TOYEN PÉRET DVD

« À quoi bon baisser la tête si le ciel est haut ? »

PAR DOMINIQUE RABOURDIN

Deux nouveaux films et deux des meilleurs de la collection Phares, animée par Aube Elléouët, sont consacrés à des intimes parmi les intimes d’André Breton, ses « fidèles » leur vie durant, Benjamin Péret et Toyen. L’amitié et l’admiration de Breton pour « Benjamin l’impossible » dès le début des années vingt, évoquées dans les premières pages de Nadja, furent aussi indéfectibles que celles de Péret pour Breton et de Péret et Breton pour Toyen. On est là au fond du cœur du surréalisme, de ce qui n’a pas cessé d’en faire le prix.

TOYEN L’ORIGINE DE LA VÉRITÉ
De Dominique et Julien Ferrandou
BENJAMIN PÉRET POÈTE C’EST-À-DIRE RÉVOLUTIONNAIRE
De Rémy Ricordeau.
Seven doc 2015, 93 et 94 minutes, 23 euros

Sa très grande discrétion et son refus de toute forme de compromission ont longtemps empêché Toyen d’occuper dans la constellation des peintres surréalistes la place qui lui revenait, une des toutes premières. Le réalisateur dans cette collection des films sur Yves Elléouët, Alice Rahon, Leonora Carrington et Dorothea Tanning, Dominique Ferrandou, en respecte cette fois encore le modèle chronologique et didactique habituel, trop restrictif pour une femme qui faisait exploser toutes les conventions. On suit pas à pas les grandes étapes de la vie de cette très jeune femme devenue, avec Jindrich Styrsky, une des figures emblématiques de l’avant-garde tchèque : sa participation à Devĕ tsil, les séjours à Paris à partir de 1925 et la découverte du surréalisme dans toute sa nouveauté. En 1927, « par opposition, écrit-elle, au réalisme et au naturalisme » sa peinture évolue vers « l’artificialisme », qu’elle définit comme « l’identification du poète et du peintre. » C’est d’autant plus important, a précisé son ami Radovan Ivšić, « que l’ensemble de son activité peut être considéré comme une véritable défense et illustration de cette intuition de jeunesse. Car à travers les aspects très divers de sa peinture, Toyen n’a cessé de témoigner de cette identification totale du peintre et du poète.» Un des grands intérêts de ce film est de révéler des œuvres majeures de cette période décisive.

Après la visite de Breton et Éluard à Prague en 1935, Styrsky, Toyen et leurs amis Nezval et Teige participent aux publications et aux expositions internationales du surréalisme. Pendant l’occupation nazie, Toyen est inscrite sur la liste des intellectuels à qui toute manifestation publique est interdite. Après la mise au pas stalinienne de son pays, elle n’a plus la possibilité d’y travailler librement. Un jeune surréaliste ayant choisi de vivre aujourd’hui à Prague, Bertrand Schmitt, bien placé pour savoir ce qui se passait sous un régime totalitaire, le rappelle d’une manière qui fait froid dans le dos : « En 1946, Paul Éluard est revenu à Prague, André Breton était encore aux États-Unis, et Toyen lui a demandé des nouvelles d’André Breton, en disant : « Mais que devient André ?» et Paul Éluard lui a fait savoir qu’il fallait choisir, c’était soit lui soit André Breton, et Toyen a choisi et a dit : « Dans ce cas-là c’est André Breton. » Et Paul Éluard lui a dit : « Si c’est comme ça, je ferai tout pour vous détruire.»

En 1947, elle n’a plus d’autres choix que l’exil. Avec Jindrich Heisler, autre figure majeure du surréalisme tchèque, elle s’installe à Paris, qu’elle ne quittera plus. Jusqu’à la dissolution du groupe en 1969 elle s’associe pleinement à toutes ses activités, y compris politiques. Elle illustre les revues, les poèmes et les livres de Breton, Péret (qui la surnommait affectueusement « baronne »), Octavio Paz et des nouveaux venus comme Gérard Legrand, Elie-Charles Flamand, Jean-Pierre Duprey, Radovan Ivsic et Annie Lebrun. Peut-être ce film serait-il resté sagement classique si n’y avaient participé de façon déterminante quelques-uns de ceux qui avaient su l’entourer sa vie durant, qui sont restés près d’elle après la mort de Breton. Ils ne sont pas venus raconter quelques anecdotes « pittoresques », ni faire étalage de leurs connaissances. Ils sont poètes et parlent de ce qui leur est essentiel, la liberté, l’amour, la poésie. Georges Goldfayn, un des animateurs de l’Age du cinéma avec Robert Benayoun et Ado Kyrou, le benjamin du groupe en 1950 quand il rencontre Toyen pour devenir un de ses intimes (elle lui confie le choix des titres de ses tableaux), avait toujours refusé de s’exprimer devant une caméra. Il est sorti de son silence parce qu’il a la conviction que ce qu’il sait sur elle, et sur Péret, il est aujourd’hui le seul à pouvoir le transmettre. Devant Annie Lebrun, il met toute son énergie, toute sa conviction, en martelant ses mots, à expliquer l’attitude de la femme magnifique qui disait hautement : « Je ne suis pas Peintre ! » « J’ai essayé, explique-t-il, de vous montrer la détermination et la force avec laquelle Toyen s’exprimait, pour préciser qu’elle avait cette singularité d’être ce qu’elle était, mais c’est en se définissant comme une personne qui n’était pas un peintre. Or elle disposait de tous les moyens techniques de la peinture, elle était extrêmement attentive, vétilleuse dans l’emploi de tous les moyens techniques associés à la peinture, mais elle ne se définissait pas comme un peintre. C’est dire qu’elle faisait référence au fait qu’elle avait une activité poétique. Sa singularité spécifique : c’était qu’elle était une poète. « Breton avait trouvé les mots pour saluer Toyen, de qui je ne puis jamais évoquer sans émotion le visage médaillé de noblesse, le frémissement profond en même temps que la résistance de roc aux assauts les plus furieux et dont les yeux sont des plages de lumière…  » La beauté de ce film est qu’il ne se contente pas de montrer – un peu trop classiquement — ses admirables tableaux, ses grands cycles de dessins et ses exquises fantaisies pornographiques, mais qu’il donne la parole à ceux qui l’avaient connue, admirée et aimée et partageaient ses exigences, parce qu’eux-mêmes étaient poètes, comme elle.

« Qu’est-ce que le surréalisme ?
C’est la beauté de Benjamin Péret écoutant les mots de famille, de religion et de patrie ».

Qu’un film intitulé Poète c’est-à-dire révolutionnaire s’ouvre sur ces mots d’André Breton est un signe fort. Pour un des principaux intervenants, Guy Prévan, auteur de Péret Benjamin, révolutionnaire permanent, et lui-même « réfractaire à temps complet », « ces trois mots qui réunissaient Breton et Péret et d’autres bien sûr, c’était la poésie l’amour et la liberté. C’est avec la liberté que l’on peut faire le joint, la poésie suppose la liberté, c’est pour ça qu’elle n’aime pas les honneurs. La politique telle que la concevait Péret avait aussi comme objectif « la liberté, arriver à la liberté ». Donc de « changer la vie ».

En publiant à News York, en 1943, sous le titre La Parole est à Péret sa préface à l’Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique, Breton saluait « un esprit d’une liberté inaltérable que n’a cessé de cautionner une vie singulièrement pure de concessions ». Rémy Ricordeau, le réalisateur, connaît assez Péret pour ne pas ouvrir le robinet d’eau tiède. Son film est tout sauf « sage » et « bien-pensant » parce qu’il ne fait intervenir que ceux qui ont connu et compris cet homme mort en 1959, il y a plus de 55 ans. Les plus jeunes ont — peut-être — 80 ans, mais ils parlent d’un homme qui leur a embelli la vie comme aucun « spécialiste » ne sera jamais capable de le faire. Grâce à eux, ce film est à la hauteur de son titre : Poète c’est-à-dire révolutionnaire.

Presque tous ont fait partie du groupe surréaliste autour de Breton (et de Toyen). Leur présence est un défi au temps : Georges Goldfayn parle de Péret comme s’il l’avait quitté la veille : « Il n’y a pas un être qui se soit à ce point confondu avec l’activité poétique, avec ce qu’il appelle lui, connaissance intuitive. Il n’y a pas un être qui l’a été autant que lui. » Michel Zimbacca revoit Péret écrivant le commentaire inspiré du film l’Invention du monde. Jean-Claude Silbermann admire que « chez Benjamin l’automatisme ait trouvé sa raison d’être en poésie même ». Alain Joubert définit clairement les positions de Péret aux moments cruciaux de sa vie, la guerre d’Espagne, la prison, l’exil au Mexique, les luttes politiques, et partage avec Guy Prévan qui, lui, parle en militant politique du militant Péret, le rôle de narrateur. Maurice Nadeau est un jeune homme en 1939 quand la responsabilité de Clé, le journal de la FIARI – Fédération Internationale de l’Art Révolutionnaire Indépendant, fondée par Breton et Trotsky, qui eut tout de même deux numéros avant la guerre lui est confiée sous le contrôle de Péret, dont il garde un meilleur souvenir que de Breton. J’ai assisté en 2012, quelques mois avant sa mort, au tournage de ce qui doit être son dernier entretien, 75 ans après leur rencontre. Il avait plus de 100 ans : « Je ne le prenais pas pour un surréaliste comme les autres finalement. Parce que c’était un surréaliste qui travaillait et qui gagnait sa croûte. Enfin il avait un boulot. Les autres pouvaient vivre de peintures, de machin, je ne sais pas quoi, je n’ai jamais voulu le savoir. Mais lui, il était dans le concret, dans la vie. C’est ça. »

Breton est présent avec sa voix, ses Entretiens pour la radio, la lecture de Nadja et de quelques extraits de ses lettres (inédites) à Péret, dont celle de New York, le 26 mai 1943, où il félicite son « Très cher Benjamin » de la préface à sa future anthologie, qu’il publiera toutes affaires cessantes :

« Tu as écrit un texte de toute importance, cette préface. C’est même la première fois que tu te décides à t’exprimer d’une manière autre que strictement poétique, en dépit de mes instances de 20 ans. Et c’est mieux qu’une réussite : tu donnes du premier coup, comme j’ai eu maintes occasions de le dire et comme chacun en a convenu avec enthousiasme autour de moi, le premier grand texte manifeste de cette époque, ce que nous pouvons appeler entre nous un chef-d’œuvre. »

La parole est aussi largement donnée à Péret lui-même avec des enregistrements pour la radio et sa poésie, jubilatoire quand elle est dite par Breton et Pierre Brasseur, autre complice des années vingt. Ses mots apparaissent à l’écran, beaucoup de textes courts ponctuent le film. La poésie jaillit à jets continus, « comme de source ». Et l’on prend le temps d’écouter des passages essentiels de ses grands « manifestes », dont le splendide Déshonneur des poètes : « Le poète n’a pas à entretenir chez autrui une illusoire espérance humaine ou céleste, ni à désarmer les esprits en leur insufflant une confiance sans limite en un père ou un chef contre qui toute critique devient sacrilège. Tout au contraire, c’est à lui de prononcer les paroles toujours sacrilèges et les blasphèmes permanents […] Il sera donc révolutionnaire, mais non de ceux qui s’opposent au tyran d’aujourd’hui, néfaste à leurs yeux parce qu’il dessert leurs intérêts, pour vanter l’excellence de l’oppresseur de demain dont ils se sont déjà constitués les serviteurs. Non, le poète lutte contre toute oppression : celle de l’homme par l’homme d’abord et l’oppression de sa pensée par les dogmes religieux, philosophiques ou sociaux. Il combat pour que l’homme atteigne une connaissance à jamais perfectible de lui-même et de l’univers ».

On ne s’étonne pas que de tels propos aient pu valoir à leur auteur de solides inimitiés, qui ne s’éteignirent pas avec sa mort. Jacques Prévert eut alors l’occasion de prendre sa défense : « Benjamin Péret, c’était un poète entier, qui n’écrivait jamais les choses à moitié. Il tenait à ses idées, ses amitiés, ses rêves. Benjamin Péret, c’était et c’est toujours Benjamin Péret. »

« À quoi bon baisser la tête si le ciel est haut ? », écrivait-il à Toyen.

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Post-scriptum : L’Association des amis de Benjamin Péret, 50 rue de la Charité-69-002-Lyon, qui a apporté son soutien au film de Rémy Ricordeau, vient de publier le quatrième des Cahiers Benjamin Péret, avec des dossiers sur Le Brésil de Benjamin Péret et sur André Breton et ses amis surréalistes à Saint-Cirq Lapopie, ainsi qu’un important inédit en français, Noirs sur Blancs au Brésil, écrit en 1934 pour la célèbre Negro Anthology de Nancy Cunard. Et les Rouilles enragées, publiées jadis sous le pseudonyme de Satyremont retrouvent enfin leur titre original, les Couilles enragées, aux éditions Prairial. 72 pages, 8 euros.

CC

Les Rendez-vous de la Halle Saint-Pierre 2015-2016

Conférences de l’Association pour la recherche et l’étude du surréalisme (APRES)

organisées par Françoise Py à la Halle Saint-Pierre le samedi 7 novembre 2015 puis de novembre 2015 à juin 2016 le deuxième samedi du mois de 15h30 à 18h30.
Réception par Martine Lusardy

Samedi 7 novembre 2015

Pablo Picasso: Écrits et propos, mis en musique par Bernard Ascal.
Aruna : chansons françaises, espagnoles et sud-américaines.

L’après-midi du samedi 7 novembre comprendra deux volets d’une heure chacun. Dans une première partie, Bernard Ascal présentera les Ecrits de Picasso, la plupart inédits, dont il a fait un livre accompagné d’un CD. Par la voix dite et chantée, les textes de Picasso se révèlent dans leur rythme incroyablement novateur. La conférence inclura des lectures et des moments d’écoute. Dans une seconde partie, la chanteuse Aruna nous fera voyager en chansons.

Bernard Ascal est un poète et un peintre lié au surréalisme depuis les années soixante. Auteur, compositeur, interprète, il a mis en musique les Ecrits de Picasso mais aussi beaucoup de poètes surréalistes comme Philippe Soupault ou Aimé Césaire. Il nous présentera la monographie qui vient de lui être consacrée, Sorties de pistes, aux éditions Le Petit Véhicule, avec des textes de José Pierre.
Aruna est une chanteuse hors normes à la voix grave et chaude, tout à fait exceptionnelle. Partie de son Béarn natal à l’âge de 16 ans, elle a voyagé et chanté avec les gitans qui l’ont adoptée. Elle parcourt le monde, et tout particulièrement l’Inde ou l’Amérique Latine, et chante pour les publics les plus défavorisés. Elle revient du Mexique où elle a réalisé une mission humanitaire de six mois, chantant dans les prisons, les hôpitaux, les quartiers déshérités. Son répertoire comprend ses propres chansons mais aussi les plus belles chansons françaises, espagnoles, sud-américaines. Dans la veine d’une Mercedes Sosa, elle donne vie à des chants oubliés. Elle s’accompagne à la guitare, instrument qu’elle joue de manière instinctive, avec des accents gypsy. (On peut entendre ses chansons sur YouTube à Free Live Sessions et à Aruna Lapassatet).

Samedi 14 novembre 2015

Après-midi consacrée à Antonin Artaud.
Projection du film de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur En compagnie d’Antonin Artaud, le momo de 1993, d’après le livre de Jacques Prevel, avec Samy Frey, Marc Barbé, Julie Jézéquel et Valérie Jeannet, 79’.
Présentation du film par Jérôme Prieur.
Table ronde animée par Dominique Calmé avec le réalisateur et deux collaborateurs des Cahiers Artaud, Virginie Di Ricci et Nicolas Rozier.

Samedi 12 décembre 2015

Projection du film de Catherine Binet, Les Jeux de la Comtesse Dolingen de Gratz, 1981, 113’, avec Michaele Lonsdale, Emmanuelle Riva et Marina Vlady, librement inspiré de Sombre Printemps d’Unica Zürn.
Présentation par Jean-François Rabain.
Débat.

Samedi 9 janvier 2016

Hommage à Rodolfo Krasno. Présentation de l’artiste par Christine Frérot.

Projection du film de Guillermo Krasnopolsky sur Krasno.
Table ronde avec le réalisateur, Christine Frérot, Pierre Bouchat, Jean-Clarence Lambert et Julio Le Parc.

Jean-Clarence Lambert et Julio Le Parc.

« Les genèses de Krasno

L’œuvre de Krasno est une histoire de naissance : gestation, éclosion,  croissance. Nous n’en finissons pas de naître et chaque nouvelle naissance nous révèle à nous-mêmes et aux autres. L’œuf, c’est le ventre maternel, notre première demeure, c’est aussi la terre mère, le ventre de la terre, notre dernière demeure. C’est aussi tous les abris que nous nous sommes donnés, tous nos nids, nos cocons. Pour Krasno, c’est aussi l’atelier. Il écrit : “l’œuf est devenu mon atelier.” Éclosion, mais aussi parfois “déclosion” : on sort de l’œuf, mais on peut aussi y entrer à nouveau, dans un retour à l’origine.

L’œuvre de Krasno est profondément existentielle, c’est une œuvre-vie, une œuvre qui médite sur la vie et qui aide le spectateur à s’orienter dans la vie. Ces corps adultes qui sortent de l’œuf — torses, mains, jambes, têtes — offrent un raccourci temporel de la naissance à l’âge adulte. Le temps est suspendu. Le troisième terme — la mort — est inscrit dans l’œuvre, dans cette suspension, comme dans les vanités, les Memento mori, pour nous inviter à savourer le présent, à lui donner du sens. C’est une œuvre qui travaille autant sur le temps que sur l’espace, sur le déroulement temporel et le temps comme virtualité.

Nous avons en nous la virtualité du vol qu’est la création. Nous nous
envolons par l’imagination, par le rêve. Krasno, en nous faisant sortir
de l’œuf, exalte cette potentialité du vol par la poésie et l’art, mais
il nous rappelle aussi que nous sommes soumis à la pesanteur : nous
sommes ces étranges oiseaux rivés au sol qui ne pourront plus jamais voler. Tel le Dodo, exalté par Lewis Carroll et Malcolm de Chazal, devenu une sorte d’oiseau préhistorique de par sa disparition. Sans doute Krasno nous a-t-il immortalisés dans son fragile papier pour qu’un jour on se souvienne qu’il y avaitd’étranges oiseaux sans ailes qui auraient voulu voler. Il nous donne à voir notre condition humaine d’exilé volontaire, sans retour possible au pays natal — comme si ce pays avait disparu ou n’était pas encore né. Cet exilé, c’est bien sûr Krasno lui-même, parti d’Argentine et devenant de nulle part, sinon de son antre-demeure-atelier, son ultime œuf, mais c’est aussi nous tous enchaînés, retenus, sans possibilité de partir, immobilisés, voire enfermés. D’où les œufs contraints : fer, cordages, clous, plâtre, armures, cuirasses, boîtes en plexiglas, grilles. Nous sommes au cœur de cette dialectique : retenus et prêts à partir, immobilisés, mais déjà presque en vol. Dimension existentielle qui se double d’une dimension politique. Même éloigné de son pays, Krasno ressent les sévices de la dictature militaire dans sa propre chair. Sa souffrance prend corps dans sa sculpture.

Lorsque Krasno est invité à réaliser une grande œuvre pour la cité
scolaire de Villejuif, il dédie cette œuvre à la jeunesse : les vingt
personnages moulés sur nature et placés sur les façades sont autant
d’Icare en passe de voler, d’escalader, de sauter. La jeunesse incarne
cet espoir d’une société plus juste et plus libre à inventer. Krasno
dans ses œuvres tente de réveiller en nous cette jeunesse et ce désir de lutter, de créer, de s’élancer.

Virtualité du vol, mais aussi virtualité du blanc, de la page blanche,
lisse ou granuleuse. Le papier s’est substitué au bronze, il en est
l’exact inverse. Loin de défier le temps, il est fragile, se dégrade,
s’altère à la lumière. D’où les boîtes en plexiglas, sortes de cages de
verre, qui soulignent cette fragilité. Le papier devient coquille,
devient peau. Une page devenue corps, un corps devenu page, un corps comme une page vierge où tout reste à écrire, où le corps s’écrit, s’inscrit. Silence, mémoire et oubli. Patrick Modiano parlant de l’écrivain — mais il aurait pu le dire aussi de Krasno — “c’est sans
doute sa vocation, devant la grande page blanche de l’oubli, de faire
ressurgir quelques mots à moitié effacés, comme ces icebergs perdus qui dérivent à la surface de l’océan”. Ce sera tout le travail de Krasno pour ses livrobjets avec les poètes, tels Jean-Clarence Lambert ou Octavio Paz : ses Pierres éparses sont justement comme des icebergs nomades. »
Par Françoise Py

Samedi 23 janvier 2016 de 15h30 à 18h30

(Reprogramation suite aux attentats du 13 novembre 2015)

Projection / débat En compagnie d’Antonin Artaud
film de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur d’après le livre de Jacques Prevel, avec Samy Frey, Marc Barbé, Julie Jézéquel et Valérie Jeannet, 79’.

En présence de Jérôme Prieur, et de Nicolas Rozier pour les Cahiers Artaud
Rencontre animée par Dominique Calmé
Halle Saint Pierre – auditorium (entrée libre)

Mai 1946 : après neuf ans d’internement, Antonin Artaud sort enfin de l’asile de Rodez pour revenir à Paris parmi les siens. Ce jour est l’illumination de Jacques Prevel. Jeune poète, il va suivre Artaud dans ses pérégrinations entre la maison de santé d’Ivry et Saint Germain des Près, tout en poursuivant la même quête de poésie, de drogue et d’absolu. Prevel devient le disciple et le pourvoyeur, le compagnon de cet homme de génie dont il relate la chronique jusqu’à sa mort, deux ans plus tard. Dans ce Paris d’après-guerre où il connait la misère et la souffrance, Prével s’attache à tout jamais à Antonin Artaud, celui qui fut son seul ami. Dans cette étonnante “biographie” inspirée, Gérard Mordillat signe, avec Jérôme Prieur son complice, un film rugueux comme peut l’être l’écriture, libre comme la poésie…

Samedi 13 février 2016

Laurence Imbert D., peintre et sculpteur, dialogue avec ses amis poètes et critiques : Gérard Xuriguera, Fernando Arrabal, Jean-Clarence Lambert, Jean-Yves Bosseur, Daniel Loewers, Jean-Loup Philippe et Marame Al Masri.
Projection du film Laurence Imbert D. : l’entre deux mondes.
Intermèdes musicaux : Jérémie Lecoq (violoncelle et voix).
Présentation du livre de Gérard Xuriguera : Sur l’aile d’un songe : Laurence Imbert D. (Editions F.V.W., novembre 2015).

La peinture de Laurence Imbert nous ouvre les Jardins du ciel. Ce sont des paysages lointains sans ressemblance avec le connu, des régions encore inexplorées aux couleurs et aux formes imprévisibles. Dans ses cartographies imaginaires, l’infiniment petit rejoint l’infiniment grand. Ses cosmogonies renvoient à l’univers cellulaire, à l’embryologie. Elle retrouve ainsi l’intuition fondamentale de Victor Hugo qui notait : « tout est l’atome et tout est l’astre ». Dans cette peinture de l’énergie en suspension, des déflagrations voisinent avec des zones pacifiées, les teintes sourdes avec les couleurs éclatantes, les terres avec les cinabres.

L’espace-temps qu’elle ne cesse d’explorer est aussi notre temps historique revisité et retravaillé. A l’instar de Matta qui disait : « je ne suis pas un peintre, je suis un montreur », elle montre par le biais de la peinture. Dans une peinture savante, elle revisite les grands abstraits du XXe siècle pour les mettre à distance : l’abstraction géométrique (expression du rythme par les couleurs et les lignes), l’abstraction lyrique (accords réciproques entre sons et teintes). Son affinité avec la musique contemporaine s’affirme tout particulièrement dans sa dernière série en hommage à Pollock. Ce détour par Pollock est aussi une manière de saluer Hayter, son voisin rue Cassini, son immense ami mort dans ses bras, qui dans les années quarante ouvrit à Pollock la voie du all over, comme le rappelle Pierre-François Albert dans son récent Hayter, un génie du trait. En une performance dansée, elle tourne autour de la toile, ou entre à l’intérieur, pour la couvrir d’entrelacs, de réseaux énergétiques all over où l’œil se perd.

Mais paradoxalement elle réintroduit un centre, un cercle blanc, dans un format carré, comme dans Echec et mat, qui met littéralement en échec le principe du all over et sa lecture non orientée. L’œil tourne autour de ce centre vacant, comme un nombril, un « ombilic des limbes », pour reprendre les termes d’Artaud. Le centre, noyau cosmique, vacuité fondamentale, est aussi un équivalent du silence. Le cercle est détouré avec des objets réels. Chez Pollock, le réel s’invitait subrepticement sous la forme de sable, de verre brisé, de ficelle ou de clous pris dans les lacis de peinture. Chez Laurence Imbert, ce sont d’énormes clous démonstratifs qui affirment un retour à la troisième dimension. Elle réintroduit aussi dans sa peinture le coup de pinceau, le contact direct de l’outil avec la toile que le dripping abolissait. Les références convoquées sont à la fois exaltées et mises à mal, dans une circularité, un éternel retour qui les vivifie. Il y a chez elle subversion de la référence, détournement, retournement spectaculaire. Rarement peinture a été aussi vivante.

Françoise Py

 

Samedi 12 mars 2016

Hommage à Tzara par Wanda Mihuleac et les Editions Transignum. L’Homme approximatif : Spectacle performance avec Wanda Mihuleac, David Napoli, Denis Parmain, Guy Chaty, Siewert Van Dyck, Ioana Tomsa, Cornelia Petroiu.

Samedi 9 avril 2016

Projection du film de Gilles Nadeau : Maurice Nadeau : Révolution et Littérature, présentation par le réalisateur.
Débat avec le réalisateur, Maurice Mourier et Alain Joubert,

Samedi 14 mai 2016

Projection du film de Fabrice Maze sur Claude Cahun (éditions Seven Doc, collection Phares, 2015).
Débat avec le réalisateur et Anne Egger.

Samedi 11 juin 2016

Poésie et chansons : Alain Aurenche et Aruna


Informations pratiques :

Halle Saint-Pierre : 2 rue Ronsard — 74018 Paris, Métro Anvers. www.hallesaintpierre.org

Françoise Py : 06.99.08.02.63, francoise.py@univ-paris8.fr
L’Association pour l’étude du surréalisme est présidée par Henri Béhar