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Gérard DUROZOI : Le Surréalisme

Paris, Editions Hazan, L’Atelier du monde, 2002, 95 p.

(14,5 x 25 cm, 133 illustrations). Compte rendu critique par Simone GRAHMANN

 

Gérard DUROZOI, auteur de nombreuses publications en matière de philosophie, critique littéraire et histoire de l’art et, pour la bibliothèque du surréalisme, d’une vaste Histoire du mouvement surréaliste[1] ainsi que d’autres ouvrages[2], présente ici un petit livre consacré essentiellement à l’art surréaliste et à l’art dans le surréalisme sur le fond historique des différentes étapes du mouvement. Il contient de nombreuses illustrations : tableaux, objets, photographies d’œuvres et de membres du groupe. La présentation du livre se lit déjà comme un programme : en couverture, un tableau de Miró et un lexique composé de quatorze éléments dont le premier évoque le nom de Breton, suivi de noms de peintres surréalistes et de notions concernant les arts plastiques, telles que collage et frottage : on parlera du surréalisme souvent à partir d’une perspective bretonienne et principalement à travers les arts plastiques et les plasticiens. L’ouvrage est constitué de trois parties, intitulées « Les ateliers du surréalisme », « Dans l’œuvre. Styles et influences », « Itinéraires », dans lesquelles l’auteur retrace les grandes lignes du mouvement surréaliste et expose, sous le signe de mots-clefs tels que « rêve », « automatisme », « inconscient », « poème-objet », etc., cités en début de chapitre, les principaux thèmes de la quête du surréalisme.

 

Dès le départ, l’auteur témoigne de son enthousiasme pour le surréalisme, voulant croire qu’il constitue « le seul mouvement révolutionnaire qui n’ait pas échoué » parce qu’il cherche à « intervenir sur tous les fronts » et qu’il « ne laisse de côté aucun aspect de l’existence ». Point de vue qui mériterait certainement d’être justifié (en raison de son caractère absolu) et développé dans la mesure où ces « aspects de l’existence » ont été de valeur très différente au sein de la quête surréaliste – si l’on pense à la conception sociale et politique, à la notion de poésie ou encore à celle de réalité/surréalité même qui, de surcroît, ont donné lieu à des considérations très différentes et changeantes au cours de l’histoire surréaliste. Plus loin, l’auteur souligne le caractère cohérent de l’évolution du surréalisme entre 1924 et 1969 et de la constance de ses exigences. Là encore, et même s’il ne s’agit que d’une introduction, on souhaiterait trouver une explication. En effet, une cohérence – si elle a vraiment existé, ce qui est contestable – devrait être démontrée. Cette manière de procéder est assez symptomatique pour l’ouvrage et notre critique pourrait s’appliquer à l’ensemble du texte et en particulier à sa première partie. De manière générale, on peut reprocher à son auteur d’affirmer sans entrer dans l’analyse détaillée et d’émettre des convictions sans les étayer d’arguments. Il semble qu’il n’y ait pas de débat possible et que tout soit sans appel. Or, le mouvement surréaliste, au-delà de tous ses « acquis sûrs », est marqué d’importantes contradictions, d’oppositions internes et parfois même d’une guerre de positions différentes. Le texte poursuit par des considérations sur l’importance de Dada pour le futur mouvement surréaliste. Héritant de sa « préhistoire dadaïste » une dimension radicalement critique à l’égard des valeurs dominantes des années vingt, il « ne se contente pas de détruire » (allusion à dada, qui serait à relativiser car dada va bien au-delà de la pure destruction[3]) et cherche à imposer d’autres valeurs. Il prend pour tâche de redonner à l’esprit ses pouvoirs perdus, voulant reconstruire une « raison ardente » capable d’intégrer la poésie, le rêve, l’inconscient, la passion, et d’agir sur le réel. Les arts visuels sont, comme l’écriture, au service d’une exploration permanente de la pensée et du réel.

 

Dans la première partie, l’auteur rappelle les principales étapes du mouvement : les activités pré-dadaïstes, à New York, de Duchamp, Man Ray et Picabia, la naissance officielle de « Dada » à Zurich « pour en finir avec la culture », les manifestations, publications de manifestes, de la revue Dada dans laquelle Tzara appelle à une absence radicale de sens, l’aspect politique de Dada en Allemagne. Il évoque l’adhésion au dadaïsme des fondateurs de Littérature, leur participation aux actions dadaïstes et finalement leur rupture avec Dada. Ensuite, il analyse la « Formation du surréalisme » à partir des sources poétiques : Rimbaud, Lautréamont, puis Valéry, Apollinaire, Reverdy ou Saint-Pol Roux. Selon Breton, la poésie – voyance ou révélatrice de l’inconcevable – devait se consacrer à la restitution de la pensée la plus vive. L’écriture automatique devient le moyen d’accès au message de l’inconscient et aux zones méconnues comme celle des pulsions et du désir. Les déclarations collectives dans La Révolution surréaliste réclament la liberté totale de l’esprit et appellent à l’action révolutionnaire parallèlement à l’action surréaliste. Le surréalisme s’ouvre à la peinture grâce à Picasso, Ernst, Man Ray, Masson. Par la suite, l’auteur dresse un « Historique du mouvement surréaliste », souvent à partir de la position de Breton : la période politique et l’adhésion au Parti communiste de certains membres du groupe qui se termine par un « échec », « en raison de l’étroitesse des vues culturelles du parti » ; les conflits internes, les exclusions et nouvelles adhésions ; l’internationalisation du mouvement ; le Second manifeste du surréalisme dans lequel Breton définit sa quête d’un « point de l’esprit » où les contradictions se résolvent ; l’exploration du domaine de la maladie mentale et de ses frontières avec la « santé » ; la problématique du rêve et de l’action (Freud et Marx) et l’ambition de concilier ces deux champs d’intervention surréaliste, mais encore le rôle des peintres dans le surréalisme. L’auteur commente également la position politique du surréalisme qui se profile à travers une redéfinition des objectifs face aux événements mondiaux (la Guerre d’Espagne, les procès de Moscou, la montée du nazisme en Allemagne). Il décrit l’émigration, pendant la Deuxième Guerre mondiale, de nombreux surréalistes et leurs activités à l’étranger : la revue VVV, l’exposition First papers of surrealism, les Prolégomènes à un troisième manifeste du surréalisme ou non de Breton, etc. L’après-guerre est marqué par la quête de nouvelles valeurs (incompatibles, selon l’auteur, avec « les directives “culturelles” des communistes »), la recherche d’un nouveau mythe et l’exploration des voies d’une initiation possible à l’imaginaire mythique. Puis, sont évoquées les manifestations collectives et interventions politiques du groupe rajeuni autour des revues Néon, Médium, Le Surréalisme même, Bief et La Brèche et les expositions E.R.O.S. et L’Ecart absolu (la plus ouvertement idéologique contre les valeurs de la société de consommation). La mort de Breton entraîne finalement l’arrêt des activités collectives et la déclaration de Jean Schuster concernant la fin du surréalisme comme mouvement constitué, mais aussi la poursuite des activités par d’autres (le Bulletin de liaison surréaliste, la revue Surréalisme). L’auteur conclue que ceux qui se réclament du surréalisme doivent se montrer « soucieux des trois valeurs qui tissent le fil conducteur de l’aventure : la poésie, l’amour, la liberté ».

La seconde partie de l’ouvrage est consacrée aux bases de l’approche surréaliste : articulée autour de ces trois valeurs permanentes – la poésie, l’amour, la liberté, l’analyse des diverses techniques que reprennent ou inventent les surréalistes montre que leurs œuvres cherchent tout autre chose qu’une satisfaction esthétique : elles entendent traduire la pensée profonde pour relancer celle du spectateur, tout en visant à une authentique efficacité… Si les œuvres plastiques sont largement présentes dans ce chapitre, on regrette que les œuvres littéraires, notamment la poésie, n’y trouvent que peu d’énonciation, malgré un chapitre intitulé « La Poésie » dans lequel cette notion est surtout conceptualisée et illustrée à travers son expression dans l’art. Par l’intermédiaire de « La Poésie », le surréalisme recherche une mise en commun de la pensée et croit en une poésie « faite par tous et non par un » (Lautréamont). Il veut perturber le donné visuel grâce au rapprochement de réalités éloignées (les collages de Max Ernst), trouver un accès aux latences du réel (l’éclairage nouveau d’objets ordinaires par Man Ray), activer les capacités hallucinatoires de la matière (les frottages par Ernst, les tableaux de sable par Masson, les décalcomanies par Dominguez). Il s’agit de détruire les conventions esthétiques (Miró : « assassiner la peinture ») et d’utiliser la peinture pour exposer la subjectivité (voir la méthode paranoïa-critique de Dalí, appliquée pour le développement systématique des obsessions). La peinture devient un exercice philosophique chez Magritte qui pose une interrogation sur les rapports entre les choses, leurs images et leurs noms. Avec une certaine conception de « L’Amour », le surréalisme se donne pour tâche d’explorer tous les aspects de la passion (Sade, Germain Nouveau) et le caractère polymorphe des fantasmes (Bellmer, Moulinier, Magritte). Il affirme la toute-puissance de l’amour et en scrute les égarement. L’exaltation et la vénération de la femme renvoient à une attitude quasi mystique (Dax, Svanberg). Le désir s’intègre dans une quête de sens et de signes et témoigne de la présence dans le réel ordinaire d’un autre monde ignoré. Il s’agit d’adhérer à ses énergies et d’effectuer une véritable érotisation du monde (Man Ray, Lam, Matta). « La Liberté » de l’esprit et de l’être est le vœu sacré du surréalisme. Les surréalistes trouvent des échappatoires dans les arts sauvages ou primitifs (océaniens en particulier) qui témoignent d’une mythologie hautement poétique, dans l’art naïf (du Douanier Rousseau), dans l’art brut des malades mentaux et des médiums. La pensée libre se manifeste également dans l’exercice de l’automatisme.

Dans la troisième partie, les principaux lieux (ateliers, cafés, villes, monuments) marquants de l’histoire du surréalisme sont recensés, ainsi que ceux qui furent reconnus par les membres du groupe comme particulièrement « hantés ». Ce chapitre évoque aussi bien la « surréalité de Paris » que les lieux significatifs tels que Nantes (présence de Rimbaud, rencontre de Breton avec Vaché) ; hors de la France, il cite Prague, Barcelone, Tenerife comme le Mexique, la Martinique, Haïti ou Cuba tout en énumérant événements et rencontres reliés à ses lieux.

 

L’ouvrage est une synthèse sommaire retraçant les principales étapes du mouvement surréaliste et présentant les différentes réalisations en matière d’art. Néanmoins, le lecteur se trouve trop souvent face à de grandes phrases qui, si elles sont pertinentes et justes, ne résultent pas d’une analyse développée auparavant, mais tacitement supposée (celle-ci se trouve dans l’Histoire du mouvement surréaliste par notre auteur), mais ceci est certainement l’un des dangers d’une reprise partielle. Or, si l’on ne peut reprocher à un auteur – comme l’avait écrit Ferdinand Alquié dans l’avant-propos à sa Philosophie du surréalisme[4] – le choix de son sujet ni la perspective à partir de laquelle ce sujet est abordé, le titre du livre, trop général, mériterait certainement d’être restreint ou précisé pour refléter l’intention de l’auteur et, de la sorte, mieux guider le lecteur. Si, en effet, l’ouvrage n’offre pas de nouvelles perspectives en matière de recherche sur le surréalisme, il pourrait néanmoins servir de support utile pour introduire en art surréaliste un lecteur peu averti, lui rappelant l’histoire du mouvement et présentant les artistes qui y ont adhéré.

 

[1]. Paris, Hazan, 1997, 750 p.

[2]. En collaboration avec Bernard LERCHERBONNIER : André Breton. L’écriture surréaliste, Paris, Larousse, 1974, 255 p., et Le Surréalisme. Théories, thèmes, techniques, Paris, Larousse, 1972, 286 p.

[3]. Cf. Henri BEHAR, Michel CARASSOU : Dada, histoire d’une subversion, Paris, Fayard, 1990, 261 p.

[4]. Paris, Flammarion, 1955, p. 7.