(le temps n'est plus où le spectacle fournissait chaque soir des rallongês à nos soucis quotidiens. Sur scène (alors) des messieurs épais commentaient leurs embarras gastriques et Le Moniteur des Intérêts matériels (sic) leur dame versait des larmes glacées sur ses embarras d'argent tout en faisant le recensement de ses amants)
PEARL
épousera-t-elle
le Beau Garçon
(après qu'elle aura démasqué, traqué (braqué son revolver sur) le félon que sa famille maladroite lui destine)
pour époux
Pearl
ce beau garçon
frais comme l'œil
franc comme l'or
fidèle et fort

P. 19

qui vous escorte vous prête main forte
Oh ! oui ! ! oui ! oui !
embrassez-le ! épousez-le !
(à la fin du 35e épisode)
Pearl
“ Courage ! Voilà de la bonne Comédie ”.
Enigmes Signes
Vous êtes partout
si seulement nous savions lire savions voir
mais nous sommes des
liseurs charnels
et des
aveugles outrecuidants
Parabole
Pearl
écrit la destinée
(comme fait chacun de nous sans le savoir),
dans chacun de ses gestes

— (alors... vraiment... vons trouvez si ridicules ? ces pas, repas, trépas, départs, suites et poursuites et traquenards, ces guet-apens perpétuels, ces chausse-trapes - sous-sols - envols - ces laminoirs marteaux-pilons - cuves — poisons, etc. etc.
et cette fraîcheur jamais perdue
et cette audace et cet oubli d'hier)
(chaque épisode moi je crois voir toute
l'Histoire
Sont-ils loin ces événemeuts qui nous frappaient qui nous broyaient nous surprenaient ?
Qu'avons-nous fait ? Nous battre nous débattre et vivre)
et nous dansions avant et nous dansons après
et toujours tête baissée nous donnerons dans les mêmes panneaux et nous en sortirons - si Dieu veut - pour recommencer
La vie nous apprend à vivre
non pas à nous diriger
autre chose
Sourire de Pearl
vous dites ? — un peu sucre candi et en série ! ce sourire-là — peut-être mais

P. 20

On devient ce qu'on fait semblant d'être
alors
plutôt que ce
verglas de méfiance et méchanceté à nous casser les bras les jambes
(en société)
plutôt :
le beau Soleil de ce Sourire
de
Pearl
Joie
d'être soi
d'être compris
épanoui
en
l'atmosphère d'amour !
Don de Sympathie
O généreuse affectueuse
impétueuse
Inspirée
Perle !
Rythme
rencontres
battements inouïs du cœur qui éclate
O
donnez-nous
donnez
ce
Rythme
encore...
encore...
....
— Mais... qu'est-ce que je voulais dire... Ah ! oui :
Le dernier Ciné-roman
de
Miss Pearl White
s'appelait
“ PAR AMOUR ”

IRENE HILLEL-ERLANGER.

P. 21

NOTRE ENQUETE

Nous commençons aujourd'hui la publication des lettres qui nous sont parvenues. Dans chaque numéro - non d'un numéro à l'autre - nous suivrons pour les faire paraître l'ordre inverse de nos préférences afin de maintenir l'intérêt de la lecture et d'éviter à nos correspondants la surprise d'un commentaire.

POURQUOI ÉCRIVEZ-VOUS ?


M. LOUIS VAUXCELLES

Pourquoi j'écris, mon confrère ? Mais pour le plaisir d'exprimer librement ma pensée.

LOUIS VAUXCELLES.

M. HENRI GHÉON

J'écrivais autrefois pour mon plaisir et pour la gloire ; je plaçais mon plaisir très haut et la gloire très loin ; je n'avais que l'amour de l'art. La guerre a changé tout cela. J'écris aujourd'hui pour servir. Pour servir Dieu, l'Eglise de Dieu et la France ; c'est le meilleur moyen à mon sens, de bien servir l'art, quand on est comme moi, chrétien, catholique et français. Mais, je ne dis pas que la gloire m'est devenue indifférente, et quant au plaisir que mon art me donne, il ne fut jamais, à beaucoup près, si vif, au temps où m'échappait l'impérieux devoir d'être utile.

HENRI GHÉON.

MADAME JEAN BERTHEROY

J'écris pour essayer d'exprimer tout ce qu'il peut y avoir de divin dans la condition humaine.

JEAN BERTHEROY.

P. 22

M. PAUL FÉVAL FILS

Né au milieu des manuscrits de mon père, dans une maison où les succès du romancier et de l'auteur dramatique apportaient l'aisance, avec le va-et-vient continuel des journalistes, des artistes, des éditeurs et des directeurs, il m'eût été bien difficile de rêver une carrière autre.

Écrire m'est un plaisir.

A côté de l'existence commune l'homme de lettres s'extériorise par imagination, des deux vies la seconde est préférable à la première.

Le rêve surpasse la réalité.

PAUL FÉVAL.

M. JEAN ROYERE

Nous me demandez pourquoi j'écris ? Je réponds :

un peu pour initier

beaucoup pour exalter

passionnément pour enivrer

pas du tout pour détruire.

JEAN ROYERE

M. JEAN GIRAUDOUX

J'écris le français n'étant ni suisse, ni juif et parce que je possède tous mes diplômes : Grand Prix d'Honneur du Lycée Lakanal (1904, excellente année), premier prix du Concours Général (1906, année non moins bonne). Licence ès-lettres, mention très bien. Sorti premier de l'Ecole Normale Supérieure. Né à Bellac (Haute-Vienne).

JEAN GIRAUDOUX.

M. JOSEPH REINACH

Parce que je crois, - et quand je crois, - à tort ou à raison, avoir quelque chose d'utile à dire.

JOSEPH REINACH.

M. FERNAND DIVOIRE

Demandez-ça à Monseigneur l'Hyperconscient.

FERNAND DIVOIRE.

M. GEORGES PIOCH

Pour vivre, - à tous les sens divers qui sont donné au verbe “ vivre ”.

GEORGES PIOCH.

P. 23

MADAME RACHILDE

Parce que j'aime le silence.

RACHILDE.

M. FERNAND VANDÉREM

Pour vivre - spirituellement et matériellement.

FERNAND VANDÉREM.

M. MAX JACOB

Pour mieux écrire !

MAX JACOB.

M. GEORGES LECOMTE

Président de la Société des Gens de Lettres

Pourquoi j'écris ? Pour essayer de voir plus clair en moi et pour regarder avec plus de passion attentive les spectacles de beauté. Par besoin de formuler pour soi-même mes émotions et de combattre pour mes idées, par amour des mots vivants clairs et colorés de la langue francaise, par goût de l'action libre. Car il n'est aucun mode d'expression qui donne aussi bien le sentiment de la pleine liberté. Devant son papier blanc, l'écrivain a la joie et la fierté de sentir qu'il ne dépend que de lui-même. Et c'est une des plus nobles joies.

GEORGES LECOMTE.

MADAME MARCELLE TINAYRE

J'écris, parce que cela me fait plaisir et parce que c'est ma vocation, comme un pommier porte ses pommes.

MARCELLE TINAYRE.

M. PAUL MORAND

J'écris pour être riche et estimé.

PAUL MORAND.

M. ANDRÉ DODERET

J'écris pour ne pas penser.

ANDRÉ DODERET

P. 24

M. J.-H. ROSNY AINÉ

de l'Académie Goncourt.

Par vocation, je crois... j'écrivais déjà à l'âge de onze ans, et je n'ai pas cessé depuis... C'est une maladie ultra chronique.

J. H. ROSNY AINÉ.

M. PAUL ELUARD

J'écris et crois répondre intéressant.

Son jeune et court récit indique sa jeunesse évidemment crédule. Rompez immédiatement, sans joie écrivez comme rien.

Ici, sans joues, épouvantable, crâne rond, ideux, S... jouit, empoche, crache, rougit. Inspiré, S.., joint écrire, couronne, rêver. Il se joue. Et, calme, renaît immobile, sage, pour apprendre une leçon.

ELUARD.

M. JEAN AJALBERT

de l'Académie Goncourt.

Pourquoi j'écris ? Je me le demande !

JEAN AJALBERT.

M. ANDRÉ GIDE

Vous pourrez classer les écrivains selon que leur réponse à votre enquête commencera par “ afin de ”, “ pour ” ou par “ parce que ”.

Il y aura ceux pour qui la littérature est surtout un but, et ceux pour qui surtout un moyen.

Quant à moi, j'écris parce que j'ai une bonne plume, et pour être lu par vous... Mais je ne réponds jamais aux enquêtes.

ANDRÉ GIDE.

M. BLAISE CENDRARS

Parce que.

BLAISE CENDRARS.

M. LOUIS DE GONZAGUE-FRICK

En vérité j'écris pour donner de mes nouvelles poétiques à mes amis dont je vous adresserai la liste complète et commentée au premier loisir.

LOUIS DE GONZAGUE FRICK.

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M. EUGENE MONFORT

Pourquoi j'écris ? Parce que j'ai ça dans la peau.

EUGENE MONTFORT.

M. WILLY

Pourquoi j'écris ?

Pour convaincre quelques confrères - des deux sexes - que malgré leur vif désir de me voir enterré, je dure encore.

WILLY.

M. PIERRE MILLE

Parce que je n'ai réussi dans aucune autre profession, même inavouable.

J'ai l'air de me fiche de vous, mais si vous voulez bien y réfléchir un instant, c'est là la seule définition scientifique qu'on puisse donner de la “ vocation ”.

PIERRE MILLE.

M. PIERRE REVERDY

Vous m'écrivez pour me demander.

J'écris pour vous répondre.

On écrit aussi pour faire parler de soi, en s'occupant bien plus de faire écrire sur ses œuvres que de savoir si elles sont dignes qu'on en parle ; mais ceci est déjà une tendance ! Pour le moment je ne lis que les affiches électorales. Eh bien, on écrit aussi pour que les autres en prennent de la graine !!! Vous comprenez ce qu'il y a !

PIERRE REVERDY.

M. JULES MARY

Président d'honneur de la Société des Gens de Lettres

Vous me demandez : “ Pourquoi écrivez-vous ? ” C'est un problème dont je ne me charge pas de vous apporter la solution. Il eut été mieux, je crois, de me demander :

“ Pourquoi, au lieu d'être employé, professeur, laboureur ou “ soldat, pourquoi avez-vous écrit ? ” Car j'ai commencé d'écrire à un âge où je n'étais guère en état de sonder mon cœur et d'y voir clair. A dix ans, j'avais lu et relu dix fois l'Iliade dont une traduction m'était tombée sous la main. A douze ans, j'avais lu - étonnant voisinage - Balzac et les Grands Naufrages, Ponson

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du Terrail et la Vie des Martyrs, George Sand et l'Histoire des Corsaires, Paul de Kock, Frayssinous et Lamennais.

Pourquoi, à treize ans, ai-je écrit mes premiers romans qu'on se passait, de pupitre à pupitre, à l'étude des grands, lesquels attendaient, anxieux, la suite au prochain numéro ?

Déjà !!

Pourquoi, les soirs d'été, afin de pouvoir lire en m'éveillant plus tôt, m'attachais-je un poignet aux barreaux de mon lit ?

Et ne vous semble-t-il pas naturel, dès lors, qu'aux jours où j'étais fatigué de lire, j'aie songé en guise de repos à donner de la lecture aux autres ?

Maintenant, pourquoi ayant commencé, ai-je continué ? Pour quoi, une de mes belles histoires terminée, suis-je entraîné vers d'autres personnages ? Pourquoi les combinaisons de situations représentent-elles pour moi non seulement la grande joie de mon travail, mais un besoin de mon cerveau ? Pourquoi ? Pourquoi ?

Pourquoi suis-je de la génération qui, plus douloureusement que les autres, a porté le fardeau de 1870 ? Pourquoi m'en suis-je souvenu, essayant de réagir en mettant dans mes récits, mes convictions ardentes, mon espérance et mes appels à l'énergie populaire ?

Enfin, pourquoi, au moment où je vous écris, une araignée toute petite, toute menue, presque transparente, tisse-t-elle sa toile dans les plantes vertes de ma véranda ?

Pourquoi ?

JULES MARY.

M. PAUL VALERY

Par faiblesse.

PAUL VALÉRY.

(A suivre)

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LIVRES CHOISIS

Giuseppe Ungaretti - Allegria di naufrage.

Le flambeau de la guerre s'éteint avec une épaisse fumée : un homme parle, et ses yeux ne sont point d'ici ; il parle, et la vent du sud souffle sur nos visages. Que s'est-il passé ? Une douleur sans nom court à travers les rues.

Dans ce pays, étranger, tu pourras lutter victorieusement avec les femmes : tes regards en exil resteront plus lointains que les leurs.

Joseph Conrad - La Folie-Almayer.

La grande tristesse des blancs au bout du monde suit les bateaux qui regagnent l'Europe, comme un dauphin soulevé par les vagues. Les hommes de couleur ne la comprendront jamais.

Alfred Poizat - Le Symbolisme (De Baudelaire à Claudel).

En voilà assez.

André Salmon - Prikaz.

La légende des siècles crée un précédent. L'histoire rappelle de loin les dentelles pour vitrines et la Russie est un pays qui ne se rencontre que sur les cartes. J'ai connu un étudiant qui ne parvenait pas à démêler ses cheveux gras. Sa maîtresse s'appelait S., lui-même était russe et moi, stupide, je le croyais mêlé à des évènements historiques.

André Billy - La Guerre des Journaux.

“ Le lacet d'Almereyda pend comme une branche de salut dans l'abîme des suppositions gratuites. Les journalistes font bonne contenance sur divers bancs, et je n'oublierai pas de dire que celui-ci est poète, celui-là spirituel et que tous ont du talent. Le pseudonyme dont je signe ces produits de consommation courante est une voilette si légère qu'elle ne me dispense pas des coups de chapeau. ”

Louis ARAGON.

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Pic(3f9p1)bia.

On s'infuse dans le cirque bourré de roues dentées et où il n'y a que des roues dentées, comme l'odeur d'iode sous l'épiderme des tapisseries de bar. Si le cirque est petit et acide réveille-matin, capter les cavatines excédées, et la tente est transparente, ma tante accroupie sur le trapèze, le salto vital s'appelle PENSÉE.

Chaque roue vante sa construction faciale, son épanouissement giratoire, la régularité ou la coquetterie lucide chantent la façon dont elles stupéfient la vitesse, etc. Les désirs des roues, les spécialités des centres déchirent le cerveau et cassent les glaces systématiquement, enfoncent les corridors, et produisent, dans la plupart des cas et pour le sang de mauvais caractère, la constipation dont on connaît les suites fâcheuses.

Les écoliers évitent les maladies de cet ordre, Elégie, ode, qui proviennent de la dilatation d'une certaine roue, que je rougis de nommer en cette place.

Il est nécessaire non seulement que la machine soit en ordre, mais surtout que les bouts des paroles s'entrelacent un à l'autre dans des passages inaperçus et que l'acclimatation des heures devienne, sur les oreilles fragiles, maladie d'altitude grammaticale, mazurka de colibris dans les piles électriques, prépare la mixture permanente et le mastodonte reviendra dans votre monde avec les aboiements aromatiques des renards intangibles.

(La solution de ce rébus, qui est aussi un discours de M. Aa, l'antiphilosophe, nous a été envoyée par FRANCIS PICABIA : Pensées sans langage, chez E. Figuière)

Tristan TZARA.

SPECTACLES

Le Palais de Glace.

Ces gens ingénieux tournent sans s'étourdir. Leurs cerveaux sont pleins des refrains de cirque et la nuit ne les atteint pas. Chacun est à sa place dans ce bas monde. On attend la lune ou tout autre phénomène.

Les mystères sont les bienvenus.

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On aperçoit parmi la foule des patineurs MM. Aa l'antiphilosophe, Jean Richepin et André Breton.

Plus près du ciel et de la mer, nous aurions serré la main des journalistes et des chantres de la renommée (disent-ils).

Louis Aragon parle et va pleurer sans doute. Je lui ai dit tout bas : “ Sors, petite automobile ! ”

Les gens tournent tous les soirs à la recherche du lendemain. Ils savent où ils vont.

Les réunions publiques.

Les réunions publiques jusqu'ici très calmes, deviennent houleuses et très mouvementées. C'est ainsi que des scènes violentes se sont produites dans une réunion tenue par l'Union républicaine nationale, dans le 2e secteur de Paris (liste Millerand-Barrès).

A cette réunion que présidait, rue des Pyrénées, M. Virot, conseiller municipal, se trouvaient MM. Puech, Barrès, Galli, Paté, Erlich, Petitjean, amiral Bienaimé, Heppenheimer et Raoul Persil, ancien chef de cabinet de M. Millerand.

M. Erlich qui, à son retour de Russie, a quitté le parti socialiste unifié, exposait ses impressions sur le régime bolchevik, dont il indiquait le danger, quand il fut interrompu par de vives clameurs qui prirent le caractère d'un véritable scandale.

En présence de cette obstruction systématique, les électeurs présents protestèrent avec indignation et quittèrent la salle de réunion, tandis que les perturbateurs acclamaient les noms de Lénine et de Sadoul. On entendit même des cris de : “ A bas la France ! ”

MM. Barrès, Erlich, Paté et leurs amis se rendirent dans une brasserie voisine où, flétrissant les auteurs du guet-apens qui venait de se produire, ils rédigèrent une affiche de protestation, qui a été placardée par les soins des comités de l'Union républicaine.

Philippe SOUPAULT.

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LES ARTS

Derniers échos des Expositions du Salon d'Automne, de l'Automobile et canine.

En définitive, nul ne saurait parler du Salon d'Automne avec plus d'impartialité que moi, puisque je n'y ai pas fourré les pieds.

Qu'il fut annuel et bien d'automne. Plus encore, quelle mort tenace. Au retour de chacune de ces agonies périodiques, un usage très ancien veut que ses organisateurs tentent de l'animer par le “ supplément ” de quelques clous. Comme l'on a de nos jours l'enterrement facile et que le jeu du cadavre est assez en vogue, l'on convie à la fête les artistes morts à la guerre. Un “ pendant ” fut ajouté : quelques poules lançant des modes. Jusqu'ici et pour la joie des yeux, les artistes ne s'étaient pour ainsi dire jamais occupés de choses de la mode ; à compter d'aujourd'hui, nous nous attendons à des tentatives extraordinaires. “ L'art et la mode ”

C'est avec la plus scrupuleuse attention que j'ai examiné les multiples envois soumis à nos appréciations. Moralement s'entend, comme l'on dit. Il s'agissait de quelques produits de ce genre amoncelés là en manière de liquidation des stocks, comme dit si bien M. Roger Allard.

L'héroïsme était ailleurs, car tout ceci fleurait comme la crainte de quelque censure picturale. On eut dit d'un concours pour garnir les décors de l'Octave Feuillet que n'a cessé de jouer la Comédie Française durant les cinq années de la guerre.

Si Gleizes et Picabia n'eussent été sociétaires... On le fit bien voir d'ailleurs à Archipenko dont, après l'avoir refusé, l'on cassa l'envoi.. pour lui apprendre. Nous pourrions, il est vrai, attribuer encore ce bousillage à l'effet de quelque sollicitude prolétarienne pour “ ces fainéants d'intellectuels ” dont parle M. Jean Longuet.

Ce que j'aime au fond dans les peintures, car au fond on les aime un peu comme Hugo aimait le crapaud, ce fut, pour mon amour de la science, cette application de la construction en

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série, que la “ mère Filliou ” de Lyon a si ingénieusement mise en pratique dans ses célèbres repas en série, également, où le même menu est servi quotidiennement pendant un an.

Autre chose. Il y a quelque dix ans, n'est-ce pas, Metzinger, nous célébrions avec la Section d'or cette heureuse influence des mathématiques sur l'art, que je n'ai jamais cessé de prôner. Nous avons depuis modifié ce point de vue qui nous parut insuffisant et, partant, singulièrement assoupli le nombre artistique.

Cependant il est mieux pour un débutant de s'initier d'abord au rudiment, et lorsqu'il saura bien la géométrie plane, M. Lhote pourra s'atteler comme l'on dit aux géométries supérieures (projective, puis analysis situs) que ses camarades du cours supérieur ont depuis longtemps digérées. Ainsi chaque jour l'artiste découvre quelque Amérique ; il en est cependant qui ne s'aventurent que sur lescartes. Pourtant la carte n'est jamais si blanche que cela et je voudrais proposer deux aphorismes comme thèmes à des développements.

“ 1° Il n'y a pas de blanc dans la nature ; 2° Il n'y a jamais longtemps qu'on sait ça. ”

C'est ainsi qu'en jetant un dernier coup d'œil “ d'ensemble ” sur ces peintures, je ne puis m'empêcher de songer au fameux “ Nietzche pour boniches ” dont parlait jadis notre cher Max Jacob ; jadis, aux temps où sans aucun doute il redoutait déjà le Coq et l'Arlequin.

Ma chronique se termine ici. Toutefois, attendons-nous à une surprise. Dans la feuille hebdomadaire où M. Meyer pinturrichiait récemment encore sur l'admirable Picasso, verronsnous pas très prochainement le spirituel critique s'étonner des transports pour David qu'affichent depuis quelque temps plusieurs candidats de sa liste. C'est qu'autrefois M. Meyer avait horreur de l'Institut.

Je me souviens d'une délicieuse mosaïque italienne. Pour figurer le fameux ciel “ se retira comme un livre qu'on roule ” de l'Apocalypse, l'artiste avait figuré un ange qui enroulait un parchemin bleu sur lequel étaient peintes des étoiles d'or.

L'Exposition canine encore qu'elle ne présentât aucun chien, offrait un spectacle assez vivant, mais le Salon de l'Automobile...

Ici pas de lignes inutiles. “ Il abrège parce qu'il voit tout ” disait Montesquieu de Tacite. Un guéridon qui porte à peine une magnéto se blottit contre le fond noir de la limousine. On dirait un tableau de Juan Gris. La magnéto, marque Eole,

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est jolie comme un cœur et douce au toucher comme une petite bête. On l'a arrachée de l'auto pour la jeter pantelante et morte sur la table Imposants comme des vaisseaux, les camions de l'artillerie lourde dorment. Des châssis éclatants barrés d'arceaux lumineux et d'affiches multicolores évoquent une toile de Léger. Au dehors, on a fait tourner devant moi le moteur d'une “ Renault ” : j'ai pensé entendre battre mon cœur. Que dire encore des jolis barbarismes de l'appareillage électrique. Mais je n'ai pas le temps L'esprit de plu-ieurs d'entre nous planait sur cette machinerie précieuse. Laissons le Salon d'Automne aux Galeries Lafayette ; mais à quand nos matinées comme nos expositions au Salon de l'Automobile.

Maurice RAYNAL.

PALET

Salon d'Automne 1919.

N'ONT PAS EXPOSÉ : Mme Marie Laurencin, MM. Braque, Derain, Picasso, de Chirico, Léger, Gris, Delaunay, Kisling, La Fresnaye, Arp, Janco, Duchamp, Survage, Larionow, Chagall, Carra, Laurens, Lipschitz, Férat, Delmarle, Metzinger, Sévérini, de Zayas, Archipenko.

ONT EXPOSÉ : MM. Picabia, Vlaminck, Matisse, Modigliani, Gleizes et Zadkine.

Le gérant : Philippe SOUPAULT.

Imp. R. TANCREDE, 15, rue de Verneuil, Paris (7e arr.).