Carl Einstein et le surréalisme

Carl Einstein et le surréalisme ‒ entre les fronts  et au-dessus de la mêlée
(Bataille, Breton, Joyce)

Par Klaus H. Kiefer

 

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1. Problèmes philologiques

Tout en espérant me faire comprendre dans votre belle langue, je me demande si mon compatriote expatrié et si difficilement rapatrié parlait mieux le français que moi puisqu’au fond de tous les problèmes que je vais discuter se trouve la langue, soit maternelle, soit étrangère, et en fin de compte la langue nous reste toujours « étrangère ». À ce propos, pensons aussi au langage de la littérature et de la peinture à peine traduisibles l’un dans l’autre comme Einstein dut finalement le reconnaître ; pensons encore au « langage des fleurs » – et des corps – que Georges Bataille étudia dans Documents dirigé par Carl Einstein[1]. La langue nationale marqua et marque encore la différence entre les civilisations européennes parmi lesquelles deux « clashs » fatals se sont produits du vivant de notre auteur. Pourtant, dans le contexte de l’avant-garde du XXe siècle, il y avait aussi d’autres chocs pas moins hostiles : par exemple, son « primitivisme » présuppose – pour citer Einstein – « le terrible choc de la colonisation » (all. BA 2, 401). Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Je cite encore Einstein : « L’Europe colonise et l’on colonise l’Europe. » (W 4, 286) Aujourd’hui on la terrorise…

Vu le dynamisme historique et la complexité des rapports, la recherche ne peut pas se contenter des partis pris d’une seule personne, p. ex. d’André Breton[2], pour fixer qui est surréaliste et qui ne l’est pas[3]. La liste est flottante et hétérogène, on le sait ; de surcroît il y a des « surréalistes » partiels et il y en avait de tous les temps. C’est toute une « histoire des oracles » pour reprendre le mot de Fontenelle. Au lieu d’interprètes trompeurs, c’est à nous de discuter, et en principe à l’infini, ce qu’est le « surréalisme »… Le problème méthodologique est le suivant : peut-on utiliser un terme créé par un particulier ou un groupe comme terme technique et global qui ne reste toujours qu’une synecdoque, une partie du tout « impossible ».

2. Contacts ‒ multiples et manqués

Après avoir fréquenté Paris dès 1905, Carl Einstein s’y installe définitivement en mai 1928. Compte tenu de cette date, on ne peut pas parler d’émigration, et c’est pourquoi les spécialistes de l’« Exilliteratur » ignorent très souvent Einstein, mais lui, comme Walter Benjamin et pas mal d’autres intellectuels et artistes allemands d’origine juive ou « dégénérés » souffrent déjà dans les années 20 d’attaques de la part des nazis qui préparent leur prise de pouvoir. À Paris, Einstein reprend ses multiples contacts et avec enthousiasme poursuit un projet qu’il précise en août 1928 dans une lettre au Dr Reber, industriel et collectionneur (dont il est le conseiller) : Documents ; à Ewald Wasmuth il dit : « ma revue »[4] ! Malheureusement la genèse, l’essor et la fin de cette revue légendaire ont été faussés, notamment par ses collaborateurs mêmes, Georges Bataille et Michel Leiris, et leurs adeptes crédules quoique Denis Hollier[5] apparemment se fût ravisé grâce aux recherches de Liliane Meffre[6] et les miennes. C’est à Carl Einstein que Georges Wildenstein avait confié la direction de la revue, et c’est aussi Carl Einstein qui la marqua de son empreinte esthétique et ethnologique, y compris son « ethnologie du blanc[7] ». Apparemment, les conflits avec les jeunes loups de l’équipe « Documents », tel Bataille, le firent battre en retraite, et c’est Wildenstein qui suspendit le financement face à la crise économique. Donc, contrairement à ce qu’insinua Leiris, Bataille ne « fit », ni ne « défit » Documents[8].

La question se pose trop vite : Documents était-elle une revue surréaliste[9] ? D’après mes réflexions préliminaires, ce n’est pas une question de oui ou de non. Sans aucun doute, son envergure était d’une part plus ample, plus académique, donc d’apparence moins « révolutionnaire » ; d’autre part, la dissidence « matérialiste » de Bataille se faisait remarquer de plus en plus, de sorte que Breton craignait de perdre le « copyright » du mouvement. Il s’agit donc d’une guerre sur trois fronts : Einstein versus Bataille, Bataille versus Breton et Breton versus Einstein. Un quatrième front s’ajoutera plus tard.

Pourtant, tout avait si bien commencé. C’est, au plus tard, à son arrivée à Paris que Carl Einstein expédia un exemplaire de sa Sculpture nègre rue Fontaine, dédiée : « A André Breton – confrère courageux et qui conduit bien loin ses amis[10]. » (ill. 1)

Carl Einstein
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Ill. 1 : Carl Einstein : Negerplastik, dédié à André Breton

Mais Breton ne daigna pas répondre à ce contact, quoiqu’il se soit procuré, on ne sait pas quand, l’Europa-Almanach, d’ailleurs bilingue[11], édité par Carl Einstein et Paul Westheim en 1925, lequel comptait parmi ses contributeurs neufs « surréalistes »,[12] surréalistes avant la lettre puisque la préparation de l’annuaire avait commencé bien plus tôt que la fondation « officielle » du mouvement qui coïncide au premier « Manifeste ».[13]

Nico Rost témoigne que Carl Einstein a connu les premiers numéros de la « Révolution surréaliste » qui apparaissent à partir de décembre 1924. On peut croire qu’il connaît aussi le premier Manifeste, publié un mois auparavant, quoique Einstein ne le « cite » que dans son « étude ethnologique » sur André Masson en 1929 (dans Documents) peut-être à l’occasion de la deuxième édition : « C’est avec une grande timidité que nous commençons d’apprécier l’imaginaire comme dominante. » (BA 3, 26) ce qui fait écho aux réflexions de Breton :

C’est par le plus grand hasard, en apparence, qu’a été récemment rendue à la lumière une partie du monde intellectuel, et à mon sens de beaucoup la plus importante, dont on affectait de ne plus se soucier. […] L’imagination est peut-être sur le point de reprendre ses droits. (OCBr 1, 316)

Pourquoi cette approche rarement s’y explicite chez Einstein ? Dans la fameuse lettre à Daniel-Henry Kahnweiler de juin 1923, où Einstein esquisse son esthétique « cubiste » (pour s’excuser d’une mauvaise manœuvre commerciale) il est toujours à la recherche d’« équivalents psychiques » (EKC, 48 = all. 139) afin d’ancrer l’art dans la vie sociale. L’idée de Breton d’une « interférence » (OCBr 1, 318) entre le rêve ou bien la folie et l’état de veille, fruit de sa découverte de Sigmund Freud, était apte à expliquer la production d’œuvres non imitatives et protéiformes chez Picasso, Braque et d’autres. « Répéter ou inventer ‒ il fallait se décider. » (K 3Me/St, 95 = all. K 1, 56) écrit Einstein dans  « L’Art du 20e siècle ». Ses affinités avec « la génération romantique » ‒ on le verra – vont se multiplier, mais aussi se différencier[14].

En ce qui concerne la proximité d’Einstein avec le surréalisme, j’ajoute une anecdote peu connue. En rentrant de Londres (probablement) via Paris, Einstein avait visité l’exposition de Joan Miró (qu’il connaissait bien) à la galerie Pierre en juin 1925. Citons une revue contemporaine : « Les deux salles de la galerie archipleines avaient débordé dans la rue. On buvait du champagne sur le trottoir. Tous les surréalistes étaient là […] »,[15] suivent les noms d’Aragon, de Breton, etc. Einstein nommé personnellement figure parmi les 500 visiteurs ; on ne sait pourtant pas si les surréalistes et Einstein se sont salués.

Einstein, qui, en 1926, avait la hardiesse de décréter ce que l’art du 20e siècle allait devenir dans le sillage du cubisme révolutionnaire, s’était enthousiasmé dès le début des années 20 pour un artiste à l’écart et que les surréalistes ne découvrirent comme un des leurs que trois ans plus tard : Paul Klee. Comment le partisan fervent du cubisme qu’était Einstein à l’époque pouvait-il estimer cet « enfant prodige » (« Märchenknabe ») ?[16] Or, c’est justement l’imagination créatrice chère à Breton qui fait dans la réflexion einsteinienne le chaînon manquant entre les antipodes Picasso et Klee[17], entre cubisme et surréalisme. Pourtant ni la monographie ni l’article sur Klee prévu pour Documents n’ont été réalisés, mais il est fascinant de voir comment, dans les trois éditions de L’Art du 20e siècle, les commentaires d’Einstein sur Picasso et Klee rivalisent pour aboutir à ce qui devrait être, d’après Einstein, l’esthétique « leader » des années-30. Pourtant, la datation a un sens fatal puisque le régime national-socialiste met en cause l’art moderne ; Goebbels avait beau se déclarer « expressionniste » dans son roman autobiographique Michael. Einstein, d’un jour à l’autre exilé, fait alors table rase de l’avant-garde tout entière, y compris le surréalisme bien sûr. Sa « Fabrication des fictions » est une furieuse polémique contre les artistes et intellectuels de l’avant-garde qui n’avaient pas su faire face au fascisme triomphant. Cette attaque équivaut à un véritable « suicide » puisque c’est bien lui, Einstein, qui avait « fait » l’art du 20e siècle, c’est-à-dire qu’il avait contribué de façon remarquable à son succès international.

Nonobstant, on reconnaît dans cette œuvre posthume et mal connue un fond commun avec les écrits « surréalistes » d’Einstein, en particulier son « Georges Braque » (ill. 2) qui paraît en 1934 en traduction française et avec la remarque critique « écrit en 1931-1932 ».

Carl Einstein
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Ill. 2 : Carl Einstein : Georges Braque, 1934

Donc l’auteur prend ses distances envers sa propre œuvre trop « idéaliste » et « subjective », et la « Fabrication des fictions » élaborée sans doute après 1933 et avant le départ d’Einstein pour l’Espagne au cours de l’été 1936 pour lutter contre le fascisme aux côtés des anarcho-syndicalistes (ill. 3), dans la fameuse colonne Durruti, apparaît comme une négation dialectique de l’avant-garde.

Carl Einstein
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Ill. 3 : Carl Einstein à Perpignan, 16 février 1939

Malheureusement il ne fut pas donné à l’auteur de former une synthèse, quoique l’idée de synthèse ne fût pas du tout dans le goût du critique, toujours « à la tête » des mouvements, comme l’écrivit plus tard son ami Benn[18]. Einstein, relâché du camp de Bassens en 1940 à l’approche des troupes allemandes et de la Gestapo, s’est suicidé peu après dans le Gave du Pau. Il se peut qu’il ait essayé de gagner la Côte d’Azur, encore en zone libre, soit pour rejoindre son beau-frère Gabriel Guévrékian, l’architecte du fameux jardin cubiste de la villa Noailles, qui s’était installé à Saint-Tropez, soit dans l’espoir de prendre le dernier bateau de Marseille pour les États-Unis.

3. Théorie ‒ textes ‒ images

Malgré ses efforts pour marquer l’art du 20e siècle de son empreinte, voire pour le « diriger » dans la bonne voie de Picasso ou bien de Klee, Einstein n’avait pas l’ambition de fonder une « école » quoiqu’il aimât à s’entourer dans son studio parisien d’artistes, d’intellectuels et de jeunes gens, tel Michel Leiris, qui parle de lui dans son Journal[19], et Georges Bataille, qui par contre n’en dit mot. Leiris, Kahnweiler, Masson, Klee et d’autres discutent et approuvent les idées d’Einstein[20]. Celui-ci partage avec André Breton la connaissance de la plus grande partie des peintres et sculpteurs d’avant-garde, dont je me contente de citer, parmi d’autres, Hans Arp, Juan Gris, Picasso, et Masson et Miró déjà nommés, auxquels il consacre de profondes études dans Documents. Pourtant, c’est une esthétique « surréaliste » intégrale qu’Einstein élabore dans son Georges Braque. Malgré ce titre, il ne s’agit pas du tout d’un « livre sur Braque », comme Einstein le confesse lui-même à Wasmuth en 1932 (all. DLA). Pourquoi ce titre trompeur qui empêcha qu’on prenne justement connaissance de ce livre, de surcroît mal traduit en français ? Certes, Braque était un ami intime d’Einstein, témoin de son mariage avec Lyda Guévrékian en 1932, mais peut-être les titres provisoires auxquels Einstein fait allusion dans ses lettres, « Réflexions » ou « Esthétique »,[21] apparaissent trop vagues pour l’éditeur dans la crise économique manifeste du début des années 30. (D’autres éditeurs français et anglais refusent carrément ses projets ; la version américaine de « Georges Braque » ne paraîtra pas à cause d’un éditeur frauduleux.)

En effet, on retrouve, dans Georges Braque, un problème de l’écriture einsteinienne depuis La Sculpture nègre : le manque de rapports concrets, analytiques, entre texte et image. Dans Georges Braque, l’artiste n’est qu’un exemple pour les idées einsteiniennes basées bien entendues sur une riche expérience esthétique. Autant on peut considérer La Sculpture nègre comme un manifeste cubiste, autant Georges Braque s’apparenterait à un manifeste surréaliste. Je ne doute pas qu’il soit pénible pour certains spécialistes du surréalisme de voir que la théorie de l’avant-garde contemporaine la plus élaborée ne se trouve pas chez Breton et ses amis, mais chez Carl Einstein, et surtout pas chez Walter Benjamin dont la contribution à l’interprétation du mouvement en question apparaît largement surestimée.

Pourtant Einstein ne parle du surréalisme, dans Georges Braque et ailleurs, que d’une façon assez méprisante : « Wort von verkrachtem Idealismus übersonnt » (BA 3, 324) ce qui a posé pas mal de problèmes aux traducteurs français. C’est Jean-Loup Korzilius que je cite : « “surréel” (terme ensoleillé par un idéalisme raté) » (GBKo, 86 ; cf. GBZi, 70). En accord avec Kahnweiler, Einstein blâme la « Kasernenorganisation » (EKC, 159 = fr. 75), la « discipline militaire » du groupe, et se moque encore en janvier 1939, dans une lettre expédiée d’Espagne, de ce qui serait bien « sur » ou bien « sous » la réalité (EKC, 107).[22] Constatons dans ce contexte que le sous-titre de la « Fabrication des fictions », rayé dans quelques-unes des copies conservées (ill. 4), est « Une défense du réel » (ill. 5), où le mot « réel » fait bien sûr allusion à « surréel ».

Carl Einstein
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Ill. 4 : Carl Einstein : Die Fabrikation der Fiktionen, 1933-36

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Ill. 5 : Carl Einstein : Die Fabrikation der Fiktionen, 1933-36

Là où il aurait fallu dire « surréalisme » à juste titre, Einstein remplace fréquemment le mot par un terme forgé par lui : « génération romantique », et il conçoit même un « intervalle romantique » dans les tendances politiques du temps. « Georges Braque » se conclut sur un credo surréaliste par excellence : « Le mythe a été réintégré dans le réel, et la poésie devient l’élément originel de la réalité. » (GBKo, 164).[23]

Le réveil a dû être terrible si on lit ce passage et pas mal d’autres à la lumière des événements de 1933 et suivants. Je cite un autre passage du dernier chapitre de Georges Braque qui apparaît comme un « mauvais message » (titre de l’unique drame d’Einstein de 1921) :

L’accentuation romantique de l’irrationnel implique une régression vers un état primitif et même, si l’on veut, vers un état de barbarie. Enfin nous ne nous contentons plus de sublimes déductions et d’une superstructure cultivée à l’excès qui exclut les forces fondamentales de l’homme et des événements. Un besoin de destin et d’obsession nous porte à nouveau. (GBKo, 164)

De ce point de vue, les aberrations d’un Benn ou d’un Heidegger face aux national-socialistes semblent moins surprenantes. Le « nous » d’Einstein est fatal, mais c’est tout de même avant 1933 qu’il prit ses distances envers le biologisme (« medizinerei »)[24] de son ami berlinois tout en considérant en même temps la publication récente du philosophe, « Vom Wesen des Grundes »[25], comme un jeu de mots vide de sens. Mais a-t-il vraiment évité le piège idéologique avec ses appels aux intellectuels et artistes pour qu’ils se soumettent aux « contraintes » politiques ‒ trop vaguement définies comme « mythiques » ou « totalitaires » ? Là aussi, la « Fabrication des fictions » est plutôt une poursuite de Georges Braque qu’une rupture bien intentionnée[26]. La tentative de faire valoir le fascisme grandiose et « latin » contre l’hitlérisme stupide et « nordique » à l’occasion de l’exposition parisienne de l’art italien en 1935 ‒ un an après le fameux discours de bienvenue de Benn sur « son excellence » Marinetti (SW 4, 117ff.) ‒ révèle tout le dilemme d’Einstein.[27] Il ne lui resta qu’à partir pour la lutte armée antifasciste en Espagne ‒ et, je le cite, ‒ « sans dire un mot » (EKC, 106). À nous de discuter pour savoir à quel point le « mythe collectif » (OCBr 2, 439), soit romantique soit communiste, propagé par Breton encore en 1935, est impliqué dans cet horizon sinistre. Ne pourrait-on pas soupçonner les dictatures européennes, y compris l’Union soviétique, d’avoir fait à leur façon ce dont les surréalistes et Einstein ne faisaient que rêver ? Le mythe n’était pas libérateur ‒ « le mythe mentit » (« die Mythe log », SW 1, 205), ainsi « parlait » Benn en 1943, et souvenons-nous de Fontenelle…

À côté de « mythe », il y a une bonne douzaine d’autres mots-clefs du surréalisme comme, par exemple le fameux « automatisme psychique » que Carl Einstein s’approprie. Ces mots eux aussi sont le plus souvent traduits par Einstein en allemand et intégrés dans son propre discours qui pourtant évolue dans un autre sens que celui des surréalistes, c’est-à-dire vers une histoire culturelle intégrale, en laissant la polémique de côté : l’agresseur se place au-dessus de la mêlée. Par ce transfert, les mots-clefs du mouvement surréaliste obtiennent une dimension plus vaste, universelle[28].  « L’art du 20e siècle [donc pas seulement le surréalisme] a été dominé par l’automatisme passif. » (FF, 140) De façon analogue, la découverte assez dilettante de l’art nègre en 1915 avait entraîné la revalorisation de tous les arts primitifs, c’est-à-dire une rupture avec le canon classique. Ce renversement se reflète dans la collection du Dr Reber où des Picasso voisinent avec des œuvres d’art des Cyclades : « Reber considère l’art moderne sub specie aeternitatis. » (BA 3, 122) C’était là, déjà, toute la gamme thématique de Documents.

Des milliers de notes, de brouillons, d’exposés, tant en allemand qu’en français, se trouvent dans le fonds dit « Parisien » d’Einstein, caché chez Braque pendant l’Occupation. Ni le « Manuel de l’art », avec un « Dictionnaire des terminologies techniques », ni l’« Histoire de l’art » ni le « Traité de la Vision » n’ont été réalisés. Il va de soi que Carl Einstein, disparu à l’âge de 55 ans, avait encore beaucoup à dire. ‒ Revenons à l’exemple révélateur du discours surréaliste, celui de l’automatisme psychique (OCBr 1, 328) pour mettre en relief la définition einsteinienne. Il est d’accord pour élever l’automatisme « au rang de moyen essentiel [mais pas absolu !] de la recherche et de l’invention » (K 3Me/St, 199 = all. K 3, 124) et, comme Breton, il juge risqué, voire masochiste, ce que Baudelaire évoque déjà dans « Les Fleurs du mal » : « Plonger au fond du gouffre […] pour trouver du nouveau » (OCBau 1, 134). Pour Einstein, l’artiste parcourt nolens volens ce « drame de la métamorphose » (BA 3, 223) et revient à la « surface » du conscient, pour ainsi dire, grâce à la censure tectonique ; il crée une « Gestalt » et par cela peut communiquer avec le public. Einstein réuni dans le terme « censure tectonique » l’influence de son ancien professeur d’art Heinrich Wölfflin et de Sigmund Freud, ce « vieux romantique » (BA 3, 643), à qui il reproche pourtant son attitude négative (BA 3, 382) non seulement envers l’inconscient plein de refoulements, donc de malheurs, mais aussi envers la censure elle-même qui installe ou réinstalle le règne de la logique conventionnelle dans un dynamisme innovateur[29].

Passons de la théorie de l’art à la pratique littéraire d’Einstein par un terme non plus créé par lui, mais défini à sa façon : celui de « psychogramme » (en français et en allemand) ; synonyme d’« écriture spontanée » (BA 3, 27), donc tout près de l’automatisme psychique. Breton ne limitait pas, il est vrai, cette fonction mentale à un art particulier (OCBr 1, 328) ; chez Einstein pourtant le composant « gramme » qui veut dire « graphique » voire « littéral » se fait remarquer puisque l’écriture se sert d’une part de signes arbitraires,[30] qu’elle utilise, d’autre part, pour contrôler l’afflux des hallucinations. Le pschogramme donc décrit une dialectique entre « informe » et « tectonique », entre « dionysiaque » et « apollinien » pour reprendre la fameuse opposition de Nietzsche. D’emblée Einstein déclare Braque « poète ».[31] Par contre il polémique contre les poètes proprement dits qui « boitent […] lamentablement à la remorque de la peinture » (EKC, 48 = allm. 139). Dans sa lettre à Kahnweiler de 1923, déjà citée, Einstein lui-même se déclare confirmé par les cubistes dans l’écriture de « Bebuquin » qui naît en même temps que les « Demoiselles d’Avignon ».[32]

Alors deux questions se posent : (a1) Faut-il parler dans son cas de textes cubistes ou de textes surréalistes ? et (b1) quel est le style littéraire d’Einstein lui-même ? Bien entendu ces deux questions sont mal posées. Il vaut mieux les transformer et les restreindre. Laissons tout d’abord de côté la littérature « cubiste » qui entraînerait des réflexions sans fin, pour aboutir à la question (a2) convenable : qu’est-ce qu’Einstein reproche exactement aux poètes et écrivains surréalistes ? Et (b2) y-a-t-il des auteurs à qui on pourrait associer Einstein, à qui ressemble-t-il ? On pourrait ajouter deux questions supplémentaires : Quels sont les confrères qu’il estime ? Dans quel milieu est-il estimé lui-même ? Pour être bref, je me limite aux environs de 1930 puisque l’admiration du jeune Einstein pour la littérature française et surtout pour André Gide est trop vaste. Tout d’abord, il faut tenir compte de ce que j’ai nommé « visuelle Wende » à l’occasion du colloque Carl Einstein à Munich 2001.[33] Cet « iconic turn » du jeune critique littéraire qu’était Einstein en critique d’art s’explique grâce à l’essor de la peinture cubiste qui a pris la tête de l’avant-garde. Certes Einstein doit reconnaître que le matériau de l’art plastique est plus « flexible », plus « prompt » à l’innovation ; pourtant il reproche aux poètes et écrivains – je reviens à la question (a2) – de trop respecter la grammaire, d’être esclave du langage qui impose ses structures, sa masse héréditaire, son pouvoir mortifiant. (« Lingua » est un leitmotiv de « BEB II ».[34]) On se rappelle combien Breton a respecté la syntaxe pendant toute sa vie : « […] je me défie à l’extrême de tout ce qui, sous couleur d’émancipation du langage, prescrit la rupture avec la syntaxe. »[35] Le seul poète surréaliste qu’Einstein nomme dans L’Art du 20e siècle c’est Benjamin Péret dont il apprécie Le Grand Jeu comme « l’entreprise la plus audacieuse » (K 3Me/St, 202 = all. K 3, 126) du groupe.[36]

Or, la déviance grammaticale est un mauvais critère pour juger de la valeur d’une œuvre littéraire. L’agrammaticalité, en particulier en ce qui concerne les « erreurs » de syntaxe, n’est pas la même dans toutes les langues. Sans doute la tolérance du français à ce sujet est plutôt faible comparée aux langues germaniques. De toute façon, il y a un auteur à l’écart du surréalisme français qu’Einstein apprécie sans réserve, ce qui est rare ; c’est James Joyce. En effet, la seule suite fragmentaire du Bebuquin publiée du vivant de l’auteur et dont L. Meffre n’ose  même pas traduire le titre provocateur « Schweißfuß klagt gegen Pfurz in trüber Nacht » (ce qui donne approximativement : « Pied infect se plaint de Pet dans la nuit sombre »)[37] ressemble à Ulysses ou même à Finnegans Wake en particulier par l’usage du monologue intérieur, des allusions mythiques, des jeux de mots, etc.[38] On ne peut pas parler d’influence puisque Einstein ignorait l’anglais, et Finnegans Wake était encore un « work in progress »,[39] mais le texte parut dans plusieurs livraisons de la revue transition éditée par Eugène Jolas, ami d’Einstein et grand admirateur de Joyce[40]. Vu l’enthousiasme du trilingue Jolas pour l’écriture expérimentale de Finnegans[41], il est inimaginable que les deux confrères n’aient pas discuté exhaustivement de la prose joycienne lors de leurs rendez-vous à Paris ou à Colombey-les-deux-Eglises où Jolas habitait. Jolas n’adore pas seulement le romantisme allemand, mais aussi les expériences linguistiques depuis la « Wortkunst » expressionniste et Dada. Il écrit lui-même des textes qu’on pourrait qualifier de surréalistes, des « paramyths » pleins de néologismes souvent multilingues et de transformations grammaticales et il traduit Bebuquin (chapitre VI),[42] « Design of a Landscape »[43] et d’autres textes d’Einstein pour transition.

À partir de 1927 les surréalistes lui accordent la traduction de bon nombre de leurs ouvrages de sorte que « transition » – je cite Jolas – « became mistakenly known as the American Surrealist review ».[44] Par contre, les rapports entre Joyce et les surréalistes étaient nuls, voire hostiles.[45] Donc il y a un quatrième front ouvert par James Joyce contre le surréalisme tout entier. Jolas en tant que reporter et éditeur est nécessairement plus généreux : « I was a friend of some of the Surrealist poets and artists, but I never was an official adherent of their principles. »[46] Il crut pouvoir distinguer son « romantisme blanc » « vertigraliste » du « romantisme noir » de Breton et des siens. ‒ Einstein, lui, restait pour Jolas toujours un « Expressionist writer ».[47] Pour désigner le style einsteinien, c’est un compromis au moins discutable. Bien qu’Einstein ait pris ses distances envers ses confrères expressionnistes – « braillards lyriques » (« lyrische Schreihälse » (BEB II, 35) – on ne peut pas négliger cet héritage. J’aimerais pourtant caractériser le « poème long »[48] d’Einstein « Entwurf  einer Landschaft » (ill. 6, « Esquisse d’un paysage ») publié par Kahnweiler en allemand en 1930 avec un mot que l’auteur attribue à Benn dans sa critique bienveillante faite deux ans plus tôt : « égoïsme hallucinatoire » (all. BA 2, 504).

 

Carl Einstein
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Carl Einstein
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Ill. 6

 

Ill. 7 : Gaston-Louis Roux : C E joue au football avec sa tête

 

 

Est-ce du surréalisme ou pas ? (ill. 7)[49] Mais il faut rapprocher la prose einsteinienne davantage du côté de chez Joyce. Là où il déforme et fragmente, on pourrait parler de « cubisme » – Kahnweiler[50] le fait –, mais la barrière du genre plastique est même plus haute que celle du langage.

Quand la crise économique et le Troisième Reich fermaient toutes les portes à l’exilé, Einstein dut se résigner ; il note le 18 février 1933 : « […] jamais je ne serai chez moi dans la poésie française ; car je rêve et raisonne en allemand. » (all. CEA) La langue maternelle lui manque « comme du pain ».[51] Einstein ne s’est jamais déclaré surréaliste, et certainement il n’avait pas non plus l’ambition de Dalì d’être « le surréaliste le plus surréaliste »,[52] mais en tant que critique et théoricien de l’art il a aussi bien assimilé, puis transcendé le cubisme que le surréalisme, de sorte qu’on pourrait bien l’ériger « sit venia verbo » en « sur-surréaliste »… B. J. Kospoth affirme : « People who are mystified by some modern books and pictures, such as James Joyce’s ‘Work in Progress’ and Georges Braque’s [surrealist] paintings, are advised to study Carl Einstein’s philosophy of art. »[53] « Georges Braque » et les travaux inachevés des années 30, et même la « Fabrication des fictions » autocritique, élèvent les provocations innovatrices du mouvement surréaliste au niveau d’une esthétique générale, basée sur l’ethnologie. Donc Einstein n’était ni surréaliste ni rebelle ou dissident du surréalisme au sens étroit ‒ ce qui présupposerait d’ailleurs une « orthodoxie » ‒, il était tout simplement « à la tête » de l’avant-garde intellectuelle et artistique du 20e siècle pour reprendre le mot de Gottfried Benn.

Ludwig-Maximilians-Universität München

Abréviations et sigles

all. = allemand

BA 1, 2, 3 = Carl Einstein : Werke. Berliner Ausgabe, 3 vols., éd. par Hermann Haarmann et Klaus Siebenhaar, Berlin : Fannei et Walz 1994-1996

BEB II = Notes du projet d’une suite de « Bebuquin », CEA

CEA = Carl Einstein-Archiv, Akademie der Künste, Berlin

CW = Eugene Jolas : Critical Writings, 1924-1951, éd. par Klaus H. Kiefer et Rainer Rumold, Chicago/Ill. : Northwestern University Press 2009

DLA = Deutsches Literaturarchiv, Marbach/N.

EKC = Carl Einstein ‒ Daniel-Henry Kahnweiler. Correspondance 1921-1939, trad. et éd. par Liliane Meffre, Marseille : Dimanche 1993

FF = Carl Einstein : Die Fabrikation der Fiktionen, Gesammelte Werke in Einzelausgaben, vol. 4, éd. par Sibylle Penkert, Reinbek/H : Rowohlt 1973

FJD = Fonds Jacques Doucet, Paris

fr.= français

GBKo = Carl Einstein : Georges Braque, éd. par Liliane Meffre et trad. par Jean-Loup Korzilius, Bruxelles : La Part de l’Œil 2003

GBZi = Carl Einstein : Georges Braque, trad. par M. E. Zipruth, Paris : Chroniques du jour, London : A. Zwemmer, New York : E. Weyhe 1934 (XXe siècle)

K 1, 2, 3 = Carl Einstein : Die Kunst des 20. Jahrhunderts, Propyläen Kunstgeschichte, vol. 16, Berlin : Ullstein 1926, 21928, 31931 (les rééditions revues et augmentées)

K 3Me/St = Carl Einstein : L’Art du XXe siècle [1931], trad. par Liliane Meffre et Maryse Staiber, s. l. : Chambon 2011 (Actes Sud)

OCBa = Georges Bataille : Œuvres complètes, 11 vols., Paris : Gallimard 1970-1988

OCBau = Charles Baudelaire : Œuvres complètes, 2 vols., éd. par Claude Pichois, Paris : Gallimard 1975-1976 (Bibliothèque de la Pléiade)

OCBr = André Breton : Œuvres complètes, 4 vols., éd. par Marguerite Bonnet et al., Paris : Gallimard 1988-2008 (Bibliothèque de la Pléiade)

OPC = Louis Aragon : Œuvres poétiques complètes, 2 vols., éd. par Olivier Barbarant et al., Paris : Gallimard 2007 (Bibliothèque de la Pléiade)

SW = Gottfried Benn : Sämtliche Werke. Stuttgarter Ausgabe, éd. par Gerhard Schuster, Stuttgart : Klett-Cotta 1986-2003

W 4 = Carl Einstein : Werke, vol. 4 : Texte aus dem Nachlaß I, éd. par Hermann Haarmann et Klaus Siebenhaar, Berlin et Wien : Fannei et Walz 1992

Illustrations

Ill. 1 = Carl Einstein : Negerplastik. Mit 116 Abbildungen, München : Kurt Wolff 1920 (2e éd.), dédicace, in : http://www.andrebreton.fr/work/56600100586090

Ill. 2 = Carl Einstein : Georges Braque, trad. par M. E. Zipruth, Paris : Chroniques du jour, London : A. Zwemmer, New York : E. Weyhe 1934 (XXe siècle)

Ill. 3 = Carl Einstein à la terrasse du Palmarium à Perpignan (en rentrant d’Espagne), in : Match. L’Hebdomadaire de l’actualité mondiale, n°33 (16 février 1939), p. 34

Ill. 4 = Carl Einstein-Archiv, Berlin, n°167, p. 1

Ill. 5 = Carl Einstein-Archiv, Berlin, n°131, p. 1

Ill. 6 = Carl Einstein : Entwurf einer Landschaft. Illustré de lithographies par Gaston-Louis Roux, Paris : Éditions de la Galerie Simon 1930

Ill. 7 = Gaston-Louis Roux : Illustration 1 ; association/sous-titre de Carl Einstein : « C E joue football avec sa tête » (Galerie Louise Leiris, Paris)


[1] Cf. Kiefer : Carl Einsteins « Surrealismus » ‒ « Wort von verkrachtem Idealismus übersonnt », Surrealismus in Deutschland (?), conférence internationale, sous la direction d’Isabel Fischer et Karina Schuller, Münster: Kunstmuseum Pablo Picasso, 3-5 mars 2014, in : Wissenschaftliche Schriften der Westfälischen Wilhelms-Universität Münster, série 12 : Philologie (sous presse).

[2] Dans la discussion de ma communication Henri Béhar affirma à juste titre que la réduction du « surréalisme » à la position d’André Breton est douteuse ; pourtant l’ignorance de Carl Einstein de la part de Breton semble intentionnelle et personnelle, surtout si on tient compte du « refus africain »(Vincent Bounoure, cité Jean-Claude Blachère : Les totems d’André Breton. Surréalisme et primitivisme littéraire, Paris : L’Harmattan 1996, p. 34) de celui-ci inexplicable jusqu’à présent, mais l’art nègre ‒ c’était « Carl Einstein ».

[3] En juin 1920 Aragon, Breton, Eluard, Fraenkel, Paulhan, Soupault et Péret distribuent des notes de ‒20 à +20 pour juger des « plus grands écrivains » du monde. Parmi les 200 noms se trouve aussi un certain « Einstein » qui obtient tout de même 10 points de la part d’Aragon et de Breton. Bien qu’après Jean Paul, le nom d’Einstein clôt une série scientifique ; donc il s’agit très vraisemblablement d’Albert Einstein (cf.   http://www.andrebreton.fr/fr/item/?GCOI=56600100363020). De même dans d’autres contributions au site il s’agit du physicien, à l’exception bien sûr de « Negerplastik » et « Europa-Almanach ». Je ne crois pas que dans le manuscrit « Rêve » Breton parle d’« un livre » de Carl Einstein ; « Einstein », c’est toujours Albert (cf. http://www.andrebreton.fr/person/12007 et OCBr 1, 616, OCBr 3, 972, OCBr 4, 529).

[4] Pour les sources, v. Kiefer : Die Ethnologisierung des kunstkritischen Diskurses – Carl Einsteins Beitrag zu « Documents », in : Elan vital oder Das Auge des Eros. Kandinsky, Klee, Arp, Miró und Calder, éd. par Hubertus Gaßner, München et Bern : Benteli 1994, pp. 90-103; c’est moi (KHK) qui souligne.

[5] Cf. Denis Hollier : The Question of Lay Ethnography. The Entropogical Wild Card, in : Undercover Surrealism. Georges Bataille and Documents, catalogue Hayward Gallery, London, éd. par Dawn Ades et Simon Baker, Cambridge/Mass : The MIT Press 2006, pp. 58-64.

[6] Cf. Liliane Meffre : Carl Einstein 1885-1940. Itinéraires d’une pensée moderne, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne 2002, pp. 229 sqq.

[7] B. J. Kospoth : « A New Philosophy of Art », in : Chicago Sunday Tribune. European Edition, n° 4932 (18 janvier 1931), p. 5 ; le terme se trouve aussi dans le fonds Carl Einstein (CEA).

[8] Cf. Michel Leiris : De Bataille l’impossible à l’impossible Documents, in : Critique, année 15, vol. 19 (1963), n° 195/196 : Hommages à Georges Bataille, pp. 677-832, p. 693.

[9] Cf. le catalogue Dada et Surrealism Reviewed, éd. par Dawn Ades, Arts Council of Great Britain 1978, pp. 229-250 qui l’affirme, mais qui met l’accent sur Bataille et Leiris.

[10] http://www.andrebreton.fr/work/56600100586090.

[11] Cf. http://www.andrebreton.fr/work/56600100473831.

[12] Jacques Baron, Jean Cocteau, Joseph Delteil (dont l’extrait de « La mort de Jeanne d’Arc », devrait déplaire particulièrement à Breton), Yvan et Claire Goll, Max Morise, Benjamin Péret, Philippe Soupault, Roger Vi[l]trac ‒ tous, bien entendu, des surréalistes de couleur différente. Einstein était nécessairement en contact postal avec tous ces confrères ‒ et avec des centaines d’autres. Comme je prépare une édition de la correspondance d’Einstein, je serai infiniment content qu’on me signale quelques lettres inconnues. Jusqu’à présent je ne connais des auteurs nommés ci-dessus qu’une lettre non datée (1925/26 ?) de Cocteau à Einstein dont Sotheby’s publie un extrait en 2013.

[13] Cf. l’appel à communication à Tristan Tzara du 30 juillet 1924 (FJD).

[14] C’est par l’intermédiaire de Paul Klee (K 1, 142 sq.) que la connotation péjorative de « romantisch » disparaît de son discours et devient synonyme de « surréaliste » (BEB II, 39 : « die SURR die sich immer mit sich selber, ihrem occulten leben befassen. also romantiker » [= les surréalistes qui s’occupent toujours avec eux-mêmes, avec leur vie occulte. Donc des romantiques]) pour désigner finalement l’attribut de la modernité : « Diese Modernen waren Romantiker. » (FF, 147 = Ces modernes étaient des romantiques.)

[15] La Boîte à couleurs, citée in : Joan Miró, Ceci est la couleur de mes rêves. Entretiens avec Georges Raillard, Paris, Seuil 1977, p. 197. C’est Osamu Okuda (Berne) qui m’a donné cette information.

[16] Einstein a Tony Simon-Wolfskehl, 1923 (CEA, 399).

[17] Cf. Christine Hopfengart : « Der Maler von heute » ‒ Paul Klee im Dialog mit Pablo Picasso, in : Klee trifft Picasso, éd. par Zentrum Paul Klee Bern, Ostfildern, Hatje Cantz 2010, pp. 32-63.

[18] Cf. Kiefer : Primitivismus und Avantgarde ‒ Carl Einstein und Gottfried Benn, in : Colloquium Helveticum, vol. 44 (2015) : Primitivismus intermedial, pp. 131-168.

[19] Cf. Michel Leiris : Journal 1922-1989, éd. par Jean Jamin, Paris : Gallimard 1992, pp. 137, 140, 164 ; p.ex. le 15 septembre 1929 (p. 202) : « Dîné hier chez Carl Einstein avec Zette [Louise Leiris] et les Bataille. »

[20] Cf. Kahnweiler à Masson, 7 novembre 1939 et la réponse de Masson le lendemain, in : André Masson : Le rebelle du surréalisme. Écrits, éd. par Françoise Will-Levaillant, Paris : Hermann 1976 (Coll. Savoir), p. 261 sq. ; cf. aussi Kiefer : Einstein in Amerika – Lebensbeziehungen und Theorietransfer, in: Carl-Einstein-Kolloquium 1994, éd. par id., Frankfurt/M. et al. : Peter Lang 1996 (Bayreuther Beiträge zur Literaturwissenschaft, vol. 16), pp. 173-184.

[21] Einstein à Sophia Kindsthaler, 1930 : « meine Aesthetik », et à Ewald Wasmuth, 15 février 1932 : « Réflexions » (fr. ! ), les deux DLA.

[22] Ce calembour n’a rien de commun avec la critique de Bataille quant au sentiment de supériorité bretonnien ; cf. OCBa 2, 93-109 : La « vielle taupe » et le préfixe « sur » dans les mots « surhomme » et « surréaliste ».

[23] Déjà en 1925 Louis Aragon était plus sceptique en ce qui concerne les « illusions collectives » du surréalisme et il se demande comment celui-ci pourrait induire « un peuple entier à croire à des miracles, à des victoires militaires » (OPC 1, 89 et 90), etc. Pourtant la « mythologie moderne » qu’Aragon élabore dans son « Paysan de Paris » n’est ni primitive au sens d’Einstein ni du tout moderne. Les endroits et objets qu’il décrit appartiennent le plus souvent à l’univers du 19e siècle qui touche à sa fin. Pour comparaison, les mythèmes de « Berlin Alexanderplatz » d’Alfred Döblin sont tout à fait ancrés dans la modernité. Rien d’étonnant qu’Einstein estime Döblin beaucoup, mais lui préfère finalement Joyce.

[24] Einstein à Ewald Wasmuth, 24 septembre 1932 (DLA).

[25] Martin Heidegger : Vom Wesen des Grundes, in : Festschrift Edmund Husserl zum 70. Geburtstag gewidmet, Halle a.d.S. : Niemeyer 1929, pp. 72-110. Vu la « profondeur » sans fond du titre je ne traduis pas celui-ci.

[26] Certes, la « Fabrication des fictions » « moralise » l’avant-garde (cf. Matthias Berning : Carl Einstein und das neue Sehen. Entwurf einer Erkenntnistheorie und politischen Moral in Carl Einsteins Werk, Würzburg : Königshausen & Neumann 2011 [Epistemata, vol. 734], p. 254), mais n’échappe pas aux ambivalences idéologiques.

[27] Article non publié (CEA).

[28] Karlheinz Barck (Motifs d’une polémique en palimpseste contre le surréalisme : Carl Einstein, in : Mélusine, n° 7 [1985], pp. 183-204) ne découvre pas cette dialectique ; cf. Maria Stavrinaki : Le « Manuel de l’art » : vers une histoire « tectonique » de l’art, in : Les Cahiers du Musée national d’art moderne, n° 117 (2011), pp. 17-24 qui confirme mon hypothèse.

[29] Néanmoins le 8 mars 1930 Einstein demande à Freud (qui possédait « Negerplastik ») « quelques lignes » sur Picasso pour « Documents » du fait que les travaux de Freud avaient exercé « une influence immense sur la jeunesse intellectuelle ». (Grand merci à German Neundorfer qui m’a fait connaître cette lettre du Freud Museum London.) La réponse de Freud est inconnue.

[30] Depuis ce 1930 Einstein s’intéresse à la sémiotique puisque ses réflexions sur le signe ou les signes se multiplient ; cf. Kiefer : Bebuquins Kindheit und Jugend ‒ Carl Einsteins regressive Utopie, in : Historiographie der Moderne ‒ Carl Einstein, Paul Klee, Robert Walser und die wechselseitige Erhellung der Künste, éd. par Michael Baumgartner, Andreas Michel, Reto Sorg, Paderborn : Fink 2016 (sous presse).

[31] « Braque le poète » (BA 3, 246-250) a été traduit de l’allemand par Bertrand Badiou et Jean-Claude Rambach, in : Avant-guerre sur l’art, etc., n° 2 (1981), pp. 9-14. En ce qui concerne la « poétisation » de la peinture cf. Kiefer : Diskurswandel im Werk Carl Einsteins, p. 452.

[32] Comme beaucoup d’autres qui ne faisaient pas part de la « bande à Picasso » Einstein n’a vu les « Demoiselles » que beaucoup plus tard ; cf. Kiefer : « Mit dem Gürtel, mit dem Schleier… » – Semiotik der Enthüllung bei Schiller, Fontane und Picasso, in : id. : Die Lust der Interpretation – Praxisbeispiele von der Antike bis zur Gegenwart, Baltmannsweiler : Schneider Hohengehren 2011, pp. 127-145, p. 136 sqq.

[33] Kiefer (éd.) : Die visuelle Wende der Moderne. Carl Einsteins « Kunst des 20. Jahrhunderts », Paderborn : Fink 2003.

[34] Cf. https://archiv.adk.de, Einstein 4 sqq.

[35] Breton, cité in : Actes du Xe congrès international de linguistique et philologie romanes du 23 au 28 avril Strasbourg 1962, éd. par Georges Straka, Paris : Klincksiek 1965, vol. 2, p. 444. Par contre Aragon (Traité du style, Paris : Gallimard 1980 [L’Imaginaire], pp. 27-30) prétend 1928 « piétiner » la syntaxe.

[36] C’est en effet un des rares exemples où Einstein parle expressis verbis de « surréalisme » dans un texte publié ; l’hypothèse négative de Liliane Meffre (K 3Me/St, p. 7) n’est donc pas correcte ; de surcroît il est bizarre que dans l’index de l’œuvre considérée, que Meffre ne reprend que de façon incomplète, « Surrealismus » surgit et non pas « Romantische Generation » ; Péret y est nommé aussi.

[37] Cf. Marianne Kröger : Carl Einstein und die Zeitschrift « Front » (1930/31), in : Carl-Einstein-Kolloquium 1994, éd. par Klaus H. Kiefer, Frankfurt/M. et al. : Peter Lang 1996 (Bayreuther Beiträge zur Literaturwissenschaft, vol. 16), pp. 125-134.

[38] Il y a aussi des passages créés d’apparence par écriture automatique ; cf. déjà Einstein à Tony Simon-Wolfskehl 1923 : « Als ich Bebuquin publizierte hiess es ‒ ich schriebe das besoffen. » (CEA, 377, « Quand j’ai publié Bébuquin on dit que je l’écrirais bourré. »

[39] Les traductions accessibles étaient : « Ulysse », traduit en français par Stuart Gilbert et Auguste Morel, révision de la traduction par Valery Larbaud, Paris : La Maison des Amis des Livres 1929 ; « Ulysses », traduit en allemand par Georg Goyert, Zurich : édition Rhein 1930. Avec le concours de l’auteur, une équipe de six traducteurs, dont le trilingue Jolas, s’occupe de la traduction française de « Anna Livia Plurabelle » [de « Finnegans Wake »] ; le texte paraît le 1er mai 1931 dans la « Nouvelle Revue Française » [année 19 [1931], n° 212, pp. 637-646 [préface : Philippe Soupault, pp. 633-636]].

[40] À ce propos je ne signale que mes deux derniers travaux complémentaires : Dialoge – Carl Einstein und Eugene Jolas im Paris der frühen 30er Jahre, in : Carl Einstein et Benjamin Fondane. Avant-gardes et émigration dans le Paris des années 1920-1930, éd. par Liliane Meffre et Olivier Salazar-Ferrer, Bruxelles : P.I.E. Peter Lang 2008 [Comparatisme et Société, vol. 6], pp. 153-172 et Modernismus, Primitivismus, Romantik – Terminologische Probleme bei Carl Einstein und Eugene Jolas um 1930, in : Jahrbuch zur Kultur und Literatur der Weimarer Republik, vol. 12 (2008), pp. 117-137.

[41] Un critique anonyme [cité par Sam Slote : « Après mot, le déluge » 1 : Critical Response to Joyce in France, in : The Reception of James Joyce in Europe, éd. par Geert Lernout et Wim van Mierlo, London et New York : Thoemmes Continuum 2004, vol. 2 : France, Ireland and Mediterranean Europe, pp. 362-381, p. 368] exprime la vision affirmative d’Einstein : « […] il [Joyce] traite la langue anglaise en matière plastique, procédant par raccourcissements et allongements, par déformations et sollicitations, par citations ironiques et anticipations nordiques. »

[42] Transition, n° 16-17 [juin 1929], pp. 298-301.

[43] Transition, n° 19-20 [juin 1930], pp. 212-217.

[44] Eugene Jolas : Surrealism : Ave atque Vale, in : CW, 228-237, 236.

[45] C’est tout de même Jolas qui en 1928 évoque un dénominateur commun entre surréalisme et Joyce, cf. The Revolution of Language and James Joyce, in : CW, 377-382, 378 sq.

[46] Id. in : Surrealism, p. 235 ; cf. son interview avec Breton, in : CW, 102 sq.

[47] Id. : Man from Babel, éd. par Andreas Kramer et Rainer Rumold, New Haven et Londres : Yale University Press 1998, p. 123.

[48] Einstein à Sophia Kindsthaler, 1930 [DLA], all. « langes Gedicht ».

[49] Les sous-titres d’Einstein aux lithographies de Roux se trouvent dans les archives de la Galerie Louise Leiris, Paris.

[50] V. Daniel-Henry Kahnweiler : Juan Gris. Sa vie, son œuvre, ses écrits, Paris : Gallimard 1946 [3e éd.], p. 262.

[51] Einstein à Ewald Wasmuth, 21 janvier 1929 [DLA], all. « wie ein Stück Brod [sic] ».

[52] Salvador Dalì : Comment on devient Dali. Les aveux inavouables de Salvador Dali, éd. par André Parinaud, Paris : Laffont et Opéra Mundi 1973, p. 146.

[53] Kospoth : A New Philosophy of Art, p. 5.

 


Abréviations et sigles

all. = allemand

BA 1, 2, 3 = Carl Einstein : Werke. Berliner Ausgabe, 3 vols., éd. par Hermann Haarmann et Klaus Siebenhaar, Berlin : Fannei et Walz 1994-1996

BEB II = Notes du projet d’une suite de « Bebuquin », CEA

CEA = Carl Einstein-Archiv, Akademie der Künste, Berlin

CW = Eugene Jolas : Critical Writings, 1924-1951, éd. par Klaus H. Kiefer et Rainer Rumold, Chicago/Ill. : Northwestern University Press 2009

DLA = Deutsches Literaturarchiv, Marbach/N.

EKC = Carl Einstein ‒ Daniel-Henry Kahnweiler. Correspondance 1921-1939, trad. et éd. par Liliane Meffre, Marseille : Dimanche 1993

FF = Carl Einstein : Die Fabrikation der Fiktionen, Gesammelte Werke in Einzelausgaben, vol. 4, éd. par Sibylle Penkert, Reinbek/H : Rowohlt 1973

FJD = Fonds Jacques Doucet, Paris

  1. = français

GBKo = Carl Einstein : Georges Braque, éd. par Liliane Meffre et trad. par Jean-Loup Korzilius, Bruxelles : La Part de l’Œil 2003

GBZi = Carl Einstein : Georges Braque, trad. par M. E. Zipruth, Paris : Chroniques du jour, London : A. Zwemmer, New York : E. Weyhe 1934 (XXe siècle)

K 1, 2, 3 = Carl Einstein : Die Kunst des 20. Jahrhunderts, Propyläen Kunstgeschichte, vol. 16, Berlin : Ullstein 1926, 21928, 31931 (les rééditions revues et augmentées)

K 3Me/St = Carl Einstein : L’Art du XXe siècle [1931], trad. par Liliane Meffre et Maryse Staiber, s. l. : Chambon 2011 (Actes Sud)

OCBa = Georges Bataille : Œuvres complètes, 11 vols., Paris : Gallimard 1970-1988

OCBau = Charles Baudelaire : Œuvres complètes, 2 vols., éd. par Claude Pichois, Paris : Gallimard 1975-1976 (Bibliothèque de la Pléiade)

OCBr = André Breton : Œuvres complètes, 4 vols., éd. par Marguerite Bonnet et al., Paris : Gallimard 1988-2008 (Bibliothèque de la Pléiade)

OPC = Louis Aragon : Œuvres poétiques complètes, 2 vols., éd. par Olivier Barbarant et al., Paris : Gallimard 2007 (Bibliothèque de la Pléiade)

SW = Gottfried Benn : Sämtliche Werke. Stuttgarter Ausgabe, éd. par Gerhard Schuster, Stuttgart : Klett-Cotta 1986-2003

W 4 = Carl Einstein : Werke, vol. 4 : Texte aus dem Nachlaß I, éd. par Hermann Haarmann et Klaus Siebenhaar, Berlin et Wien : Fannei et Walz 1992


Illustrations

 

Ill. 1 = Carl Einstein : Negerplastik. Mit 116 Abbildungen, München : Kurt Wolff 1920 (2e éd.), dédicace, in : http://www.andrebreton.fr/work/56600100586090

Ill. 2 = Carl Einstein : Georges Braque, trad. par M. E. Zipruth, Paris : Chroniques du jour, London : A. Zwemmer, New York : E. Weyhe 1934 (XXe siècle)

Ill. 3 = Carl Einstein à la terrasse du Palmarium à Perpignan (en rentrant d’Espagne), in : Match. L’Hebdomadaire de l’actualité mondiale, n°33 (16 février 1939), p. 34

Ill. 4 = Carl Einstein-Archiv, Berlin, n°167, p. 1

Ill. 5 = Carl Einstein-Archiv, Berlin, n°131, p. 1

Ill. 6 = Carl Einstein : Entwurf einer Landschaft. Illustré de lithographies par Gaston-Louis Roux, Paris : Éditions de la Galerie Simon 1930

Ill. 7 = Gaston-Louis Roux : Illustration 1 ; association/sous-titre de Carl Einstein : « C E joue football avec sa tête » (Galerie Louise Leiris, Paris)


[1] Cf. Kiefer : Carl Einsteins « Surrealismus » ‒ « Wort von verkrachtem Idealismus übersonnt », Surrealismus in Deutschland (?), conférence internationale, sous la direction d’Isabel Fischer et Karina Schuller, Münster: Kunstmuseum Pablo Picasso, 3-5 mars 2014, in : Wissenschaftliche Schriften der Westfälischen Wilhelms-Universität Münster, série 12 : Philologie (sous presse).

[2] Dans la discussion de ma communication Henri Béhar affirma à juste titre que la réduction du « surréalisme » à la position d’André Breton est douteuse ; pourtant l’ignorance de Carl Einstein de la part de Breton semble intentionnelle et personnelle, surtout si on tient compte du „refus africain« (Vincent Bounoure, cité Jean-Claude Blachère : Les totems d’André Breton. Surréalisme et primitivisme littéraire, Paris : L’Harmattan 1996, p. 34) de celui-ci inexplicable jusqu’à présent, mais l’art nègre ‒ c’était « Carl Einstein ».

[3] En juin 1920 Aragon, Breton, Eluard, Fraenkel, Paulhan, Soupault et Péret distribuent des notes de

‒20 à +20 pour juger des « plus grands écrivains » du monde. Parmi les 200 noms se trouve aussi un certain « Einstein » qui obtient tout de même 10 points de la part d’Aragon et de Breton. Bien qu’après Jean Paul, le nom d’Einstein clôt une série scientifique ; donc il s’agit très vraisemblablement d’Albert Einstein (cf.          http://www.andrebreton.fr/fr/item/?GCOI=56600100363020). De même dans d’autres contributions au site il s’agit du physicien, à l’exception bien sûr de « Negerplastik » et « Europa-Almanach ». Je ne crois pas que dans le manuscrit « Rêve » Breton parle d’« un livre » de Carl Einstein ; « Einstein », c’est toujours Albert (cf. http://www.andrebreton.fr/person/12007 et OCBr 1, 616, OCBr 3, 972, OCBr 4, 529).

[4] Pour les soures, v. Kiefer : Die Ethnologisierung des kunstkritischen Diskurses – Carl Einsteins Beitrag zu « Documents », in : Elan vital oder Das Auge des Eros. Kandinsky, Klee, Arp, Miró und Calder, éd. par Hubertus Gaßner, München et Bern : Benteli 1994, pp. 90-103; c’est moi (KHK) qui souligne.

[5] Cf. Denis Hollier : The Question of Lay Ethnography. The Entropogical Wild Card, in : Undercover Surrealism. Georges Bataille and Documents, catalogue Hayward Gallery, London, éd. par Dawn Ades et Simon Baker, Cambridge/Mass : The MIT Press 2006, pp. 58-64.

[6] Cf. Liliane Meffre : Carl Einstein 1885-1940. Itinéraires d’une pensée moderne, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne 2002, pp. 229 sqq.

[7] B. J. Kospoth : “A New Philosophy of Art”, in : Chicago Sunday Tribune. European Edition, n° 4932 (18 janvier 1931), p. 5 ; le terme se trouve aussi dans le fond Carl Einstein (CEA).

[8] Cf. le catalogue Dada et Surrealism Reviewed, éd. par Dawn Ades, Arts Council of Great Britain 1978, pp. 229-250 qui l’affirme, mais qui met l’accent sur Bataille et Leiris.

[9] http://www.andrebreton.fr/work/56600100586090.

[10] Cf. http://www.andrebreton.fr/work/56600100473831.

[11] Jacques Baron, Jean Cocteau, Joseph Delteil (dont l’extrait de « La mort de Jeanne d’Arc », devrait déplaire particulièrement à Breton), Yvan et Claire Goll, Max Morise, Benjamin Péret, Philippe Soupault, Roger Vi[l]trac ‒ tous, bien entendu, des surréalistes de couleur différente. Einstein était nécessairement en contact postal avec tous ces confrères ‒ et avec des centaines d’autres. Comme je prépare une édition de la correspondance d’Einstein, je serai infiniment content qu’on me signale quelques lettres inconnues. Jusqu’à présent je ne connais des auteurs nommés ci-dessus qu’une lettre non datée (1925/26 ?) de Cocteau à Einstein dont Sotheby’s publie un extrait en 2013.

[12] Cf. l’appel à communication à Tristan Tzara du 30 juillet 1924 (FJD).

[13] C’est par l’intermédiaire de Paul Klee (K 1, 142 sq.) que la connotation péjorative de « romantisch » disparaît de son discours et devient synonyme de « surréaliste » (BEB II, 39 : « die SURR die sich immer mit sich selber, ihrem occulten leben befassen. also romantiker » [= les surréalistes qui s’occupent toujours avec eux-mêmes, avec leur vie occulte. Donc des romantiques]) pour désigner finalement l’attribut de la modernité : « Diese Modernen waren Romantiker. » (FF, 147 = Ces modernes étaient des romantiques.)

[14] La Boîte à couleurs, citée in : Joan Miró, Ceci est la couleur de mes rêves. Entretiens avec Georges Raillard, Paris, Seuil 1977, p. 197. C’est Osamu Okuda (Berne) qui m’a donné cette information.

[15] Einstein a Tony Simon-Wolfskehl, 1923 (CEA, 399).

[16] Cf. Christine Hopfengart : « Der Maler von heute » ‒ Paul Klee im Dialog mit Pablo Picasso, in : Klee trifft Picasso, éd. par Zentrum Paul Klee Bern, Ostfildern, Hatje Cantz 2010, pp. 32-63.

[17] Cf. Kiefer : Primitivismus und Avantgarde ‒ Carl Einstein und Gottfried Benn, in : Colloquium Helveticum, vol. 44 (2015) : Primitivismus intermedial, pp. 131-168.

[18] Cf. Michel Leiris : Journal 1922-1989, éd. par Jean Jamin, Paris : Gallimard 1992, pp. 137, 140, 164 ; p.ex. le 15 septembre 1929 (p. 202) : « Dîné hier chez Carl Einstein avec Zette [Louise Leiris] et les Bataille. »

[19] Cf. Kahnweiler à Masson, 7 novembre 1939 et la réponse de Masson le lendemain, in : André Masson : Le rebelle du surréalisme. Écrits, éd. par Françoise Will-Levaillant, Paris : Hermann 1976 (Coll. Savoir), p. 261 sq. ; cf. aussi Kiefer : Einstein in Amerika – Lebensbeziehungen und Theorietransfer, in: Carl-Einstein-Kolloquium 1994, éd. par id., Frankfurt/M. et al. : Peter Lang 1996 (Bayreuther Beiträge zur Literaturwissenschaft, vol. 16), pp. 173-184.

[20] Einstein à Sophia Kindsthaler, 1930 : « meine Aesthetik », et à Ewald Wasmuth, 15 février 1932 : « Réflexions » (fr. ! ), les deux DLA.

[21] Ce calembour n’a rien de commun avec la critique de Bataille quant au sentiment de supériorité bretonnien ; cf. OCBa 2, 93-109 : La « vielle taupe » et le préfixe « sur » dans les mots « surhomme » et « surréaliste ».

[22] Déjà en 1925 Louis Aragon était plus sceptique en ce qui concerne les « illusions collectives » du surréalisme et il se demande comment celui-ci pourrait induire « un peuple entier à croire à des miracles, à des victoires militaires » (OPC 1, 89 et 90), etc. Pourtant la « mythologie moderne » qu’Aragon élabore dans son « Paysan de Paris » n’est ni primitive au sens d’Einstein ni du tout moderne. Les endroits et objets qu’il décrit appartiennent le plus souvent à l’univers du 19e siècle qui touche à sa fin. Pour comparaison, les mythèmes de « Berlin Alexanderplatz » d’Alfred Döblin sont tout à fait ancrés dans la modernité. Rien d’étonnant qu’Einstein estime Döblin beaucoup, mais lui préfère finalement Joyce.

[23] Einstein à Ewald Wasmuth, 24 septembre 1932 (DLA).

[24] Martin Heidegger : Vom Wesen des Grundes, in : Festschrift Edmund Husserl zum 70. Geburtstag gewidmet, Halle a.d.S. : Niemeyer 1929, pp. 72-110. Vu la « profondeur » sans fond du titre je ne traduis pas celui-ci.

[25] Certes, la « Fabrication des fictions » « moralise » l’avant-garde (cf. Matthias Berning : Carl Einstein und das neue Sehen. Entwurf einer Erkenntnistheorie und politischen Moral in Carl Einsteins Werk, Würzburg : Königshausen & Neumann 2011 [Epistemata, vol. 734], p. 254), mais n’échappe pas aux ambivalences idéologiques.

[26] Article non publié (CEA).

[27] Karlheinz Barck (Motifs d’une polémique en palimpseste contre le surréalisme : Carl Einstein, in : Mélusine, n° 7 [1985], pp. 183-204) ne découvre pas cette dialectique ; cf. Maria Stavrinaki : Le « Manuel de l’art » : vers une histoire « tectonique » de l’art, in : Les Cahiers du Musée national d’art moderne, n° 117 (2011), pp. 17-24 qui confirme mon hypothèse.

[28] Néanmoins le 8 mars 1930 Einstein demande à Freud (qui possédait « Negerplastik ») « quelques lignes » sur Picasso pour « Documents » du fait que les travaux de Freud avaient exercé « une influence immense sur la jeunesse intellectuelle ». (Grand merci à German Neundorfer qui m’a fait connaître cette lettre du Freud Museum London.) La réponse de Freud est inconnue.

[29] Depuis ce 1930 Einstein s’intéresse à la sémiotique puisque ses réflexions sur le signe ou les signes se multiplient ; cf. Kiefer : Bebuquins Kindheit und Jugend ‒ Carl Einsteins regressive Utopie, in : Historiographie der Moderne ‒ Carl Einstein, Paul Klee, Robert Walser und die wechselseitige Erhellung der Künste, éd. par Michael Baumgartner, Andreas Michel, Reto Sorg, Paderborn : Fink 2016 (sous presse).

[30] « Braque le poète » (BA 3, 246-250) a été traduit de l’allemand par Bertrand Badiou et Jean-Claude Rambach, in : Avant-guerre sur l’art, etc., n° 2 (1981), pp. 9-14. En ce qui concerne la « poétisation » de la peinture cf. Kiefer : Diskurswandel im Werk Carl Einsteins, p. 452.

[31] Comme beaucoup d’autres qui ne faisaient pas part de la « bande à Picasso » Einstein n’a vu les « Demoiselles » que beaucoup plus tard ; cf. Kiefer : « Mit dem Gürtel, mit dem Schleier… » – Semiotik der Enthüllung bei Schiller, Fontane und Picasso, in : id. : Die Lust der Interpretation – Praxisbeispiele von der Antike bis zur Gegenwart, Baltmannsweiler : Schneider Hohengehren 2011, pp. 127-145, p. 136 sqq.

[32] Kiefer (éd.) : Die visuelle Wende der Moderne. Carl Einsteins « Kunst des 20. Jahrhunderts », Paderborn : Fink 2003.

[33] Cf. https://archiv.adk.de, Einstein 4 sqq.

[34] Breton, cité in : Actes du Xe congrès international de linguistique et philologie romanes du 23 au 28 avril Strasbourg 1962, éd. par Georges Straka, Paris : Klincksiek 1965, vol. 2, p. 444. Par contre Aragon (Traité du style, Paris : Gallimard 1980 [L’Imaginaire], pp. 27-30) prétend 1928 « piétiner » la syntaxe.

[35] C’est en effet un des rares exemples où Einstein parle expressis verbis de « surréalisme » dans un texte publié ; l’hypothèse négative de Liliane Meffre (K 3Me/St, p. 7) n’est donc pas correcte ; de surcroît il est bizarre que dans l’index de l’œuvre considérée, que Meffre ne reprend que de façon incomplète, « Surrealismus » surgit et non pas « Romantische Generation » ; Péret y est nommé aussi.

[36] Cf. Marianne Kröger : Carl Einstein und die Zeitschrift « Front » (1930/31), in : Carl-Einstein-Kolloquium 1994, éd. par Klaus H. Kiefer, Frankfurt/M. et al. : Peter Lang 1996 (Bayreuther Beiträge zur Literaturwissenschaft, vol. 16), pp. 125-134.

[37] Il y a aussi des passages créés d’apparence par écriture automatique ; cf. déjà Einstein à Tony Simon-Wolfskehl 1923 : « Als ich Bebuquin publizierte hiess es ‒ ich schriebe das besoffen. » (CEA, 377, « Quand j’ai publié Bébuquin on dit que je l’écrirais bourré. »

[38] Les traductions accessibles étaient : « Ulysse », traduit en français par Stuart Gilbert et Auguste Morel, révision de la traduction par Valery Larbaud, Paris : La Maison des Amis des Livres 1929 ; « Ulysses », traduit en allemand par Georg Goyert, Zurich : édition Rhein 1930. Avec le concours de l’auteur, une équipe de six traducteurs, dont le trilingue Jolas, s’occupe de la traduction française de « Anna Livia Plurabelle » [de « Finnegans Wake »] ; le texte apparaît le 1er mai 1931 dans la « Nouvelle Revue Française » [année 19 [1931], n° 212, pp. 637-646 [préface : Philippe Soupault, pp. 633-636]].

[39] À ce propos je ne signale que mes deux derniers travaux complémentaires : Dialoge – Carl Einstein und Eugene Jolas im Paris der frühen 30er Jahre, in : Carl Einstein et Benjamin Fondane. Avant-gardes et émigration dans le Paris des années 1920-1930, éd. par Liliane Meffre et Olivier Salazar-Ferrer, Bruxelles : P.I.E. Peter Lang 2008 [Comparatisme et Société, vol. 6], pp. 153-172 et Modernismus, Primitivismus, Romantik – Terminologische Probleme bei Carl Einstein und Eugene Jolas um 1930, in : Jahrbuch zur Kultur und Literatur der Weimarer Republik, vol. 12 (2008), pp. 117-137.

[40] Un critique anonyme [cité par Sam Slote : « Après mot, le déluge » 1 : Critical Response to Joyce in France, in : The Reception of James Joyce in Europe, éd. par Geert Lernout et Wim van Mierlo, London et New York : Thoemmes Continuum 2004, vol. 2 : France, Ireland and Mediterranean Europe, pp. 362-381, p. 368] exprime la vision affirmative d’Einstein : « […] il [Joyce] traite la langue anglaise en matière plastique, procédant par raccourcissements et allongements, par déformations et sollicitations, par citations ironiques et anticipations nordiques. »

[41] Transition, n° 16-17 [juin 1929], pp. 298-301.

[42] Transition, n° 19-20 [juin 1930], pp. 212-217.

[43] Eugene Jolas : Surrealism : Ave atque Vale, in : CW, 228-237, 236.

[44] C’est tout de même Jolas qui en 1928 évoque un dénominateur commun entre surréalisme et Joyce, cf. The Revolution of Language and James Joyce, in : CW, 377-382, 378 sq.

[45] Id. in : Surrealism, p. 235 ; cf. son interview avec Breton, in : CW, 102 sq.

[46] Id. : Man from Babel, éd. par Andreas Kramer et Rainer Rumold, New Haven et Londres : Yale University Press 1998, p. 123.

[47] Einstein à Sophia Kindsthaler, 1930 [DLA], all. « langes Gedicht ».

[48] Les sous-titres d’Einstein aux lithographies de Roux se trouvent dans les archives de la Galerie Louise Leiris, Paris.

[49] V. Daniel-Henry Kahnweiler : Juan Gris. Sa vie, son œuvre, ses écrits, Paris : Gallimard 1946 [3e éd.], p. 262.

[50] Einstein à Ewald Wasmuth, 21 janvier 1929 [DLA], all. « wie ein Stück Brod [sic] ».

[51] Salvador Dalì : Comment on devient Dali. Les aveux inavouables de Salvador Dali, éd. par André Parinaud, Paris : Laffont et Opéra Mundi 1973, p. 146.

[52] Kospoth : A New Philosophy of Art, p. 5.