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<Littérature n° 1, mars 1919>

N° 1
REVUE MENSUELLE
Mars 1919
LITTÉRATURE
DIRECTION :
9, PLACE DU PANTHÉON, 9
DIRECTEURS :
LOUIS ARAGON - ANDRÉ BRETON PHILIPPE SOUPAULT
RÉDACTION ET ADMINISTRATION :
9, Place du Panthéon, 9
ABONNEMENTS Édition ordinaire .... 15 fr. par an
Édition de luxe .... 60 fr. par an
Prix du numéro : 1 fr. 50
Pour la vente, s'adresser à la "Maison des Amis des Livres" 7, rue de l'Odéon, Paris
SOMMAIRE
André GIDE.... Les Nouvelles Nourritures (fragments du 1er et du Ve livres).
Paul VALÉRY.... Cantique des Colonnes.
Léon-Paul FARGUE. Écrits dans une cuisine.
André SALMON.... L'Age de l'Humanité (ouverture).
Max JACOB.... La rue Ravignan.
Pierre REVERDY... Carte-Blanche.
Blaise CENDRARS... Sur la robe elle a un corps.
Jean PAULHAN .... La Guérison sévère.
Louis ARAGON.... Pierre fendre.
André BRETON.... Clé de sol.
CHRONIQUES.
Livres choisis.
Les revues.
Note.
Il a été tiré de ce numéro 15 exemplaires sur papier de Hollande de Van Gelder Zonen numérotés de 1 à 15
EXEMPLAIRE N°
p.1
LES NOUVELLES NOURRITURES
(fragments du 1er et du Ve livres)
I
Que l'homme est né pour le bonheur, Certes toute la nature l'enseigne.
Une éparse joie baigne la terre, et que la terre exsude à l'appel du soleil - comme elle fait cette atmosphère émue où l'élément déjà prend vie et, soumis encore, échappe à la rigueur première... On voit des complexités ravissantes naître de l'enchevêtrement des lois ; saisons ; agitation des marées ; distractions, puis retour en ruissellement, des vapeurs ; tranquille alternance des jours ; retours périodiques des vents ; tout ce qui s'anime déjà, un rythme harmonieux le balance. Tout se prépare à l'organisation de la joie et que voici bientôt qui prend vie, qui palpite inconsidérément dans la feuille, qui prend nom, se divise et devient parfum dans la fleur, saveur dans le fruit, conscience et voix dans l'oiseau. De sorte que le retour, l'information, puis la disparition de la vie imite le détour de l'eau qui s'évapore dans le rayon, puis se rassemble à nouveau dans l'ondée.
Chaque animal n'est qu'un paquet de joie.
Tout aime d'être et tout être se réjouit. C'est de la joie que tu appelles fruit quand elle se fait succulence ; et quand elle se fait chant, oiseau.
p.2
Que l'homme est né pour le bonheur, certes toute la nature l'enseigne. C'est l'effort vers la volupté qui fait germer la plante, emplit de miel la ruche et le coeur de l'homme de bonté.
Je ne sais trop qui peut m'avoir mis sur la terre. On m'a dit que c'est Dieu ; et si ce n'est pas lui. Qui serait-ce ?
Il est vrai que j'éprouve à exister joie si vive, que parfois je doute si déjà je n'avais pas envie d'être, alors même que je n'étais pas.
Mais nous réserverons pour l'hiver la discussion théologique, car il y a de quoi se faire beaucoup de mauvais sang là-dessus.
Table rase. J'ai tout balayé. C'en est fait ! Je me dresse nu sur la terre vierge, devant le ciel à repeupler.
Bah ! Je te reconnais, Phoibos ! Au-dessus du gazon givré tu répands ta chevelure opulente. Viens avec l'arc libérateur. A travers ma paupière fermée, ton trait d'or pénètre, atteint l'ombre ; il triomphe, et le monstre intérieur est vaincu. Apporte à ma chair la couleur et l'ardeur, à ma lèvre la soif, et l'éblouissement à mon coeur. Viens ! de toutes les échelles de soie que tu lances du zénith à la terre, je saisirai la plus charmante ! Je ne tiens plus au sol, je me balance
à l'extrémité d'un rayon.
O toi que j'aime, enfant ! je te veux entraîner dans ma fuite. D'une main prompte saisis le rayon ; voici l'astre. Accours ! Déleste-toi. Ne laisse plus le poids du plus léger passé t'asservir.
p.3
De l'amour et de la pensée, c'est ici le confluent subtil !
La page blanche
luit devant moi.
Et de même que le Dieu se fait homme, ainsi vient se soumettre aux lois du rythme mon idée.
Image de mon parfait bonheur,
j'étale ici, peintre récréateur
la couleur la plus tremblante et la plus vive.
Je suis couché contre la terre. Près de moi, la branche, chargée de fruits éclatants, ploie jusqu'à l'herbe ; elle touche l'herbe ; elle frôle et caresse le plus tendre épi du gazon. Le poids d'un roucoulement la balance.
Je ne saisirai plus les mots que par les ailes. Est-ce toi, ramier de ma joie ? Ah ! vers le ciel, ne t'envole pas encore... Ici, pose. Repose-toi.
J'écris pour qu'un adolescent, plus tard, pareil à celui que j'étais à seize ans, mais plus libre, plus hardi, plus accompli, trouve ici réponse à son interrogation palpitante. Mais quelle sera sa question ?
Je n'ai pas grand contact avec l'époque et les jeux de mes contemporains ne m'ont jamais beaucoup diverti. Je me penche par-delà le présent. Je passe outre. Je pressens un temps où l'on ne comprendra plus qu'à peine ce qui nous paraît vital aujourd'hui.
Comme le futurisme paraîtra vieux dès que la convention d'hier sera brisée ! Je rêve à de nouvelles harmonies, Un art des mots, plus subtil et plus franc ; sans rhétorique ; et qui ne cherche à rien prouver.
p.4
Ah ! qui délivrera notre esprit des lourdes chaînes de la logique ? Ma plus sincère émotion, dès que je l'exprime, est faussée.
La vie peut être plus belle que ne le consentent les hommes. La sagesse n'est pas dans la raison, mais dans l'amour. Ah ! j'ai vécu trop prudemment jusqu'à ce jour. Il faut être sans lois pour écouter la loi nouvelle. O délivrance ! O liberté ! Jusqu'où mon désir peut s'étendre, là j'irai. O toi que j'aime, viens avec moi ; je te porterai jusque-là, que tu puisses plus loin encore.
RENCONTRES. Nous nous amusions le long du jour, d'accomplir les divers actes de notre vie comme une danse, à la manière des gymnastes parfaits, dont le désir serait de ne rien faire que d'harmonieux et de rythmé. Sur un rythme étudié, Marc allait chercher de l'eau à la pompe, pompait et remontait le seau. Nous connaissions tous les mouvements qu'il fallait pour rapporter un flacon de la cave, le déboucher, le boire, et nous les avions décomposés. Nous trinquions en cadence. Nous inventâmes aussi des pas pour se tirer d'affaire dans les circonstances difficiles de la vie, d'autres pour accuser les troubles intimes, d'autres pour les dissimuler. Il y avait le passepied des condoléances, et celui des congratulations. Il y avait le rigaudon du fol espoir et le menuet dit : des légitimes aspirations. Il y avait, comme dans les ballets célèbres, le pas de bisbille, le
p.5
pas de la brouille et celui de la réconciliation. Nous excellions dans les mouvements d'ensemble ; mais le pas du parfait copain se dansait seul. Le plus amusant que nous avions inventé était oelui de la descente vers le bain, ensemble, le long de la grande prairie : c'était un mouvement très rapide, car on voulait arriver en sueur ; il se faisait par bonds et la pente du pré favorisait nos enjambées énormes, une main tendue en avant comme font ceux qui courent après le tramway, et soutenant de l'autre le flottant peignoir qui nous couvrait ; on arrivait à l'eau tout essoufflé et nous plongions aussitôt avec de grands rires, en récitant du Mallarmé.
Mais tout cela, direz-vous, pour être lyrique manquait un peu de laisser-aller... Ah ! j'oubliais : nous avions aussi l'entrechat subit de la spontanéité.
C'est la reconnaissance de mon coeur qui me fait inventer Dieu chaque jour. Dès l'éveil je m'étonne d'être et m'émerveille incessamment. Pourquoi la levée d'une douleur apporte-t-elle moins de joie que la fin d'une joie ne cause de peine ? C'est que dans le chagrin tu songes au bonheur dont il te prive, tandis qu'au sein du bonheur, il ne t'arrive point de songer aux douleurs qui te sont épargnées ; c'est qu'il t'est naturel d'être heureux.
Une somme de bonheur est due, à chaque créature, selon ce que ses sens et son coeur en peuvent supporter. Si peu que l'on m'en prive, je suis volé. Je ne sais point si je réclamais la vie, avant d'être ; mais à présent que je vis, tout m'est dû. Mais la reconnaissance est si douce et il m'est si nécessairement doux d'aimer, que la moindre caresse de l'air éveille un merci dans mon coeur. Le besoin de reconnaissance m'enseigne à faire de tout ce qui vient à moi du bonheur.
p.6
II
Je ne trouve pas précisément de défenses et de prohibitions dans la lettre de l'Evangile. Mais il s'agit de contempler Dieu du regard le plus clair possible et j'éprouve que chaque objet de cette terre que je convoite se fait opaque, par cela même que je le convoite, et que dans cet instant que je le convoite, le monde entier perd sa transparence, ou que mon regard perd sa clarté, de sorte que Dieu cesse d'être sensible à mon âme, et qu'abandonnant le Créateur pour la créature, elle cesse de vivre dans l'éternité et perd possession du royaume de Dieu.
ANDRÉ GIDE.
p.7
CANTIQUE DES COLONNES
A Léon-Paul Fargue
Douces colonnes aux
Chapeaux garnis de jour
Ornés de vrais oiseaux
Qui marchent sur le tour
Douces colonnes, ô
L'orchestre de fuseaux !
Chacune immole son
Silence à l'unisson...
- Que portez-vous si haul
Egales radieuses ?
- Au désir sans défaut
Nos grâces studieuses !
Nous chantons à la fois
Que nous portons les cieux !
O seule et sage voix
Qui chantes pour les yeux !
Vois ! nos hymnes candides !
Quelle sonorité
Nos éléments limpides
Donnent à la clarté !
Si froides et dorées,
Nous fûmes de nos lits
Par le ciseau tirées
Pour devenir ces lys !
p.8
De nos lits de cristal
Nous fûmes éveillées ;
Des ongles de métal
Nous ont appareillées.
Pour affronter la lune,
La lune et le soleil
On nous polit chacune
Comme ongle de l'orteil.
Servantes sans genoux,
Sourires sans figures,
La belle devant nous
Se sent les jambes pures.
Pieusement pareilles.
Le nez sous le bandeau,
Et nos riches oreilles
Sourdes au blanc fardeau,
Un temple sur les yeux
Noirs pour l'éternité,
Nous allons sans les dieux
A la divinité.
Nos antiques jeunesses,
Chair mate et claires ombres,
Sont fières des finesses
Qui naissent par les nombres !
Filles des nombres d'or,
Fortes des lois du ciel,
Sur nous tombe et s'endort
Un dieu couleur de miel.
p.9
Il dort content, le Jour
Que chaque jour offrons
Sur la table d'amour
Etale sur nos fronts.
Incorruptibles soeurs
Mi-brûlantes, mi-fraîches,
Nous prîmes pour danseurs
Brises et feuilles sèches,
Et les siècles par dix,
Et les peuples passés,
C'est un joli jadis,
Jadis jamais assez !
Sous nos mêmes amours,
Plus lourdes que le monde,
Nous traversons les jours
Comme une pierre l'onde !
Nous marchons dans le temps
Et nos corps éclatants
Ont des pas ineffables
Qui marquent dans les fables...
PAUL VALÉRY.
p.10
ÉCRIT DANS UNE CUISINE
I. - CHANSON.
La grenouille
Du jeu de tonneau
S'ennuie, le soir, sous la tonnelle...
Elle en a assez !
D'être la statue
Qui hurle en silence un grand mot : le Mot !
Elle aimerait mieux être avec les autres
Qui font des bulles de musique
Avec le savon de la lune
Au bord du lavoir mordoré
Qu'on voit là-bas luire entre les branches...
On lui lance à coeur de journée
Une pâture de pistoles
Qui la traversent sans lui profiter
Et s'en vont sonner
Dans les cabinets
De son piédestal numéroté !
Et le soir les insectes couchent
Dans sa bouche...
Mais elle est rivée à la tribune
Ouverte à l'amour, ouverte au davier
Vers la lune qui souffre, au tournant du sentier,
D'une indigestion d'ouate thermogène...
Au loin un follet cherche quelque chose
Qu'il a perdu dans les roseaux
Et réveille au fond de la mare close
L'hydrophile noir dans son château d'eau...
p.11
Mon enfance triste, à l'affût des charmes,
Le soir allait le voir bayer,
Prête à t'écouter, au bord de tes larmes,
Gobeuse de temps couverts et de blâmes,
- Comme moi, poëte, dans mon verger...
II. - DANSE.
Les salades d'escarole
Dansent en robe à paniers
Sous la lune blonde et molle
Qui se lève pour souper...
Un couple d'amants s'isole
Gracieux comme un huilier
Et va sous un mouflier
Voir pousser les croquignoles...
Les salades d'escarole
Demain elles danseront
Dans leur urne funéraire
Entre les faces lunaires
Qui dînent d'un oeil vairon
Et feront sur leurs frisons
L'escalade des paroles
Et le pas des postillons...
Cependant, la Terre gronde,
Et dans cette dame blonde,
Et dans ce monsieur qui ment,
La Mort, lampe d'ossements,
Consume l'huite qui tombe...
LÉON-PAUL FARGUE.
p.12
L'AGE DE L'HUMANITÉ
(Ouverture)
I
Parti en guerre
Au coeur de l'été,
Vainqueur au déclin de l'automne
Titubant d'avoir culbuté des tonnes
Et des tonnes
D'explosifs sur le vieil univers patiemment saboté,
Tu vas avoir quarante ans,
Tu as fait la guerre,
Tu n'es plus l'homme de naguère
Et tu ne seras jamais l'homme que fut à cet âge ton père.
Tu as avec ton couteau de tranchée,
Une nuit molle d'ombres
Quand le ciel n'était que le vomissement fuligineux de la terre
Se consumant,
Trébuchant à genoux parmi les betteraves hachées,
Langues pourries,
Les dépouilles et les décombres,
Les mots de la journée et les reliefs du dernier festin avant la tuerie,
p.13
Coupé jusqu'au moignon les ailes pathétiques du temps.
Ton heure ?
C'est l'heure H
Que tu lis sur une montre sans art, pareille à cent mille pareilles
Que les petits enfants se collent à l'oreille,
Chef-d'oeuvre de l'industrie à bon marché,
Riche d'une inscription
Qui suffit à tes dévotions :
Fonquevillers
ou
Le fortin Marty
ou
La Pierre Croisée
ou
La Main de Massiges
ou
Hartmanwillerkopf
Et aussi :
66e Baton Chas. Pied
294e Inf.
4e Zouaves
12e Cuir. à pied
Et c'est encore ce temps
Un instant de l'heure H,
En deçà c'est jadis par dessus naguère.
Tant que coule le fleuve contenu des secondes vers l'heure H
Tu es un homme selon ton voeu formel
Qui ne fut celui ni de ton père ni de ton aïeul ;
Tu es l'homme de la victoire plus terrible
Que la défaite
p.14
De ton père et la défaite pire
Du père de ton père ;
Que la République était belle
Sous l'Empire !
L'exil
Un duel
Le meurtre d'un sergent de ville
Une imprimerie clandestine
Londres, Lambessa, une chaire à Genève, un lopin à Constantine ;
On était sainl à bon marché.
Etre homme, homme nouveau,
Homme du temps de la victoire
Qui n'a plus besoin de porter une santé pour boire ;
Nos visions de l'août fatal tenues pour dérisoires ;
Le coeur
Restituant tous ses droits au cerveau,
Loyal tuteur ;
L'homme nouveau combattant las et qui se rend à l'éternel ;
L'homme dont les dix doigts levés -
Noël !
Noël !
Suspendent les boules de gui aux voûtes des grands jours solaires,
C'est, comme on dit, une autre affaire !...
ANDRÉ SALMON.
p.15
LA RUE RAVIGNAN
Importuner mon Fils à l'heure où tout repose
Pour contempler un mal dont toi-même souris ?
L'incendie est comme une rose
Ouverte sur la queue d'un paon gris.
Je vous dois tout, mes douleurs et mes joies...
J'ai tant pleuré pour être pardonné !
Cassez le tourniquet où je suis mis en cage !
Adieu, barreaux, nous partons vers le Nil ;
Nous profitons d'un Sultan en voyage
Et des villas bâties avec du fil
L'orange et le citron tapisseraient la trame
Et les galériens ont des turbans au front.
Je suis mourant, mon souffle est sur les cimes !
Des émigrants j'écoute les chansons
Port de Marseille, ohé ! la jolie ville,
Les jolies filles et les beaux amoureux !
Chacun ici est chaussé d'espadrilles :
La Tour de Pise et les marchands d'oignons.
Je te regrette, ó ma rue Ravignan !
De tes hauteurs qu'on appelle antipodes
Sur les pipeaux m'ont enseigné l'amour
Douces bergères et leurs riches atours
Venues ici pour nous montrer les modes.
L'une était folle ; elle avait une bique
Avec des fleurs à ses cornes de Pan ;
L'autre pour les refrains de nos fêtes bachiques
La vague et pure voix qu'eût rêvée Malibran.
L'impasse de Guelma a ses corrégidors
Et la rue Caulaincourt ses marchands de tableaux
Mais la rue Ravignan est celle que j'adore
Pour les coeurs enlacés de mes porte-drapeaux.
Là, taillant mes dessins dans les perles que j'aime,
Mes défauts les plus grands furent ceux de mes poèmes.
MAX JACOB.
p.16
CARTE BLANCHE
A l'horizon
La mer
Et les branches se lèvent
Le ciel tient à la main qui tremble
Et le bruit court
Au fil qui pend
A la tête qui dort
Aux instruments de l'art
Le numéro sort
Les nuages s'échangent
Je regarde passer les trottoirs
Et tout ce qui se dresse en
venant de plus loin
Devant tout ce que j'ai connu
qui s'accumule
Au trot
Contre la pierre immense et dure
Sur le port.
PIERRE REVERDY.
p.17
SUR LA ROBE ELLE A UN CORPS
Le corps de la femme est aussi bosselé que mon crâne
Glorieuse
Si tu t'incarnes avec esprit
Les couturiers font un sot métier
Autant que la phrénologie
Mes yeux sont des kilos qui pèsent la sensualité des femmes
Tout ce qui fuit saille avance dans la profondeur
Les étoiles creusent le ciel
Les couleurs déshabillent
“ Sur la robe elle a un corps ”
Sous les bras des bruyères mains lunules et pistils quand les eaux se déversent dans le dos avec les omoplates glauques
Le ventre un disque qui bouge
La double coque des seins passe sous le pont des arcs-en-ciel
Soleil
Et les cris perpendiculaires des couleurs tombent sur les cuisses
Epée DE SAINT MICHEL
Il y a des mains qui se tendent
Il y a dans la traîne la bête tous les yeux toutes les fanfares tous les habitués du bal Bullier
Et sur la hanche
La signature du poète
BLAISE CENDRARS.
p.18
LA GUÉRISON SÉVÈRE
Mon corps a changé : cependant ma pensée ne s'est pas arrêtée d'être la même, depuis que je suis malade, et je n'ai pas cessé de la suivre.
Il y a eu un temps où j'ai tâché de profiter d'elle. J'ai renoncé alors aux images et aux histoires que je me formais, et j'ai couvert d'inscriptions le mur qui est en face de moi.
(Voici la principale des histoires, dont j'ai été préoccupé plus de trois jours : le Docteur avait bien emporté sur le bateau d'assez grands blocs de glace, mais qui avaient été mis à prendre dans des tonneaux : ils étaient exactement ronds, de sorte que les matelots s'exerçaient avec eux tous les soirs à lancer le disque. Ils fondaient et devenaient sales. Maintenant ils se trouvaient juste assez grands pour que le Docteur et moi pussions jouer au jacquet ; encore certains d'entre eux ressemblaient-ils plutôt à des pions de dames.
Le bateau n'avait pas fini de tourner le cap, il nous arrivait de vomir le sang. Ce sang nous venait brusquement à la bouche, avec le goût et la forme d'une langue de chien. Nous mangions alors un de nos pions, en prenant les plus propres, et cela compliquait le jeu.)
J'écrivis donc dans le coin gauche de la tapisserie,
p.19
au lieu du timonier qui lançait le disque : je ne tousse plus.
Je plaçai un peu haut : j'ai mille amis avec moi. Cette exagération me plaisait. Elle ne resta pas à la même place, mais passa trois jours sur la couverture qui masquait la porte condamnée, et descendit ensuite sur la cheminée : les flacons m'aidèrent à la fixer, à cause de leur nombre.
Enfin je mis à côté d'un clou qui sortait du mur : je suis guéri comme 2 et 2 font 4. Cette inscription me donnait la plus grande assurance : je la regardais la dernière, elle fortifiait les autres. C'est que les chiffres se montraient d'eux-mêmes, au lieu que je devais, pour assurer les mots, réunir mon attention.
Combien cependant ces mots s'épuisèrent plus vite encore que n'avaient fait les histoires, et se virent naturellement condamnés, lorsque je commençai d'être occupé, non sans quelque début léger de mouvements, aux manières de me lever et me tenir un instant droit - et ne me trouvant avec ces jambes et ce plancher difficiles plus rien de commun, autre que cette absence aussitôt de ma pensée.
JEAN PAULHAN.
p.20
PIERRE FENDRE
Jours d'hiver copeaux
Mon ami les yeux rouges
Suit l'enterrement Glace
Je suis jaloux du mort
Les gens tombent comme des mouches
On me dit tout bas que j'ai tort
Soleil bleu Lèvres gercées Peur
Je parcours les rues sans penser à mal
Avec l'image du poète et l'ombre du trappeur
On m'offre des fêtes
des oranges
Mes dents Frissons Fièvre Idée fixe
Tous les braséros à la foire à la ferraille
Il ne me reste plus qu'à mourir de froid en public
LOUIS ARAGON.
p.21
CLÉ DE SOL
A Pierre Reverdy
On peut suivre sur le rideau
L'amour s'en va
Toujours est-il
Un piano à queue
Tout se perd
Au secours
L'arme de précision
Des fleurs
Dans la tête sont pour éclore
Coup de théâtre
La porte cède
La porte c'est de la musique
ANDRÉ BRETON.
p.22
LIVRES CHOISIS
TRISTAN TZARA : Vingt-cinq poèmes.
On ne sait jamais si c'est une fleur ou une bête, ni son sexe, et cet homme qui porte une veste à brandebourgs prend trop de libertés avec les sexes. Mais le vent l'emporte ; il n'y a que du vent et l'on vend au rabais toute la quincaillerie du bazar : solde avant inventaire. Le livre ne touche que les marchands d'images. Ils font des étoiles et marquent les prix d'achat devant les numéros. Vous voyez bien que c'est un catalogue.
PIERRE REVERDY.
Les Jockeys camouflés et Période Hors Texte.
Poser mes doigts sur ce livre si blanc, couleur des fantômes. Je l'avais déjà lu, chaque fois que mes regards heurtèrent le ciel, la glace, le mur, des yeux stupides, toutes les surfaces unies. Il y a des heures trop tristes, d'autres trop exaltantes : tour à tour, les nuits gris-perle où l'on marche sur les routes en confiant sa vie à des inconnus, les noires qu'on traverse sans voir la fatigue, les matins clairs, sans raison, par simple tournure d'esprit, les jours froids et vifs comme des joues au grand air, il y a la lumière toute nue. Il y a un homme comme une boule dans un corridor qui roule et rebondit de l'ombre à la clarté. Il chante un air qu'on n'entend pas, sans doute un air de danse. Dans le sommeil, la fièvre ou l'ivresse, il sait écarquiller les paupières au moment que les autres perdent conscience. Sa lucidité à de pareilles profondeurs m'effraie. Il me fixe avec des yeux d'épouvantail. Ses bras s'agitent dans le vent, et sa voix, et lui-même, se perdent dans le murmure des arbres.
L. A.
p.23
LES REVUES
Le Mercure n'admet pas l'armistice. L'utilité de l'artillerie lourde doit être démontrée en vue de la préparation à une prochaine guerre. L'énigme : Nietzsche était-il un apologiste de la guerre et un germanophile ? n'est pas sans intérêt. De sa réponse dépend la place que nous accorderons à Zarathoustra dans nos bibliothèques. Carl Siger vient, en Jérémie sans illusion sur l'attention qu'on lui prête, dénoncer l'Administration, la Commission du Budget et la lutte des classes. Charles Tillac, en un long poème, chante le câble téléphonique “ avec toute la ferveur de sa foi limousine ”.
Les Écrits nouveaux montrent un plus grand souci de littérature. Suarès continue à dévoiler, dans des formules sans réplique, les intentions et les procédés de Shakspeare.
André Breton conte la légende de Jarry. “ Chaque grand homme ne posséda réellement que ses bizarreries, disait Schwob. Le biographe n'a pas à se préoccuper d'être vrai, il doit créer dans un chaos de traits humains. ”
Breton détache l'homme “ de ses pires conditions d'existence ”. Des contradictions que l'auteur d'Ubu roi se plaisait à accumuler autour de lui, il dégage une figure : “ Immuablement vêtu d'une redingote et chaussé de souliers de cycliste, il se tenait digne, dans un café de la rive gauche, devant une absinthe ou une bouteille de stout, quelle que fût l'heure, apportant même, si je puis dire, dans ses dérèglements, une discipline et des principes.
Il parlait alors d'une voix mesurée, prononçant toutes les muettes et contant, dans une langue châtiée, les histoires les plus abracadabrantes, jouant au naturel le rôle d'Ubu lui-même et se vantant sérieusement d'exploits imaginaires. ”
Aux amis de Jarry appartient le soin de juger de la ressemblance de ce portrait. Pour nous, qui ne l'avons connu qu'à travers son oeuvre, cette image est bien celle du père Ubu.
Dans ces mêmes Écrits nouveaux, Elie Faure évoque Renoir, peintre de “ tout ce qui a dans le monde du rayonnement et de l'éclat ”. Devant une telle richesse de matière, de
p.24
coloris, de formes, Elie Faure devient lyrique - ce qui est parfois grave : le fleuve Rubens descend vers la mer latine. Velasquez ne reçoit pas moins de cent affluents.
Encore plus lyrique est Bourdelle dans l'Éventail. A propos de Rodin, il parle des destinées de l'Art, des cyprès et des jeunes femmes rythmiques. Sculpteur, il écrit avec un stylet. D'où, une certaine difficulté à comprendre ses formules. “ Ce qu'il faut bâtir, assises sur assises, dans la Société des Nations, c'est un Monde interpénétré de Textes et de signes ”. Plus de figures solitaires, penseurs de Phidias, Michel Ange ou Rodin. Le penseur de demain sera une cathédrale du Moyen Age.
Idéal, idéal, idéal,
Connaissance, connaissance, connaissance,
Boumboum, boumboum, boumboum,
crie Tzara dans le manifeste de Dada. Bourdelle danse pour son boumboum - en cela, il a raison - mais il veut nous faire danser pour son boumboum et en cela, il a tort. Dada ne signifie rien que liberté, affranchissement des formules, indépendance de l'artiste, abolition des “ tiroirs du cerveau ” : philosophie, psycho-analyse, dialectique, logique, science. Dada réclame “ des oeuvres fortes, droites, à jamais incomprises ”. Le manifeste de Tzara mérite de rester parmi ces oeuvres qui n'arrivent jusqu'à la “ masse vorace ”, mais survivront par leur énergie.
R. L.
Nous sommes heureux d'annoncer les premiers la reparution prochaine, sous la direction de M. André Gide, de la Nouvelle Revue Française, la revue d'avant-guerre qui comptait le plus de titres à l'estime des lettrés.
Le Gérant : PHILIPPE SOUPAULT.
PARIS. - IMPRIMERIE LEVÉ, RUE DE RENNES, 71.
LITTÉRATURE
compte publier des poèmes et des proses de MM.
GUILLAUME APOLLINAIRE - LOUIS ARAGON - ANDRÉ BRETON - BLAISE CENDRARS - PAUL CLAUDEL - JEAN COCTEAU - LUC DURTAIN - LÉON-PAUL FARGUE - ALEXANDRE GASPARDMICHEL - ANDRÉ GIDE - JEAN GIRAUDOUX - MAX JACOB - VALERY LARBAUD - PAUL MORAND - JEAN PAULHAN - C. F. RAMUZ - MAURICE RAYNAL - PIERRE REVERDY - JULES ROMAINS - JEAN ROYERE - SAINTLÉGER LÉGER - ANDRÉ SALMON - ANDRÉ SPIRE - PHILIPPE SOUPAULT - TRISTAN TZARA - PAUL VALÉRY - MICHEL YELL.
PARIS. - IMPRIMERIE LEVÉ, 71, RUE DE RENNES.

<Littérature n° 2, avril 1919>

N° 2
REVUE MENSUELLE
Avril 1919
LITTÉRATURE
DIRECTION
9, PLACE DU PANTHEON, 9
DIRECTEURS :
LOUIS ARAGON - ANDRÉ BRETON PHILIPPE SOUPAULT
RÉDACTION ET ADMINISTRATION :
9, Place du Panthéon, 9
ABONNEMENTS
Pour la France Édition ordinaire.... 15 fr. par an
Édition de luxe.... 60 fr. par an
Prix du numéro : 1 fr. 50
Pour l'étranger Édition ordinaire.... 20 fr. par an
Édition de luxe.... 80 fr. par an
Prix du numéro : 2 fr.
Pour la vente, s'adresser à la "Maison des Amis des Livres" 7, rue de l'Odéon, Paris
SOMMAIRE :
ANDRÉ BRETON.... Note.
ISIDORE DUCASSE.... Poésies (I).
GUILLAUME APOLLINAIRE.... Le Mendiant.
JULES ROMAINS.... Poème.
TRISTAN TZARA.... Maison Flake.
PHILIPPE SOUPAULT.... L'Heure du Thé.
LOUIS ARAGON.... Livres choisis.
BERNARD FAY....
DARIUS MILHAUD .... Musique.
GEORGES AURIC....
Il a été tiré de ce numéro 15 exemplaires sur papier de Hollande de Van Gelder Zonen numérotés de 1 à 15.
EXEMPLAIRE N°
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NOTE
Les années 1870 et 1871, semblables à celles que nous venons de vivre, ont vu instruire les deux grands procès intentés par l'homme jeune au vieil art. On trouve les éléments de l'un d'eux dans une lettre de Rimbaud datée du 15 mai 1871 et publiée dans la Nouvelle Revue Française le 1er juin 1912. Restent les introuvables “ Poésies ” d'Isidore Ducasse, ouvrage dont ne semble exister que l'exemplaire de la Bibliothèque Nationale sur lequel, Léon-Paul Fargue et Valery Larbaud se sont documentés. Littérature, dans ses numéros 2 et 3, les reproduit, aussi pour couper court aux insinuations de ceux qui, ne redoutant pas une solution trop simple, classent le comte de Lautréamont parmi les fous. Si, comme le demande Ducasse, la critique attaquait la forme avant le fond des idées, nous saurions que dans les “ Poésies ”, bien autre chose que le romantisme est en jeu. A mon sens, il y va de toute la question du langage, Ducasse se montrant d'autant plus apte à relever le tort que lui font les mots (“ Je vous demande un peu, beaucoup ! ”) et les figures (faire le vide sans machine pneumatique) qu'il possède à fond la science des effets (“ Allez, la musique. ”). En conscience, le besoin de prouver constamment par l'absurde ne peut être pris pour un signe de déraison. Voilà assez longtemps que Baudelaire a revendiqué le droit de se contredire : j'admets que les Poésies d'Isidore Ducasse suivent et réfutent les Chants de Maldoror. J'ajoute qu'elles ne leur sont en rien comparables, donc point inférieures, puisque les deux fascicules imprimés n'en constituent que la préface, ne peuvent passer que pour un Art Poétique et que le recueil demeure jusqu'à ce jour inconnu.
ANDRÉ BRETON.
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ISIDORE DUCASSE
POÉSIES *
* Paris, Journaux politiques et littéraires. Librairie Gabrie, passage Verdeau, 25. 1870.
- I -
Je remplace la mélancolie par le courage, le doute par la certitude, le désespoir par l'espoir, la méchanceté par le bien, les plaintes par le devoir, le scepticisme par la foi, les sophismes par la froideur du calme et l'orgueil par la modestie.
A Georges DAZET, Henri MUE, Pedro ZURMARAN, Louis DURCOUR, Joseph BLEUMSTEIN, Joseph DURAND ;
A mes condisciples LESPES, Georges MINVIELLE, Auguste DELMAS ;
Aux Directeurs de Revues, Alfred SIRCOS, Frédéric DAMÉ ;
Aux AMIS passés, présents et futurs ;
A M. HINSTIN, mon ancien professeur de rhétorique ; sont dédiés, une fois pour toutes les autres, les prosaïques morceaux que j'écrirai dans la suite des âges, et dont le premier commence à voir le jour d'hui, typographiquement parlant.
Les gémissements poétiques de ce siècle ne sont que des sophismes.
Les premiers principes doivent être hors de discussion.
J'accepte Euripide et Sophocle ; mais je n'accepte pas Eschyle.
Ne faites pas preuve de manque des convenances les plus élémentaires et de mauvais goût envers le créateur.
Repoussez l'incrédulité : vous me ferez plaisir.
Il n'existe pas deux genres de poésies ; il n'en est qu'une.
Il existe une convention peu tacite entre l'auteur et le lecteur, par laquelle le premier s'intitule malade et accepte le second comme garde-malade. C'est le poète qui console l'humanité ! Les rôles sont intervertis arbitrairement.
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Je ne veux pas être flétri de la qualification de poseur.
Je ne laisserai pas des Mémoires.
La poésie n'est pas la tempête, pas plus que le cyclone. C'est un fleuve majestueux et fertile.
Ce n'est qu'en admettant la nuit physiquement, qu'on est parvenu à la faire passer moralement. O Nuits d'Young ! vous m'avez causé beaucoup de migraines !
On ne rêve que lorsque l'on dort. Ce sont des mots comme celui de rêve, néant de la vie, passage terrestre, la préposition peut-être, le trépied désordonné, qui ont infiltré dans vos âmes cette poésie moite des langueurs, pareille à de la pourriture. Passer des mots aux idées, il n'y a qu'un pas.
Les perturbations, les anxiétés, les dépravations, la mort, les exceptions dans l'ordre physique ou moral, l'esprit de nég tion, les abrutissements, les hallucinations servies par la volonté, les tourments, la destruction, les renversements, les larmes, les insatiabilités, les asservissements, les imaginations creusantes, les romans, ce qui est inattendu, ce qu'il ne faut pas faire, les singularités chimiques du vautour mystérieux qui guette la charogne de quelque illusion morte, les expériences précoces et avortées, les obscurités à carapace de punaise, la monomanie terrible de l'orgueil, l'inoculation des stupeurs profondes, les oraisons funèbres, les envies, les trahisons, les tyrannies, les impiétés, les irritations, les acrimonies, les incartades agressives, la démence, le spleen, les épouvantements raisonnés, les inquiétudes étranges, que le lecteur préférerait ne pas éprouver, les grimaces, les névroses, les filières sanglantes par lesquelles on fait passer la logique aux abois, les exagérations, l'absence de sincérité, les scies, les platitudes, le sombre, le lugubre, les enfantements pires que les meurtres, les passions, le clan des romanciers de cours d'assises, les tragédies, les odes, les mélodrames, les extrêmes présentés à perpétuité, la raison impunément sifflée, les odeurs de poule mouillée, les affadissements, les grenouilles, les poulpes, les requins, le simoun des déserts, ce qui est somnambule, louche, nocturne, somnifère, noctambule, visqueux, phoque parlant, équivoque, poitrinaire, spasmodique, aphrodisiaque, anémique, borgne, hermaphrodite, bâtard, albinos, pédéraste, phénomène d'aquarium et femme à barbe, les heures soûles du découragement taciturne, les fantaisies, les âcretés, les monstres, les syllogismes démoralisateurs,
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les ordures, ce qui ne réfléchit pas comme l'enfant, la désolation, ce mancenillier intellectuel, les chancres parfumés, les cuisses aux camélias, la culpabilité d'un écrivain qui roule sur la pente du néant et se méprise lui-même avec des cris joyeux, les remords, les hypocrisies, les perspectives vagues qui vous broient dans leurs engrenages imperceptibles, les crachats sérieux sur les axiomes sacrés, la vermine et ses chatouillements insinuants, les préfaces insensées comme celles de Cromwell, de Mlle de Maupin et de Dumas fils, les caducités, les impuissances, les blasphèmes, les asphyxies, les étouffements, les rages, - devant ces charniers immondes, que je rougis de nommer, il est temps de réagir enfin contre ce qui nous choque et nous courbe souverainement.
Votre esprit est entraîné perpétuellement hors de ses gonds, et surpris dans le piège de ténèbres construit avec un art grossier par l'égoïsme et l'amour-propre.
Le goût est la qualité fondamentale qui résume toutes les autres qualités. C'est le nec plus ultrà de l'intelligence. Ce n'est que par lui seul que le génie est la santé suprême et l'équilibre de toutes les facultés. Villemain est trente-quatre fois plus intelligent qu'Eugène Sue et Frédéric Soulié. Sa préface du Dictionnaire de l'Académie verra la mort des romans de Walter Scott, de Fenimore Cooper, de tous les romans possibles et imaginables. Le roman est un genre faux, parce qu'il décrit les passions pour elles-mêmes : la conclusion morale est absente. Décrire les passions n'est rien ; il suffit de naître un peu chacal, un peu vautour, un peu panthère. Nous n'y tenons pas. Les décrire, pour les soumettre à une haute moralité, comme Corneille, est autre chose. Celui qui s'abstiendra de faire la première chose, tout en restant capable d'admirer et de comprendre ceux à qui il est donné de faire la deuxième, surpasse, de toute la supériorité des vertus sur les vices, celui qui fait la première.
Par cela seul qu'un professeur de seconde se dit : “ Quand on me donnerait tous les trésors de l'univers, je ne voudrais pas avoir fait des romans pareils à ceux de Balzac et d'Alexandre Dumas, ” par cela seul, il est plus intelligent qu'Alexandre Dumas et Balzac. Par cela seul qu'un élève de troisième s'est pénétré qu'il ne faut pas chanter les difformités physiques et intellectuelles, par cela seul, il est plus fort, plus capable, plus intelligent
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que Victor Hugo, s'il n'avait fait que des romans, des drames et des lettres.
Alexandre Dumas fils ne fera jamais, au grand jamais, un discours de distribution des prix pour un lycée. Il ne connaît pas ce que c'est que la morale. Elle ne transige pas. S'il le faisait, il devrait auparavant biffer d'un trait de plume tout ce qu'il a écrit jusqu'ici, en commençant par ses Préfaces absurdes. Réunissez un jury d'hommes compétents : je soutiens qu'un bon élève de seconde est plus fort que lui dans n'importe quoi, même dans la sale question des courtisanes.
Les chefs-d'oeuvre de la langue française sont les discours de distribution pour les lycées, et les discours académiques. En effet, l'instruction de la jeunesse est peut-être la plus belle expression pratique du devoir, et une bonne appréciation des ouvrages de Voltaire (creusez le mot appréciation) est préférable à ces ouvrages eux-mêmes. - Naturellement !
Les meilleurs auteurs de romans et de drames dénatureraient à la longue la fameuse idée du bien, si les corps enseignants, conservatoires du juste, ne retenaient les générations jeunes et vieilles dans la voie de l'honnêteté et du travail.
En son nom personnel, malgré elle, il le faut, je viens renier, avec une volonté indomptable, et une ténacité de fer, le passé hideux de l'humanité pleurarde. Oui : je veux proclamer le beau sur une lyre d'or, défalcation faite des tristesses goîtreuses et des fiertés stupides qui décomposent, à sa source, la poésie marécageuse de ce siècle. C'est avec les pieds que je foulerai les stances aigres du scepticisme, qui n'ont pas leur motif d'être. Le jugement, une fois entré dans l'efflorescence de son énergie, impérieux et résolu, sans balancer une seconde dans les incertitudes dérisoires d'une pitié mal placée, comme un procureur général, fatidiquement, les condamne. Il faut veiller sans relâche sur les insomnies purulentes et les cauchemars atrabilaires. Je méprise et j'exècre l'orgueil, et les voluptés infâmes d'une ironie, faite éteignoir, qui déplace la justesse de la pensée.
Quelques caractères, excessivement intelligents, il n'y a pas lieu que vous l'infirmiez par des palinodies d'un goût douteux, se sont jetés, à tête perdue, dans les bras du mal. C'est l'absinthe, savoureuse, je ne le crois pas, mais, nuisible, qui tua moralement l'auteur de Rolla. Malheur à ceux qui sont gourmands ! A peine est-il entré dans l'âge mûr, l'aristocrate anglais, que
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sa harpe se brise sous les murs de Missolonghi, après n'avoir cueilli sur son passage que les fleurs qui couvent l'opium des mornes anéantissements.
Quoique plus grand que les génies ordinaires, s'il s'était trouvé de son temps un autre poète, doué, comme lui, à doses semblables, d'une intelligence exceptionnelle, et capable de se présenter comme son rival, il aurait avoué, le premier, l'inutilité de ses efforts pour produire des malédictions disparates ; et que, le bien exclusif est, seul, déclaré digne, de par la voix de tous les mondes, de s'approprier notre estime. Le fait fut qu'il n'y eut personne pour le combattre avec avantage. Voilà ce qu'aucun n'a dit. Chose étrange ! même en feuilletant les recueils et les livres de son époque, aucun critique n'a songé à mettre en relief le rigoureux syllogisme qui précède. Et ce n'est pas celui qui le surpassera qui peut l'avoir inventé. Tant on était rempli de stupeur et d'inquiétude, plutôt que d'admiration réfléchie, devant des ouvrages écrits d'une main perfide, mais qui révélaient, cependant, les manifestations imposantes d'une âme qui n'appartient pas au vulgaire des hommes, et qui se trouvait à son aise dans les conséquences dernières d'un des deux moins obscurs problèmes qui intéressent les coeurs non-solitaires : le bien, le mal. Il n'est pas donné à quiconque d'aborder les extrêmes, soit dans un sens, soit dans un autre. C'est ce qui explique pourquoi, tout en louant, sans arrière-pensée, l'intelligence merveilleuse dont il dénote à chaque instant la preuve, lui, un des quatre ou cinq phares de l'humanité, l'on fait, en silence, ses nombreuses réserves sur les applications et l'emploi injustifiables qu'il en a faits sciemment. Il n'aurait pas dû parcourir les domaines sataniques.
La révolte féroce des Troppmann, des Napoléon 1er, des Papavoine, des Byron, des Victor Noir et des Charlotte Corday sera contenue à distance de mon regard sévère. Ces grands criminels, à des titres si divers, je les écarte d'un geste. Qui croit-on tromper ici, je le demande avec une lenteur qui s'interpose ? O dadas de bagne ! Bulles de savon ! Pantins en baudruche ! Ficelles usées ! Qu'ils s'approchent les Konrad, les Manfred, les Lara, les marins qui ressemblent au Corsaire, les Méphistophélès, les Werther, les Don Juan, les Faust, les Iago, les Rodin, les Caligula, les Caïn, les Iridion, les mégères à l'instar de Colomba, les Ahrimane, les manitous manichéens, barbouillés
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de cervelle, qui cuvent le sang de leurs victimes dans les pagodes sacrées de l'Hindoustan, le serpent, le crapaud et le crocodile, divinités, considérées comme anormales, de l'ancienne Egypte, les sorciers et les puissances démoniaques du moyen âge, les Prométhée, les Titans de la mythologie foudroyés par Jupiter, les Dieux Méchants vomis par l'imagination primitive des peuples barbares, - toute la série bruyante des diables en carton. Avec la certitude de les vaincre, je saisis la cravache de l'indignation et de la concentration qui soupèse, et j'attends ces monstres de pied ferme, comme leur dompteur prévu.
Il y a des écrivains ravalés, dangereux loustics, farceurs au quarteron, sombres mystificateurs, véritables aliénés, qui mériteraient de peupler Bicêtre. Leurs têtes crétinisantes, d'où une tuile a été enlevée, créent des fantômes gigantesques qui descendent au lieu de monter. Exercice scabreux ; gymnastique spécieuse. Passez donc, grotesque muscade. S'il vous plaît, retirez-vous de ma présence, fabricateurs, à la douzaine, de rébus défendus, dans lesquels je n'apercevais pas auparavant, du premier coup, comme aujourd'hui, le joint de la solution frivole. Cas pathologique d'un égoïsme formidable. Automates fantastiques : indiquez-vous du doigt, l'un à l'autre, mes enfants, l'épithète qui les remet à leur place.
S'ils existaient, sous la réalité plastique, quelque part, ils seraient, malgré leur intelligence avérée, mais fourbe, l'opprobre, le fiel, des planètes qu'ils habiteraient la honte. Figurez-vous-les un instant, réunis en société avec des substances qui seraient leurs semblables. C'est une succession non interrompue de combats, dont ne rêveront pas les boule-dogues, interdits en France, les requins et les macrocéphales-cachalots. Ce sont des torrents de sang, dans ces régions chaotiques pleines d'hydres et de minotaures, et d'où la colombe, effarée sans retour, s'enfuit à tire-d'aile. C'est un entassement de bêtes apocalyptiques, qui n'ignorent pas ce qu'elles font. Ce sont des choes de passions, d'irréconciliabilités et d'ambitions, à travers les hurlements d'un orgueil qui ne se laisse pas lire, se contient, et dont personne ne peut, même approximativement, sonder les écueils et les bas-fonds.
Mais, ils ne m'en imposeront plus. Souffrir est une faiblesse, lorsqu'on peut s'en empêcher et faire quelque chose de mieux. Exhaler les souffrances d'une splendeur non équilibrée, c'est
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prouver, ô moribonds des maremmes perverses ! moins de résistance et de courage, encore. Avec ma voix et ma solennité des grands jours, je te rappelle dans mes foyers déserts, glorieux espoir. Viens l'asseoir à mes côtés, enveloppé du manteau des illusions, sur le trépied raisonnable des apaisements. Comme un meuble de rebut, je l'ai chassé de ma demeure, avec un fouet aux cordes de scorpions. Si tu souhaites que je sois persuadé que tu as oublié, en revenant chez moi, les chagrins que, sous l'indice des repentirs, je l'ai causés autrefois, crebleu, ramène alors avec toi, cortège sublime - soutenez-moi, je m'évanouis ! - les vertus offensées et leurs impérissables redressements.
Je constate, avec amertume, qu'il ne reste plus que quelques gouttes de sang dans les artères de nos époques phtisiques. Depuis les pleurnicheries odieuses et spéciales, brevetées sous garantie d'un point de repère, des Jean-Jacques Rousseau, des Chateaubriand et des nourrices en pantalon aux poupons Obermann, à travers les autres poètes qui se sont vautrés dans le limon impur, jusqu'au songe de Jean-Paul, le suicide de Dolorès de Veintemilla, le corbeau d'Allan, la Comédie Infernale du Polonais, les yeux sanguinaires de Zorilla, et l'immortel cancer, Une Charogne, que peignit autrefois, avec amour, l'amant morbide de la Vénus hottentote, les douleurs invraisemblables que ce siècle s'est créées à lui-même, dans leur voulu monotone et dégoûtant, l'ont rendu poitrinaire. Larves absorbantes dans leurs engourdissements insupportables !
Allez, la musique.
Oui, bonnes gens, c'est moi qui vous ordonne de brûler, sur une pelle, rougie au feu, avec un peu de sucre jaune, le canard du doute, aux lèvres de vermouth, qui, répandant, dans une lutte mélancolique entre le bien et le mal, des larmes qui ne viennent pas du coeur, sans machine pneumatique, fait, partout, le vide universel. C'est ce que vous avez de mieux à faire.
Le désespoir, se nourrissant avec un parti pris, de ses fantasmagories, conduit imperturbablement le littérateur à l'abrogation en masse des lois divines et sociales, et à la méchanceté théorique et pratique. En un mot, fait prédominer le derrière humain dans les raisonnements. Allez, et passez-moi le mot ! L'on devient méchant, je le répète, et les yeux prennent la teinte des condamnés à mort. Je ne retirerai pas ce que j'avance. Je
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veux que ma poésie puisse être lue par une jeune fille de quatorze ans.
La vraie douleur est incompatible avec l'espoir. Pour si grande que soit cette douleur, l'espoir, de cent coudées, s'élève plus haut encore. Donc, laissez-moi tranquille avec les chercheurs. A bas les pattes, à bas, chiennes cocasses, faiseurs d'embarras, poseurs. Ce qui souffre, ce qui dissèque les mystères qui nous entourent, n'espère pas. La poésie qui discute les vérités nécessaires est moins belle que celle qui ne les discute pas. Indécisions à outrance, talent mal employé, perte de temps : rien ne sera plus facile à vérifier.
Chanter Adamastor, Jocelyn, Rocambole, c'est puéril. Ce n'est même que parce que l'auteur espère que le lecteur sous-entend qu'il pardonnera à ses héros fripons, qu'il se trahit lui-même et s'appuie sur le bien pour faire passer la description du mal. C'est au nom de ces mêmes vertus que Frank a méconnues, que nous voulons bien le supporter, ô saltimbanques des malaises incurables.
Ne faites pas comme ces explorateurs sans pudeur, magnifiques, à leurs yeux, de mélancolie, qui trouvent des choses inconnues dans leur esprit et dans leur corps !
La mélancolie et la tristesse sont déjà le commencement du doute ; le doute est le commencement du désespoir ; le désespoir est le commencement cruel des différents degrés de la méchanceté. Pour vous en convaincre, lisez la Confession d'un enfant du siècle. La pente est fatale, une fois qu'on s'y engage. Il est certain qu'on arrive à la méchanceté. Méfiez-vous de la pente. Extirpez le mal par la racine. Ne flattez pas le culte d'adjectifs tels que indescriptible, inénarrable, rutilant, incomparable, colossal, qui mentent sans vergogne aux substantifs qu'ils défigurent : ils sont pourruivis par la lubricité.
Les intelligences de deuxième ordre, comme Alfred de Musset, peuvent pousser rétivement une ou deux de leurs facultés beaucoup plus loin que les facultés correspondantes des intelligences de premier ordre, Lamartine, Hugo. Nous sommes en présence du déraillement d'une locomotive surmenée. C'est un cauchemar qui tient la plume. Apprenez que l'âme se compose d'une vingtaine de facultés. Parlez-moi de ces mendiants qui ont un chapeau grandiose, avec des haillons sordides !
Voici un moyen de constater l'infériorité de Musset sous les p.10
deux poètes. Lisez, devant une jeune fille, Rolla ou les Nuits, les Fous de Cobb, sinon les portraits de Cwynplaine et de Dea, ou le récit de Théramène d'Euripide, traduil en vers français par Racine le père. Elle tressaille, fronce les sourcils, lève et a baisse les mains, sans but déterminé, comme un homme qui se noie ; les yeux jetteront des lueurs verdâtres. Lisez-lui la Prière pour tous, de Victor Hugo. Les effets sont diamétralement opposés. Le genre d'électricité n'est plus le même. Elle rit aux éclats, elle en demande davantage.
De Hugo, il ne restera que les poésies sur les enfants, où se trouve beaucoup de mauvais.
Paul et Virginie choque nos aspirations les plus profondes au bonheur. Autrefois, cet épisode qui broie du noir de la première à la dernière page, surtout le naufrage final, me faisait grincer des dents. Je me roulais sur le tapis et donnais des coups de pied à mon cheval en bois. La description de la douleur est un contre-sens. Il faut faire voir tout en beau. Si cette histoire était racontée dans une simple biographie, je ne l'attaquerais point. Elle change tout de suite de caractère. Le malheur devient auguste par la volonté impénétrable de Dieu qui la créa. Mais l'homme ne doit pas créer le malheur dans ses livres. C'est ne vouloir, à toutes forces, considérer qu'un seul côté des choses. O hurleurs maniaques que vous êtes !
Ne reniez pas l'immortalité de l'âme, la sagesse de Dieu, la grandeur de la vie, l'ordre qui se manifeste dans l'univers, la beauté corporelle, l'amour de la famille, le mariage, les institutions sociales. Laissez de côté les écrivassiers funestes : Sand, Balzac, Alexandre Dumas, Musset, Du Terrail, Féval, Flaubert, Baudelaire, Leconte et la Grève des Forgerons !
Ne transmettez à ceux qui vous lisent que l'expérience qui se dégage de la douleur, et qui n'est plus la douleur elle-même. Ne pleurez pas en public.
Il faut savoir arracher des beautés littéraires jusque dans le sein de la mort ; mais ces beautés n'appartiendront pas à la mort. La mort n'est ici que la cause occasionnelle. Ce n'est pas le moyen, c'est le but, qui n'est pas elle.
Les vérités immuables et nécessaires, qui font la gloire des nations, et que le doute s'efforce en vain d'ébranter, ont commencé depuis les âges. Ce sont des choses auxquelles on ne devrait pas toucher. Ceux qui veulent faire de l'anarchie en
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littérature, sous prétexte de nouveau, tombent dans le contre-sens.
On n'ose pas attaquer Dieu ; on attaque l'immortalité de l'âme. Mais, l'immortalité de l'âme, elle aussi, est vieille comme les assises du monde. Quelle autre croyance la remplacera, si elle doit être remplacée ? Ce ne sera toujours pas une négation.
Si l'on se rappelle la vérité d'où découlent toutes les autres, la bonté absolue de Dieu et son ignorance absolue du mal, les sophismes s'effondreront d'eux-mêmes. S'effondrera, dans un temps pareil, la littérature peu poétique qui s'est appuyée sur eux. Toute littérature qui discute les axiomes éternels est condamnée à ne vivre que d'elle-même. Elle est injuste. Elle se dévore le foie. Les novissima Verba font sourire superbement les gosses sans mouchoir de la quatrième. Nous n'avons pas le droit d'interroger le Créateur sur quoi que ce soit.
Si vous êtes malheureux, il ne faut pas le dire au lecteur. Gardez cela pour vous.
Si on corrigeait les sophismes dans le sens des vérités correspondantes à ces sophismes, ce n'est que la correction qui serait vraie ; tandis que la pièce ainsi remaniée, aurait le droit de ne plus s'intituler fausse. Le reste serait hors du vrai, avec trace de faux, par conséquent nul, et considéré, forcément, comme non avenu.
La poésie personnelle a fait son temps de jongleries relatives et de contorsions contingentes. Reprenons le fil indestructible de la poésie impersonnelle, brusquement interrompu depuis la naissance du philosophe manqué de Ferney, depuis l'avortement du grand Voltaire.
Il paraît beau, sublime, sous prétexte d'humilité ou d'orgueil, de discuter les causes finales, d'en fausser les conséquences stables et connues. Détrompez-vous, parce qu'il n'y a rien de plus bête ! Renouons la chaîne régulière avec les temps passés ; la poésie est la géométrie par excellence. Depuis Racine, la poésie n'a pas progressé d'un millimètre. Elle a reculé. Grâce à qui ? aux Grandes Têtes Molles de notre époque. Grâce aux femmelettes, Chateaubriand, le Mohican-Mélancolique ; Sénancourt, l'Homme-en-Jupon ; Jean-Jacques Rousseau, le Socialiste Grincheur ; Anne Radcliffe, le Spectre-Toqué ; Edgar Poe, le Mameluck-des-Rêves-d'Alcool ; Mathurin, le Compère des Ténèbres ; George Sand, l'Hermaphrodite-Circoncis ; Théophile Gautier, l'Incomparable-Epicier ; Leconte, le Captif-du-Diable ;
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Goethe, le Suicidé-pour-Pleurer, Sainte-Beuve, le Suicidé-pour-Rire ; Lamartine, la Cigogne-Larmoyante ; Lermontoff, le Tigre-qui-Rugit ; Victor-Hugo, le Funèbre-Echalas-Vert ; Mickiewicz, l'Imitateur-de-Satan ; Musset, le Gandinsans-Chemise-Intellectuelle ; et Byron, l'Hippopotame-des-Jungles-Infernales.
Le doute a existé de tout temps en minorité. Dans ce siècle, il est en majorité. Nous respirons la violation du devoir par les pores. Cela ne s'est vu qu'une fois ; cela ne se reverra plus.
Les notions de la simple raison sont tellement obscurcies à l'heure qu'il est, que, la première chose que font les professeurs de quatrième, quand ils apprennent à faire des vers latins à leurs élèves, jeunes poètes dont la lèvre est humectée du lait maternel, c'est de leur dévoiler par la pratique le nom d'Alfred de Musset. Je vous demande un peu, beaucoup ! Les professeurs de troisième, donc, donnent, dans leurs classes, à traduire, en vers grecs, deux sanglants épisodes. Le premier, c'est la repoussante comparaison du pélican. Le deuxième, sera l'épouvantable catastrophe arrivée à un laboureur. A quoi bon regarder le mal ? N'est-il pas en minorité ? Pourquoi pencher la tête d'un lycéen sur des questions qui, faute de n'avoir pas été comprises, ont fait perdre la leur à des hommes tels que Pascal et Byron ?
Un élève m'a raconté que son professeur de seconde avait donné à sa classe, jour par jour, ces deux charognes à traduire en vers hébreux. Ces plaies de la nature animale et humaine le rendirent malade pendant un mois, qu'il passa à l'infirmerie. Comme nous nous connaissions, il me fit demander par sa mère. Il me raconta, quoique avec naïveté, que ses nuits étaient troublées par des rêves de persistance. Il croyait voir une armée de pélicans qui s'abattaient sur sa poitrine, et la lui déchiraient. Ils s'envolaient ensuite vers une chaumière en flammes. Ils mangeaient la femme du laboureur et ses enfants. Le corps noirci de brûlures, le laboureur sortait de la maison, engageait avec les pélicans un combat atroce. Le tout se précipitait dans la chaumière. qui retombait en éboulements. De la masse soulevée des décombres - cela ne ratait jamais - il voyait sortir son professeur de seconde, tenant d'une main son coeur, de l'autre une feuille de papier où l'on déchiffrait en traits de soufre, la comparaison du pélican et celle du laboureur, telles que Musset
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lui-même les a composées. Il ne fut pas facile, au premier abord, de pronostiquer son genre de maladie. Je lui recommandai de se taire soigneusement, et de n'en parler à personne, surtout à son professeur de seconde. Je conseillai à sa mère de le prendre quelques jours chez elle, en assurant que cela se passerait. En effet j'avais soin d'arriver chaque jour pendant quelques heures, et cela se passa.
Il faut que la critique attaque la forme, jamais le fond de vos idées, de vos phrases. Arrangez-vous.
Les sentiments sont la forme de raisonnement la plus incomplète qui se puisse imaginer :
Toute l'eau de la mer ne suffirait pas à laver une tache de sang intellectuelle.
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LE MENDIANT
Passant tu chercheras dans l'ombre cimmérienne
Mon fantôme pareil à la réalité
Mais le passeur aura voué mon corps aux chiennes
Mon spectre juste aux gueules du tricapité
Et me tenant au bord du fleuve sur qui volent
Les obscures migrations des oiseaux blancs
Je me lamenterai faute de ton obole
Au passage des riches comme moi tremblants
Sois-tu maudit rien n'est tombé dans ma sébile
Va-t'en vers le spectacle où des acteurs feront
Gémir les femmes grâce aux grimaces flébiles
Je n'ai que ma douleur pour émouvoir Charon
Et vivant je mendie de chaque aube à la brune
Et je cesse ma plainte quand le jour s'éteint <
Je reviendrai demain avec mon infortune
Voir flamber l'aurore l'Electre du matin
GUILLAUME APOLLINAIRE.
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POÈME
Amour couleur de Paris.
Une flamme à peine heureuse
Naît dans le haut de la rue ;
Une lumière publique
Offerte au profond azur ;
Un feu doré tout de même
Qu'assiège un fin brouillard gris ;
Une flamme assez heureuse.
Amour couleur de Paris.
JULES ROMAINS.
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MAISON FLAKE
déclanchez clairons l'annonce vaste et hyaline animaux du service maritime
forestier aérostatique tout ce qui existe chevauche en galop de clarté la vie
l'ange a des hanches blanches parapluie virilité
neige lèche le chemin et le lys vérifié vierge
3/25 d'altitude un méridien nouveau passe par ici
arc distendu de mon coeur machine à écrire pour les étoiles
qui t'a dit “ écume hachée de prodigieuses tristesses-horloge ”
t'offre un mot qu'on ne trouve pas dans le Larousse
et veut atteindre ta hauteur
quelle vapeur d'un tube de foudre pousse
la nôtre contre l'éternelle et multiforme voile
ici on n'assassine pas les hommes sur les terrasses
qui se colorent de la succession intime des lenteurs
nous tentons des choses inouïes
mirages in-quarto micrographies des âmes chromatiques et des images
nous portons tous des grelots-tumulte que nous agitons
pour les fêtes majeures sur les viaducs et pour les animaux <
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tournure d'une danse en octave sur météore et violon
le jeu des glaces année qui passe
buvons un coup j'suis l'frère fou
encre du ciel lac d'hydromel
du vin opaque flake en hamac
pratique l'offrande tranquille et féconde
il gratte le ciel avec ses ongles
et le gratte-ciel n'est que son ombre
en robe de chambre
l'année sera parmi les palmiers et bananiers jaillis du halo en cubes d'eau
simple productive vaste musique surgissant à bon port
et le pain cramoisi à la future et multiple saison
des vieilles gravures des rois à la chasse joliment coloriées
pipe et boxe dans le vase sous l'as de pique pipier avec
les oiseaux et les nues fraîches un bateau alerte dans le bec
du roc moteur aux étincelles des bonnes nouvelles la tour Eiffel joue au rebec
ici chaque chaise est molle et confortable comme un archevêque
entreprise d'ascétisme moines garantis à tous les prix - mesdames ici - maison flake
TRISTAN TZARA.
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L'HEURE DU THÉ
A Madame Marie Laurencin
La glace est le jardin
Tout le monde
Et d'ailleurs
L'oiseau s'allume
On a perdu son chemin
Romance
C'est tout
Sait-on
Le rideau
La nuit et l'été
L'éventail c'est l'adieu
PHILIPPE SOUPAULT.
p.19
LIVRES CHOISIS
Jean COCTEAU : Le Coq et l'Arlequin. Notes autour de la musique.
Je me laisse immanquablement prendre au piège, à la musique. Quand je tournais sur les chevaux de bois en mil neuf cent quatre, l'orgue me bouleversait au point que la baguette malhabile que je tenais laissait fuir les anneaux sans espoir de retour. Les noms des hommes aussi possèdent un charme pour mes sens, et vous n'avez qu'à répéter encore : Stravinsky, Picasso, Satie, pour me paralyser aisément. On ne sait pas tout l'infini qui tient dans un nom propre. C'est un portrait toujours ressemblant mais toujours à l'avantage du modèle. Le nom de l'homme revêt ce singulier caractère du visage humain d'émouvoir mieux et davantage que les traits d'aucun paysage. J'ai connu un enfant qui n'avait pas d'ami Pierre, mais que le seul mot : Pierre émouvait quand on le prononçait avec une majuscule et laissait froid quand on l'articulait : pierre. De même que l'enfant, lorsqu'un passant sur les Champs-Elysées s'apercevait de son trouble, devenait rouge et pour se donner une contenance chantait un air de café-concert, de même je me sens honteux de mon émoi à lire la Collaboration de Parade, et je prends une attitude frivole.
Guillaume APOLLINAIRE : Le Bestiaire ou Cortège d'Orphée.
Les fruits à la saveur de sable
Les oiseaux qui n'ont pas de nom
Les chevaux peints comme un pennon
Et l'Amour nu mais incassable
p.20
Soumis à l'unique canon
De cet esprit changeant qui sable
Aux quinquets d'un temps haïssable
Le champagne clair du canon
Chantent deux mots panégyrique
Du beau ravisseur de secrets
Que répète l'écho lyrique
Sur la tombe Mille regrets
Où dort dans un tuf mercenaire
Mon sade Orphée Apollinaire
LOUIS ARAGON.
LA PSYCHOLOGIE DE STENDHAL
par M. H. Delacroix (Alcan).
De lui-même Stendhal a tout dit : l'existence qu'il a vécue, celles qui lui ont échappé, celles qu'il a refusées, celles qui se sont approchées de lui et qu'il a réalisées par son esprit. Aussi depuis soixante-dix ans n'a-t-on fait que redire ses analyses et ses jugements de soi-même ; les livres publiés sur lui sont des transcriptions où la nouveauté consiste en quelques contes de bonne femme, des comptes de cuisinière, et bien de la niaiserie. Feu M. Paupe disait : “ Il faut bien le faire connaître au public. ” Il appelait cette tâche de la “ vulgarisation ”. Il avait raison. Lui, MM. Chuquet, Cordier, de Mitty et Striyensky y ont particulièrement réussi (1).
(1) Que d'autres ne soient pas offensés si je ne les nomme pas, j'ai pensé à eux.
Point M. Delacroix : son livre est clair, intelligent et ardu. Bien qu'il ne contienne aucun fait nouveau, et que sur certains faits anciennement connus il me semble mal informé (2), il ne paraît ni oiseux, ni inutile. Stendhal, par un double mouvement de son esprit, n'a cessé d'analyser son caractère selon la méthode des idéologues et de le reconstruire dans
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ses romans ou ses mémoires, par l'imagination, en artiste. Il n'avait ni le désir, ni le moyen de recomposer dans l'abstrait les éléments principaux de son caractère ; M. Delacroix l'a tenté, et l'a réussi autant que cela se peut.
(2) Par exemple sur le rôle de la “ Comtesse Palfy ” dans la vie de Stendhal, qui fut considérable.
Montrer comment chez Stendhal les doctrines et les méthodes des idéologues s'unissaient à la sensation violente et à l'amour de cette sensation qu'elles servent à renforcer ; montrer comment Stendhal admirait surtout dans l'Amour cette force de fécondation sentimentale et intellectuelle qui décuple l'activité de l'être intérieur ; montrer comment Stendhal, loin d'être un pur amateur de la musique, recherchait dans cet art l'excitation de l'être intérieur, et appréciait d'autant plus la musique qu'elle savait n'être qu'un point de départ ; indiquer par là que chez Stendhal amour et musique se mêlent jusqu'à se confondre au bénéfice de la volupté des sentiments intelligibles ; faire percevoir ainsi ce qui parut être le “ désir dominant ” de Stendhal : voici l'oeuvre de M. Delacroix. Elle m'a intéressé.
Si je suis d'un autre âge, Stendhal l'était aussi.
BERNARD FAY.
LE BOEUF SUR LE TOIT
(Samba carnavalesque)
C'est au moment du Carnaval, dans le ruissellement de l'été tropical, que, chaque année, les nouvelles danses (tangos, maxixes, sambas, catérétés, etc.) surgissent, remplacent celles de l'année qui finit et s'installent partout : on les entend jouer par les musiques militaires, les orchestres des cinémas, les pianos des palais qu'habitent les Cariocas, les pianos mécaniques et les
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phonographes des maisons de Paysandù, le quatuor des mendiants aveugles, les guitares nocturnes des rues de nègres et la voix solitaire de ce noir qui a peinturluré sa figure de rouge et qui, ivre d'eau-de-vie-de-canne-à-sucre, danse avec un sorbet au coco à la main.
Dans l'intérieur, des Caïpires, cochers lyriques, debout sur un char de feuillage, parcourent les routes en chantant indéfiniment le même air, changeant à chaque fois les paroles, ne gardant pour les composer que le temps du refrain que crient ses camarades en s'accompagnant d'instruments à percussion.
Tous les soirs il y a une fête dans une rue ; les journaux l'indiquent : Lundi, rue Ypiranga ; mardi, rue Itapura ; mercredi, à l'Ile de Paqueta... Les “ Serviteurs de la Folie ” sont organisés par petits groupes avec une administration (un président, un trésorier, un secrétaire, plusieurs membres, tous Lords et Ladies) ; ils se retrouvent chaque nuit dans la rue désignée ; la fanfare d'une société de tir joue une danse (toujours la même) pendant que, de son côté, chaque groupe chante un air différent, danse en battant des mains, soutenu par une guitare et de la batterie, avec un grand sérieux, une grande tristesse, comme s'il s'agissait de l'accomplissement d'une obligation inévitable.
Dans les clubs nègres les bals sont plus solennels encore. Les négresses doivent être habillées d'une seule couleur (lundi, robe bleue ; mardi, robe rose ; mercredi, robe verte). Il faut être nègre ou appartenir à la presse pour y être admis. Les nègres, pour la plupart des domestiques, se font annoncer en entrant dans le bal par le nom de leurs maîtres : on entend ainsi défiler les noms des grandes familles de l'aristocratie brésilienne et des membres du corps diplomatique !
p.23
J'ai rencontré un soir Darius Milhaud dans une rue où il y avait un bal. Nous sommes partis ensemble et quand je l'ai quitté sous les palmes de son jardin ruisselantes de lune, il m'a dit : “ J'adore le Brésil. Et que cette musique est pleine de vie et de fantaisie. Il y a beaucoup à apprendre de ces rythmes mouvementés de ces mélodies que l'on recommence toute la nuit et dont la grandeur vient de la monotonie. J'écrirai peut-être un ballet sur le carnaval à Rio qui s'appellera “ Le boeuf sur le toit ”, du nom de cette samba que la musique jouait ce soir pendant que dansaient les négresses vêtues de bleu. ”
JACAREMIRIM.
UNE OEUVRE NOUVELLE E
Chinois, petite fille américaine, jongleurs, présentés, devant la baraque, par de grands managers féroces, font la parade du spectacle. Un orgue de Barbarie accompagne - que Satie transforme en machine à rêves. La riche kermesse slave tire ailleurs son feu d'artifice fleuri de plumes de perroquets Ici, seulement, trois “ numéros ” comme les aime la foule, le dimanche, à Paris. L'avenue du Maine est proche qui a le sourire du douanier Rousseau.
Après tant de surcharges et de beautés millionnaires, la simplicité d'une musique où la tristesse même de la foire s'exprimait sans fausses notes, déplut aux habiles. Leurs rolls-royces clignaient de l'oeil devant la voiture de M. Junet. “ Le scandale de Parade... ”
- Paisiblement, s'arrêtant parfois des semaines pour reprendre un beau jour son travail, Satie entreprit une oeuvre dont je veux dire, le premier, qu'elle égale en pure émotion les plus nobles pages de Boris.
Trois fragments des “ Dialogues ” de Platon, choisis dans la traduction scolaire de Cousin, composent les trois récits de p.24
Socrate (Eloge de Socrate - promenade au bord de l'Ilissus - mort de Socrate). Un petit orchestre sobre et net soutient les voix.
La tendresse, le pathétique d'une déclamation qui n'est que rythme et harmonie en dégagent vraiment cette musique qui coule d'un esprit dans l'autre. Elle nous situe sur un plan inconnu, sans bariolage, sans brouillard. Un rouage nouveau déclanche chaque partie, un mouvement spécial qui l'anime d'une vie particulière et la conduit dans un balancement sûr et continu. Socrate va mourir : alors seulement l'accent insiste, pèse, devient plus humain.
Satie, à Arcueil, assiste, avec le choeur bouleversé des disciples, à une agonie sublime. Par-dessus le pittoresque et l'habileté, usant de moyens ingénus et certains, il rejoint un texte immortel.
- Ce monsieur dit :
“ Une oeuvre de Satie ! Je ne veux même pas la connaître. Vague amateur, ses farces pouvaient nous amuser, jadis, une minute. Mais je m'indigne de ce qu'aujourd'hui quelqu'un puisse prendre au sérieux un tel musicien. ”
Hélas, Monsieur, nous ne nous comprenons pas. Les calembours ne nous font plus sourire et notre jeunesse méprise les farces. Mais nous ne pouvons qu'aimer Monsieur Satie déroulant lentement, comme un émouvant exercice de piano, la chaîne toute frémissante d'une fraîche clarté dont il accompagna l'évangile de Platon.
GEORGES AURIC.
Le Gérant : PHILIPPE SOUPAULT.
PARIS. - IMPRIMERIE LEVÉ, RUE DE RENNES, 71.
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POEMES, ROMANS, ETC.
à grand tirage et à tirage limité.
Sommaire du 1er Numéro
André GIDE.... Les Nouvelles Nourritures (fragments du 1er et du Ve livres).
Paul VALÉRY.... Cantique des Colonnes.
Léon-Paul FARGUE. Écrit dans une cuisine.
André SALMON.... L'Age de l'Humanité (ouverture).
Max JACOB.... La rue Ravignan.
Pierre REVERDY... Carte-Blanche.
Blaise CENDRARS... Sur la robe elle a un corps.
Jean PAULHAN .... La Guérison sévère.
Louis ARAGON.... Pierre fendre.
André BRETON.... Clé de sol.
CHRONIQUES.
Livres choisis.
Les revues.
Note.
PARIS. - IMPRIMERIE LEVÉ, 71, RUE DE RENNES.


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