Poèmes inédits, 1920-1926
IMPORTÉ DU JAPON
Un papou qui fumait de l’opium chantait
Grogne sur le parquet un chrysanthème blanc
S’étirent des viandes saignantes
Dans une coupe bleu de roi
Dans la coupe bleu de roi le chrysanthème blanc
D’un coup sec on déchire une soie
Des taches rouges et de l’eau sur le parquet
Demain matin le chiffonnier
Avec les viandes à son chapeau
Causera de Nagasaki
Pleurera toute une soirée
Des gâteaux qu’il n’aura pas
Le chrysanthème blanc
Qui a sali les viandes de Nagasaki
Le vent perdit la fin de la chanson
Le papou était un chimpanzé
CHANSON DE LA GARDEUSE DE KANGUROOS
La dame est sur la tour
la tour est ivre comme un boeuf
un boeuf sanglant
qui mange des glands
en se levant
et crache du sang
en se couchant
La dame est sur la tour
La tour était si haute
la dame était si petite
qu’on s’y trompait
c’était la paie
Dans la saulaie
tous les navets
se dorlotaient
La dame était si petite
la tour était si grande
que les amandes
et les amantes
s’aimaient dans les soupentes
PORTRAIT DE SAINT-POL-ROUX
Le soleil s’éloignait des mitres et des casques
poussé par la colère des forêts
entraînant avec son ombre
les visages noircis par la suie de leurs rêves
Et tels des escaliers
leurs rêves simulaient leurs nuits et leurs jours
absurdes comme une épingle au sommet du Kilima N’diare
Seul sur la neige usée
un homme aux yeux de planète
levait ses bras chargés de lis
vers un ciel de marbre
d’où pleuvaient des yeux
si beaux que les revolvers crépitaient
Un vrai ciel de mariage
où la mariée nue comme la mer
attendait que l’homme jetât ses lis
pour remplacer l’écho
qui tremblait au son de sa voix
PORTRAIT DE MAX ERNST
Il avait les oreilles d’une huître
et ses cheveux dansaient dans la mousse
lorsque les rochers blancs s’évaporaient
au passage des mouches
Il avait les yeux bleus comme les olives
il avait les olives noires comme son ventre
et demandait aux cheminées le secret
de la fumée
qui court dans l’axe de ses yeux
comme la neige des spectres
lorsque les pierres s’habillent à la mode de leurs pères
dont les pieds s’allongent comme un rayon de soleil
le long des schistes
des bois tricolores
des tulipes nageant comme une raie dans l’avenue des pieds
gelés
des squelettes aux os de gramophone
des vitres blanches comme une escalope
des statues de radis
des cuivres morts
et surtout des filets d’eau douce coulant au fond des oreilles
de saints