MÉLUSINE

Le Nègre et la soucoupe enflammée

Le nègre – Petite éponge des astres je t’ai déjà vue dans un marais salant sous une pile de mouchoirs qui attendait les navigateurs à leur arrivée au port pour leur arracher leur dent d’or, leur seul souvenir des tropiques qui leur ont par ailleurs fait perdre l’usage du dernier orteil de leur pied gauche.

La soucoupe enflammée – Ce soir-là place de l’Opéra un jeune homme sortit du métro et alla regarder l’heure qu’il était à New York. A la devanture d’un journal américain il était 6 heures moins 22 minutes et le jeune homme portant sa main à son oreille droite la retira pleine de sang.

Le nègre – Sache que ce sang n’était pas le sien mais celui d’un browning de forte taille qui s’était égaré dans un désert de brioches et demandait à toutes les fourmis le chemin de Nijni-Novgorod en pleurant toutes les larmes de son corps qui se répandaient sur le sol et formaient un tapis d’orient qu’envieraient les boxeurs des deux mondes.

– Cela ne l’empêcha pas de traverser la rue Auber où des roues roulaient à qui mieux mieux, des roues d’appareils de précision qu’il est inutile de préciser, des roues de bicyclettes, des roues d’autobus, des grandes roues plus grandes que celle dont les morceaux tournent encore dans le cœur des petites filles violées.

– Le salut vient des Turcs disait le petit mendiant dont le nez était habité par un essaim d’abeilles qui récoltaient leur miel sur de grandes maisons de verre bleu où dormaient des serpents sonores comme un vase de cristal et hauts comme l’élan d’un chimpanzé qui part d’un arbre et atteint à la vieillesse sans avoir connu les dangers de la repopulation.

– C’est le grand problème que l’on pose à tous les carrefours, mais cela n’empêche pas les individus que nous aimons d’attacher avec de fines cordelettes de chanvre les ampoules électriques qui poussent entre les pavés pour les mettre en cage ou les laisser chanter à l’ombre de leur moustache.

– Mais un jour une dame jeune et blonde dont les dents venaient d’huîtres célèbres se leva de son siège en criant : « Ave Maria, laisse les doigts du curé ! » et se rassit comme si de rien n’était. Huit jours plus tard un palmier marin accourait de la salle de bains et criait : « Ave Maria, la baignoire est morte. »

– Ce jour-là il tombait des nuages de grands voiles gris qui servaient à envelopper les maladies épidémiques que l’on récoltait à grands frais dans les hôpitaux. On les envoyait dans les pays sauvages et là l’usage qu’on en faisait restait secret et ignoré du vulgaire.

– Une seule personne se demandait en descendant de son chapeau ce qui pourrait lui arriver si son chapeau descendait de lui. Vous devinez qui ?

– Évidemment mais ce n’est pas une raison pour accrocher votre inconscience à la patère de la léthargie.

– C’est comme le poker il faut jouer pendant trois heures au jeu de qui perd gagne pour y retrouver son latin d’église si j’ose dire. Encore que l’église que j’ai visitée l’été dernier au cours d’un voyage à dos de lézard n’était guère plus grande qu’une boîte de savons de toilette et faiblissait à vue d’oeil sur ses fondations, ce qui lui donnait un petit air de poitrinaire et la rendait tout à fait impropre par conséquent à contenir un latin, être malin et puant qu’on rencontre à l’heure du crépuscule dans les chemins creux où croissent les cartons bitumés préférés des évêques.

– Ne parlons pas des évêques s’il vous plaît ; leur visage d’arc-en-ciel s’accommode mal de leurs pieds plats qu’ils portent constamment chargés comme des revolvers et leurs chaussures ne sont pas non plus de ces coupoles ou de ces minarets qui font le pittoresque des pâtisseries du boulevard.

– Encore que les boulevards ne soient guère fréquentés de pâtisseries mais plutôt de ces revolvers dont vous parlez et dont la crosse (une charmante petite fille qui ne demande qu’à être violée) plantée là, dans des vespasiennes aussi tentantes qu’un parc royal exprès pour vous arrêter au passage, vous invite à l’amour.

– Vous souriez de toute votre braguette. Il y aura du GRABUGE, de la flotte délicieusement dans l’air. Le silence s’aperçoit soudain qu’il est trop tôt pour rester coi, le silence parle. Il a la parole.

– Il dit merde à tous les passants qui sont tout à coup si émus de ce cri sacrilège toujours menteur. Nom de Dieu Criminel qu’ils tendent leurs bras vers la petite borne kilométrique placée sur la tête de l’homme de cire qui garde l’entrée d’une maison charmante où vous attendent de délicieuses femmes aux seins de mimosas.

– N’insistez pas le quadriceps et le long péronier latéral de la femme qui vous regarde se détendent dans une coquille d’œuf, que dis-je c’est dans une lumière verte que jouent ses muscles, quand la lumière s’éteindra la femme viendra vers vous et vous demandera de l’embrasser sur la huitième vertèbre dorsale à moins qu’elle ne se dispose à se laisser tomber sur le sol.

– Alors ce sera le moment de jeter par-dessus bord tout le corps de roche qui encombre la cale de cette aubergine si amère qu’elle voyage d’un continent à l’autre sans rencontrer âme qui vive, que dis-je âme qui meure et finira par se pendre au coin d’une porte de sel et de dentelles sonores utiles à la confection des enfants en bas âge.

– Ne m’arrachez pas ces longs fils de soie qui traînent sur mes jambes cela me cause une douleur insupportable qui fait pleurer mes ongles et grincer mes cheveux. Laissons-là ces discours qui n’ont que trop de ressemblance avec la boue où marchent les cloportes et les maréchaux de France.

– Ainsi va la chance. Un de ces matins vous vous réveillerez dans la poche d’un maréchal de France qui voudra faire de vous son bâton et se fâchera tout rouge au point que ses os quitteront son corps pour aller habiter les Invalides ou quelque bastion des boulevards extérieurs quand vous lui direz que vous êtes amoureux d’une fleur d’érable.

– L’érable c’est le petit soir qui se mêle de mettre les bœufs avant la charrue laissez-le faire et bientôt vous trouverez le temps plus long qu’une corde à nœuds dans un gymnase allemand où tous les professeurs sont fous et où les élèves s’amusent à construire des systèmes de métaphysique avec du carton découpé.

– De quelle charrue voulez-vous parler ? De celle de cuir ou de celle plus commune qu’on trouve dans les maisons de mode de haut luxe ?

– Je parle des charrues à labourer l’air liquide, des charrues qui ruent, des charrues qui s’enfoncent dans le lait des nourrices et y creusent des sillons plus profonds que la trace d’un ongle sur une vitre de cristal.

– A la bonne heure voilà qui est parlé et je vous reconnais bien là homme simple et bon dont les ongles ne dépassent pas la longueur nécessaire pour lacérer convenablement le dos d’un enfant de 7 ans qui se demande ce qui peut arriver lorsque la pluie tombe sur une laitue morte au contact de la cendre des nuages.

– N’insistez pas je vois les nerfs de votre pensée se tordre. Irons-nous à Singapour voir les poissons voler ou nous mêler au sable qui tombe des feuilles enflammées lorsque les indigènes saluent le ventre de leurs ancêtres.

– Cela dépend de l’orage qui arrive à grands pas de pape élu par un concile de charcutiers un jour où la nuit se levait sur les étables à moutons que vous pouvez voir de loin en montant sur une perche ou sur un arbre mort de vieillesse parce que demain la vieillesse sera un art comme la couture, la pédicure et les cerceaux enflammés.

– Les cerceaux enflammés je ne les connais que par ouï-dire par vu dire mais le rouge se frotte les mains et un vol de corbeaux écrit dans les nuages que le soleil ne se lèvera plus demain. Le soleil se lèvera hier et l’année finira sans vous voir mourir.

– Qu’importe je peux mourir sans voir finir l’année. Ainsi les plus jeunes élèves des monuments aux morts meurent près d’eux sans voir finir les monuments. Ils vont voir, un de ces matins où l’air est semblable à une torche de résine, les femmes pleines de désirs obscènes faire l’amour avec des véhicules qui sont à l’ordinaire destinés au transport des arcs-en-ciel et se dévêtir sans craindre les reproches des sexes masculins.

– Les hommes sont sacramentels ; ils se baissent très bas pour rire et les rues s’accrochent aux boutons de leurs vêtements.

Cependant leur sexe est plus blanc qu’un couteau qui tranche un cheveu dans l’ombre et le soupir du cadavre se hisse en peinant et en geignant sur le parapet qui garde les gens sensés d’avoir le vertige. L’eau n’est pourtant pas si belle que les hommes aient envie de faire l’amour avec la rivière mais il faut bien se faire une raison.

– Allez ne riez pas la nuit approche à grand vol de moineaux. La nuit est ce soir une jeune chienne qui attend le retour d’une pluie d’avril et rit de sa chance : elle a en effet découvert ce matin un plumier plein d’écrevisses qui rient encore de la naïveté de la chienne laquelle les avait prises pour des héliotropes et s’était tournée vers leur tête croyant voir le soleil. En effet le soleil apparut entre les pattes des écrevisses : c’était une petite rose de forme longitudinale à peu près semblable à une braguette.

– On voit battre les veines de l’hélice qui ronfle dans ma tête et les chevaux sauvages qui sont les matelots de ce brick corsaire se pendent tous les jours aux cordages. Le capitaine était mon frère et il est mort d’avoir aimé la nuit, cette chienne pêcheuse d’écrevisses.

– Misère ! moi qui croyais que ce capitaine était tombé du haut d’un mât comme un fruit mûr et ne m’inquiétais pas autrement de son sort qui entre nous est bien mérité. A-t-on idée d’aller au pôle sud chercher une chienne habituée à dévorer des banquises et des marquises pour lui faire connaître les dangers de la navigation sur des mers peuplées d’horloges dangereuses à tous les points de vue !

– Machine avant, machine arrière, pompez les gars, la chienne a pissé dans la cale et le brick corsaire va couler si vous n’y mettez bon ordre. Déjà les vapeurs du couchant deviennent asphyxiantes, courage vous mourrez ce soir dans la contemplation de votre nombril.

– Bonne affaire, la nuit qui menaçait d’être amère sera douce aux poissons de mer qui attendent le brick comme les gobelets attendent les chairs des femmes impubères et impudiques qui se traînent d’une montagne à l’autre à la recherche du sexe des montagnes auquel elles ont voué leur virginité.