MÉLUSINE

LA BRÈCHE N°4, FÉVRIER 1963

LA BRÈCHE
Directeur :
ANDRÉ BRETON
Comité de Rédaction :
Robert Benayoun, Gérard Legrand, José Pierre, Jean Schuster
Administration
Le Terrain Vague, 23-25, rue du Cherche-Midi, Paris (6 e). C.C.P. 13312-Paris.

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Né à Cermna, Tchécoslovaquie, en 1899, le peintre Jindrich Styrsky appartint vers 1926 au Groupe Devetsil, où il illustrait avec Toyen la tendance dite du “ poétisme ”, qui jetait un pont entre le cubisme et le surréalisme. Dès 1934, lors de l'Exposition Surréaliste de Prague, il développa une série éblouissante de collages en couleurs (Le cabinet de déménagements). Après avoir exposé son fameux cycle de tableaux Racines, il revient au collage pendant la guerre : les prières de la radio clandestine tchèque, qui chaque jour suppliait Dieu de chasser l'envahisseur, lui inspirèrent une dernière série violemment anticléricale, dont plusieurs exemples illustrent notre numéro. Styrsky est mort à Prague en 1942.

LA BRÈCHE ACTION SURRÉALISTE 4 février 63

Robert Benayoun 1 From the horse's mouth Jean-François Revel 2 Seconde Préface au “ Style du Général ” Jean-Louis Simon 5 La poésie soviétique entre le silence et la liberté Vincent Bounoure 12 Le paradoxe de la communication Gérard Legrand 15 Le onze novembre R. B. 17 L'anthropométrie fantastique de Lenica Adrien Dax 18 A propos d'un talisman de Charles Fourier Emile Lehoucq 24 Un divertissement linguistique de Fourier Alain Joubert 26 L'air décime Jean-Claude Silbermann 29 Hôtel du sans visage André Breton 32 Main première Pierre de Massot 36 De tout repos Philippe Audoin 37 De près et de loin José Pierre 42 Les pirates du souvenir Robert Benayoun 46 Le ballon dans les bandes dessinées Jean Schuster 52 Les douze coups de midi Arrabal 55 La communion solennelle Jehan Mayoux 60 Poèmes Joyce Mansour 62 Infiniment... sur le gazon Robert Tatin 66 Lettre Jacques B. Brunius 68 Fleurs de peau XXX 70 Notes 73 ECR... L'INF... (Hommage à Oscar Panizza)

Illustrations de Jean Benoit, Micheline Bounoure, Jorge Camacho, Adrien Dax, Roland Giguère, Jan Lenica, Yves Milet, Pierre Molinier, Jean-Claude Silbermann, Jindrich Styrsky. Couverture : Couple d'esprits Mimi dansant. Crocker Island, terre d'Arnhem.

Direction André Breton Comité de Rédaction Robert Benayoun, Vincent Bounoure, Gérard Legrand, José Pierre, Jean Schuster Administration Le Terrain Vague, 23-25, rue du Cherche-Midi, Paris (6e). C.C.P. 13 312.96 - Paris.

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From the horse's mouth

Plus que jamais, le surréalisme entend exorciser ce qu'ont de béatement maléfique certaines notions parasitaires de la vie mentale, et l'on sait de quels dons, de quels moyens il dispose pour gêner et démettre ses ennemis. L'incroyable “ rentrée ” réactionnaire qu'ont orchestrée ces mois derniers les élections, le concile de Rome, et différentes menées confusionnelles de la mondanité, cette rentrée qui consterne tant de bons esprits nous retrouve, et pourquoi chipoter le mot, sur la brèche une fois encore.

Le quatrième numéro de notre revue fait ample usage, on le verra, de ces têtes de Turc, dont on s'étonne toujours, malgré leur surcroît de puissance, qu'elles ne lassent pas notre mépris. Telle est la qualité frivole de l'indignation contemporaine qu'elle considère d'emblée comme inutile de mettre en cause les institutions ou les personnes qui n'ont pas cédé au premier assaut, et qui, dotées de quelque résilience, perdurent par le monolithisme de leur fausse humilité.

Notre agressivité continue, par là même, d'être incomprise. L'aventure surréaliste a toujours été en butte aux attaques simultanées de l'exégèse et de la mode, l'une et l'autre dotées de leurs caprices insondables. L'année 1962 a enregistré une suite effarée d'examens et de constats tournant, sans que leur principe même nous concerne, à l'encensement unanime des valeurs surréalistes. La “ quinzaine surréaliste ” (sic) de France III, différentes rétrospectives, expositions, rééditions, ou manifestations ont inconsidérément fait justice de quelques clichés tenaces dont l'usage devenait une commodité sereine des manuels et des chroniques.

Parallèlement, car c'est d'un autre monde qu'il s'agit, fonctionnait de son propre mouvement cette entreprise d'appel au meurtre, de chantage et de diffamation systématique que l'on s'entête à appeler, on ne sait trop pourquoi, la “ grande presse ”. Perpétuellement retardataire, mais à l'affût de toute possible resucée des thèmes qu'elle adopte par fiançailles à perpétuité, celle-ci reporte toute sa nostalgie sur les événements qu'elle a naguère stigmatisés ou étouffés, travestit ceux qu'elle se prépare à encenser dans quelque cinq années ou dans un mois, selon l'urgence de la demande.

Pour les organes de “ l'actualité ”, qui sont par vocation les prophètes de l'avant-hier, tous les scandales passés sont exemplaires, mais le dernier en date est fatalement anachronique ou périmé, toute publication nouvelle reste en dessous de la précédente, que réévalue automatiquement le coup d'oeil rétrospectif. Si le dernier giflé est à coup sûr le plus à plaindre, son immédiat prédécesseur méritait mille fois son sort. C'est à croire que l'information, dotée de son purgatoire de démentis et requêtes d'huissiers, ne fonctionne (telle l'écrevisse) qu'à reculons.

Ce double effet d'éloge et de dénigrement évoque on ne sait quelle machine à auto-récupération. Le panégyrique ânonnant d'un passé qui renvoie au présent son boomerang contradictoire empêche l'observateur d'accommoder le moment, sinon sous la forme aberrante de ces ragots qui sont précisément l'image du désuet le plus risible.

Ce qu'il en est en 1963 de l'activité surréaliste, pourquoi ne pas l'apprendre, comme dit l'anglais, “ de la bouche du cheval ” ? Robert BENAYOUN.

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SECONDE PRÉFACE AU “ STYLE DU GENERAL ” (1961)

Lorsque fut publié, en juillet 1959, Le Style du Général, développant un article paru un an auparavant dans France-Observateur, j'étais convaincu qu'aucun lecteur ne mettrait plus de quelques minutes à s'apercevoir que le sujet de ce livre n'était pas le style du Général. Le bon goût français requiert - disent les Français - l'usage de la litote. Mais sans doute la litote, pour être comprise, doit-elle être beuglée. En effet, aujourd'hui du moins, tout ce qui est clairement dit est supposé partial ; mais ce qui n'est que suggéré risque fort de passer inaperçu. Dans l'une et l'autre manière, de nombreux lecteurs voient une bonne raison de ne pas prendre acte du contenu d'un livre. Ils le déclarent inutilement violent dans la première hypothèse, trop badin dans la seconde. Tout en sachant cela, je vis pourtant avec surprise des commentateurs politiques et des critiques littéraires du centre et de la gauche déplorer la minceur de mon sujet. C'était bien le moment d'inventorier les fautes de français du Général ! Si au moins sa politique aussi avait été par moi scrutée ! Le plus curieux me fut de découvrir ce contre-sens sous la plume même d'adversaires politiques du Général, qui se trouvaient être, bien entendu, de grands admirateurs de son style. Alors qu'à travers le style, j'avais voulu analyser une psychologie et, à travers cette psychologie, une politique (ou une absence de politique), on me reprochait précisément de n'avoir pas voulu cela. Or c'était d'autant plus évidemment le but du livre que les comparaisons entre les paroles du Général et ses actes, entre ses affirmations et la réalité y abondent. Qu'en conclure sinon que la légende du beau style gaullien avait réussi à abrutir ses ennemis même au point de les conduire à repousser toute critique de l'homme politique qui ne fût pas d'abord un éloge de son style d'auteur et d'orateur, de son style moral, du style de son personnage ? Aussi bien, ce style, jusqu'alors placé si haut par certains et considéré comme un moyen de gouverner, se vit brusquement refuser toute importance politique par ses thuriféraires mêmes, du moment que je

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cherchais à en montrer le caractère factive et la véritable fonction : se substituer à la pensée et à l'action. Et puis, l'idée nous serait-elle venue, à l'ami qui fut mon interlocuteur et à moi-même, d'intituler “ Le style du Général ” un pamphlet politique si la propagande gaullienne, à laquelle sur ce point faisaient écho ses pauvres adversaires, ne nous avait, elle-même, pendant un an, soufflé ce titre, par son insistance à célébrer le génie littéraire du héros ?

Plusieurs critiques commirent des erreurs, parfois volontaires, au sujet du contenu même de notre catalogue. Erreurs d'autant plus choquantes qu'elles provenaient souvent d'écrivains hostiles par principe - ou en principe - au pouvoir personnel. Que François Mauriac, dans Le Figaro Littéraire, écrivît froidement qu'il n'y avait pas un mot de politique dans Le Style du Général (la gauche s'attaquait selon lui au style de Charles de Gaulle faute de trouver quoi que ce fût à redire à son rôle politique), c'était prévisible et, me soutint-on volontiers, “ de bonne guerre ”, quoique, selon moi, ce fût de mauvaise guerre, la bonne polémique consistant non pas à mentir mais à dire sans ménagements et sans calcul ce que l'on croit être vrai. Mais la seconde “ erreur ” de Mauriac, dans cet article, à savoir que selon lui je me serais donné la partie facile en me limitant aux improvisations oratoires du Général (que d'ailleurs il choyait de ses adulations hebdomadaires avant que j'en eusse fait remarquer les insanités), je me suis étonné de la retrouver sous la plume de Claude Roy dans Libération et même sous celle d'Etiemble, dans un cours à la Sorbonne que j'ai fort goûté pour le reste tout en déplorant l'idée inexacte que, dans une brève allusion, il donne de la matière de mon essai (Le Babélien, Centre de Documentation Universitaire, p. 45). Car la part des déclarations improvisées que je cite, et que je cite en précisant toujours que ce sont des improvisations, n'est pas supérieure au vingtième des textes analysés. Aussi bien, c'est leur valeur psychologique, le plus souvent, qui me fait m'y arrêter et non point leur malencontreuse tournure. Les observations concernant le style seul et la langue seule sont, dans Le Style du Général, les moins nombreuses, la majeure partie des textes étudiés le sont sous le triple aspect stylistique, psychologique et politique et il est en outre facile de vérifier que ces textes sont, pour la plupart, bel et bien des écrits. Ce sont, en particulier les fameuses et nombreuses allocutions radiotélévisées, et les conférences de presse, où tout était préparé, rédigé, corrigé, appris par coeur et récité. Mais prétendre le contraire, écrire en noir sur blanc que je m'attachais avec mesquinerie à des discours improvisés, c'était, pour les critiques qui avaient vu un chef-d'oeuvre littéraire dans les Mémoires du Général, le moyen de ne pas revenir sur leur jugement. N'accablais-je pas des propos de circonstance ? Les écrits ne restaient-ils pas ? Hélas ! il n'en est rien,

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et non seulement la plupart des passages que je cite ne sont pas le moins du monde improvisés, non seulement les déclarations improvisées sont stupides plus encore qu'incorrectes, mais il serait facile de montrer aussi la médiocrité littéraire, intellectuelle, politique et morale des livres de Charles de Gaulle. Tel n'était pas mon propos, comme je le précise (en pure perte, semble-t-il) dans le préambule, où je déclare que, sauf exception çà et là, je prends en charge le grand homme au moment où il reprend lui-même le pouvoir : c'est de Gaulle au pouvoir qui m'intéressait et “ de Gaulle propagandiste ”, pour reprendre une expression de François Mitterrand, non point de Gaulle mémorialiste, lequel d'ailleurs, sous le rapport de l'exactitude et de la bonne foi, mérite d'être recommandé à l'examen attentif des historiens.

Septembre 1961. Jean-François REVEL.

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LA POESIE SOVIETIQUE ENTRE LE SILENCE ET LA LIBERTE

Fuyant le despotisme tzariste, les poètes russes, au début du vingtième siècle, s'étaient réfugiés dans les recherches symboliques purement formelles et le confort métaphysique de l'art pur. La révolution bolchévique libéra la poésie russe en lui ouvrant un continent obscur mais sans limites ; la poésie cessait d'être l'activité littéraire de quelques “ talents ” privilégiés. Au temps des bibelots, la révolution subissait le temps de la poésie pour tous et par tous : sans doute n'était-ce qu'une perspective, une idée-limite qui, dans la Russie de 1917, n'avait aucune chance actuelle de devenir un fait. Mais cette idée était contenue dans la révolution comme un espoir nécessaire : demain paraissait devoir rapprocher jusqu'à les confondre peut-être le rêve et la réalité.

Cette espérance se traduit dans le foisonnement même des “ écoles ” ou des “ courants ” poétiques : Essénine et les imaginistes, Mayakovski et les futuristes, Khlebnikov, le poète du Zaoum (c'est-à-dire de “ l'outre-raison ”) cherchent à vivre la création poétique ; ils tendent à supprimer les barrières entre l'existence et la création ; ils effacent en marchant l'éternel dualisme des philosophies réactionnaires. Ce n'est pas qu'ils s'engagent en poésie pour défendre d'abord des idées, ce qui ne serait qu'un acte de courage personnel ; la poésie est mêlée à chaque instant de leur vie. Les poètes font descendre avec eux la poésie dans la rue. Un soir Marienhof, Essénine et Koussikof collent dans Moscou plusieurs centaines d'affiches appelant à une “ Mobilisation générale des poètes Imaginistes ” ; pendant quelques années la poésie de Mayakovski et la Révolution ne font qu'un, comme, en Mayakovski, le révolutionnaire et le poète. Cette unité se manifeste encore par l'extraordinaire passion pour la poésie qui s'empare alors des masses. Un soir une foule mêlée élit elle-même après un meeting tumultueux le Poète de la Révolution. Cette passion ne pouvait pas résister aux nécessités de la défense de la Russie Soviétique contre l'intervention impérialiste, la contre-révolution, la famine, l'épuisement. Il n'en reste plus aujourd'hui qu'une caricature : la publication massive de “ poèmes ” par tous les journaux dits soviétiques, de la Pravda aux hebdomadaires satiriques.

La révolution associait la libération de l'homme et la libération de l'esprit ; dégénérée, gangrenée et confisquée par la bureaucratie stalinienne, elle continua à le faire : la servitude de l'homme et la servitude de l'esprit allèrent de pair, entraînant dans un naufrage sans fin toutes les formes d'art soviétiques et d'abord la poésie.

Si le “ poème de circonstance ” appartient au passé, la poésie stalinienne appartient au passé le plus lointain qui soit : réduite à balayer les immondices du Bureau Politique en attendant les ordres, la poésie soviétique ne fut plus, de 1930

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à la Révolution Hongroise, qu'une très banale orchestration, une illustration discursive des slogans gouvernementaux : exaltation du travail, de la famille, de la patrie et du Guide Génial.

Comme il raclait les poubelles de la morale bourgeoise, le stalinisme remit en honneur les conceptions artistiques les plus arriérées, baptisées du nom de “ réalisme socialiste ” ; la distinction des genres fut rétablie et même poussée à un point de perfectionnement qui étonnerait un universitaire français. De Staline à aujourd'hui les poètes écrivent sur quelque chose. La poésie n'est qu'une catégorie de la “ partiinost ” ou plus largement de la citoyenneté. Il y a quelques mois un critique louait encore la jeune poétesse Rimma Kazakova parce qu'il sentait dans ses vers “ un sens aigu du devoir moral ” et “ ce sentiment qui seul fait du héros lyrique un citoyen ” (Literatournaia Gazeta, 8 septembre 1962).

La mort de Staline modifia l'équilibre terroriste que la société soviétique avait atteint, des kholkhozes aux cercles littéraires. En même temps que la révolution mûrissait en Hongrie, apparaissaient au sein des écrivains soviétiques des signes indiscutables de révolte contre le dogme stalinien. De Station Zima, imprimé dans le numéro d'octobre 1955 de la revue Oktyabr au tome II de l'Almanach Moscou Littéraire, paru en novembre 1956, en passant par les Sept Jours de la Semaine de Semion Kirsanov, sont publiés divers poèmes qui mettent en cause la morale officielle et le conformisme. Ces oeuvres sont en général très traditionnelles dans leur forme : simples de rythme, sans invention verbale, elles utilisent le symbole ou l'allusion discursive pour exprimer de biais une ou deux idées : le poème est conçu comme l'habillement ou plutôt le déguisement translucide d'une thèse. Leur valeur poétique est nulle, à quelques rares exceptions près (1941 de Julia Neumann) ; mais ces oeuvres de critique morale et sociale qui s'attirèrent les coups du pouvoir dès 1957 représentaient une étape nécessaire du renouveau de la poésie soviétique : leur existence, irréparable, permettait à la poésie soviétique de revendiquer demain une certaine liberté de “ thèmes ” et de “ manière ”. Outre le poème cité de Neumann, un poème curieux, publié lui aussi dans le tome II de Moscou Littéraire, montre qu'une liberté possible fait aussitôt craquer les limites étroites du conformisme : c'est Le Cahier de Brouillon de Semion Kirsanov où l'auteur fait sentir à quel point le travail littéraire et les diverses servitudes extérieures auxquelles il est astreint sont contraires à la création ; cette idée est assez audacieuse dans un pays où les candidats écrivains apprennent les recettes de l'art dans divers Instituts littéraires, dont le fameux Institut Gorki de Moscou :

Je l'avait écrit au brouillon, et puis je l'avais refait (refait, changé, transformé, modifié) biffé, puis effacé, comme une tache. C'était... comme si cela commençait à me torturer, en un souffle, ce fut effacé comme dans un spasme, et puis, recopié, une fois de plus, au propre, et réduit enfin à quelque chose de secondaire... ... le cahier de brouillon, c'est comme une rencontre fortuite, un mot caché pour “ néo ”, quand soudain jaillit l'extraordinaire : néo-jour, néo-vie, néo-monde, néo-nous, rencontre inattendue d'inconnus devant

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les portes - de Juliette et de Roméo. Soudain, finie la grisaille quotidienne, et commence l'avenir : de nouveaux yeux, de nouvelles lèvres, de nouvelles mains, de nouvelles rencontres, soudain la tendresse et la parole réapparaissent sur nos lèvres, le coeur peut se remettre à battre, comme une nouvelle province soudain la vie se découvre d'elle-même... ... Il faut seulement se soumettre à l'amour... ... Mais quand j'eus fini d'effacer les lettres pour obtenir une vraisemblance plus complète, mon poème commença, commença, commença à perdre tout ce qui était lui, tout ce qui était moi, tout ce qui était différent, mon cahier de brouillon mourut, et mourut la vérité nonchalante des ratures, et le monde si éclatant et si inattendu que vous auriez su découvrir. C'est moi qui suis coupable, coupable de ce que les mots ne soient pas revenus, c'était comme une rencontre de deux passants qui se frôlent : l'amour qui se détourne de l'amour.

La répression mit fin à cette phase critique ; mais en même temps que les ultrastaliniens remportaient une ultime et trompeuse victoire lors de l'attribution provocatrice du Prix Nobel à Pasternak, des tendances destructrices apparaissaient de nouveau dans la poésie soviétique : en 1958 André Voznessenski commence à faire imprimer ses vers, recueillis à ce jour dans deux plaquettes : Mosaïque, publié à Vladimir en 1960, et Parabole à Moscou en 1961. Ce dernier recueil a subi ce que les critiques soviétiques Menchoutine et Siniavsky appellent des “ corrections injustifiées ”. En même temps de jeunes poètes comme Kharabarov ou Iouri Pankratov, de moins jeunes comme Evgueni Vinokourov, définissent avec beaucoup de confusion de nouvelles aspirations poétiques qui vont bien au-delà du mouvement critique des années 1955-1956.

Si Evtouchenko et Voznessenski sont les deux idoles d'une jeunesse soviétique batailleuse, dont le scepticisme et la nonchalance extérieurs cachent un profond enthousiasme créateur, Voznessenski dessine, bien mieux qu'Evtouchenko, écrivain bavard et grandiloquent, le visage encore indécis d'une poésie qui serait autre chose qu'un commentaire docile sur le monde et les décisions du Comité Central.

Par là se retrouve l'élan brisé des années 20. Iouri Pankratov souligne l'importance de ce retour automatique aux origines : “ Les cinq ou six dernières années ont été pour la jeune poésie soviétique des années d'étude, de découverte du domaine qui est le sien, domaine parfois nouveau et parfois tout simplement - pourquoi le cacher - redécouverte de ce qui avait été découvert pendant les années vingt ” (Literatournaia Gazeta, 9 août 1962).

Dans le désert immense où le stalinisme avait parqué ses écrivains, ce retour à un certain passé est une nécessité : lorsque Léonide Pachtchenko se réclame de Mayakovski, Khlebnikov et Blok, il s'affirme aujourd'hui plus brutalement, si ce n'est sans verbosité, que par un manifeste.

Au hasard et confusément les poètes soviétiques qui cherchent “ autre chose ”

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retrouvent certaines affirmations qui bouleversèrent il y a quarante ans l'art “ occidental ” :

le refus de considérer la création artistique comme un travail ou un exercice parfaitement conscient, la valeur donnée au jaillissement du mot :

On vénère ceux qui savent bien parler, Prononcer des mots, construire une phrase. Rien de plus simple : il suffit d'ouvrir la bouche Et d'un coup jaillit le miracle du mot... Un mot met le monde en mouvement ; la terre prend feu Et les fourches se lèvent dans le ciel...

(Evgueni Vinokourov).

l'importance accordée aux associations inattendues d'objets ou d'êtres que rien ne paraissait devoir réunir et dont le rapprochement produit un choc ironique ou fulgurant : l'humour, être anti-stalinien par essence, renaît ainsi dans un univers auquel il est totalement étranger et qui ne connaît que la diffamation et la rosette.

Ses yeux sont des chevesnes Une fenêtre ouverte sur le printemps

(Victor Bokov).

On attend des cavaliers, le destin, des valises, des miracles Et cinq caravelles, aveuglantes, descendent du ciel...

(André Voznessenski).

Et d'une grande volte courent à l'aurore, frères incorrigibles les chauffeurs et les poètes.

(André Voznessenski).

l'attention donnée aux mots, à leur aspect extérieur, aux possibilités qu'offre le jeu des changements de voyelle, déplacements de syllabes, le jeu de mots étrangers l'un à l'autre, la valeur accordée à l'inconnu qui en jaillit. Les exemples ne pourraient être donnés qu'en russe : mais Voznessenski a souligné l'importance de ces démarches créatrices en montrant que l'artiste ne sait pas toujours consciemment où il va :

Souffle vers le rivage où ton intuition t'emporte. Tu cherches L'Inde Et tu trouves L'Amérique !

enfin, le refus de l'héritage littéraire soviétique traditionnel, le goût de l'insolence et du scandale. Voznessenski a, mieux que personne, exprimé cette attitude dans deux poèmes qui sont de véritables manifestes : La Ballade parabolique et surtout Incendie à l'Institut d'Architecture :

Incendie à l'Institut ! Dans les salles, dans les plans

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D'amnistie pour les prisons Au feu ! Au feu ! Sur la facade endormie, Ehontée, impudente, Vrai gorille aux fesses rouges, La fenêtre se déploie... Adieu architecture ! Flambez, flambez ras, Etables décorées d'amours, Caisses d'épargne en rococo... Adieu, temps des limites. La vie C'est la valse des foyers d'incendie. Nous flambons tous. Vivre c'est brûler.

Vivre c'est aussi taper du poing et deux critiques soviétiques constataient avec étonnement qu'“ il n'y a guère, les jeunes étaient calmes, modestes et respectueux... ” mais qu'aujourd'hui “ les poètes sont devenus forts en gueule, querelleurs et impatients ” (Novy Mir, 1961, n° 1).

Cette libération de la poésie soviétique s'accompagne de tapage gratuit, d'un goût éclectique pour le plus vague des modernismes, d'un retour même à des formes artistiques mort-nées, comme la prose lyrique ou le vers blanc de Solooukhine. Mais toute affirmation d'une liberté poétique maîtresse d'elle-même et de la voie où elle s'engage ne fait qu'agrandir la cassure entre la poésie soviétique naissante et la clique théologique des fils de Constantin Simonov ou de Nicolas Tihkonov ; ce Vladimir Kostrov par exemple, tiède enfant de choeur qui bêle à ses chefs de bureau :

Vous qui êtes devenus mes chefs Aux yeux purs, flambant de jeunesse, Mes aînés, chargés d'expérience et de savoir, Je crois en vous Et c'est de vous que j'apprends à vivre.

Le bouleversement des représentations traditionnelles de la réalité, l'ivresse phonétique, le mépris pour le poème à “ sujet ”, le refus de l'insignifiance du langage-commentaire, le caractère convulsif de l'écriture et de la vision du monde, sont propres à Voznessenski. Mais c'est par-là même que son influence est si grande : “ Qu'est-ce qui explique donc le très net succès de Voznessenski auprès des jeunes lecteurs ? J'ai pu voir un auditoire de jeunes l'accueillir avec enthousiasme... il leur plaît de penser que Voznessenski est un poète différent des autres ”, écrit, amer, Jaroslav Smeliakov dans la Literatournaia Gazeta du 9 décembre 1961.

Le poète n'est plus un serviteur, c'est un conquérant. Les conquérants eux-mêmes ont des ancêtres. Les jeunes écrivains soviétiques se sont découvert un annonciateur : Hemingway :

Il marchait, faisant naître sous ses pas Une énorme vague A travers les vieilleries mal retapées à neuf,

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A travers les nouveautés qui sentent le vieux... Jailli, informe, d'un bloc de granit Il marchait comme on traverse les balles et les siècles...

écrit Evtouchenko, pour qui Hemingway symbolise l'aventure créatrice, le refus du discours et de la rhétorique qui furent et sont encore au service de tant de mensonges et de servilités. On peut s'étonner que l'image de la liberté et de l'amour soit ainsi donnée par un écrivain roublard qui sut se battre pour la liberté dans le confort des chasses à la gazelle. Mais Hemingway, anarchiste, rebelle, ne devait qu'à lui-même compte de ce qu'il écrivait. Il ne se justifie pas. Son oeuvre est comme un donné innocent et fort de cette innocence. C'est peu. En U.R.S.S. c'est beaucoup, au regard des oeuvres interdites et autorisées.

Voznessenski donne à l'artiste une mission plus haute et plus explosive :

Il partit, oubliant la folie de l'argent, Le gloussement des femmes, la moiteur des académies. Il surmonta la loi de la gravitation. Les curés cacardaient derrière leurs gobelets de bière : “ La ligne droite est plus courte, la parabole plus escarpée. Ne vaut-il pas mieux copier les frondaisons du paradis ? ” Il partit sur une fusée rugissante Dans le vent qui lui arrachait les basques et les oreilles...

Ces vers nient le réalisme socialiste. Avec moins de cohérence, l'oeuvre balbutiante de toute une génération de poètes soviétiques le nie en l'ignorant. Le silence n'est peut-être qu'une maigre affirmation théorique de soi ; il est déjà un immense pas, puisqu'il est refus du mensonge concerté. Au cours de ces dernières années, la poésie soviétique a gagné le droit d'exister, le droit de ne plus se limiter à “ copier les frondaisons ” d'un faux paradis. Les faiblesses, les facilités, les complaisances verbales, les coquetteries symbolistes que l'on peut découvrir chez les meilleurs poètes de la nouvelle génération s'expliquent par là. Aujourd'hui une cassure existe entre la poésie-domestique traditionnelle et une nouvelle poésie au visage encore informe mais qui rappelle par plus d'un trait les débuts de quelques-unes des aventures artistiques les plus bouleversantes de l'humanité, parce que, inconsciemment sans doute, cette cassure n'est pas un phénomène “ littéraire ”. Entre Kotchetov et Sobolev, d'un côté, Voznessenski et le romancier Aksionov, de l'autre, ce ne sont pas deux conceptions littéraires qui s'affrontent, mais deux modes de vivre et de penser. Les jeunes Soviétiques qui sont allés écouter sur la place Maïakovski des vers suspects devinent bien qu'ils n'assistent pas à une simple soirée littéraire en plein air. La bureaucratie soviétique vacille. Des grèves éclatent ; à Novotcherkassak la population s'est soulevée. Le visage des vieux bolchéviks, fantomatique encore, réapparaît sur la scène politique au moment où les masses se dégèlent, où les bureaucrates s'enfoncent dans leur faillite économique et sociale. Et les poètes alors se reprennent à parler. L'espoir inconscient d'un changement bouleversant fait renaître la poésie. Ce n'est encore que le petit jour. Mais Staline est bien mort, brûlé. L'U.R.S.S. sort de la nuit.

Jean-Louis SIMON.

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(image) Yves MILET

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LE PARADOXE DE LA COMMUNICATION

La formule de Stirner : Je n'ai mis ma Cause en Rien n'a pas eu apparemment les répercussions qu'elle méritait. Comme si la voie ouverte par l'Unique s'était aussitôt embroussaillée, une crise de la plus grande ampleur qu'elle tendait à provoquer a été en quelque sorte étouffée dans le cercle des Jeunes Hégeliens sans qu'il en ait rien transpiré. A un très haut moment de l'histoire des idées qui met alors face à face les pensées les plus généreuses qui aient été et l'analyste le plus glacé des Causes auxquelles se voue l'activité humaine, que ne donnerait-on pour savoir en quels termes le dialogue se noua ? L'histoire a suppléé à ces lacunes : à la crise larvée qui remua la Gauche Hégelienne un bon siècle ajouta son contingent de drames. Aujourd'hui c'est trop peu dire que le dialogue se poursuit après la faillite de tout ce qui parut de manière éclatante donner raison à Marx et à Engels. Et en effet une suite de transferts irrémédiablement au cours du développement historique a justifié amplement non seulement les craintes de Stirner, mais sa critique qui dénonçait cette divinité nouvelle, l'Homme Idéal dont le Petit Père des Peuples a fourni une hypostase inattendue quoique finalement exemplaire. On peut conjecturer que la Cause au départ la plus juste aurait évité de se perdre dans le pire fidéisme si la voix de Stirner n'était comme il paraît restée sans écho.

Pour peu que l'on s'en tienne à l'analyse stirnerienne, l'exécration à laquelle se trouve voué l'humanisme dans la pensée surréaliste, et qui ne se fonde pas sur d'autres arguments que ceux de l'Unique, présente une remarquable contradiction avec tels objectifs débordant largement le plan individuel, révolutionnaires par exemple. Il n'y a là qu'apparence : du moins témoigne-t-elle de la permanence et de l'actualité de la crise au travers de laquelle un mouvement historiquement conditionné définit ses voies propres. Il serait consternant qu'il n'ait pas reflété, serait-ce de façon détournée, l'un des débats majeurs de ce temps pour y apporter les solutions originales qu'il tient de ses exigences. Il en ressentait d'autant plus

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l'acuité que le surréalisme lui-même constituait la Cause à laquelle chacun de ses promoteurs avait cru devoir subordonner son existence propre en passant outre aux conclusions de Stirner. Ce n'était alors que dans une modalité plus spécialement temporelle de leur action que quelques artistes avaient pu mettre dans son ensemble le Surréalisme au service de la Révolution. Dans le premier numéro de la revue qui inaugure ce mot d'ordre le suicide tout récent de Maïakowski permet d'assigner aux exigences de la Cause révolutionnaire des limites expressément liées aux postulations fondamentales des individus (André Breton : “ La barque de l'amour s'est brisée contre la vie courante ”). Que l'on daigne s'en apercevoir, les termes du débat n'ont guère varié. Me croira-t-on si j'avance qu'on ne saurait être surréaliste sans détenir quelques-uns des éléments de sa solution ?

Stirner, docteur de l'église hégelienne, restait prisonnier malgré lui du vocabulaire scolastique qui, nous dit-on, est encore en usage aujourd'hui. Au dualisme qu'introduit nécessairement tout acte d'allégeance, toute subordination de l'individu à une fin extérieure à lui, accordons qu'il y avait de la beauté à mettre un terme. En plein milieu du XIXe siècle, il n'est que trop vrai qu'après la mort des dieux, l'imitation de Jésus-Christ avait pour suite naturelle la réalisation de l'Homme Idéal, comme par un équivalent intellectuel des conquêtes industrielles. Projet chimérique, selon Stirner, parce que l'Idéal ne peut devenir réel sans cesser d'être l'Idéal. Ce n'est certes pas l'Humanisme qui y changera rien. Mais, à ramener toute justification à l'intérieur de l'Unique qui devient ainsi sa propre fin, si l'Unique peut estimer que le problème est théoriquement résolu, on se défend mal de chercher entre les voiles dont s'est entourée sa vie si Stirner put le tenir pour pratiquement résolu. En amour, par exemple... Il est à croire qu'en choisissant son point d'application le plus particulier ainsi que certaines valeurs singulières de la variable qui ôtent parfois toute signification aux fonctions mathématiques, Stirner faussait les termes mêmes du problème qu'il s'était posé bien plus qu'il n'en donnait une solution. Quand son oeuvre critique aurait dû lui permettre mieux qu'à personne d'en redécouvrir les données véritables, le paralogisme de sa conclusion le montre gravement entravé dans les filets d'une rhétorique dont il se borne à dénoncer le principe.

Il faut bien le dire, une erreur grave dans l'articulation des idées a entraîné dès la publication de l'Unique un décri qui n'a pas épargné les chapitres les plus valables d'une oeuvre dont la portée se révèle exclusivement critique. La Cause elle-même, si Stirner eût consenti à la faire sienne, il ne l'aurait envisagée que sous son angle le plus abstrait. Dépourvu d'une qualification que l'on ne reçoit sans doute qu'en naissant il s'abstint à bon droit, car l'Homme Idéal n'est rien. Mais l'Idéal de l'individu a tout à perdre à se définir en termes de philosophie idéaliste : telle catégorie vide entre

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autres hochets parmi les hiéroglyphes de l'Absence ; il n'est pas, il n'est plus ce qui excède les limites de l'individu, mais ce qui concrètement se trouve excéder la notion de ses possibilités. Ma cause n'est sainte que parce j'y porte mon désir. Et si se dérobe cet objet qui alerte toutes les puissances humaines, sa distance, signe de son inaccessibilité nécessairement provisoire n'engendre que la nuit de la Révolte. Formulation romantique d'une impatience généralisée, et peut-être la plus adéquate quand le problème posé par Stirner était essentiellement psychologique. Au Romantisme revient encore cette gloire de feu qui toujours nimbe la Révolte. Bien loin qu'elle soit stérile, c'est d'elle seule que procède toute réalisation effective. Elle seule porte les bannières de la Révolution. On peut lui faire confiance, elle n'en fera pas des nappes d'autel. Déterminé à revenir toujours à cette source vive, le surréalisme ne cesse d'y redissoudre la part la plus fragile des conquêtes révolutionnaires. A qui incombe de façon plus particulière l'exercice de la pensée, lequel ne le cède en rien au maniement des armes, revient encore de laisser ouverte dans la formulation de cette pensée la crise de la communication qui continue et ne peut cesser quelque ingéniosité que nous y mettions de refléter la scandaleuse distance des enjeux d'une action politique immédiate et du Désir dans sa plénitude.

Vincent BOUNOURE.

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LE ONZE NOVEMBRE

On n'a pas fini, de plusieurs côtés, de vouloir obscurcir une décision sans équivoque. Douze hommes, dont on s'est plu assez inutilement à souligner qu'ils étaient tous (sauf un) “ pères de famille ”, ont résisté à la pression d'une société qui s'efforce de récupérer ses déchets physiques ou moraux, en vertu d'un principe de stricte économie dissimulé sous le masque huileux de la “ charité ” : S.S. rempilant comme légionnaires, paraplégiques jouant au football dans leurs petites voitures, débiles mentaux de toute origine “ orientés professionnellement ” vers les clergés de toute robe.

La joie du public à l'annonce du verdict était une réaction aussi saine que profonde : le docteur Casters rendu libre à des patients qui n'en attendaient certes pas le même service qu'il avait pris sur lui de rendre à Suzanne Vandeput. Quant à cette dernière, qu'elle ait été amenée à se proclamer athée en pleine audience souligne le seul vrai problème posé par l'anéantissement du phocomèle (1) : ce problème est celui de la persistance de la civilisation chrétienne dans ses aspects les plus insidieusement néfastes.

(1) Nom scientifique des avortons façonnés par la thalidomide.

A quel point la position de l'adversaire est faible, on le mesure aux nuages d'encre répandus tout du long par le poulpe dont la tête est à Rome. L'inqualifiable intervention de Radio-Vatican, viol élémentaire des droits de la justice civile et du principe de non-immixtion (2) ; l'avocat général confondant l'euthanasie avec les lois hitlériennes en faveur de “ l'eugénisme ”, le reporter du Monde feignant de tenir la sentence pour une insulte aux parents d'enfants malformés qui les ont conservés, Mme Maria Craipeau versant sa larme “ progressiste ” sur les souffrances de la “ féminité ” en marche, les actualités cinématographiques consacrant un reportage aux “ monstres qui ont réussi ” (sic) (3) - tout cela, qui n'avait aucun rapport avec le procès de Liège, a été précipitamment agité pour troubler la lumière d'une évidence “ pénible ” : il n'y avait point d'assassinat parce qu'il n'y avait point d'individu assassiné : - le trop fameux sourire de la punaise Philomène ne suffisait pas à ce qu'une conscience s'éveillât dans ce berceau.

(2) Le catholicisme n'étant pas “ religion d'Etat ” en Belgique, le communiqué du Vatican relève de l'intimidation de style fasciste envers un Etat étranger.

(3) On y voit non seulement Helen Keller (cf. Miracle en Alabama), mais même un peintre mutilé de guerre qui, privé de ses bras, continue à peindre à l'aide de ses mâchoires.

En vérité, la malédiction biblique est menacée sur deux fronts : il n'est plus constant que la femme enfante dans la douleur, et surtout, il n'est plus suffisant de sortir de son ventre pour mériter le respect, d'un genre très particulier (4), que les prêtres portent aux dégénérés et aux embryons sans espoir. Ce qui est atteint, à travers le procès de Liège, ce n'est pas le respect de la vie - hors de cause de toute façon pour un “ être ” dont la non-viabilité presque certaine fut tenue cachée par un médecin

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infiniment plus “ coupable ” que le docteur Casters -, ce n'est pas la haine qu'il convient de porter encore et toujours à ceux qui mutilent l'humanité au nom de théories “ raciales ” pseudo-scientifiques, avérées être le plus souvent le produit de préjugés religieux à base sexuelle, justiciables de la seule psychanalyse. C'est la conception banale de l'homme composé d'un corps et d'une âme, celle-ci promise au purgatoire comme celui-là, dans la “ vallée de larmes ”, est réservé à l'exploitation des charlatans de Lourdes (5).

(4) Nullement assimilable, en particulier, à l'attention des Anciens et du peuple pour tout ce qui ressort du “ mystère de la vie ” ou des “ jeux de la Nature ”.

(5) Par exemple.

On prête à David Hume, déiste mais sceptique, ce mot terrible à son lit de mort : “ Quel besoin Dieu a-t-il de l'âme d'un portefaix qui est ivre dès dix heures du matin ? ” Le besoin qu'a “ l'homme ” des sous-produits de l'imprudence pharmaceutique n'est pas plus démontrable. Comme l'écrivait un journaliste, c'est la notion même de la personne humaine qui est remise en cause. Il faut se hâter d'ajouter : parce que c'est une notion aliénée. Le verdict de Liège, le 11 novembre 1962, marquera une date dans l'histoire de la conscience : il offre un point d'appui pour écarter toute référence abusive à la morale chrétienne, dont la nécessité transitoire s'achève en faillite, mais aussi à ses succédanés laïcs, notamment à “ ce mysticisme humanitaire plus pernicieux en fin de compte que n'importe quelle théologie abstraite ” (6), lorsque sonnera l'heure de la nouvelle déclaration des droits de l'homme.

(6) Déclaration surréaliste de 1938 (“ La mobilisation contre la guerre n'est pas la paix. ”).

Une déclaration qui interdira pour de bon au “ Grand Objet Extérieur ” de torturer les esprits, les coeurs et les corps par l'intermédiaire des monstres. Gérard LEGRAND.

p.h. t. 1

Ci contre :

“ ... et audit lieu avoir la langue coupée, et le poing coupé sur un poteau qui sera planté devant lad, porte de ladite église... ”

Sentence rendue au procès du 28 février 1766.

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Ci-dessous :

Pierre MOLINIER :

Le temps de la mort, 1962.

p.h. t. 2

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Jan LENICA : Le Labyrinthe, 1962.

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L'anthropométrie fantastique de Lenica

Disloquée entre l'école américaine du gag et celle plus hermétique de l'expérimentation “ pure ”, tant esthétique que technique, l'animation contemporaine révèle peu d'artistes qui sachent réunir l'euphorie du mouvement et l'expression originale d'un monde personnel.

Aussi doit-on saluer dans Jan Lenica un créateur hardi, acrobatique, exigeant de lui-même comme du spectateur auquel il semble s'adresser. Ses films, stridents et angoissés, à l'opposé direct d'un divertissement facile, sont marqués au sceau du surréalisme le plus inquiet, le plus énigmatique.

Dans toute son oeuvre, le collage se mêle au découpage, à l'animation d'objets, à la prise de vue directe et au dessin pour évoquer un univers terrorisé par on ne sait quelle calamité cosmique de l'incongru : chutes d'ossements, métamorphoses inexplicables du langage, pertes d'identité ou de l'occiput, laboratoires rousseliens de petite physique inquiétante. Un météorite (ou un astronef) démagnétise à heures fixes une demeure dilapidée où des manèges érotiques à peine devinés sont promis à un perpétuel ressassement. Une chevelure tentaculaire, sortie tout droit de Maldoror bouscule les objets, froisse des vieux journaux et broie du verre.

Le dernier film de Lenica, Le labyrinthe, pousse à son paroxysme ce constat cruel et glacé comme une idée de browning. Un homme volant explore comme les circonvolutions d'un immense cerveau une cité baroque, toute en moulures folles et en mirages. Un savant castrateur, sorte de Moreau de l'espace-temps, a piégé chaque fenêtre, chaque terrasse, chaque couloir de machineries impitoyables, déclenche des scènes illusoires de théâtre magique, téléguide une franc-maçonnerie de dinosaures, de morses, de mites tatoueuses et de rapaces. L'explorateur en redingote et chapeau melon sera, pour prix de son intrusion, mis en pièces par une nuée de corbeaux à visage d'homme. Parti d'un rêve serein de chromos et de keepsakes amoureux (Il était une fois), Lenica aboutit à une réflexion sombre et désespérée, éminemment actuelle, et que n'aère aucun mot d'ordre lénifiant.

“ Le symbolisme est le langage de l'analogie ”, a écrit Lenica. Né à Poznan (Pologne) en 1928, il a étudié tout d'abord la musique et l'architecture, puis est devenu rapidement le premier artiste graphique de son pays, et le maître absolu de l'affiche polonaise, la plus brillante du monde. Il a réalisé, avec Walerian Borowczyk, les films Il était une fois, La maison (1957), L'école, Les sentiments récompensés (1958), puis de son côté Monsieur Tête (1960), Janko le musicien (1961), Le labyrinthe (1962).R. B.

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A PROPOS D'UN TALISMAN DE CHARLES FOURIER

Analyse critique et essai de reconstitution

Parmi les documents relatifs à Charles Fourier, celui dont l'Année Occultiste et Psychique nous révèle l'existence reste, sans doute, un des plus énigmatiques. Voici le texte de la communication figurant dans le premier volume (1907) de cette publication de P. Piobb, consacrée aux sciences ésotériques :

Le Talisman protecteur de Charles Fourier

“ Charles Fourier, le fondateur de l'école phalanstérienne, était-il réellement un occultiste ? La question peut être controversée, encore que certaines parties de la Théorie des Quatre Mouvements soient en parfaite conformité avec les idées hermétistes. Voici cependant un fait qui tendrait à prouver l'affirmative.

Un collectionneur russe (1) a découvert un document contenant la formule du talisman protecteur que portait habituellement le célèbre philosophe. Cette formule aurait été composée par lui ; elle est analogue à celles que l'on rencontre dans les anciens rituels magiques et laisse à penser que son auteur était au courant de la tradition ésotérique. Elle se résume en ceci :

(1) Mme A. M. qui a communiqué sa trouvaille à l'auteur de l'Année Occultiste mais désire modestement garder l'anonymat.

1° Prendre un morceau de parchemin vierge fait de la peau d'un agneau mort-né ;

2° Tracer sur ce parchemin deux cercles concentriques, l'un avec de l'encre rouge, l'autre avec une encre faite de poudre d'argent ;

3° Diviser la couronne, c'est-à-dire l'espace compris entre les deux cercles, en douze parties égales par des traits doubles avec la même encre d'argent ;

4° Dans chacune des cases ainsi obtenues inscrire chacun des douze signes du zodiaque ;

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5° Dans la partie centrale des cercles, dessiner une étoile à sept branches ;

8° Peindre chacune des branches de l'étoile avec chacune des sept couleurs du spectre solaire (1) ;

(1) J'ai cru devoir respecter ici une anomalie de la numérotation. Elle ne signale sans doute qu'une erreur typographique.

9° Dans chaque branche de l'étoile inscrire le nom de la planète, le nom du métal et le nom de la note musicale correspondant à la couleur de la branche ;

10° Au centre de l'étoile tracer, avec de l'encre rouge, l'image du soleil et en peindre le centre avec de l'or ;

11° Ces diverses opérations doivent être faites la nuit, les couleurs et les noms divers des métaux, planètes et notes doivent être apposés pendant l'heure correspondant à chaque planète dont on s'occupe, le travail dure donc sept heures inégales ;

12° Prendre ensuite une lame d'argent pur assez large pour que l'on puisse y coller le parchemin sans que la figure soit repliée ;

13° Le parchemin doit être collé avec de la colle de gui et la figure doit être apposée face au métal ;

14° Faire ensuite un sachet de satin vert, y mettre le talisman et porter le tout autour du col à l'aide d'un cordon de soie verte.

Charles Fourier ajoutait que, depuis le jour où il a composé ce pantacle et qu'il s'est mis à le porter, il n'a plus eu ni accident, ni ennui d'aucune sorte. ”

Il convient, sans doute, d'accueillir avec prudence la communication de l'Année Occultiste et Psychique. En effet, c'est bien là, semble-t-il, le seul indice qui nous soit parvenu sur un document dont personne d'autre que Piobb ne paraît avoir eu connaissance. Par ailleurs il faut reconnaître que l'ordre de préoccupations qui nous est ici révélé est loin de trouver une confirmation trop immédiate dans les oeuvres de Charles Fourier.

Le ton particulier de ses livres ne va pas, il est vrai, sans évoquer, souvent, les horizons familiers de la Tradition ésotérique. Jean Gaulmier ne manque pas d'attirer l'attention dans ce sens, tout en signalant, à propos des sources de Fourier, le caractère aventureux de toute prétention à la mise en évidence d'une filiation trop précise.

“ L'erreur de Bourgin et, après lui, de maints exégètes de Fourier est de le considérer comme un philosophe alors qu'il est le type même du Poète, au sens surréaliste du mot, détecteur des sources et des ondes ; un poète ne souligne pas ses emprunts, ce qui ne signifie pas qu'il n'ait reçu de ses lectures aucun élan créateur ” (2).

(2) Jean Gaulmier. Commentaire de l'Ode à Charles Fourier, d'André BRETON. Paris, Librairie C. Klinsksiek (1960).

Certes, comme le suggère Bourgin, les nombreux séjours de Fourier à Lyon (1791, 1793, 1800-1805, 1811, 1814-1815, 1825) ont pu lui valoir, là sans doute plus qu'ailleurs, un aperçu des divers courants de la pensée Illuministe. Courants qui, alors, trouvaient à converger vers cette ville, où, tout particulièrement, par Jean-Baptiste Wuillermoz et les Élus Coen, les théories de Martinès de Pasqually avaient imprégné le mouvement maçonnique local. Mais, à vrai dire, nous ne savons rien sur les rapports que Fourier a pu entretenir avec les Sociétés de Pensées Lyonnaises. A l'endroit de la Maçonnerie il a, d'ailleurs, exprimé des idées très personnelles, bien faites, au demeurant, pour dissuader de le rattacher à une quelconque obédience. En témoignent, par exemple, quelques passages de la “ démonstration ”, incluse dans “ la Théorie des quatre mouvements ”.

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“ Elle (la Maçonnerie) a donné une teinte religieuse au plaisir sensuel ; car à quoi se réduisent les séances maçonniques ? A des pique-niques accompagnés de quelques simagrées morales qui ont l'utilité de remplacer les jeux de cartes et faire passer le temps plus économiquement. Ces festins habituels ont éloigné poliment les avares qui sont plus nuisibles qu'utiles en affaire de parti religieux.

Voilà donc une coterie dont les dispositions déjà faites se prêtaient merveilleusement à fonder une nouvelle religion. Il n'a manqué à sa tête qu'un habile politique qui sut y introduire les femmes et la volupté ; aussitôt elle devenait religion dominante des gens riches dans tous les Empires civilisés et le Christianisme qui convient mieux au peuple, à cause de son austérité, se serait confiné insensiblement chez le peuple, comme en Chine le culte de Fô qui n'est que pour les classes inférieures.

Je m'abstiens de tout détail sur les statuts qui auraient pu convenir à une pareille secte et sur les moyens qu'elle aurait eu de s'adjoindre subitement tous les membres les plus marquants du corps social sans les détacher du culte catholique ” (1).

(1) Théorie des quatre mouvements, 3e partie, page 195. Tome I des oeuvres complètes.

Le ton, on en conviendra, reste ici aussi éloigné des ferveurs mystiques de l'Illuminisme que des vues plus pragmatiques de la stricte orthodoxie maçonnique. Si Fourier a reçu quelques lumières de ce côté, il semble bien qu'elles se distinguent mal des mystérieuses et fugaces lueurs qui, à l'orient d'un monde finissant, annonçaient, avec celle de la Liberté, l'aube du Romantisme. Ainsi, à propos des sources de Fourier, peut-on évoquer, non sans fondement, l'influence du Pythagorisme, celle de Swedenborg, comme celle de Louis-Claude de Saint-Martin, sans pour autant fournir la clef de son incontestable originalité créatrice. Il est certain que les dispositions particulières de son esprit l'ont moins conduit à adopter les idées de son temps qu'à transposer, par les voies analogiques qui lui étaient familières, les multiples suggestions qu'il en recevait.

Si l'on se réfère au classement des caractères proposé par son contemporain Azaïs dont, par ailleurs, le Précis du Système Universel n'est pas sans présenter d'autres similitudes que celles de titre avec la Théorie Universelle, il semble que l'on n'ait pas trop à hésiter pour assigner à Fourier une place d'honneur dans la catégorie dite des “ caractères ardents ”.

“ A l'extrême opposé sont placés les hommes qui, très vifs et très mobiles, ne peuvent recevoir une idée nouvelle sans la transformer de manière à ce que bientôt ils ne puissent plus eux-mêmes la rapporter à son origine. Les souvenirs de tels hommes ne peuvent être que confus, infidèles et sans durée, c'est l'imagination qui est leur faculté principale. ” (2).

(2) Azaïs. Précis du Système Universel. Tome III “ Des compensations dans les destinées humaines ”, page 273. Paris. Alexis Eymery, libraire, 1825.

L'étonnante liberté imaginative dont Fourier a constamment donné l'exemple dispose sans doute mal à le tenir, au sens strict du mot, pour un occultiste.

Même si rien n'autorise à suspecter d'emblée son authenticité il faut reconnaître que le texte publié par Piobb nous laisse plutôt dans l'expectative quant aux conceptions ésotériques dont peut relever la formule du talisman qu'il nous décrit. En effet son attribution à Charles Fourier ne va pas sans

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conduire à d'assez inextricables problèmes. Ils résultent surtout des difficultés que rencontre la mise en concordance, d'une part des idées traditionnelles, concernant, en l'occurrence, la science des pantacles - correspondances à établir en respectant diverses prescriptions dont l'observance rigoureuse conditionne, comme on sait, les vertus du talisman - et d'autre part, les vues personnelles de Fourier relatives à des correspondances, parfois du même ordre mais souvent différentes, auxquelles, au demeurant, rien dans ses écrits ne permet de croire qu'il ait jamais attribué une valeur magique.

Les rapports de dépendance, voire d'identité, établis par les doctrines théurgiques entre le signe et la chose signifiée - rapports sur lesquels se fonde la magie opérative - ne paraissent en aucune manière impliqués par les correspondances analogiques signalées par Fourier. Celles-ci paraissent seulement rester, à ses yeux, les indices indiscutables d'une harmonie universelle dont le rétablissement impose, avant tout, la transformation sociale de notre planète.

C'est surtout dans la construction du talisman que les données traditionnelles sont respectées (parchemin - planétaires - colle de gui - lame d'argent). Par contre, pour les couleurs, l'utilisation du spectre solaire reste étrangère à la Tradition et relève bien du système de correspondances de Fourier, tout comme le recours aux notes de la gamme, assez rarement mises en évidence du côté Traditionnel, du moins par voie d'inscription.

Sans doute n'est-il pas exclu d'admettre que l'idée de ce talisman puisse être antérieure à l'élaboration des théories par lesquelles Fourier nous est connu et qu'il ait momentanément résolu, d'une manière que nous ignorons, l'amalgame des vues traditionnelles avec celles qui laissaient pressentir ses conceptions futures. Mais nous serions tout au plus conduits, alors, à mettre l'accent sur des préoccupations et des théories que lui-même n'aurait pas cru devoir confirmer par la suite. A défaut de toute possibilité d'information dans ce sens il paraît préférable d'en rester aux idées qu'il a affirmées.

Il semble donc que la correspondance avec les couleurs du spectre solaire ne puisse être envisagée suivant les thèmes septenaires - planétaires et métalliques - de la Tradition (absence du noir et du blanc, présence du violet, de l'indigo, de l'orangé). Par ailleurs il convient, peut-être, de rappeler que les idées cosmogoniques de Fourier diffèrent totalement de celles admises par les doctrines ésotériques. La construction universelle qui sert de base analogique à son plan de L'Attraction universelle - livre qui devait être publié en 1821 - ne signale pas moins de 32 touches sidérales, réparties en deux octaves, l'une majeure, l'autre mineure, disposant chacune d'un haut et d'un bas clavier mis en correspondance avec l'une des quatre passions cardinales : Ambition (ou Honneur), Amitié, Amour et Familisme (ou Paternité).

Il s'agit là d'une notion fondamentale dans les théories de Fourier.

“ Cette formule ou division en 32 touches peut s'appeler l'alphabet, le guide-âne de l'harmonie ; elle est ce que sont en mathématiques les quatre règles ; c'est pour la rendre familière aux commençants que je l'ai adaptée à cet ouvrage ” (1).

(1) Introduction au plan de l'attraction universelle, publié en tableau à la fin du Tome I (théorie des 4 mouvements) des oeuvres complètes.

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La Théorie de l'Unité universelle (Tome III) nous confirme la même partition quaternaire de l'Univers. A chaque clavier sidéral correspond un tourbillon planétaire placé sous l'égide d'une cardinale, rectrice aromale du tourbillon.

Octave Majeure Octave Mineure

Clavier hyper-majeur Clavier hypo-majeur Clavier hyper-mineur Clavier hypo-mineur

SATURNE cardinale d'Ambition avec ses 7 Lunes et Protée ambiguë TERRE cardinale d'Amitié avec ses 5 Lunes et Vénus ambiguë HERSCHEL cardinale (Uranus) d'Amour avec ses 8 Lunes et Sapho ambiguë JUPITER cardinale de Familisme avec ses 4 Lunes et Mars ambiguë

(Soleil placé en section pivotale)

Ainsi, sauf pour le tourbillon d'Amitié, dont la Terre est la cardinale, le septenaire ne se trouve jamais mis en évidence dans le ciel de Fourier. Il ne paraît donc pas possible de placer, comme l'indique la formule du talisman, chaque branche de l'Heptagramme sous le signe d'une planète.

Le tableau ci-dessous établit, d'après les oeuvres de Fourier, les correspondances générales, en partie utilisées dans l'essai de reconstitution du pantacle.

PASSIONS DROITS COULEURS COURBES METAUX NOTES

Passions Cardinales Amitié Droits cardinaux ou industriels Cueillette Violet Cercle Fer UT Amour Pâture Azur Ellipse Etain MI Familisme (Paternité) Pêche Jaune Parabole Plomb SOL Ambition (honneur) Chasse Rouge Hyperbole Cuivre SI Passions distributrices Cabaliste Droits distributifs Ligue intér. Indigo Spirale Argent RE Papillonne (alternante) Insouciance Vert Conchoïde Platine FA Composite Vol extérieur Orangé Logarithmique Or LA Unitéïsme Minimum Blanc Cycloïde Mercure UT. H Favoritisme Liberté Noir Epicycloïde UT. B

Adrien DAX.

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Outre qu'il réduirait les influences cosmiques à celles dominantes de la Terre, le recours au septenaire du tourbillon d'Amitié conduirait à utiliser des astres à propos desquels aucune correspondance n'est signalée. Rappelons que ce tourbillon se compose de la Terre, planète cardinale, de ses cinq lunes nommées : 1. Vesa (ou Phoebiné, planète destinée à remplacer l'actuelle Lune ; 2. Junon ; 3. Cérès ; 4. Pallas ; 5. Mercure (la Vestale avec rang de transitive majeure) et de Vénus ambiguë hypo-majeure.

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UN DIVERTISSEMENT LINGUISTIQUE DE FOURIER

Le texte que nous présentons ici est extrait de la cote supplémentaire des Archives Sociétaires, dont il forme la 148e pièce. Il n'étonnera que ceux qui, en dépit de plusieurs travaux récents, auraient conservé l'image d'un Fourier essentiellement économiste qui nous a été transmise par ses disciples immédiats. On sait que Considérant et ses amis, par respect des préjugés scientifiques et moraux de leur temps, ont toujours manifesté une certaine répugnance à publier les manuscrits de leur maître et ont été jusqu'à recourir à la falsification pure et simple. On comprend dès lors qu'ils n'aient pas été tentés de révéler au public cette “ plaisanterie cacographique ” (1) qui, dans le climat de l'époque, aurait sans doute risqué d'accréditer dangereusement la légende de la “ folie ” de Fourier. Providentielle folie qui comblait la paresse intellectuelle des critiques en les dispensant d'étudier les aspects les plus originaux de la doctrine phalanstérienne !

(1) C'est ainsi que la 148e pièce, cote supplémentaire, est désignée dans le répertoire Cartier-Bourdon.

Esprit universel, Fourier ne se laisse pas enfermer dans le rigoureux compartimentage des sciences qui s'est imposé au XIXe siècle. Son projet de rénovation de la société embrasse à la fois l'économie, la morale, l'éducation, l'organisation du travail, l'architecture..., tandis qu'il participe à l'évolution de la littérature et de la poésie, grâce à sa théorie de l'unité universelle.

Car, en dépit du caractère assez rebutant de ses livres, l'inventeur du phalanstère est un véritable écrivain. Il mérite ce titre du fait de son intense travail d'investigation psychologique qui le rapproche des romanciers et des auteurs dramatiques, de son imagination souveraine, de sa verve satirique qui pulvérise les préjugés. Enfin, dans ses meilleures pages, il se révèle “ poète, au sens surréaliste du mot, détecteur des sources et des ondes ” selon la belle expression de M. J. Gaulmier.

Nous le voyons ici s'adonner à un véritable jeu littéraire qui éclaire certains côtés mal connus de sa personnalité. On a attribué son abus des néologismes, ses étranges classifications (prolégomène, postienne, antienne, citienne, cislégomène, interpause, etc.), soit à de simples bizarreries de caractère, soit à des difficultés d'expression qu'il aurait éprouvées pour bâtir sa science neuve des passions. Mais n'y aurait-il pas plutôt chez lui une volonté de manipuler la langue, de jouer avec les mots, de désarticuler les phrases qui ferait de lui à la fois l'héritier d'une tradition littéraire qui remonte aux grands rhétoriqueurs (on songe, par exemple, à leurs vers holorimes) et le précurseur de certains écrivains contemporains ?

On notera la recherche systématique de termes équivoques qui rapproche ce divertissement des contrepèteries. Le goût rabelaisien de Fourier pour le langage dru et cocasse est bien connu depuis la publication par Maublanc de la Hiérarchie du Cocuage.

Ce jeu littéraire ne manque pas d'un certain intérêt linguistique. Il nous donne tout

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d'abord des renseignements précieux sur la prononciation de l'époque. D'autre part, il serait intéressant d'examiner si le procédé de substitution employé par Fourier peut être appliqué à n'importe quelle phrase ou s'il a simplement réalisé un tour de force qu'il aurait été bien incapable de renouveler.

ÇA ME DIT, 24 AH ! OU DIX HUIT S'EN VINT TE CETTE

Geai ressue mât chair l'or, lin vite à sion queue tu mats à dresser pourras l'air dix nez rats sein ment dés, dix manches d'oeufs sept ambre.

Croix jettant sue plie allant presse m'en deux tond couse ain as eux rang drap déz somme ah scions scie en gage hante.

Dix manchons nos rats don l'age oie deux-tems bras serre, toît était ce heure étai pas rends ; ai-je eaux ré, jean suisse hure, dupe les ire have ou art lac homme édit, eh ah ah si ce thé aux fesses teint.

Ile nia riz inde nou veau en sept lieues longe houe en corps l'aime atteint elle haie sou art os bis liard queue jet-mouton gros pet raie sans est-ce vin coeur, émoi comte i nue aile ment vingt culs.

Mat hante alors dine haire à tout j'ourlais six os, - elle haleine ode ou oie ; toussait faute oeil sont à pisser pas raie le m'aime : ile haie thé tonnant j'eusse caque est le poing aile chez riz louve rage jeune suie paque homme aile.

Camp tas moine soie pointé tonné si long ment tentait voiture les rave eclair du nain sensé dentelle houe tell art pendu jarre daim, houx six dents lame hate y né au cu pédant mache ambre, ah fort j'ai dey meche en verre, onde m'en dans vin au sale on maquereau m'atique qu'on versa sion né mamelle odieuse sauce i et t ; geai griffe au nez, dais vert dey mage oeufs naisse, elle habit tue dès trot paon rat scie nez pou ras voir laid ce pet rance demandé fait ramonage.

Malle et traits longanimité rend nos culs ne manne hier, gela terre mine quart tue pou rase ane au nez hune pas raye corps est-ce pont danse. Geai laisse poire toux te foie d'art haché tonna demie rat si on part mont nez loque anse.

Ah d'yeux mais complies ments ah tout laid par hantons pet rétamer était-ce heure hé ton frais rarement. J'ai ce père alleluia plis quai, dix manchots sou arle nombril andes poète hier houx heaume oingt de verre net.

Jettant bras ce sang serre aime au nid.

Tonne a mie saint serré ah fais que si haut nez. Jeu d'oie pars tire dent trois joue redit si (l'un dit) pourceau mai lié rend faim dent mont lis tape ah ris.

(Texte présenté par Emile Lehouck, Aspirant du Fonds National belge de la Recherche Scientifique.)

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L'AIR DÉCIME

Il ne suffit pas toujours d'être un bon fusil, encore faut-il savoir comment porter ses coups.

Le sourire est ainsi fait que la tendresse, l'étonnement sincère, le sarcasme ou l'ironie cruelle peuvent présider à sa naissance sans que les lignes qui déterminent son expression externe soient réellement distinctes pour celui sur lequel sont dirigées ses flèches.

Ne jamais oublier que les rapports avec ceux qui nous entourent reposent, dans la plupart des cas, sur un malentendu soigneusement entretenu par chacun, et que cette forme un peu spéciale de l'hypocrisie - la crainte du coup de fouet en retour - dont nous sommes les esclaves pour tenter d'en être les maîtres, réduit en nous la puissance de notre révolte, à moins que nous sachions sentir quand et comment il faut frapper.

L'arme des larmes est la moins bonne, bien qu'elle suppose une authentique spontanéité de la part de celui qui l'utilise ; mais les jeux de l'esprit qui souffre ont depuis trop longtemps été bisautés par l'attitude pour qu'il soit encore possible de croire, sans aucune affectation, à la sincérité du chagrin exprimé. Sauf, et c'est là l'essentiel, si l'on se pense comme celui à qui l'on s'adresse afin de lui présenter le miroir où son regard viendra puiser les éléments destinés à entamer sa bonne conscience. Le Narcissisme du bourreau, réinvité et assumé par sa victime, peut parfois suffire à éviter une exécution capitale : qui, en effet, souhaite s'anéantir à seule fin d'avoir raison ? Certaines névroses écartées, je ne vois de motif à une telle façon d'être.

Par contre, la lame tranchante du sourire offre à celui qui la manie toutes les chances d'atteindre son but. Qu'il s'agisse d'éprouver la tendresse, d'exprimer l'étonnement, d'apprécier un sarcasme ou de souligner amèrement l'ironie, une même crispation des lèvres rendra compte, en un instant, du sentiment voulu, car c'est l'interlocuteur, devenu récepteur par reflet, qui interprétera le sourire à partir de ce qu'il aura cru mettre en avant. Il y a là projection sur l'autre de toute une gamme de sensations personnelles qui s'appuie sur la certitude que l'on a d'avoir mise à jour l'évidence.

Ainsi, le cinéaste Koulechov intercalant par trois fois le visage immobile de Mosjoukine entre un plan de festin, un plan de femme dévêtue, puis celui d'un cadavre, chacun lisait aussitôt la faim, le désir ou la peur sur les traits de l'acteur qui se trouvait alors investi de toute la sensibilité contenue par le spectateur.

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La technique du montage cinématographique s'applique donc parfaitement au sourire, dans la mesure où la simple impassibilité, obligatoirement écrasée par les forces distrayantes de la vie, ne saurait imposer avec assez de puissance la complicité ou le recul souhaités : dans une salle obscure, l'attention est nécessairement polarisée, tandis que les contacts humains dispersent sans ménagement la grande précision dont l'on voudrait charger, et lui seul, le regard.

Lorsque vont se croiser, à la façon de deux rapides roulant sur des voies parallèles, les ondes émises par des esprits en opposition partielle sur un sujet qui ne mérite pas l'emportement de la passion, la seule manière de provoquer l'étonnement, atout maître dans une partie serrée, est de troubler le jeu en donnant l'impression de frapper à côté. Le choc ainsi produit fera résonner le vide d'une argumentation qui semblait sans défaut et chanceler la démarche mentale de celui que l'on veut atteindre. Pourquoi donc un sourire là où une blessure, un craquement ou le doute auraient dû apparaître ?

Et la blessure, le craquement ou le doute reviennent alors vers qui souhaitait les faire surgir, pour le marquer au coin de la faiblesse et le livrer, comme un paquet sommairement ficelé, au bon vouloir de son vis-à-vis triomphant. Nous possédons cette troublante certitude que les liens sont étroits entre le solliciteur, même involontaire, d'un sourire et l'être qui lui accorde ainsi, tel un présent, le seul droit d'aliéner pour un temps sa volonté profonde.

Un sourire de nymphe, transcrit par votre sensibilité, vous fera mettre en quatre quand, au contraire, vous devriez concentrer tous vos moyens sur un même objectif ; un sourire satisfait, cueilli sur des lèvres que vous croyez complices, vous rendra dépendant de son émetteur puisque vous chercherez à renforcer encore une entente qui vous paraît indispensable ; un sourire cruel, de qui vous l'attendez, attaquera vos réserves nerveuses car vous craindrez avoir montré, trop clairement, le défaut de votre cuirasse.

L'importance d'une telle arme se mesure à la connaissance que l'on a de ses pouvoirs et de ses vertus. Ne faut-il pas vérifier l'éventail complet de ceux qu'elle vous procure pour mieux peser les risques qu'elle peut vous faire courir ? La vivacité d'une réaction n'est pas forcément le signe d'une plus grande vigueur psychologique, et celui qui engage l'autre par son geste n'est pas certain d'éviter ainsi toute compromission : à son tour, le filet du doute et du regret peut s'abattre sur lui, si la vigilance faiblit. Savoir utiliser le négatif, l'ombre portée ou le simple reflet de ce que l'on croit avoir un instant livré à l'adversaire est donc la seule chance de rendre vain le profit qu'il pourrait en tirer.

Les deux visages du sourire appartiennent en propre à qui les interroge et parvient à forger, en se servant de leurs structures, la grille isolante où passera le courant alternatif de la surprise. Alain JOUBERT.

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HÔTEL DU SANS VISAGE

Aux grands transparents, en hommage à leur discrétion infinie. Je suis entré comme un gangster Derrière le bar une femme (Guillaume ses dents étaient des mouettes sur la bouée de sa voix) me lança l'amarre d'une histoire en peau de lapin “ Connaissez-vous, me demanda-t-elle, celle du monsieur qui s'était jeté par ses propres yeux ? ” Je l'écoutais sans comprendre le coeur serré comme une bottine sur une cheville de noyée et les clients accoudés au vent du large regardaient le spectre des carrières reprendre du rosé On m'apporta dans des bouteilles de persiennes des alcools de broderies déchirées par les chats et un homme sans yeux sans bouche sans nez et sans oreille sortit à cloche-pied de la tour des marelles en ruine dans mon verre Tout abîme et silence et plus secret que l'étincelle absente d'où jaillissent les rayons de l'oursin il braquait sur moi un pistolet automatique comme chance et malchance Puis les sombres paysannes en coiffe de mercure apparurent dans les fleurs du papier mural où le peuple des morts les tenait prisonnières

L'une d'elles s'avança et dit : “ Il fait nuit une femme marche sur une route Elle va où va son ombre engloutie plus loin comme un navire

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Plus loin il y a une scierie éteinte sur son parfum et c'est là qu'elle a rendez-vous bien qu'elle n'ait pris aucun rendez-vous Déjà les herbes enlacent ses chevilles Entend-elle l'aile unique d'une porte qui se débat Elle se hisse sur la pointe des pieds vers une vitre brisée... Demain le chemineau qui s'était introduit dans la scierie pour y dormir découvrira une femme morte debout dans l'herbe grimpante Il creusera une tombe plus profonde que cette boule de cristal puis il fera glisser la terre sur eux deux Suis-moi et tu verras ”

J'ai vu un homme traqué par toutes les polices changer de train et croiser sans le savoir une ombre à qui il aurait pu se fier J'ai vu quelqu'un chercher quelque chose qu'il croyait avoir égaré quelque part et qui ne se souvenait plus de rien et avec lui j'arrivais à l'hôtel du sans visage Ni porte ni mur à cette demeure aimantée j'y suis sans connaissance le mort et le cortège Aucun chemin n'y mène elle est où je vais quoi qu'il arrive elle est où je suis comme un mot transparent Si je la cherche elle me fuit si je l'ignore je la trouve à la croisée des désirs errants Et la neige cérémonielle se détache du toit C'est en elle que je suis né et c'est en elle que je mourrai sans laisser de trace sans laisser plus de trace que sur une porte close un signe de vagabond

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Dans la salle des éperdus l'attente est attendue Rien à perdre que ce venimeux souci d'insouciance

Toute pierre lancée au hasard se dirige, avec une étonnante précision, vers l'endroit qu'elle finira par atteindre. Il y a deux licornes dans la forêt l'une est noire l'autre est blanche et toutes deux nous mangent dans la main L'une disparaît en tirant jusqu'aux lacs les grandes fourmilières métaphysiques l'autre pénètre dans les haies de hiboux et se dissout dans leur fuite Chez les marchands de souvenirs des touffes de leur pelage sont vendues dans des médaillons plus fragiles que le pouls d'une femme endormie Ni prière ni exaucement ni épreuve ni mérite ni lutte ni salut rien qu'une femme endormie dans le feuillage de l'arbre transparent où se postent les oiseaux de mer rien que la grande scie de la mer comme une image pieuse déchirée rien qu'une goutte d'eau glissant comme une tête réduite entre les doigts d'un indien Jivaro qui regarde tomber la pluie et cette ultime chute fait déborder mon insomnie mais qu'importe qu'importe que rien n'importe puisque rien n'importe rien qu'une étincelle dans la foulée des chevaux rien qu'une étincelle pour naître et mourir dans la soif de l'instant

Jean-Claude SILBERMANN.

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MAIN PREMIÈRE

L'oeil non prévenu, je veux dire non instruit de ce qu'il va voir, mais aussi non faussé par la “ façon de voir ” qui, en Occident, lui est impartie depuis des siècles, se laissera-t-il errer sur ces écorces peintes tombées devant lui des lointains de la Terre d'Arnhem, qu'il trouvera son bien, tout d'abord, dans leur exemplaire harmonie. Bien avant de pénétrer les intentions qui y président, il s'enchantera de l'accord privilégié qui englobe leurs éléments constitutifs. Leur texture, qui va du plus souple au plus serré, épouse si parfaitement la gamme de couleurs réduite et pourtant si riche dont elles disposent que le plaisir immédiat qu'elles procurent tend à se confondre avec celui que dispensent les coquillages de là-bas - cônes, volutes et autres - fascinants entre tous. Elles semblent leur emprunter leur ramage dans toute son étendue : n'y manque pas même la lueur sous-jacente de la nacre. Ainsi s'affirme d'emblée l'unité rythmique des oeuvres ici considérées. Elles s'en trouvent, tout au long de la côte, un répondant organique.

Aimer, d'abord. Il sera toujours temps, ensuite, de s'interroger sur ce qu'on aime jusqu'à n'en vouloir plus rien ignorer. Avant comme après cette enquête, c'est la résonance intime qui compte : sans elle au départ on est presque irrémédiablement démuni et rien de ce qu'on aura pu apprendre n'y pourra suppléer si, chemin faisant, elle est perdue. C'est là l'évidence que viennent renforcer tous les jours tant d'“ explications de texte ” s'entêtant à vouloir réduire les “ obscurités ” d'un poème alors que ce qui importe avant tout est que, sur le plan affectif, le contact s'établisse spontanément et que le courant passe, soulevant celui qui le reçoit au point de ne lui faire nul obstacle de ces obscurités mêmes. De même qu'une oeuvre plastique, quelle qu'elle soit, ne saurait avoir pour nous d'intérêt vital qu'autant qu'elle nous séduit ou nous subjugue bien avant que nous n'ayons élucidé le processus de son élaboration. Il en va tout spécialement ainsi de l'oeuvre de ce que nous appelons - non sans gauchissement quand il vit de nos jours - un “ primitif ”, soit, par définition, un être gouverné par des affects beaucoup plus élémentaires que les nôtres. Rien de moins propice à son appréhension en profondeur que de devoir en passer par le regard

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PAINGANNGAN, “ Vieil Homme des Gubabuin, mâche la tige d'une orchidée sauvage pour préparer l'enduit de sa peinture sur écorce (Crocodile Islands, Terre d'Arnhem)

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Nagordo (Pays Rocheux) : Deux femmes-esprits Mimi.

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Djawa, clan Gubabuingu : Djawa le Porc-épic.

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trop souvent glacé de l'ethnographe qui croirait, sinon déchoir, du moins faillir à ses disciplines s'il se portait vers elle avec quelque ardeur ou même s'il se montrait, tant pour les autres que pour lui-même, moins rebelle à l'émotion. On n'y insistera jamais trop : il n'y a que le seuil émotionnel qui puisse donner accès à la voie royale ; les chemins de la connaissance, autrement, n'y mènent jamais.

On sait avec quel rengorgement tels spécialistes des “ sciences de l'homme ” se prévalent de leur séjour sur le terrain, eût-il été des moins périlleux et des plus brefs et que dans leur bouche cette locution ne prend pas moins de solennité que dans celle des duellistes. Que cette particularité trahisse, à la base, tout le contraire d'une communication profonde avec tel groupe ethnique sur lequel ils jettent, sans véritable option, leur dévolu, n'est, dans ces conditions, que trop probable.

Notre chance est qu'il en aille tout autrement avec Karel Kupka qui, lui, est mu par l'attraction passionnelle et n'éprouve nul besoin de s'en cacher. L'Australie est, d'ailleurs, poétiquement aimantée. Il y a longtemps que la curiosité enfantine se repaît de la spécificité de sa faune mammiférienne - marsupiaux et monotrèmes - faite entre toutes pour accréditer l'idée ou l'illusion d'un monde perdu. Savoir qu'elle abrite, dans sa partie septentrionale, des ensembles humains assez homogènes dont l'horloge “ retarde ” de plusieurs millénaires sur nous est fait électivement pour inciter à y aller voir de près. Mais autre chose que de voir est de tenir ensuite à ce qu'on a vu par toutes ses fibres : c'est alors le “ Je pars pour les Marquises. Enfin ! ” de Paul Gauguin comme c'est ce qui, à plusieurs reprises, a ramené et ramènera Karel Kupka chez les Aborigènes d'Australie.

L'y ramener ? D'ou vient donc qu'il ne s'y soit pas fixé pour toujours ? Est-ce à dire qu'atteint un tel “ monde perdu ”, ne l'épargne pas la nostalgie de ce monde le nôtre dont - eu égard aux effluves qui le traversent depuis le 6 août 1945 - nous mine l'idée qu'il est en perdition, remué par l'horreur de l'échéance d'un instant à l'autre ? Non pas. Karel Kupka garde, dans ce crépuscule, le sentiment qu'il se doit de soustraire à leur anéantissement sur place, du fait des intempéries, les produits de sa quête. Il estime, à juste titre, que, de ce côté de la terre, un tel document vivant peut être encore - si tard qu'il soit - du plus grand prix, dans la mesure où, nous dénudant les racines de l'art plastique, il ébauche en nous une certaine réconciliation de l'homme avec la nature et avec lui-même.

Et, tout d'abord, quelle leçon ! La fin que poursuit l'artiste australien n'est en rien l'oeuvre achevée telle que nous pouvons la cerner dans ses limites spatiales (il l'abandonne sans se soucier aucunement de sa préservation) mais bien, en tout et pour tout, la démarche qui y aboutit. “ Ce n'est que le fait de peindre, nous dit

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Kupka, l'acte même de la création qui compte pour eux ”. Que certaines de ces peintures soient “ uniquement produites pour le plaisir de l'art créateur ” (*) ne saurait faire oublier qu'elles témoignent du même principe générateur que les autres, initiatiques, qui, sous le sceau du secret, propagent les mythes propres à la tribu. Il est flagrant que celles-ci et celles-là procèdent du même esprit, comme elles sortent des mêmes mains. Claude Lévi-Strauss, se référant à Lloyd Warner, qui a étudié les Australiens septentrionaux, considère que chez eux, “ le système mythique et les représentations qu'il met en cause servent à établir des rapports d'homologie entre les conditions naturelles et les conditions sociales, ou, plus exactment, à définir une loi d'équivalence entre des contrastes significatifs qui se situent sur plusieurs plans : géographique, météorologique, zoologique, botanique, technique, économique, social, rituel, religieux et philosophique ” (**). D'où l'immense intérêt de remonter à ce qui peut être le pivot d'un tel éventail, de saisir comment,

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Guerrier courant.

(Terre d'Arnhem occidentale), d'après Charles P. Mountford : l'Art aborigène en Australie)

selon encore Lévi-Strauss, “ le système des représentations totémiques permet d'unifier des champs sémantiques hétérogènes ” (**). C'est à quoi nous convie Karel Kupka, en nous faisant assister à l'essor de ces oeuvres qu'il suit des yeux pour nous, à partir de l'instant nodal où elles prennent naissance. Un intense projecteur demandait à être braqué sur la trame initiale presque indifférenciée dont l'artiste seul décidera qu'elle va servir à exprimer, par exemple, le miel sauvage, la masse des algues ou le feu. Nous

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sommes là aux sources de la représentation conceptuelle dont notre époque commence à voir qu'elle frappe de dérision la représentation perceptive. L'Aborigène, qui s'y tient, fait montre sur le plan plastique d'une quasi infaillibilité.

(*) Charles Mountford : Australie. Editions Unesco de l'art mondial 1954.

(**) Claude Lévi-Strauss : La Pensée Sauvage, Plon éd., 1962.

L'“ Alcheringa ”, le temps des rêves, qui est aussi celui de toutes les métamorphoses... ces lames d'eucalyptus saupoudrées de pollen qui en proviennent sont celles qui nous y ramènent le mieux. Aussi discrètes que les esprits “ Mimi ” de la mythologie australienne qui, à la moindre alerte, soufflent sur une fente de rocher pour l'agrandir jusqu'à ce qu'elle leur livre passage, elles tablent sur l'éphémère et opèrent par enchantement.

Que l'homme, aujourd'hui en peine de se survivre, mesure là ses pouvoirs perdus ; que celui qui, dans l'aliénation générale, résiste à sa propre aliénation, “ recule sur lui-même comme le boomerang d'Australie, dans la deuxième période de son trajet ” (*).

(*) Lautréamont : Les Chants de Maldoror. Chant sixième. André BRETON.

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DE TOUT REPOS...

pour Micheline K.

Bleue comme les eaux profondes de la Mer Noire tu jaillis de l'écume des glaces pareille tout pareille au marteau sur l'enclume offerte aux sabots du centaure mais ton beau ventre palpitant de colère quel est ce ver entre des cuisses d'algues qui voudrait te ronger toi rebelle Je me refuse à la pourriture du tapis rongé par les dermatologues où roucoulait la tourterelle je ne partage pas les eaux de la Mer Rouge comme des paupières de pierre je n'abdiquerai jamais je vais au devant du sinistre avec tes propres armes celles qui tant de fois m'ont vaincu et que je recouvrais de gentianes pour leur rendre la couleur de ce jour où je t'ai connue cette couleur qui est ton sourire même disparu entre le Danube et Buenos-Ayres Tu es le chant d'aurore au crépuscule de ma vie pour protéger ce chant un ours brun anéantira les fantômes d'hommes la crinière de loutre n'est pas pour eux nous n'avons ni toi ni moi d'oasis pour les sarbacanes ton sang d'ailleurs pourrait les noyer toutes Restons sur ce duvet de madrépores enlacés comme des perles de lumière à l'orée de la forêt domaniale je verrai ton sang couler goutte à goutte devant la porte de ma prison Une feuille de saule respire dans l'eau de la Mer Morte et sa pâleur a la douceur de ton épaule et du vent bleu des nuits septentrionales Promets-moi de me cacher le soleil avec la dentelle cruelle de ton sourire

Octobre 1962 Pierre DE MASSOT.

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De près et de loin

(De l'OURSIN A L'INFINI)

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L'étude de Jean Palou parue sous le titre : “ De l'oeuf de serpent à l'oursin ”, dans le n° 2 de La Brèche - et pareillement le commentaire qu'en fait Micheline Bounoure - sollicitent à plusieurs reprises “ le langage des oiseaux ” ou cabale phonétique, pour placer dans une même lumière des objets que l'archéologie classique présente en ordre dispersé.

Que cette méthode soit légitime en elle-même, c'est de quoi la philologie comme la psychanalyse pourraient témoigner à l'occasion. Du reste, il suffit de songer aux enseignes et aux armes “ parlantes ”, comme aux rébus de la “ Sublime - Science ”, pour se convaincre que ce langage glissant était, au Moyen Age du moins, celui de tout le monde. L'usage que je me propose d'en faire ici, en très libre relation avec l'iconographie hermétique, me paraît propre à renforcer le sentiment que les objets déjà rassemblés par Jean Palou et Micheline Bounoure autour de l'oursin, forment une véritable constellation symbolique.

L'ourson qui paraît à Bourges, aux pieds du gisant de Jeanne de Boulogne, duchesse de Berri, (encore qu'il me souvienne de l'avoir vu aux pieds mêmes du duc Jean) serait donc assimilable à l'oursin, oeuf cosmique et gage particulier d'immortalité - équivalent à une “ lampe perpétuelle ”.

Ceci n'a rien qui doive surprendre en ce temps - et en ce lieu. On sait qu'à la fin du Moyen Age, Bourges - au même titre que Prague et Paris - fut un des hauts lieux de l'Hermétisme. Il est permis dè lors de chercher l'oursin et ses satellites parmi l'ornementation des demeures qui s'y sont conservées et d'abord, dans la plus étrange, la plus belle aussi : l'Hôtel Lallemand (début du XVIe siècle).

Voici un avant-bras sectionné au coude, gainé de flammes jusqu'au poignet

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et qui, précisément, laisse échapper ou ramasse, sept châtaignes dont plusieurs sont entrouvertes. C'est l'un des trente mystérieux bas-reliefs qui décorent le plafond du cabinet. Fulcanelli le rapproche d'un motif presque identique qui se voit au château de Dampierre-sur-Boutonne, autre demeure philosophale. Les châtaignes seraient, à l'en croire, à l'image de la Pierre, telle qu'on l'obtient par “ voie sèche ” - rugueuse, fendillée - et l'ensemble ferait allusion aux sept multiplications qu'il est conseillé de lui faire subir - per ignem... Au voisinage, on reconnaît une Sphère Armillaire au-dessus d'un buisson ardent, et une Rose Héraldique à cinq pétales, cinq fois multipliée. Pareille coïncidence autoriserait l'attente du serpent : le voici en effet, lové en huit (ou en croix) au bas d'un chaos de rochers...

Qu'il me soit permis maintenant de hasarder un rapprochement moins littéral. L'oursin - en grec : échinos, hérisson et, bien entendu, châtaigne - consonne de façon tentante avec l'échinéïs, ce petit poisson dont le nom, dit Pline “ s'est formé de deux mots grecs dont l'un signifie : je retiens, et l'autre : navire ”. On aura reconnu le remora, le “ retardateur ”, auquel on prêtait le pouvoir d'arrêter les vaisseaux en se collant à leur carène.

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L'échinéïs-remora figure en bonne place dans le bestiaire alchimique : c'est le poisson qui nage dans la mer philosophique, l'amorce de la coagulation du Mercure par le Soufre, le premier état de la Pierre issue du mariage des deux principes qu'unit le sel (ou scel) étoilé. A ce stade de l'Oeuvre, en effet, la fixation du volatil “ arrête le vaisseau ”, heureux événement que préfigure, à la surface du compost, l'apparition de l'Etoile des Sages, dont Eugène Canseliet confirme qu'elle porte invariablement cinq branches.

Ajoutons, toujours d'après Pline, que lorsqu'on conserve l'échinéïs dans du sel, “ son approche seule suffit à retirer des puits les plus profonds, l'or qui peut y être tombé ”.

Un autre caisson du cabinet de l'Hôtel Lallemand propose à cet égard un rébus qui est bien dans le goût du temps : dans la concavité d'une Coquille Saint-Jacques, on distingue un phylactère enroulé et plié en croix de Saint-André ; au centre de l'entrelacs est tapi un gros insecte, assez semblable à un capricorne. Il entaille le parchemin de son unique mandibule et du double ergot

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de sa queue. Il le mord donc deux fois : il le remord. (L'ancien nom français de l'échinéïs est remore - et non remora.)

Douterait-on d'ailleurs d'une interprétation qui tient à une aussi piètre équivoque, qu'il suffirait d'invoquer la signification traditionnelle de la Coquille Saint-Jacques : emblème mercuriel, réceptacle de l'eau - benoiste ou pontique (c'est-à-dire de la Mer, ou Mercure, Philosophique) elle renvoie, par le biais de Compostelle (Compos-Stella) à cette Etoile des Sages que reflète également l'enroulement en X du phylactère.

Un passage de Philalèthe (cité par Fulcanelli dans une traduction assez libre, il est vrai) nous en assurera, en même temps qu'il permettra de passere à d'autres emblèmes de sens voisin et, à l'improviste, de retrouver l'oursin. “ Aies soin - dit l'Adepte - de régler ta route par l'Etoile du Nord... Alors le Sage se réjouira. Le Fou néanmoins tiendra cela pour peu de chose : il regardera même, sans en comprendre la valeur, ce pôle central, fait de lignes entrecroisées, marque merveilleuse du Tout-Puissant. ”

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Fait de lignes entrecroisées...

Pareillement tressé, un enclos de clayonnage retient (mais par quel charme ? la porte a été laissée ouverte...) une Hermine héraldique. A ses pieds, une rose. Au-dessus, la couronne de France, fleuronnée, entre ses lis, d'églantines épanouies, ce qui est au moins inhabituel. Ce bas-relief se voit au linteau d'une cheminée de ce même Hôtel Lallemand, proche du cartouche de Louis XII. Il commémorerait une visite supposée des souverains qui, en effet, entrèrent à Bourges en 1505. Mais outre qu'il n'était guère d'usage que de simples bourgeois revêtissent leur logis d'emblèmes royaux, le même motif figure aussi à Dampierre-sur-Boutonne, sans que la reine Anne y puisse être pour rien, semble-t-il, puisque celle-ci est morte plus de trente-cinq ans avant que fût entreprise la décoration de ce château.

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Un enclos tout semblable se reconnaît d'ailleurs au Palais Jacques-Coeur, aux pieds d'une femme ailée qui se dresse entre deux coeurs sommés chacun d'une croix - et pareillement à l'Hôtel des Echevins de Bourges sous la forme d'un parc-à-moutons voisinant avec une fileuse et un dragon. Enfin, l'une des figures gravées sur la façade de la Maison d'Accueil fondée à Paris par Nicolas Flamel présente une palissade de même structure.

Si l'on se souvient que le Mercure Philosophique est communément désigné par : le nid, la corbeille ou ciste de Bacchus, le van, le rets ou le filet, il est tentant d'admettre avec Fulcanelli que l’entrelacs est bien l'une des figures traditionnelles de cette étoile à cinq branches qui assure l'Artiste que la matière a été canoniquement préparée - et que l'hermine (ou rat-pontique) s'apparente au poisson qui arrête le Vaisseau Philosophique.

Sommes-nous donc si loin de l'oursin, porteur, lui aussi, du Pentacle ? Sur la cheminée de l'Hôtel Lallemand, nous avions remarqué l'animal-totem du roi Louis XII : Le porc-épic : échinos : l'oursin... (1).

(1) Le grand-père de Louis XII, Louis d'Orléans, fonda en 1394 l'Ordre du Porc-Epic. L'anneau des chevaliers portait une agate où était gravée la figure de cet animal.

Comment se défendre ici de noter qu'il existe en Amérique une variété arboricole du porc-épic : l'urson... Cuvier, cabaliste à ses heures, s'exprime ainsi à son sujet : “ Hudson ayant découvert la terre où il se trouve, nous lui donnerons un nom qui rappelle celui de son premier maître, et qui indique en même temps sa nature poignante et hérissée. ”

De près et de loin...

Sans presque quitter Bourges, nous avons pu nous assurer que sous des formes diverses (ourson, châtaignes, échinéïs, hermine, étoile, etc...) l'oursin était en étroit rapport avec le feu - celui des Sages, s'entend.

Sous le nom de Remore, il en est du reste l'ennemi le plus cher si l'on s'en rapporte au combat fameux dont Cyrano de Bergerac fait le récit. On sait qu'après de furieux assauts, la bête-de-glace triompha de la Salamandre pour en faire une Lampe Ardente pareille, confie l'auteur, à celles que les anciens

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plaçaient en de certains tombeaux. Et souvenons-nous à propos que ces deux natures hostiles sont issues d'une même matière, que leur destin est de se joindre par mariage philosophique, pour ne pas nous étonner outre mesure que ce soit l'oursin et non la bête-à-feu qui veille sur Jean de Berri, l'inquiétant et fastueux protecteur de Pol de Limbourg.

Puisque la “ langue des oiseaux ” nous a permis de passer si légèrement de l'oursin à la remore, retenons - à titre de divertissement, mais sait-on jamais ? - qu'à la racine grecque du premier se rattache également l'échine, sorte d'ove utilisée dans l'ornementation des chapiteaux ioniques. Le serpent, une fois encore, ne saurait être loin de son oeuf : de fait, les anciens nommaient échite (de Ekhis, vipère) une sorte d'agate sur laquelle il y aurait intérêt à recueillir de plus amples renseignements...

Un avatar du porc-épic me tiendra lieu de moralité : l'échidné. Au mépris de toute zoologie, je l'invite à se justifier “ cabalistiquement ” ; L'Encyclopédie : “ genre de mammifères ovipares appartenant à l'ordre des monotrèmes ”. Ovipare n'est pas mal. Mais consultons un linguiste : “ Echidné : dérivé savant du grec ekhidna, vipère. D'après les piquants de l'oursin comparés aux crochets de la vipère ” (Dauzat - Dictionnaire étymologique).

Il est temps d'interroger à nouveau l'homme de Fata Morgana, en son chemin périlleux : “ A sa droite, le lion, dans sa main l'oursin... ”

De façon générale, le lion est l'emblème de l'or alchimique. Dévorant un serpent, comme on le voit dans la XIIe clef de Basile Valentin, il suggère la sustentation du soufre par le mercure - soit la naissance de l'échinéïs, qui lui-même...

Follement OUROBOROS se remord la queue... Philippe AUDOUIN.

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LES PIRATES DU SOUVENIR

A Enrique Galvao.

Aux premiers mois de l'année 1961, un fait divers - était-ce donc autre chose ? - occupa quelques jours la “ une ” des quotidiens d'information : la capture en haute mer de la “ Santa Maria ” par des révolutionnaires portugais. Ce qui ne manqua pas d'amuser et parfois d'attendrir le grand public. Ainsi donc, à l'époque de la bombe atomique..., etc. C'était vraiment touchant, comme un vieux refrain fredonné par nos grands-mères, et tellement exotique !

A mes yeux, l'exploit du capitaine Galvao et de ses compagnons - auxquels la grande presse internationale décerna aussitôt le titre de pirates - apparaissait bien autrement exaltant. Car, s'il ne modifiait pas la face du monde - ni même, malheureusement, celle du Portugal - il réveillait le souvenir d'un grand songe qui occupa plusieurs années de mon adolescence...

31 juillet 1940 : j'assiste en spectateur attentif à l'arrivée des motorisés allemands dans Biarritz. Il fait beau, j'ai douze ans et pour moi les vacances sont déjà commencées. Où en suis-je à cet instant ?

Au coeur de ce pays basque français, foyer privilégié du fascisme et seul capable de se faire représenter par d'aussi pittoresques canailles qu'Ybarnégaray, Tixier-Vignancour ou le colonel Thomazo, dans cette ville factice et opulente, quelque chose cependant a tressailli pendant les années qui précédèrent la guerre de 1939, et de cela je porte encore la marque. Mon père, militant communiste convaincu, nous amène, ma mère et moi, dans les réunions politiques. Et c'est ainsi qu'au cours d'un meeting du Front Populaire, en 1936, les lumières s'éteignent et, sur un mur qui sert d'ordinaire de fronton pour le jeu de pelote, surgissent les affolantes images du Cuirassé Potemkine : la viande pourrie, les marins s'agitant sous la bâche qui les dissimule aux yeux du peloton d'exécution, la foule fusillée sur les grands escaliers d'Odessa. Le Premier Mai, je défile poing levé dans les arènes de Bayonne, à côté de mes parents, en chantant L'Internationale.

Plusieurs années auparavant, déjà, l'affiche du Secours Rouge International - un mouchoir rouge qui flotte aux barreaux d'un soupirail de prison - m'a impressionné à tel point que j'en fais le point de départ du roman d'une révolution ouvrière au Japon. Le roman ne sera jamais terminé. C'est sans doute qu'à cette lointaine éventualité se substitue la réalité toute proche : la guerre d'Espagne. Il y aura toujours dans ma mémoire cette nuit où, du haut de la Côte des Basques voisine de notre maison, nous regardons ces grands reflets rouges sur la mer, ce phare de sang : Irun en flammes. Et bientôt ces réfugiés qu'accueille une école en construction vers laquelle les gens viennent en longue file sur le sable, au milieu des pins, comme en pèlerinage. Il y a là surtout des femmes du peuple vêtues de noir qui, toutes, me paraissent

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vieilles et des bébés chétifs dont certains ont dû naître pendant l'exode : à un maigre baluchon de hardes près, l'image du total dénuement.

Puis vient la guerre, la nôtre : tandis qu'à la radio le roi d'Angleterre prononce quelques fortes paroles, ma mère, ma tante et aussi ma cousine fondent en larmes. A cause de Daladier, mon père a brûlé des monceaux de brochures et de revues politiques bien avant d'être mobilisé... Et voici cette belle journée de 1940 où je vois passer les motorisés allemands poursuivant vers Hendaye les fantômes improbables de l'armée française en déroute.

Peu après la rentrée scolaire suivante, avec un camarade, B..., qui sera longtemps mon seul confident, une forme de dialogue assez aberrante s'établit et, bientôt, m'accapare. Il s'agit d'un échange quotidien de communiqués entre deux puissances antagonistes dont nous sommes, B... et moi, les représentants. Nos modèles sont alors la presse d'occupation et la radio anglaise dont l'incompatibilité absolue des versions proposées pour le même événement doit nous frapper profondément. Le mimétisme qui constitue l'élément moteur de ce jeu étrange, et le dualisme qu'il implique, perpétuent entre nous un tel décalage, renforcé de l'intérieur par un autre décalage, aussi déroutant, entre les pertes infligées à l'adversaire et les pertes subies. En pareil cas, le malentendu fondamental ne peut que s'aggraver ; en outre, le calque que nous appliquons sur les réalités du conflit véritable est à la fois étroit et monotone. Très rapidement, j'informe mon camarade d'un déplacement décisif dans le temps et dans l'espace : le combat se situe désormais dans le futur, à soixante années de là, et la carte des opérations de même que les antagonistes ont été complètement transformés.

Le 1er janvier 2001 apparaît un nouvel Etat, ou plutôt un embryon d’État. C'est une île de petites dimensions, à peu près à l'emplacement actuel de l'île Socotora - mais les mâchoires de la mer Rouge se sont mises à bâiller d'une surprenante façon. En effet, le profil des terres émergées a beaucoup changé et, par la même occasion, une nouvelle redistribution territoriale est intervenue. Le mobile déterminant de ces métamorphoses fut autant la commodité que le désir de nouveauté : je n'entends pas m'embarrasser de la vieillerie géographique ou historique. Sous ce rapport, le mimétisme originel se voit battu en brèche : de plus en plus, le conflit sera intériorisé, deviendra pour moi affaire personnelle, sans référence directe au monde réel.

S'il s'agissait d'un pari sur l'avenir, un mystérieux cataclysme n'en était pas moins évoqué pour justifier ce bouleversement géopolitique. Le nouvel Etat s'intitulait modestement la Cité du Pirate et pourtant prétendait apporter quelque perturbation dans l'équilibre international. Une société secrète aux traditions et aux intentions subversives, héritière de la plus haute piraterie des XVIIe et XVIIIe siècles, avait décidé de passer du stade de la clandestinité à celui de nation moderne. Il faut essayer de se représenter une Ile de la Tortue dotée d'une administration centralisée, d'une stratégie organisée, d'une armée régulière et - pourquoi pas ? - d'un plan quinquennal. Je n'aurais garde de sous-estimer ici l'enthousiasme avec lequel j'avais lu les romans d'Emilio Salgari dont les héros portaient les noms chatoyants de Corsaire Noir, Corsaire Rouge, Corsaire Vert...

Le chef de l’État s'appelait Red Pirat (sic) : personnage qui m'est toujours demeuré assez étranger en dépit de ses efforts évidents pour s'identifier à mon propre individu. Jamais je ne me le suis représenté autrement que masqué et j'ignorais tout de lui, même à l'instant où je dressais avec éclectisme la liste des femmes composant son harem. En raison du développement en quelque sorte journalistique que prit mon activité - je fabriquai de nombreux journaux et des brochures, manuscrits à exemplaire unique mais illustrés, qui rendaient compte de l'expansion pirate -, je m'identifiai par la suite au journaliste officiel du régime, reporter de guerre numéro un, et même à la femme de ce dernier, Juliette...

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J'avais depuis toujours aimé écrire et dessiner, j'appréciais comme mes camarades les illustrés pour enfants, enfin j'étais sensible à l'éclat de l'hebdomadaire allemand Signal - édition dans toutes les langues des pays occupés, photographies en couleurs, etc. -, sans aucune commune mesure avec les misérables publications de la presse française collaborationniste. En un temps où l'imagerie de propagande tenait le haut du pavé, comment aurais-je négligé de faire appel à ses ressources ? Plus tard, lorsque sonna l'heure de la propagande américaine, bien qu'ébloui par l'ampleur des moyens et la qualité des résultats, je ne fus pas le moins du monde dépaysé.

Les mêmes situations n'appellent-elles pas les mêmes solutions ? Tandis que les forces de l'Axe étendaient invinciblement leur emprise sur le monde, la Cité du Pirate, de son côté, faisait boule de neige. Guerres libératrices ou guerres de légitime défense entraînaient régulièrement la victoire, et l'annexion du territoire de l'adversaire. Le bon droit, de toute évidence, se trouvait du côté des Armées Pirates - qui disposaient aussi des avions les plus modernes, et des tanks les plus puissants ! Dans les pays conquis, l'organisation administrative, l'urbanisme et l'infrastructure en général bénéficiaient aussitôt d'un prodigieux essor.

Il est à peine besoin de dire que, très tôt, ce qui fut un instant dialogue avec mon camarade B... - lequel s'amusait fort de ma Cité du Pirate - prendra une tournure si intime qu'il ne sera plus question de mettre qui que ce soit dans la confidence. Univers clos sur lui-même, l'aventure pirate à l'aube du XXIe siècle ne concernait que moi. Me croira-t-on si j'avoue que cela m'occupa des années durant, vraisemblablement jusqu'à la Libération ? Car l'entreprise se fortifiait, autant que du déplorable exemple du monde des adultes, de toutes les sollicitations auxquelles peut s'ouvrir un esprit d'adolescent d'autant plus sensible qu'il se forme dans la solitude.

De bonne heure, parmi les facteurs d'évolution, je dois accorder la plus large place à un fort mauvais livre, dérobé à mes parents, La Maîtresse légitime, de Georges-Anquetil, plaidoyer consciencieux, comme son titre en fait foi, en faveur de la polygamie. Autant dire que, grâce à cette influence, la plus complète liberté de moeurs régna d'emblée sur la Cité du Pirate. Aux environs immédiats de l'île métropole, une petite Île d'Amour joua bientôt le double rôle de Temple-Musée de la Volupté et de Jardin des Délices. La conjonction de cet érotisme avec le destin belliqueux des Pirates donna naissance à un de mes archétypes personnels, celui de l'Amazone, me préparant de longue date au bouleversement qui serait le mien, douze ans après, à la lecture de la Penthésilée d'Heinrich von Kleist. Si contestables dans leur principe qu'elles me paraissent aujourd'hui, mes armées féminines témoignaient d'une évolution certaine par rapport au harem du chef de l’État : au statisme et à l'aspect “ collectionneur ” de la polygamie instituée se substituait un érotisme dynamique et égalitaire.

Hormis cette orientation qui pesa de plus en plus sur les dernières années de la Cité du Pirate, se faisaient jour aussi, au cours des conquêtes, des préoccupations libérales et même démocratiques. Eu égard aux ambitions d'organisation rationnelle et de mise en valeur des nations conquises, je pourrais presque parler de socialisme d’État. N'empêche que la dominante belliqueuse, agressive, s'affirma jusqu'au bout. Pouvait-il en être autrement de la part des Pirates qui avaient hérité sans doute de leurs ancêtres la haine de l'ordre établi ?

C'est tout récemment que j'ai appris, non sans stupeur, l'incroyable histoire du pirate français Misson qui, à la fin du XVIIe siècle, entreprit “ de réformer le monde par la piraterie ” (Hubert Deschamps). Avec le concours du moine défroqué Caraccioli, Misson fonda sur la côte de Madagascar une cité de pirates baptisée Libertalia. “ Notre cause est bonne, juste, innocente et noble ; c'est la cause de la Liberté ”, déclarent-ils. Authentiques précurseurs

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de Rousseau, ils adoptent, au lieu du classique drapeau noir frappé d'une tête de mort, un drapeau blanc avec la figure de la liberté. De cette société utopique et de son “ contrat social ” à la Cité des Pirates, du drapeau blanc à mon drapeau vert orné d'un losange orangé, les points de ressemblance sont pour moi aussi nombreux que frappants. Mais, comme les pirates les plus “ classiques ”, les miens avaient tout d'abord “ déclaré la guerre au monde entier ”.

Une autre rencontre concerne, cette fois, les circonstances qui entourèrent la naissance de mon utopie guerrière. Il s'agit d'un roman soviétique, Le voyage imaginaire, dont l'auteur, Léo Cassil, raconte l'invention par deux enfants d'un royaume imaginaire, la Schwambrannie, pendant que se déroulent la révolution de 1917 puis la guerre civile. Ouvrage surprenant qui, bien sûr, se termine par le triomphe des “ réalités socialistes ” sur les rêves de l'enfance mais décrit avec précision les relations de mimétisme et de répulsion qui se produisent entre l'imagination juvénile et une réalité douloureuse et brutale. Ce recoupement, comme le précédent, ne me fut révélé que plusieurs années après la guerre.

Avec la fin de la guerre vint la disparition de la Cité du Pirate. De quel profit m'avait été cette longue expérience militaire et gouvernementale - ou, pour tout dire, politique ? Les troupes allemandes avaient à peine quitté Biarritz que je me procurai un brassard F.F.I. Pendant quelques jours, je tripotai des armes, heureusement non chargées. Puis quelqu'un parla de marcher au pas. A l'instant, une salutaire réaction me détourna des sentiers de la gloire militaire. D'ailleurs, les vacances étaient déjà commencées...

A quelque temps de là, j'adhérai aux Jeunesses Communistes, sur le point de se transformer en U.J.R.F. Je découvris ensuite Le Libertaire et, un peu plus tard, le Surréalisme. Je respirai : il y avait encore des Pirates, le combat n'était pas terminé.

José PIERRE.

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LE BALLON DANS LES BANDES DESSINÉES

Lichtenberg proposait de “ multiplier les signes ! ? :. ;, jusqu'à ce qu'ils existassent en aussi grand nombre que les signes d'apothicaire ”. Sans doute attribuait-il à la typographie de son temps un cadre trop étroit, trop rigide, pour rendre compte de certaines activités secondaires ou primordiales de l'expression. (Il est bien évident par exemple qu'un catalogue d'imprimeur, si riche soit-il, ne contient aucune variété de signes et de lettres qui puissent traduire autre chose qu'une sténographie conventionnelle du langage, dans son mouvement logique normalisé.) Mais on peut se demander si, dans l'une de ces boutades “ ouvertes ” dont il a le secret, il ne contestait pas l'entier système de la transcription (1). L'enregistrement écrit de la parole est pendant des années demeuré fragmentaire. Les mots eux-mêmes en tant que symboles ont été cybernétiquement assimilés, puis traduits en caractères que l'écriture ou la lettre imprimée reléguaient à l'alinéa. Mais qu'en restait-il exactement, sinon le pur noyau intellectuel ? L'enveloppe extérieure elle-même n'atteignait pratiquement jamais le filigrane. La voix restait privée d'identité, le timbre adopté, les nuances de l'intonation, la force d'éloquence restaient inexprimés.

(1) Charles Fourier, dans Le Nouveau Monde industriel et sociétaire, constatait à son tour : “ Outre l'alphabet des lettres, il faudra créer celui de la ponctuation, qui doit contenir le même nombre de signes ; il est inconnu à tel point que les Français n'ont que sept signes ponctuants, savoir, ; :. ! ?). Le crochet n'est plus en usage, c'était le huitième ; quant aux accents éèêë, ils sont signes de voyelles différentes, et non de ponctuation. Il en est de même de l'apostrophe, qui exigerait un signe spécial et non une virgule exhaussée... Observons que le premier de nos signes, le plus bas, nommé virgule, doit être différencié au moins en quadruple forme, pour faire apprécier les différentes portées de la virgule, ses acceptions qui, variant à l'infini, sont exprimées confusément par un seul signe : c'est le comble du désordre. Il en est de même des autres signes, ils cumulent trois ou quatre sens : la ponctuation civilisée est un vrai chaos, comme l'ortographe, qui varie dans chacune des imprimeries de Paris. ”

Certes, divers artifices furent mobilisés de loin en loin pour situer l'accent tonique dans certains mots, un emploi mesuré de la majuscule ou de l'italique donnait à la lecture un semblant de vie : “ Qu'est-ce que CELA ME FAIT ? ” s'écriait, dans une typographie tonitruante, un personnage de Nodier. Mais à travers un siècle d'alphabets de fantaisie, l'empreinte psychologique individuelle restait absente des imprimés, là où l'écriture manuelle, demeurée le bastion de la personnalité, demeurait susceptible de liberté ou d'invention (2). Rien n'imitera les dédicaces turbulentes de Barbey d'Aurevilly, les calligrammes originaux d'Apollinaire, ou le tracé euphorique de l'inscription de Miro : “ Le corps de ma brune puisque je l'aime comme ma chatte habillée en vert salade comme de la grêle C'EST PAREIL. ”

(2) Voir R.B. : le mot et l'image, dans Le surréalisme, même 4, printemps 1958.

William Blake, qui illustrait et calligraphiait lui-même ses recueils poétiques, adoptait tour à tour une graphie solennelle, emphatique ou tremblante selon les vibratos de son inspiration, et s'arrangeait lorsqu'il mettait en scène quelques-uns de ses héros tempêtueux pour que leurs paroles s'élèvent sur la page comme le vent les eût poussées vers leur destinataire. Il ne faisait en cela que refléter à sa manière certaine licence de la caricature politique, qui dans un espace clos ménagé au-dessus de ses protagonistes représente dès le dix-huitième siècle la parole humaine saisie pour ainsi dire au sortir de la bouche, sous la forme de ce qu'on a nommé commodément ballon.

Le ballon, s'il s'est vulgarisé sous le Premier Empire, est né, pour autant qu'on puisse en juger, plusieurs siècles auparavant (3). Vers 1480, il se manifeste sous l'apparence de rouleaux de parchemin formant comme un halo autour de certains visages, comme le montrent certaines planches du maître J.A.M. de Zwolle. Lesdits rouleaux, porteurs d'une inscription ayant valeur de témoignage discursif pouvaient dans certains cas s'entrouvrir sous le doigt d'un interlocuteur (comme dans Le Roy et l'acteur,

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  1. qui le plus souvent les tenait d'une main (voir La Chandelle, dans les proverbes de Catherine de Médicis). En 1591 une estampe de Lagniet, Le François et l'Espagnol, présentait un vallon véritable, issu directement des lèvres adéquates, comme en usèrent par la suite Gillray ou Caran d'Ache.

(3) Dans le Codex Mendocino, transcrit au seizième siècle par Don Antonio de Mendoza, où furent consignés les annales de la fondation de Mexico sous Montezuma II en 1324 (Bibliothèque Bodleienne d'Oxford), nombre de personnages sont figurés avec une sorte de volute qui, sortant de leur bouche, désigne sans doute la parole. Tantôt le nom propre du personnage est suspendu au-dessus de sa tête, à laquelle le relie un mince filet, tantôt une phrase ou un discours sont nettement représentés en un flot dynamique issu de la bouche.

Le ballon ne fut d'abord qu'une manière d'animer les personnages dessinés en leur appropriant ce qu'on pourrait nommer par anticipation une sorte de sous-titre. La parole semble donnée sans artifice littéraire, sans guillemets, tirets, ni commentaires (“ il dit, elle répond ”) à celui même qui, bouche ouverte, paraît la prononcer. Le ballon devient si vite la figuration imagée de la parole qu'il peut subir par contrecoup les avatars de son propriétaire. Dans une caricature intitulée L'homme aux six têtes, un Talleyrand sextuple se répand en affirmations tant multiples que contradictoires, par le moyen de six ballons excentriques au personnage, qui peut ainsi, avec une belle aisance, invoquer en même temps le roi, l'empereur, la liberté ou le Premier Consul.

Cent ans plus tard, les ballons intégrés aux bandes illustrées dites comic-strips (qui datent de 1896) font un usage d'abord stéréotypé d'une certaine forme de calligraphie en capitales bâton qui ne perd rien, en certains cas, à être remplacée par la lettre imprimée. Mais dans une tentative de spécialisation, ils explorent systématiquement un domaine négligé du langage, celui de l'onomatopée et du bruitage. Les bandes dessinées commencent à aligner en lieu de répliques des interjections délirantes comme : Eeek, Gulp, Ugh, Cackle, Urp, ou Sob ! leur surajoutent un catalogue entiers d'effets sonores visuels du genre Swish, Pow, Smack, Voom, Ack-ack ou Zowie ! que les Français traduisent tant bien que mal par Clic, Boum, Vlan ou Patatras ! En même temps, il leur arrive d'inclure dans une sorte d'hiéroglyphe des représentations mentales simplifiées qui remplacent les mots, un peu comme dans les films du muet l'héroïne apparaît en rêve dans certaines zones floues de l'image (4).

(4) Cette pratique au cinéma date de 1905, lorsque apparut dans le film d'Edwin S. Porter Life of an american fireman ce que l'on appelait un “ dream balloon ”.

Toute humeur, tout sentiment de base peut se traduire par un simple accessoire

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d'essence symbolique, tel le coeur traversé d'une flèche des cartes postales. Dans les ballons, l'idée lumineuse est représentée assez banalement par une ampoule électrique allumée, la haine plus librement par une fiole de poison ornée de tibias sinistres, les sombres desseins par un nuage noir d'où tombent quelques gouttes de pluie, le sommeil profond par des moutons sautant une barrière, le sommeil agité par une scie entamant une bûche, et la douleur, sinon par trente-six chandelles, du moins par deux ou trois. Une bordée d'injures intraduisibles est représentée par un chaos d'étoiles, de spirales, et de symboles qui eût donné à Lichtenberg quelques satisfactions.

Nous sommes ici dans l'héraldique sommaire des panneaux de signalisation, qui n'exclut pas quelques chocs poétiques mineurs, comme en témoigne ce panneau admirable qui hante certaines routes du Midi : un pin fait de ténèbres, aux racines de flammes, et qui dépasse de bien loin par sa puissance d'évocation le trop simple énoncé de “ forêt inflammable ” (5).

(5) Les Nations Unies préparent un système international de signaux routiers, où le signe exclura tout usage du mot, pour le grand avantage de l'automobiliste globetrotter.

Or, le ballon est à même d'utiliser concurremment la parole transcrite et l'image symbolique jusqu'à devenir lui-même un véhicule autonome de l'expression. Il illustrera tour à tour parole et pensée et s'emploiera tout spécialement à confronter l'une et l'autre, quitte à les surprendre en flagrant délit de contradiction. L'identité est exhalée, comme en un souffle, et toujours par la bouche, que les personnages parlent ou se taisent. Tout au plus un ballon pensé se distingue-t-il par l'usage de “ bulles ” en lieu d'un filet plein issu des lèvres. Le caricaturiste Sam Cobean a popularisé dans ses ballons la représentation graphique des appétits mentaux, associant chaque personnage de manière définitive à son imagerie intime. Dans le cas le plus simple un couple, voyant passer dans la rue telle charmante promeneuse, la reconstruit différemment. L'épouse ne voit passer qu'une robe ambulante, l'époux une excitante nudité. Un ivrogne, attablé à son bar habituel, voit une cliente bien habillée sous l'aspect excessif de deux femmes nues. Un entrepreneur de pompes funèbres ne voit dans telle passante au corps harmonieux qu'un beau cadavre horizontal, promis à ses soins posthumes

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les plus empressés. Un mari dort auprès de sa légitime, et rêve d'une belle visiteuse. Soudain dans son ballon apparaît, menaçante, les cheveux en bigoudis, l'épouse elle-même. Le ballon est pulvérisé, et cède la place à un sommeil sans rêves.

A l'inverse, dans la bande dessinée Pogo, le dessinateur Walt Kelly a figuré pour chaque personnage une forme spéciale de ballon, nantie d'une calligraphie individuelle. Le patibulaire Sarcophagus Mc Abre, qui ressemble à s'y méprendre à un vautour, s'exprime en termes d'avis de décès, avec la bordure de deuil et l'italique compassée. Le Révérend Mole aligne de pédants caractères gothiques. Quant au barnum P.T. Bridgeport, qui est une incarnation de W.C. Fields, il expectore une typographie flamboyante entièrement empruntée aux affiches de cirque, et qui accrochée à deux clous comme une toile de tente, multiplie les étoiles, les mains de gloire, les fioritures et les lettres ornées.

Walt Kelly a d'ailleurs donné au ballon une liberté sans précédent : il lui permet de rendre la voix blanche, la colère noire sans pour cela adhérer à la lettre de l'expression. Un personnage aphone agrémente son ballon de caractères si infimes qu'on ne peut les lire, un autre perd la voix et nous présente un ballon vierge, pitoyable. Un troisième dont la voix s'avère suraiguë projette son ballon hors du cadre et de notre vue. Les héros de Walt Kelly se coupent sans cesse la parole en faisant empiéter leur ballon sur celui des autres, jusqu'à le recouvrir complétement, effet dont les auteurs de théâtre n'ont pas encore résolu l'usage parfait. Dans un épisode malheureusement inénarrable, un nommé Beauregard est assailli par un nuage de moucherons qui se groupent au-dessus de lui en escadrilles serrées pour former un ballon véritable où s'inscrivent en caractères vivants les réponses agressives ou goguenardes que les bestioles font à toutes ses questions. Comme l'entretien se fait trop vif, le ballon de moucherons se matérialise en un poing redoutable, qui assomme l'individu. Ailleurs une guêpe maladroite vient s'empêtrer dans le ballon d'un fin causeur, et le fait éclater.

De telles trouvailles, on doit le souligner, sont absolument intraduisibles dans un autre langage que celui des bandes dessinées, dont le ballon est une création vedette, irremplaçable. On aboutit à l'auto-projection anti-littéraire d'une sorte de rébus comparable tout au plus à l'image que se font de leur nom propulsé au-dessus de leur tête les chefs Sioux de la Tribu Nuage-Rouge (Dakota) (6).

(6) Voir Garrick Mallery : Picture-Writing of the American Indian (Dixième Rapport annuel du Bureau d'Ethnologie de l'Institut Smithsonien, Washington, 1893). La figure 682 représentée en page 49 de notre numéro désigne le nom (prononcé par lui-même) du Chef Sioux Thunder-pipe : un pipe à laquelle sont attachées les ailes d'un oiseau-de-foudre.

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A la limite, le ballon peut changer de forme, se dissoudre en fumée, se séparer comme un amibe en plusieurs entités séparées, englobant toutes leur représentation mentale différente. Dans la série B.C. du cartooniste Hart, un homme préhistorique invente plusieurs siècles à l'avance toutes les calamités du monde moderne. Celles-ci se concrétisent suffisamment pour qu'un oiseau, “ lassé d'un long voyage ”, puisse au besoin s'asseoir sur son ballon. Lorsque B.C. invente, avec une apparente satisfaction, divers modèles imaginaires de bombes et de fusées, son ballon tout à coup se transforme

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en nuage atomique, ce qui le dégoûte au moins pour la journée. Pendant que B.C. dort dans son lit de branches au sommet d'un grand arbre, la scie qui notoirement invoque le sommeil échappe à son ballon, mord dans la branche, et précipite au sol le dormeur ébahi.

Un tel panorama doit surmonter, si faire se peut, le mépris intellectuel qui s'attache généralement à un genre d'expression que l'on considère trop souvent comme vulgaire ou puéril. Les bandes dessinées répondent épisodiquement à des questions fort graves que se posent quelques chercheurs sur les rapports licites, voire les possibilités de synthèse du mot et de l'image. Magritte, par exemple, a toujours été fasciné par la juxtaposition même désordonnée de mots et de figures : “ Quels que soient les traits, les mots et les couleurs dispersées sur une page, la figure que l'on obtient est toujours pleine de sens ”, écrit-il dans La leçon de choses (Rhétorique n° 7, octobre 1962). Certains de ses tableaux comme Le dormeur téméraire (1927) ou Alphabet des Révélations (1935) proposent le classement, la mise en ordre de symboles élémentaires : pipe, clé, feuille, verre, miroir, bougie, pomme, chapeau, destinés à faire phrase. Et le ballon lui a servi plus d'une fois à exprimer des rapports très subtils de non-équivalence : “ Un objet ne fait jamais le même office que son nom ou que son image... Un mot peut prendre la place d'un objet dans la réalité ” (voir Les mots et les images, 1929), qui sont à l'origine des énigmes plastiques La preuve mystérieuse (1928) ou Le sens propre (1928-1929). Comme les mots “ femme triste ”, “ vase de cristal ”, “ montagne ”, ou “ homme à demi tourné vers la droite ”, emprisonnés dans des zones circonscrites, déterminent au niveau de la pensée une action dramatique d'ordre illusoire, certains ballons de bandes dessinée, dotés d'une vie perverse, envahissent et disturbent l'activité toute routinière de personnages condamnés arbitrairement à la séquestration dans des rectangles inégaux d'espace (7).

(7) L'art abstrait, pour surmonter l'impasse où la séquestrent ses grands-prêtres, cherche d'urgence les moyens de redécouper l'espace en zones séparées d'occupation, et invoque volontiers la dimension verbale. A peine cet article était-il écrit que les expositions de rentrée nous révélaient l'emprise soudaine des bandes dessinées sur la peinture. Des artistes aussi divers que Roy Lichtenstein, Achille Perilli, Peter Foldes, ou Pierre Alechinsky renouvellent le comic-strip. Plusieurs d'entre eux font un usage systématique du ballon.

On peut à juste titre considérer le ballon comme une sorte de paraphe schizophrénique dangereusement indépendant de tout contrôle. Steinberg, qui est sans conteste le prince du paraphe, a situé avec génie les degrés divers de cet affranchissement. Il sait réduire à de simples volutes l'entier déroulement d'un long discours, dont la matière baroque ou boursouflée, pointilliste ou protozoaire, labyrintine ou salopée, monumentale ou géométrique, devient un ornement envahissant.

Dans sa maîtrise du raccourci, il interprète en un refus monosyllabique tous les détours d'un emmêlé galimatias. Un ballon solitaire, vestige d'un discours perdu traversant l'horizon, sert de cible à un archer imperturbable. Deux interlocuteurs échangent des propos, dont l'un en forme de crocodile avale l'autre en forme de lapin. Les plus bavards s'installent confortablement à l'intérieur de leur propre ballon et s'y assoient, à moins qu'il n'offre un socle substantiel à leur rêve d'immortalité. L'univers peut d'ailleurs se réduire à un échange babylonien de ballons inextricablement mêlés, qui se perdent dans l'inaudible ou le supersonique, s'accouplent pour enfanter de moindres mots, se heurtent ou vrombissent, poursuivent un fuyard et le plaquent au sol sous l'argument.

Sans doute le ballon traduit-il selon ses moyens d'une part l'irruption constante dans la vie quotidienne des symboles et messages parasitaires livrés par les affiches, enseignes lumineuses, panneaux phosphorescents, sigles et abréviation qui deviennent peu à peu le seul projet de l'homme pressé, réduit à l'onomatopée passe-partout, d'autre part l'investissement de la parole par les locutions toutes faites, les périphrases derrière lesquelles se dissimule une pensée de plus en plus paresseuse. Ainsi peut-on le prendre pour le spectre plus ou moins déchiffrable de l'homme extérieur, social, artificiel, victime du cliché, ou surpris dans son aphasie, fût-ce au milieu de ses pensées les plus secrètes.

Je m'aperçois en relisant cet article que j'ai écrit 33 fois le mot ballon. Pour obtenir le chiffre pair, je prends la liberté de l'écrire une fois encore. Ballon. Robert BENAYOUN.

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LES DOUZE COUPS DE MIDI

Nul n'émigre Un matin a sorti ses couteaux couteau à roche couteau à ciel couteau à vin à huile à poudre et le couvert est mis chez vous chez moi Nul ne sort jamais de cette auberge du sort Nul ne se vante de faire un pas Les debout s'asseoient et toussent dans leur tasse Si la fenêtre s'ouvre elle va tomber et renverser le sel et le sang Si la fenêtre s'ouvre trois doigts seulement pense à ta veuve pense au lit dont les draps sont en flammes Deuil comme un plateau d'or aux anses de charbon Deuil dans les coeurs roides battants mais battus comme à l'étal du tripier Pense à l'illumination défaillante à la vie passée dans sa vaine attente passée comme une couleur si la fenêtre s'ouvre Nul n'est ailleurs Nul ne prend de billet de chemin de fer Il reste toujours le corps accroché au pyjama qu'on a plié pour ranger dans l'armoire Le regard tourné vers l'extérieur comme le regard tourné vers l'intérieur offre au suzerain mental un tribut de famine Tu nourris un aveugle bon à rien parasite impeccable turbine qui vrombit un style d'existence appareilleur qui fiance tant bien que mal le mal et le bien Ceux dont je parle sont revenus de ces fantaisies illusoires Ils sont d'une société dont ce serait trop peu dire qu'elle est secrète la société des debout qui s'asseoient Ils pourraient bien prétendre au destin posthume de fondateurs de race Mais dans l'ère moderne en 1962 par exemple leur bouche se tord se pince ou s'arrondit pour le commentaire perpétuel d'une fête mal située dans le temps

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Ils ont tous tué leur frère trop blanc leur biographie commence à ce crime comme paraît-il la biographie du monde mais n'ont pas fui Ils s'asseoient Ils sont les ex-debout pivots d'aiguilles d'horloges édifiant le désert sur le désert narrateurs du cercle parfait Ils sont debout-jadis une bande de debout-jadis ou de debout-naguères mais pas assis figés pas assez assis pour être assis comme attendant que le dogme soit promulgué et que le coq chante pour s'asseoir vraiment et réduire le debout qui se débat Nul n'ouvre la porte Nul ne se propulse ne se déhanche ne rampe ne s'achemine vers la porte S'ils profèrent s'ils vocifèrent c'est la pensée qui grince et pour les passions fortes un brochet colmate l'abîme au revers de l'extase L'usure a disparu de tous les projets Dialogue toile émeri stérile Troc de visions Échange de rêves Bourse où les fantômes arrivent masqués et le masque levé leur tête est un phare d'auto Le registre consigne que l'un d'eux philosophe de haut voltage creusa pour mourir son trou et le trou achevé les raisons de mourir s'étaient abolies dans les pelletées de terre Nul ne sait s'il choisit alors de vivre ou de mourir Et que tourne et que broie le moulin noir et que la faux siffle sur le troupeau le pain sera rompu deux fois l'horizon est l'âtre Mais toi toi qui vagis qui rumines qui colportes qui restes au seuil lové dans l'oeuf du regard des autres preuve que tu n'as pas tué ton frère trop blanc tu es condamné à dire la blessure de trop tendres aiguilles sous les sarcasmes légitimes (Ils ont trouvé l'immobilité ex-assis ex-debout) Nul n'émigre.

Jean SCHUSTER 18-20 août 1962.

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LA COMMUNION SOLENNELLE

“ un costume en accord avec ses penchants ”

LE NÉCROPHILE

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LA COMMUNION SOLENNELLE Un acte

C'est la nuit.

Sur la scène, à gauche, un cercueil vide, deux candélabres et une croix de fer.

A droite sur un banc, vêtements de communiante préparés pour la fillette. Robe incroyablement baroque.

Entrent en scène les “ deux hommes ”. Ils portent une femme morte et complètement nue. Ils la placent dans le cercueil. Ils s'agenouillent et commencent à prier.

On entend une sorte de chuchotement.

Tout à coup l'un des hommes cesse de prier et regarde à droite, l'autre fait de même. Ils ont l'air horrifié.

Ils ferment précipitamment le cercueil et le portent sur leurs épaules. Ils sortent en hâte, à gauche, emportant le cercueil.

Un temps.

Le nécrophile entre à droite et poursuit les deux hommes. Il porte un costume en accord avec ses penchants.

Il traverse la scène et sort à gauche.

Un temps.

Entrent en scène la fillette (qui ne porte qu'une culotte) et la grand-mère. Elles se dirigent vers le banc.

La vieille habillera la communiante pièce par pièce avec beaucoup de soin tout au long de l'acte.

GRAND-MÈRE. - C'est aujourd'hui, ma fille, le jour le plus important de ta vie. Le Seigneur daignera descendre jusqu'à toi.

LA FILLETTE. - Oui, bonne maman.

GRAND-MÈRE. - Te voilà devenue une petite femme. A partir d'aujourd'hui tu dois donner l'exemple à tout le monde par ta conduite. Je t'ai déjà appris tout ce qu'une femme doit connaître. Un jour tu te marieras...

LA FILLETTE. - Vraiment ?

GRAND-MÈRE. - Oui, mon enfant, un jour tu te marieras et tu feras l'orgueil de ton mari. Il n'y a rien qu'un homme apprécie davantage qu'une bonne ménagère comme toi. Tu seras un vrai bijou pour un homme. Car il faut que tu saches que les hommes lorsqu'ils se lèvent le matin aiment mettre une chemise bien blanche et bien repassée, des chaussettes sans trous et un pantalon au pli impeccable. Tu seras une vraie perle pour ton mari. Toi tu sais déjà repasser, repriser les chaussettes et même faire la cuisine. Maintenant, puisque tu vas recevoir la communion, tu vas devenir une parfaite chrétienne. Moi je sais bien que tu seras une maîtresse de maison modèle, n'est-ce pas, mon enfant ?

LA FILLETTE. - Oui, bonne maman.

LA GRAND-MÈRE. - Le plus important c'est la cuisine. Une cuisine sale transforme la maison la plus propre en une porcherie. Je t'ai déjà appris à tout mettre en ordre : les assiettes toujours dans le buffet, les couverts dans le tiroir du placard, chaque torchon à la place qui lui revient, car le désordre est le commencement de la

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saleté. Et surtout il faut laver la vaisselle aussitôt après les repas. Rien ne peut causer une plus désagréable impression que de pénétrer dans une cuisine où les assiettes sales s'accumulent sur l'évier et sur les tables. Qu'en coûte-t-il de bien laver la vaisselle ? Quelques minutes. Quant au résultat tu vois bien comme ma maison est belle. Et pourtant, hélas, moi je suis déjà vieille et je ne peux pas nettoyer tout comme je le voudrais. Tu me comprends, n'est-ce pas ?

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LA FILLETTE. - Oui, bonne maman.

LA GRAND-MÈRE. - Les hommes sont très exigeants, on dirait que ces choses-là ne les intéressent pas, mais combien de fois la cause des querelles de ménage est le manque de propreté de la femme.

A droite entrent les “ deux hommes ” qui portent le cercueil.

La grand-mère et la fillette se taisent et observent.

Les “ deux hommes ” traversent la scène de droite à gauche. Ils sortent.

Un temps.

Entre à droite le nécrophile qui les poursuit. On distingue nettement une turgescence à l'aine.

Le nécrophile traverse la scène et sort à gauche.

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LA GRAND-MÈRE. - Voilà pourquoi, mon enfant, tu dois toujours être très propre et très ordonnée. Comme je te le dis, la première chose est la cuisine, mais il ne faut pas cependant négliger les autres pièces. Passer l'aspirateur le matin est l'affaire d'un instant. Tu vois bien qu'à mon âge c'est ce que je fais. D'ailleurs, de nos jours, à cause de la crise du logement, les maisons sont si petites qu'il n'est pas difficile de tenir tout bien propre. Entrer dans une maison où la poussière s'accumule sur le placard et où les carreaux sont sales est d'un effet désastreux. Mais je sais que toi tu sauras tenir une maison. N'est-ce pas, mon enfant ?

LA FILLETTE. - Oui, bonne maman. (Pause. Froidement :) Qu'est-ce que c'était ce gonflement dans le bas-ventre de l'homme qui vient de passer ?

LA GRAND-MÈRE. - (Froidement.) C'était son sexe. (Pause.) Les carreaux des fenêtres quand ils sont sales causent une impression déplorable. C'est si facile de les nettoyer ! Tu devras le faire deux ou trois fois au moins par semaine. Cela ne te fera perdre que quelques minutes, et c'est on ne peut meilleur marché. Avec des feuilles de journal imbibées d'eau on frotte les carreaux et tu verras... c'est magique. C'est un plaisir alors que de regarder dans la rue. Un mari n'oublie jamais ça. Moi je te dis que les hommes, malgré les apparences, se passionnent pour ces petits détails. Tu es

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encore une trop petite fille pour pouvoir comprendre de quoi un homme est capable. La plupart du temps si un mari quitte sa femme c'est ni plus ni moins parce qu'il ne trouve pas chez lui le foyer propre et ordonné dont il rêve lorsqu'il revient du travail. Mais moi je sais bien que tu seras comme moi.

LA FILLETTE. - Oui, bonne maman.

LA GRAND-MÈRE. - Tu ne dois pas non plus oublier d'ôter la poussière tous les jours. Cela ne prend pas longtemps. On peut facilement passer tous les jours un chiffon sur les meubles. Seules les femmes souillons et paresseuses ont des meubles couverts de poussière. Je me souviens, alors que j'étais petite, ma mère m'a conduite une fois chez une voisine très sale. Je me suis amusée à dessiner un chat sur le buffet, tant il y avait de poussière dessus. Quelle honte pour cette femme !

La fillette rit.

LA GRAND-MÈRE. - Je sais bien que toi tu ne seras pas comme ça. Chez toi les lits seront toujours faits, les draps propres, les cabinets ne sentiront pas mauvais, le parquet sera brillant, les couverts toujours en ordre, la vaisselle faite, le linge de rechange préparé, les carreaux transparents, les meubles sans un atome de poussière et les ordures dans une boîte. Mais une bonne ménagère comme toi ne doit pas oublier pour cela que pour retenir son mari il faut faire de la bonne cuisine. Un homme qui, en rentrant chez lui, trouve un repas agréable fera tout ce que sa femme voudra. Maintenant la vie est si chère que, bien sûr, on ne peut plus mijoter de bons petits plats comme on en faisait dans le temps, mais une bonne ménagère est capable de faire des miracles quand elle sait cuisiner. Tu es une fillette et déjà tu sais faire la cuisine ; quand tu te marieras tu vaudras ton pesant d'or.

LA FILLETTE. - Oui, bonne maman.

LA GRAND-MÈRE. - Une femme qui sait bien faire la cuisine peut être tranquille, son mari ne l'abandonnera pas. Tu ne dois jamais oublier cela.

Entrent à droite les “ deux hommes ” avec le cercueil.

Ils traversent la scène et sortent à gauche.

Un temps.

Entre à droite le nécrophile. Une sorte de serpent apparaît entre ses jambes. Il traverse la scène de droite à gauche. Il sort à gauche.

LA GRAND-MÈRE. - Tu vois bien, mon enfant, qu'il n'est pas difficile d'être une bonne ménagère. Surtout si tu mets à profit mes conseils. Vois-tu, moi, bien que je sois vieille et que je marche difficilement, je tiens ma maison propre comme un sou neuf. Crois-moi, mon enfant, les femmes souillons n'ont pas d'excuse. J'admets que l'on n'ait pas des meubles luxueux, parce que c'est cher surtout par les temps qui courent, mais je ne peux pas tolérer des meubles sales ou poussiéreux. Il n'en coûte rien d'être propre. Mais il y a des femmes si sales et si fainéantes ! Comment n'en rougissent-elles pas de honte ? A leur place je n'oserais jamais laisser entrer quelqu'un chez moi. Comprends-tu ?

LA FILLETTE. - Très bien, bonne maman. (Une pause, froidement sur un ton à peine curieux.) Pourquoi l'homme a-t-il un sexe si grand maintenant ?

LA GRAND-MÈRE. - (Idem.) Parce qu'il bande. (Une pause.) Mais il y a une chose que tu ne dois absolument pas tolérer : que ton mari fume. Rien n'abîme davantage les rideaux surtout s'ils sont blancs ; ils jaunissent. Enfin les murs et toute la maison finissent par sentir mauvais. D'ailleurs c'est une dépense superflue. Mon mari, ton grand-père, Dieu ait son âme (elle se signe) avait cette manie, mais j'avais réussi à la lui faire passer. Chaque fois que je le surprenais en train de fumer j'ouvrais les fenêtres en grand pour aérer la maison et supprimer toute trace de fumée à

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l'intérieur, qu'il neige ou qu'il vente. Il avait si froid qu'il a préféré abandonner, petit à petit. De temps en temps, au début il descendait fumer une cigarette à la cave mais il dut renoncer aussi à cela. Qu'en dis-tu ?

LA FILLETTE. - Tu as très bien fait, bonne maman.

LA GRAND-MÈRE. - Pour que ton parquet reste brillant tu mettras toujours un certain nombre de patins à la disposition des visiteurs ; tu ne laisseras entrer personne sans patins dans la salle à manger. Il vaut mieux vivre dans la cuisine : tu y mangeras, tu y écouteras la radio en faisant de la couture. La salle à manger doit être impeccable pour y recevoir des visites le dimanche. Tu couvriras les fauteuils avec des housses pendant la semaine. Et tu prendras bien garde au soleil, il ne doit même pas effleurer les meubles. Quand tu recevras des visites tu placeras des fleurs au milieu de la table. Feras-tu tout ce que je te dis ?

LA FILLETTE. - Oui, bonne maman.

LA GRAND-MÈRE. - Si tu n'oublies jamais les pauvres conseils que te donne la vieille femme que je suis tu parviendras à créer un foyer heureux. Toi et ton futur mari vous m'en serez reconnaissants toute votre vie.

Les “ deux hommes ” entrent à droite avec le cercueil.

Aussitôt entre le nécrophile qui les poursuit. Le serpent qui apparaît entre ses jambes est encore plus long.

Les “ deux hommes ” déposent le cercueil à terre et sortent en courant.

Le nécrophile se jette sur le cercueil. Il soulève le couvercle.

Il contemple la morte avec extase.

Il commence à se déshabiller lentement comme s'il s'agissait d'un rite.

Il remet un par un ses vêtements à la grand-mère.

Enfin il pénètre dans le cercueil.

La fillette et la grand-mère regardent avec attention. La fillette est maintenant entièrement habillée en communiante.

Après avoir longuement contemplé ce qui se passe dans le cercueil la grand-mère et la fillette s'en vont lentement et sortent à gauche.

LA FILLETTE. - (Froidement.) Que fait-il avec la morte ?

LA GRAND-MÈRE. - Il couche avec elle.

La fillette et la grand-mère sortent à gauche.

Au loin se perd la voix de la grand-mère.

VOIX DE LA GRAND-MÈRE. - Aujourd'hui, alors que tu vas recevoir la première communion, tu vas devenir une vraie petite femme. Le Seigneur va descendre dans ton coeur et va te purifier de toute faute...

Longue pause.

La lumière baisse.

La fillette habillée en première communiante entre en scène avec un couteau. Elle s'approche du cercueil, contemple longuement ce qui s'y passe. Enfin elle donne des coups à l'intérieur (dans le corps du nécrophile).

Le sang tache sa robe de communiante.

Elle rit.

Des ballons rouges montent du cercueil vers la lune.

RIDEAU. ARRABAL.

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FATRASIE

Madame Orlon sur son divan Tricotait du fromage bleu Son époux accablé dormait Les pieds au mur la tête au large La porte chauve du salon S'ouvrit soudain sans aucun bruit Un héron noir ganté de roux Fit une entrée existentielle Madame Orlon lui présenta Un grand fauteuil beurré de frais Bien assorti à son plumage Lui dit en bref “ soyez béni ” Le mari sourd comme un potage Fut éveillé non par ces mots Mais par un pou qui sur sa bouche Par distraction laissa tomber Un sucrier en bois d'érable Monsieur Orlon tiré d'un songe Où il coupait du buis lunaire Pour abreuver une chamelle Héritée d'un oncle espagnol Poussa un cri de branche sèche En se dressant droit sur la tête Pour retomber sur ses deux pieds La parabole ainsi décrite Dans un espace trop restreint Fit qu'un soulier brisa la patte Du visiteur inoffensif On appela une infirmière Pour réparer le pauvre oiseau Elle accourut dans la lumière De ce beau jour qui finissait

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ENTRE HAUT ET BAS

La nuit les petites pierres font leur travail Véhiculent le sommeil des grands animaux C'est une chasse ou un éventail Le certain est que rien N'est déplié sans froissement Ce petit bruit d'orage à l'oreille du dormeur Comme un enfant au creux d'une haie Un gland au plus profond de sa poche Ou un oiseau à l'aisselle des branches La peur aussi n'est pas bien loin Comme une ritournelle aux confins du village Avec des doigts noués sur une main Toute en douceur de sable de rivière Qui n'oublie point la rigueur de l'été Comme ces machines oubliées sur une route Dont on ne sait jamais si elles ont fait Du vin du charbon ou des gâteaux démesurés Le grand pavois de la rouille Pousse des cris de fête

Jehan MAYOUX.

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INFINIMENT... SUR LE GAZON

Souvent quatre, quelquefois trois, jamais seule : l'heure de la sieste était la meilleure de la journée. Il faisait chaud, je suppose, et ma mère allait et venait sur sa chaise habilement percée ; gênante mais pas gênée, elle ne s'attardait que sur invitation. Arnaud fumait cigarette sur cigarette. Le canapé, piste cendrée de l'amour, croulait sous nos corps. Arnaud ne pouvait supporter l'ennui.

C'était presque toujours l'après-midi.

“ Un de ces jours je casserai sa vieille tête de hibou ”, dit Arnaud parlant de ma mère. Sa bouche pincée l'énervait. “ Tu lui ressembles ”, me disait-il sans se déboutonner, et je devais jouir ainsi, devant elle, sur commande, et sans tendresse ni tambour. Elle s'en allait alors avec dignité vers sa chaise attendre le crépuscule à la fenêtre de la cuisine.

Les amis d'Arnaud fumaient presque autant que lui. Ils étaient sales, beaux joueurs sous leurs cols roulés, et sans respect pour les meubles. “ Pourquoi souffres-tu ? Laisse travailler ta mère, avec la bouche qu'elle a elle doit aimer faire le ménage. ” Arnaud ne pouvait éteindre sa cigarette ailleurs que sur le tapis et ses amis, qui l'imitaient en toute chose, en faisaient autant. Je suppose que ma mère aurait voulu pouvoir ignorer la teneur exacte de mes rapports avec Arnaud ; elle aurait préféré pouvoir se reposer paisiblement sur le canapé vert, les yeux mi-clos devant l'écran de la télévision brouillée par les larmes de la speakerine en deuil, les jambes relevées, l'âme en paix.

“ Tu aurais pu attendre de me mettre en terre avant de me narguer comme ça, tous les jours à l'heure de la sieste. Moi qui n'ai jamais regardé un autre homme que ton père ”, disait-elle quand je me levais précipitamment sans entamer le dessert pour appeler l'ascenseur, répondre au téléphone, fermer la fenêtre, m'habiller, me déshabiller, m'agiter enfin en attendant l'arrivée bruyante de mon amant. La vieille se plaignait mais, le moment venu, c'était toujours elle qui ouvrait la porte à Arnaud. Bégayante, la langue alourdie par une épaisse couche de honte, ma mère aux jambes de crapaud et sexe à grosses mailles ne pouvait s'empêcher de le saluer avec le cérémonial dû à un roi. “ Elle se surpasse, ta vieille ”, dit Arnaud le jour où elle lui offrit spontanément là, dans l'entrée, sous la lampe en fer forgé et le portrait du général, la pipe et les pantoufles de mon père. Geste qui n'empêcha nullement celui-ci de se promener, vêtu seulement des cuisses poilues de sa brune compagne drapées artistiquement autour de son cou et, de son éternelle cigarette, vite allumée, salement éteinte, jamais posée sans intention de faire mal, nu sous les yeux horrifiés de ma mère.

“ Invite-le à déjeuner avec le super-nonce ”, dit la vieille le jour qu'Arnaud

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m'avait forcée devant elle, à genoux sur le tapis. Heureuse mère qui pensait qu'un déjeuner officiel pouvait transformer mon ami.

“ Tu verras, disait-elle les mains fermées sur sa poitrine hagarde, il finira par avoir des manières. ”

La subsistance d'Arnaud était assurée par une de ses vieilles maîtresses qui habitait quai de Béthune. Guidé par l'intérêt, il consentait à lui rendre visite une fois par mois et, malgré mon dégoût pour tout ce qui se rapportait à son existence antérieure, je l'accompagnais régulièrement chez sa bienfaitrice. Mme S... vivait seule, non certes par plaisir ni même par habitude, mais plutôt par la force des choses : aucun homme ne pouvait supporter longtemps la vue de sa peau malade contre la sienne sans penser à la mort. “ Un fossoyeur aveugle, voilà ce qu'il te faut ”, lui disait Arnaud en la laissant, désolée, sur le seuil de son appartement poussiéreux dans son éternelle robe de chambre de velours frappé, comme sa peau, d'une quantité de blessures peu profondes.

“ Revenez ”, suppliait- elle en me regardant... mais Arnaud était déjà ailleurs. Au marché aux oiseaux, par exemple.

“ Je ne suis pas un merle ”, crie de sa cage un merle en frappant le sol de sa patte, et une main de femme semble adoucir l'air autour de tout ce marbre. Arnaud s'humanise parmi les oiseaux. Peut-être serai-je heureuse quelques instants sans explosions de fureur ni travaux d'aiguille. Cela sent les fleurs et l'infernale magie des rêves d'enfant. “ Adieu, femme facile. ” Arnaud est déjà parti.

“ Il n'y a plus rien à faire, me dit ma mère après une de ces randonnées, je n'ose même plus affronter la concierge ”. La guerre. Mère était amoureuse d'Arnaud.

Dès lors, je la savais dangereuse. Telle une impasse odorante et piteuse, elle allait aboutir nécessairement devant une portière, un escalier, la retraite stéarique d'Arnaud. Je n'avais pas peur de perdre mon ami entre ses cuisses, je craignais (j'avais mes raisons) qu'elle ne perdît la face, oui, je redoutais l'humiliation définitive de ma mère devant les dents porcines et l'énorme rire d'Arnaud. Dérision que ce pubis ridé sous sa frisure de ferraille. Ces mamelles bleuies, cette démarche hésitante ne sauraient le satisfaire. Ce n'était pas que je fusse jalouse mais elle m'agaçait les dents.

Le soir je guettais l'ombre furtive aux gestes mesurés. Elle se parait diversement devant le miroir écaillé de son boudoir. Elle oignait son corps de crèmes tumultueuses, se coiffait, se préparant avec imagination pour l'instant où la fumée de la lampe masculine noircirait son beau maquillage. Elle m'ennuyait.

A ma requête, Arnaud ne vint plus faire sa sieste chez nous. “ J'irai ailleurs, grogna-t-il en claquant la porte de l'ascenseur sans me laisser le temps de finir ma phrase. Je me fous de tes raisons ”, hurla-t-il de la cage.

“ Où va Arnaud ? ” Mère, dégouttante de dentelles, parfumée et impure, s'apprêtait à me plaindre. “ Il reviendra ”, ajouta-t-elle, confiante en ma force.

  • Rien n'est moins sûr.

  • Tu m'étonnes.

  • Pardon, mère, je ne suis encore que son amie, une femme parmi tant d'autres.

  • Je ne comprends rien à tes histoires (elle ne souriait plus). Invite-le, insista-t-elle, inquiète, invite-le demain. ”

Suivirent des jours de regrets tendus de soie grise. Je tournais ma bague en tous sens autour de mon doigt. Je buvais trop de café. J'étais nerveuse et Mère, soumise aux illusions les plus folles, rôdait autour de moi ainsi qu'un corbeau dans les festons de la vigne. Elle espérait mon départ. Je n'osais la laisser seule. Ma tête sur ses

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genoux j'écoutais tomber l'heure, goutte à goutte, dans l'évier. Nous n'avions plus grand-chose à nous dire.

Etonné de tant de mystère et d'indifférence supposée, Arnaud finit par prendre l'offensive : “ Me voilà (il semblait avoir maigri).

  • Oui, dit Mère en me repoussant vers le fond de l'entrée.

  • Je suis seul, dit-il, méfiant.

  • Oui, reprit-elle et elle le suivit au salon sans même m'accorder un regard.

Elle ferma la porte à clef.

  • Ah bon ”, fit Arnaud dans un rire. Puis ce fut le silence.

Dire qu'il baise le sein qui m'a donné la vie. Quel héritage !

Une heure passa, puis deux. Mon sang coulait lentement le long des trottoirs. Jusqu'où veut-elle pousser le bonheur ? Je ne pouvais même plus goûter l'amer plaisir de l'attente. Epuisée, au-delà de la douleur, je mangeais nerveusement en compagnie de mon chat.

“ Et voilà, affirma Arnaud en refermant la porte, maintenant elle nous fera grâce de ses impertinences. A demain, lança-t-il en dévalant l'escalier, à demain.

  • A demain. ” Dans ma tête je suivais déjà le corbillard de ma mère.

“ La police ? Tu n'es pas sérieuse, petite fille. ” Mme S.. serra sa robe de chambre autour de ses maigres épaules liées entre elles par une multitude de petits os aux jointures mal ajustées. “ Crois-moi, il faut apprendre à vivre avec son malheur. ” Je voyais les couleurs se décomposer sur les murs. Je savais son frigidaire vide. Avec quel souvenir irréprochable faisait-elle bon ménage ?

“ Sinon fais-en des petits gâteaux, des cancans, des petits paquets, des enveloppes... que sais-je ? Il faut savoir économiser, utiliser les restes.

  • J'y penserai ”, dis-je en partant. Heureusement que j'avais d'autres amis.

Je fis tant de bruit avec ma hache que l'on me mit au cachot.

“ Tu aurais pu faire autrement ”, dit Arnaud avec hostilité. (Il ne me pardonnera jamais mon esprit de famille.) Je tentai de l'embrasser pour lui fermer la bouche. “ Je reviendrai... sois seule. ”

“ A Sainte-Anne ”, fit le cocher, et le vent prit le reste. JOYCE MANSOUR.

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Jindrich STYRSKY : Le petit Jésus, 1941.

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Jindrich STYRSKY : L'annonciation, 1941.

Ci-dessous : Cardinal américain, 1941.

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Un autre genre de fiction

La juste évaluation des hommes, des événements et des oeuvres surréalistes a fait l'objet, dans les deux dernières années, d'un nombre impressionnant d'études et d'articles. Ceux qui connaissaient mal le surréalisme l'ont redécouvert avec une stupéfaction rétroactive, ceux qui faisaient mine de l'avoir oublié se sont attelés à l'exercice de dithyrambe que l'actualité semblait leur imposer. L'Express, qui avait en son temps calomnié Breton par la plume de Jean-François Chabrun, s'est vu plus d'une fois dans la nécessité de “ rattraper l'événement ”, et publia outre plusieurs articles et comptes rendus une longue interview de l'auteur des Manifestes. Et puis le journalisme gras à la Jean Cau a repris ses droits. Une semaine où cet hebdomadaire ne trouvait aucun film, aucune pièce de théâtre qui soit digne de son intérêt, il cède le pas aux ragots, voire à la pure fiction.

M. Michel Cournot, qui accusait il n'y a guère les 121 de vouloir inefficacement “ refaire la conduite d'une gauche bourgeoise déshonorée ” (1), invente de toutes pièces une manifestation surréaliste “ monstre ” sous le titre imaginaire de “ Concile du Blasphème ”, prétend s'y rendre, et trouver Breton seul s'écoutant déclamer sur bande magnétique des textes de lui-même. Suivent quelques propos diffamatoires attribués, pour plus de commodité, au directeur de la galerie Raymond Cordier et présentant l'opération comme un caprice. Ce genre de procédé est à présent typique d'un hebdomadaire dont les pages non-politiques sont en passe de devenir une succursale d'Ici Paris ou de Samedi-Soir. Or, venons-en aux faits, il n'y eut pas de manifestation surréaliste, pas de manif, pour reprendre le langage cher à l'auteur, pas de Concile du Blasphème, mais simple exposition des toiles antireligieuses du jeune peintre cubain Jorge Camacho, en l'honneur duquel M. Cournot n'aborde pas encore la critique d'art, faute sans doute des moyens adéquats. Le vernissage était accompagné d'un enregistrement de quelque seize textes choisis en “ Hommage à Oskar Panizza, auteur du Concile d'Amour ”, ce chef-d'oeuvre absolu de l'imprécation (2). Plusieurs acteurs, dont Roger Blin, lisaient des citations de Sade, William Blake, Nietzsche, Darien ou Picabia. Et Breton, quoi de plus normal, lisait son propre texte (de deux lignes). Le vernissage lui-même, sans précédent, attirait 2.500 personnes dans la rue Guénégaud. (Chez Cournot, chose étrange, Breton, privé de public, se trouve néanmoins “ bousculé par les visiteurs ”.) Bref, ne sachant que faire pour clore le “ compte rendu ” d'un événement qu'il a sans trop de peine aménagé, Cournot en chute attribue à autrui les calomnies qu'il se lasse lui-même d'égrener. Pour faire bonne mesure, il voit son hôte Raymond Cordier en “ costume de trappeur ”. Pourquoi pas en zoulou, en zouave, en zaporogue ? Pourquoi pas, pire encore, en Michel Cournot ?

(1) Cournot, fin politique, pariait sur le triomphe de l'insoumission “ perlée ” dans le contingent, voyait dans la Déclaration “ un malentendu qui compromet gravement l'arrêt de la guerre ”. Ces imprudentes prophéties figurent dans L'Express au 30 novembre 1960.

(2) Jean-Jacques Pauvert, éditeur. M. Cournot n'a évidemment pas lu cet ouvrage, mais il ne tente pas en l'occasion de parfaire ce qui lui tient lieu de culture.

Breton a eu des détracteurs plus courageux, plus acharnés, ou plus perfides, il en eut peu d'aussi inefficaces : M. Cournot, comme l'ivrogne de la légende, suscite des éléphants roses. Il monte des fables puériles, les meuble des personnages de son choix, et s'y installe comme acteur, maître de ballet, chef de régie et “ premier spectateur ”. Chroniqueur de ce qu'il n'a pas vu et de ce qu'il n'entend point, il décrit avec un total défaut de talent les incidents qui lui échappent, fait état des conversations qu'on lui refuse, pour une chronique faite de manques et d'absences. Il a créé somme toute un genre nouveau : le roman à clés sans clé ni roman, qui se lit toutes portes ouvertes, et dans lequel on ne trouve personne que son auteur, parfaitement heureux (paix à son âme) d'une aussi bonne compagnie.

L'Express, dans une correspondance fébrile avec certains lecteurs fort mécontents, s'étonne de voir les surréalistes refuser le traitement qu'ils infligèrent eux-mêmes à nombre de leurs grands contemporains. Il est pourtant facile de comprendre que nos insultes, qui s'adressaient aux plus honorées canailles de l'ordre et du prestige, ne sont pas décollables comme le papier tue-mouches et applicables à quiconque. Elles visent aujourd'hui les héritiers d'Anatole France ou de Barrès, que L'Express adule et sollicite de préférence, et qui laissent traîner dans ses bureaux, où ils se trouvent fort à l'aise, le nuage de confusion mentale qui leur est propre. Robert Benayoun.

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UNE LETTRE DE ROBERT TATIN

En “ Frênouse ” à Cossé-le-Vivien (Mayenne) 19 novembre 1962

Cher André Breton,

Grands Abraços à ta DAME et à Toi-même.

Grands Abraços à ta Transparence - ta Transparence qui me fait voir davantage de Lumière Vraie - ta Transparence qui m'oblige à conjuguer en gants plus blancs le verbe AIMER.

Je t'écris à cause de “ ce théâtre ” où je t'ai entendu “ jouer ” l’âme de Nadja - hier soir Samedi (1).

(1) Il s'agit de Nadja étoilée, émission radiophonique d'André Almuro (N.D.L.R.).

Et moi, je m'achemine difficilement dans les Sentiers de la Forêt de l'Homme - et je “ trouve ” selon la longueur de mes bras “ quelques jalons ” que plantèrent d'autres André Breton - et je “ trouve ” selon la hauteur de ma bouche quelques petits cailloux blancs du Petit Poucet...

J'apprends ainsi à mieux parler la langue de l'herbe des champs...

Et je vais peinturant... ce que je perçois de mon autre oeil, d'en bas de mes chutes, ou du haut de quelque cube taillé de main d'homme...

Je marche en boitant, tantôt sur le pied droit, tantôt sur le pied gauche - je tente de m'équilibrer dans l'immobile-mobile, en pleine ligne du MILIEU - dans ce “ SEL ” de l'Homme - où la Voie n'est plus la Voie - en plein ligne du MILIEU, derrière la face du Cercle où le Zéro ferme sa “ boucle ” ...

Et je vais peinturant... de la peinture-peinturante - et, hier soir samedi, tu m'as tendu la main, afin que je traverse quelque autre Gué... et je vois bien qu'“ avec cette Main tienne ” je traverserai encore, dans peu de temps, quelque autre gué - en ce pays des Celtes Aulerques - dans cette Sacrée-Noire-Rivière-dite MEN-DU - ou Mayenne.

(Je symbolise ici cette Noirceur de la dite Rivière, et la boue des couleurs - boue des couleurs où je m'ébats et je combats, afin d'atteindre le Noir le plus Noir)

En vue... du Soleil couchant - au bord du grand Vagin où s'enfonce le Soleil en gouffre d'Avaloir (Source “ géographique ” de la Mayenne)

En vue... du Mont Gargan (dit Mont Saint-Michel, dressé auprès de Tombe-Belen) - Mont Gargan, où les Sacrées Filles rabelaisiennes et mangées de Lumière ressuscitent l'Homme Rouge “ Adam, qui contient EVE ”

En vue... d'Avalon, à la table du Roi Arthur - partageur de cette Galette d’Épiphanie - “ je me partage ” - ou “ je me morcelle ” - ou “ je me sacrifie ” - ou bien “ il faut savoir mourir pour renaître immortel ”

En vue... d'Isis-Land, gardée par les trois-fois-trois-Sacrés-Nombrils...

En vue... de la Noire Déesse, couchée dans la Noire-Nuit, couchée sur la Noire MER...

O ! MERE...

Et quand, avec l'Albatros blanc - avec l'aide de vous tous par qui “ je suis peintre-peinturant ” j'ose planer dans les plus grandes tempêtes - et que je force le NOIR le plus NOIR à vomir le BLANC le plus BLANC...

Et je vais peinturant... ici-même sur la frontière d'AR-MOR - cette frontière sise entre le DORIQUE et le IONIQUE - ici-même “ en Frênouse ” au pays de mes Pères et de mes Mères - ici-même au gué de Pritz (lieudit N.-D.-des-Périls près Laval) - où existe encore en novembre 1962 un BEAU phallus de pierre (c'est dans quelques broussailles, assez bien caché) - ici-même sur cette “ frontière des périls ” plantée de Phallus, que d'autres en d'autres lieux nomment BELEN-MELAINE - la Belle-Hélène - cet obélisque d'Art Brut - cette Verge debout - ce Rayon de la LUMIERE du Soleil LEVANT, dans la plus Noire Nuit...

O ! NOEL...

Et, ce matin - en ce jour de Dimanche - en saison de pommes tombantes. Quand éclatent les châtaignes, et que la couleur Brune, brûle et noircit les dernières robes d'Automne, ces robes gammées de “ jaunes ” et d'un peu de cet OR de la saint Jean de l'Eté - Quand la “ chair quitte les os ” - en Toussaint et que le Noir de l'Hiver emprisonne le Rouge dans la Putréfaction... O ! M. Baudelaire...

P.67

... Et je vais peinturant cette toile au son de “ Ta Musique ” Tré-Profonde - “ Ta Musique ” où s'écorcent devant nous toutes les vestures de l'Ame-Nadja - jusqu'à l'AM - ici je prononce AM - comme aux temps Archaïque-Egyptien - (où s'exprime l'indicible verbe AIMER).

Je te dis tout cela, afin que tu saches que j'ai fait sur cette toile (N° 291) format 60 F. le portrait ressemblant d'André Breton - “ vu ” par Robert Tatin en Frênouse ” 1962 mois de Novembre.

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Je t'ai promis aussi le portrait de Ta personne apparente - je te “ la ” ferai envoyer par la Galerie de l'Université - je mettrai une petite croix sur l'image de Ta personne Terrienne - afin que tu “ voies ” comment je te “ vois ” dans la Ronde des Hommes de bonne volonté - autour du Sol-itaire - autour du SANG-lié - en Brocéliande vivante - (toile N° 226 - toute petite - et une autre toile assez grande où on peut te “ voir ” mieux - toile N° 213) cette dernière toile a été vendue en Angleterre sous le nom de “ la Saint Hubert ” - la petite toile étant dans la collection Lucien Guénot sous le nom de “ Sanglier Bleu ”.

Un autre jour c'était quelque matin d'Eté - sur le Sol - en Sol-eillé - de Soleil - c'était quelque aube blanche née de la Nuit d'orage et de la Foudre

... et les fleurs éclatées de la Terre - buvaient de la Lumière... et les corolles s'exaspéraient de Volupté...

Dans ce temps-là (sans âge j'étais) je percevais enfin la couleur Bleue-Bleuissante quand Rougit le Rouge-Rougissant...

Et se créait la Divine Rosée...

Et s'ouvrait la Brèche dans l'Autre Mur....

En ce temps-ci - Novembre 1962 - je vais peinturant... à cause de vous tous - vous qui AIMEZ... avec Nous-même...

Et je marche en boitant... dans le “ Jardin ” où le Soleil ne fait point d'ombre...

Je travaille avec ma Femme “ Liseron ” qui-porte-tel-un-enfant-quelque-blanche-corolle ” éblouissante à mes yeux... Et je vais peinturant...

Bien affectueusement tien. ROBERT TATIN.

P.68

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P.69

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Et maintenant, réfléchissez les miroirs ! (Jacques Rigaut)

P.70

Le Surréalisme "ad usum Delphini"

Christiane Tan, dans un excellent article sur les manuels de littérature (France-Observateur, 27 septembre 1962) hésitait, pour décerner la palme du ridicule entre Chevailler et Audiat, XIXe siècle, et le volume consacré au XX dans la collection Lagarde et Michard (Bordas, éditeur).

Elle notait que “ la disproportion entre l'importance accordée à Péguy d'une part, et, de l'autre à Apollinaire ou aux surréalistes, constitue non seulement une erreur de goût, mais encore une grossière erreur d'histoire littéraire ”.

La lecture des vingt pages consacrées au surréalisme est édifiante à plus d'un titre.

Le choix des textes d'abord. Quatre auteurs seulement. De Breton (trois textes) pas un seul poème. Pour Desnos, deux des trois textes sont empruntés à la période surréaliste, mais du recueil “ C'est les bottes de sept lieues, cette phrase : je me vois ”, on est allé prendre le seul poème en vers réguliers.

D'Eluard deux poèmes (sur quatre) sont pris en dehors du surréalisme, un troisième à la période où il s'en éloignait. Aragon, même jeu : deux longs poèmes sans rapports avec le surréalisme, deux autres (choisis parmi les moins représentatifs), nettement plus brefs, sont surréalistes.

Rien de Péret, que le commentaire exclut allègrement :

“ Le grand théoricien du mouvement est André Breton, soutenu principalement par Benjamin Péret et Philippe Soupault (...). Le groupe attira dans son sein nombre d'artistes et de poètes dont les oeuvres sont fort inégales, son activité créatrice étant surtout caractérisée par celle d'André Breton, Robert Desnos, Louis Aragon et Paul Eluard. ”

Ces messieurs sont libres de juger comme ils l'entendent l'oeuvre de Péret, mais, payés pour instruire la jeunesse, ont-ils le droit de lui présenter un surréalisme émondé de l'une de ses branches les plus vigoureuses ? Question oiseuse. L'objet du chapitre est très manifestement d'empêcher les adolescents de savoir ce qu'est le surréalisme : ils risqueraient de s'emballer.

“ Au coeur même de sa période surréaliste, il (Eluard) n'a cessé d'être fidèle à la tradition qui fait de l'amour un thème poétique par excellente. ” De combien d'élèves peut-on espérer qu'ils déduiront de cette perfide petite note que, pour le surréalisme, l'amour est bien autre chose qu'un “ thème ” littéraire, alors qu'ailleurs on leur parle à son sujet d'exercice et de préciosité ?

La liberté ? Aragon et Eluard la découvriront à l'occasion de leur “ engagement politique ” (le lecteur devra apprendre ailleurs les liens de cet engagement avec le “ culte de la personnalité ” comme dit un fameux euphémisme) ; c'est le propre des “ poètes authentiques ”. Nos Escobars ne se contentent pas de célébrer cette “ conversion ” ; par une audacieuse falsification, ils lui accordent effet rétroactif, ce qui donne (p. 351) :

“ Aussi Eluard peut-il s'écrier dans La Rose Publique (1934) : “ Tout est nouveau, tout est futur ”.

Ce nouveau, ce futur, ce sont les thèmes éternels du lyrisme : “ l'amour et la mort, la patrie et la liberté ”.

Un peu partout, pour mieux brouiller les cartes, les noms propres sont utilisés sans aucun souci du moment où leurs porteurs participent à l'activité surréaliste ou la côtoient.

C'est au chapitre “ En marge du surréalisme ” que sont renvoyées les menues insinuations qui conduiront l'élève attentif et intelligent à penser que le surréalisme débouche naturellement sur la religion puisque “ il y a de la mysticité chez la plupart de ces poètes, et elle pourra aller chez Max Jacob, jusqu'à la conversion au catholicisme et à la pratique d'une vie quasi monastique. ”

La sottise pure et simple n'est pas absente de ces pages :

“ Car le rêve et son compte rendu se doivent d'être authentiques, comme une oeuvre d'art. ” (p. 348, à propos de Desnos).

P.71

Ailleurs, par deux fois, pour “ expliquer ” une image poétique on renvoie “ aux images des films surréalistes ”, dont on peut se demander ce que sait un élève de première qui n'a jamais vu ces films (il est vrai qu'on lui a enseigné au passage que : “ Cette liaison organique (sic) entre poésie et cinéma trouvera son achèvement dans l'oeuvre de Jean Cocteau ”).

Cet incroyable chapitre n'est cependant pas sans mérite : l'illustration, techniquement excellente (pour des raisons commerciales) offre la reproduction en couleurs de deux toiles : un Miro et un Tanguy. Jehan Mayoux.

Georges Hugnet dans ses meubles : au commissariat de police Georges Hugnet, insulteur de Benjamin Péret (“ saleté ”, “ pousse-au-crime ”, “ tire-au-flanc ”, “ embusqué ”), a été corrigé à son domicile, le 28 novembre dernier, par Bounoure, que Mayoux et moi accompagnions. Pour les justifications relevant de la morale en usage, nous nous expliquerons devant le tribunal, puisque Hugnet a porté plainte, souhaitant, comme il l'a déclaré au cours d'une confrontation au commissariat de police, que nous soyons “ salés au maximum ”.

Il nous importe, cependant, que quelques malentendus soient dissipés, ici, dans La Brèche, vis-à-vis d'une audience à laquelle nous tenons d'autant plus qu'elle est relativement restreinte.

  1. La presse, dite “ grande ”, qu'elle soit politique ou littéraire, quotidienne ou hebdomadaire, prête complaisamment ses colonnes, et ce n'est pas nouveau, à tous les adversaires du surréalisme, à la condition que ce mouvement soit moqué, défiguré ou injurié dans sa cause ou dans la personne de ses éléments authentiquement représentatifs. Il est exceptionnel que nous obtenions le droit de répondre à des propos diffamatoires qui sont monnaie courante.

  2. Hormis le “ surréalisme-pas-mort ”, cliché-tremplin de deux générations de chroniqueurs depuis 1925, c'est le “ pape du surréalisme ” qui sert d'axe polémique à quelques centaines d'articulets rédigés au gré de l'événement par une cohorte de va-de-la-plume, renouvelable à l'envi. Cette fois encore, le stéréotype a fonctionné, ces messieurs de la presse faisant semblant de croire que, dans le surréalisme, pas un mot ne se dit, pas une ligne ne s'imprime, pas un geste ne s'accomplit sans l'acquiescement de Breton. Or, dans le cas qui nous occupe, c'est à dix heures du soir que Bounoure, Mayoux et moi décidions de nous rendre au domicile de Hugnet. Nous y étions à dix heures trente. Ce n'est que le lendemain que Breton et les autres surréalistes furent informés.

  3. En ce qui concerne le moyen employé, est-il besoin ici de faire justice d'une aussi fallacieuse qu'immonde “ analogie ” ? Pour certains, paraît-il, gifler un écrivain, à son domicile, en présence de deux amis, c'est une méthode nazie.

Rappelons simplement que lorsque des nazis de tous pays opèrent, ils ont l'appui extérieur d'une police parallèle armée et terrorisante, comme les S.A. de l'Allemagne de 33, comme la Phalange espagnole de 36, sinon d'une police régulière partiellement complice, comme en France récemment. C'est à cela, c'est à cet état de faits historique et objectif que l'on compare, sans préjudice du contenu idéologique, une réaction affective de trois des vingt “ militants ” surréalistes !

  1. Le tribunal appréciera. L'opinion intellectuelle aussi. Ce qui fait deux. La suite au prochain numéro. Jean Schuster.

P.72

VESPER de Jean Malrieu

A haute voix, ici comme en quelques autres lieux privilégiés, l'amour incante. La voix humaine annonce le beau temps sur la terre qui est un astre, où les couteaux croisés ne peuvent empêcher la lumière d'accomplir sa randonnée et de percuter les ténèbres prises de panique. La beauté des gestes attentifs à ne pas blesser, la présence illuminante des insectes, des plantes, des nuées, tendent le chant comme le vent salé la voile du navire Argo. Près du poète, dressée comme une lampe, la femme de chair et de sang qui a - voilà la merveille - les traits de la femme rêvée. Jean Malrieu reçoit, il nous invite à prendre place à sa table d'abondance, table plantée au milieu de la route, sous les étoiles de midi. Entre ciel et terre. les papillons agitent leurs ailes et entretiennent la fraîcheur. Les bourgeois endimanchés qui passent demandent le pourquoi de tous ces éclats de voix, de toutes ces couleurs réunies. Réponse leur est donnée : le monde vient de changer de base. Il n'y a plus de jour et de nuit, d'animaux qui volent et d'animaux qui rampent. L'ordre règne à nouveau. Au loin, pourrissent les cadavres des flics, des fabricants de canons, des thésauriseurs, des grands prêtres de l'or et de l'obscurantisme. Les dernières ruines disparaissent sous le feuillage, la dernière larme sèche sur la joue. La fête commence. André Laude.

Le grand Dimanche de la peinture (Réponse non expédiée à une enquête du journal Arts : que sera la peinture dans vingt ans ?)

En 1982, il n'y aura plus que des peintres du dimanche. Mais, en raison de l'accroissement prodigieux des heures de loisir, ils peindront aussi pendant les autres jours de la semaine. La commercialisation de l'art n'existera plus, ni la spécialisation : sera artiste qui voudra. Et la peinture sera devenue un langage immédiatement compréhensible pour tous.

Quelle peinture ? Des moyens nouveaux permettront une peinture d'effusion directe, dont la spontanéité ne sera plus en retard sur la pensée et que sa fluidité n'empêchera pas d'être exacte. Non pas d'une exactitude calquée sur les apparences extérieures, mais d'une exactitude dans l'expression de la vie intérieure. Si, à cette date, l'univers aura avoué quelques-uns de ses secrets capitaux, l'être humain conservera encore sa frange de brume. Personne ne se souciera plus d'un réalisme superficiel : on recherchera la vérité profonde...

Des moyens nouveaux ? Certes, et qui permettront - en plus de leur subtilité et de leur précision - d'établir le climat magique de la peinture, en quelques instants, quels que soient le lieu et la circonstance. Ainsi verra-t-on, par exemple, dans le métro - oui, il y aura encore un métro, mais aérien, très aérien... - une jeune fille qui songe à son amant sortir de sa poche comme un bâton de rouge à lèvres et dessiner dans l'espace, parmi la foule, non pas le portrait de l'aimé, mais le désir qu'elle a de lui. Et les gens la regarderont avec respect. D'ailleurs, une seule feuille de tremble - les arbres seront devenus très rares - prisonnière d'une sorte de boîte d'air solidifié, suffira à les émouvoir, en 1982.

Et les critiques d'art ? Les derniers auront été passés par les armes après un simulacre de jugement, lors des troubles sociaux de 1975 : coupables d'avoir voulu maintenir les conceptions rétrogrades et petites-bourgeoises de l'artisanat esthète contre l'émancipation générale de la création artistique. Plus personne désormais pour rappeler que X avait déjà fait cela en 1927, et Y en 1969... Ah oui, comme la peinture sera jeune, en 1982 !

José Pierre.

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En haut, Micheline BOUNOURE : Chambre noire (objet), 1962.

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Ci-contre et ci-dessous, Roland GIGUERE : Objet, 1962.

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Jorge CAMACHO : L'immaculée conception des papes, 1962. (Hommage à Panizza.)

P.73

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J.-J. Grandville

ÉCR... L'INF... La plupart des citations qui suivent ont fait l'objet d'un montage sonore, dû à Radovan Ivsic, présenté le 18 octobre 1962 à l'occasion du vernissage de l'exposition de Jorge Camacho intitulée : Hommage à Oscar Panizza, Galerie Raymond Cordier. Ces textes étaient lus notamment par Robert Benayoun, Roger Blin, André Breton et Jean Schuster.

Ce monde, uniformément constitué, n'a été créé par aucun dieu, ni par aucun homme. Mais il a toujours existé, il existe et existera toujours, feu éternellement vivant, s'allumant avec mesure et s'éteignant avec mesure.

HÉRACLITE

comme la fleur de lis des poubelles que les vaches refusent de brouter parce qu'elle répand une odeur de dieu dieu le père des boues qui a donné à Louis XVI le droit divin de crever comme un chien dans une lessiveuse

PÉRET.

Tout ce qu'il y a de chancelant, de louche, d'infâme, de souillant et de grotesque, passe pour moi dans ce mot : Dieu.

BRETON

Un jour, donc, fatigué de talonner du pied le sentier abrupt du voyage terrestre, et de m'en aller, en chancelant comme un homme ivre, à travers les catacombes obscures de la vie, je soulevai avec lenteur mes yeux spleenétiques, cernés d'un grand cercle bleuâtre, vers la concavité du firmament, et j'osai pénétrer, moi, si jeune, les mystères du ciel ! Ne trouvant pas ce que je cherchais, je soulevai la paupière effarée plus haut, plus haut encore, jusqu'à ce que j'aperçusse un trône formé d'excréments humains et d'or, sur lequel trônait, avec un orgueil idiot, le corps recouvert d'un linceul fait avec des draps non lavés d'hôpital, celui qui s'intitule lui-même le Créateur ! Il tenait à la main le tronc pourri d'un homme mort, et le portait, alternativement, des yeux au nez et du nez à la bouche ; une fois à la bouche, on devine ce qu'il en faisait.

LAUTRÉAMONT.

Ce qui excuse Dieu, c'est qu'il n'existe pas.

STENDHAL

L'homme a dit : Faisons Dieu, qu'il soit à notre image.

Il fut, et l'ouvrier adora son ouvrage.

Sylvain MARÉCHAL.

Dieu n'a jamais guéri que les malades.

PICABIA.

Notre révolution ne réussira jamais tant que nous n'aurons pas extirpé le mythe de Dieu de l'esprit de l'homme.

LÉNINE

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Goya : Devota profesion

J'aimerais beaucoup avoir un portrait du Christ. Si seulement on avait des pièces de monnaie lui ayant appartenu.

LICHTENBERG.

Dieu est-il un être ? S'il en est un, c'est de la merde. S'il n'en est pas un, il n'est pas. Or il n'est pas, mais comme le vide qui avance avec toutes ses formes dont la représentation la plus parfaite est la marche d'un groupe incalculable de morpions. “ Vous êtes fou, Monsieur Artaud, et la messe ? ” Je renie le baptême et la messe. Il n'y a pas d'acte humain qui, sur le plan érotique interne, soit plus pernicieux que la descente du soi-disant Jésus-Christ sur les autels.

ARTAUD.

Christ ! ô Christ, éternel voleur des énergies, Dieu qui pour deux mille ans vouas à ta pâleur, Cloués au sol, de honte et de céphalalgies, Ou renversés, les fronts des femmes de douleur.

RIMBAUD

... Et cette figure du Christ, si veule, si cauteleuse, si balbutiante et si féroce ! Ce thaumaturge ridicule : Je dis ridicule, remarquez-le, parce que je crois à ses miracles ! Ils sont si puérils à côté de ceux qu'on a fait depuis en son nom ! Nourrir quatre mille personnes avec sept pains, quelle plaisanterie ! Le capitalisme chrétien n'en est plus là.

DARIEN.

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Georg Grosz : Ferme-la et continue à servir

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Tu n'auras droit à la république qu'à la condition de supprimer la religion chrétienne : dans la religion chrétienne, tu as ta république dans le ciel, c'est pourquoi tu n'en as nul besoin sur terre. Bien au contraire : il faut que tu sois esclave sur terre, pour que le ciel ne soit pas vain.

FEUERBACH

Vous dites que vous croyez à la nécessité de la religion. Soyez sincère ! Vous croyez à la nécessité de la police.

NIETZSCHE

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Des pierres de la loi, on a construit les prisons ; des briques de la religion, on a construit les bordels.

BLAKE.

Toutes les religions prêtent la main au despotisme : je n'en connais aucune toutefois qui la favorise autant que la chrétienne.

MARAT.

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Pierre Bonnard

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L’Église, qui ne voit dans la vie qu'une épreuve, se garde de la prolonger. Sa médecine est la résignation, l'attente et l'espoir de la mort.

MICHELET.

Il faut qu'un homme soit bien pauvre en morale, quand il a besoin de la religion pour être honnête homme.

Ninon DE LENCLOS.

Le christianisme est la religion par excellence, parce qu'il expose et manifeste, dans sa plénitude, la nature, la propre essence de tout système religieux, qui est l'appauvrissement, l'asservissement et l'anéantissement de l'humanité au profit de la divinité.

BAKOUNINE.

Il est évident qu'une nation entièrement chrétienne (si une pareille anomalie pouvait durer un seul jour) deviendrait, comme du bétail, la propriété du premier occupant.

Il est évident que dix brigands suffiraient pour subjuguer le monde, s'il n'était peuplé que de ces esclaves, qui n'oseraient pas résister à l'oppression.

SHELLEY.

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HOGARTH : Crédulité, superstition et fanatisme.

Tout est bien, excepté l'église... Là tout vous attriste, car l'on n'y fait rien autre que vous ruiner, vous épouvanter et vous ensevelir.

BAFFO.

PRÊTRE : (n.). - Celui qui assume la direction de nos affaires spirituelles comme moyen d'améliorer ses affaires temporelles.

(Ambrose Bierce.)

Dieu : Grandpapapersonne, collecteur de prépuces.

L'Eglise : Une Italienne, mâcheuse de cadavres.

James Joyce.

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Le Prêtre et le Tyran ont la même politique et les mêmes intérêts ; il ne faut à l'un et à l'autre que des sujets imbéciles et soumis... Tous deux sont corrompus par le pouvoir absolu, la licence et l'impunité ; tous deux corrompent, l'un pour régner et l'autre pour expier ; tous deux se réunissent pour étouffer les lumières, pour écraser la raison et pour éteindre jusqu'au désir de la liberté dans le coeur des hommes.

D'HOLBACH.

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QUELS SONT LES SEULS ET LES VRAIS PERTURBATEURS DE LA SOCIÉTÉ ? - LES PRÊTRES. QUI SONT CEUX QUI DÉBAUCHENT JOURNELLEMENT NOS FEMMES ET NOS ENFANTS ? - LES PRÊTRES. QUELS SONT LES PLUS DANGEREUX ENNEMIS D'UN GOUVERNEMENT QUELCONQUE ? - LES PRÊTRES. QUELS SONT LES FAUTEURS ET INSTIGATEURS DES GUERRES CIVILES ? - LES PRÊTRES. QUI NOUS EMPOISONNE PERPÉTUELLEMENT DE MENSONGES ET D'IMPOSTURE ? - LES PRÊTRES. QUI NOUS VOLE JUSQU’À NOTRE DERNIER SOUPIR ? - LES PRÊTRES. QUI ABUSE DE NOTRE BONNE FOI ET DE NOTRE CRÉDULITÉ DANS LE MONDE ? - LES PRÊTRES. QUI TRAVAILLE LE PLUS CONSTAMMENT A L'EXTINCTION TOTALE DU GENRE HUMAIN ? - LES PRÊTRES. QUI SE SOUILLE LE PLUS DE CRIMES ET D'INFAMIES ? - LES PRÊTRES. QUELS SONT LES HOMMES DE LA TERRE LES PLUS DANGEREUX, LES PLUS VINDICATIFS ET LES PLUS CRUELS ? - LES PRÊTRES. ET NOUS BALANÇONS A EXTIRPER TOTALEMENT CETTE VERMINE PESTILENTIELLE DE DESSUS LA SURFACE DU GLOBE !... NOUS MÉRITONS DONC TOUS NOS MAUX.

SADE.

LES Conciles sont de plusieurs espèces. Les Généraux, ou Oecuméniques, sont ceux dans lesquels on rassemble des députés de toute la Chrétienté. Les Chrétiens ne sont nullement d'accord sur le nombre de ces Conciles ; quelques partis rejettent ceux qui sont admis par d'autres. D'ailleurs il n'y a pas un seul Concile qui ait pu vraiment passer pour représenter toute la Chrétienté. Ainsi les Oecuméniques ou Généraux sont ceux qui passent pour tels dans l'esprit de leurs partisans. Les Conciles Nationaux sont ceux qui sont composés des Évêques d'une nation particulier. Les Conciles Provinciaux sont ceux que le Métropolitain forme en assemblant les Évêques de sa Province. Les premiers de ces Conciles sont regardés comme infaillibles, & leurs décisions en matière de foi sont reçues avec la même soumission que des oracles du Saint-Esprit. Malgré cette vénération singulière que les Théologiens orthodoxes montrent pour les Conciles Oecuméniques, des Conciles postérieurs ont souvent altéré les décisions formelles des Conciles généraux qui les avoient précédés. Il faut du moins s'en rapporter là-dessus au grand Saint Augustin qui dit très-positivement que même les Conciles généraux antérieurs sont corrigés par des Conciles postérieurs.

Tableau des Saints, ou examen de l'esprit de la conduite et du mérite des personnages que le Christiannisme revère et propose pour modèles.

s.ni d'a.

Paul-Henri, baron d'Holbach

A Londres, MDCCLXX

AINSI, nonobstant un si grand nombre de Conciles dont nous avons des Collections immenses, la foi doit toujours demeurer incertaine & chancelante, & nous ne sçavons pas si par la suite des tems des Conciles généraux ne rectifieront point tout ce qui a été jusqu'ici décidé dans des Conciles antérieurs. La Religion Chrétienne paroît être vraiment le travail de Pénélope. Ses ministres furent continuellement occupés à fixer sa croyance sans pouvoir jamais en venir à bout. Ni Dieu, ni son Saint Esprit, ni ses Apôtres inspirés n'ont pu s'expliquer d'une façon assez claire pour prévenir les disputes & les interprétations auxquelles leur doctrine révélée pouvoit un jour donner lieu. Ces querelles avoient pourtant été prévues par le grand S. Paul qui dit qu'il est nécessaire qu'il y ait des hérésies dans l'Eglise. Au moins ne peut-on pas nier que ces querelles n'ayent presque toujours tourné au profit du Clergé, le seul but visible que la Providence se soit proposé en faisant prêcher l'Evangile au genre humain. Les hérésies ou les disputes ont donné lieu à des Ecrits & à des Conciles qui sont toujours parvenus à enrichir ou glorifier les Prêtres, à tourmenter leurs ennemis, à faire respecter l'Eglise, à rendre les peuples ignorans, à les tenir dans l'esclavage, enfin à faire couler leur sang pour obtenir pour un tems une foi bien pure mais sujette à changer.

POUR se tirer de l'embarras que doivent nécessairement causer les décisions souvent discordantes de l'Eglise, les bons Chrétiens doivent s'en tenir à la réponse que fit le Cardinal de Cusa aux hérétiques nommés Hussites qui lui ci-toient les Ecritures en faveur de leurs opinions. Il faut, dit-il, entendre les Ecritures suivant l'intention de l'Eglise, qui en changeant de sentiment, nous oblige de croire que Dieu en change aussi.

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Le Pape dont la malice contre l'Agneau et le mépris pour les Clefs suscite un anti-pape. (LE LIVRE DES PROPHÉTIES de l'abbé Joachim de Flore, moine cistercien et de l'évêque Anselme de Marsico), d'après la réimpression ed Padone, 1625, in-4°.

LA CHASSE D’ÂMES EST OUVERTE En décembre 1944, les redoutables portes de l'ambassade russe, rue de Grenelle, s'ouvrirent devant un homme en jupe rouge : le nommé Roncalli, alors patriarche de Venise, et depuis peu nonce apostolique à Paris, allait réclamer à l'ambassadeur Bogomoletz, un privilège qui lui paraissait dû à l'Eglise : réciter à sa place, - ès qualités de “ doyen du corps diplomatique ” - le petit compliment d'usage à Charles de Gaulle, pour lui souhaiter une bonne année. L'affaire était urgente, il n'était pas question de récrire un discours. Le monsignore débita le texte préparé pour le stalinien. Il y ajouta seulement une allusion à la “ divine Providence ” qui, en effet, de Pétain à de Gaulle, ne laisse jamais longtemps la France aux mains des civils - j'allais dire des laïcs.

Depuis, Roncalli est devenu pape. Mais il n'a pas oublié le vieux conseil, retranscrit par Hugo, des “ hommes de paix aux hommes de guerre ” :

Vous que l'homme, par vous dévoré, trouve beaux, Nous qu'il trouve hideux, et qui sommes vos frères, Nous qui sommes les noirs bénisseurs funéraires (...) Vous grondez plus que nous, nous rampons mieux que vous.

....

Vous tyrans, étant chefs, nous bourreaux, étant prêtres, Nous aurons de nouveau le monde sous nos pieds (1).

(1) La Légende des Siècles.

L'ouverture du Concile prend ainsi un tour inattendu : Khrouchtchev, qui avait déjà remercié le pape de ses prières pour la paix lors de la dernière “ crise ” de Berlin, lui décerne un nihil obstat par la voix de l'Agence Tass :

“ Il est de notoriété publique que le pape actuel, Jean XXIII, a pris position en maintes occasions en faveur de la paix, contre la course aux armements atomiques et pour la solution pacifique des questions internationales en litige. ” (2).

(2) Le Monde, 12 octobre 1962.

La veille, France-Soir n'allait-il pas jusqu'à titrer sur “ l'envoi à Rome de deux émissaires de l'église orthodoxe soviétique ” ? Ce monstrueux accouplement verbal n'a pas fait tressaillir le mausolée de Lénine. Il y a longtemps que l'Eglise “ autocéphale ” russe a donné des gages de sa soumission à l'ordre établi : en 1942, il existait un régiment de tanks à l'étoile rouge, baptisé “ Régiment saint Vladimir ”, qui avait été entièrement équipé aux frais du clergé soi-disant “ persécuté ”. Depuis, il y a eu le baiser de l'archimandrite de Moscou au “ sans-Dieu ” Gagarine, sous l'oeil concupiscent du maréchal Malinowski. Gott mit us ! La devise des ceinturons nazis n'a pas fini de siffler sur le monde : on ne sait jamais.

Les popes russes étant arrivés en observateurs à Rome, se sont bien gardés de se répandre en conférences de presse anti-khroutchtcheviennes : il se sont précipités au tombeau de Pierre et autres lieux de pèlerinage. De toute manière, la jonction était faite. Le mot de Staline à Laval : “ Le pape ? combien a-t-il de divisions ? ” doit passer aujourd'hui, sous les lustres du Kremlin, pour un indice de la goujaterie du dieu déchu.

Seuls des naïfs peuvent penser que “ chat échaudé craint l'eau froide ”, et que le désir partiellement sincère des Russes d'éviter la catastrophe thermonucléaire les pousse à rendre quelque prestige à la “ vieille idole qu'on encense par habitude ”, selon l'excellente formule d'un Montesquieu qu'on ne lit plus guère, j'en ai peur, à L'Express ou à France-Observateur. Ces deux hebdomadaires se sont répandus en propos fl.atteurs envers la “ bonhomie ” et le “ libéralisme ” de Jean XXIII, qui, s'il n'a pas la raideur de l'aristocrate Pie XII, n'en nourrit pas moins - et davantage encore - une ambition géopolitique égale à celle des pontifes de la Renaissance (3). Après avoir donné quelques gages à l'Armée Bleue, branche fasciste officiellement admise des Jésuites, qui s'est fait une spécialité de l'anti-communisme au bord du rideau de fer, et dont le rôle dans les aspects troubles de l'insurrection hongroise ne sera jamais éclairci, Jean XXIII s'est attaqué à forte partie : préparer l'unité des agenouillés de toute “ confession ” et trouver un terrain d'entente avec “ l'avenir ”, c'est-à-dire avec la Russie. Sa chasse est bien gardée à l'Ouest par l'Irlandais Kennedy : celui-ci n'était-il pas “ en prières ” quand on lui apporta la lettre de Khrouchtchev lui annonçant le démantèlement de bases qui n'existaient point la semaine précédente ? O merveilleux effets de la grâce divine : un pareil miracle convaincra bientôt les Cubains, je le parierai, de renverser Castro.

(3) Il ne s'est pas trouvé à ma connaissance une publication française pour faire acte d'anti-cléricalisme à cette occasion.

Une plaisanterie courait Rome peu avant le Concile : “ Si vous voulez voir le pape, faites-vous méthodiste, et vous aurez une audience ”. Les temps paraissent venus d'une gigantesque fraternisation. Si j'étais croyant, je me méfierai. Une antique tradition affirme que la phrase obscure de l'Evangile : “ Là où s'assembleront les aigles, là paraîtra le Fils de l'Homme (pour le jugement dernier) ” prophétise la réunion des “ hérétiques ” et des “ schismatiques ” à la catholicité, peu avant le “ saut de carpe ” universel.

Pour établir l'agenda des 129 sujets dont Vatican II “ s'entretiendra ”, le cardinal Béa n'a pas seulement relevé les désirs des Universités catholiques, des ordres monastiques, etc., mais aussi certaines suggestions des théologiens protestants (4). Nul doute que l'attitude des orthodoxes russes n'aide “ l'aile marchante ” de la catholicité à équilibrer les “ appels à l'unité ” par un provincialisme rentable : les églises arabes rattachées à Rome demandent déjà la permission de constituer entre elles un “ concile permanent ”, et la “ persécution ” dont est victime l'Eglise de Pologne lui sert de couverture pour maintenir son influence, par ses propres moyens, au-delà de l'Oder-Neisse. Subtile dialectique qui peut, demain, regagner en Chine le “ terrain perdu ” du fait de l'enrôlement du clergé local sous les bannières du présomptueux Mao Tsé-Toung.

(4) Cf. l'important article de Time, 5 octobre 1962 : The condition of Catholicism.

Veut-on savoir quelle sera la “ philosophie ” du Concile ? Guère de dogmes nouveaux, nous dit-on : “ Les évêques du Mexique et du Canada sont prêts à intriguer pour obtenir la proclamation d'un dogme selon lequel Marie, mère du Christ, est la médiatrice de toute grâce divine ”. Cette opinion semblait à peine possible voici un demi-siècle, malgré le dogme de l'Immaculée Conception (5) ; la majorité des prélats la tiendrait aujourd'hui pour “ prématurée ”, ce qui sous-entend qu'elle peut mûrir. Le caractère réactionnaire du matriarcat moderne, tel qu'il se réinstaure dans le Nouveau Monde et ailleurs, ne saurait être mieux souligné. Son opposition au protestantisme est illusoire : on lisait récemment dans Le Monde une insertion publicitaire de la “ Christian Science ” new-yorkaise, aux termes de laquelle Dieu est “ le Père-Mère ” de toute l'humanité !

(5) Chanoine Boulenger : La Doctrine Catholique. Cette métamorphose de la Trinité en “ Quaternité ” serait le triomphe spéculatif des lamentables “ analyses ” de C.G. Jung.

En même temps, la “ théologie de la laïcité ” inaugurée par les Dominicains français et autres frocards “ de choc ” se développe malgré “ l'intégrisme ”. Elle aboutira nécessairement à une “ théologie des athées ” auprès de laquelle la pseudo-dialectique du blasphère (genre Klossowski) fera figure de grossière impolitesse. Il circule déjà, parmi les “ Pères du Concile ”, un document déclarant que la psychanalyse doit être utilisée par les ecclésiastiques, notamment pour élucider les origines du “ mythe religieux ” (sic). Et de toutes parts, on place Vatican II sous le patronage d'un auteur “ à l'index ”, le “ regretté paléontologue ” Teilhard de Chardin, en qui l'Eglise posséda un personnage de premier plan, capable “ d'abattre le mur entre la science moderne et la foi traditionnelle ”.

La “ science moderne ” y met du sien, si j'en juge par les articles des Lettres Françaises et même de L'Humanité-Dimanche, où divers penseurs de service au carrefour Châteaudun ont expliqué que Teilhard était quelque chose comme un matérialiste en soutane (et “ dynamique ” de surcroît).

Quant au regard que Jean XXIII tourne à l'Est, pourquoi Khrouchtchev ne serait-il pas fasciné par l’Église Catholique ? Des siècles avant lui, et d'une manière infiniment plus fructueuse, elle a mis au point le modèle le plus achevé du capitalisme d’État. Les fidèles donnent de l'argent pour nourrir des prêtres et bâtir des églises, où ces prêtres disent aux fidèles de donner de l'argent pour nourrir des prêtres et bâtir des églises..., et ainsi de suite à l'infini. C'est même la seule manière dont l'Eglise entende encore le besoin d'infini qu'elle proclame être à la base des “ sentiments religieux ”. En échange ? Rien, pas même un succédané du sacré qui déserta inexorablement la secte dès sa naissance (6). En comparaison, les autarcies, soldées par autant de catastrophes guerrières, de Hitler et de Staline première manière, sont de grossières ébauches, des plésiosaures balourds précédant les pirañas. Russe ou américaine - ou qui sait ? américano-russe - la “ technocratie universelle ” de demain pourra s'inspirer des manoeuvres papales, toujours ornées de la démagogie adéquate. J'imagine sans trop de peine, quant à moi, la mise au pas de toute la planète sous le prétexte de “ l'élan vers l'unité du genre humain ” (discours du pape) et grâce à la police du parti “ moteur de l'humanité en marche vers le communisme ” (discours de Khrouchtchev). Aux liquidations et aux réhabilitations des uns répondent les massacres et les “ réparations morales ” des autres.

(6) Jamais les gnostiques qui vinrent à Rome pour discuter avec la “ Grande Eglise ” ne réussirent à se faire entendre d'elle.

En présence d'un symbiose aussi magnifique, comme il fait prétentieux, Vittorio Scifo, ce pauvre hère de sorcier qui s'avise de convoquer une “ assemblée mondiale des magiciens ” (“ nous sommes cinq millions ”, affirme-t-il) à Rome, “ pour lutter contre la guerre nucléaire ” (7). Ce n'est pas Jean XXIII qui se livrerait à pareil charlatanisme ! Mais parmi les anticléricaux d'en face, s'il en est qui croient suivre encore la Révolution à travers les zigzags de la politique “ post-staliniennne ”, ne nous contentons pas les renvoyer - par exemple - à : Du temps que les surréalistes avaient raison. Avertissons-les qu'ils ressemblent aux Adessénaires ou Adesséniens, ou Impanateurs, secte obscure du seizième siècle : “ Les uns soutenaient que le corps du Christ est dans le pain, d'autres qu'il est à l'entour du pain, d'autres qu'il est sur le pain, et les derniers qu'il est sous le pain. ” (8).

(7) Le Journal du Dimanche, 1er novembre 1962.

(8) François Pluquet : Dictionnaire des Hérésies, ou Mémoires pour servir à l'histoire des égarements de l'esprit humain, Paris 1762.

Que l'équilibre périlleux de “ l'ère des organisateurs ” se prolongeât, je verrais sans surprise les fortes têtes des deux blocs recommander solennellement le pape à l'admiration de leurs sujets.

Dûment épaulé par la bureaucratie des conciles successifs ou provinciaux, il veillerait aux derniers grains de liberté capables de menacer le règne de la statistique et de la peur : à la sexualité, par exemple.

Il ne me déplairait point que ce catholicisme “ rationnel ” et populaire (à la façon de certaines soupes...) prît corps, autour de Rome, de Moscou, et de quelque banlieue de Notre-Dame de Québec baptisée New York. Nous - les surréalistes de l'avenir - n'aurions plus à lutter que sur un seul front.

Quoi qu'il en advienne, l'ouverture est faite.

Ni en haut - vers l'espace - d'aucuns diront les nuages - d'un mysticisme démodé.

Ni “ à gauche ”, expression de toute manière insensée ici.

Elle est faite par où ce Concile communique le mieux avec ceux qui l'ont précédé.

Par en bas.

Du côté des fosses communes de l'homme - et des geôles de l'esprit.

20 novembre 1962.

Gérard LEGRAND. Introduction à la connaissance de Teilhard de Chardin

Le texte ci-dessous apparaît en “ post-scriptum ” à l'ouvrage du R.P. Maurice Lelong, (dominicain), En Patagonie et en Terre de Feu, Julliard, éd. 1950. Il est présenté par ce dernier comme équivalant à “ la sténographie du bref dialogue que plusieurs personnes de qualité ont pu ouïr le 29 mars 1950, vers 17 heures, dans le salon de Mme la duchessse de la R..., entre l'auteur de ce livre et le Révérend Père T. de Ch..., une personnalité célèbre de l'Eglise catholique ”. Ce dialogue faisait assurément suite à une sorte de “ résumé ”, par le R. P. Lelong, du récit de ses voyages auprès des populations “ primitives ” (et en voie d'extinction) de la côte et des îles chiliennes, dont son livre dépeint, sans excès “ évangéliques ”, l'effroyable destinée (*). Le missionnaire se nomme lui-même Blanc, et désigne par Noir le fameux jésuite progressiste avant la lettre, cher à MM. Pauwels et Léopold Sedar Senghor.

(*) Cf. sur les Alakaluf de la Terre de Feu, probablement disparus jusqu'au dernier aujourd'hui, l'ouvrage de J. Emperaire : Les Nomades de la Mer, Gallimard, éd. 1952, dont les conclusions scientifiques recoupent entièrement celles d'En Patagonie et en Terre de Feu.

NOIR. - Et quelle conclusion tirez-vous de là ?

BLANC. - Aucune. Je constate simplement que, dans la mesure où ces populations sont en contact avec les civilisés, elles se déshumanisent. Elles se déshumanisent d'abord socialement, moralement, et puis dans le sens le plus radical du terme. Oui, elles sortent totalement de l'humanité : je veux dire qu'elles meurent.

NOIR (ironiquement). - Et vous voulez remonter ce courant ?

BLANC. - Je n'ai d'autre prétention que de rendre témoignage.

NOIR. - A quoi cela servira-t-il ?

BLANC. - Je n'ai pas besoin, pour témoigner, de savoir l'usage qu'on fera de ma déposition. Elle se suffit et se justifie elle-même.

NOIR. - On ne va pas à l'encontre de l'Histoire.

BLANC (intérieurement). - J'ai déjà entendu cela quelque part.

NOIR. - N'est-ce pas le sort de toutes les civilisations faibles que de disparaître devant les plus fortes ? C'est une loi : il n'y a qu'à l'accepter.

BLANC. - Je veux dire ce qu'il m'a été donné de voir, sans m'inquiéter de ce qu'il adviendra, simplement au nom de la vérité et de la justice. C'est tout. La suite ne m'importe pas.

NOIR. - Vous êtes un idéaliste. Je suis un réaliste.

On a beau savoir que tous deux sont au service d'une même imposture, il y a des initiales qu'on a plaisir à rendre trensparentes et à souligner du trait rouge de l'infamie. Les Guanches et les Caraïbes exterminés par les Espagnols, - la dernière reine de Tasmanie morte au zoo de Londres où on l'exhibait comme une bête fauve, voici un peu plus d'un siècle - le massacre et le parcage des Indiens d'Amérique par les conquérants blancs - les Australiens décimés et promis à l'anéantissement du fait des colons anglais, pour la plupart exconvicts, qui les tiraient “ comme du gibier ” - la décadence sans retour des Polynésiens sous l'empire de l'alcool et des maladies vénériennes - tout cela béni ou approuvé, fût-ce par un silence quasi général, des prêtres européens de toute obédience - tout cela ne suffisait point à l'auteur du Phénomène humain. Il lui fallait encore la peau de soixante malheureux, nus et serrés autour d'un feu, dans cette contrée hivernale où le vent souffle sans relâche, et ayant perdu jusqu'à la mémoire des mythes et des rites qui les faisaient vivre (Cf. J. Emperaire, op. cit.).

J'écrivais naguère : “ Le vertige de l'Histoire est la suprême ruse de Dieu. ” Les philosophes du robot baptisé m'obligent à le redire.

G. L. p.03

Prière du XXe siècle

Béni sois-tu, Seigneur, pour mon frère le téléphone, qui me mobilise, qui me pourchasse sans se lasser et qui parfois reste muet, alors que je trépigne d'impatience. Un peu comme ta grâce, Seigneur : Tu es le Dieu muet et le Dieu à l’affût. Béni sois-tu, pour mon frère le thermostat, l'obéissant appareil d'ambiance. Il me suggère un rôle humble et discret : être celle qui donne le ton, sans calcul savant, par l'intuition seulement, qui donne ce qu'il faut et pas plus. Béni sois-tu pour mon frère le frigidaire, qui conserve intact la vie fragile de mes soeurs vitamines. Ah ! si j'étais aussi attentive à conserver la Vie, aussi peu perméable aux idées corruptrices, assez conservatrice pour honorer les saines traditions Béni sois-tu pour mon frère l'enregistreur, qui marque sur sa bande, ce que je désire réentendre. Un peu comme la conscience que tu m'as donnée et que je transforme si j'y laisse imprimer l'erreur. L'erreur s'incruste et la conscience s'efface. Béni sois-tu pour ma soeur à quatre roues, qui est allègre et vive de nature, qui me permet de chanter à tue-tête sans ennuyer personne, qui m'incite à prier d'une façon nouvelle. Béni sois-tu, Seigneur, pour l'intelligence de l'homme, ton enfant. Madeleine Biquet-Nolette.

Extrait de Dimanche, hebdomadaire confessionnel, 16 septembre 1962

P.04

Sous la présidence de Robert LEBEL, MM. René ALLEAU, Juan ANDRADE, ARRABAL, Jean-Louis BEDOUIN, Georges BERNIER, André BRETON, Charles ESTIENNE, Edouard JAGUER, Pierre LOEB, André Pieyre de MANDIARGUES, Pierre de MASSOT, Pierre NAVILLE et Jean-François REVEL, ont constitué une

Association des Amis de BENJAMIN PERET.

Cette association a pour but de défendre la mémoire du poète et d'assurer le rayonnement des idées qui ont animé son oeuvre et sa vie, notamment en favorisant l'édition de textes inédits et la réédition de livres introuvables.

La correspondance et les adhésions doivent être adressées à Jean-Louis Bédouin, 17, rue Gramme, Paris (15e).

Cotisation annuelle : minimum 10 F. C.C.P. J.-L. BEDOUIN 16126-10 Paris.

VIENT DE PARAITRE :

De la part de Péret Prix : 4,50 F.

VIENT DE PARAITRE :

Alfred KUBIN L'AUTRE COTE (DIE ANDERE SEITE) ROMAN FANTASTIQUE Traduction Robert Valancay un volume illustré de 60 dessins de l'auteur : 15 F. LE TERRAIN VAGUE, éditeur : 23-25, Rue du Cherche-Midi, Paris-6e