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Bishop, Michael. Jacques PrévertFrom Film and Theater to Poetry, Art and Song. Amsterdam, New York Rodopi (Chiasma 12), 2002. 170 pp. 30 E / $36. ISBN 90 420 1329 X. Compte rendu critique par Peter Read.

 

La fortune critique de Jacques Prévert dans les pays anglophones est relativement limitée. Rappelons, toutefois, les ouvrages de William Baker (1967), d'Anne Hyde Greet (1968), et celui de Claire Blakeway, consacré aux textes de théâtre et de cinéma (1990). Le nouveau livre de Michael Bishop trouvera donc un bon accueil dans les bibliothèques universitaires anglo-saxonnes, et auprès de tous ceux qui cherchent une présentation en langue anglaise, à la fois compacte et panoramique, de l'ensemble de l'oeuvre de Prévert. Il s'agit donc d'une synthèse critique, la première à bénéficier de la récente publication des Œuvres complètes du poète, et de l'appareil critique qui accompagne les deux volumes de la Pléiade.

Michael Bishop, universitaire canadien, est l'auteur de nombreux ouvrages consacrés à la poésie française des deux derniers siècles. Il dirige également, chez Rodopi, la collection « Chiasma », consacrée à des études qui revêtent un caractère intertextuel, transgénérique et interdisciplinaire, et dans laquelle il fait paraître le livre dont il est question ici. Celui-ci adopte une approche thématique et synchronique de la poésie de Prévert, illustrée d'extraits et de brèves citations choisis partout dans l'oeuvre, avant d'aborder d'autres domaines : les écrits sur les amis peintres et sculpteurs, les oeuvres théâtrales et cinématographiques, la collaboration avec des photographes, les collages du poète, les chansons et la mise en musique de sa poésie. Bishop propose donc un livre-kaléidoscope, quelque peu fragmentaire, fait de juxtapositions suggestives, à l'image d'une oeuvre qu'il qualifie de "heterogeneous and heteroclitic". Emaillé de néologismes et de gallicismes, le style de Bishop est aussi à l'image de son propos, car il aligne allègrement, à l'intérieur d'une phrase, les nombreuses bifurcations, pirouettes et parenthèses que lui dicte la vivacité de son esprit. S'il consacre quelques pages au champ lexical et aux jeux de mots du poète de Paroles, il affiche son refus de toute analyse formelle ou prosodique, car une telle lecture serait, à son avis, trop mécanique et réductrice, risquerait de trahir l'esprit de Prévert, poète de la présence et de la spontanéité…

Bishop n'a guère le temps de s'attarder sur un poème, voire sur un recueil. Il cherche plutôt à souligner les qualités essentielles et constantes de l'imaginaire du poète, sa liberté d'esprit, sa disponibilité de flâneur urbain, sa sensibilité d'écologiste avant la lettre, la fraîcheur toujours renouvellée de son regard, et la méfiance qui l'oppose à tous les technocrates, les mandarins et autres maîtres à penser, à toutes les forces qui tendent à désenchanter le monde. Il en résulte, néanmoins, un Prévert quelque peu édulcoré, car l'auteur explique que le poète ne doit pas être qualifié d'anarchiste, à moins que l'anarchisme ne soit uniquement associé aux valeurs de l'enfance, de la vérité, de la paix et du bonheur. Quant à son anticléricalisme, celui-ci serait animé d'un esprit purement ludique, qui n'implique jamais un désir d'offusquer ou de faire de la peine. La chanson "Marche ou crève", qui accompagnait les spectacles de la troupe de théâtre Octobre, relèverait, selon Bishop, de la même philosophie que le slogan "Live free or die", qui orne de nombreuses plaques d'immatriculation américaines. Le cancre de poète est ainsi coiffé d'une casquette américaine, afin de rassurer les jeunes lecteurs des Etats-Unis, élevés dans la pensée politiquement et religieusement correcte.

Les citations sont bilingues, bien traduites par Bishop, le livre se termine sur une bibliographie sélective, et tout est ainsi fait afin d'encourager le lecteur à pousser plus loin son exploration de l'oeuvre du poète protéiforme, qui préférait l'oeil du moineau à celui des "gens de plume" de "la Nouvelle Oisellerie Française".