René Crevel, L'Esprit contre la Raison


( Mouvement accéléré, novembre 1924 - Mon Corps et moi, Pauvert, 1979.)

DE LA CANDEUR

Une volonté de construire semble naître mais je ne cherche tant ma maison morale, intellectuelle, métaphysique, que parce qu’un désespoir antérieur s’est acharné à détruire. Je pense à toutes les faillites : faillite de la science, faillite de l’art, faillite de la pensée, mais l’esprit convaincu que ne lui peut plus servir à rien cela même dont il a fait sa nourriture, n’ose penser à sa propre mort. Ainsi croissent des douleurs contradictoires qui écharpent à petits coups.

Cette nuit j’ai rêvé — ce n’est pas de la littérature — cette nuit j’ai rêvé que je ne rêvais pas. Et j’affirme que pour les plus hantés de nous, les cauchemars ne sont en somme qu’absences de cauchemars. Tournant dans le vide, notre esprit ne pourrait se faire à l’idée de ne tourner plus. Et dans la famille de nos pensées, de nos amours, de nos haines, c’est, perpétuelle, l’histoire de cet homme qui, durant une famine, mangeait ses enfants pour leur conserver un père.

Quant à la confusion du problème (de quoi d’ailleurs me semble venir son si grand intérêt), mille incompatibilités la révèlent et cette dernière surtout (à propos de l’écriture automatique) qu’il est impossible de parler d’automatisme lorsqu’il y a écriture, et si le mouvement accompli pour dessiner révèle les mouvements les plus secrets de l’âme, ces lettres, nous les assemblons et nous nous efforçons de les dessiner suivant un ordre, un modèle appris. M’apparaissent donc à la fois trop vagues et trop précis ceux qui prétendent séparer l’inconscient du conscient.

Mais nous sommes las des routes parcourues toujours et dans tous les sens. Aucune possibilité ne demeure de voyages périlleux, et c’est pourquoi les voyages ne sauraient plus former la jeunesse, du moins la nôtre. À défaut d’un continent c’est en soi que l’homme cherche le mystère.

J’entends des injures, des cris, des chansons. Silence ! Lyrisme nouveau n’est pas un train de plaisir. Notre malheur, notre méchanceté ont tout compliqué. Le plus Grand sera celui qui aura gardé la force d’être candide.

 

 

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