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Bona, l’art et la littérature : les enjeux d’une poétique du fil[1]

Par Magali CROSET

Chercheur-associé à l’IMEC
(Institut Mémoires de l’Edition Contemporaine)

 

Évoquer l’art tant pictural que scriptural de Bona de Mandiargues, revient à suivre du regard les méandres, les carrefours et les répits d’une vie. Née à Rome en septembre 1926, c’est à Paris qu’elle rencontre en 1947, par l’intermédiaire de son oncle Filippo de Pisis, son futur époux André Pieyre de Mandiargues. Devenue française, elle côtoie rapidement le groupe surréaliste avec qui elle partage le goût du scandale et l’amour de la poésie. Dès lors, Bona Tibertelli de Pisis devient la femme de lettres Bona de Mandiargues ou tout simplement Bona, lorsqu’elle signe de son nom d’artiste. Appréhender l’œuvre de Bona suppose une ouverture du regard sur des lignes de vie diverses mais complémentaires que la femme a pris soin de tisser au fil du temps ; de la tendre enfance vécue près de Modène, au départ à Venise puis en France, une pensée s’est constituée, un désir s’est affirmé. C’est pourquoi, entrer dans l’art de Bona signifie du même coup entrer en enfance, là où les prémices d’une vocation prennent naissance, là où l’ambivalence inhérente tant à la femme qu’à l’artiste se dessine.

C’est au travers du dernier livre de l’auteur, Vivre en herbe[2], publié aux Éditions Gallimard en 2001, qu’il est possible d’assister à la rétrospective d’une vie et de prendre connaissance de la première rupture ressentie par l’enfant, lors du déménagement de la villa familiale, pour une maison austère de Modène. Bona, du haut de ses six ans, ne pourra désormais plus admirer ni assister aux créations picturales de son oncle dans l’atelier se trouvant sous les combles… avec ce premier déménagement un âge d’or se termine. La seconde rupture surgit peu après avec l’entrée en guerre de l’Italie lors la Seconde Guerre Mondiale. Accablée, l’adolescente brave tout de même les patrouilles et les bombes afin d’assister à ses nouveaux cours de dessin et assurer la survie alimentaire de la famille. Troisième rupture, la mort en 1945 du père tant aimé, affaibli, anéanti par plusieurs années de conflits italo-franco-allemand. Cette perte prend l’allure d’un coup de grâce, la jeune Bona renonce dès lors à participer à la vie, elle s’enferme dans un profond mutisme qui la tient prostrée indéfiniment sur la même chaise, pendant plus de trois mois. De la perte d’un lieu à la perte d’un être, l’expérience des ruptures vécues par Bona s'accroît. Il s’agit alors autant de séparation ou de coupure que de déchirure. Et, c’est tout d’abord par le retrait et la pesanteur du silence que Bona répond à ces expériences tant éreintantes que traumatisantes.

Pourtant, suite à la perte de ces repères, le salut arrive finalement de Venise où l’oncle marginal et sulfureux, Filippo de Pisis, la somme de l’y rejoindre afin d’entamer une nouvelle vie. Il s’agit alors pour la jeune femme de récupérer le temps perdu, de panser les plaies en refermant, en suturant les déchirures passées. De la rupture imposée et annihilante à celle désirée et bienfaisante, Bona franchit le pas. De par l’éloignement du carcan familial et l’abandon des souvenirs lui étant liés, la femme connaît une véritable renaissance auprès de son oncle… Ainsi le destin de Bona est fixé : elle deviendra peintre. Elle deviendra peintre puisque l’art deviendra réponse. Réponse aux souffrances du vécu, réponse en tant qu’exutoire, en tant que réparation et parole face au silence. A ce titre, l’orientation artistique (puis littéraire) de Bona, issue des premières ruptures néfastes de sa vie, n’aura cesse de convoiter la réparation, la cicatrisation, la régénération. Et c’est par l’image du fil en tant que lien mettant à distance l’éventualité de toute rupture que l’artiste et par la suite la femme de lettres, trouve remède à ses angoisses. La nécessité du lien comme antidote de la rupture destructrice ou a contrario la rupture émancipatrice de lien dont les entraves s’avèrent régressives, tel devient l’enjeu vital et artistique de Bona de Mandiargues. Du lien préventif ou guérisseur de perte et de scission, à la rupture libératrice de chaînes et d’oppression, une ambivalence perceptible tant au sens propre qu’au sens figuré, à travers l’art et la vie de la femme, prend forme.

Mais portons tout d’abord notre regard sur les créations artistiques de Bona : tels les points cardinaux, son œuvre se décline en quatre directions dont le centre unique participe d’une alchimie continue entre matière et poésie. Sur les traces de son oncle, elle expérimente tout d’abord les natures mortes à travers le ramassage d’objets aquatiques, minéraux et végétaux qu’elle rencontre lors de ses excursions en bord de mer. L’image qui en résulte dépasse les apparences sensibles. Transformés, dénaturés, amplifiés, les racines, coquillages, algues ou mandragores se meuvent en d’étranges créatures macroscopiques dont la présence au sein de paysages dépouillés révèle l’influence métaphysique que Bona reçoit de Giorgio de Chirico, Roberto Carrà ou encore Alberto Savinio. Sur cette lancée, l’artiste oriente son art vers le surréalisme et met en scène au moyen de processus automatiques (décalcomanies, pliages, cadavre exquis) bon nombre de créatures hybrides et burlesques puis abandonne la figuration, dès les années 60, au profit d’une abstraction plus équivoque par la fusion et l’agencement de matières diverses (ciment, gravier, sable, huile, colle…). Une double orientation se profile les années suivantes à travers d’une part la création de nombreuses esquisses érotiques où d’étonnants personnages à tête d’escargot se cherchent, s’étreignent, s’enchevêtrent sans fin et, l’émergence d’autre part, d’une pratique du collage et d’assemblages que Bona renouvelle avec originalité et dextérité. La révélation du lien comme opposé et complément de la rupture peut avoir lieu. A travers la notion de fil que Bona utilise dès lors sans restriction aucune, toute la problématique d’un jeu de forces entre entraves et liberté, entre union et séparation, entre blessure et réparation prend forme.

L’expression d’une esthétique personnelle commence réellement en 1958, lorsque Bona abandonne la toile à peindre au profit de la toile à coudre : « puisqu’une femme ne peut faire de la peinture alors je ferai de la couture ![3] », déclare-t-elle malicieusement aux critiques. A l’instar de quelques artistes féminines de la même époque, Bona délaisse le pinceau au profit du nécessaire de couturière à travers l’utilisation prononcée de l’aiguille et des ciseaux et contribue de fait, à l’élaboration « d’un art textile reformulé[4] » répertorié ultérieurement sous le nom de Soft-Art. C’est ainsi qu’un peu plus tard, sujette à l’exaspération, au vague à l’âme et à la rébellion, Bona découvre par un curieux hasard le pouvoir esthétique et suggestif des doublures de vestes de son époux (lesquelles deviendront anonymes dès l’épuisement du stock marital). Confrontée aux crises du couple (qui ne tardera d’ailleurs pas à divorcer avant de se remarier quelques années plus tard), Bona décide d’affirmer clairement ses intentions de désunion, de séparation à travers ses instincts créateurs. Une rage, une passion frénétique pour ces tissus qu’elle coupe, retourne, déchire, lacère sans fin se dessine alors. L’utilisation des couteaux collectionnés dès l’enfance et transformés par la suite en collection de ciseaux dont elle use avec véhémence, n’est pas sans rappeler la violence sacrificielle des plus grands mythes. Sacrifier pour mieux aimer. Sous la veste, c’est l’homme qu’elle aperçoit ; une violence sourde émane du geste de la déformation, violence programmée ou non mais liée quoi qu’il en soit, au désir inconscient d’une mise à mort symbolique. Mise à mort d’ailleurs encouragée lorsqu’elle aboutit à cette autre découverte : sous la première peau, exactement entre la doublure et le vêtement, gît une pièce de tissu appelée en italien l’« anima » (c’est à dire l’« âme »), jusque-là prisonnière et soustraite à tout regard. À travers l’utilisation de ses « ciseaux-forceps », Bona procède à la mise au jour, à l’extraction d’une matière secrète. Par la libération de l’âme du vêtement – et finalement de celui qui l’a porté – l’artiste affirme son pouvoir créateur, modeleur… De par ses incisions et coupures, elle renouvelle l’art de la maïeutique avec un rien de jubilation sardonique si l’on en croit ses paroles : « J’ai retourné les vestes d’homme (leur carapace), j’ai tranché dans le vif pour atteindre au cœur de l’armure, de la protection. Ainsi faisant, je crois avoir senti quelque volupté[5] ». Ainsi, de lacération en révélation, l’art de Bona s’empare des idées et des formes dans une effervescence tant avant-gardiste qu’intimiste. Se ralliant à ses premiers souvenirs, la rupture prend l’aspect d’une déchirure ou d’une blessure non plus subie mais exorcisée. Déchirer, couper, émietter tel est le nouveau rituel esthétique de l’artiste qui vise tant l’exorcisme (déchirer pour conjurer) que la révélation (lacérer pour libérer l’âme jusque-là occultée).

Mais le travail est loin d’être terminé puisque de la coupure, naît la nécessité du lien. À  l’instar de l’ambivalence ressentie lors des ruptures de jeunesse à travers les sentiments de perte et de renouveau, Bona poursuit sa double quête de l’émancipation et de la réparation au sein même de son art par le biais de la symbolique des ciseaux et du fil. Par l’usage de ce dernier, l’artiste tisse un réseau de coutures volontairement grossières dont la finalité n’est autre que de rassembler, suturer les lambeaux de tissus épars. Après la destruction vient l’heure de la réparation. Il s’agit de redonner vie à la dépouille, de ranimer l’âme sous une forme nouvelle et éternelle. L’omnipotence de l’artiste-créateur est à son apogée et la procédure artistique presque chirurgicale. Non sans malice, Bona s’empare des morceaux brisés de l’âme ; un lavage leur restitue leur fraîcheur initiale avant qu’un lacis de coutures telles des cicatrices, les réunisse sous l’impulsion de piqûres actionnées par la fameuse machine à coudre à pédale de l’artiste. Le résultat est surprenant. Du vêtement initial dépecé surgit des formes, des figures tantôt figuratives, tantôt abstraites cousues (ligaturées pourrait-on dire) les unes aux autres par un fil aussi bénéfique qu’oppresseur. Pour finir, une part d’éternité est conférée à l’œuvre par le biais de l’ultime opération chargée d’unir à la toile par un réseau dense de coutures et de colle, la nouvelle forme engendrée. La création terminée, il demeure ainsi possible d’apprécier en suivant le fil de l’œuvre, la visualisation et la compréhension du travail artistique parcouru et de détecter çà et là des lambeaux de tissus presque humains, témoins d’une apparence première perdue.

En somme, par le choix de ses outils et la symbolique qui les caractérise, Bona met en scène toute la dualité et le rapport de forces existant à travers les notions de lien et de rupture. Derrière l’usage frénétique des ciseaux et du tissage sans fin du fil, se cache une perpétuation moderne et personnelle des plus grands archétypes. Comment ne pas évoquer le travail incessant des Parques, gardiennes de vie et ouvrières de mort, à la vue des toiles de l’artiste ? Comme le soulignait déjà le poète Ungaretti, Bona relève tant de Clotho, la Parque fileuse détentrice du fil de vie que d’Atropos la cisailleuse, douée de l’attribut fatal. Ouvrière autant qu’artiste, elle transforme le matériel quotidien en instrument d’art et renoue ainsi avec les anciennes cultures méditerranéennes pour lesquelles filage et tissage sont à la femme ce que labourer est pour l’homme, c’est à dire un acte fécond d’où sortent diverses créations. Bona c’est aussi la patiente Pénélope qui, à force de coudre et découdre son ouvrage, parvient à déjouer les vices du temps, ou encore l’ingénieuse Ariane dont le fil salvateur guide vers la lumière. Ses assemblages « collés-cousus » – comme elle se plaît à les nommer – constituent une mise en scène symbolique et savante de souvenirs et de fantasmes, tous motivés par la dialectique lancinante de l’union et de l’oppression, de la perte et de l’émancipation. Quant aux outils utilisés par l’artiste (ciseaux, aiguilles, piqûres de machine à coudre), ils accréditent la valeur traditionnelle et millénaire du travail manuel féminin autant qu’ils en constituent une rupture, à travers leur mode d’utilisation (quasi chirurgicale) et la finalité inédite qui en résulte. Des années sombres de guerre à la perte des lieux et des êtres chers (la perte de son oncle en 1954 la mène presque au suicide), Bona au moyen de son art, renoue tant avec les traumatismes passés qu’avec ses angoisses intimes voilées ; elle en favorise ensuite l’exorcisme pour en établir enfin si l’on en croit ses propos, une reconstitution cathartique, consciente et orientée : « A partir de ces bribes de tissus, j’ai reconstruit le monde selon une symbolique assez personnelle (…) mes collages sont une aventure curieuse ; une quête de l’âge d’or. (…) A partir de mes chiffons, j’ai restructuré un monde ; j’ai exploré. Ils m’aident encore à résoudre certains problèmes de l’existence.[6] »

Pourtant, la canette du fil de Bona n’en a pas terminé de se dévider… Illustrant la théorie des correspondances énoncée par Baudelaire et la mise en pratique de la subversion des genres tant convoitée par les surréalistes, Bona qui est également femme de lettres, perpétue la métaphore textile à travers la notion de fil, au sein même de ses écrits. Peu nombreux, ces derniers constituent une source autobiographique essentielle et peuvent être appréhendés comme complément logique et naturel aux créations textiles :

De prime abord, un lien direct entre texte et tissu s’établit naturellement comme nous le rappelle Roland Barthes puisque : « d’un point de vue étymologique, texte veut dire tissu[7] ». De là, il semble possible d’établir une correspondance directe entre l’utilisation du tissu au sens propre à travers l’art et son utilisation au sens figuré, à travers l’écriture de textes. Les points communs entre texte et tissu foisonnent : si l’on en croit les doctrines orientales les livres traditionnels sont fréquemment désignés par des termes qui, dans leur sens littéral, se rapportent au tissage. Ainsi, en sanscrit, « sûtra » qui désigne les textes bouddhiques, signifie proprement « fil » (son équivalent latin est « sutura ») ; à ce titre, un livre peut être formé par un ensemble de « sûtras », comme un tissu est formé par un assemblage de fils. Et à l’instar du tissu constitué de fils horizontaux et verticaux respectivement nommés « trame » et « chaîne », le livre posséderait à l’identique, ses propres chaînes (que les chinois nomment « king ») et trames (nommée « wei[8] »). Pour évoquer la relation intuitive pouvant exister entre l’art pictural et l’art scriptural de Bona, deux postulats sont à prendre en compte : d’une part, l’existence d’un fonds autobiographique commun aux toiles et textes retraçant les ruptures et déchirures vécues dès l’enfance (Bona l’exprime clairement par ces deux vers issus du recueil de poésie encore inédit dans sa totalité en français, I Lamenti di Serafino ce qui signifie Les Complaintes de Séraphin :

Trama e ordito stan scritto sul taglio del vestito

Nel di lei destino neanche sono esenti[9]

que l’on peut traduire par :

            Trame et chaîne sont écrits dans la coupe du vêtement

Dans son destin elles ne sont pas absentes non plus[10]

Et, d’autre part, il est possible à l’instar du tissu, de considérer texte comme une surface, un espace clos, en somme comme un objet perceptible. De là, un rapprochement analogique de l’activité textile et textuelle de Bona s’avère concevable. Rassembler des syntagmes tout d’abord épars avant les fixer à un support (la page), mettre en mots ses souvenirs dans un souci expiatoire et libérateur (les ouvrages de l’auteur sont tous – à l’exception d’un essai sur L’Art pré-islamique du Nouristan[11] – de nature autobiographique), panser ses blessures au fil des mots, créer un monde nouveau par le jeu d’interchangeabilité de leur position et de la syntaxe qui en assure le lien, constitue une approche identique à celle des collages-cousus tels que la femme les met en pratique. La linéarité de l’écriture dans l’espace de la page devient semblable à la trame de son tissage… Les textes de Bona, mis en regard de ses toiles, intègrent et accentuent naturellement les métaphores de tissu, de trame et de réseaux tel que Barthes les élaborait au cours des années 70. Alors que le tissu des collages de l’artiste masque en même temps qu’il révèle (que ce soit l’âme du vêtement ou la toile qui la soutient), les textes de l’auteur de par leur contenu manifeste ou latent, deviennent également le produit d’un conflit de forces ambivalentes (le voilé et le révélé) à travers lesquelles les notions de rupture et de lien conservent toute leur crédibilité.

Ainsi, le texte Bonaventure[12] présenté sous forme de lexique allant du mot « Alchimie » au mot « Zigzags », expose les pensées intimes de l’auteur de manière successive où chaque définition correspond à une page nouvelle. Aucun lien entre les titres, aucune transition d’une définition à une autre, l’écriture est isolée, coupée, hachée comme peuvent l’être les morceaux de tissus dépecés. De même en ce qui concerne le recueil de poèmes, I Lamenti di Serafino[13] où chaque « complainte » s’avère isolée d’une autre, tant par la typographie que par la présence de titres indépendants. Mais à ces saccades et fragmentations répond la linéarité du texte telle un dévidoir de fil continu ; à la rupture apparente des articles ou des strophes répond l’enchaînement des pages qui, liées concrètement les unes aux autres, assurent cohésion et globalité à l’œuvre. De plus, parce que l’écriture est fil, les outils servant à écrire s’apparentent aussi à ceux de la couturière. La fonction de la plume et du stylo (en référence au petit poignard nommé stylet) est tant d’assurer le lien, la révélation et l’adhérence des mots entre eux avec la page qui les supporte, que de pointer, effacer, raturer, supprimer les éléments de manière symbolique ou non. Comme elle le suggère, c’est à la source de son vécu que Bona puise son inspiration, et finalement son art textuel n’est pas sans analogie avec son art textile : à chaque toile constituée d’assemblages de tissus liés les uns aux autres par les coutures d’un fil, répond chaque page constituée d’assemblages de textes enchaînés par le fil des mots. Dans l’un et l’autre cas, de la disparité naît la globalité ; une savante mise en scène du fragment et de l’unité favorisée par les méandres d’un fil est observée. A travers une organisation en cascade où les tissus assemblés s’unissent à la toile et les textes corrélés s’impriment sur la page, Bona fait de l’utilisation symbolique et littérale du fil, le moteur de son œuvre.

Au final, par le biais de l’interrelation existant entre son art textile et son art textuel, Bona de Mandiargues renoue avec une étymologie commune, le « tissu », qui fait de sa création, une activité tant littérale que métaphorique. De tissage en écriture, elle dévide un interminable fil dont les enjeux se trouvent autant dans son pouvoir d’unification que dans sa fragilité de cassure. Rassembler ou séparer, ficeler ou libérer, créer le lien ou la rupture… l’art de Bona, qu’il soit de tissu ou de texte, repose sur l’ambivalence pérenne de son expression. Par l’usage menacé ou menaçant du fil, elle transcrit en mots et en images la dialectique de son vécu, qu’elle choisit de rejeter, de rétablir ou de reformuler. À l’instar du point de couturière identifiable à son éternel mouvement de va-et-vient sur l’étoffe, les travaux de Bona se chargent de perpétuer à travers un symbolisme fort de traditions comme de nouveautés, l’inlassable tissage reliant le présent au passé. Lire, suivre du regard les méandres formés par le fil de Bona revient à faire la découverte d’un autre langage d’où s’échappent de secrètes communications qui, de fil en aiguille, conduisent à la révélation d’une vision du monde tant paradoxale qu’inaccoutumée.

 

Contact : magalicroset@yahoo.fr

 

[1]. Magali Croset présente ici les grandes lignes de la thèse pour le doctorat, « Bona, l’art et la littérature : les enjeux d’une poétique du fil », qu’elle a soutenue à l’université de Chambéry le 1er juin 2005.

[2]. Vivre en herbe, Gallimard, coll « Haute enfance », Paris, 2001.

[3]. B (de) Mandiargues, « Collages », Complicités n°8, Paris, mars 1992.

[4]. A. Dallier, « Le rôle des femmes dans l’éclatement des avant-gardes », Opus international, 1983.

[5]. B. (de) Mandiargues, Bonaventure, Stock, Paris, 1977, p268.

[6]. Bonaventure, op. cit. p. 268-269.

[7]. R. Barthes, Plaisir du texte, coll. « Points », Seuil, Paris, p. 100.

[8]. Cf. Chevalier & Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, coll. « Bouquins », Robert Laffont, Paris, 1982.

[9]. Bona (de) Mandiargues, Lamento IV, I Lamenti di Serafino, Le Parole gelate, Roma, 1986

[10]. Trad. « Cette Italie », Drailles, n°10, p114-120.

[11]. Retranscrit dans Bonaventure, op. cit., p197-212.

[12]. Ibid.

[13]. I Lamenti di Serafino, op. cit.