MÉLUSINE

titre de la revue Aventure

Aventure n°2, décembre 1921

CHRONIQUES
SOMMAIRE
Jean Cocteau Poésies
Marcel Arland Attitudes
Paul Morand Progrès de l'Automne
Jacques Baron Affaire Landru
René Crevel Lettre pour Arabelle
Roger Vitrac Quatrains
Max Morise Larmes
André Dhôtel Poésie
Henry Cliquennois Paris-Sport, Drame
Divers D’André Gide — Photographies animées — Interview de M. Francis Poulenc — Revue des Revues
Divers Bois et dessins : Raoul Duffy — Fernand Léger — Jean Dubuffet — Pierre Flouquet.
René Crevel Francis Poulenc et l’humour

P.2

POESIES

CALENDRIER MÉCANIQUE

D'ici, de là, d'ailleurs joufflue, Vénus fait le tour de l'ilot. Et les pneus, elle les regonfle, Rien qu'en caressant son vélo. Ce vélo nargue nos régates, Nos bras nus, nos nœuds papillons; Mon enfance est loin, nougatine Qui me colle encore aux papilles. Car, protectrice des artistes, La reine quitte son château, Vient à bicyclette et baptise De champagne notre bateau.

AURORE

Par file à droite!

Le feu du cabinet particulier était un buisson d'écrevisses.

Chaque cavalier attribue secrètement à une dame le nom d'Ida. Le roi de Monaco accroche des insignes de Touring-Club, des cravates blanches, des fausses moustaches. La rose, messieurs, dit-il, est le pétard du matin! C'est aussi la roulette à dormir debout sur la mer.

Les touristes se relayent. Ils échangent leurs alpenstocks contre des vélocipèdes. Le coq chante. Et chacun rentre chez soi.

LES ANGES MALADROITS...

Les anges maladroits vous imitent, pigeons. Vous saluez Marie. Eux, devant les guérites, Gardent la France. Hélas! nous les décourageons. Toute la nuit, le ciel cueille des marguerites : La dernière cueillie on ouvre les volets.

Voici venir l'automne et la chute des anges, Les anges répandus comme le pot au lait!

Arbre en or l'Opéra donne beaucoup d'oranges; C'est surtout vers le haut que le public les mange, Car, vers le bas, manger des oranges déplaît.

Ce poème en dix vers est-il beau, est-il laid? Il n'est ni laid ni beau, il a d'autres mérites.

Jean COCTEAU

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ATTITUDES

Au Havre où j'allai retrouver Alain, nous guettions près des arsenaux la sortie des ouvriers. Musiques aux cafés du vieux port. Légèrement ivres d'un rhum baptisé brésilien, nous nous attendrissions sur les fortes grâces des servantes. Parfois quelque nègre les suivait dans l'arrière-boutique. Un oiseau d'or au ciel de cinq heures guette les rêves barbouillés de mûres et de mélancolie des filles bergères de l'automne. Par des sentiers j'ai craint d'éveiller de grêles formes. La dernière ondulation du jour aiguise le parfum des sapins. Des voix vers moi se penchaient d'une ballade germanique et disaient Clarisse.

*
*      *

Clarisse, je me levais au matin nu. Je voyais naître les hommes. Prenant dans mes mains de l'eau des sources forestières, il me semblait boire un peu de ciel vivant. A midi défaillant d'été, mes animalités haletantes ont remué la crissante torpeur des prairies. Une saine ménagère à carpette blanche érigeait pour quelque dieu païen le régal des seins saillants au corsage. Et nous buvions à la même bouteille une exquise liqueur qu'on m'apprit être le vin.

Clarisse, dans les greniers, couché sur du foin où craquaient des ardeurs estivales, j'avais des mots et des silences pour appeler des idées aux étranges formes. Il y en avait chargées de tant d'odeur d'herbe que j'en pâmais. Charmantes fées, ou que le vulgaire eût crues telles. Moi, de les voir à mon caprice paraître j'en vins à les traiter avec familiarité. Elles avaient toutes l'attrait touchant de l'aventure. Je me plus tant à l'une de ces idées que je m'éveillai homme. Ses hanches étaient fort délicates, mais les jambes robustes et quêteuses d'amour.

Clarisse. Mes après-midi désemparées s'éternisaient dans un cabaret de Folkestone, à l'heure où les polkas mécaniques circonviennent par de ferventes nostalgies le cœur des nègres. Sans écouter l'atroce musique, une fine Anglaise enceinte fixait un regard déteint sur le départ des grands paquebots. Chaque soir pour elle je revenais. Je ne savais d'anglais que les trois mots de l'amour; mais ils me semblèrent trop grossiers pour mon ineffable sentiment. Les paquebots partirent un jour sans l'adieu de ses yeux gris. Je ne l'ai depuis revue. J'acceptai ce jour-là l'offre de la servante flamande qui, échouant à éveiller quelque gaieté en mon corps, ne savait que répéter, obscène et maternelle: « Petit, allons, petit ».

Pour te fuir, mon amie, je parcourus la France et l'Europe. Mais tel en moi vivait ton souvenir, que ton nom le traçait le périple de mes voyages. Et les anges aux yeux perspicaces pouvaient lire en grandes lettres tremblées sur la terre - Clarisse.

*
*      *

Grisélidis, chère enfant à la robe damée de noir et blanc, vous chanterez ce soir au Havre sur votre guitare l'air des Tilleuls. Grisélidis soupira, parut, fine mouche, serrer plus étroitement le bord du corsage contre sa gorge. Elle leva sur moi un œil dont je ne voulus pas voir l'aveu. Elle chanta. Pizzicati, Grisélidis. Grelot frêle des premiers désirs tintant dans les bois de Verrières. Riras-tu sa gaieté, telle que je n'ai su de plus vif que le bondissement des jeunes animaux. Très doucement, chante, en harmonie avec des gestes fort purs, la grave volupté ombrant de pathétique son visage enfantin. En chaque carrefour du ciel, ne lui élèverons-nous quelque blanche effigie. Grisélidis, petite prostituée à la lèvre rouge, jete déchirerai tes joues trop tendres, je te briserai tes bras trop fins, honteuse fille qui ressembles à la seule qui fut. A la seule qui fut, lamento, et dont l'absence rend ce soir sinistre ton sourire, Grisélidis, putain pauvre - ma lamentable Fantaisie. (Et comme je terminais mon repas, je mis un peu de sucre dans ma tasse et Grisélidis joua l'air du tilleul.)

*
*      *

Voix aigue d'une petite maîtresse. - Ce n'est pas vrai. Ce n'est pas vrai. Ho... menteur. Ne sais-je pas, moi, que tu n'as vu ces pays ni accompli ces actions. — Taisez-vous, mon amie. Je n'en ai point tant vu, ni tant fait, il est vrai. Et je ne me leurre pas à cette imaginaire conversation. Comme je partais pour ces prouesses splendides, une mouche me piqua au doigt. C'était à Barcelone (en Espagne). Un médecin à lunettes bleues me recouvrit le doigt de teinture d'iode. Je parle de l'index. J'eus fort mal et retournai à Paris, où je vous retrouve. — Et ce n'est pas vrai non plus. Tu n'es pas allé en Espagne, puisque. Au reste je ne discuterai pas. Je me sens blessée, encore que je ne sois pas une petite sotte, par ce goût malhonnête pour les imaginations. Et quelle est cette originalité de me dire vous. — Bois cette tasse de thé, Clarisse. Le thé joue un grand rôle dans le roman contemporain. Je ne suis point parti. C'est que, chère petite, je songeais à la douceur de ton épaule, quotidienne et fort menue, mais chaque soir ingénument nouvelle à mes baisers. — Ah, quémandait la jeune fille, offrant à mes lèvres une tendresse lasse d'idées et qu'exaltait l'abandon, est-ce vrai que si tu n'es pas parti, c'est que tu m'aimes. — Mais oui, Clarisse.

Marcel ARLAND.

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PROGRÈS DE L'AUTOMNE

Aimer, c'est parler. Devant l'impossibilité d'un discours soutenu chacun s'en tire par des paroles engageantes. Complices de l'été nous nous sentons partisans d'une cause perdue, devant les villas sous scellés. L'automne constitue un sérieux avertissement. Les vacances se tuent en se jetant sous les locomotives. Les allées et les venues sont jonchées de feuilles mortes et de raisins sucés. Les étoiles filantes et autres surprises agréables, les regards sous les jupes et autres phénomènes sans conséquences graves, la fécondation par les petites annonces ou les abeilles, les vignes vierges pudiques et leur parfum terrifiant les paroles du matin enveloppées dans l'haleine infectent notre détention à vie. Du vin chaud pour qui rentre tôt, des foulards pour qui rentre tard, de la sensualité pour les alités, des fusils d'acier pour les financiers. Décomposition du soleil en terre. Compositions. Fournitures scolaires. Des résolutions pour l'année entière.

Paul MORAND.

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AFFAIRE LANDRU

Les dernières paroles du condamné coulaient comme une avenue. Les gens s'embrasaient entre eux en récitant des litanies. Ils semblaient très heureux. On se reprit. La statue de la République est bien ennuyeuse à regarder avec son sourire figé comme une carte postale. Les mots sortent mal de sa bouche, comme les poèmes que j'écris derrière le dos des chauffeurs de taxis. La rapidité de l'éclair et des nuages brouillés sentaient la famine chez les êtres misérables. On cherche toujours quelque chose pour nourrir nos animaux domestiques les plus doux, ceux que nous aimons caresser quand nous sommes tristes, mais la terre ne sait rien produire qui puisse être utile. Elle suit nos pas comme une ombre ridicule. A quoi bon se dire toujours les mêmes paroles que nous connaissons par cour ? Mais parfaitement monsieur, c'est bien vous que j'attendais.

Jacques BARON.

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LETTRE POUR ARABELLE

Sous prétexte de camaraderie, nous nous étions condamnés à ne jamais désirer l'amour entre nous, et pourtant, Arabelle, nous étions jeunes tous deux. Votre nom, — ridicule selon certains profanes — m'eût facilement induit en de sentimentales rêveries ; vos yeux étaient verts ainsi que les yeux des séductrices américaines dans les romans; de votre corps se dégageait un charme de saine jeunesse, et si j'avais confessé un trouble par vous mis en moi, sans doute ne m'eussiez-vous pas repoussé. Alors nous aurions été des amants satisfaits d'un moyen bonheur, mais en ma puérilité, je croyais supérieures aux joies des totales possessions, ces furtives caresses d'âme, auxquelles orgueilleusement nous réservions le nom de franche amitié. Quoique heureux à l'ordinaire de tirer profit d'avantages physiques, je m'efforçais à venir vers vous sans coquetterie. Je voulais que cette « franche amitié » vous fût offerte sans mélange. Aux heures de rencontre, lorsqu'en la mienne votre main se confiait fraîche de vie, je m'évertuais à ne pas tomber en des pensées précises et troubles à la fois, qualifiées tentations d'après l'intransigeance de notre toute cérébrale amitié. Ainsi étais-je envers vous; ainsi voulais-je demeurer. Mais vous, au fait? Souvent je me suis demandé, si d'écouter les longues phrases dont vous usiez pour exprimer votre méfiance de l'amour et aussi un peu votre mépris, je n'avais pas été dupe de certaine perverse petite comédie. Pourquoi me prendre si étroitement le bras, lorsque vous juriez ne vouloir entre nous qu'une intime communion d'esprit? pourquoi la liberté de certains gestes? Je ne sais plus maintenant s'ils étaient chez vous spontanéité ou coquetterie. Bien des souvenirs me viennent. N'ai-je pas eu tort d'éviter volontairement un amour si naturel entre nous et contre lequel, peut-être, j'étais le seul à lutter? Maintenant nous sommes séparés, mon amie. Tant que les absents ne m'ont pas assuré un retour indéniable, je considère l'éloignement où ils sont comme éternel. Alors mis en franchise par cette momentanée certitude, pourquoi ne point parler, Arabelle? A votre retour — si le hasard veut que vous reveniez — nous nous entendrons pour un mutuel oubli des lettres trop franches, écrites, quand nous nous estimions libérés de nécessaires simulacres. Arabelle, je vais avouer pourquoi en vérité j'ai tant voulu ne pas vous aimer. Il vous souvient, n'est-ce pas, de certaine après-midi que nous avons passée ensemble. Assis près de vous sur le grand divan — l'inévitable divan - de votre boudoir bleu et or, très sage en mes gestes, j'avais permis d'aventureuses folies à ma pensée ; je m'étais fait jeu de ne vous en celer aucune. Vous m'aviez écouté avec une patience en laquelle ma fatuité ne voulut voir que de l'intérêt. Au reste j'avais mis tant de recherche à m'exalter moi-même, que pas un instant je ne pus croire mes paroles indifférentes. Avec le crépuscule, la pièce imprécise de la fumée de nos cigarettes me devint un illusoire paradis, où la seule réalité demeurait celle de votre présence. Petit sphinx, vous acceptiez quelque encens impondérable. J'aimais votre visage. Je vous le dis, Arabelle. Je crus au pouvoir de certains mots. Idole métallique il y eut un sourire sur vos lèvres. Vers elles qui ne la repoussèrent point ma bouche se tendit. Cédant à l'habituel désir, j'avais fait le premier geste d'amour. J'eus foi en mon bonheur, et lentement, très lentement, je quittai vos lèvres croyant y laisser de plus douces promesses. Je ne sais si, dès le début, vous aviez voulu me narguer, mais ce dont vous vous souvenez, c'est que vous vous êtes levée en éclatant de rire, et à confesser le vrai, ce vrai que je vous ai promis aujourd'hui, si j'ai définitivement renoncé à vous aimer, suivant la loi commune et douloureuse des autres hommes, c'est peut-être, quoi que j'en aie antérieurement affirmé, à cause de ce rire dont vous avez déchiré les vapeurs d'un monde où, pour un soir, j'avais cru trouver la joie.

René CREVEL

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QUATRAINS

Livre ornement mains du moment livre ton mal à bon escient les paradis sont patients.

Porte l'ombre sur son visage tristesse que j'ai faite ailée mes yeux étoilent ton voyage entre la Vierge et le Bélier.

Les joues des vents au coin des cartes gonflent l'accueil de beaux pays Voiles pliées les vapeurs partent les itinéraires sont pris.

Jouet mieux fait que le silence qui mêle en ses mains aériennes les globes et les dieux ensemble. Je fais bien mieux avec les miennes.

Aux fils de la sphère de cuivre un nuage s'est trouvé pris Lors je sais que je dois survivre au milieu du ciel de Paris.

Roger VITRAC

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LARMES

Les atomes s'accrochent au hasard par des crochets subtils et incassables. Dora s'est prise à ma glu (ou moi à la sienne ?). Le maire l'a dit, et l'homme aux mains jointes. J'ai entendu une marche triomphale et j'ai pris deux billets de première classe pour Monaco; mais ce n'est qu'un air de musique et une promenade de santé. Mes vieilles maîtresses auront encore des divans que je connais quand je débarquerai à la gare de Lyon.

Le sourcil de Dora n'a pas remué quand cette lame de fond a voulu manger notre barque.

Les baisers de Dora ont fait évaporer les divans de mes vieilles maîtresses.

Les cils de Dora ne sont pas ternis par cette longue carcasse dans des draps blancs. Les vers ne laisseront que les os de son frère.

Ma Dora donne le du violon; mes oreilles le savent bien. Mes doigts, vers le sein, ont cru aux naseaux d'un pur-sang. Ma bouche connaît la cicatrice de sa cuisse. Les parfums, suis-je évanoui? Et la sueur. Dans le creux de ma main, il y a un petit oiseau chaud dont les brefs battements de cœur se propagent le long de mon bras, s'amplifient à ma nuque.

Je connais toute ma Dora, je connais ses abandons, je connais ses crispations ; je ne connais pas ses larmes.

Cette auto (j'avais bien calculé) ne m'a cassé qu'une jambe. Le cri de quelque bête quaternaire a fait vibrer ma moelle épinière. Mais j'ai guetté en vain une toute petite goutte d'eau. Mon sang s'est logé d'un seul coup dans ma tête ; mon poing a trouvé une enclume; ma mâchoire a broyé en bavant toute la chair qu'elle trouvait. Frénésie de dépense musculaire, grande machine avec des leviers et des bielles, tournant à dix mille tours à la minute; on a mis devant le soleil un écran rouge ; l'eau s'est changée en sang, mais je n'en ai pas vu dans l'œil de Dora. Les filles publiques de mon quartier connaissent mes habitudes, et les taverniers. Mes domestiques me montrent un derrière blanc de lapin furtif. Dora est laide. Les vers ont achevé de ronger son frère. Les mêmes yeux au fond de l'orbite, ils ne savent pas pleurer.

Dora est enceinte.

J'ai emporté bien loin cette petite bête et je l'ai déposée sur un tablier sale. Mes oreilles ne me servent qu'à entendre les semelles sur le parquet. J'ai vu une femme ou un fantôme échouer de fauteuil en divan. Mais je n'ai pas vu de larmes. J'ai peur de ces yeux, on a changé quelque chose. Soudain des larmes. Des larmes. Il est des bouleversements bien plus incroyables que les éruptions volcaniques. Ma bouche est sur ses pieds. Trois éclairs, je suis meurtri. Le canon du revolver est à sa tempe. Un autre éclair la jette à terre. J'ai bu les larmes de son cadavre.

Max MORISE

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POÉSIE

Apportez-moi mon style à la spirale de pierreries et ma table de cèdre bleu, je veux écrire ma nonchalance.

Les sons des clochers lointains rôdent au fond du soir. Passe le chœur rongé des pleureuses au bord de la terre et se multiplie le diamant de la nuit, comme des pensées dans une âme joyeuse.

De mon portique à la mer j'ai lancé mon style à la spirale de pierreries et je suis parti vers le Nord.

C'était par un soir pluvieux, dans un petit village; je suis arrivé : ainsi parlent les vieilles histoires.

J'avais manteau boueux; des chevaux passèrent à la lanterne rouge, entre des faisceaux de brouillard; aux maisons je tâtonnai les murs humides et je me suis arrêté là.

Là, mes riches amis, je n'oserais pas vous dire, ô mots, que mon corps entier se ploya, de prière avide. Là, une porte. Au bas un peu de lumière qui vit, une bougie pâle sans doute, ainsi parlent les vieilles histoires.

Derrière la porte il y a une armoire sombre qui a deux cents ans et quand on l'ouvre on sent une odeur de pain : Il y a aussi des fantômes qui courent vainement aux murs déchirés, car il y a grand feu de bûches.

Un chat dormait sur la pierre du foyer de la haute cheminée, et par instants, à travers des temps prodigieux, tombait de la pompe une goutte d'eau en l'écuelle d'étain qui chantait longtemps : ainsi parlent les vieilles histoires

Je n'ai pas frappé à la porte.

O mes riches amis, nous boirons du vin blond, du vin de soleil, du vin empoisonné, et notre dernière pensée sera tiède comme l'or des cimes grecques.

André DHOTEL.

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PARIS-SPORT, DRAME

Douglas Fairbanks Far West - ma polaire atmosphère — les buffles canadiens protestent à la corde, bois larges vents et steppes claires, bois le wisky du ranch et c'est Mary Pickford.

Mary Pickford Je vends une odeur de savane les oranges l'hiver et l'été les bananes. Les zones de la Lune ont des pâleurs de toile qui réveillent la mer et la mélancolie.

L'Aventurier Pluie myope couleur cendre sale lu causes l'idéal des robes de nos dames.

Charles Six Nous, Roy Charles Six, sommes fou. Je dis Odette   Odette et ne dis autre chose car je perds     au poker mes écus double rose

Odette Champdivert Je griffe et frôle ton front loyal et pâle à la lune vends l'une de tes opales.

Belle Enfant Prisonnière de tour étroite, mais Guelfe, aux Gibelins je rêve. Devant, derrière, à gauche, à droite, c'est toujours le marché de Grève où d'un rêve on fait bon marché.

Charles Six Héros lâché, je combattrai les cœurs que vous avez contrés.

Douglas Fairbanks Tes reines et tes rois qui sont princes du bridge d'attributs décousus couderont des casaques, et nous, tristes joueurs, joûrons aux quatre coins.

Salomé Bowling Comme on doit fortifier le bas-ventre et les reins les quilles d'argent clair ont valsé sur la piste, je lancerai le crâne usé de Jean-Baptiste.

Le Jockey mécanique Tapis des pistes. Troisième cote rose. Les dames du pesage ont des jerseys de soie et supportent des roses peut-être appareillées aux jockeys de leur choix.

Belle Enfant Aventurier nageant autrefois aux Barbades, pour des yeux orangés n'as-tu point dérangé des pierres éclatées et l'écume des rades?

L'Aventurier Le doute des principes moraux a mené de la Morgue à Notre-Dame l'assassin repenti dont les mains sont diaphanes.

Le Jockey mécanique Royal Oak - Prix de Diane casaques de satin que la couleur gonfla el les treize poulains vont danser la polka.

Chœur des Dames Il faut assassiner

Chœur des Messieurs Il faut assassiner les enfants du Joly Jocker jockeys chez William Cunnington.

Henri CLIQUENNOIS

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ANDRE GIDE

Je parlerai peut-être plus de moi que de Gide. Il me l'a enseigné, qui composa un monde à son acuité visuelle. Aussi, centre de tout, n'est-il nulle part. Il conviendrait de situer ces notes (créer, dit-on, une atmosphère). J'évoque le procédé de Jules Romain dans Donogoo-Tonka. Un salon ; des cubes de verre qui représentent Jean Cocteau aux étonnements des Amériques et des vieilles dames balnéaires. Le charmant Arlequin danse devant son portrait émacié, dérange une chaise de Lipchnitz, sourit, Baghaera, à un autographe de Kipling. Au bas de la gravure, çà et là dans l'ameublement de la pièce, sur des livres, voire (en caractères secrets) des livres de Cocteau lui-même, — on lit : André Gide. Etc. Un cercle de jeunes gens dans un café où quelques femmes maussades songent aux corvées nocturnes et d'ailleurs problématiques. Discours. Gestes. Bocks bruns ou blonds. Titre explicatif : André Gide. Etc. André Gide vient de publier deux recueils de morceaux choisis. Non pas ses meilleures pages, mais ses plus caractéristiques. Orgueilleux. Le dieu descend dans l'arène. Je le reconnais homme. Le chœur des jaloux, des hommes de parti, des gens honnêtes et des imbéciles s'est ému. On l'a appelé démoniaque. Ce qui fera vendre ses livres. Ni si haut, ni si bas. D'avoir rassemblé les fuyantes images qu'il donna de lui, il paraît un peu nu. La nudité ne convient pas à Gide. C'est l'homme qui craint de se regarder dans une glace. Qu'on le veuille ou non, André Gide est le premier écrivain d'aujourd'hui. Son influence, qui commence seulement, est considérable. On la dit détestable, comme si une influence, a priori, pouvait l'être. Je lui donnerai volontiers de grands coups d'encensoir. Nous l'aimons beaucoup et un peu plus. Mais en lui n'avons nulle confiance. Il intéressera plus que Wilde, car plus livresque. Notre tendre affection à son égard ne l'est peut-être que pour son relent de scandale. Cher aîné qui nous enseigna des cabarets louches et d'équivoques satisfactions. Puis (en vérité, messieurs) quelques pages, quelques pages en vérité — plus doux accents ne m'étaient venus d'aucune littérature; je crus à l'absolue beauté de l'art. Un soir où ses pathétiques irrésolutions, ses petits vices effarouchés nous auront lassés, nous ouvrirons la portière. C'était un charmant magicien, dirons-nous. Journaux du soir : « On a trouvé sur la voie le corps affreusement mutilé (et dépouillé) d'un de nos plus grands écrivains français... statue... classisme... l'art est toujours moral. Messieurs, prenez votre sujet de baccalauréat: du passé indéfini chez André Gide. » Pour nous, ayant changé de train, nous reviendrons vers les sentiers de la vertu (à moins qu'elle n'ait, elle aussi, changé de pôle, auquel cas de plus jeunes gens nous insulteront et traiteront de moraliste et d'académicien).

Le président se leva et dans un silence de fille à minuit dévêtue : — Au nom du peuple français, j'accuse André Gide de pornographie, d'immoralité, de plagiats de Wilde et d'être le directeur effectif de la N.R.F. Chœur de minces jeunes gens et de petites femmes littéraires : — Comme Socrate, comme Baudelaire, comme l'Autre de Bethléem. Le juge: — Je l'accuse et le condamne. Coupable, qu'avez-vous à dire ?

Mais André Gide était à Rome avec Valéry Larbaud. Hélas, soupira Alissa, qui dédaignait de se venger, car elle avait la reconnaissance des belles phrases. Gide fut condamné à vingt-cinq ans de bannissement des morceaux choisis de Cahen et du manuel de Doumic.

Messieurs les jurés, je prends sa défense. Je lui dois cet office, pour quelques heures admirables qu'il me fit vivre. J'avais alors une émouvante amie à qui j'enseignai son nom. Je le prie de se rappeler ce détail - si son œuvre avait été plus féconde en traits de ce genre, je ne serais pas obligé de me comporter avec lui comme je le fais aujourd'hui, je veux dire en le trahissant sous couleur de défense. Messieurs, l'homme que vous n'avez pas devant vous (car il s'échappera toujours) est un grand écrivain. Il a changé vingt fois d'habits. J'entends trois fois. Il a parlé comme la Bible, comme un homme spirituel et comme un vieillard (les Nourritures, Paludes, la Symphonie). Il l'a fait de telle sorte qu'il fut toujours André Gide. Pour sa forme, messieurs, pour des phrases telles qu'il n'en est pas de plus lyriques ni de plus pures, ne mérite-t-il pas notre admiration ? C'est un artiste prodigieux. Il use d'artifices si experts qu'il donne l'impression d'être naturel. Il eut plus que tout autre le goût des conflits moraux. Son œuvre est la perpétuelle tragi-comédie du combat de Marceline avec Ménalque. De l'esprit avec le corps. De l'indécision avec le besoin d'agir. Des fauteuils paresseux avec les cris des steamers. Des enfants trop jeunes avec les prescriptions du code civil, de la Bible et d'une honnête hérédité. Indécision qui devient anarchie. Anarchie élégante, qui prend le masque de la beauté. Au nom de la liberté, de l'art, et de cette curiosité dont Renan fait l'apanage des gens d'esprit, il part pour des aventures dont la délicate immoralité caresse agréablement l'épiderme. Parlons au coin d'un bois. Pour cette indécision, où je me reconnais, où nous nous reconnaissons ; Pour ce besoin incessant d'une règle morale, d'une doctrine (nous ne pouvons les supporter, mais souffrirons toujours de n'en point avoir) ; Pour son amoralité même, qui n'est pas cherchée, mais la voie où se dégage une ferveur ; Pour son anarchie enfin, . Messieurs, Condamnez André Gide. Maintenant... Maintenant si nous allions ailleurs.

RONDE DES DISCIPLES INGRATS.

Ce n'est pas (comprenez-moi bien) parce que vous nous encouragiez à agir — et que vous ne faisiez rien. Ce n'est pas parce que Lafcadio devenait criminel — tandis que vous corrigiez vos épreuves en Normandie. Pas non plus parce que vous ayant partout cherché, nous ne vous avons pas rencontré. Ni que vous n'eûtes jamais nulle tendresse pour Nathanael, qui vous aimait, et jamais ne fates qu'égoïsme et littérature. Ce n'est pas parce que Cocteau dit un jour que votre maison des Sycomores ne regarde pas en face. Parce que vous nous apparaissez trop artificiel et que vous avez menti une ou deux fois et une fois encore. Ce n'est pas parce que la chaude beauté de la vie, vous l'avez ignorée, parce que vous vous plates aux idées plus qu'aux sentiments, plus qu'aux idées, à leurs reflets.Mais, cher monsieur, vous fûtes André Gide, un être charmant. Nous vous aimons beaucoup. Mais sommes (du moins tentons-nous de le croire), moi Marcel Arland, un autre lui, lui un autre encore. Au revoir, monsieur.

M. A.

PHOTOGRAPHIES ANIMÉES

Clouet — ou Rembrandt — ou Whistler — accomplit le prodige des mille visages en un seul, synthèse dont le tremblement fait hésiter, au bord du cadre, les lèvres et les gestes prisonniers. L'album des photographies, où je grandis depuis l'âge de deux ans auprès du puits, du mur du collège, de Lucienne, du kiosque, d'un pot de fleurs — « Photo Midget» - je l'abandonnerais volontiers à qui cherche mon visage; car si chacune des images n'est en particulier moi-même, du moins toutes composent-elles génériquement le personnage actuel que je suis. Mais si l'on pouvait extraire du cerveau de mon ami et projeter sur un écran celles où depuis vingt ans je suis associé à tant de choses, l'objectif étant sa pensée, une heure de ce spectacle me ferait mieux connaître, avec sa lumière mouvante, que le pinceau et les couleurs.

Si l'on veut que le cinéma ne soit pas une pantomime stérile, il faut que le metteur en scène porte des lunettes déformantes ou en chausse ses personnages, et que ni l'un ni les autres ne regardent par-dessus.

Le souvenir doit porter l'indice actuel de celui qui l'évoque. Le « Souvenez-vous » est un duo.

Les personnages sont muets. Mais ils pensent. Objectiver leur pensée, c'est leur rendre la parole.

Donnez-nous des cadavres de mots, des associations baro- ques, des visages elfacés, des impressions paramnésiques. Nous accueillons les étrangers.

Jean Epstein, dans « Zénit », suppose à l'appareil de prises de vues un cerveau de métal dont le film serait la conscience inquiétante. Par extension, il dénie au gramophone actuel toute valeur propre parce que trop près de « Faust » et des sonneries de trompettes. Qui exprimera la qualité du disque ? Moins fait pour la musique — accident trop longtemps perpétué — que pour les bruits, les exprimera-t-il en les choisissant et les déformant selon l'argent et l'ébonite P Les luthiers trouvèrent à tâtons des rapports merveilleux entre le verni des violons et le cœur des hommes. Les peintres savent depuis longtemps que pétrir les couleurs d'huile ou de gouache est plus délicat que rechercher le contour de la lumière. Aujourd'hui les chimistes et les opticiens ont introduit la notion de quantité abandonnée depuis les expériences charmantes du « canon de la beauté humaine et de la section d'or » — et déjà selon les réactions et la courbure des lentilles, ils dosent la photogénie.

Parce que je ne me suis jamais regardé passer de ma fenêtre, je souhaite un personnage absent de l'écran. Comme moi il doit incliner la tête pour voir ses mains et son costume, et loucher pour voir le bout de son nez. Je le connais comme je me connais moi-même par les reflets que m'en donnent les miroirs et les glaces des devantures. Je m'identifie absolument à lui. De même que, lors de la projection d'une excursion tournée dans les Alpes, j'étais la locomotive entrant dans le tunnel, je suis celui qui continûment : fume la pipe, se promène, monte l'escalier, reçoit un coup de poing, roule à terre, se relève, suit la foule, se couche les yeux au plafond, s'endort, rêve, etc... Je suis assis dans le fauteuil 243. Voilà un moyen de changer de peau qui montrerait que le lyrisme (de lyre) n'est pas synonyme de chansons, mais de conscience psychologique. R. V.

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FRANCIS POULENC ET L'HUMOUR

L'humour est un rire figé. Or, nous sommes des Latins ; c'est pourquoi d'instinct nous préférons le bon gros rire méridional, jamais cruel. L'humour est un article expédié d'Angleterre, et maintenant nous voulons des choses françaises. Il nous faut une musique nationale. Nous ne bannissons pas la gaîté, au contraire. Nous essayons de retrouver la belle humeur d'un Rabelais par exemple. Erik Satie vous dirait cela mieux que quiconque. Nous avons notre farce musicale. Le Bœuf sur le toit en est une ; une autre les Mariés de la Tour Eiffel. Avec le règne de l'amour doit arriver celui du bonheur, de la gaîté, de la vie. On laisse les formules trop cérébrales pour en revenir à des expressions de vie exubérantes. Quant à moi, je prépare pour très prochainement un opéra bouffe qui sera au Cosi Fan Tutte de Mozart ce que Pelleas est à certaines œuvres de Rameau, Hippolyte et Aricie par exemple. Plus de rire figé. Un large rire curieux et indulgent. Max Jacob a raison. AMOUR, QUE VOTRE RÈGNE ARRIVE.

R. C.

LES REVUES

Les Écrits nouveaux.

Au sommaire d'octobre, nous lisons de Paul Morand, Aino, tendre stock finlandais, dont nos amies retiendront ces lignes : "On a bien de l'agrément... des Françaises à condition qu'on les sorte l'après-midi, qu'on les amuse le soir, qu'on les caresse la nuit et qu'on leur fiche la paix le matin. » Un style bref, incisif, harmonieux. Bowling : « Des boules roulaient avec un bruit d'orage, concassant des quilles. » A. Suarès fait de longues excuses à Nietzsche. André Gide disserte; il commente l'Iliade ; professeur de seconde A dans un collège protestant. P. Drieu La Rochelle exalte la beauté du corps développé par l'athlétisme. Nous nous dévêtirons un jour, ce n'est point pour me déplaire. Au sommaire de novembre, Nietzsche écoute toujours les propos de Suarès et Jean Cocteau donne un fragment du Discours du Grand Sommeil, d'une technique bien différente de celle du Cap de Bonne-Espérance, mais évocatrice et brève. Citons encore Etat Civil de P. Drieu La Rochelle.

Action.

Les gazettes y sont tenues par A. Salmon et G. Gabory : ces noms constituent un éloge. Octobre : D'un poème de Max Jacob : « Ennui sur le Taureau d'Europe », des strophes archaïques et simples :

« Lord Bolingbroke est en voyage « et perd sa mule, sa mule de satin... »

Action reproduit un tableau désolé de Kisling : trois enfants abandonnés. Novembre: D'agréables poèmes (en prose et en vers) de Pascal Pia et M. Raval. Les cahiers d'Action, toujours abondants, sont illustrés de nombreux hors-texte.

Les feuilles libres.

Le dernier fascicule, consacré en partie au Salon d'automne (texte de Raynal), est encore plus soigné que les précédents. A force de plaisirs est une poésie de J. Cocteau d'un rythme harmonieux et large. Une nouvelle : Le Nez de Cléopâtre, est de G. Gabory. Des fragments de R. Gomez de la Cerna:

« Un consommé d'hôtel est une eau qui se prend par superstition, comme les dévots l'eau bénite... C'est peut-être de l'eau bénite chaude... »

MEMENTO :

Les cahiers idéalistes, Ça ira, Zénit. H. C.

aventure rendra compte de tous les ouvrages qui lui seront adressés. aventure fera un service, à titre d'échange, à toutes publications.

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