LA BRÈCHE N°7, DÉCEMBRE 1964
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Issue d'un des plus grands mirages qui auront marqué notre vie, se soldât-il par un désastre - la guerre d'Espagne - je suis placé pour revoir auprès de Benjamin Péret retour de Barcelone, Remedios qu'il en ramène. La féminité même, ici en hiéroglyphe le jeu et le feu dans l'oeil de l'oiseau, celle que je tiens (il faut voir contre quels vents et marées) pour la femme de sa vie. L'oeuvre de Remedios s'est accomplie au Mexique, en grande partie après leur séparation, mais le surréalisme la revendique tout entière. De son dernier tableau, peint en 1963 peu avant sa mort et reproduit ci-après, son très digne et dernier compagnon Walter Gruen a recueilli de sa bouche le commentaire : « Le mouvement part d'en bas, de la nappe, pour se communiquer au reste. Quelques fruits, sortis de leurs orbites, se heurtent entre eux mais déjà de leurs semences naissent de nouvelles pousses ». La toile s'intitule « Nature morte ressuscitante », ce qui se passe de commentaire et pour nous, quant à elle aussi, veut tout dire.
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A.B.
LA BRÉCHE ACTION SURRÉALISTE 7 décembre 64
XXX 1 Le Rappel de Stockholm Paul Nougé 3 Carnet Secret de Feldheim Philippe Audoin 8 Incessu Patuit Nicole Espagnol 11 Prise femelle Paule Thevenin 14 Raimondo de Sangro, Prince de San Severo, savant impénitent Gérard Legrand 17 Analogie et Dialectique Pierre Alechinsky 31 Pains perdus Guy Cabanel 35 L'odeur d'une langue de fer Jean-Claude Silbermann 38 Silbermann et Cie Relations publiques Hervé Delabarre 43 Le lynx aux lèvres bleues Robert Benayoun 47 Trop c'est trop Gherasim Luca 49 Je t'aime Pascal Colard 51 Totems Pierre Louys 52 La Femme qui danse José Pierre 54 L'ancienne ligne bleue des Vosges Jean-Pierre Guillon 55 3e rêve et naufrage du multiple blanc Annie Lebrun 58 Le carreau sans coeur Philippe Audoin 60 Quand sel y est Max Walter Svanberg 64 Les couronnées d'oiseaux Jonathan Beecher 66 L'Archibras de Fourier Charles Fourier 69 L'Archibras Jean Malrieu 72 Voyage à travers l'alphabet Joyce Mansour 78 Funéraire comme une attente à vie Alain Joubert 81 Ma femme m'affame 83 Premières réponses à l'enquête sur les représentations érotiques : Jacques Abeille, Jacques Brunius, Roger Cardinal, Gérard Jarlot, Konrad Klapheck, Jean Malrieu, André Pieyre de Mandiargues, Pierre Molinier, Thérèse Plantier, Philippe Sollers, M.W. Svanberg, Jean Zurfluh. XXX 103 Notes
Illustrations de Robert Lagarde, Jorge Camacho, Heerup Asger Jorn, René Magritte, Toyen, Jean-Claude Silbermann, Remedios Varo, Serge Coujati, Max Walter Svanberg, Mimi Parent, Gabriel Der Kervorkian, Isabel Castellanos.
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LE RAPPEL DE STOCKHOLM
Jean-Paul Sartre a refusé le Prix Nobel.
Contrairement à l'idée, si souvent émise de nos jours, selon laquelle tout écrivain ou tout artiste « peut accepter ou rechercher une distinction sans être pour autant renégat de son honneur », il est toujours allé de soi, pour nous, surréalistes, qu'un Prix doit être repoussé. Sans ce geste élémentaire, la liberté créatrice se corrompt et la facilité mercantile est à portée de plume.
Dès le début de ce siècle, les « Indépendants » adoptèrent comme règle de conduite : « Ni jury, ni récompense » ; cette formule garde aujourd'hui toute sa rigueur. Récemment, le peintre Bissière, par une brève déclaration, a dédaigné d'avance la « consécration » vénitienne (tout comme Asger Jorn, en 1963, a rejeté le prix Guggenheim). En 1954, le surréaliste Max Ernst avait, à l'inverse, brigué et obtenu le Grand Prix de la Biennale ; nous avons dû l'exclure.
Mais alors, Sartre ! N'était-il pas à même de faire crouler, sous le poids considérable de sa personnalité publique, une pratique que Julien Gracq avait déjà mise à mal ? Allions-nous assister à la débandade rétrospective des amateurs de lauriers, chassés du Paradis des Lettres par la grâce d'un démiurge soucieux d'intransigeance ? Détrompez - vous, bonnes âmes ! - il s'agit d'autre chose. Notre homme est plus habile, qui protège ses flancs tout en épargnant ceux qui l'ont « assiégé ». Sous couvert d'une aimable manifestation d'indépendance, il s'agit bel et bien d'un acte politique parfaitement situé, d'une opération de propagande en faveur du bloc de l'Est. Huit ans après Budapest, M. Sartre « rempile » ! Il est clair que cette exceptionnelle chance a été saisie sur le plan publicitaire, non comme le prétend la presse de droite, et comme l'insinue « Arts », pour augmenter un tirage déjà somptueux ou par « esthétisme » décadent, mais pour réhabiliter l'intelligentzia stalinienne et se porter garant de sa continuité idéologique à travers les virages de la dernière décade.
De quelle conscience ose-t-on se réclamer lorsqu'on encense Neruda, agent du Guépéou pour l'Amérique du Sud, protecteur de Siqueiros qui organisa le premier attentat contre Trotsky ; quand on relance la candidature d'Aragon, « brillante » caution de tous les crimes perpétrés au nom du socialisme depuis près de trente ans : Procès de Moscou, massacre des anarchistes et des trotskistes en Espagne, procès de Prague, Budapest et Sofia, complot des blouses blanches, répression sanglante des insurrections populaires de Berlin-Est,
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Poznan et Budapest ? Est-ce parce que Sartre, comme l'écrit J.-F. Revel, « éprouve si souvent le besoin de démontrer que les idées erronées des autres rendent suspecte leur moralité », qu'il escamote, à l'occasion, l'immoralité des uns pour donner à penser que leurs idées sont justes !
Ainsi, Sartre prétend-il réussir un joli tour de passe-passe. Il dédouane Aragon et Néruda (1) et, en soutenant leur position de nobélisables, il renforce l'ordre littéraire qu'il fait mine de combattre (2). La « coexistence pacifique », fût-elle celle des cultures, exige décidément une dialectique bien retorse qui fonctionne, à d'autres propos, tout au long des explications du lauréat récalcitrant. Si son respect pour les membres de l'Académie Royale du Suède lui interdit d'engager ceux-ci dans les sentiers du maquis vénézuelien, ce respect cesse de jouer, rétrospectivement, lorsqu'il s'agit du problème algérien. En effet, « pendant la guerre d'Algérie, dit Sartre, alors que nous avions signé la Déclaration des 121, j'aurais accepté le prix avec reconnaissance parce qu'il n'aurait pas honoré que moi » ; s'il ménage les académiciens suédois, Sartre se moque éperdument des cent vingt autres signataires du Manifeste ; quelques-uns d'entre eux ne se seraient-ils pas indignés d'être compromis avec lesdits académiciens ?
(1) « Néruda, écrit Sartre, est un des plus grands poètes américains. » De quel titre peut-il exciper pour juger de la poésie ? Son essai sur Beaudelaire probablement ? Passons. Mais que pense notre exégète de la situation faite aujourd'hui à la poésie et aux poètes, en Russie, telle qu'elle apparaît à travers le procès de Yosip Brodski jugé et condamné pour parasitisme militant. Voici le verdict de ce procès, dont le compte rendu a été publié par le Figaro Littéraire du 1er octobre 1964 : « Brodski ne remplit pas systématiquement les devoirs d'un citoyen soviétique en ce qui concerne son bien-être personnel ni la production de richesses matérielles, ce qui apparaît clairement de ses constants changements de place. Il a reçu un avertissement du Ministère de la Sécurité nationale en 1961. Il a promis d'occuper un emploi stable, mais il n'a pris aucune décision, il a continué à ne pas travailler, il a écrit et lu ses poèmes décadents au cours de réunions du soir. D'après le rapport du comité sur le travail des jeunes écrivains, il est clair que Brodski n'est pas poète. Il a été condamné par les lecteurs de Leningrad-Soir. C'est pourquoi la cour applique la loi du 4 février 1961 : Brodski est condamné à partir pour une localité lointaine pour une période de cinq ans de travaux forcés. »
(2) Il regrette au passage que Pasternak, coupable à ses yeux d'être interdit dans son propre pays, ait été couronné avant Cholokhov, lui totalement soumis au régime, désignant ainsi la « bonne route » au Nobel.
Il ne suffit pas de refuser un prix, encore faut-il que les justifications éventuelles de ce geste n'en constituent pas la négation. Sartre, par sa déclaration, a gravement empoisonné la notion même du refus.
La littérature à l'estomac continue...
Pour le mouvement surréaliste : Robert BENAYOUN, Vincent BOUNOURE, André BRETON, Alain JOUBERT, Gérard LEGRAND, José PIERRE, Jean SCHUSTER.
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PAUL NOUGE
CARNET SECRET DE FELDHEIM
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Pages détachées
Elle s'était trouvée assise en face de moi dans quelque établissement public. Je ne l'avais nullement remarquée. Mais elle croisa les jambes assez haut, ses genoux se découvrirent et je devinai la naissance de la cuisse, dans l'ombre. Elle demeura ainsi pendant quelques minutes puis décroisa les jambes. Je ne sais alors si vraiment j'aperçus à la limite d'un bas bien tiré une lueur de chair blanche. Cette femme était distraite ou nerveuse peut-être. Elle recroisa les jambes mais moins haut que tout à l'heure et il me fallut recomposer l'image que j'avais surprise en m'aidant du peu qu'à présent elle m'accordait.
A vrai dire, je crois qu'elle ne se rendait nullement compte de l'attention extrême dont elle était l'objet. Mes yeux maintenant glissaient très lentement à la surface de la robe, tentant de suivre
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les courbes voilées des jambes, d'approfondir l'espace étroit que l'on devinait entre elles, effleuraient le ventre et la hanche très nettement définie par le noir du satin sur le velours rouge de la banquette, puis atteignaient les mains calmes, un bras très pur, la très lente palpitation d'une poitrine qui ne livrait pas le secret des seins, enfin un visage sans fard qui se teinta d'un peu de rouge sous l'insistance de mon regard. D'un mouvement étonnamment discret elle posa à côté de l'autre le pied charmant qu'elle balançait à peine et ramena d'un geste très simple le bord de la robe sur les genoux soigneusement joints.
Comment nouai-je conversation avec cette femme pleine de réserve, quelles furent nos paroles et combien de temps passa ainsi ? Cela ne vaut guère un effort de mémoire. Quand elle se leva, je n'avais pas effleuré sa main abandonnée à mes côtés.
Elle traversa le café d'une marche extrêmement discrète, sans l'ombre d'une provocation. Je la suivais et comme elle se ployait à peine pour écarter quelque chaise j'aperçus un instant le creux délicieux que faisaient ses jambes, à la hauteur des genoux.
Elle entra dans la cabine téléphonique pour quelque communication sans importance, je la suivis et m'enfermai avec elle dans l'étroit espace.
Très près de sa tête une lampe nous inondait d'une lumière violente. Ses hanches ne pouvaient pas ne point toucher mon corps. Elle tendit la main vers le récepteur mais la main s'arrêta, hésita une seconde, puis s'abandonna sur la tablette qui était là, au hasard de la rencontre.
J'avais enfoncé ma langue entre des lèvres et des dents qui s'écartaient mollement et je goûtai la fraîche humidité de sa bouche et pendant une seconde le mouvement d'une langue nerveuse qui répondait à ma caresse.
Cette langue soudain parut mourir. Elle eut un faible cri sans pourtant rejeter en arrière la tête. Ma main qui emprisonnait sa hanche la sentit à peine frémir alors que des doigts et de la paume je caressais dans le secret à peine violé de sa robe, éprouvant à la fois le liseré du bas de soie qui me semblait rude et la soyeuse tiédeur de la chair, cette cuisse lumineuse que j'avais un instant aperçue. Cependant que je reprenais plus étroitement ses lèvres, que plus étroitement je serrais son corps contre le mien (sa hanche s'appuyait fortement contre mon ventre et ma jambe, j'éprouvais sa ferme et ronde épaule contre ma poitrine) ma main cependant s'avançait avec des précautions infinies.
Je craignais, par instant, quelque résistance. La tiédeur que percevait le dos de ma main active et qui devenait chaleur, moiteur, se changea soudain en une pression de chair tressaillante et chaude qui bientôt céda, s'éloigna ; elle bougea de tout le corps, je crus qu'elle allait se défendre mais après avoir un instant pressé ma main entre ses jambes tendues, elle les ouvrait à ma caresse bien plus qu'elle ne l'avait fait jusqu'alors et soudain, dans un frôlement
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de linges légers, je touchai de toute ma main sa chair la plus secrète. Elle était mouillée et brûlante, au point que je ne pus douter de la puissance de son désir.
Alors, un long instant, ma main immobile parut ne songer qu'à adhérer au moindre repli de cette chair émue, à la connaître de toute son étendue sensible.
Je sentais une chevelure un peu rude s'écraser à la naissance du poignet mais la paume éprouvait quelque chose qui ressemblait à ce que me donnait la bouche que j'écrasais sur mes lèvres. Mais je n'existais plus en cet instant qu'à la faveur des sensations stupéfiantes qui montaient de ma main nue qui se pressait immobile sur sa chair entrouverte et bouleversée.
Il me semblait maintenant que, d'une manière presque insensible, elle faisait effort pour s'appuyer davantage, pour peser de tout son poids sur cette main attentive.
Et soudain, avec un bref soupir, elle bougea, et d'un mouvement lent et profond, un mouvement de poulpe, elle déplaça sa chair béante sur ma main durement tendue.
Alors mes doigts parcoururent les tendres plis humides, rencontrèrent la dureté qu'ils cherchaient et se prirent à la caresser doucement d'abord mais ensuite avec une violence croissante qui me devenait, au poignet, presque douloureuse. La femme était secouée comme un arbre par l'orage.
Sa bouche s'était maintenant séparée de la mienne. Je voyais cette bouche rester entrouverte, s'abandonner davantage, cette lèvre tomber en découvrant des dents mouillées cependant que la tête aux yeux fermés, le chapeau étrangement déplacé sur la chevelure en train de se défaire, la tête s'abandonnait, glissait, rencontrait la paroi de la cabine.
Ma main s'acharnait avec une violence croissante qui était presque de la brutalité.
Pas une parole ne fut dite. L'espace étroit où nous étions secoués par cette étrange tempête voyait son silence envahi des craquements des planches fatiguées, d'un souffle oppressé mais qui soudain se tait, d'un froissement d'étoffe, d'un pied qui glisse, cogne mais se rattrape, puis en plein coeur de ce silence, plus pressé, plus fort, plus précis le bruit rythmé de baiser et d'eau qui montait du labeur de ma main acharnée.
Mes yeux quittèrent alors ce visage en désordre qui s'en allait vers la mort, qui devenait de pierre, que parcouraient par éclairs d'étranges et brefs tressaillements, qui devenait très pâle, et au milieu de cette pâleur, les yeux fermés s'enfonçaient dans un affolant cercle noir qui s'étendait en devenant toujours plus sombre.
Mon regard descendait le long de son corps étrangement tendu et révulsé. L'épaule qui ne s'appuyait pas contre moi s'enfonçait dans l'angle de la cabine. Le bras qui ne s'accrochait pas à ma taille, se tendait dans un geste bizarre pour finir par appuyer l'extrémité des doigts écartés au bout de la tablette.
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Puis c'était autour des seins le désordre de plis d'une robe remontée (elle avait soudain glissé le long des cuisses et des hanches avec une sorte de craquement et de froissement soyeux). Alors je vis les petites vagues de linge léger et pâle, qui tremblaient. Les cuisses toutes nues jusqu'à la naissance des bas ; puis les jambes gainées de noir qui frissonnaient en faisant craquer de leurs pieds crispés les souliers délicats contre les planches de la paroi opposée. L'une de ses cuisses avait réussi à s'appuyer entre mes jambes et je commençais de bouger contre elle.
Mais mes yeux se fixaient maintenant sur ma main furieusement active.
Enorme, gonflée, effrayante, elle me semblait s'acharner pour son compte à quelque mystérieux travail dont le sens véritable m'échappait. Son mouvement est l'âme et le centre de tout le jeu qui se joue ici. Autour de ce mouvement furieux tout est immobile ou animé d'imperceptibles et brefs tressaillements. Puis les genoux s'écartent avec une étrange lenteur pour laisser plus de liberté encore à la main acharnée. Sur la chair blanche je distingue soudain un filet brillant qui glisse lentement et semble sortir du pelage sombre que ma paume écrase. Un autre plus léger et tortueux s'avance à son tour : toute ronde, isolée sur la blancheur mate, je fixe un instant une gouttelette brillante.
Puis la vision perd de sa netteté, se trouble.
Maintenant, le mouvement semble entraîner toute l'étendue, toute la profondeur de nos corps rapprochés. Je me meus plus fort contre cette cuisse nue bandée qui s'anime, qui insiste, qui semble chercher, découvrir en moi quelque chose, qui insiste.
J'ai à nouveau dans les yeux ce visage blanc troué de noir, veiné de rose et de bleu, semblable à quelque contrée menacée d'un cataclysme, et dans les oreilles le bruissement liquide et rythmé se mêle à je ne sais quelle douce clameur rauque qui monte des profondeurs, qui laisse sa bouche immobile. Je ne sais plus si ma main que j'ai cessé de surveiller, travaille encore. Je perçois parfois dans le poignet, dans le bras, quelque chose qui ressemble à une fugitive douleur. Je guette maintenant le visage avec anxiété, avec délice, avec l'intense curiosité du bouleversement que je sens si proche.
Soudain je sais que ma main a décuplé sa brutalité et sa vitesse. Mes doigts éprouvaient tout à coup un changement profond non des plissements et des duretés qu'ils travaillent, mais de l'onctuosité de cette chair dont ils percevaient soudain l'indéfinissable modification.
Et c'est alors que l'événement se produisit, dépassant tout ce que j'en pouvais attendre. Toute la tête, tout le corps chavira dans un cri rauque de bête torturée, dans le choc mou de nos corps contre une paroi, dominé une seconde par le heurt d'un talon contre les planches et le crissement d'une manche de soie qui se déchire jusqu'à l'épaule. Une chevelure trempée jaillit de l'aisselle avec
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une bouleversante odeur. Nous achevâmes de tomber, éprouvant à peine la douleur de ma main broyée par l'étau des jambes raidies, écrasé contre elle, ah ! je jouissais de toute ma chair en enfonçant mes dents dans son épaule moite et blanche. Je ne pourrais dire ce qui se passa ensuite, comment nous sortîmes de cette cabine pour traverser, la tête chavirée, tendus, appliqués à ne rien laisser paraître, ce café inondé de lumière et comment dans un murmure je la quittai pour toujours sur le trottoir qui longeait la nuit.
Je n'ai de ces instants gardé qu'une seule image, alors que de la cabine encore close et saturée d'odeur, debout, une jambe nue et la robe encore en désordre, la pointe d'un sein très visible sous la soie mince, le visage mortellement pâle parcouru de brefs frissons et ma morsure qui noircissait lentement son épaule, elle fixait de ses yeux blessés et mouillés de larmes, oubliant qu'il fallait effacer ce désordre de son corps, immobile et comme absente, ce clou inutile enfoncé on ne sait pourquoi entre deux planches.
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PHILIPPE AUDOIN
INCESSU PATUIT...
Il n'est guère dans Paris de lieu plus écarté, plus vague en dépit de sa rigoureuse ordonnance, que les anciens Petits-Jardins des Tuileries, confondus de nos jours avec ceux plus récents du Carrousel. Le Labyrinthe des allées, composé à plaisir, dirait-on, pour détourner de l'un et l'autre bassin ; les pelouses fourrées de plus d'achillée que de gazon, d'où vient qu'elles sont ternes et même légèrement punaises au passage des tondeuses ; les cordonnets de buis sec ; l'éclat d'un ciel blanc ou bleu mais toujours trop vaste pour cette nature rechignée, tout y concourt au malaise des rares promeneurs dont les silhouettes paraissent surajoutées à l'encre et comme d'une autre main sur un décor de « Dimanche-après-midi » pointilliste. L'effet de platitude est tel qu'il faut une disposition d'esprit très favorable pour ranimer le souvenir du Petit-Homme-Rouge qui hantait le palais détruit - à moins que sa malédiction ne se perpétue en sourdine dans cette alarmante et charmante stupeur. On songe - et l'empressement des pigeons n'y fait rien - au brusque silence d'oiseaux terrifiés par l'ombre, imperceptible pourtant, d'un prédateur de haut-vol.
Pour ma part je ne m'attarde jamais en ce lieu sans ressentir très vite le poids d'une très ancienne fatigue mêlée, à ce qu'il me semble, d'amertume et de tendresse désenchantée, et je m'assure qu'enfant, j'entrais dans de semblables dispositions pour peu qu'on m'y menât jouer. Autant le grand-jardin, livré de longue date à la foule, me donnait d'humeur aventureuse, autant les petits m'énervaient et, pour l'ordinaire, après m'y être désoeuvré et désorienté à fond, je me réfugiais auprès du tigre de bronze, à peine tenté de me percher, comme je l'avais vu faire, sur sa queue tendue ou d'imprimer dans ma paume les dents du crocodile terrassé.
Des autres statues du jardin, de ses vases, je ne savais trop que penser. Les nudités, toutes grises et fades qu'elles fussent - mais elles ne l'étaient pas à mes yeux - ne laissaient pas de me troubler et je conviens encore aujourd'hui, qu'il y avait bien de
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quoi. Il est en somme assez surprenant qu'on place dans un lieu public l'effigie d'un éphèbe nu, casqué, occupé à frapper un bouclier de son glaive comme s'il l'affûtait avant de faire quelque mauvais parti au jeune enfant qui gît à ses pieds et sur lequel il jette un regard de mépris.
On m'avait expliqué que ce guerrier était en réalité un prêtre et qu'il couvrait du cliquetis de ses armes les vagissements d'un dieu nouveau-né que son propre père voulait dévorer ; mais je n'en étais ni moins perdu, ni plus rassuré, tant ce personnage équivoque pervertissait les notions que j'avais alors de la divinité, du clergé et de l'« instance paternelle ».
Corybante tant qu'on voudra, académique au possible, il me demeure encore plus suspect que son jumeau des Sabines de David, et je le dirais même déplacé si une impression contraire ne naissait peu à peu de l'examen des figures qui l'entourent et dont la plupart paraissent avoir été réunies en ce lieu pour la gloire du Complexe d'Oedipe ou de quelque très vieux phantasme approchant, dans l'intention de délimiter un espace consacré à la célébration d'inavouables Mystères.
C'est ainsi que l'aventure de Cybèle y est reprise et précisée sous l'affabulation biblique du meurtre d'Holopherne. Lui fait écho une Agrippine d'allure décente qui plus loin se dévoile en Omphale, celle-ci affublée de la peau de lion et de la massue et d'autant plus obscène, terrifiante qu'une érosion prononcée ou quelque lèpre de la pierre en a rongé le visage et les seins. Mais c'est vis-à-vis, ou peu s'en faut, de l'Agrippine que l'enlèvement de Ganymède commente avec une discrétion surannée le pouvoir de ces mères terribles - cependant qu'en belle place Enée fléchit à jamais sous le poids du vieil Anchise. Dès lors la tentation est grande (en trichant quelque peu, mais à peine : le groupe fameux se devine à travers un maigre bosquet...) de passer la douve qui séparait le jardin privé du public pour s'assurer une fois de plus de la scabreuse défaite du Minotaure. Quoi que tiennent les évhéméristes ou les champions du soleil-vainqueur-des-ténèbres, la chair épaisse mais tendre du monstre terrassé, sa langue et son sexe exhibés avec complaisance évoquent moins un combat sans merci que la défaillance de l'orgasme ou mieux, l'heureuse torpeur qui le suit. J'ai toujours soupçonné ce Thésée imberbe, trop gracile, trop serein d'être un faux-mâle, substitué par goût de l'énigme à une femme véritable (j'y insiste : véritable) à l'instar de tous les David et autres Archanges en jupette dont la seule mission serait de célébrer l'ineffable humiliation du mâle dans l'amour, lorsque dépouillé de ses avantages prénuptiaux, une ultime convulsion le rend à la femme - donc à lui même, enfin.
Cette représentation peut, au gré de chacun, être tenue pour le germe ou l'image sensible de toute connaissance « illuminative » : il suffit que la relation soit indiquée pour qu'apparaisse l'orientation du labyrinthe d'abord déroutant du jardin et le sens
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des effigies majeures qui s'y rencontrent, pour ne point parler d'un peuple de Dryades et de Nymphes qui en se prêtant, sous ombre d'allégorie, aux caprices du pèlerin, ajoutent à l'induction lascive de l'ensemble.
Je n'aurai garde de prétendre que tout ceci soit concerté ou témoigne d'une coïncidence exagérée : le recours machinal aux fables antiques, tel qu'il fut de règle trois siècles durant, autoriserait à de moindres frais, des interprétations tout aussi « convaincantes ». Mettons que je ne me sois rien proposé de plus que d'insister, sans en supposer les titres, sur le privilège qu'ont certains lieux, souvent parmi les plus ingrats, de concentrer des significations ordinairement éparses et d'exercer ainsi une séduction telle que rien de fortuit (ici charmeurs d'oiseaux, sautes de vent, pluie de samares...) ne se dérobe à la réthorique, pour ne pas dire à la liturgie qu'ils instituent. Ainsi le bois-sacré repousse au coeur de la ville ; sa poussière foulée retient encore l'empreinte d'un pied nu que presse un sabot. « Allez y voir vous-mêmes si vous ne voulez pas me croire » mais de grâce, hâtez-vous ! (1). On nous promet de débarrasser les petits-jardins « des oeuvres sans intérêt qui les défigurent » pour y planter des oeuvres de Maillol. Nous n'en finirons donc jamais avec la plastique ? Et si l'on y tient, qui sait si les Coysevox, les Coustou, les Le Pautre, tous les hellénistiques tardifs qui s'ensuivent, ne s'entendaient pas davantage à ces affaires de paumes rurales et de croupes ? Du moins savaient-ils leur latin... Gageons donc qu'à ce marché les petits-jardins vont devenir un lieu plus désolant que n'est le parc du Musée Rodin : du monde, beaucoup de monde et - foin des mauvaises pensées - on y jouera enfin à la balle ! Au nom de l'Art Moderne la charrue aura passé sur les mères profondes ; la métamorphose des pères cessera d'obscurcir le cerveau de l'enfant...
(1) La moitié des statues citées a disparu depuis que ces lignes ont été écrites. Les Maillol règnent. Un « vandale » les a déjà attaqués au minium.
Je propose que chaque visiteur, le jour de l'inauguration, soit invité à coller avec le gras du pouce et où bon lui semblera, une petite boulette de glaise sur les intruses : ainsi ces marchandes de pommes atteindront-elles en peu de temps aux splendides proportions des « vénus » aurignaciennes. Les Valeurs Plastiques n'y auront rien perdu - et le Corybante, supposé qu'on l'épargne, y reconnaîtra peut-être encore la Grande-Déesse Phrygienne, mère des Dieux.
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Nicole Espagnol
PRISE FEMELLE
Marche funèbre en si bémol Le pas est raté La souris est dans le pâté Quelle fête ! Et son noeud papillon Virevolte sous les feux Quelle nuit ! Les pots sont cassés L'oeuf dans le lait « Garçon un fol alcool ! » Yeux mi-clos sur la saveur langoureuse de son sourire Il luit de sa prunelle Ainsi tourne la cerise dans l'eau de vie Et elle aspirait la moelle onctueuse et poivrée Et son parfum percutant de douceur L'étendait imperceptiblement Au fond des coussins Quel matin !
ARRET DU COEUR
Passés sur l'autre rive Bord à bord sont les amants Le crieur n'a plus de voix Le chemin est sans ombre Une pierre dans la gorge La peur du ravin A l'extrême leurs mains serrées Il hurle sa fierté Elle rit extravagante Nos yeux sont deux torrents Où joute le bonheur La pendule est arrêtée A l'heure inépuisable
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LA CONCLUSION N'EST PAS TIREE
L'acrimonie pend au rideau Crémone d'un soir Démon va, vient
(Il sort)
Lorsque soudain la vapeur fuse L'air est sans voix
(Une pause)
Jeux démentis par télégramme La malle poste aux aguets
(Stop)
Un acrobate survient S'étend et dort La querelle est aux avants Le rétablissement Imminent
LE VENT TOURNE
La corde est tressée aux couleurs de l'amour Le porte-clefs a perdu son étoile Et c'est ce moment qu'elle choisit Félicie ! Ses nattes dressées aux cintres La main à la patère Et vogue la galère ! Latitude ignorée Mais l'arbitraire est dénoncé Triomphe incontesté de la mégère Le faucon apprivoisé trie les dollars La porte bâille Et celui qu'on n'a point espéré Traverse le bal masqué
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(image) Robert Lagarde : Mémoire de ma main.
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Paule THÉVENIN
RAIMONDO DE SANGRO, PRINCE DE SAN SEVERO, SAVANT IMPÉNITENT
Un peu plus haut que San Domenico Maggiore, dont le collège eut autrefois comme élève Giordano Bruno de Nola, « brûlé terriblement » (1) à Rome en 1600, au N° 19 de la via de Sanctis, se trouve la chapelle, depuis longtemps retirée au culte, qui fut l'oratoire de la famille Sangro. De son vivant, on avait reproché à Raimondo de Sangro, prince de San Severo, qui s'était plu à en diriger lui-même l'ornementation, de blesser les moeurs et l'honnêteté publique en la décorant de statues licencieuses. Ce n'est pas que les sculptures réunies là soient des oeuvres d'art remarquables, mais elles ont toutes quelque chose d'insolite et de libre qui éveille la curiosité, que ce soit cette statue dont la stèle est brisée pour protester contre la mort en pleine jeunesse d'une fille de la maison, ou ces autres sujets, dus à l'imagination du prince, exécutés sous ses ordres en utilisant des techniques pour la taille du marbre qu'il avait mises au point (en particulier un procédé pour le denteler sans user du ciseau ni du burin), et qui avaient déjà étonné l'astronome Lalande. Dans son Voyage d'un Français en Italie, fait dans les années 1765 et 1766, il remarque que « c'est une des chapelles les plus curieuses qu'il y ait à Naples » et en donne une description détaillée : « La plus singulière de ces statues est celle d'Antoine Corradini, qui représente la Pudeur..., elle est représentée enveloppée dans un voile depuis la tête jusqu'aux pieds, et quoique le voile soit du même bloc de marbre, on croit voir la figure comme au travers du voile, qui est assez fin pour en exprimer le nud... Le Vice détrompé, il Difinganno, est aussi une statue singulière du Queirolo ; c'est un homme engagé dans un grand filet, et qui travaille à en sortir, avec le secours de son esprit, exprimé par un génie qui lui aide ; le filet est travaillé dans la même pièce de marbre, cependant il touche à peine la statue, et le travail de celle-ci est fait au travers des mailles du filet, qui ne lui est adhérent que dans très peu de parties... D'un autre côté on voit un Christ dans le tombeau couvert d'un voile, ouvrage aussi extraordinaire que les précédents ». Ce que Lalande ne dit pas au sujet de ce suaire et du voile qui recouvre la Pudeur, c'est que l'un est de soie, du moins donne l'impression d'être en soie, alors que l'autre imite le tulle le plus fin, aux mailles les plus serrées. Et il ne décrit pas non plus les objets si étranges, si insolents, qui se trouvent dans un escalier menant au sous-sol de l'oratoire. Fort probablement, ils n'étaient pas exposés là lors de sa visite, ni durant la vie du prince, car, déjà accusé d'être magicien, de réussir ses expériences par l'effet d'un pacte avec le
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Diable, Raimondo de Sangro n'aurait pu parvenir, comme il l'a fait, à n'être exposé à aucune persécution. La révélation de leur existence l'aurait sans doute conduit au bûcher des hérétiques ; il ne serait pas mort, en 1771, d'une infirmité contractée au cours de ses expériences chimiques.
(1) Le Père Ghezzi, Professeur à l'University College de Dublin, rappelant à James Joyce que Bruno était un terrible hérétique, s'était attiré cette cinglante réponse : « Oui, et il a été brûlé terriblement ».
Ils sont là, exposés, dans leurs étuis de verre ornés dans le style Louis XV, ce corps d'homme, ce corps de femme, devenus de surprenants et énormes lichens qui narguent le temps. Raimondo de Sangro avait trouvé un liquide capable d'assurer la conservation du système circulatoire humain ; il l'injecta à deux sujets : depuis deux siècles toute leur chair, tous leurs viscères sont tombés en poussière, mais les moindres veinules, les moindres artérioles continuent à s'enchevêtrer autour de leurs squelettes, dessinent le reflet de leur apparence, et les yeux aussi sont conservés, donnant une vie mystérieuse à ces bizarres végétaux grisâtres. Aux pieds de la femme, un coeur minuscule et quelques tout petits os : ce qui reste d'un enfant sur lequel l'expérience fut également tentée mais sans une si parfaite réussite.
Les biographies du prince ne nous révèlent rien sur ce sujet, soigneusement oblitéré. Une légende voudrait qu'il ait pratiqué l'expérience sur des personnes de sa famille encore vivantes, et qu'elles en fussent mortes, sacrifiées à sa curiosité scientifique. Cela semble assez peu vraisemblable. Le prince avait déjà fait diverses observations sur la palingénésie naturelle et artificielle de quelques plantes et animaux. Il est bien plus probable qu'il expérimenta nombre de fois son produit sur des animaux, et qu'il le fit sur l'homme, quand il le put, dans les instants qui suivent la mort. Rien dans la vie de Raimondo de Sangro ne nous donne à penser qu'il fût spécialement cruel. Lalande nous révèle même qu'il ne dédaigna pas d'appliquer son génie inventif à l'économie du ménage : « En tournant ses vues du côté de l'économie, il a trouvé le moyen d'étamer de nouveau la batterie de cuisine sans gratter l'étain qui y était resté attaché et par conséquent sans user les pièces mais de façon qu'on puisse en étamer plusieurs pièces en un jour ».
Né à Naples en 1710, Raimondo de Sangro fait ses études au Séminaire Romain. Encore enfant il y surprend ses maîtres ; ayant entendu qu'on projetait de construire une scène qui pût servir à la fois aux orateurs pour leurs thèses littéraires et aux exercices de chevalerie, il présente une maquette de théâtre mobile, d'exécution facile ; elle lui vaut l'approbation du chevalier Michetti, qui avait été l'architecte de Pierre-le-Grand. Interrogé, l'enfant déclare que le dessin de son modèle lui a été communiqué en rêve par un vieillard ; le vieillard lui a d'ailleurs révélé son nom : c'était Archimède.
Marié à vingt ans, sa vie conjugale semble avoir été sans histoire. A vingt-sept ans, il est nommé Chambellan du roi Charles III. Mais ni la vie de cour ni la vie militaire ne paraissent lui avoir convenu. En 1744, il doit participer à une courte campagne ; plutôt qu'à faire la guerre, il s'emploie à mettre au point un nouveau système de fortification, un plan de tactique pour l'infanterie, qui sera utilisé par le Maréchal de Saxe, à apporter des améliorations aux armes alors en usage. Pendant cette campagne, il sut démontrer la rapidité de sa réflexion scientifique : le roi Charles III avait fait venir d'Angleterre, en grande quantité, du papier pour gargousses (le secret de fabrication en était jalousement gardé) qui avait la propriété de se carboniser sitôt après l'explosion, sans produire d'étincelles ; le prince en saisit une feuille, l'examine ; le lendemain, il remet à Charles III six feuilles d'une qualité bien supérieure.
Il serait impropre de dire qu'il se retira dans son palais, puisqu'il avait la réputation d'être l'homme le plus occupé d'Italie, travaillant sans cesse, se délassant d'un travail par une autre sorte de travail. Son palais était pourvu d'une imprimerie (il sortit quelques belles éditions), d'un fourneau pour la fabrication des cristaux et d'un splendide laboratoire pour les expériences chimiques. Non
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content d'étudier les langues orientales, tel l'hébreu, le syriaque, l'arabe, il put se livrer au démon de l'invention. Lalande avait toutes raisons de dire : « Il aurait été difficile de trouver un prince, et même un académicien plus instruit que San Severo, qui eût pu composer à lui seul une académie tout entière ». Ses inventions sont innombrables : un procédé pour imprimer en couleur, sans multiplier tirages et planches ; une machine hydraulique élevant l'eau à des hauteurs considérables ; un drap très mince, imperméable à l'eau ; diverses étoffes de soie, de velours, des Pékins ; l'art de préparer les soies végétales ; d'imprimer les tableaux sur velours ; un mécanisme pour reproduire les tableaux sur toile de Hollande en la saupoudrant de tontisses ou poussières de drap ; un nouveau procédé pour la fixation des pastels ; une cire végétale supérieure à celle dont on se servait pour les tableaux à la cire ; une nouvelle peinture dite Eloïdrica, alliant « la beauté et la vivacité de couleur qui est propre à la miniature avec la fidélité d'une peinture à l'huile » ; un procédé pour colorer en profondeur les marbres de Carrare ; « un mastic particulier... on l'emploie clair comme de la bouillie, mais en peu de jours il devient dur comme le marbre » ; il redécouvrit le secret de colorer le verre qui paraissait perdu depuis le XVe siècle ; celui de l'emploi du cinabre et de la laque dans les fresques ; il parvint à contrefaire des pierres dures : l'agate, le jaspe, le lapis lazuli ; à décolorer les pierres fines jusqu'à leur donner l'aspect du diamant, etc.
Son invention la plus célèbre : la lampe perpétuelle qui brûla trois mois ; la maladresse d'un domestique la fit s'éteindre, et l'on put constater, ce jour-là, que le niveau de la liqueur qui l'alimentait n'avait absolument pas varié. A ce sujet communication fut faite par Raimondo de Sangro à l'Académie de Florence, et à celle de Paris, dans une lettre adressée à l'Abbé Nollet.
La plus cocasse : un char se déplaçant à la surface des eaux et dont le mécanisme était invisible. Un matin, de sa terrasse, Charles III put apercevoir ce nouveau Neptune, trônant dans un chariot à quatres roues qui marchait sur le Golfe de Naples.
Sa curiosité jamais assouvie, sa liberté de pensée ne furent pas sans amener quelques ennuis à ce découvreur intrépide. Il lui fut imputé à crime de s'être enrôlé dans la secte des francs-maçons, et il fut contraint d'écrire une lettre latine au Pape Benoît XIV pour lui exposer ses motifs et défendre sa position. En 1750, afin de tourner en ridicule la balourdise et la fausse érudition des antiquaires, il publia Lettera apologetica, contenente la difesa del libro intitolato Lettere di una Peruana, per rispetto alla supposizione de' Quipu ; cet ouvrage fut mis à l'Index et lui valut d'être accusé d'hérésie et d'impiété. En 1753, il obtint de Benoît XIV qu'elle fût rayée de l'Index.
Il mourut sans avoir pu achever la décoration de la chapelle, cette décoration jugée scandaleuse, et laissa de nombreux écrits posthumes, parmi lesquels deux paraissent dignes d'être notés : Lettere ad un libero pensatore sulla perfetto morale, et Dialoghi critici sulla vita de Maometta, où Raimondo de Sangro cherche une explication naturelle des miracles attribués à Mahomet et tâche à découvrir la manière dont il s'y prit pour les accomplir.
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(image) Jorge Camacho : Immalie.
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GÉRARD LEGRAND
ANALOGIE ET DIALECTIQUE
(MATÉRIAUX POUR UN MÉMOIRE SUR LE « CHAMP UNITAIRE » DE L'ESPRIT)
« L'analogie, de tous les liens le plus beau. » (PLATON.)
« Il n'y a rien d'incompréhensible. » (LAUTRÉAMONT.)
Ce qui tente peu ou prou de se faire passer pour indescriptible ne m'a jamais longtemps retenu. Certes la peur, le sublime, et ce mode féminin du sublime qu'est la grâce, ne sont guère qu'évocables. Mais ces thèmes sont modestes, ils ne prétendent pas envahir la métaphysique comme « l'angoisse » dont, dix-sept siècles après Basilide, on déplore de devoir rappeler qu'elle accompagne l'existence humaine aussi fatalement que « la rouille accompagne le fer ».
Chacun de nous dispose d'un ensemble de certitudes qu'il ne prend souvent même pas la peine d'affirmer. Le respect du doute ingénu et de l'ambiguïté nous fait oublier qu'il n'y a rien au-dessus de chaque « moi », c'est-à-dire de chaque imagination. Aujourd'hui je m'en tiendrai à l'une de ces certitudes : « La pensée pense tout ou rien, et si elle avait une limite elle l'aurait comme une limite pensée et par conséquent dépassée (*). » Au seuil d'une entreprise dont les perspectives excèdent peut-être celles d'une existence humaine, je ne crois pas mauvais de dire que je regarde pour certaines, et dans le « cadre » conceptuel qui est le mien, pour « démontrables », l'essentiel des propositions qui suivent. Je préciserai seulement que penser par citations fait gagner du temps, - et que le présent texte n'est guère qu'un programme.
(*) Benedetto Croce, Philosophe de la Pratique, trad. fr. 1911.
Nous n'avons aucune raison de prendre des gants, avec les professionnels de la philosophie. L'indigence idéologique de notre époque tient assurément à la très chiche considération que les « professeurs » ont réservé à l'ensemble des découvertes surréalistes, alors qu'elles dépassaient, et donc pouvaient féconder, leur domaine de plus en plus rétréci. Il n'en allait pas de même à Heidelberg et à Tubingue aux beaux printemps du romantisme ! La démission philosophique devant la connaissance expérimentale, ou se prétendant telle, a fait le reste. S'il n'y a de « compréhensible » que
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ce qui peut être « reproduit », il ne s'ensuit nullement que cette reproduction doive avoir pour unique référence les « expériences » de laboratoire.
« On peut tout dire avec l'arc-en-ciel des phrases. »
(FORNERET.)
DÉFINITIONS
A) Par Dialectique, j'entends expressément la « Logique » constituée « en fin de compte » par Hegel, utilisée et donc morcelée en bien tant qu'en mal par Marx, Stirner, etc., et aménagée (malgré leurs prétentions à la recréer) un peu par Wronski, un peu par Strada (dont l'étude reste à faire). Logique à laquelle le seul Nietzsche s'est soustrait par un acte de volonté tout personnel dont l'immense importance est ailleurs (« Il n'y a de réalité que morale »).
Je ne crois pas utile d'examiner la tentative d'Hamelin, héritier des présuppositions « personnalistes » de Renouvier, pour substituer à la dialectique des contradictoires un système de rapports entre termes « contraires ou corrélatifs » ; le Moi, en tant que fondement spéculatif, ne peut s'affirmer que comme la négation même, et la catégorie suprême de Hamelin, la « relation », est un tour de passe-passe destiné à submerger la richesse du devenir sous l'abstraction de « l'âme » (1).
(1) Il existe pareillement une interprétation chrétienne de la « phénoménologie » de Husserl, monument de prétention où s'est perdu le talent « luciférien » de M. Raymond Abellio.
Par contre, il faut affirmer inébranlablement, avec Engels, la validité d'une unique « chaîne » dialectique reliant la conscience que nous pouvons avoir de la Nature et celle que nous pouvons avoir de l'Histoire (2). C'est au prix d'un effort sur-dialectique que cette « chaîne » sera redécouverte, et explicitée, et non en recourant à la « double ontologie » suggérée naguère par Kojève (3) et plus hardiment, par Sartre, qui va jusqu'à tenir pour argument le fait qu'aucune expérience n'ait démontré l'identité de la matière inerte et de la vivante - ceci, pour ménager la « théorie » de la liberté humaine qu'il essaie depuis vingt ans d'accrocher au marxisme.
(2) Qu'il me suffise de rappeler que l'Homme du « marxisme » travaille (donc fait l'Histoire) et « fait l'amour », comme on dit, à l'aide d'éléments chimiques en nombre limité, identiques à ceux qui assurent la germination de la plante et la nidification de l'oiseau. Ce qui l'en distingue, c'est sa mort (son « savoir-mourir ») et cette distinction, qui fonde dans notre espèce l'individualité, n'a de valeur que dialectique (elle suppose la non-distinction, et la rétablit, et ainsi de suite).
(3) Je dois renvoyer le lecteur à la longue, intéressante, et assez sophistique note de l'Introduction à la lecture de Hegel, pp. 483-485, où Kojève ne trouve finalement à opposer à « l'erreur moniste » de Hegel qu'une ontologie « indiquée » par le premier tome de Sein und Zeit d'Heidegger : ce livre dont l'inachèvement rend un hommage involontaire à l'unicité.
B) Il n'y a pas besoin de définir l'Analogie. Elle procède, non de l'entendement « rapide » de type journalistique comme on le croit encore quelquefois, mais du système inconscient (4) qui peut s'y mirer lui-même instant après instant. Ce qui ne l'empêche pas d'être perçue et percevante, le cas échant, dans la sphère spéculative, en tant que relevant d'une « esthétique transcendante » (5) et comme procédé de « raisonnement » trop timidement employé de nos jours. Mais elle garde son triomphe dans l'image poétique - et dans ses ondes de plus en plus troubles jusqu'aux confins de la « pensée traditionnelle » : cette image, ce triomphe échappent par essence à la juridiction des philosophes.
(4) Alors que la Dialectique est (ou sera...) la seule description correcte du système conscient : ou si l'on préfère, ce système n'est fait lisiblement que de structures dialectiques.
(5) J'ai parlé d'une telle « esthétique » aux prolongements ultra-artistiques dans la Préface et les Appendices d'une édition commentée de Poésies d'Isidore Ducasse.
Le jeu surréaliste de « l'un dans l'autre » vérifie clairement cette aperception : non seulement dans son résultat descriptif, qui met en
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lumière le mécanisme des « moyens termes » (qu'ils soient exprimés ou sous-entendus) mais encore dans la forme de ce résultat : l'explicitation variable de ces moyens termes du rapport analogique est elle-même proportionnelle aux distances séparant, à un moment donné, les « notions claires » (termes extrêmes) en présence, donc elle est elle-même analogique. Elle apporte par récurrence une confirmation supplémentaire à la justesse de la thèse de Reverdy sur l'image poétique, tout en la démultipliant.
Fondée scientifiquement par Baudelaire, l'analogie n'a trouvé que peu de théoriciens : Fourier (qui emploie l'expression de hiéroglyphe pour résumer un rapport, et aussi celle, remarquable à plus d'un titre, de calque pour indiquer le lien entre les propriétés du cercle et celles de l'amitié, les propriétés de l'amour et celles de l'ellipse...), Toussenel, - et les poètes de la « modernité ».
En 1925, Mikhaïl Petrovitch, professeur à l'Université de Belgrade, a fait faire un pas considérable à la compréhension du lien analogique (hors de la poésie), dans son ouvrage Mécanismes communs aux phénomènes disparates, à propos duquel voici quelques détails.
L'auteur adopte pour leitmotiv le principe de Sir William Thomson qui, vers 1880, bricolait des métaphores en verre, en métal, etc., pour exposer des travaux de physique théorique : « Comprendre un phénomène, c'est pouvoir établir son modèle mécanique », car « le phénomène, se ramène aux modifications de la configuration de son système descriptif au cours des temps. » Il en résulte qu'entre les phénomènes apparemment les plus divers, existent des particularités d'allure et en particularités de rôle (6). Quand ces particularités concomitent, on obtient de véritables « équations d'analogie » (entre l'aimantation et les phénomènes élastiques, entre les phénomènes de résonance et ceux d'immunité microbienne, etc.) :
(6) Parmi d'innombrables exemples, je citerai « l'allure » commune des phénomènes oscillatoires amortis (ainsi l'élongation du pendule est analogue à la différence de niveau du liquide de deux vases réunis par un tube horizontal). Les « rôles » se groupent commodément en « types » (cause, liaison, obstacle, terrain) qui permettent une description sans finalisme ni excès de « causalisme ». Sur les modèles mécaniques, cf. aussi L. Boulingand, La mathématisation, Conférences du Palais de la Découverte, 1959.
« Les phénomènes disparates, présentant des particularités communes de mécanisme et d'allure, constituent un groupe d'analogie, dans lesquels le noyau d'analogie est formé de l'ensemble de ces particularités communes. Les noyaux de l'analogie transforment les ressemblances en rapports d'égalité. » A la limite, il arrive qu'une loi complexe puisse être comprise par analogie : les modifications électriques dues à la compression des cristaux (quartz, tourmaline...) dans la direction de l'un de leurs axes « obéissent » à une loi analogue à celle de la thermodynamique.
Il faut regretter qu'un tel ouvrage, qui ne vise à rien de moins qu'à suggérer la restauration d'une mécanique universelle sous le nom de « phénoménologie qualitative générale », n'ait pas reçu d'audience hors des cercles scientifiques.
REPÉRAGE
Analogie et Dialectique, en tant que modes opératoires, ont en commun :
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1° D'envisager la « réalité » comme une totalité : la Dialectique veut embrasser tout l'Univers, l'Analogie fonctionne de « terme à terme » jusqu'à l'infini. Le « Tout est dans Tout » commun à Parménide et à Héraclite se retrouve à la base de la pensée analogique (7). Il serait tentant d'examiner sur Hegel l'influence possible de la « tradition » ésotérique : Breton y a fait allusion à propos du « ternaire » (Entretiens, p. 258). La formule quasi-ultime invitant le disciple à reconnaître « la raison comme la rose dans la croix du présent » (trad. Kostas Papaionnaou, dans son remarquable essai, Seghers éd., 1963) rend un son bien étrange : on se rappelle que l'anonyme préfacier de Martinez de Pasqually (rééd. Chacornac, 1899) signe, non Rose + Croix, mais comme « chevalier de la Rose croissante ». Ceci, par-delà un évident souvenir des religions lunaires, évoque le développement des orbes concentriques où, nous le verrons plus loin, l'opération dialectique et l'opération analogique pourraient trouver un commun « modèle » descriptif.
(7) Problème annexe de la totalité, à reprendre d'après le dilemme de Dom Deschamps, bénédictin athée et communiste du XVIIIe siècle : « Tout est négation du Tout... Le Tout n'est rien pour nous, il n'a jamais cessé d'être en question pour nous » (mais il croit à l'unité de la substance universelle). Il n'y a que de la « réalité » : la philosophie, le « monde renversé » (comme un gant) est l'abandon à l'exigence, non de la « réalité », mais de la vérité, - comme la poésie à l'exigence du « fonctionnement réel de la pensée » (vérité de la vérité). A rappeler toujours : « ... La vocation poétique, au même titre que la vocation philosophique est, n'en déplaise aux sociologues, tout à fait incontrariable. » (Breton, La barque de l'amour.)
2° De répudier en conséquence, la marche linéaire de l'entendement au profit d'une marche circulaire (ou approximativement telle). Non seulement leurs ambitions sont l'une et l'autre synthétiques au sens le plus élevé du terme, mais elles le sont aussi « à l'intérieur » des modes eux-mêmes : il y a analogie entre le Micro et le Macro-cosme, il y a dialectique (à termes sous-entendus, mais peu importe) transversale au sein des « coupoles » de la conception antique (orientale-grecque) du cosmos (observer l'astrologie à ce point de vue).
3° De se prouver elles-mêmes dans leur application. Les deux modes opératoires témoignent que la vérité est une « conquête » - sur un pays qui n'a d'existence que par cette « conquête ». Cf. Jules Lequier : « La question (quelle est la vérité première ?) se rectifiant elle-même, est devenue la science qui se cherche et produit la réponse, c'est-à-dire la science qui se trouve. »
(L'historique de cette familiarité est sans doute contenu dans le récit de Nietzsche : « L'imagination est puissante quand il s'agit de saisir en un éclair et de mettre en lumière des analogies. La réflexion après coup, apporte les mesures et les poncifs, et cherche à remplacer les analogies par des équivalences, la connexité par la causalité. » Mais la réflexion dialectique fait aussi partie de l'imagination : Sade parlera à plusieurs reprises des effets sans causes.)
DÉCISION
Peut-on dessiner un « modèle » commun du procès dialectique et du procès analogique ? Je réponds « oui » sans me dissimuler que c'est un réflexe volontaire.
Dissipons d'abord le dernier nuage entretenu par M. Lupasco qui, aujourd'hui, en arrive à proclamer l'existence de « l'âme » à partir du sentiment (cf. sa plaquette Science et art abstrait, 1963) (8). L'honnête Biéchy (L'Induction, 1871) croyait aussi à l'existence de l'âme, au nom d'une antinomie kantienne entre la faculté d'expérience
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des objets universels et l'expérience d'objets limités dans le temps et l'espace. Mais, tout le « système » de M. Lupasco repose sur l'hypothèse invérifiable que l'univers est essentiellement contradictoire : « La contradiction se révèle le fondement même de l'entendement, en tant que purement logique... » Voici dès Logique et Contradiction (1948) l'entendement confondu avec la pensée spéculative : de là pêle-mêle une triple logique, la mystique présentée comme « discipline concrète », etc. Revenons à Biéchy, auquel je laisse son vocabulaire :
(8) Et non à contester le « rationnel universel » au nom de la sensation, comme Breton le fit (L'Amour fou). Cf. l'idéalisme de Francis Bradley, qui conclut à une pyramide dialectique dont la sensation est la catégorie suprême, la relation ultime - et la « logique génétique » de J.M. Baldwin, que couronne un pancalisme (1915).
« L'usage de l'induction dynamiste étant la condition exclusive de l'acquisition de toute connaissance expérimentale, et l'entendement étant un, il implique [contradiction] qu'il y ait une physique, une chimie, une biologie, une philosophie positive ou mystique, et d'autres non-positives ou non-mystiques (9). Chacune de ces sciences n'a qu'une manière d'être, qui n'est ni positive ni mystique, ni non-positive ou non-mystique. »
(9) On reconnaît ici les disciples qui relevaient de cette « vérité négative » creusée par la « diversité » (deuxième logique) de Lupasco. En fait : « la mesure d'une erreur est la mesure de la vérité correspondante » (Louis-Claude de Saint-Martin). Si Hegel a insisté sur le caractère négatif de la détermination, Strada, se plaçant à l'opposite, a souligné dans sa détermination logique la « force d'expansion » de l'être qui n'a d'autre borne que son propre épuisement (ce qui, notons-le, ressemble bien davantage à une détermination par analogie qu'à une dialectique).
Bien que Biéchy ne dépasse pas ici l'entendement et la « philosophie des sciences », l'induction n'en apparaît pas moins comme la base de toute activité « rationnelle » à vocation synthétique, en même temps que comme le fruit de l'imagination. Même les penseurs les plus sympathiques à l'analogie l'élèvent maladroitement au-dessus de cette dernière, dont elle serait - de par son emploi scientifique - la version perfectionnée, l'outil spécialisé capable de déterminer « une figure, une trajectoire », voire « la position d'une idée qui fait comprendre des perceptions d'abord réfractaires » (10).
(10) Maurice Dorolle, dans l'insipide Vocabulaire de Lalande. Cf. de cet auteur : Les problèmes de l'induction, 1933, et Le raisonnement par analogie, 1949.
De cette routinière progression « analogie -> induction », Hegel n'hésite pas à renverser les termes. Il fait du syllogisme analogique la forme la plus parfaite (« synthèse ») du « syllogisme de réflexion » où le syllogisme inductif n'est précédemment venu que pour « supprimer » le syllogisme d'universalité, qui en tant que « syllogisme de l'entendement parfait, et rien de plus, » ne fait guère qu'assurer le passage au-delà des syllogismes ordinaires (« immédiats ») de l'entendement (ceux de l'Ecole). Le patriarche de la dialectique ne craint donc pas d'élever « l'analogie » au-dessus de l'induction, parce que le milieu y est posé « comme étant l'individuel, mais comme étant aussi la véritable généralité de celui-ci » alors que le milieu forme dans l'induction « un nombre indéterminable d'individuels » : et Hegel observe que l'analogie ne saurait prendre la forme d'un raisonnement « ordinaire », du fait qu'elle comporte quatre termes, et non trois : soit les deux « extrêmes » (ou « individuels »), « une propriété directement postulée comme leur étant commune », et une autre propriété manifeste en l'un, mais seulement reçue par l'autre (11).
(11) Science de la Logique, trad. Jankélévitch, tome II, pp. 383-385. Ce qui ne contredit pas le fait que l'induction soit un « progrès » sur la simple généralisation, se crût-elle fondée sur « l'analogie ».
RELATION
Il est tentant d'affirmer que les « points de contact » entre les deux modes opératoires de la pensée spéculative relèvent de points
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de contact entre les deux systèmes d'origine : inconscient pour l'analogie, conscient pour la dialectique. Il serait vain toutefois de poser :
(S. Conscient)/(S. Inconscient) = Dialectique/Analogie
équation d'autant plus arbitraire que la dialectique fonctionne « à l'intérieur » des deux systèmes. « Même dans l'inconscient, toute pensée est liée à son contraire » observera Freud. Inversement, « les contrastes sont des analogies renversées » (Novalis) : le moyen terme, neutre, sous-entendu ou non, apparaît dès lors comme « l'équivalent » du retard dialectique qui fait que le devenir, tombant dans la sphère empirique, devient « apparition et disparition » successives (voir plus bas) qui s'accordent l'apparence de l'être-là, avec la séquelle des pseudo-métaphores bergsoniennes ou autres tentant de cerner « le temps » : durée, épaisseur, etc. En fait, ce retard indique une sidération (12).
(12) On soupçonne un lien possible entre ce retard et le phénomène « résiduel » de la dialectique du devenir, phénomène signalé plus bas.
Il convient cependant de tracer un croquis résumant la mécanique probable des deux parcours dans la « réalité » psychologique des deux systèmes placés côte-à-côte (cf. mon texte sur Freud dans La Brèche, n° 5) :
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A PARTIR DE LEURS "CENTRES" RESPECTIFS, LE PARCOURS DIALECTIQUE ET LE PARCOURS ANALOGIQUE SE RENCONTRENT SUR LE "SEUIL" VIDE DU SUBCONSCIENT : L'AXE COMMUN "SYMBOLISE" L'UNITE DE L'ESPRIT, MAIS LES PLANS CORRESPONDANT AUX DEUX SYSTEMES NE SONT LIMITES QUE POUR FACILITER LA LECTURE DU SCHEMA. LA "ROTATION" DES PARCOURS EST DOUEE D'UNE RECIPROCITE COMPLEXE (-> DIALECTIQUE) : CHACUN D'EUX EST HOMOLOGUE A CHACUNE DE SES ETAPES (TERNAIRE CIRCULAIRE POUR LA DIALECTIQUE, "COUPLE" DE FOYERS POUR L'ANALOGIE).
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« Toute vérité a deux visages, toute règle deux surfaces, tout précepte, deux applications. » (Joseph JOUBERT.)
On remarque que les parcours sont interférents. Il n'y a aucun excès à avancer cette thèse : la dialectique de l'Eros selon Freud, et la dialectique de la « Raison » selon Hegel, sont les éléments d'une dialectique supérieure, éléments assez pleinement analogiques pour qu'on puisse poser comme « démontrable » le fonctionnement d'un champ unitaire de l'Esprit, condition indispensable à une refonte, sûre de son droit, de la condition « intelligible » et morale de l'Homme.
(Dans leur mouvement, les deux parcours en arrivent à se calquer mutuellement sur d'assez larges zones : parfois leur mouvement réciproque est inverse. Par exemple : la volonté inconsciente (le Désir) de l'Homme, « nécessité virtuelle », se réaliserait en Liberté voulue au « sommet » de la conscience, - sur la base de la Raison spéculative, elle-même traduction dialectique de la Raison universelle « inconsciente », qui est en toute dernière analyse, nous le verrons, analogique).
Je souligne qu'en aucun cas la théorie d'un « champ » unitaire ne conclut à l'identité foncière des éléments qui s'y « unissent » : ce qui, en l'occurrence, aboutirait à la plus abominable confusion.
CONVERGENCE ET ENTRELACS
Dès à présent il est possible d'étudier des exemples de contact et de recoupement entre les deux parcours : Norman O. Brown en a parlé dans Eros et Thanatos, et le simple examen du matériel accumulé par les ethnographes et les psychanalystes, notamment en Australie (tel qu'il est exposé dans la thèse du Dr Halley des Fontaines, La notion d'androgynie, 1939) montre un processus vécu, d'une implacable et inconsciente (?) dialectique, qui régit toute l'existence de certains « primitifs » en vue d'un but (l'hermaphrodisme) « réalisé » par des actes rituels et des récits mythiques d'une analogie raffinée et prémonitrice de la symbolique la plus « moderne ». Ces rites ne sont-ils pas « l'équivalent » analogique des « modèles » de Thomson-Petrovitch ? (A son tour, une description historique démontrant en détail cette analogie serait fatalement de portée dialectique) (13).
(13) Les objets surréalistes dits « composites » (le loup-table, la tasse en fourrure, etc.), apparaissent comme des « modèles » ou des analogies (intégrées, concrètes) d'analogies (virtuelles = opérations de l'Inconscient freudien).
Toutefois, je prendrai ici pour exemple un travail purement « scientifique » d'autant plus intéressant qu'il s'efforce déjà d'améliorer le champ unitaire de la physique moderne, - en tant qu'y prend sa revanche la tendance humaine à « vouloir le Tout » jusqu'au sein du relativisme.
Il s'agit d'un essai de Clémence Ramnoux (14) et J. Martinet : Le paradoxe des principes de symétrie et de dégradation de l'énergie (Paris, Rev. Générale des Sciences, Droin éd., 15 mars 1936).
(14) A qui nous devons, depuis de très intéressants travaux sur Héraclite.
En quoi consiste ce paradoxe (= cette « contradiction ») ? Il n'y a pas besoin d'être spécialiste pour le saisir.
1° L'univers (en tant que système matériel) tend à la symétrie : « Une substance amorphe tend à cristalliser mais jamais l'inverse ne se produit... Tout système passant du mouvement au repos
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devient infiniment plus symétrique » (Ce qu'on démontre, précisément à l'aide d'un modèle mécanique).
2° De même, tout système - à la limite, l'univers entier, bien que « freiné » par un principe négatif de l'entropie, - tend au repos dans le désordre, à un « tranquille » effondrement (entropie).
Jusqu'ici, les deux principes sont analogiques : ils indiquent le seul sens possible de « l'évolution » d'un système matériel. Au « freinage » de l'entropie correspond d'ailleurs la dissymétrie qui a permis l'apparition de la « vie », autrement dit, la vie « freine » la symétrie universelle. Mais voici la contradiction : la dégradation entropique de l'énergie est un passage de l'ordre au désordre, donc à la dissymétrie !
Ce sont les deux principes de la transformation de tous les systèmes matériels possibles qui sont en cause. Mais le principe n° 1 (de symétrie) est apparemment moins « général » que le principe n° 2 (d'entropie) qui est dû à la thermodynamique, - théorie générale de l'énergie.
Si, justement, l'on introduit cette notion d'énergie dans la proposition n° 1, on est amené à distinguer la symétrie matérielle (des formes) et la symétrie réelle (des « énergies » correspondantes). Par exemple, un cristal est un individu dont la forme est maintenue par les énergies potentielles naissant de la proximité de ses éléments. « Il ne subsiste que si l'énergie cinétique (chaleur) ne rompt pas l'équilibre des énergies potentielles de ces éléments individuels. » On se rappellera que la théorie cristallographique repose en fin de compte sur l'homothétie (analogie) du noyau et des éléments cristallisés.
La symétrie matérielle d'un système quelconque diminue quand la symétrie réelle augmente, en d'autres termes quand a lieu le passage, philosophiquement bien connu, de la « puissance » (virtualité) à « l'acte ». Dans le cristal, chaque élément individuel = une énergie potentielle correspondant à des forces d'attraction. Si l'on fait fondre le cristal de soufre, ses particules vibrent et se désagrègent. Elles « fondent », mais leur accroissement de symétrie est remplacé par un phénomène de « compacité » obéissant aux mêmes lois. C'est que « le système le plus stable n'est pas forcément le plus symétrique au point de vue de la forme, mais le plus symétrique au point de vue de la force, puisque la symétrie réelle n'est jamais que le résultat de l'équilibre des forces ».
Ainsi se trouve résolue la contradiction apparente des deux principes : chaque système évolue bien dans le double sens prescrit, à condition d'en analyser les éléments. Cette analyse prépare la dialectique de la Nature. « Jadis, on considérait le magnétisme, l'électricité et le chimisme, chacun pris à part, comme des forces indépendantes, sans lien entre elles (...) Le problème consiste dans le besoin de concilier leur identité et leurs différences : il ne trouve sa solution que dans la nature de la notion, mais non dans l'identité où règne une confusion d'appellations... » (Hegel.)
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Dans le cas du pendule oscillant, c'est « au contraire » l'accroissement de la symétrie qui correspond à une dispersion de l'énergie cinétique, car alors, l'énergie potentielle - qui représente toujours les forces d'attraction qui ont provoqué et limité le mouvement - reste intacte : seule l'énergie cinétique se dégrade. Tandis qu'au même moment, les molécules de l'air environnant acquièrent une symétrie purement « statistique », et que la symétrie réelle est « transférée » au pendule où elle s'accroît (plans innombrables, puis passage au repos). En outre, c'est le principe de symétrie, qui au terme de ce jeu de cache-cache, englobe le principe d'entropie et se révèle plus général : « Une partie seulement de l'énergie se dégrade : tout le système devient plus symétrique, mais pas dans le même sens ». (Cette dernière incidente ne modifie pas la découverte, même si du point de vue dialectique, elle repose le problème de « l'irréversibilité » du syllogisme, - problème évanescent selon nous.) (15)
(15) La différence de sens est « homologue » à la dégradation partielle de l'énergie : ce sont deux « infirmités ». (Une autre analyse révélerait-elle une symétrie virtuelle face à la symétrie réelle ? On sait aujourd'hui que certaines trajectoires microphysiques ont une « préférence » pour la droite ou la gauche.) Tenons-nous en à ceci : la rupture de l'équilibre des éléments du cristal (espèce analogique à soi-même) aboutit à une symétrie supérieure à deux directions (espèce virtuellement dialectique). La réalisation de cette dialectique (par l'activité thermo-chimique) fait disparaître l'espèce en tant que telle, mais elle n'est possible qu'après la disparition de l'espèce moins symétrique. La présence des « deux directions » aboutit donc bien à la « SUPPRESSION » de toute symétrie.
La marche des deux principes est analogique et dialectique à la fois. Les auteurs de ce remarquable essai concluent même sur une analogie ultime entre deux « irréductibilités » : l'énergie cinétique « correspond » au moment cosmique du devenir, l'énergie potentielle à son moment individuel.
PARENTHESE DE LÉGITIMITÉ
Ici et ailleurs, je traite, l'ensemble des phénomènes qui s'offrent à ma recherche en termes d'optique. Je pense en effet, que pour aboutir à la fondation d'une métaphysique intégralement athée (et intégralement métaphysique, c'est-à-dire débarrassée de toutes les résurgences réalistes qui, sous le nom d'ontologie ou autre, encombrent aujourd'hui les abords de la « Logique » et la laissent offerte à la sape des néo-positivistes) il faut envisager le spectacle des idées et des choses aussi comme un spectacle : ce n'est point « par hasard », je crois, que Spinoza polissait des verres et dessinait à l'occasion des figurines inspirées de la « Commedia dell'Arte ».
On a vu plus haut que M. Petrovitch utilisait la métaphore des « rôles » pour cerner le mécanisme de l'analogie. Dans sa célèbre description du devenir, Hegel donne l'exemple d'une dialectique du regard pur, où l'apparence du monde devient transparence et « se réalise » à l'instant où une sorte de fascination consentie la dissout : les deux déterminations du devenir (être qui se rapporte au néant, néant qui se rapporte à l'être), s'appellent apparition et disparition, et ces deux « moments » ne s'annulent pas réciproquement, mais « chacun, à l'approche de l'autre, se supprime lui-même et contient en lui-même son contraire » (Science de la Logique).
Les citations qui suivent pourront servir de point de départ à une reconstruction optique de la dialectique (par exemple en considérant l'esprit comme un milieu « doublement réfringent » : la formule marxiste de la « conscience-reflet » y retrouverait quelque « contenu »).
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A) « Si l'examen de la connaissance que nous nous représentons comme un milieu nous apprend à connaître la loi de sa propre réfraction des rayons, il ne sert encore à rien de soustraire cette réfraction du résultat, car la connaissance n'est pas la déviation du rayon : elle est le rayon lui-même par lequel la vérité nous touche : si ce rayon était éliminé, il ne nous resterait que l'indication d'une pure direction, ou le lieu vide. » (Hegel, Phénoménologie de l'Esprit, cit. K. Papaionnaou, p. 152.)
B) « Les relations métaphysiques sont des relations logiques : seule la métaphysique, comme science des catégories, est la logique véritable, ésotérique - voilà la profonde pensée de Hegel (...) Ce qu'on a coutume d'appeler notre pensée n'est en expressions intelligibles pour nous, que la traduction d'un auteur étranger, plus ou moins inconnu difficile à comprendre, qui agit en nous d'une manière instinctive ; et c'est seulement dans cette traduction et non dans l'original que sont valables les prétendues formes logiques (...) Elles n'appartiennent pas à l'optique, mais à la dioptrique de l'esprit - domaine qui, il est vrai, est encore inconnu. » (Feuerbach, Manifestes philosophiques, P.U.F., 1960, p. 25, en note.)
PROJET POUR UN EXEMPLE.
« L'homme est comme assourdi par les incessantes clameurs de l'absolu. »
(STRADA.)
Prenons d'emblée le cas le plus difficile - je veux dire, le point où si mon « hypothèse » est juste, la méthode dialectique et la « méthode » analogique doivent fatalement coïncider en se prouvant réciproquement (en vérifiant réciproquement la validité de leurs mécanismes).
Il s'agit - bien entendu - de la théorie de l'être.
La relation « suprême » de l'être à l'être n'est pas (ne peut pas être) tautologique (16). Elle est dialectique -, mais seulement dans les conditions posées par Hegel. Autrement dit : l'appréhension métaphysique de l'être n'est légitime que si le savoir hégélien est « réellement » circulaire.
(16) Rien d'aisé comme d'accuser Hegel lui-même de « tautologie » (cf. Lupasco) puisqu'il finit par où il a commencé : A redevient A à la « fin des temps » ou dans le sanctuaire de l'Idée absolue. Seulement, voilà : pendant que le cercle se déroule, quelque chose a lieu (l'Histoire, etc.), alors que, la logique « polyvalente » aboutit à l'indifférence abstraite au même titre que la tautologie néo-positiviste qui eût fort exercé l'ironie du sage d'Iéna. Une question plus attachante serait de savoir pourquoi tel élément en médiatise tel autre de préférence à tel autre : il y a eu en Hegel un « bâtisseur » certainement conduit par la séduction inconsciente que telle idée exerce sur telle autre, - l'extrême attention aboutissant au même « mouvement » que la totale distraction.
(La dialectique n'a de « vie » que comme « souffrance », manque ressenti et contredit, c'est le « malheur » ou « l'odyssée » de la conscience... Il faut donc qu'il y ait eu au départ chute - c'est le mythe judéo-chrétien, lui-même dernier avatar d'un mythe universel : sans nullement en méconnaître l'origine et la portée « freudiennes », nous le réduirons ici à un biseautage du miroir.)
Si le cercle du « Savoir » hégélien se referme, la relation suprême est et n'est pas dialectique - puisqu'elle en marque la fin. Mais le même problème se pose à chaque « étape » du cercle. Il faut, pour que le procès continue, qu'il y ait un résidu (17) à l'opération.
(17) Le mot est malheureux, provisoire.
C'est sensible dans la description du devenir citée plus haut. De l'affrontement et de l'absorption réciproques de l'apparition et de la disparition, Hegel conclut à deux suites : un « calme résultat »
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qui revient à « l'être », seulement en tant que détermination, ou « exposant », du Tout) et le vrai résultat, le Dasein (« étant » ou « être-là »), point de départ d'une nouvelle étape.
L'analogie est le « fermoir » du « cercle » dialectique, et elle est aussi le « saut » de la pleine conscience spéculative au centre du cercle à l'instant de l'intuition révélatrice : saut provocateur des nouvelles ondes, à la fois concentriques et « décalées » (passage du cercle à une courbe du second degré, une spirale fermée à l'infini ?).
La relation suprême de l'être réconcilié ne cesse pas d'être dialectique, mais elle « devient » analogique.
On voit jusqu'à quel point il est légitime de parler d'une fondamentale duplicité de l'être.
... Il faut, disaient les derniers philosophes païens, appréhender « l'absolu », l'être « par lequel l'être même existe », par trois voies : 1° la causalité (-> dialectique) ; 2° l'analogie ; 3° l'éminence (qui signale l'emploi d'un critère esthético-moral). Ils n'ont jamais vu de divergences, bien au contraire, entre ces trois voies (18).
(18) Cf. Louis Rougier, Celse ou le conflit de la civilisation antique et du christianisme primitif, Paris éd. Delpuech, 1926.
De même un exégète autorisé de Wronski (19) a pu évoquer à propos de « l'analogicité » de l'être, une vieille querelle entre théologiens : « Les thomistes disaient l'être équivoquement, en ce sens qu'inséparable du savoir il n'est conçu que par une quiddité (qualité). Les scotistes le disaient uniquement, parce qu'il répond à la fonction d'au-delà de la notion [il n'est pas un genre, et l'idée d'être ne peut être prise comme genre, puisque l'être est le support de l'idée] ». Absence chez les uns et les autres du sens à la fois dialectique et analogique (entre tout et partie) qui s'épanouit chez Fabre d'Olivet :
(19) Francis Warrain, L'armature métaphysique.
« Prenons un gland de chêne. Je dis que dans ce gland est renfermée la vie propre d'un chêne, la germination future de l'arbre qui porte ce nom, ses racines, son tronc, ses rameaux, son arborification, sa fructification, tout ce qui le constitue chêne, avec la suite incalculable de chênes qui peuvent en provenir (...) Cette vie, qui se manifeste sous la forme végétale, et sous la forme végétale [particulière] du chêne, tient néanmoins à la vie universelle : car tout ce qui vit, vit de cette vie. Tout ce qui est, est : il n'y a pas deux verbes être. »
Mais à cette vue s'oppose celle de Wronski pour qui « l'identité ne se conçoit que relative, car elle constitue un rapport et il n'y a de rapport qu'entre termes distincts » (20). Logiquement, « l'Etre » de Wronski, placé face au « savoir » et lié à lui par un élément fondamentalement neutre qui n'est réellement que « fonction » (mathématique) des deux autres, mais « virtualité » quand on le déclare séparé (adaptation assez maladroite du werden hégélien), - cet « Etre » n'est pas tout l'Etre (le « Savoir » est distinct de lui, et il n'est pas non plus l'identité vide absolue, puisque celle-ci est relative).
(20) On se rappellera ici la polémique de Hegel contre « les vaches noires dans la nuit » de Schelling, - qui n'ont pas disparu de la pensée moderne (type Vatican II).
Tout au plus peut-on le dire « analogue » à lui-même 1° à travers le « Savoir » qui lui est hétérogène (Wronski n'échappe pas à un
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certain « manichéisme ») mais lié inexorablement ; 2° à travers la différence qu'introduit entre eux l'existence (vacillante, mais constante) de l'élément fondamental (qui se retrouve bizarrement promu « identique » à une parité coronaire au sommet de la pensée du Polonais !) (21).
(21) Un autre disciple de Wronski, Marc Haven, est plus audacieux : « L'unité est l'identification de la liberté absolue, autrement dit, il y a identité entre la vérité intégrale du savoir suprême et l'existence [l'être] inconditionnelle et indestructible. »
Comme une bulle d'eau qui, toujours à l'état de menace présente, « romprait » la symétrie d'un cristal sans altérer sa limpidité, c'est cette ombre infrangible, cette différence qui « résiste » à l'indifférenciation jusqu'au sein de l'unité, - c'est elle qui va nous fournir la formule d'analogie de l'Etre à l'Etre. Oublions cet « élément neutre », chimère abstraite inventée par Wronski, mais conservons la différence qui en résultait.
Remontons à la double position originelle : Héraclite, Parménide. On a fait valoir (Kojève, p. 491) (22) que l'Eléate aurait dû, en proclamant : l'Etre est, le Non-Etre n'est pas, observer qu''il y avait de ce fait une « différence » entre eux, et que cette différence participait, à un degré infime, de l'être (et donc rétablissait aussi subtilement le non-être). Mais tout pareillement, quand Héraclite enseignait - par sa dialectique que signalent de nombreuses et splendides analogies - que l'Etre (l'identique) n'est pas, il ne l'a jamais enseigné sans la restriction que l'être est « ailleurs » que dans l'identité. Il eût dû en déduire que le « n'est pas », même ne visant que l'identité, se dissout lui-même. Car le Néant est au travail dans la contradiction, non dans la simple diversité, que ces deux maîtres abandonnent à « l'opinion » vulgaire.
(22) En fait, cet argument a surtout une importance historique : la différence suggérée est toute abstraite, la catégorie de l'être et du non-être n'a pas de substrat. Ce qui en tient lieu n'est pas, en fin de compte, autre chose que la différence elle-même, c'est-à-dire le « temps » qu'il faut pour concevoir et énoncer le jugement qui l'annule, la base du scandale dialectique : « Etre = Non-Etre ».
Leurs grandioses formules, qui ne sont pas encore, lorsque je les considère, l'une la tautologie par excellence, l'autre le refrain des sceptiques, se vérifient et s'annulent réciproquement. Il y a ou il n'y a pas de différence entre l'Etre et le Non-Etre. Mais on peut dire que « l'Absolu » se présente sinon d'emblée dialectique à lui-même, « du moins » analogue, puisque les éléments ultimes de sa détermination se correspondent entièrement comme les membres d'une proportion (c'est le « quaternaire » envisagé un instant par Hegel).
CONGÉ
« Le champ immense de la symbolique, « écrivait Malfatti de Monterregio », est le triomphe de l'esprit humain, car ce que l'hiéroglyphe renfermé contient en simultanéité et en coexistence ne peut être compris par l'homme que par la succession des temps et dans l'extension de l'espace. » Avec moins d'emphase, on affirmera que la dialectique légitime la symbolique, et que la symbolique (analogie) accomplit la dialectique, qu'elle a rendu nécessaire. L'une comme l'autre de ces démarches, - les seules connues - de la nouvelle philosophie spéculative qu'il est urgent de promouvoir hors des écoles, gagneront à « alterner » leurs alternances et à confronter leurs vertiges.
L'analogie « particularise » les connexions de la simple « similitude » puis les généralise (par son aspect inductif) jusqu'à une totale métamorphose où s'effondrent les différences en ce qu'elles
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ont d'inerte, de même que la dialectique « analyse » les connexions de l'ancienne logique, et, dissipant les antinomies qui la bloquaient, assume la destinée amplifiante de la « Raison ».
Pour me résumer en une maxime, « rien n'est le contraire de raison, de comparaison ».
Dans la sphère spéculative, « l'absolu » n'est ni identique ni contradictoire : il est à lui-même ressemblant, homologue, en un double sens descriptible autant qu'inépuisable, dont la portée éventuelle pour l'émancipation de l'Esprit n'a pas à souffrir de limites préconçues.
Au-delà ne règne que la source de toute pensée vivante, et son couronnement : la Poésie.
(Octobre 1964.)
G.L.
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Pierre ALECHINSKY
PAINS PERDUS
1 Elle avait l'oeil grand des personnes qui éprouvent de la peine à réfléchir en silence. Rien d'anormal en somme, ou si peu. On ne croit pas à la mort d'une tortue. Après tout, cette fixité n'était, oui, qu'un simple arrêt de quiétude, un phénomène optique, une allusion à Posada, un miroir pour ma peur, pour rêver ma mort. La vie est parfois si discrète qu'il faut tourner autour, chercher un biais, avoir recours à une dérive mentale quasi professionnelle pour s'assurer de la mort. Mais l'évidence de celle-ci devait m'apparaître bientôt sous la forme d'un signe extérieur : une petite toile d'araignée tendue de la gueule à l'écaille. Et force me fut de penser aux mouches qui viendraient, elles ausi, constater cette mort mais au prix de la leur.
2 Toute sa vie elle crut que sadisme venait du mot anglais sadism.
3 Le peintre qui sort quelques photographies en noir et blanc des tableaux qu'il n'a plus, se sent comme ce prisonnier loin des siens qui montre à l'indifférent des images guindées, sans rapport avec la vérité spécifique de leur sujet : « Grand-mère assise devant la glycine », « Maman sur le seuil », « Père en uniforme », « Fiancée devant un kiosque ».
4 Quelques années avant de mourir, mon grandoncle avait pris l'habitude de me pincer une oreille. La douleur était supportable. Mais désagréable le ton aigrelet et nasillard de la ritournelle qui suivait son geste d'exorcisme : « Petit bonhomme vit encore car il n'est pas mort. »
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5 Lorsqu'elle revint d'une de ses promenades au bois avec le chien, rayonnante ce jour où elle pu le faire accompagner par un petit garçon, elle déclara d'une voix toute encore attendrie : « Quand on possède un chien, on devrait toujours avoir un enfant. »
6 Il croit scandaliser, le peintre, il crache sur la moquette du salon. Mais derrière lui on prélève, on découpe, on encadre.
7 Heerup se promène dans son jardin de sculptures. De la mousse verte occupe le creux des pierres. Il marche avec lenteur, va de l'une à l'autre ; le doigt tendu mais douloureux, trop rose, recouvert d'un sparadrap. Entre le visiteur.
Vous êtes blessé ?
Non, je me suis fait un pansement pour ne pas oublier. Ils m'ont invité. Je dois envoyer toutes mes sculptures à Venise.
L'année suivante. Heerup dans son jardin. C'est l'hiver. Moins dix. Bonnet de laine, lunettes rondes, large manteau déboutonné, culottes de toile cirée, bottes brillantes à semelles de bois. Il tape sur une pierre. Entre le visiteur.
Alors, cette exposition, vous devez être content. Vous avez eu du succès, m'a-t-on dit. Encore bravo.
Non, c'est terrible. Ils m'ont pris toutes mes sculptures. Je ne les reverrai plus. Avant j'en vendais à Copenhague ou dans les environs, j'allais la voir de temps en temps à bicyclette. C'était près. Maintenant, elles sont parties. Loin. Je ne les reverrai plus jamais. C'est terrible.
8 Cette nuit je m'étais promis de me lever et d'écrire une petite note. Je l'avais trouvée à deux pas du sommeil, déjà mentalement écrite. Je tombai le nez dans l'oreiller.
A présent, je ne me souviens plus que de cet ordre que je m'étais donné : me lever. Une
Heerup : Bibliothèque de Cobra - 1950. (image) Le jardin de Heerup. (Photo T. Nielsen - Copenhague.)
(image) (image) Asger Jorn : Paris by Night. (Coll. Marinotti - Photo A. Morain.)
(image) René Magritte : Le Mal du Pays - 1940. (Photo Cooper.)
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résistance aussi. Puis l'apaisement, l'impression forte et prenante qu'après tout, la qualité de la petite observation que j'avais trouvée était telle qu'il ne fallait point se plaindre de son caprice. Le matin me trouverait dans un état, mais oui évidemment, où je n'aurais plus qu'à laisser courir la plume sur le papier frais.
9 Avec son tableau Le mal du pays, René Magritte a fait tomber sur une modification d'Asger Jorn tout un pan de ma mémoire. Je parlais d'un tableau que je croyais pourtant connaître : « Mais oui, Asger, tu vois ce que je veux dire, ce type accoudé à un pont, avec un lion... » Or, c'était Paris by night sans le moindre lion belge mais peut-être avec la même personne accoudée au même mal du pays. C'est Freud qui nous a appris à ne douter de l'existence des lions que dans la réalité, ils ne sont immédiatement présents que dans les rêves et dans les tableaux où ils n'ont pas été peints.
10 Cette terreur qui vous prend lorsque vous écrasez de la semelle un petit animal bien en chair... Par réflexe vous avez déjà levé le pied mais c'est trop tard. Point d'orgue ! Vous êtes en porte-à-faux avec un formidable dégoût au ventre.
Mais comme, les yeux fermés, vous imaginez l'irrémédiable (une bouillie de sang), vous êtes hors d'état de découvrir cette capsule en plastique, cartilagineuse, vaguement incolore et en forme de chapeau, tombée d'une bouteille de vin rouge ordinaire.
11 Je m'étonnerai toujours en lisant une épreuve, de la netteté des phrases imprimées. Comme si le choix des mots, leur distribution, l'ordre des idées n'avaient donné lieu à aucune hésitation de la main, à aucun autre flottement de la pensée. Disparus, les signes du balancement continuel devant le oui-non des mots, et totalement, la phrase reniée qui était pourtant bien vivante sous le trait qui la barrait. Le manuscrit hors vue, l'écrivain, le lecteur ne lit que de l'imprimé sur de l'invisible. C'est
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une surprise pour le peintre qui écrit. Il a d'autres habitudes : sur sa toile qui deviendra tableau ce sont au contraire les ratures, les repentirs, les taches et celles aussi des effacements qui forment une part émouvante du visible.
12 Et toutes les figurines de Reinhoud, en voilà qui sont vouées à la destruction. Elles sont en mie de pain. L'érosion domestique, l'émiettement auront raison de cette minorité ethnique qui peuple les planches de ma bibliothèque, la table et le dessus de l'armoire. Les petits nains de notre enfance sont enfin descendus de la montagne pour nous aider au ménage, mais ils n'ont rien fait. Ils sont immobiles et narquois, piteux et vieillis. Ils n'ont rien fait, ils sont aussi paresseux que nous. Ils ont la même mine déconfite. Certains rêvent, les fanfarons, à leur immoralité de bronze. Le bon géant Reinhoud y pense parfois.
13 J'ai connu quelqu'un qui croyait que progrom était un pas de valse des années trente.
14 Au Musée du Jeu de Paume, Pol Bury observa un aveugle qui se faisait décrire tous les tableaux. Il paraît, me dit-il, que c'était un passe-temps chez quelques prisonniers d'un stalag, jouer à reconstruire avec des mots un tableau dans ses moindres nuances et détails. Peut-être était-ce un de ces hommes-là, maintenant infirme, revenu contrôler enfin le souvenir d'une ligne, d'une tache ?
15 On m'avait prévenu. Je suis impardonnable. On m'avait dit que dans Ulysse, James Joyce n'use qu'une fois du mot merde mais placé d'une manière magistrale, « inoubliable une fois lu ». Une fois lu.
J'ai dû être distrait. D'autres mots, l'environnement. J'ai dû glisser dans une fatigue, encore tomber, victime peut-être de ma tâche aveugle ou d'une coquille. Bredouille. Mauvaise semaine.
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Guy CABANEL
L'odeur d'une langue de fer Il parle avec la voix des fauves, disant les mots qui broient. Il mâche du verre cassé, s'ouvre pour peser les nerfs. L'orage passe, sa main sort de l'eau, étreignant la soif de vos pensées. Au fond de vos gorges rauques, il trouve les sons verts, écoute la voix qui tangue. Il vous lie dans la fièvre où sa bouche forge l'espace strident qui trame vos clameurs. Le voici rutilant de la pluie qui mousse. C'est le froid aux genoux, la liqueur mûrie dans le coude. Un lézard bleu se tord dans le feu suspendu aux aisselles mordille votre peau. La grêle dans sa gorge martèle vos os. Saveur d'une soie, écharpe, file au vent ! La fumée s'élève, qui ne s'évapore ?
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L'odeur de ta pudeur La pudeur du soir que traverse l'oiseau repu, l'enjeu sur l'eau délivrant la main scellée qui bat, coulent, saphirs. Fulgurante et noire, masse ? Bleu rauque, l'épaisseur du trait lancé dans le dos, le bas sauvage où souffrent tes pudeurs. Fausse biche, l'air gratte le front, fers ensablés. Ton sang expira-t-il des sueurs mandchoues ? Chiens, strix, mordus de terre au pied des persicaires, fleurs du dégoût. La folie courte froisse l'oeil, entre deux soies, fournaise des pudeurs. L'odeur fauve Les fourmis rôdent sur l'herbe où tu rugis, lion blessé ; le feu jaune court entre tes griffes carminées. Belle amie brune au ventre carmin, flèche piquée dans le bouclier ? Pas de bouclier ! Mouche piquée, sous ce regard, êtes-vous nue ? Douceur des chats. La nuit vacille entre deux monts, entre deux algues elle tournoie. De vous à moi, langues brûlées, l'or vert est délicat.
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(image) Toyen
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SILBERMANN et Cie
Relations publiques
(image)
« ... La même magie bourgeoise à tous les points où la malle nous déposera ! Le plus élémentaire physicien sent qu'il n'est plus possible de se soumettre à cette atmosphère personnelle, brume de remords physiques, dont la constatation est déjà une affliction. »
A.R. (Soir Historique.)
ENSEIGNE POUR UN ASILE DE NUIT Vêtu d'une pélerine blanche, dans une prairie où jouent des chevaux et des enfants très blonds, un vieillard « calme et beau » est assis en tailleur sous un oranger au bord d'une rivière où se baignent et se chamaillent les fées.
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AFFICHE POUR LA FETE DES MERES Deux boeufs, vus de face, portent un joug dont la partie supérieure constitue une planche à pain avec couteau basculant, miettes et guignons secs.
DISPOSITIF DESTINÉ A DISTRAIRE LES CLIENTS D'UNE ENTREPRISE DE POMPES FUNEBRES A LA CAMPAGNE Faire construire une haie d'ossements poudrés d'or dans lesquels l'écho fait son nid parmi les oiseaux verts.
ENSEIGNE PEINTE POUR UN BAL DE LESBIENNES Horloge de campagne en mer. A la place du balancier une jeune et belle femme endormie est pendue par les pieds. Son visage apparaît aux creux d'une vague faite d'oies blanches dont les ailes talochent furieusement les fesses du couchant.
ENSEIGNE POUR UNE MERCERIE Tête de chien danois tenant dans sa gueule un gant d'enfant dont l'extrémité du pouce, percée, laisse voir la peau d'un doigt.
PROJET DE MASQUE A PORTER DANS LA RUE PAR UN OBSÉDÉ SEXUEL Prendre une paire de lunette ordinaire. Fêler légèrement un des verres et le réparer à l'aide d'un morceau de papier collant transparent.
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FILM PUBLICITAIRE POUR UN BOTTIER Montée sur des jambes orthopédiques, une belle passoire chromée, dans laquelle s'égoutte un pied d'homme bouilli et ficelé, titube dans les vallons. Elle vient soudainement buter contre une troupe de petits cochons en peau de porc. Le pied tombe dans l'herbe. Les petits cochons le mangent.
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MONUMENT SYMBOLIQUE POUR UNE SOCIÉTÉ SECRETE ET LIBERTINE Tas de papiers consumés (mais non encore réduits en cendres), duquel émerge une grande fourchette (un mètre cinquante environ) portant à son échelle, et piquée de justesse dans une de ses dents, une fraise des jardins en matière plastique inaltérable.
POUR UN ÉTABLISSEMENT THERMAL Faire creuser un puits en forme d'oeil, conçu de telle sorte que le seau que l'on remonte en constitue la pupille.
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ENSEIGNE POUR UN PRESSING Sur le balcon qui fait intérieurement le tour d'une piscine désaffectée, les portes des cabines sont ouvertes. Toutes les cabines sont vides, à l'exception d'une seule, cependant, dans laquelle une jeune mariée accompagnée de sa petite fille d'honneur froissent leurs toilettes en des gestes sournois. Agenouillé dans une flaque d'eau de ce qui constituait le « petit-bain », un prêtre catholique prie. La piscine est entourée d'un fil à linge sur lequel sèchent des peaux de lapins.
AFFICHE POUR UN FABRICANT DE ROUGE A ONGLES Sous un gibet dont les cordes oscillent sous l'effet bien connu de la brise du soir, une femme, mystérieuse en robe de bal, tente, à l'aide de l'ongle laqué de son pouce, d'extraire une punaise à tête blanche plantée dans la semelle de son escarpin.
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PROJET DE COUVERTURE PHOTOGRAPHIQUE POUR UNE REVUE DE MÉTAPHYSIQUE AMUSANTE Une gitane portant dans ses bras un petit chien roux parle à l'oreille d'une autre gitane qui tient dans sa main, et sans avoir l'air d'y penser, un moulin à café électrique dont le fil pend jusqu'à terre.
ENSEIGNE PEINTE POUR UN HOTEL DE PASSE Un rossignol chante, perché sur une branche de pommier en fleur.
ENSEIGNE POUR UN PLOMBIER-ZINGUEUR Dans un grenier, allongée sur un sommier pendant une averse, une très jeune fille, sa jupe légère relevée, l'index passé sous l'élastique de la jambe droite de son slip de coton blanc, se caresse. De temps à autre, une goutte d'eau tombe des tuiles disjointes du toit, et roule sur la petite gouttière qui joint la naissance de la cuisse au pubis imberbe de l'enfant.
PETIT TABLEAU PROPITIATOIRE POUR UN BRACONNIER D'immenses ciseaux de givre se dressent au-dessus d'une forêt. A l'arc-en-ciel qui en écarte les lames pend, par une corde qu'on ne voit pas, le noeud coulant de la lune en plein jour.
CARTE DE VISITE GRAVÉE POUR UN VAGABOND Elle représente un lion endormi sur un beau feu de paille au bord d'un fleuve où une femme se noie.
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HERVÉ DELABARRE
Le lynx aux lèvres bleues
(Extraits)
« La clématite rougit dans le soleil du soir » entendis-je chuchoter derrière moi.
Mais l'appréhension gagnait les coeurs des frigidaires faisait ruisseler les barbes des gardénias en fourche teignait les pistils séchés des garde-manger de boissons tropicales qui explosaient en maelstroms de fourmis rouges aux pattes léchées du miel déversé des clovisses.
Le chemin se ceignait la taille d'adieux émouvants prononcés par la voyelle O tombée d'un Baobab dont je n'apercevais que les cornes juchées sur un cheval d'arçon.
Maintenant les roues des automobiles traçaient au rythme accéléré de leurs élastiques des tourbillons de viande où tournoyaient les robes déchiquetées dont les baisers se fracassaient dans le vide creusé des naufrages aux voix de pêches montant la garde sur la pelouse d'une église où poussaient des momies.
Escorté de méduses dans ce moment suprême je pénétrais sous la voûte ancestrale aux coeurs d'artichauts fous qui me tendaient les bras.
Le vent de son côté saluait les retombées radioactives des tubercules à voiles de mariée qui ensanglantaient les pichets de vin aux yeux masqués des goémons.
Saisissant ma colère aux support-chaussettes sur le canevas en soie des magazines livrés au déferlement des guerres je mis alors le feu aux robes des officiantes pour progresser plus loin encore dans le solfège chutant des poutres sous les crocs d'un chien vert au visage empaillé et aux quatre yeux retournés à l'intérieur d'une boussole dont l'aiguille ne cessait d'entailler l'épi rocheux qui m'inondait de sa laitance.
La mer donnait encore sur l'horizon inconnu impassible ses coups de revolver frappant les nattes des orphelines éclatantes du rire immaculé de leurs bustes.
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Le triomphe écarlate de la blessure aux lèvres regagnait du terrain tout au long des dominos blancs où s'avançaient des mains tranchées descendues des fenêtres perdues au « Bar des Six Péchés ».
Je franchis la lucarne emjambai quelques têtes de mort et me retrouvai au comptoir accoudé là et attentif devant l'archéoptéryx.
Ce dernier m'offrit un verre après avoir levé la jambe au-dessus du Panthéon et fracassé la vitrine d'une Faculté de théologie dont j'ignorais jusqu'à ce jour les taches de rousseur nourries de pain d'épices.
Sortant son noeud lavallière il me dit :
« Il n'y a pas de clients ici Il n'y a jamais plus de clients Les pins de sucre sont une sale invention Incapables de nous garantir des allusions perfides Prononcées par la Municipalité de Knock-le-Zoute Nous n'offrons que des bêches de pile de face de belles émaciées Salées dans les amandes douces Pour les amateurs d'érables et de segments de droite Avez-vous vu à l'horizon où il est tache de puma de son... J'attends quelqu'un l'interrompis-je sous les éclaboussures de chiendent qui me montaient au nez. L'archéoptéryx se retira dans le tiroir-caisse m'abandonnant à la contemplation mélancolique des bombes rangées sur les étagères. La soif de la neige S'épuise et meurt près de la mer La marche lente et secourable des ceps sur les épines du sable Renverse les conciliabules déroutant des crayons à bille Pourris par une philosophie glanée aux portes des cafés malsains Dans les kiosques à journaux Sur les grabats aux lèvres peintes Où s'enlise la charpie des mèches Courant sur les gouttières Où les marchandes de galette énoncent la Bonne Aventure Aux trombones souriant dans le déferlement des olives noires Reprisant les chaussettes des condamnés au bagne Mais la rue tourne à droite qui se succède à gauche Le jour est toujours à l'abri des souliers ferrés Au coeur des fauves lancés à la poursuite de leur proie L'onde vient pour nous nourrir de dés à coudre Et leurs yeux réveilleront l'écho Des poupées mécaniques livrées à l'accélération des vents La rose tatouée sanglote sur les linges des échafaudages Là il nous faut nous pendre au moins une fois l'an. »
Je me retournai vers la visiteuse aux dents longues et dont le seul sourire me peignait les artères d'un flux d'aiguilles blondes dévalant les ravines où les colombes se culbutaient à la rencontre
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d'un cercueil disponible où je devinais ma peau tendue à l'angle Six de la fenêtre qui bavait les miroirs de mes fourrures en cône.
Je lui souris à mon tour de mes trente-huit dents en position d'attaque n'en conservant que deux pour dégarnir son cou du collier en éruption figée de chiffres cabalistiques.
« La Vénus Rouge est-elle donc semblable aux pointes de corail sur un tapis d'échecs ? » prononçai-je épaulant un renard au-devant des six croix dont le point convergeant pénétrait dans ma chair de son oeil de cyclope aux jarrets ramassés dans l'acier blanc des forges où je basculais sous son poitrail fumant de femme offerte aux ouragans d'huiles chaudes.
Elle s'approchant de moi de ses mille anguilles de roche venues des citrons verts :
« Je te rejoins pour les verres d'alcool Dépensés et péris dans les papiers-buvard Sous les lacs incendiaires où succombaient nos châles Dans la course fuyant désespérée et veule des amis Reprenant le chemin de la Morgue Où demeurait notre vêture d'un très lointain apprentissage
Ses yeux maintenant s'ouvraient aux miens. Dans le déferlement de leurs jarretelles en ouragan j'engouffrai mes pupilles dans l'éblouissement des piranas de ses paillettes dont les multiples ouïes accéléraient la course des chevaux de bois où ma tête enivrée et claire montait à la corde.
Je te reconnais lui dis-je Tout au long du couloir où disparaissaient les femmes Happées sous les mains des rideaux Devant le Maître d'hôte Distant sous son rempart de pinces à sucre Au sourire à peine esquissé De pochette prête à se teinter de sang Qui nous conduisait vers je ne sais quelle mort C'est toi que je cherchais Présence aveuglante dans la pièce en cristal taillé Où dans un coin sur une chaise La forme sombre Retenait seule les derniers sortilèges M'empêchant de fracasser le silence Environné de mouettes et de bigoudis Où tu vivais à des millions de kilomètres dans le saut retenu Qu'importait alors Qu'un gant eût écarté la tenture qui me séparait de toi N'obéissais-tu pas au signe d'une force qui m'était étrangère Que je devinais ennemie Pourquoi m'était-il permis de te voir Quand tous les autres avaient péri dans ton cri Surgi d'un écran sombre dont ils ignoraient la présence Dans cette peur inexplicable qui les forçait à avancer
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Je suis le périple obscur Où tu pousses tes colombes décapitées Pour mon regard qui s'éveille et découvre la vie Où la Dame de Coeur a pour moitié de corps le Valet de Pique Sur les murs blanchis à la chaux Où le Diable Noir se profile J'unis mon profil solaire à ton ombre Les enfants décloutés murissent pour nos croix Mon corps aiguise les coins où ils s'adorent Où je m'aime ta proie Sous ton obscur régnant de bourreau que je fume Où tu es la blessure que sans cesse je te porte A coups d'ongles criblés d'étoiles barbelées Eternellement consentants Dans l'assassinat et la torture Que nous perpétuons l'un sur l'autre Au fond d'un monde tué Sous nos souffles et nos délires Qui corrompent toute vie étrangère à l'amour »
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ROBERT BENAYOUN
TROP C'EST TROP
(Pièce injouable)
La scène représente le palais du roi Arthur à Camelot comme peut se l'imaginer un pygmée daltonien du Demi-Sikkim.
Frigidaires, cocottes en papier, et sibylles en salopettes.
Entre VARECH : Il est vêtu d'un uniforme de gaveur d'asperges, mais on comprend dès le premier coup d'oeil que ce charmant garçon est un magnat de la chaussure en tenue dominicale, à l'heure du petit déjeuner. Il s'assied sur une chaise en donnant à entendre qu'il pense à l'avenir. Son chien TRICOT, interprété par un hépatique en costume de chimpanzé, s'accroupit à ses côtés en se curant les ongles d'un air fat.
TRICOT : Puis-je me gratter l'oreille gauche ? VARECH (il fait signe que oui) : Non.
Ils s'immobilisent tous deux complètement, le regard noyé. De toute évidence, VARECH vient de prendre l'irrévocable décision de couper les vivres à son fils RROYCE, un peintre paysagiste des Cévennes qu'il adore, mais dont la peinture irrite TRICOT. Ce dernier, engagé par la Métro-Goldwyn-Mayer pour jouer le rôle du Chien des Flandres dans une mise en scène de Dreyer n'a visiblement pas appris son texte, et médite un nervous breakdown.
Ces deux tempêtes cérébrales peuvent être exploitées dans un jeu de scène discret, pendant quarante minutes de silence total, à peine ponctuées par les timides demandes d'explications d'une spectatrice mélomane, qui se croit à la salle Pleyel.
La somnolence de TRICOT est accentuée par le passage à l'avant-scène de l'express Nice-San Francisco, dont les lumières ont un effet presque hypnotique sur le souffleur. Le directeur vient faire sur place le compte des dégâts.
Profitant de cette accalmie, un cyclone des Açores, importé en
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grand hâte pour la première, fait tournoyer au-dessus de l'orchestre, sans le moindre égard pour leur différence de gabarit, des poids sphériques de bronze et de plomb, dont certains lui échappent de droite et de gauche. Par mesure d'économie, le metteur en scène peut exiger que ces poids soient figurés par des structures de carton peint, à condition qu'elles aient le poids requis (affaire de lest), et qu'une bande magnétique restitue le bruit de chaque poids lorsqu'il atteint le point d'impact.
La parole est donnée pendant une demi-heure aux critiques des trois premiers rangs de l'orchestre. Elle leur est retirée au fur et à mesure qu'ils ouvrent la bouche pour parler.
Entrent MM. FIDEL CASTRO, FRANK SINATRA, FRANÇOIS MAURIAC, GROUCHO MARX et ALPHONSE JUIN, Mmes MINOU DROUET, EDWIGE FEUILLERE et JAYNE MANSFIELD, interprétés par leurs propres personnes. Si le directeur se refuse à engager ces noms prestigieux, il devra renoncer à représenter Trop c'est trop. Il y renonce.
LE METTEUR EN SCENE : Mesdames et messieurs, à notre grand regret, nous ne sommes plus à même de représenter pour vous la pièce Trop c'est trop. Nous vous rappelons qu'il s'agit, de l'aveu même de l'auteur, d'une pièce injouable. VARECH : Comme le disait si joliment Urgande d'Ogoué : Ce ne sont pas les chiens qui font les meilleurs chiens. Ou était-ce un bon mot de Dora Dunquerke ? (Il se prend la tête à deux mains.) LE METTEUR EN SCENE : Veuillez avoir l'extrême gentillesse de vous retirer sans protester devant l'assurance catégorique que les recettes non remboursées seront versées intégralement à l'oeuvre de la Goutte de Gin. UN SPECTATEUR : Je n'avais pas l'honneur de connaître cette oeuvre, mais j'y souscris fort volontiers cette bouteille de gin, à peine entamée, et que je destinais à ma grand-mère.
Toute la salle se lève et applaudit.
A cet instant précis, le printemps éclate en fleurs, les hirondelles rappliquent en formations serrées, et les neiges fondent avec un bruit de marmelade. Trop c'est trop sera pour cette raison apprécié tout spécialement en plein hiver. On ne devrait en fait le représenter qu'à partir de cinq degrés au-dessous de zéro.
VARECH (se creusant la cervelle) : Etait-ce Crémone d'Escarcelle ? Calixte de Moyeu ? Obole d'Arlincourt ? Gertrude Pronom ? Clotilde d'Inverness ? Liasse de Pléthore ? Entrave Lagrenaille ? Daisy Tsé-Tsé ? Giberne d'Hévéa ? Agnès de Babiole ? Moufle Dumdum ? Aumone de Muscat ? Adorée Madrépore ? Oeillère d'Alcali ?
Les spectateurs emportent le RIDEAU.
(image) Remedios Varo
(image)
Page précédente :
Nature morte ressuscitante.
(Voir deuxième page de couverture.)
Ci-dessus :
Internat ambulant.
Ci-contre :
Locomotion capillaire. Une femme est enlevée ; les trois hommes sont des détectives vêtus de manière à ne pas attirer l'attention.
(Documents transmis et commentés par Walter Gruen.)
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Gherasim LUCA
JE T'AIME
Quelques objets tendrement hétéroclites tels que le bouton de corsage ou de sonnette, une toile d'araignée entre les dents du peigne, un savon à côté d'un inconnu ou d'une bague, et la mythologie de l'orgie s'avance vers la signification voluptueusement moderne des fétiches, des choses qui se passionnent et s'entretuent pour les choses, et puisqu'on sait que l'eau aime se noyer dans la flamme, la voix s'entretenir avec l'écho et que vivre en effigie comme l'entend l'acier ou évanouie comme la plante n'est finalement qu'une façon de vivre, je pénètre dans un nuage de gestes immobiles, respire le brouillard que deux objets enlacés émanent et parfument, écoute les cris d'amour des atomes et rien que pour voir la gerbe de leur sang j'enfonce mes dents dans un morceau de bois, de pierre ou d'étoffe, moi-même un mouchoir parmi ces objets de chair dont la poitrine me semble assez généreuse pour que j'ose y cacher mon visage, étouffer un sanglot plus allusif que réel, plutôt impersonnel et idéal, avant de poursuivre ma route sans issue à travers ces objets en pleine érection, en pleine certitude, et pendant que le long d'un couteau insoutenable mon sang plus incertain que jamais s'écoule goutte à goutte, le leur jaillit mais retourne en eux-même au rythme du spasme, du rire et de la volupté, sang sur sang comme après le viol, la violette, comme le sacré dans le massacre où la chaise prend entre ses lèvres la langue de l'oeillet, entraîne celui-ci dans sa chute et roulent ensemble sur un tapis vivant d'où une vapeur d'extase et de folie monte, où le peigne caresse les joues d'un miroir qui reflète non pas l'homme, le décevant, mais l'objet, l'inespéré, les objets dépeignés, dénudés, délivrés, carnivores, magiques, femmes au nombre illimité de sexes, secrets que leurs propres voiles dévoilent, désirs froids et vitreux, foudre, masque d'avalanche virtuelle où la neige n'est rien d'autre que le vide, masque automate, chaise automate, fleur automate répandent dans une chambre automate une odeur automate, Héron d'Alexandrie, Bacon, Van Helmont et tous les constructeurs d'automates auxquels je pense lorsqu'en regardant un objet j'y vois un miroir qui me regarde, en visant une porte, une armoire, une poupée de cire, je les rends automatiquement automates, des golems ténébreux et sublimes les animent, le désir, toujours disponible, et le plaisir, toujours surprenant, y sont simultanés, toucher à une fourchette c'est déclencher un réseau de possibilités, une usine d'interrogations, d'impulsions et de spectres se met immédiatement en marche, et si de mon oeil en métal d'outrevue je la fixe, elle s'endort, fascinée, la fourchette, elle avance, somnambule, dans la pièce, appuie, en passant, sur des sonnettes et de ses longues dents de rhinocéros elle m'embrasse passionnément
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sur la bouche où, peu après, elle pénètre, la fourchette, la lune, un verre d'eau et n'importe quoi ne sont que la bille qui joue avec un enfant avant de l'étouffer, les objets se rencontrent, se dévisagent, se respirent et, une baïonnette et une hirondelle au fond de leur coeur, se séparent, tournent le coin de la première rue à droite et à gauche où, tout noir, un verre de lampe cajole la peau d'antilope d'une ride ou se jette tout nu dans les feuillages, et si au lieu de l'arroser comme un jardin je le pose sur mes genoux à côté de la foudre, tout saute, et les automates me croisent, me frôlent, me transpercent, je me frotte contre eux des deux côtés de ma peau, je me cache derrière la porte pour que la table se mette à ma recherche et sous la table pour que le canif m'oublie, à ce jeu tendre entre non et non participent la forêt, les éléments, les quatre oiseaux de proie dont le plus féroce est la solitude, participent encore mon collier de perles, mes gants noirs, ma pâleur et l'écho, tel un phare ou bien l'agonie, le clitoris voluptueux de cet écho éclaire ma chambre et comme si de rien n'était, un plateau glisse de l'armoire par terre et de là directement dans le néant d'où il ramène à mon souvenir la vieille sorcière qui dans mon enfance m'avait guéri de l'épilepsie en se servant de deux pailles d'un balai et de quelques grammes de plomb, et si au lieu de tomber la cendre de ma cigarette montait dans l'air, elle aurait pu être l'arbre vibrant où l'oiseau de poussière chante d'une voix inflammable, le virus de cette voix, ses mouvements de fauve infinitésimale, ses bonds en deçà du réel, indécis, palpitants, son retour à la flamme, les glissements de terrain dans l'allumette qui craque, la défense d'afficher du compas, l'entrée strictement interdite d'une dentition, la sortie par la porte de secours des fenêtres ou l'entrée par l'escalier de service des cailloux, qui sont autant de manières de surmonter les tabous, autant de couloirs donnant à notre démarche la fraîcheur d'une meute de loups pourchassant un traîneau et si, pour mon usage personnel, un peu de dynamite s'apprivoise comme un petit tigre alors que, par contre, ma cravate n'attend qu'un moment d'inattention de ma part pour me sauter à la gorge, c'est sans aucun scrupule que je lancerais l'axiome : deux glaces posées l'une en face de l'autre réfléchissent une troisième, une quatrième, une cinquième, et c'est dans la glace que je me baigne, c'est sur la glace que je m'endors, tous les objets qui m'entourent sont des glaces qui renvoient à l'infini leurs images, parfois la mienne dont les os palpitent sous leur peau transparente, tous mes nerfs dehors, drapeau hissé à la fenêtre, et mon oreille collée au mur pour que je puisse entendre le galop éperdu des briques qui approchent, et je me demande : me suis-je vraiment écarté du lieu et de la durée de mon enfance ? ne suis-je pas en train de courir le monde sur un ridicule cheval de bois, enivré par le cliquetis des sabres, les chants de guerre de ma fièvre et la coupe de sang que, de l'intérieur, mon souffle porte à mes lèvres, alors que dans mon lit que toutes sortes de massacres ravagent le peigne et la chevelure s'accouplent scandaleusement comme des serpents ?
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PASCAL COLARD
TOTEMS
Comme le brouillard caressant les parois du ravin pour leur rendre leur lustre attaqué par la poudre des fusils des chaseurs du dimanche comme le requin se ruant sur l'agneau de mer en mettant les vents sous-marins de son côté comme quiconque a réussi à pénétrer dans la forêt aux arbres creux remplis d'eau de feu et a décidé de ne plus revenir en arrière comme celui qui en possession d'un kilo de plumes croyait pouvoir l'échanger contre un kilo de plomb afin de se l'attacher au cou pour en finir une bonne fois pour toutes avec l'ordre établi comme le loup qui aime la chèvre au chou comme l'oeil fixé sur des jambes de femme inconnue en train de remonter à la surface comme un gros titre de journal annonçant que des missionnaires viennent d'être dévorés par les Jivaros j'arrache une page à mon calendrier et je te remets à l'ordre du jour
VOYAGE ORGANISE
La corde au cou comme un pense-bête c'est tout ce qu'on trouve dans ses yeux le matin les lunettes focales sont restées dans la plaine où l'herbe n'est ni bonne ni mauvaise mais bien heureuse de pouvoir cacher les trésors de la fuite qui m'a fait faux bond au dernier moment en laissant la place à une ligne de chemin de fer bordée de bouteilles vides qui n'ont même pas endommagé les avertisseurs universels empêchant de se mettre dans sa propre peau qu'on retrouve chaque fois plus peitte prenant l'aspect d'un vêtement de confection en bonne et due forme avec une belle étiquette à l'endroit du coeur
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PIERRE LOUYS
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Dans la période qui s'étend entre Gamiani et Histoire de l'Oeil, Pierre Louys apparaît comme l'un des très rares qui aient évoqué l'érotisme avec le sérieux requis. Nous avons déjà eu l'occasion de lui rendre hommage (Médium, n° 2) : les deux sonnets que voici, exhumés d'un recueil impubliable « dans l'état actuel de nos moeurs », et paru naguère en fac-similé à un très petit nombre d'exemplaires, prennent place de témoignage aux côtés du texte de Paul Nougé et de l'enquête sur « les représentations érotiques ». Leur force d'impact ne gagne ni ne perd au fait que Louys ait été, avant Paul Valéry, parmi les derniers « grands tenants » du strict alexandrin.
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JOSÉ PIERRE
L'ANCIENNE LIGNE BLEUE DES VOSGES
Cette année-là, à la suite d'une résolution adoptée par la majorité des communes intéressées, il fut décidé que la fameuse ligne bleue des Vosges deviendrait une ligne jaune. Or, comme tous les automobilistes le savent - ou du moins ils devraient le savoir -, il est interdit de franchir une ligne jaune, même sous le prétexte futile de dépasser la voiture qui roule devant la vôtre.
Aussi le Syndicat des Camionneurs Errants résolut-il, au cours d'une séance houleuse et chargée d'électricité, de boycotter la ligne jaune des Vosges et par conséquent d'emprunter une autre voie - toutes les autres voies, s'il le fallait, à l'exclusion de celle-là ! Décision unanime qui engageait, faut-il le préciser, non seulement les délégués présents mais la totalité de leurs mandants et même un certain nombre de sympathisants.
Abandonnée par les camions, ignorée du trafic routier, la ligne jaune des Vosges se sentit devenir si légère que cette sensation gagna bientôt la chaîne tout entière. Insensiblement au début, puis en s'accélérant, une allégresse aérienne s'empara des Vosges.
Et c'est ainsi qu'un jour, avec leurs sapins, leurs lacs et leurs troupeaux, les ballons des Vosges se mirent à flotter dans l'azur, à peine retenus encore par le mince cordon de cette ligne jaune d'où leur était venu tant de légèreté. Géographes et cartographes furent bien obligés d'enregistrer cette soudaine fièvre de croissance d'une chaîne jusqu'alors renommée pour sa pondération. Le tourisme en reçut une impulsion régénératrice et surtout - ce qui rassura les philanthropes alarmés - l'eau-de-vie de mirabelle n'a jamais été meilleure que depuis lors.
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JEAN-PIERRE GUILLON
3e REVE ET NAUFRAGE DU MULTIPLE BLANC
« Les hommes du rêve vivaient cent millions d'années ; chacun d'eux avait vingt ans : c'était l'âge souhaité par Avalcanti lors de son voyage en 1629. »
(Phrase de rêve, août 1963, Los Boliches.)
Claquemuré Sous une fenêtre Aux rideaux d'ourlets d'azur Le Multiple Blanc S'écartèle dans les roseaux Et le jour Ajourne ses paupières de lin Vengeance Epars sur le mur Ombelle des doigts Sagaies pleureuses entrelacées Tout cela c'est ma main dans tes mains Le parquet aux mèches d'angoisse folle Frissonne A son entrée la lave Ploie Sous le multiplicande de verroterie Basanée par les sanglants appels à la provocation Aux terrasses des cafés Le Multiple Blanc Sort de la nuque du tourteau Qui demande grâce Pâle dans son gilet de cuivre Et de coucou lunaire Il terrasse l'assassin De la déchirante arachnéenne Qui s'écrie Vol des fées Escarboucle à tes oreilles Ecartèlement des chairs Au sang impénétrable Où les digitales S'amusent à faire tomber le fardeau des primevères Sauterelles des jupes
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Mains des belles déshabillées C'est l'orage Cette fleur où je noie la pustulence de mes jours creux C'est l'éclipse Cette femme aux seins de gerbes de bris de verre C'est l'éclipse Et je vous en fais don Entortillé Dans les sous-vêtements de soie bleue De l'épouse du renégat Il pleure Ses yeux A la couronne de sang sur des cristaux de neige Perdus Dans le tourbillon des tulipes La guêpe Qu'il engonce Et plonge dans le sous-main S'échappe Et troue la chasuble des jérémiades L'alcool Aux yeux du Multiple Blanc
TINTINNABULE
Sur ses jambes d'étoiles filantes Qui s'étirent en cherchant leurs faux-cols Et la colère Découvre ses miroitantes femmes Au front Glacis De la perche des fèves qu'il leur tend Il les déshabille Dans la soucoupe aux grouses d'allumette De ses mains Jaillissent les revolvers Quand la nuit Pétarade Ses grands lilas de nuit Et décompose Ses mille scintillantes hanches de femme Dans la pupille du grand Multiple Blanc Qui rêve La belle Arantèle nue Folle des caresses du vent Le long de ses cuisses semées de liliacées Attire Sur son lit de fougère Les mains coupées
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Du Multiple Blanc Qui flottent Dans la blancheur d'un gant de gaze
ET LE REVE INAUGURAL DU FOU
Il fend l'ombellifère hardi des nonnes Et s'envole En pensant au paradis perdu Paradis des poupées Katchina Paradis perdu des terrines du hasard Au café de gorge à Nantes près du port Où s'effilochent Les claquements des drapeaux tricolores Enjolivés D'excréments de volatiles sous-marins Au réveil La peur Perchait son oeil falot Sur les dentelles d'Avalcanti
(image) Serge Coujati
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ANNIE LEBRUN
LE CARREAU SANS COEUR
Bien sûr les coquilles de tes genoux sur mes yeux à l'aéroport Et tout s'enroule dans les bras croisés de la veste jaune et bleue du sommeil Pourtant la gifle bleuie de la résolution des automobiles La lèpre des doigts comptés des cigarettes qu'on pose une à une sur la rétine du matin Le cahotement du temps pour la parade sur la courte échelle des vingt-quatre heures En lissant la dernière lame de ta langue sur l'asphalte tremblante de mes oreilles Je garde une préférence inconditionnelle pour la durée du jeu de mes doigts à saute-mouton dans la laine de ta chaleur Il ne s'agit déjà plus de tendresse Le spectacle s'enfonce dans le théâtre où le feu de la hache est au centre de la bille de bois Si les bateleurs du coeur vivent vraiment à la crête de l'obscurité des embardées du vent C'est à eux que je jette la poignée d'herbe rouge arrachée aux fibres de la vitesse La fièvre sans fureur des femmes-louves de la savane Mais la mise à jour se confond avec la pauvreté des bâtons d'écriture bien empaquetés Les pneus dispersent la petite monnaie de mes ongles d'avant le jour Les cerises éclatées des lumières en chaîne filent sur les gaules des ravaudeurs de linge noir La boue du Rhin monte en serpent d'automne autour de mes jambes croisées haut sur la dernière cervelle des draps gonflés Et les quatre directions du décor glissent impondérables entre nos bras en écharpe Je voudrais tellement être toi sous la barrière de craie dessinée sur le feutre de tes reins A l'ouverture des portes de verre de ton retour T'accompagner dans la confusion des cannes croisées Comme le cliquetis des cailloux blancs dans la bouteille de vin rouge
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Comme le petit haricot qui germe sous le troisième doigt de la main en gants blancs Comme le marc de café que tu lèches sous les écailles des rues malfamées Je voudrais tellement accrocher les mauvaises pistes dans les paniers que les putains jettent en riant sur les grabataires Mais accroupie sous les bâtons de chaise de tes épaules Je supporte si mal le bruit des voyages
L'OEUF DANS L'EAU
Les tisserands des jours de fenêtre brisée lissent pour moi les moustaches de la loutre marine La voiture file dans le désert à la vitesse des crécelles du vin mousseux Je me retourne dans les tournants de la mer déferlée des orgues de sel rouille Car la vision est possible au fond des boîtes de lumière noire où les acrobates s'étranglent sans filet rouge Je ne décris rien Je vous demande seulement de ne pas manquer de louer vos phares pour écarquiller l'eau qui dort Quand je tiens sous la lanière de mes talons de sarcelles les lions apprivoisés dans la conque du téléphone Vous souriez Mais je claque évidemment la porte du matin sur la langue en fer de lance des jeunes repasseuses Que l'on brode à six sur le rebord du lit familial Le soleil enfonce ses peignes dans la taupe de nos nuits Mains ouvertes des morts sous les feuilles de la forêt auxquelles j'agrippe mes langues obsédantes de fourmi rouge Nefs renversées où je déchiquète péniblement les mitaines des fourreurs collées à mon dos A ce prix, à ce prix le plaisir Les cerceaux pèsent le poids des oranges amères La fenaison des trilles de mes jarretelles de citron indien ne se fait pas au pied levé Vous souriez encore Là-bas mes félins reviennent avec des charpies d'eau blanche dans la gueule C'est que je tue Je tue pour rien, je tue pour rire Quand la clé tourne mal dans la serrure déliée de mes épaules fracassées.
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PHILIPPE AUDOIN
Quand sel y est
« ... l'étoile au front - que certains ont de naissance... »
(Raymond ROUSSEL.)
Sauf à réserver le grain déjà prescrit pour de telles lectures, entendons SCEL plutôt que SEL, ainsi qu'Eugène Canseliet lui-même y invite. Aussi bien le livre dans lequel il rassemble et préface aujourd'hui, sous le titre d'ALCHIMIE, diverses études « de symbolisme hermétique et de pratique philosophale » parus de 1934 à 1946 dans d'introuvables revues, est-il loin, tout aimable qu'il se fasse, d'être d'une ouverture aisée.
La moindre singularité n'en est pas, du reste, le cachet héraldique dont il a pris soin de le clore, glosé au verso d'une allusion ambigüe et cabalistiquement signée au traité d'Henri de Linthaut : L'Aurore, publié à Lyon en 1610 : « En décorant sa calligraphie d'un blason hermétique destiné à résumer l'ouvrage d'Henri de Linthaut le copiste désira témoigner à tous ceux qui sauront le comprendre, que la doctrine de ce FILS DE SCIENCE est parfaitement connue et pratiquée QUAND SEL Y EST. »
Le brevet ainsi décerné au vieil Adepte par son disciple pourrait bien voiler quelque confidence de celui-ci et le mobilier de l'écu armorié qu'il s'est donné est pour renforcer ce sentiment. Timbré d'un heaume de chevalier - on devine de quel Graal puisque ce heaume est ouvert, couronné et taré de face - il est chargé en pointe d'un globe crucifère ou « monde » entouré de rayons dont quatre, plus marqués et posés en sautoir, évoquent les substances élémentaires tout en formant le signe convenu du pouvoir et de la régénération - et peut-être celui du creuset. La présence de ce petit monde glorieux et vif dans l'écu atteste, à n'en pas douter, la
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connaissance du Sujet-des-Sages, matière première de l'Oeuvre ailleurs voilée sous les noms divers et charmants de Chaos, Vieillard, Dragon noir, Aimant, Antimoine, Magnésie... jamais trop beaux pour ce roi-lépreux assis à la porte de chacun et que nul ne sait voir.
Attestée aussi la possession de l'acier magique qui permet seul d'ouvrir les entrailles du Dragon, par la présence de deux flèches dardées vers la sphère microcosmique et mouvantes des points dextre et senestre du chef ou ciel de l'écu. Cette périlleuse opération (1) qui fraie la voie du second Mercure, véritable mère de la Pierre, trouve un garant mythologique dans l'exploit de Cadmus criblant de ses traits le vieux dragon, fils de Mars, dont il s'apprête à semer les dents. « Apprends donc à connaître, dit Philalèthe, quels
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Motif emprunté à l'une des tapisseries données aux Hospices de Beaune, vers 1450, par Nicolas Rolin, Chancelier de Bourgogne.
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sont les compagnons de Cadmus, quel est le serpent qui les dévora, ce que c'est que ce chêne-creux contre lequel Cadmus perça le serpent d'outre en outre. »
(1) Elle correspond semble-t-il à la première image du Mutus Liber.
A son blason ainsi formé Eugène Canseliet ajoute trois étoiles à six rais mal ordonnées, soit posées, contre l'usage héraldique : « une et deux », de façon à suggérer le triangle du Feu et l'on peut s'assurer que cette disposition ni le choix du meuble ne sont dus au caprice. A la suite de Fulcanelli, Eugène Canseliet a insisté à maintes reprises sur l'excellence de l'étoile dans la symbolique du processus opératoire. Dans le présent ouvrage, jalonné à plaisir d'astéries en manière de rais d'escarboucle, il y revient avec le même enthousiasme qui anime sa préface au Mystère des Cathédrales et aussi l'étude qu'il a consacrée, dans une récente livraison d'Atlantis, au décor d'une des tentures données aux Hospices de Beaune par Nicolas Rolin, Chancelier de Bourgogne ; y figure un incontestable Saint-Antoine, vieillard pris ici pour emblême du Sujet (ANT(IM)OINE) (2), sur un fond rouge parsemé « sans nombre » des armes de Nicolas Rolin et de sa femme Guigone de Salins - savoir trois clés et une tour d'or sur azur, rassemblées en un écu parti, appendu à une même branche morte sur laquelle est juchée une même tourterelle ; dans les intervalles du semis se propose le transparent et nervalien rébus : SEULLE *.
(2) Le symbole spagyrique de l'Antimoine est précisément un « monde » : petit cercle sommé d'une croix.
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Hôtel Lallemant (Bourges - XVIe siècle). Allégorie de la Voie Sèche (ou Brève). La devise est empruntée à un manuscrit de la fin du XVe siècle où se rencontre une figure identique.
Cette seule étoile est celle qui apparaissant à la surface du compost, miroir de l'Art, assure l'Opérateur qu'il n'a pas failli, que le mariage philosophique est consommé, le double-Mercure conçu. Elle équivaut au prélat qui unit les deux époux dans la sixième clé de Basile Valentin ; elle est aussi le sceau d'Hermès, le scel - ou sel - et si l'on s'en rapporte à la façon dont Eugène Canseliet en publiant ses armes, a choisi d'écrire son propre nom, il est permis de penser que c'est bien cette étoile diurne et nocturne, non l'hexagramme de la Pierre, qu'il a tenu à y faire figurer par trois fois.
Est-ce dire qu'en ceci la triplication héraldique l'emporta ou si trois sublimations, chacune scellée, sont requises pour évertuer le compost jusqu'à son point de perfection ? Et sommes-nous bien au seuil matinal du jeu d'enfants, que surveille si peu l'indolente fileuse en attendant de couper à temps la tête du corbeau ? Ici le livre retrouve son mutisme, et c'est pure rêverie si du blason exposé à la sagacité du lecteur s'échappe une suite de propos chuchotés de près, bien que la voix soit lointaine, et d'autant plus touchants qu'ils induisent à de hautes tentations : moi qui vous parle... calligraphe, copiste, notoirement domicilié à Savignies-en-Beauvaisis, Frère d'Héliopolis, j'ai reconnu le chêne, la source d'eau vive... trois fois l'Etoile du Nord a éclairé ma route et je n'ai pas été ébloui
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par son image au point de méconnaître sa nocturne vérité... cette voie est brève... j'ai vu de mes yeux... La suite se perd dans le bruit du siècle.
Saurons-nous, sait-on déjà où l'astre hermétique a conduit l'investigateur ? Et que serait ce Seul-Lieu pour la prunelle de nos yeux ? Questionné le fils de science se couvre de son écu : l'honneur de ses armes est d'être pour jamais à enquerre.
P.A.
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MAX WALTER SVANBERG
LES COURONNEES D'OISEAUX
Sous la tête d'oiseau du coeur qui veille les danseuses se parent pour rencontrer la forêt bleue et leur danse se dessine dans la neige Le soleil fécondé a déjà retiré par des baisers leurs jupes Etoiles tendres et vulnérables couronnées par des têtes d'oiseaux mangeurs de soleils dansez ! Et leurs corps sont dessinés d'émeraude et de rubis et les pistils des seins sont si fleurissants que des cygnes noirs nagent sur les baisers vertigineux de la forêt bleue
CHANT DE LA CHEVELURE
Le sombre chant de la chevelure cernant le visage féminin d'un cerf blanc Sa femelle embrasse les becs nocturnes La griffe d'or ouvre l'oeil profond et la femme rêvée à la peau de porcelaine blanche s'enivre de ce genre de baies amères qui donnent la beauté devant les animaux ardents de la jungle
L'AMOUR DU PAPILLON D'OR
Papillon d'or couronnant la tige de l'amour palpite sang du rêve à travers le jardin virginal féconde le pistil sombre et profond de l'oeil donne ton amour ne crains pas la terreur tabou Amour à la peau fiévreuse de fleur crépusculaire Jardin bizarre où les ailes de papillon laissent une poussière d'or autour du coeur à l'odeur de femme
(image) L'amour du papillon d'or.
(image) Les Couronnées d'oiseaux.
(image) Chant de la joie pénétrante.
(image) L'heure virginale.
(image) Chant de la chevelure.
(image) Aveuglées par la chaste tentation.
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AVEUGLEES PAR LA CHASTE TENTATION
Que la nacre t'habille de vertige accorde à ta chasteté la séduction de la boucle et les trompes perlées de la grossesse comme les cordons ombilicaux du système solaire enrouleront ton corps ombrageux de cristaux de neige et les hybrides sorties d'une éternelle boîte chinoise ouvriront aux planètes-baisers de la déraison leurs nénuphars magnifiques
CHANT DE LA JOIE PENETRANTE
Tant que le corps est un chant et la pénétration sa joie les chevelures se dérouleront de beauté en beauté et ses bijoux croîtront en cous d'oiseaux fleurissants La joie pénétrera l'étoile-femme et le coeur rira dans ce corps qui est chant
L'HEURE VIRGINALE
Tel le temple de la faim inexorablement l'hybride se dresse pour mesurer le temps à l'indicible Elle s'ouvre à l'heure blanche le sang queues de serpents fouettants Les dards se courbent dans la houppe des hanches le sang queues de serpents fouettants Sous la peau d'habits étranges le sang queues de serpents fouettants Et dans l'oeil obscur qui veille palpite tandis que les rubis des seins désirent être des étoiles Traduit du suédois par Lasse Söderberg.
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JONATHAN BEECHER
L'ARCHIBRAS DE FOURIER
Un manuscrit censuré
I
Comme la plupart des chefs socialistes en 1848, Victor Considérant, le disciple le plus marquant de Charles Fourier, était la cible des nombreux caricaturistes de la presse populaire. Dans leurs dessins, Considérant était représenté comme un individu aux sourcils épais et à la moustache broussailleuse - humain à tous égards, sauf sur un point : sortant de dessous sa redingote, une longue queue s'étirait ; et au bout de cet appendice singulier, on pouvait aisément distinguer un oeil large et rond.
Cette image, immortalisée par Cham, Tony Johannot et une nuée de caricaturistes politiques pendant la seconde République, était destinée à entrer dans le domaine de la mythologie populaire. Fourier n'avait-il pas proclamé qu'après des siècles d'Harmonie, tout phalanstérien serait pourvu d'une queue terminée par un gros oeil ? Déjà en 1843, dans sa « Monographie de la Presse Parisienne », Balzac a jugé la queue fouriériste digne d'être mise au nombre des ridicules qui rapportent dix francs par jour au « Blagueur, deuxième variété de Petit Journaliste ». Dans son Jérôme Paturot à la recherche de la meilleure des républiques, « Les queues promises à l'humanité » par les fouriéristes font l'objet d'un chapitre de Louis Reybaud. Pendant les beaux jours de la Troisième République, Anatole France crut pouvoir encore régaler ses lecteurs avec des descriptions de fouriéristes se balançant aux arbres.
Pour beaucoup de ces journalistes, les caricatures représentant la « queue fouriériste » constituent l'essentiel de leur documentation sur la « théorie sociétaire ». Il est donc peu surprenant que « la queue » ait été souvent rejetée par les admirateurs de Fourier comme une « invention malveillante » (1) de la presse réactionnaire, - et particulièrement par ceux qui accordent plus d'importance à ses théories économiques qu'à ses écrits « frivoles » sur la cosmogonie, l'amour ou la théorie de l'analogie. Derrière cette « calomnie », comme derrière beaucoup de celles dont ses biographes les plus « discrets » ont tenté de le protéger, il y a cependant un grain de vérité. Effectivement c'était Fourier lui-même, alors jeune commis-voyageur à Lyon, qui avait indirectement donné cours à cette « légende ».
(1) F. Armand et R. Maublanc, Fourier, Paris, 1937, I, p. 58. Voir aussi Charles Gide, Charles Fourier : Pages choisies, Paris, 1932, introduction, p. XX ; Maurice Dommanget, Victor Considérant, Paris, 1929, p. 36.
II
En janvier 1804, un obscur journaliste suisse visita Lyon. Après avoir exploré les principaux monuments de la cité, ses théâtres, sa Fantasmagorie, il se mit en quête de ses citoyens. Parmi les célébrités mineures qu'il interrogea, il y avait Charles Fourier, qui à l'époque connaissait une certaine notoriété locale, comme géographe, poète et journaliste amateur. On garde une trace de leur conversation grâce à un article que le Suisse publia, quelques jours après, dans le Bulletin de Lyon et qui était intitulé « Inventaire des plaisirs de Lyon » : « Au grand Théâtre de Lyon, notait-il, tous les sens sont à la fois occupés, et l'on regrette de n'avoir pas encore le sixième que le système de M. Fourier va nous donner... » (2).
(2) Bulletin de Lyon, 16 nivôse, an XII. (Fourier écrivait alors son nom avec deux r.)
A peine cette référence cavalière au « système de M. Fourrier » avait-elle paru que ce dernier, qui venait tout juste d'informer le public lyonnais de l'existence
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d'un tel système, dépêcha une lettre irritée au Bulletin : « Je ne sais où il a pris l'idée de donner au genre humain un sixième sens, idée qu'il m'attribue. Que servirait un nouveau sens à l'homme ? Il vaudrait bien mieux connaître l'art de satisfaire les cinq que nous possédons » (3).
(3) Bulletin de Lyon, 20 nivôse, an XII. Fourier a fait allusion pour la première fois à l'existence d'un tel art dans un article intitulé « Harmonie universelle », publié dans le Bulletin de Lyon à peine cinq semaines plus tôt.
En ce qui le concernait, Fourier nia toujours avoir réclamé un sixième sens pour l'espèce humaine. Voici ce qu'il avait dit au journaliste : « ... Les habitants des soleils, des lactées et des planètes à anneaux comme Saturne sont amphibies, par un effet de l'ouverture de la cloison du coeur, et ont un cinquième membre commun aux deux sexes. J'ai expliqué divers usages de ce membre, par le moyen duquel un homme peut attendre de pied ferme et tuer d'un seul coup le plus terrible animal, même le grand tigre. J'ai fait connaître d'autres fonctions de ce membre qui sert de parachute tournoyant : moteur des grandes ailes postiches, échelle de corde, nageoire qui donne à l'homme la vélocité du poisson, et mille
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Les Phalanstériens trouvant moyen d'utiliser leur queue en Californie pour l'extraction des blocs d'or.
autres propriétés dans la terre ou les eaux. J'ai expliqué pourquoi les habitants de notre globe sont privés de ce membre, et dans quel cas les générations futures pourront en être pourvues » (4).
(4) Bulletin de Lyon, ibid.
Cette mise au point indignée fut pendant des années la dernière allusion imprimée qu'eût faite Fourier à ce « nouveau membre qui triplerait les produits de l'industrie, et qui serait l'ornement et la sauvegarde du genre humain, véritable avorton sans ce membre » (5). Dans aucune des oeuvres majeures qu'il publia, il ne traite de ses propriétés. C'est seulement dans son dernier livre, La Fausse industrie, que l'on trouve une allusion indirecte à la queue : « La supériorité des Solariens tient principalement à un membre dont nous sommes privés et qui comporte l'échelle des propriétés suivantes : garantie en chute, arme puissante... » (6).
(5) Ibid. (6) La fausse industrie, Paris, 1835-1836, II, p. 5.
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III
Mais l'oeuvre publiée de Fourier ne représente qu'une fraction de tout ce qu'il a écrit. Il ne put jamais venir à bout de son projet le plus important : l'énorme « Grand Traité », par rapport auquel les Quatre mouvements n'étaient qu'un « prospectus » et les 1.200 pages du Traité de l'Association Domestique Agricole simplement un « abrégé ». Il se consacra opiniâtrement à cette immense entreprise durant la majeure partie de son séjour prolongé dans le Bugey (1816-1821). Il en est resté soixante-quatre cahiers manuscrits multicolores, qui reposent maintenant aux Archives Nationales.
Après la mort de Fourier, ces manuscrits et d'autres passèrent entre les mains de ses disciples ; et durant les années 1840-1850, ils se mirent à publier des fragments de ces cahiers. Mais cette publication ne fut au mieux qu'un choix. Car, individus plus prosaïques que le grand visionnaire, les disciples étaient essentiellement soucieux de populariser les aspects économiques et politiques de la doctrine de l'association et de ne pas susciter le trouble dans la sensibilité des bourgeois par un exposé trop fidèle des éléments les plus « extravagants » de la pensée fouriériste. La Civilisation n'avait pas atteint une maturité suffisante, à leur avis, pour prendre au sérieux des sujets tels que « Le Nouveau Monde Amoureux ». C'est pourquoi les cinq cahiers couleur fer que Fourier consacra à cette question restent presque entièrement inédits. Mais « l'utile sarclage » (pour reprendre les termes d'Ange Guépin) pratiqué par les disciples est allé encore plus loin : en publiant quelques-uns des autres manuscrits de Fourier, ils éliminèrent purement et simplement les passages « inacceptables ».
Tel fut le cas du manuscrit que nous présentons ici. C'est un extrait supprimé par les disciples quand ils publièrent un chapitre destiné au « Grand Traité » et intitulé « Régénération du corps humain » (7). Le texte expurgé apparut dans la Phalange en août 1848 (8), à peine plus d'un mois après l'écrasement de la révolte de Juin, à un moment où la queue fouriériste causait beaucoup d'amusement aux lecteurs de la presse bourgeoise. Les éditeurs de la Phalange jugèrent que les temps n'étaient guère propices pour offrir à leurs lecteurs un morceau contenant l'exposé le plus complet de Fourier sur cet « archibras » qui agrémenterait le corps humain durant la période de l'harmonie composée.
(7) Le texte que nous publions vient des Archives Nationales IOAS 6 (10), 44e cahier de l'ancien cote 9, pp. 56-58. (8) La Phalange, tome VIII, p. 126.
A nos yeux pourtant, ces pages témoignent au mieux d'une puissance d'invention qui était toujours liée chez Fourier à la confiance absolue en une providence universelle qui ne crée aucun désir sans les moyens de le satisfaire. La nature dont il s'est fait l'interprète était capable de tout : des archibras aussi bien que des anti-baleines. Qu'on lise ses manuscrits sur « les cinq passions sensuelles » « publiés dans la Phalange, tome IV) : on saura à quel point il croyait que la providence, qui harmonise nos passions, règle aussi les transformations de nos corps. En outre, ce texte nous offre une illustration vivante des préoccupations zoologiques de Fourier, grand lecteur de Buffon et inspirateur de Toussenel : si l'archibras ressemble, à certains égards, à la trompe de l'éléphant et à la queue du singe, ses propriétés ne sont-elles pas aussi celles de la queue du castor, « hiéroglyphe de l'harmonie » ? Mais cette queue et cette trompe, métamorphosées par l'extraordinaire pouvoir d'imagination de Fourier n'en restent pas moins le Bras Magique. Aussi bien est-ce l'archibras que nous présentons maintenant au lecteur.
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Charles Fourier
L'ARCHIBRAS
Quoique les hommes soient une race identique dans tous les globes, ils ont dans les soleils un avantage bien éminent sur ceux des autres globes : c'est le bras d'harmonie ou archibras réunissant diverses facultés réparties entre nos animaux, celles de la trompe de l'éléphant, celles de la queue prenante du singe. Ce bras d'harmonie est une véritable queue d'une immense longueur à 144 vertèbres partant du coccyx. Elle se relève et s'appuie sur l'épaule d'où elle doit porter à la double hauteur du corps, ainsi selon notre hauteur elle aurait environ 16 pieds de longueur dont 3 de perdus pour l'appui sur l'épaule et au moins 12 de développement. Ce membre est aussi redoutable qu'industrieux, il est arme naturelle. Un habitant du soleil attendrait un lion et un taureau de pied ferme, et à 6 pas il casserait au lion l'échine d'un coup d'archibras et renverserait le taureau par les cornes ou les jambes sans l'approcher, et il couperait d'un (1) la tête du serpent. Enfin il est armé de résistance contre tous les animaux et met l'homme sans arme à niveau avec eux. On conçoit quelle est sa supériorité quand il est armé d'une épée. L'archibras est terminé par une main très petite, allongée, aussi forte que les serres de l'aigle ou du cancre. Les doigts sont de dimension inverse : les 1 et 4 plus grands que les 2 et 3, le pouce très allongé. Cette main a comme la patte du lion des griffes mobiles et rentrantes. L'archibras à la nage fait avancer un homme aussi vite qu'un poisson. Il fouille au fond des eaux, y porte et assure les filets. Avec son appui un homme atteint une
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branche de 12 pieds de hauteur, saute sur l'arbre et descend de même, va pincer des fruits à l'extrémité de l'arbre et les rassemble dans le panier noué à l'archimain. Il sert de fouet et de guide à celui qui tient la charrue ou qui, placé dans une voiture, peut de l'intérieur ramasser un fétu et enrayer sans descendre. Il sert à dompter un cheval mutin : le cavalier avec son archibras lui noue les deux jambes. Il sert de même à diriger par la corne tous les bestiaux et l'éléphant par les défenses. Il dirige les ballons et les ailes. Il est infiniment utile, et dans le jeu des instruments il double les facultés manuelles, ses doigts, quoique très petits, étant très extensibles. Enfin ses emplois sont si brillants et si nombreux qu'il est plus aisé de les concevoir que de les décrire. Ce membre, en accélérant prodigieusement les travaux donne d'immenses richesses aux habitants solaires.
(1) Un blanc dans le texte manuscrit.
Si nous pouvions voir les habitants du globe solaire, chacun d'eux, homme et femme, nous paraîtrait entortillé d'un grand serpent blanc dont la tête et le col se développerait à partir de l'épaule qui en serait le point d'appui. Car on développe toujours de l'archibras une longueur égale au double du bras. On ne le déroule en plein que pour les grands emplois. S'agit-il d'un saut : dès que l'élan est pris l'archibras s'appuie en spirale. Il doit tripler au moins l'élan naturel. Il affaiblit la chute des deux tiers. On le fait tournoyer en cône pour ralentir le corps et former parachute inférieur au moyen duquel on peut tomber d'un lieu fort élevé sans autre danger qu'une contusion, vu que le premier choc est supporté par l'archibras arrivant à terre et s'y roulant en spirale pour former appui. L'homme pourvu d'archibras ne se baisse jamais ou presque jamais dans le travail. S'il faut agir de la bêche ou de la pioche, on les emploie d'une grande longueur parce que l'archibras les dirige du fer, tandis qu'ils sont du bout du manche soutenus par les deux mains. Le levier ainsi renforcé par sa longueur et son double appui peut faire un ouvrage au moins triple du nôtre à force égale. Si le maçon monte au sommet d'une flèche, l'archibras lui sert à se nouer et garantir de chute en lui laissant l'usage des deux mains et de l'archimain. Les emplois sont bien plus étendus dans les travaux du matelot qui au moyen de ce membre grimpera aux mâts
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avec la vélocité d'un singe et y travaillerait bien noué et muni de trois mains dont l'une atteindra à 12 pieds du matelot. On remplirait cent pages s'il fallait décrire en plein les précieux usages de ce membre sans lequel le corps humain est vraiment un avorton.
On pourra s'étonner que Dieu n'ait pas favorisé d'un membre si utile la race qui habite notre globe. Elle se détruirait elle-même si elle était pourvue de cette arme naturelle qui ne convient qu'aux hommes exempts de passer par les périodes de lymbe sujettes à la discorde. Il y a bien quelques discordes individuelles entre les Solariens, mais dans leurs luttes il est défendu par point d'honneur de faire usage de l'archibras au moyen duquel deux hommes pourraient par coups simultanés s'entrouvrir le ventre à tous deux.
On objectera que nous serons exempts de pareil danger dans l'harmonie où par l'effet de la politesse générale les disputes seront traitées avec civilité comme aujourd'hui celles des gens de cour. L'observation est juste mais il n'est pas moins vrai que nous avions plusieurs mille ans à passer dans un état de discorde pendant lequel Dieu a dû nous refuser l'archibras. Il ne nous sera donné que lorsque nous aurons passé à l'Harmonie Composée qui commencera après 16 générations d'Harmonie Simple - environ 400 ans. La race humaine à cette époque sera enfin pourvue de l'archibras comme les habitants du soleil. Elle le perdra à la fin du monde lorsqu'elle sera retombée en Harmonie Simple ou 25e période sociale.
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Jean MALRIEU
VOYAGE A TRAVERS L'ALPHABET
AME Souvent matérialisée sous forme de papillon qui s'envole au moment de la mort. Les proches parents d'un agonisant en Chine, en Allemagne, pour faciliter son évasion déplacent des tuiles du toit ou ouvrent les fenêtres. Les vierges deviennent des cygnes, les jeunes enfants des oiseaux. Les marins morts en mer sont des goélands. Les vieux chevaux, des notaires malhonnêtes.
Le sommeil à l'image de la mort laisse vagabonder l'âme. Elle se souvient alors des lieux qu'elle traversa. Son souvenir est le rêve. L'âme du dormeur est alors brouillard ou animal à fourrure. Afin que l'âme puisse retrouver son corps, il convient de ne pas changer de place le corps du dormeur. Dans le cas contraire, elle ne trouverait pas son domicile.
Tous les animaux à fourrure ne sont point pourtant des âmes évadées. On reconnaît ces dernières à leur impossibilité de franchir les cours d'eau.
La personne vivante voit en rêve les actes de l'âme. Ainsi s'expliquent les prémonitions. Celui qui connaît l'humeur errante de son rêve a intérêt à avertir ses proches pour que son âme lui redonne vie. L'âme abandonnée cherche alors une autre demeure. Pour faire provision d'âmes, tourner le corps du dormeur et guetter. Certaines personnes conservent ainsi des âmes perdues dans des sacs de papier.
BONHEUR Lors du repas de noces, deux invités apportent un plat si lourd qu'ils semblent plier sous la charge. La mariée soulève alors le couvercle. Mais ce ne sont que plumes qui s'envolent lorsque les convives y soufflent dessus. Le bonheur est de peu de durée.
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CHARBON Le charbon enchanté est celui qui porte l'empreinte d'une fougère. Les voleurs le recherchent volontiers. Il assure l'impunité et qui le possède se moque de la justice.
DIFFICULTÉ J'ai beaucoup de choses à dire, dit le poisson, mais j'ai la bouche pleine d'eau.
ESPRIT L'esprit du foyer manque d'élégance. Il ressemble à un ours à tête humaine avec deux petites cornes. Accueillant, il ne craint qu'une chose : être offensé. Il n'a pas de famille, mais des serviteurs. Quand deux esprits partagent le même toît, ils se disputent (incendies, maladies). Le maître de maison doit les reconcilier. Quand on déménage, il faut l'avertir.
Les esprits des bois, des prairies, des eaux ressemblent aux autres esprits, mais ils ont des cheveux blancs. Ils aiment les offrandes. Ils se procurent des femmes en les entraînant dans leurs domaines. On ne les tue pas avec des balles de fusil, mais avec des boutons.
FLEUR La fleur de l'ombre fleurit tous les cent ans. Les pétales sont noirs, le pistil bleu clair, les étamines bleu de Prusse. Elle pousse parmi le goémon dans la grotte de Loch-Maria.
GEL Le gel est un ami qui sait construire les ponts sans hache ni marteau.
HERBE Pline l'Ancien énumère les herbes qui protègent des maléfices : l'armoise, la bardane, la camomille, le chiendent (une pièce d'or est accrochée à sa dernière racine) le lierre terrestre, lycopode, le mille pertuis, l'orchis, la samiole, la verveine. Pour les cueillir, se
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lever de bon matin, à jeun, sans se laver les mains, sans parler à personne. Porter avec soi, une racine de chicorée qui a été touchée à genoux avec des objets d'or et qui a été arrachée à grand peine.
D'autres herbes demeurent imprécises. L'herbe de Mélusine égare le passant. La graine de fougère rend invisible. L'herbe qui agite ses grelots est celle du sommeil. L'herbe d'humilité exhale douce odeur à qui la foule aux pieds, mais on a beau se baisser pour la reconnaître on ne peut la voir. Le lys d'or qui pousse au bord des marais est l'herbe de solitude. Celui qui le tient s'isole au milieu de la foule et marche dans le désert.
INVISIBLE C'est la poésie. Bien que le lecteur s'attende à ne rien voir, il est toujours surpris de ne rien voir.
JOIE Phénomène de lévitation individuelle ou collective ; exemple : Il (ils) était (étaient) si joyeux qu'il (ils) ne touchait (touchaient) pas terre.
KOB Antilope à cornes en forme de lyre qui change de sexe chaque année.
LUNE La lune n'est certainement qu'une galette collée au plafond et tenue en équilibre par la force centrifuge. Elle vit. On s'en aperçoit car elle naît, grandit et meurt. Plus heureuse que les humains elle renaît.
Elle attire. On risque de se faire avaler à la regarder fixement. Ne pas travailler au clair de lune. Une femme avare rangeait son argenterie sans avoir allumé de lumière quand elle s'aperçut que ses cuillers et fourchettes atteintes de lévitation se dirigeaient vers la porte. Elle eut juste le temps de fermer la porte.
On connaît l'âge de la lune en l'interrogeant dans un miroir. Son disque réfléchi présente des encoches. Autant d'encoches, autant de jours.
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MIROIR Je te vois, tu me vois.
NUAGE Les nuages sont formés de substances solides mais très légères. Ils contiennent et transportent des pays et des coteaux, des villages. Les magiciens les habitent. Un navire en peine fut remorqué par une chaîne tombée d'un nuage.
OBSTACLE Quand on est poursuivi en rêve, il suffit de jeter derrière soi les objets magiques pour échapper aux poursuivants.
Un miroir crée la mer, un marteau une montagne. Une épée, une mer d'huile. Les crins de la queue d'un cheval une haie vive. Une pierre, une montagne en forme de rasoir. Un bouchon se transforme en sang. Une brosse en forêt. Une rose blanche fait une rivière. Un briquet invente une cataracte. Un oeuf devient brouillard. Un pot en profondes ténèbres.
PIERRE Les pierres vivent, certaines ont des veines. L'émeraude mûrit comme un fruit. Elle verdit d'un vert profond qui s'éclaircit du côté qui voit le soleil apparaître. Le rubis renforce la mémoire. Le mica est l'or des chats. Le cristal de roche est neige solidifiée. Dans l'intérieur brille une lampe. Des âmes habitent le cristal.
Les pierres charmeuses guérissent des maux de tête. La pierre des hirondelles préserve des ophtalmies. Le grenat dissipe les chagrins. Quant aux bézoards (nom donné aux concrétions engendrées dans le corps des animaux et formées dans les intestins ou vessie) il convient de s'en rapporter au Grand Albert qui cite :
a) La pierre alectorienne (blanche, tirée d'un coq de quatre ans que l'on chaponne), elle rend l'homme agréable et constant. Mise sous la langue, elle arrête la soif.
b) La chélonite (pourpre, tirée du corps des tortues). Celui qui la porte sous la langue verra les choses à venir.
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c) La rajane (noire et luisante, tirée de la tête d'un coq quelques temps après qu'elle a été mangée par les fourmis). Elle sert à obtenir des services d'autrui.
d) La draconite (extraite de la tête d'un dragon). Merveilleuse contre le venin, celui qui la porte au bras gauche est toujours vainqueur de ses adversaires.
QUERELLE Deux femmes, une blanche et une noire s'injurient.
Je suis un grain de camphre, dit l'une, et toi tu n'es qu'un sac à charbon.
Je suis un grain de musc, et toi tu n'es qu'un sac de sel.
REVENANT Pour être sûr que celui qui vous parle n'est pas un revenant, sentir sa bouche. Les revenants ne mangent pas d'ail.
SALAMANDRE Les jeunes filles doivent dormir la main ouverte pour que si, par hasard, la salamandre vient à passer sur elles, elles soient aptes aux travaux de couture.
TALION - Cet homme m'a embrassée, dit la jeune fille au juge.
- Embrasse-le aussi. C'est la loi du talion.
UNION On rapporte qu'il existe dans l'Inde des mariages d'arbres. Le paysan ne peut manger par exemple des fruits de manguier sans avoir uni un de ces arbres à un arbre d'un genre différent. A défaut d'un parti acceptable, le jasmin peut être employé. Ces mariages entraînent des dépenses considérables et certaines familles se sont ruinées en organisant de telles unions.
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VIEILLIR C'est ce que font tous les hommes ensemble.
WAGON La baleine est le wagon des morts dans leur voyage.
XIPHIDION Celui qui tient longtemps près de son oreille le petit violon de cet insecte ne sera jamais sourd, le xiphidion remerciant ainsi celui qui l'a écouté.
YEN ET YANG Le flux et le reflux du yen et du yang changent toutes les formes. S'en dégager durcit. Certains penseurs se transforment en pierre, ainsi. La concentration de leur méditation les pétrifie. Les pierres sont des pensées, des forces cristallisées. Ainsi, on trouva dans un tombeau d'Asie un coeur de pierre. On le scia et dans son intérieur on découvrit un paysage. Ce paysage tant aimé s'était figé dans le coeur.
ZMEU Les zmeus sont des ogres qui galopent sur des chevaux à plusieurs coeurs.
Parfois ils se transforment en nuage pour enlever des princesses. Ils volent aussi les étoiles, le soleil.
La femme zmeu est plus sauvage que les zmeus mâles. Elle meurt de colère.
Elle se transforme en jardin, en source. Si on frappe avec un glaive, un sang noir coule des arbres magiciens.
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JOYCE MANSOUR
FUNÉRAIRE COMME UNE ATTENTE A VIE
Il est un roi qui ne connaît aucune défaite Je crève ses yeux Deux doigts dans l'angle de la douleur suprême Je masse ses prunelles J'erre Dans les galeries hideuses de brouillards humains Je connais de longue date La douce démence de l'amour sans partenaire Visible Il y a des éraflures écarlates sur la main verte De ma rêverie églantine J'aime couler ma haine dans l'entonnoir De l'amant Dépecer son pénis à la hache Parler toute la nuit Diluer son nom dans le ressac de l'héroïne Il résonne plus bruyamment Qu'une salve sur une jeune poitrine O perle impénétrable Misérable eau salie Des folles pleureuses de Rodah Pour qui éclate la tumeur L'écrevisse la rose La blessure guimauve Entre les rides replètes de son cou L'obsession vire au vert Son sexe en dents de scie doit fermenter sous la lune Seules restent les orties debout dans le gouffre de sa chaise percée Opaques sont les prunelles de l'aïeule ensevelie
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(image) Mimi Parent
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Vengeresses mes morts amoureuses Pourtant Les enfants de l'imagination ne font pas toujours l'amour dans un lit L'édifice en ciment D'une belle et chaude journée d'août Le réveil des caïmans entre les jacinthes d'eau L'image fuit le jour et son précieux suicide Il enduit son museau de vase incolore Les berges de la Seine n'entraînent plus ma chute Et les papilles de ta langue Silence sur le calme plat Flocons goémons spasmes verticales Colorent mes nuits de malaises indéfinissables Ici Geint le sultan nu sous ses paupières de soie Mécontent Des géants emmurés dans l'éther Qui ne portent plus leurs fouets à la main Des matins frisés comme autant de nébuleuses dans l'utérus fumant D'une fille Violent est le pacte fait avec l'inconnu Belle comme une armée en déroute L'éclipse de la croix posthume Dans mon miroir le même visage ailleurs Les tilleuls les oreilles tendues La chute spontanée de tes lèvres Dans l'allée de l'aisselle rompue Dans ma tête la même seringue se vide N'est-ce pas ton passé dont j'ai lavé les pieds L'amour sente nocturne file vers le désert Au-delà du lit le la Sonne haut son cri de guerre O loup aux loups au loup
(image) Mimi Parent : Au commencement (broderie).
(Photo Yves Hervochon.) Gabriel Der Kervorkian : Les Amoureux (1964).
(image)
(image)
Toyen : A une certaine heure - 1963. (Photo I. Bandy.)
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ALAIN JOUBERT
Ma femme m'affame
Tentation d'une plus grande sustentation
- Je sors beaucoup.
- digression : Le cinéma a toujours représenté pour moi le degré absolu de l'image. Ce n'est pas une lapalissade. Que l'on puisse se rendre au spectacle - au cinéma - sans le désir profond de secouer l'évidence, d'interpréter en termes différents les structures mêmes que l'on vous propose, de décrypter enfin le sens véritable des gestes rendus par les personnages en action, m'a toujours paru aussi désolant que de regarder un tableau avec l'attention que l'on accorde généralement au bel étalage d'un magasin « couture ». Non que je méprise le plaisir que m'apporte la mise en place, parfois somptueuse, de vitrines pleines des charmes de l'existence, mais parce que l'oeil qui les scrute ne saurait y trouver autre chose que l'appréhension immédiate de ce plaisir.
Or, ce que j'attends d'un tableau, c'est le trouble de ma conscience, de mon imagination - par une imagination qui bouscule les couches sédimentaires de la mienne et, par conséquent, les éléments qui ont contribué à la formation de ces couches (je crois à la réinterprétation des grands thèmes de l'Amour, de l'aventure et donc à la poésie des mouvements) ; j'en attends aussi la révélation brève, mais qui peut être fulgurante, de ces zones surréelles qui m'entourent et dont la perception ne saurait être le fruit que d'un toujours plus grand appétit de l'esprit.
Dali, au temps de sa splendeur, évoqua l'art comestible. Certains, depuis, aiment à se repaître de ses restes, comme font les chiens à poil ras des reliefs d'un festin. Pourtant, l'idée fringante qui découpa, à la façon d'un gigot, les aspects nutritifs de la peinture, a su trouver le chemin de ma sensibilité. Il s'agit là d'un des principes fondamentaux de la vie, qui voudrait que l'homme ne se
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nourrisse pas seulement de pain - maigre pitance - mais surtout de viandes rouges, de pâtés et de truites, d'entremets et de vins rares.
Je sais, hélas ! qu'aujourd'hui nos peintres efflanqués ne savent guère rendre compte de semblables trésors. Le sort leur est contraire, qui s'acharne à leur perte par une suite de malentendus en forme de serpents de mer - ou de ver solitaire. Ce qui dévore n'est pas ailleurs. (J'entends « serpent de mer » au sens journalistique du terme : loin de moi l'intention de médire d'un pareil animal).
- Parfois, je regarde la télévision.
- digression : Je n'ai pas la télévision. Par contre, M. Michel Ragon (je ne sais rien de sa vie privée, ni de ses moyens d'existence), M. Michel Ragon, dis-je, se produit de temps à autre à la télévision, mettant ainsi en pratique - moins l'humour - un des préceptes chers à Cravan. Il faut avoir vu une fois, peut-être est-ce même trop, le visage hébété et la lippe critique de ce Pierrot des bas morceaux, dont les pupilles éteintes veulent nous « donner à voir ». L'intérêt qu'il porte aux raclures de palettes de tel ou tel suppléant ne saurait me surprendre : l'Art que j'aime est ainsi fait qu'il échappe toujours à ceux qui sont marqués par le signe indélébile de la platitude. Même les silhouettes de papier découpé peuvent projeter une ombre - pour peu qu'un habile éclairage leur en donne la chance - tandis que ce Ragon reste au niveau du rien. Faut-il insister ?
- Je guette les merveilles qui jaillissent à chaque pas lorsque la disponibilité l'emporte.
- digression : On dit volontiers « Chacun prend son plaisir où il le trouve » ; je préfère de beaucoup « chacun trouve son plaisir où il veut bien le prendre ». En effet, ma méthode de travail, devraije dire d'existence, repose solidement sur la notion de choix. Préciser sa pensée, analyser son cheminement, faire en sorte qu'elle accumule les raisons d'être, et puis sauter enfin sur l'occasion qui passe, voilà ce qui toujours m'a sollicité. Je me construis un choix avec patience pour mieux lui substituer celui qui se présente à moi sous la forme ambiguë de l'instant. Le peintre aux yeux sauvages dont le geste est de glace, mais qui vibre comme une rame de la ligne Nord-Sud quand vient l'heure du dernier métro, celui-là seul me passionne. J'en connais.
- Mon appétit gagne souvent en force au retour sous mon toit (vieille formule).
- digression : Le donnerai beaucoup pour qu'un souper vaillant m'accueille chaque soir, en revenant heureux, fourbu et libre, après une journée de vent et de brumes urbaines.
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Premières réponses à l'enquête sur les représentations érotiques
L'ingéniosité dépensée à dénombrer les postures des partenaires dans l'acte d'amour a pour contrepartie le silence fait sur leurs positions mentales et sur les représentations imaginaires qu'ils associent au monde objectif. Ajouterait-on foi aux paroles d'amour si elles ne portaient l'espoir de cette fusion du réel et de l'imaginaire dont la rencontre des amants forme l'allégorie ? Il n'est pas sans intérêt qu'un partenaire absent (inaccessible, mieux aimé ?) puisse se substituer imaginairement au réel. Mais cette éclipse n'a de valeur que celle d'un exemple simple. Rappelons que l'image poétique gagne en puissance toute la distance qui sépare ordinairement les objets qu'elle rapproche.
Nous vous prions de répondre aux questions suivantes :
Comment se caractérisent vos représentations imaginaires dans l'acte d'amour ? Justifient-elles un jugement de valeur ? Sont-elles spontanées ou volontaires ? se succèdent-elles dans un ordre fixe ? Lequel ?
Comment interfèrent-elles avec la représentation objective que vous avez de votre partenaire ? De vous-même ? De ce qui vous entoure ?
Le spectacle intérieur conserve-t-il dans la vie quotidienne la trace des représentations qui s'offrent à vous dans l'acte d'amour ?
Ont-elles à vos yeux une relation avec la création poétique ?
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JACQUES ABEILLE
I. L'acte d'amour est chaque fois commencement et recommencement.
C'est dire que le seul fait de l'aborder restitue préalablement une sorte de virginité totale - vertige d'angoisse et de désir qui date d'« avant », c'est-à-dire de l'âge où je ne connaissais pas encore la réalité vécue de l'acte d'amour.
Je veux parler de l'adolescence vécue d'abord comme une lutte de représentations auxquelles je ne pouvais parvenir à donner même visage.
En ce moyen âge de la vie c'était tantôt la brûlante attirance des romans et revues pornographiques, l'énorme visage lascif des malheureuses poseuses de nu, tantôt les délices de rêveries lointaines autour d'un personnage mythique - du type Ophelie - auquel il ne manquait précisément que l'incarnation.
Les représentations imaginaires oscillent précisément entre ces deux pôles : des représentations « Sadiennes » avec accumulation de détails d'une violence à peine supportable alternant régulièrement avec des bouffées de la tendresse la plus ineffable qui révèle l'objet de mon amour dans toute sa pureté et dans toute sa souveraineté. Evidemment cette succession de représentations constitue un rythme qui va se précipitant jusqu'à une synthèse finale.
Ce rythme, tout comme la forme de cette synthèse même, échappent à mon contrôle. Il m'est possible de stimuler les représentations mais ni de les provoquer, ni de les éviter, ni même de les inhiber.
Cette merveilleuse submersion involontaire trouve en elle-même sa contrepartie. Echappant à tout contrôle des représentations - elles sont les premières victimes de leur propre liberté - il n'est pas exclu qu'elles soient soudainement perturbées par des préoccupations douloureusement étrangères et par contraste grotesquement vulgaires [notion d'une fin de mois difficile ou autres] contre lesquelles le désespoir est sans arme.
Seules les forces vives de l'imagination constituent la sauvegarde de mon amour.
Elles orchestrent à elles seules cette généreuse synthèse. Se succédant régulièrement - imbriquées l'une dans l'autre - mouvement de l'amour.
II. Les représentations objectives que je puis avoir de ma partenaire - ou de moi-même - n'agissant que comme stimuli et orientation des représentations imaginaires.
Le milieu ambiant est généralement ignoré, néantisé. Exception faite pour un cadre naturel : plage, forêt, etc... La nature est toujours une matrice magnifiante.
III. Les représentations érotiques sont l'image de l'acte d'amour (en même temps elles en constituent le nerf), c'est-à-dire la transmutation de deux éléments en une unité par le rythme. Il va de soi que ce rythme demeure enfoui en moi pour affleurer à chaque occasion favorable, c'est-à-dire à l'occasion de toute représentation imaginaire. Il structure entièrement le spectacle intérieur. Je n'ai jusqu'à présent pas pu trouver d'autre fondement à ce rythme que celui du désir, de l'érotique, de l'amour. Au reste il m'a toujours semblé difficile de trouver une séquence du spectacle intérieur qui puisse prétendre échapper totalement à l'érotisme.
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IV. Je crois que d'autres ont songé à certaines idées ici émises notamment pour ce qui est de la démarche rythmique du « 2 » vers l'un :
On pourrait aller du jeu de l'un dans l'autre aux croquis de l'être humain bi-polaire de P. Mabille, voire jusqu'à l'androgyne originel des alchimistes. Enfin et surtout je songe à cette longue quête de la synthèse des deux niveaux qui constitue la meilleure part du déroulement des derniers écrits de Nerval.
JACQUES BRUNIUS
Vos questions m'inquiètent. Je ne les poserais pas ainsi. Comment y répondre sans cesser d'être ce que je crois être ?
Il n'est pas impossible que, durant l'acte d'amour, des représentations imaginaires s'imposent à moi, mais autant que je sache, elles se confondent totalement avec ce que je prends alors pour des perceptions. Impossible pour moi de distinguer, de dissocier les unes des autres. Il me faudrait sortir de mon corps, plus encore : séparer mon esprit en deux, la moitié qui participe et celle qui observe. Pareille lucidité, que parfois je recherche en temps normal, je n'y aspire pas pendant l'amour. Elle suffirait à le dégrader à mes yeux. Je me mépriserais d'être capable de m'en détacher ainsi, ne fût-ce que partiellement, pour me faire voyeur de moi-même et de ma compagne, - et plus grave : juge. Même la découverte furtive de notre reflet dans un miroir, loin de m'arracher à une des rares actions où je puisse me perdre pour de longs instants, ne m'y absorbe que plus profondément.
Ce à quoi j'atteins pendant l'acte amoureux, rarement hors de lui, et ce qui en fait pour moi la grandeur et la merveille, c'est précisément cette totale fusion du réel et de l'imaginaire, du matériel et du spirituel, de la chair et de la matière grise, du sexe et du coeur, du dedans et du dehors, où se transcendent classifications, catégories, oppositions, et les êtres eux-mêmes. C'est en faisant l'amour que j'ai compris intuitivement ce qu'entend Breton quand il parle du point suprême où les contraires cessent d'être perçus contradictoirement. Je ne crois pas que je serais parvenu à cette appréhension par la voie intellectuelle, si je n'y avais été conduit par les chemins affectifs.
Il va donc de soi que telles possibles « représentations imaginaires », sont pour moi non seulement réelles, mais évidemment spontanées, involontaires. Qu'elles soient ou non soumises à un ordre fixe, ne m'importe en rien. Je ne le crois pas, mais je n'ai aucun désir de me mettre en posture d'en observer froidement la succession pour pouvoir vous répondre. J'espère même que votre question ne m'obsèdera pas au point de m'y forcer malgré moi. Je fais d'ailleurs toute confiance aux pouvoirs d'emportement de l'amour pour m'en défendre.
Ceci n'exclut naturellement pas des représentations érotiques imaginaires en dehors de l'acte amoureux, avant et après, ou en l'absence de l'être aimé, dans la songerie diurne ou le rêve. Elles peuvent être plus riches et plus variées, dans la mesure où rien ne les ancre plus aux contingences. Les dénombrements les plus ingénieux du genre Kama-Sutra et Jardin Parfumé, où le recours au coupage de cheveux en quatre est fréquent, où des positions très voisines sont artificiellement classées sous plusieurs dénominations différentes aux seules fins de faire nombre, paraissent pauvres en regard de ce que l'imagination débridée peut inspirer. (Voir les prouesses de Lady Clairwill dans Juliette.)
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Il est bien évident que la représentation objective que j'ai de ma partenaire, de moi-même, et de ce qui m'entoure, ne se superpose pas entièrement à la représentation que j'en ai durant l'acte d'amour. Alors, ce qui m'entoure est, dans les circonstances les plus favorables, aboli (la moindre irruption de l'entourage est intempestive), - nous tendons ma partenaire et moi-même, à la fonction, à l'unification totale, et y parvenons le plus souvent pour un laps de temps variable (les facteurs de variation, internes ou externes, sont trop complexes et nombreux pour être analysés ici). Il n'est plus alors possible de parler de représentation objective. Cette expression ne peut s'appliquer qu'en dehors de l'acte d'amour. Alors cette représentation devient à la fois plus analytique et plus compréhensive, donc relativement objective. Elle inclut nécessairement la représentation des comportements de la vie courante, n'ayant qu'un rapport plus ou moins éloigné avec l'amour. Elle inclut également le souvenir aigu, éblouissant, du comportement amoureux. Qu'il y ait entre ces divers comportements des contradictions partielles, une échelle de valeurs, est inévitable. Cependant l'objet aimé me paraît d'autant plus digne de l'être que ces contradictions sont moins nombreuses et moins aberrantes.
Relation avec la création poétique ? Bien sûr, mais relation plus complexe que celle qui est généralement admise. L'Amour et la Poésie, s'ils ne peuvent s'exclure mutuellement, tendent cependant à devenir interchangeables. Je dois donc me poser la question : aurais-je écrit plus de poèmes si j'avais moins aimé ? Peut-être.
Votre allusion au partenaire absent qui peut se substituer imaginairement au réel, réveille mais à peine, un problème qui m'a beaucoup agité dans ma jeunesse, et a totalement cessé de me toucher personnellement. Adolescent, j'ai été hanté à chaque baiser par le souvenir des baisers précédents. A vingt ans j'ai cru possible de faire l'amour avec la meilleure amie de l'inaccessible femme aimée. Je suis rapidement arrivé à la certitude que la masturbation serait finalement préférable à ce genre de subterfuges, en ce qu'elle laisserait le cours plus libre à l'imagination. (Encore mieux : la pollution nocturne au cours du rêve, trop rare hélas, en raison des interruptions, effets ou causes de réveils prématurés.)
J'ai depuis longtemps dépassé ces étapes probablement inévitables de l'initiation à l'amour. Cette initiation, - je dis bien, à la fois au sens vulgaire et au sens ésotérique, - c'est précisément le chemin sinueux qui aboutit à la fusion du réel et de l'imaginaire, de la femme qu'on aime avec le « type de femme » recherché, dans une recontre des amants qui n'est plus « allégorique » comme vous dites, mais effective, - c'est la découverte graduelle et réciproque de l'être aimé, et l'intégration des éléments du couple.
Idéalement cela devrait se passer dès la première rencontre, mais c'est trop demander assurément à une civilisation qui, ayant renoncé à l'initiation tribale des adolescents, n'a raffiné la notion d'amour que pour en même temps la corrompre et l'obscurcir, qui en a fait un thème de joyeuses calembredaines au même titre que la scatologie tout en l'affublant d'un condiment de faute, qui n'a superposé le sentiment au désir charnel que pour aboutir à les opposer et les dissocier. Tout notre effort doit tendre à les réconcilier, et le mieux que nous puissions espérer est d'opérer cette découverte de l'objet aimé à travers les tâtonnements et bégaiements d'amours successives, en une accession asymptote aussi rapide que possible vers la perfection. En dépit de tous les carcans, de tous les freins, nous disposons encore de la passion.
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ROGER CARDINAL
- Je ne prends pas l'expression « représentations imaginaires » dans le sens de « pensées volontaires à autre chose », soit une échappée complète hors de la réalité.
Car mes représentations imaginaires se superposent à la réalité même, se confondent avec elle, sans solution de continuité ; comme on dit : elles sont transparentes, pour contenir d'autant plus de toutes les couleurs possibles. Certes, elles sont valables, elles valent tout ce trésor qu'est l'amour : surgissant d'un geste (vol d'oiseaux sur mon front) elles restent dans le tangible : une femme devient la femme, ce corps se transcende avec le sang battant, et - puisque nous faisons partage de nos imaginations, ou soufflées ou comprises dans un regard - je sais que le mien se transcende aussi bien pour elle que pour moi-même.
Encore n'ai-je parlé que d'une sorte de « norme privilégiée » ; il y a tant de domaines qui s'étalent devant le regard intérieur : jeux de catch, séductions théâtrales, rêveries à deux, où l'on accorde toute liberté aux désirs non éclipsés (je suis un tigre sur ma proie, épargnez-moi !) et tant d'autres folies communes - il faut créer sa propre mythologie.
Mon amour allume son visage, et voici, sous mes mains, sans la moindre exagération la plus belle femme : elle ne le serait pas dans le vrai ? bon, cette chambre nous protège d'un tel mensonge, nous créons notre vérité dans ce lit loin des rives où se jette le vacarme des autos qui passent dans une rue oubliée, si éloignée de notre haleine.
La vie quotidienne pousse devant vous, vous êtes là pour vous rappeler vos joies, ou pas ? et voilà qu'un certain jeudi après-midi est lentement devenu, dans le temps, presque une semaine de plaisir volée aux spectres, et une certaine nuit rentre dans votre solitude pour caresser littéralement vos cheveux.
Oui, la création poétique y est pour beaucoup : quel amour ne crée pas une poésie ? Pour moi, l'établissement (encore peu avancé) de ma vie-maison se poursuit conceptuellement et affectivement avec de telles pensées, des baisers, des promenades, des livres partagés, et - même dans la séparation - ces expériences-comparaisons me sont chères parce qu'elles me mettent encore à un étage au-dessus de moi-même.
(image)
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GÉRARD JARLOT
PARAGRAPHE 1 - QUESTION 1
Les représentations mentales qui accompagnent, chez moi, l'acte d'amour sont des tableaux à trois dimensions, en couleurs. Mon image en est presque toujours absente comme si j'y avais délégué ma fonction de punir, ou d'être puni, à des personnages toujours les mêmes : chauffeurs de taxi, maîtresses de bordel, lingères, prêtres. La femme que j'aime, soumise ou soumettant, est l'obligatoire héroïne de ces scènes.
Ces tableaux se caractérisent par leur extrême manque de variété. Ils n'illustrent jamais qu'un seul thème emprunté à un répertoire de peu d'étendue, où je ne distingue, aujourd'hui, pas plus de quatre grands sujets. Toute intrusion, en cours de route, d'une couleur, d'une forme étrangère, dans l'un de ces tableaux lentement mobiles, fluants, revêtus, au départ, de tel aspect, de tel ton dominants, toute insertion de tel mouvement, de tel personnage, de telle péripétie appartenant à un récit de type B, C ou D, dans l'histoire de type A qui se déroule, toute fausse note, donc, amène, immanquablement et très vite, une grave diminution du plaisir. Elle peut même parfois provoquer une défaillance sexuelle.
Un autre caractère des représentations imaginaires qui accompagnent chez moi l'acte d'amour est la presque absolue - et double - monotonie de leur déroulement. Leur invariable point de départ, la rigueur de leur canevas, leur intrigue sans imprévu, à l'intérieur de cette intrigue la quasi nécessité des plus minimes événements, répondent en effet, si je considère l'ensemble de ma vie, à la rigidité formelle de mes grandes sagas érotogènes, au peu de souplesse de leurs thèmes, à la lenteur de leur évolution dans une histoire qui, en même temps que celle de mes représentations amoureuses, est celle de mon imagination toute entière. Il y a plus de trois ans que j'ai, par exemple, vu disparaître telle image d'un enfant de treize ans, esclave, mâle, aux cuisses liées par un cordon de pyjama rayé bleu ciel passé et blanc, et l'image de la femme à genoux sur une console, la tête entre les bras, le cul nu et tourné vers les vapeurs d'une buanderie où l'on repasse ; cette image, en train de se substituer à la première, reste encore floue, sur certains contours incertaine.
Contrepartie de cette rigueur, invariabilité, etc., ou, plutôt, conséquence - récompense ? - de cette monotonie, rigidité, etc., un dernier caractère de ces représentations imaginaires réside dans la possibilité de plaisir unique qu'elles contiennent, possibilité qui les nourrit à partir d'elles-mêmes, les gonfle à partir d'elles-mêmes et de moi (mais où sont-elles, alors, et où est moi ?), leur donne, en même temps qu'un volume idéal, une irremplaçable et cénesthésique réalité.
En résumé, ces images, vécues dans mon corps, sont à la fois mornes et riches, luxuriantes et sans liberté. Augmentées des idées de mort, sous le constant éclairage de la volonté d'humilier ou d'être humilié, sans elles je ne réussirais jamais à différencier, pour les réunir dans le dialogue et dans le spasme, moi-même de l'objet aimé.
PARAGRAPHE 1 - QUESTION 2
Le seul jugement de valeur que je pourrais appliquer à ces représentations érotiques concernerait, sans doute, leur efficacité. Dans quelle mesure aident-elles au plaisir ? Le plaisir m'est-il accessible sans elles ? Ne sont-elles pas, à elles seules, mon plaisir ? Ou, du moins, où serait mon plaisir sans elles ?
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PARAGRAPHE 1 - QUESTION 3
S'il s'agit des représentations accompagnant l'acte d'amour, elles sont spontanées.
Mes seules représentations volontaires sont celles destinées, dans mon esprit, à me préparer, en face d'un partenaire nouveau, à une première intromission, préparation qui aboutit, quasi immanquablement, à l'échec.
PARAGRAPHE 1 - QUESTION 4
Les représentations qui accompagnent chez moi l'acte d'amour se succèdent dans un ordre fixe. Le voici.
Tout d'abord apparaît le mot, toujours abstrait, - ou la phrase, - ou, encore, un silence qui est, en creux, ma sollicitation aux déclenchantes paroles amoureuses attendues, pour plus tard, de ma partenaire (déclaration d'amour-passion, insultes, aveu d'une complète déférence).
Je n'écris pas ici « apparaît le mot... la phrase... le silence qui, en creux », etc., par façon de parler. Il s'agit bien, en fait, de la survenue sur un champ neutre, de peu de profondeur, incertain, non polarisé, au point le plus obscur et le plus reculé de ce champ, exactement, si je puis dire, face à moi, - il s'agit donc de l'assomption d'une première image amoureuse qui, doucement, se lève. Cette image EST tel mot, telle phrase, ce silence. Je ne vois pas en effet arriver sur moi les lettres qui composent ce mot, les paroles de la phrase ne se précisent pas à mon oreille, telle absence de bruits ne devient pas l'impérieuse révélation du silence, non : un volume sombre, dressé comme certaines membranes grumeleuses, à pic, humides sous le doigt au moment du plaisir dans le sexe des femmes, sort du vide et se manifeste. De peu d'épaisseur, cannelé, formant barrière et grandissant, ondulant au sommet, brunâtre, quelquefois tirant sur le noir, il possède une texture semblable à celle des champignons qu'on trouve dans la soupe chinoise. Je sais, dès lors, ce qui va suivre et en même temps l'ai oublié, ne le sais plus, l'attends comme imprévu. J'exulte. La différence de l'un de ces objets annonciateurs, clefs du futur discours, avec l'autre est minime. Pourtant, à l'évidence, le terme « obéissance » vient de s'avancer, et lui seul. Si je ne l'avais su déjà à l'instant où je l'ai aperçu, montant du rien, sa crête douce, mouillée, balancée, l'enchaînement des images qui vont lui succéder, naissant l'une de l'autre comme la seconde est née de lui, s'enchaînant dans un ordre où n'existe pas la surprise pour aboutir à une conclusion aussi singulière que figée, - si je ne l'avais su d'abord, le développement, donc, de mes représentations amoureuses à partir de l'image mère ne tarderait pas à prouver cette radicale différence. Ainsi, ce volume en marche, figure du terme « soumission » pouvait paraître en tous points semblable à l'image de la phrase « Restez correcte ». Et, cependant, voici celle que j'aime, en haillons, étendue, exposée au moisi, aux morsures des oiseaux, au frôlement de leurs ailes dans le souterrain de M. Lusiaud, alors qu'à la même seconde l'autre aventure l'aurait montrée accroupie, en robe de bal, se meurtrissant les cuisses au levier de vitesse, de bonne heure, en juillet, parmi des pylônes, entre les jambes d'un chauffeur de G 7 à moustaches épaisses, conduisant à tombeau ouvert.
On comprendra dès lors, que décrire l'engrenage de mes représentations amoureuses m'obligerait à beaucoup raconter. Qu'on sache seulement que, vers la fin, de quelque saga qu'il s'agisse, le champ de vision se resserre, devient un triangle isocèle, qu'y apparaît immanquablement une forme dressée, blanche, variable selon le récit, et que l'histoire s'ensable ensuite, perd en volume en même temps que mon plaisir souvent avant d'avoir été atteint s'efface si n'intervient pas le dialogue.
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PARAGRAPHE 2 - QUESTION 1
Ma partenaire, d'abord bien indistincte, bien peu différenciée, gagne en réalité, se sépare, objectivement, de moi, dans l'étreinte, devient elle - volume, couleurs, élasticité des cuisses, du torse, du bassin, etc., - comme je deviens moi à mesure que se développent mes représentations imaginaires.
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Si le dialogue entre elle et moi, au point que j'ai dit ci-dessus, s'instaure, nous nous réunirons cent fois plus haut que l'endroit où nous quittâmes, je l'aime. Sinon, elle prend son pied, du moins j'espère, moi avec peine.
PARAGRAPHE 2 - QUESTION 2
La particularité, quant à la représentation objective que j'ai de moi, de ces rêveries érotiques accompagnant l'acte d'amour est de me réduire, corporellement, à l'extrême.
Ce qui était, au pire, angoisse, tremblement, fiasco, au mieux dispersion des organes, anarchie de la sensation, lointain du corps, plaisir diffus, peu ressenti, plaisir sans trame, au lieu de se voir balayé, annulé, se trouve
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utilisé alors dans une perspective hédoniste, hiérarchisé. Tout, de toute part, concourt à ma jouissance tandis que je me trouve moi-même tout entier ramené à peu de surface, bras, tête, jambes, etc., malaxés, changeant de forme, concentrés, - tout entier, donc, étroitement localisé dans une zone de peu d'étendue qui va du bord supérieur de mon cul à l'orifice dilaté au bout de ma verge. Les abyssales, les déchirantes, les impossibles à combler cavités molles de l'impuissance se remplissent d'un sang généreux. C'est dans le manque précédent que l'érection trouve sa force délectable. L'angoisse se mue en cruauté ou, au contraire, inverse le rapport avec ma femme. Tout désormais, grâce au rêve, sert à mon bonheur.
De même, d'un point de vue moral, la grande monotonie de mes représentations amoureuses, tout en me révélant à moi-même infiniment plus pauvre que je n'avais supposé l'être dans mes moments d'extraversion, correspond, dans les faits, à ma seule vraie singularité, à mon seul pouvoir poétique.
PARAGRAPHE 2 - QUESTION 3
Mes images érotiques utilisent, afin d'en composer leur cadre, des éléments que, sans doute, j'ai aperçus jadis et n'ai pas, en apparence, retenus.
Cette infiltration est bien lente. Vivrais-je assez vieux, aimerais-je assez tard pour que mon décor d'aujourd'hui se retrouve demain, tout ou partie, dans ces spectacles ?
Il n'y a, en tout cas, pas d'exemple que le cadre objectif de mon plaisir ait interféré dans l'instant, tout ou partie, avec le décor de mon rêve.
PARAGRAPHE 3
Quand j'ai aimé, ce qui jamais ne se produit dans l'ordre inverse advient alors : le tapis de la chambre où je marche au sortir du lit, les stores que je relève, l'eau dans le lavabo, plus tard l'ascenseur de l'hôtel, la figure du portier, dehors les gens, le taxi, la couleur du ciel, le contact de l'air contre mes joues, entre mes doigts, contre mes lèvres, la nuit, ou bien le jour, qui vient, arrachés à mon rêve, recouvrant très exactement la trame objective où ils se collèrent, affluent, pour ainsi dire, à ma rencontre, m'entourent longtemps, flottent autour de moi des heures.
Ces jours-là, a fortiori, mon paysage intérieur n'est parcouru que par la vibration des ondes nées dans l'amour et qui, à mesure que le temps, hélas, m'éloigne de leur foyer d'origine, s'apaisent.
PARAGRAPHE 4
Monomanes, impassibles, pathétiques, brûlantes et glacées, ne composent-elles pas l'autre visage, décalque exact, noire matrice, à ne jamais savoir lequel est venu en premier, - l'autre visage immédiatement reconnaissable à qui sait voir, de la création poétique ?
KONRAD KLAPHECK
Il m'est difficile de m'exprimer sur mes représentations érotiques en écrivant, parce que ce sont mes tableaux qui contiennent tout ce que je pourrais dire sur l'amour. Chez moi, peinture et amour sont en échange permanent. Si je regarde ma femme, je songe aux courbes sensuelles des machines à coudre que je désire dessiner et mes tableaux achevés me donnent des révélations sur l'amour.
Deux tendances caractérisent ma vie intime ainsi que mes activités picturales, la limitation de moi-même et la recherche de la perfection. En peinture je me restreins au thème de la machine, dans l'amour il n'y a
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qu'une seule femme pour moi, je suis monogame. Le changement doit être trouvé dans la métamorphose et le travestissement d'un seul objet aimé. Ma femme, la seule que j'aime, doit être vierge et séductrice, dominatrice ou esclave, elle doit représenter toutes les femmes, ainsi que la machine à coudre doit représenter la femme dans le rôle de la fiancée, mère ou veuve. C'est par la répétition et par la renonciation au changement que me semble possible la recherche de la perfection, qui est ma plus grande faiblesse et menace l'acte d'amour de systématisation et de mécanisation. Peintre de machines, je suis moi-même devenu une machine. La goutte d'huile dont cette machine a besoin s'appelle inspiration. Qui serait plus apte à la fournir que l'amour ?
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JEAN MALRIEU
I. Les yeux ouverts, les yeux fermés, je vois, je sais. A l'heure où le désir s'échappe comme d'un loup qui couvre mon visage, cette femme nue au coin du bois anonyme et violée et précise et familière, est-ce celle sublimée et subtile qui s'avance et grandit et me choisit et me livre et me délivre dans la lumière oblique de ce qui est plus que ma vie ? Elle se détache et se confond avec celle qui habite entre mes bras. La meilleure. La révélée. La femme est flamme. Elle est nue comme une amande. Il y a des champs d'ivoire dans l'amour.
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Elle est chaste comme je suis chaste : un scandale d'innocence. C'est toujours l'âge du premier amour. Et voici que je tremble. Tout est chair. Sexe de l'iode, des lèvres, des sacs à fermoir, des rives, des rivages de ce lac calme où nous prenons dimensions. Si j'ouvre les yeux, je suis nageur qui fait provision d'oxygène pour mieux plonger dans le délire. Je me rassure, j'étais seul. Soudain, je suis tous. Je dois fonder quelque ville, quelque part. Puis la respiration devient broussaille. Je rejoins le réel, l'imaginaire, la mort attelée dans le dos.
II. La femme réelle, la femme imaginaire sont vaisseaux. Elles ont pris charge de moi pour m'abandonner sur quelques rives où épars au réveil le monde se reconstitue. Ce sont débris d'un âge d'or. Ils s'ordonnent et me permettent de poursuivre. Il faut toujours mieux s'appliquer et s'abandonner. Un jour, je suis sûr de passer de l'autre côté des choses.
III. Le monde est merveilleux puisqu'il est hanté.
IV. L'acte poétique ressemble à l'acte charnel. Mais le langage est pauvre pour garder trace de l'extase. Le poème - parfois - garde quelques traces de ce feu. Il m'est arrivé d'écrire quelques poèmes avec le pénis.ANDRÉ PIEYRE DE MANDIARGUES
Par volonté, par goût aussi bien que par inclination naturelle, je ne crois pas avoir jamais permis à une partenaire imaginaire, sorte de succube abstrait, d'empiéter sur le domaine de la reine du moment, quelle que fût celle-là. J'ajoute qu'il me semblerait assez ignoble de chercher à posséder par intermédiaire un être inaccessible, et que tout acte sexuel est un sommet trop haut pour que l'on ne soit pas justement porté à surestimer la (ou le) partenaire avec lequel on s'élève. Pareil voeu de surestimation conduit souvent à lui donner des rôles, à la faire « jouer » sur la scène d'un théâtre imaginaire, dont la fin est sans doute de prolonger l'ascension, ou tout au moins d'éviter une trop prompte baisse d'altitude. Que l'on soit ainsi amené, parfois, à mêler au duo un jeu solitaire un peu inquiétant, je ne dirai pas non.
Hors de l'acte d'amour, la rêverie érotique est généralement commandée par la volonté, et la surveillance à laquelle elle est soumise lui enlève la plus grande part de son intérêt. J'ai cependant expérimenté qu'une forte fièvre (au-dessus de 39°) ouvre chez moi tout à fait spontanément la porte à de curieuses images, qui ne laissent pas d'être troublantes. Ainsi, pendant la guerre, au cours d'un traitement médical que je suivais et dont le moyen était la fièvre artificiellement provoquée, chaque fois que ma température dépassait le degré que j'ai dit, je recevais dans ma chambre une visite imaginaire, toujours la même. C'était deux filles que je connaissais dans la réalité, deux soeurs, presque du même âge, qui n'avaient accédé ni l'une ni l'autre à mon désir. De formes un peu lourdement sculpturales (comme des statues aux yeux d'émail), elles m'apparaissaient nues, attachées dos à dos par les poignets et par les chevilles (la cheville droite de l'une attachée à la cheville gauche de l'autre, et réciproquement ; les poignets pareillement). Liées ainsi, elles composaient une espèce de monstre admirable qui évoluait sur le tapis devant moi, prenait des poses, se couchait, se relevait, se tournait et se retournait, sans me présenter jamais que bouche, seins, ventre et que le devant des cuisses. Un Janus féminin, une double femme, en somme, mais de face aussi bien devant que derrière, comme si le côté
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pile avait été relégué à l'intérieur. En réfléchissant, plus tard, je trouvai à cette représentation imaginaire un caractère « anti-Dolmancé », qui ne me déplait pas. Elle est également tout à l'opposé de ce que nous voyons dans un tableau célèbre de Morris Hirshfield, qui ne m'était pas connu à l'époque.
Dans les années qui suivirent, je revis plusieurs fois les deux soeurs, plus floues à mesure que passait le temps, comme des photographies vieillies. Ce qui les faisait paraître autrefois n'est plus actif aujourd'hui, et je ne saurais évoquer leur souvenir sans un certain regret.
PIERRE MOLINIER
L'acte d'amour peut être le rêve divinisé de ce qui était hier.
Des lèvres qui se joignent, les yeux clos, ce n'est déjà plus ce qui était hier : c'est ce temps présent où des sexes se cherchent et s'affrontent victorieusement.
Il y a aussi l'image de demain et de ce qui sera plus tard.
Sans doute aussi, unie à ce présent où la chair s'anéantit dans la volupté, la représentation du passé, comme de ce qui est à venir, magnifie le spectacle intérieur qui est Poésie, et se concrétise dans l'oeuvre - quelle qu'elle soit - pour y laisser la trace du vertige angoissé de notre vie devant l'abîme ou la mort.
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THÉRESE PLANTIER
Qu'on me pardonne de ne parler ici que des femmes. Je ne sais ce que pensent une porte, un castor, un bachelier, ou plutôt je ne sais ce que je pense lorsque je ne rattache pas la particularité d'un geste à la particularité d'un mot. Si je me désigne sous celui de femme, je ne parlerai qu'en ce nom, qui est celui d'autres êtres en lesquels j'accepte de me reconnaître. Si par hasard les mâles (hommes) se reconnaissaient en nous, tant mieux pour eux et pour tout le monde.
L'imagerie érotique de la fille me paraît nulle jusqu'à l'âge de trois, quatre ans. Chez la bébé, l'érotisme resterait conceptuel, lié à des interdits, ce qui ne signifie pas qu'il n'ait pas accès aux plaisirs les plus intenses. L'image n'est pas encore née. Sans avenir ni passé, la fille-bébé vit à l'intérieur d'une coquille fendue, d'une cagoule, et lorsqu'elle regarde, c'est noir. Moi-même, je n'éprouvais de jouissance qu'au défendu, des jouissances indélébiles. La qualité dont se colore chaque sensation, qualité dont la persistance relève d'un choix dû au tempérament, je la nomme érotique lorsqu'elle atteint une certaine intensité, même si elle n'est pas associée à une partie du corps, même si elle dépend par exemple de l'idée que je me fais de l'Interdit. Je devais avoir trois ans (j'ai pu le contrôler en me référant aux dates où ma famille occupa ses divers logements) ; mon père et ma mère me poussèrent dans le jardin qu'une plate-bande tacite séparait du jardin de la propriétaire, avec laquelle ils étaient fâchés, étendant leur réprobation jusqu'à la petite fille de cette dame, et m'interdisant de jouer avec cette fillette, un peu plus grande que moi. Des transes ravies et bondissantes que mon coeur éprouva lorsque mon humble corps errait dans les allées du jardin, main dans la main avec celui de la petite fille interdite, je me souviendrai toujours, et de la terreur avec laquelle je m'appliquai à cette volupté fragile, pouvant être en une seconde détruite par un appel de mes parents ; mais que faisaient-ils donc qui les empêchait de le lancer ?
J'ai bien d'autres souvenirs. Ne devrai-je pas toute ma vie mon goût pour l'or et l'orangé à la passion avec laquelle je volais de petites insignes - deux mains de cuivre sur un ruban - dont mon père était, pour quelque Fraternelle, dépositaire ? Mais alors, point de symboles, d'images substitutives : l'acte, accompli dans la révolte, la crainte et l'anxiété (« tu trembles, carcasse ! ») et, de ces ténèbres, jaillissant, rouge, la volupté.
La représentation imagée, le double, naquit en moi plus tard, entre quatre et six ans, en même temps que l'orgasme, découvert par hasard et sans la possibilité de l'associer à cette restriction que l'on nomme le corps, ou à ce contexte social que l'on nomme l'amour. Je m'étais mise à grimper, comme la plupart des enfants de cet âge (s'ils vivent dans les arbres, ils sont en possession des prolégomènes de l'érotisme). Le frottement de mon ventre contre un mince tronc où, mes jambes l'enserrant, je progressais en hauteur, un jour déclencha l'orgasme et me fit glisser au sol, étourdie. Bonne aubaine ! Personne plus que moi désormais ne se déplaça en hauteur le long des fûts rigides. Sans arrière-pensée d'aucune sorte, je fis si l'on veut l'amour, pendant un bon bout de temps, trouvant cela si naturel qu'il ne me vint jamais l'idée d'en parler à personne, pas plus qu'on ne se vanterait d'avoir bu un verre d'eau. Puis, vers dix ou onze ans, au moment de la pré-puberté, ou à celui où les arbres me manquèrent, puisqu'on m'envoya au lycée, enfin au moment où il ne convient plus à
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une fille de montrer le fond de sa culotte aux garçons qui ricanent, je cessai de pratiquer l'orgasme et l'oubliai complètement, sans savoir que je n'ignorais plus rien des plaisirs qu'est censé vous procurer un mari.
D'autre part - car ce n'était jamais en escaladant -, j'avais commencé à rêver, à me procurer de la volupté, ainsi que de l'horreur, par des images que je me mettais volontairement en état d'accueillir. Et, de même que le rêve n'interférait pas avec l'orgasme, il ne supprima pas le goût de violer l'interdit. Je crois que c'est vers cet âge que je donnai, sans éprouver d'orgasme, mais en ressentant la plus vive des satisfactions, des lavements à une petite camarade. On avait sans nul doute dû me dire que, toucher le derrière des autres, c'est « caca ». Aussi m'y employai-je en secret le plus souvent possible, mais dans cet esprit de sérieux et de révolte où je reconnaîtrai plus tard mes besoins de Révolution. Quant à la rêverie voluptueuse, je la pratiquais dans la solitude, non sans me livrer en ce domaine aux excès où m'a toujours poussée un caractère de feu. Je m'installais sous les artichauts du jardin (on voit que je n'étais guère haute ! Mais il ne s'agissait déjà plus du jardin de Bon-Secours. Je m'aperçois que ma prime enfance s'est passée dans les jardins), ou bien sur les deux barres de fer où l'on posait, dans sa lessiveuse, le linge à faire bouillir. A mes pieds, le tas de cendres, ou le cube de terre élevé par mes soins pour servir d'estrade à mon poupon, m'inspirait les images les plus folles, teintées de sadisme. Vers six ans, j'étais en possession de pas mal d'éléments. D'une part, de la formidable jouissance que procure le viol de l'interdit ; d'autre part de l'assez négligeable orgasme ; ensuite de la rêverie voluptueuse avec images souvent combinées en récits (naissance d'une poésie ?) ; enfin, et je n'en ai pas encore parlé, de l'angoisse de la mort. Je m'éveillais en sueur dans mon petit lit pour crier, si fort que ma mère accourait : « Je ne veux pas mourir ! » Mais les sensations se succédaient les unes aux autres, chargées de terreur ou de plaisir, ou des deux ensembles, sans que j'eusse le pouvoir de me surimprimer à elles par des raisonnements : ceci est venu plus tard, avec la puberté, dont le rôle est peut-être de feutrer les émotions. Erotisme, mort et révolte jonchent mon enfance avec l'éclat de tessons brisés sur une route.
Les enfants erreraient-ils tous entre les concepts, les images et les besoins ? Il se peut que certaines fillettes, élevées en appartement clos, ne découvrent pas l'orgasme. Celles dont les parents aimables aiment à voisiner éprouvent sans doute moins que moi le besoin de communication et le goût de la Révolution. Mais la rêverie, l'imagination, leur viennent-elles tout de même ? Qui le sait ? Des dosages subtils et hasardeux nous forcent adultes. Pour ma part, j'étais préparée à ne pas me contenter de la confusion.
Me voici pubère, nantie d'éclats ressoudés, du moins le pensè-je. L'acte d'amour était-il disposé à me paraître tel ? Il ne me le semble pas. La pensée me vint, comme l'orgasme ou la volupté, par hasard, mais il se peut que je doive à mon caractère de m'enthousiasmer pour ce qui m'arrive (d'essentiel, s'entend, car le reste, ou événements, ne m'amuse pas souvent). Je m'appliquai passionnément aux méthodes, non point tant enseignées par les professeurs que par ces gens sur lesquels glose l'Université : les écrivains. Je lus. Ici peut-être, touchons-nous à l'origine de la création poétique. Si, au moment de la puberté continuée par l'adolescence, on présente une culture à une enfant sensible et coléreuse, elle se décharge de ses craintes et de ses fougues dans cette culture qui ensuite ne perdra jamais ses teintes passionnées. Reporter l'éclat de l'enfance sur la culture
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considérée comme un nouveau mode d'existence, telle est l'origine des poésies rimbaldiennes et des vicissitudes de ce style de vie (cuistrerie, que de croire qu'on n'est pas poète parce qu'on n'écrit pas ; ladrerie, que de penser que le meilleur d'un personnage passe dans son écriture ; rustrerie, que de ne pas permettre à la délicatesse de perdre la vie).
Eh bien, il me fut difficile de prendre au sérieux l'acte d'amour, celui où il faut être deux pour déclencher l'orgasme. A ma connaissance, l'acte d'amour, ou coït, n'entretient aucun rapport avec l'orgasme. Ils ne sont pas venus par les mêmes chemins, le coït étant un acte impliqué par le social, contrairement au narcissisme de l'enfance. L'« amour » tourne le dos à l'enfance, où tout se passait, en ce qui concerne le plaisir sexuel, dans la cavité utérine, non garnie de jumeaux. Trop de ce que je portais de rêverie et de fougue fut versé, par la faute de la pédagogie, dans ce qu'il est convenu de réserver à la rigueur intellectuelle, pour qu'il m'en restât beaucoup pour chérir la mise au point de certains organes en vue de soubresauts concertés. Les partenaires de mes actes d'amour, encore que je les prisse, par suite de mon goût pour la forme, parmi les plus distingués spécimens, se montrèrent rarement, au moment crucial, à la hauteur de mes rêves et passions. La première fois que je me livrai à l'un d'eux, dans un très exaltant décor de collines parfumées à la marjolaine, par une nuit de pleine lune, je n'éprouvai pas l'impression d'avoir commis un exploit, ni même d'avoir violé un tabou. Bien entendu, pas de plaisir. Simplement une participation à la bonne odeur des bois. Ni le garçon ni moi - je parie que nous nous étions préalablement gavés de serments d'amour ! - n'avions rien à FAIRE ensemble. Nul doute pourtant que le plaisir sexuel n'exige des adultes une préparation que l'on nomme désir. Mais si amor est laetitia, concomitante idea causae externae (1), Spinoza s'exprime en onaniste arraché à ses rêves, en enfant déçu, comme moi, par l'entrée de l'Autre dans un jeu où l'on se passait fort bien de lui. Il distingue absolument l'orgasme, produit du chatouillement de l'excitation, de l'idée de sa cause externe, l'orgasme étant obtenu du dedans, comme la plus élémentaire des terreurs. Il ne voit pas comment le premier pourrait se lier à la seconde, sinon par l'inexplicable hasard, qui fait surgir en même temps, concomitamment deux phénomènes, l'un du domaine des sensations, l'autre de celui des idées, ou représentations, ou, pour parler comme Freud, des images. Pour lui, toutes les images sont licites dans la mesure où elles sont concomitantes, non à l'acte d'amour, mais à l'excitation, et nous ne pouvons connaître d'une cause externe que l'idée que nous nous en faisons. Toutefois, il arrive que, durant le coït, deux images se superposent : l'une relative à la cause externe, ou partenaire ; l'autre, ou les autres, en rapport avec les causes véritables de l'orgasme, lesquelles, d'aventure, peuvent même représenter une partie du partenaire.
Même la femme qui se croit ou que l'on croit la plus dénuée d'imagination, savoir : la sensuelle « pure », la vaginale, coïte avec une représentation, celle du phallus de son co-équipier. Plus intense est la représentation qu'elle se fait de l'organe local, plus intense est la titillation. Il faut se défendre du préjugé de la simplicité : il n'y a pas d'humains instinctifs, s'identifiant à une conduite exclusive. En fait, plus les gens s'abandonnent à ce qu'ils pensent être la simplicité des instincts, plus ils sont névrosés ; plus ils paraissent frustes, plus leurs actes sont complexes. La vive représentation du phallus de l'homme désiré, de ses lèvres, ou de n'importe quelle partie de son corps, n'est jamais que fétichisme. Hors de
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la communion intemporelle, ou de la désunion temporelle, il n'est d'amour.
Car je crois à l'amour, aux rencontres passionnées, à la persistance des ors et des vermeils sur les objets quotidiens que le bonheur transfigure, je crois à la décoloration totale du monde lors de la disparition de l'être aimé. Mais je n'ai jamais su grand chose de mon partenaire du coït, fut-il aimé, désiré, ou subi. « Nous ne disposons pas en psychologie, écrit Raymond de Becker (un homme pourtant !) d'un concept de réalité assez évident pour y élaborer de critère objectif ». Aussi dois-je avouer que les transferts érotiques d'une représentation à une autre me sont familiers. Sans que cela exerce la moindre influence sur mes sentiments. J'ai même observé que la concordance des mes représentations imaginaires avec mes représentations objectives ne signifiait le plus souvent qu'une absence de sentiments amoureux. Mon intérêt pour l'image que je me fais du phallus de la personne utilisée au coït est souvent, triste mais vrai, en raison inverse de l'intérêt que je voue au porteur d'organe. Je me vante. Je devrais dire seulement qu'il m'a toujours paru que je m'abandonnerais aux plus fortes jouissances dans les bras d'un homme dépourvu de conscience, d'un être de pure apparence. Ne serait-ce pas celui dont la réalité objective se fondrait dans l'imaginaire ? Il me faudrait alors conclure que ce n'est qu'autant que nous substituons à l'être aimé pendant la copulation une diversité d'images, que nous substituons ensuite, dans la vie quotidienne, aux objets banaux l'image idéale de l'être aimé. N'est-ce pas autant que nous l'oublions dans le désir que nous le recréons dans le non-désir ? Peut-être est-ce là démarche de poète. Mais comment saurais-je quelque chose de ceux qui ne le sont pas ?
PHILIPPE SOLLERS
Dans la mesure où je tente de vivre la disparition du « moi » (et avant tout du moi psychologique, possédant et réducteur), je pourrais vous répondre que ce sont justement les représentations de l'autre qui présentent à mes yeux le maximum d'intérêt, ou encore la représentation qu'il se fait de mes propres représentations (dans le cas où l'imaginaire n'est pas absorbé et comme perpétuellement devancé par le geste effectif). Bien entendu, c'est à cet autre (je est cet autre) que l'acte érotique s'adresse. Les jugements ne sont pas ici des jugements de valeur mais des jugements d'existence. Il s'agit par conséquent de « parler » et de « laisser parler » (le geste est une seconde parole) ce sujet qui se dresse en avant de vous, un peu comme si on entrait dans une traduction réciproque, immédiate, incessante, intense. Il n'y a pas alors représentation fixe et déterminée, mais traversée et destruction active de toute représentation, dialogue verbal et physique qui vise l'inconnu comme l'insensé, dialogue qui doit faire disparaître les distinctions en exposant un « couple » primitif à un seul « sens », à une seule nudité de plus en plus vive. Ce qui transparaît ici, c'est évidemment la mort, où le langage érotique (et le langage tout court) prend fin - mais touche aussi un commencement sans mesure. Il me paraît inutile d'ajouter que le « spectacle intérieur », la « vie quotidienne », la « création poétique », doivent découvrir consciemment le même mouvement fondamental, c'est à dire, en somme, la même crise et la même communication.
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MAX WALTER SVANBERG
LES DEUX POLES
Mon existence, et avant tout mon existence amoureuse, est comme les seins jumeaux de la femme : l'un, le désir charnel, l'autre le désir de l'imagination, dépendants l'un de l'autre comme l'aveugle de celui qui voit, stimulés par la proximité et la distance : deux pôles à la fois parallèles et rapprochés.
L'acte d'amour et mon art naissent et se réalisent suivant les mêmes modèles. L'acte d'amour ne consiste pas uniquement en positions érotiques du corps, pas uniquement en images érotiques de l'imagination. Il est cette force jointe des pôles visant à garder et à vivre le merveilleux. Dans cet acte, je vis le modèle concentré de l'oeuvre d'art et par les sens jumeaux de mon existence, j'infuse, avec mes baisers, dans son corps à la peau de dentelles blanches, roses et fleurissantes, toute ma concupiscence. Le modèle d'amour qui vit spontanément et librement dans mon existence est aussi nécessaire qu'ébloui. La chasteté et la tentation sont les deux pôles du modèle. Avec son champ éternellement vierge, la chasteté attire. Si dans la chasteté fleurissent les rosettes noires et gonflées de la tentation, mon imagination aura mille mains, la femme sera mon corps ; elle est mon imagination et son corps représente deux baisers d'éternité.
La femme - ma femme - est la fraîcheur où mon corps et mon imagination se nourrissent. Sa jeunesse est gravée dans mon coeur. Elle est là avec sa peau de porcelaine fleurie ; elle est là avec ses rosettes gonflées.
Ma femme et l'amour palpitent dans mon art.
(Traduit du suédois par Lasse Soderberg.)
JEAN ZURFLUH
Le terme de « représentation » relève d'une psychologie de la conscience qui, à la suivre, ne nous apprendrait pas grand chose sur l'imaginaire dans la vie amoureuse.
En fait, il me semble qu'il existe des fantaisies conscientes et inconscientes, la psychanalyse réservant à ces dernières le terme de « fantasmes ». Dans ma vie amoureuse, j'admets qu'il existe de telles fantaisies, conscientes ou non. Elles se ressemblent par deux caractères vécus :
Elles s'expriment par des tons affectifs puissants et contradictoires ;
Elles sont à la fois instables, fugaces et régulièrement résurgentes.
Il ne fait pas de doute pour moi que les fantaisies conscientes sont sous la dépendance des fantasmes, et que ceux-ci présentent un caractère foisonnant sous l'apparence de rareté qu'on leur reconnaît vulgairement ; les actes manqués sont rares, mais ce fait ne permet pas de conclure que notre vie ne fourmille pas ainsi d'actes manqués et de fantasmes où s'exprime la constante pulsation de l'inconscient.
Dans l'acte d'amour, j'admets que mes tantasmes sont à l'oeuvre. Ce sont eux qui soutiennent ou altèrent mon plaisir. Ils le soutiennent quand ils me permettent de viser l'être aimé dans sa totalité, c'est-à-dire comme un être sans pénis auquel pourtant rien ne manque, et vis-à-vis duquel j'ai à être celui qui manque, sans pour autant représenter autre chose, qui serait
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au-delà de mon corps. Mes fantasmes altèrent mon plaisir, et celui de l'être aimé, quand ils prétendent viser au-delà de nous-mêmes, qui sommes ici et maintenant et pas ailleurs. Cette visée au-delà de nous-mêmes, c'est elle que je reconnais dans l'érotisme, avec sa fascination par le détail.
Ce qui fascine ici l'amant, ce n'est pas le sein ou la cheville de sa partenaire, c'est un au-delà qu'il nous faut débusquer, car cette religion, pour être dans le boudoir, n'en est pas moins castratrice.
Les « représentations » érotiques justifient donc un jugement de valeur. Je les crois volontaires bien que l'expérience m'incline à sentir qu'elles échappent à ma volonté ; l'ordre de leur succession me paraît déterminé, au moins partiellement, par l'organisation de ma vie quotidienne (repos, travail, repas), cette organisation jouant probablement dans le sens religieux déjà indiqué (rituel).
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Les fantasmes de ma vie amoureuse interfèrent naturellement avec la représentation objective de ma partenaire et de moi-même, mais cette interférence prend la forme d'un découpage ou d'une adjonction imaginaire dans une visée qui transcende autrui, et donc le méconnaît ici et maintenant. Cette méconnaissance d'autrui est inséparablement méconnaissable de moi-même. Il existe une autre catégorie de fantasmes qui n'interfèrent pas mais me font accéder à la prise de moi-même et d'autrui. Ici, je suis tout à la fois sujet et mâle, possesseur et possédé, égal et différent, je prends et je donne merveilleusement plaisir.
Je suis persuadé que la vie quotidienne conserve la trace des fantasmes érotiques. Il est évident pour moi que certains font ainsi l'amour imaginairement avec des fétiches ; les objets phobiques sont des objets très quotidiens où le fantasme se loge facilement, depuis le cheval du petit Hans jusqu'à cette rue qu'on ne peut traverser. Le sujet s'y fascine lui-même dans une représentation archaïque de soi.
Les fantasmes ont certainement une relation avec la création poétique ; il existe dans celle-ci des formes qu'on peut rapprocher de celles qui sont à l'oeuvre dans les rêves : c'est le cas de la métaphore et de la métonymie qui rappellent respectivement les mécanismes de condensation et de déplacement mis en lumière par Freud.
Dans son Esthétique, Hegel note que « l'expression métaphorique n'a qu'un côté, celui de l'image ; quant à la signification proprement dite, elle ressort de l'ensemble dont fait partie l'image, et cela d'une façon directe, sans qu'il y ait lieu de l'abstraire de l'image... la signification proprement dite se trouve pour ainsi dire étouffée... ».
Il en est bien ainsi des fantasmes érotiques, tels qu'ils s'expriment dans le rêve et la rêverie ; on peut ainsi comprendre Saint-Pol-Roux lorsqu'il faisait placer sur la porte de son manoir l'écriteau « le poète travaille » avant de s'endormir ; mais si le poète travaille dans les « représentations » érotiques, dans la subjectivité, il peut s'apercevoir peut-être que s'exprime dans ses fantasmes le jeu répétitif, et comme circulaire de la pulsion sexuelle. On ne saurait réduire la poésie à cette imagerie lassante, et je ne crois pas que des surréalistes eux-mêmes, si tentés qu'ils le furent, se soient laissés réduire à cette démagogie du sensible.
Le poète ne se place-t-il pas à un niveau qui à la fois englobe et dépasse la fantaisie érotique, et très précisément à un point de vue universel qui tout en s'écartant de l'abstraction (apologie, description, ou didactismes divers) recueille précieusement la fantaisie individuelle et la fonde en raison ? La poésie c'est « l'individuel fondé en raison », observe Hegel ; j'ai toujours pensé que « la raison ardente » ne désignait rien d'autre.
Nous avons recu de Gilbert Lely une réponse qu'il déclare lui-même impubliable dans l'état actuel de la législation. Nous nous voyons contraints de nous ranger à son avis.
Notre prochain numéro publiera les réponses de Jean-Louis Bédouin, Raymond Borde, Adrien Dax, Jean-François Revel, Christiane Rochefort, Michel Zimbacca, etc.
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L'exemple de Cuba et la révolution
Message des surréalistes aux écrivains et artistes cubains
En 1964, le surréalisme est moins que jamais enclin à se retourner sur son passé pour apprécier l'importance de ses conquêtes et l'élargissement de son audience.
Transformer le monde est une tâche primordiale : rien ne peut être gagné si demeurent les structures économiques sur lesquelles sont fondées les valeurs traditionnelles, leur émanation et leur sauvegarde. Néanmoins, n'admettre - même temporairement - que ce seul point d'application pour la lutte, reviendrait à instaurer un conformisme pernicieux, ne débouchant que sur une satisfaction élémentaire, et qui suppose l'existence d'une hiérarchie des besoins, partant, une définition de l'homme, de ses pouvoirs, de ses désirs, laquelle procède inévitablement des notions passivement héritées de siècles de servitude.
Telle qu'elle nous parvient, la culture, y compris l'apport du XXe siècle, n'est qu'accumulation quantitative, visant tout au plus à un affinement de la sensation dans un cadre immuable où l'homme demeure aliéné. Il est inadmissible qu'un héritage borné à l'inventaire de la complaisance mise par l'homme à dorer ses chaînes, soit accepté sans réserves. Les monuments poussiéreux qui jalonnent l'histoire de l'expression nous importent moins que les cris isolés poussés de loin en loin au cours des siècles, tels ceux de Sade ou de Lautréamont, flammes figées en glaives, visions fulgurantes du grand corps dispersé, prémices pour une refonte totale de la sensibilité.
L'ordre politico-économique qui, depuis l'occident, régit le monde, a non seulement conditionné des relations sociales fondées sur l'exploitation de l'homme, mais a engendré une structure mentale capable d'assimiler, au profit de cet ordre, tout ce qui pouvait s'opposer à lui, et de voiler pour longtemps ce qui demeurait irréductible.
Aujourd'hui peut-être de manière plus exemplaire et plus lucide que jamais, le surréalisme lutte précisément pour amener à leurs ultimes conséquences révolutionnaires les conquêtes déjà acquises.
Le surréalisme n'essaie pas de définir ce que sera l'homme à venir ni de peindre le paysage du futur paradis. Ce qu'il veut, c'est que l'homme de demain soit différent
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de l'aliéné contemporain. Pour cela il estime indispensable de procéder à l'analyse critique des formes actuelles de la société et, par leur contestation, de susciter l'irruption violente de tout ce qui dans l'individu, pour avoir été trop longtemps soumis à la répression, reste aujourd'hui à l'état de virtualité. N'était-ce pas là l'idéal et le but de Marx et de Freud ?
Une vraie révolution doit transformer l'homme dans sa totalité sociale et individuelle. Il n'est pas suffisant de détruire les structures économiques capitales et d'installer au pouvoir une autre classe qui exerce sa domination selon des préceptes hérités de l'ancienne société : sainteté du travail, amour sacrifié à la multiplication de l'espèce, culte de la personnalité, fonctionnarisation de l'artiste réduit au rôle de propagandiste, etc.
Une révolution authentique n'a rien à redouter du libre exercice de la pensée, ni d'une activité artistique exclusivement de tout sectarisme. Une révolution qui défend la liberté de création peut être une révolution sans thermidor.
Dans la révolution cubaine, dans l'admirable insurrection de la Sierra Maestra, dans la lutte du peuple cubain pour sa liberté et dans l'opposition des intellectuels et artistes cubains à tout dogmatisme, le surréalisme salue un mouvement fraternel.
Oeuvrant lui aussi, dans la mesure de ses forces et des circonstances à la liquidation des valeurs idéologiques et morales du capitalisme, visant à une restructuration radicale de l'entendement et de la sensibilité, le surréalisme se déclare solidaire des artistes révolutionnaires cubains qui luttent pour le même objectif dans un contexte bien plus violent et dangereux.
LE SURRÉALISME S'EST TOUJOURS VOULU DANS SON DOMAINE PROPRE CATALYSEUR DE RÉVOLTE ET CETTE ASPIRATION COINCIDE AVEC CE QU'EST DANS L'ORDRE POLITIQUE, L'EXEMPLE CUBAIN. IL AMBITIONNE DE DEVENIR LE FIL CONDUCTEUR ENTRE LES MOMENTS SÉPARÉS DE LA RÉVOLUTION ET DE PERMETTRE LEUR DÉPASSEMENT PAR UNE DÉTERMINATION SANS ÉQUIVOQUE DE LEUR SITUATION A L'INTÉRIEUR D'UN PROCESSUS, AINSI QUE PAR RÉFÉRENCE AU SEUL FACTEUR DE PROGRES : L'IMPLICATION DE LA TOUTE PUISSANCE DU DÉSIR.
L'AMOUR ET LA POÉSIE, SEUIL DE LA MAISON ENFIN HABITABLE.
Été 1964.
A d'autres ! ...
Sur ses vieux jours l'Eternel s'accommoda du transformisme : tout compte fait l'échelle des êtres ressemblait à celle de Jacob. L'Eternel se jucha au sommet. Je suis, convint-il, l'Omega. Le R.P. Theilard officiait, le Diacre Pauwels encensait - et personne n'osait secouer l'échelle.
Il est réconfortant que dans son
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essai : L'homme et l'invisible, Jean Servier l'ait osé. Même si le personnage est suspect, même si les preuves qu'il amasse contre les théories de l'évolution sont souvent légères, il reste que tout remueménage imposé au vieux tréteau où paradent en prêchant la patience, le crapaud primordial et les fausses-couches de l'australopithèque, ne peut qu'induire l'esprit à s'offrir, séance tenante, une joyeuse revanche.
De surcroît Jean Servier n'a pas de peine à montrer combien les doctrines évolutionnistes concourent, en dépit de leur feinte humilité, à renforcer la suffisance de l'homme blanc à l'égard des cultures réputées primitives - et fondent par conséquent le plus insidieux mais le mieux ancré des racismes.
On ne saurait donc se garder d'emblée de qui affirme si haut qu'un Indien Bororo est non seulement en droit mais en fait (intellectuellement, moralement, spirituellement) l'égal d'un ingénieur de l'I.B.M., et doute, en fin de compte, duquel aurait à prendre des leçons de l'autre ; ni récuser sans examen la querelle faite ici à la notion même de progrès, remise sans ménagements en face des espoirs de bonheur et de sagesse dont on la disait garante. Si force nous est de n'applaudir que du bout des doigts et bientôt plus du tout, c'est que la lecture du livre procure vite un malaise qui va croissant : pourquoi secouer ainsi l'échelle bio-théologique si le dieu culbuté, sous le nom d'abord peu compromettant d'Invisible, en prend si fort à son aise avec la sociologie ? Il ne règne plus, il imprègne. Il suffit que le Sinanthrope ait déjà enseveli ses morts avec honneur pour que l'Invisible existe, prenne une figure connue et se réjouisse en soi-même que l'esprit des premiers hommes ait su concevoir Sa Révélation. On aura reconnu le vieil argument ontologique : il est sous-entendu dans tout le cours de l'essai - et l'auteur ne semble mettre à mal les plus sottes habitudes de pensée que pour porter notre désarroi au comble, nous réduire à prononcer (à sa place, car pour sa part il s'en garde bien !) l'imprononçable Nom.
En fait (et sans doute en intention) le procès qu'il intente à notre civilisation relève d'un obscurantisme alarmant ; s'il en tient contre le progrès ou la raison, n'est-ce pas davantage, en effet, en fonction des espoirs de liberté qu'à leur origine ces notions ont ravivés sous la cendre des dogmes, que de l'usage pour le moins détourné qu'en a fait l'Occident ? On jurerait d'ailleurs qu'il chérit avant tout chez les peuples nus un asservissement présumé au divin : ses « sauvages » ne sont décidément pas les nôtres.
Du reste Messieurs de Planète ne s'y sont pas trompés et c'est à peine un opposant qu'ils ont accueilli et fêté. On sait que la foi de ces gens-là dans le progrès humain, fascinée qu'elle est par le moindre gadget spatial, n'en garde pas moins un oeil sur le « vrai Ciel » : bienvenue donc, pourvu qu'ils nous Le ramènent, aux fourgons de l'étranger !
Laissons Jean Servier en si belle compagnie et, pour prendre congé, rappelons qu'à nos yeux un masque eskimo n'est d'aucune façon le faux-nez du Créateur mais le signe éclatant d'une aptitude à la plus extrême Liberté : celle de l'Imaginaire, lorsqu'il tend à devenir réel.
P.A.
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Trotsky, Fourier
De la bouche même de Léon Trotsky, André Breton tient que pour établir le contact avec les villes étrangères dans lesquelles l'exil et la surveillance policière le contraignaient de séjourner, il n'y avait pour lui plus sûr moyen que d'aller tout d'abord à la bibliothèque prendre connaissance des oeuvres de Fourier qui pouvaient s'y trouver. Est-ce assez dire que rien de hasardeux ne présidait à ces secours que Trotsky allait aux heures les plus noires chercher auprès de Fourier ? De « Littérature et Révolution » (1), nous extrayons ces lignes : « Le caractère de l'enfant se manifeste par le jeu. Le caractère de l'adulte s'exprime le plus fortement par le jeu et les distractions. Jeux et distractions peuvent aussi largement contribuer à la formation du caractère de toute une classe - lorsque cette classe est jeune et va de l'avant, comme le fait le prolétariat. Fourier, le grand utopiste français, érigea ses phalanstères sur l'utilisation et la combinaison rationnelle des instincts et des passions humaines, afin de faire contrepoids à l'ascétisme chrétien et à sa répression de la nature humaine. C'est une idée profonde. L'Etat ouvrier n'est ni un ordre religieux, ni un monastère. Nous prenons les hommes tels que la nature les a créés et tels que l'ancienne société les a en partie éduqués, en partie estropiés. Au sein de ce matériel humain vivant, nous cherchons où enfoncer les leviers du parti et de l'Etat révolutionnaire. Le désir de s'amuser, de se distraire, de regarder un spectacle et d'en rire, est un désir légitime de la nature humaine. Nous pouvons et nous devons accorder à ce besoin des satisfactions artistiques toujours plus grandes, tout en nous servant de cette satisfaction comme moyen d'éducation collective, sans exercer de tutelle pédagogique ni de contrainte pour imposer la vérité. »
(1) Julliard 64. Ce passage est extrait d'un texte intitulé « Alcool, Eglise et Cinéma ». Bien que ce texte ne soit pas daté, il ressort du ton général que celui qui parle (Trotsky) était encore en position de faire adopter les solutions qu'il apportait aux problèmes soulevés par la révolution. Ce livre est d'une extrême importance. Nous serons amenés à y revenir.
Trotsky, Fourier, l'Irréductible et l'Illimitable dont seule la fusion éclaire en nous la nature et la portée de notre espérance révolutionnaire.
J.-C. S.
A quand ?
Notre article « le Plagiat des coquilles n'est pas nécessaire », paru dans le numéro 6 de la Brèche, ne prétendait nullement faire le bilan complet de toutes les rééditions des Chants de Maldoror. Aussi nous étonnons-nous de la réaction de M. José Corti (cf. Le Figaro littéraire
P.107
et les Nouvelles littéraires du 9 juillet 1964) arguant de ce que nous n'avions pas examiné sa réédition de 1963, laquelle a effectivement supprimé un bon nombre des fautes qui déparaient ses rééditions de 1938 et de 1953. Toutefois, M. José Corti, oubliant que la liste des erreurs habituelles que nous avions publiée n'est pas exhaustive, s'abuse en prétendant que sa réédition de 1963 ne comporte que sept plagiats de coquilles (pp. 133, 134, 190, 191-192 _, 229 _, 252 _, 256 _) et évite toute faute de ponctuation. Un sondage sommaire nous permet, en effet, de constater un certain nombre de plagiats supplémentaires, soit de texte incorrect (pp. 139 _, 166, 220 _), soit de ponctuation non respectée (pp. 126, 127, 193 _, 194, 195, 221, 224 _, 233 _, 235 _, 236 _, 284 _, 324, 331 _, 333 _), soit de majuscule superflue ou omise (pp. 159 _, 212 _), sans parler des inconséquences dans l'orthographe (pourquoi rectifier encor..., p. 250 _, et tolérer Norwège, p. 150 _) ou bien des corrections contestables du genre de certains mots que nous avions dénoncées (orbite _, globule _, effluve _, stalactite _ ; par contre, scorpène suit enfin le genre de l'original, p. 275 *).
(*) L'astérisque indique que la même coquille ou la même version erronée figure dans la réédition du Livre de Poche (texte établi par M. Saillet), Paris 1963, que, sans pousser nos investigations plus loin, nous avons, par curiosité, ouverte aux pages correspondantes.
Ce ne sont pas les accidents typographiques isolés que nous déplorions : nous persistons à réclamer une édition des Chants de Maldoror enfin épurée de la totalité des fautes constantes que nous avons en partie énumérées.
Radovan IVSIC.
Vers une refénestration de Prague ?
On sait que depuis l'exposition « le Surréalisme International » à Prague en 1947 aucune manifestation surréaliste n'a eu lieu en Tchécoslovaquie. Bien qu'à notre connaissance il n'y ait pas de véritable activité surréaliste dans ce pays, deux documents nous parviennent qui témoignent l'un et l'autre d'un intérêt persistant pour le surréalisme. Le premier est le catalogue de l'exposition « la peinture imaginative 1930-1950 », organisée par Vera Linhartova et Frantisek Smejkal à Hluboka (Galerie Alsova, mars-avril 1964), groupant les oeuvres de Toyen, Styrsky, Teige, Heisler, Tikal, Istler, Medek, etc. Nous lisons dans ce catalogue : « L'exposition de la peinture imaginative présente pour la première fois dans son ensemble l'une des plus importantes tendances de l'art moderne tchèque s'étendant aux années 1930-1950. Dans cette tendance, le rôle dirigeant fut joué par l'activité surréaliste ». Il est bien dommage que cette exposition n'ait pas pu avoir lieu à Prague.
De Slovaquie, nous venons de recevoir un numéro spécial de la revue Slovenske pohledi, consacré au surréalisme. Une première partie, de caractère anthologique, est suivie de compte rendus de discussions et d'un dictionnaire du surréalisme par Marencin et Mojzis. Parmi les articles, signalons celui
P.108
de Vaclav Zigmund : « Les étapes générales du développement du surréalisme ». Nous en traduisons un passage, concernant la Brèche :
« Cette revue à périodicité irrégulière publie non seulement les articles sur les problèmes politiques et culturels, mais aussi de nombreuses études dans lesquelles les surréalistes traitent avec succès les problèmes de leurs propres activités artistiques. Les articles qui se rapportent au processus de la création artistique, à l'influence de la vie sexuelle sur les oeuvres d'art ou à leur interprétation, etc., ont une grande valeur professionnelle due à la grande connaissance des sujets traités. Naturellement, on ne peut pas être d'accord avec plusieurs de ces articles mais la plupart d'entre eux nous forcent à réfléchir et peuvent après discussion améliorer notre connaissance des problèmes de la création artistique. »
R.I.
"LE SOLEIL NOIR" JEAN-PIERRE DUPREY DERRIERE SON DOUBLE suivi de SPECTREUSES avec une préface d'ANDRÉ BRETON
Ce volume, pour lequel Jacques Hérold a dessiné un frontispice nouveau, donne la version définitive et intégrale de DERRIERE SON DOUBLE. Nous y avons, en effet, inséré « EN L'AIR DE VERRE PASSÉ AU PHILTRE DU VIDE », que J.-P. Duprey avait retiré de l'édition de 1950. On y trouvera également le texte intégral de SPECTREUSES dont un fragment illustré par Max Ernst, avait été publié dans l'Almanach surréaliste du demi-siècle, en 1950. La présente édition comporte, en outre, la reproduction des dessins de Max Ernst.
333 exemplaires dans la série "Club du Soleil Noir" numérotés et reliés pleine toile avec une eau-forte originale de Jorge CAMACHO. 30,00 F.
et 1.500 exemplaires, sur vélin bouffant Select Bellegarde, numérotés et brochés sous couverture originale. 12,00 F.
Oeuvres de JEAN-PIERRE DUPREY, en préparation
LA FIN ET LA MANIERE préface d'ALAIN JOUFFROY Adressez vos souscriptions à LA LIBRAIRIE LE TERRAIN VAGUE 23-25, rue du Cherche-Midi - Paris (6e)
LE SOLEIL NOIR
ROBERT LEBEL LA DOUBLE VUE suivi de L'INVENTEUR DU TEMPS GRATUIT avec des illustrations de ALBERTO GIACOMETTI et de MARCEL DUCHAMP Cet ouvrage, où se rencontrent trois personnalités parmi les plus singulières de notre époque, semble ne pas avoir d'équivalent dans la littérature contemporaine. 150 exemplaires dans la Série "Club du Soleil Noir", numérotés sous simple emboitage Ingres avec une eau-forte originale de FERRO. 30,00 F et 1200 exemplaires numérotés sous couverture originale. 12,00 F Pour le service de nos bulletins d'information et de souscription s'adresser à LA LIBRAIRIE LE TERRAIN VAGUE 23-25, rue du Cherche - Midi - Paris (6e) Raymond BORDE
Pierre MOLINIER Texte d'André Breton
Une plaquette illustrée de 60 photographies dont 6 en couleurs 18 F 50 exemplaires sur Marais ornés d'une eau forte de Pierre Molinier 150 F
Prochaines parutions Jean-Jacques BROCHIER Sade, Dieu et la Religion
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Comité Maurice AUDIN Le Cinéma Politique (Le Dossier Octobre à Paris)
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Lewis CARROLL Lettres à des Enfants (nouvelle édition augmentée) TRADUCTION JACQUES PAPY
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LE TERRAIN VAGUE
Direction André Breton Comité de rédaction Robert Benayoun, Vincent Bournoure, Gérard Legrand, José Pierre, Jean Schuster Administration Le Terrain Vague, 23-25, rue du Cherche-Midi, Paris (6e). C.C.P. 13 312.96 - Paris.
FOMENTO OBRERO REVOLUCIONARIO POUR UN SECOND MANIFESTE COMMUNISTE
La pensée et l'action révolutionnaires se trouvent freinées aujourd'hui, moins encore par le rapport objectif des forces mondiales que par le besoin non encore réalisé mais vaguement ressenti, d'un énergique renouvellement. Diverses tentatives récentes en vue de ce renouvellement se sont heurtées à un préalable desséchant, qui repose sur une équivoque : « Repenser le marxisme ». Elles ont abouti, comme le plus naturellement du monde, soit à des reculs idéologiques dissimulés par les « nécessités » de la tactique, soit à des « élargissements » où le caractère inéluctable de certains dilemmes était noyé dans un verbiage réformiste. En effet, ces tentatives participaient à la fois d'une attitude fétichiste devant la lettre des « grands ancêtres » et d'un manque de conviction qui s'est encore alourdi, chemin faisant, du goût maniaque des « problèmes » pour les problèmes.
A ces exercices stériles, le présent ouvrage s'oppose avec d'exceptionnelles garanties tant de rigueur que d'enthousiasme. Elaboré idéologiquement, au cours des années 40, par Benjamin Péret et G. Munis, et dès lors partiellement rédigé, il ne se limite pas à l'accablant bilan des erreurs, des crimes et des complicités qui transformèrent la IIIe Internationale en la plus puissante force contre-révolutionnaire que l'Histoire ait connue, puis entraînèrent la faillite des organisations « oppositionnelles » incapables de recueillir et de revivifier l'inoubliable héritage de Léon Trotzky. Il propose des bases théoriques et des mots d'ordre concrets qui font sa part à la passion révolutionnaire - comme éléments d'une discussion entre tous les groupes et individus épris de liberté - pour l'élaboration d'un programme qui ne bute pas sur les tabous de l'analyse « orthodoxe » et de la « vérification » à perte de vue d'idées dont certaines sont mortes. Liant définitivement la suppression du capital à celle du travail salarié, il annonce la « remise en route » du mouvement communiste dans une perspective ouverte aux initiatives, en même temps qu'irréductiblement fidèle à l'esprit des sacrifices et des luttes qui auront préparé la société sans classes de l'avenir.
un volume réunissant le texte espagnol et la traduction française 7,50 francs ERIC LOSFELD, éditeur LE TERRAIN VAGUE