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Charles Ratton,
l'invention des Arts "Primitifs"

par Virginie POUZET-DUZER

Portrait de Charles Ratton, Studio Harcourt, Paris, années 1930.
Archives Charles Ratton. Guy Ladrière, Paris © musée du quai Branly, photo Claude Germain.

Ayant été incapable d’y reconnaître, derrière des vitrines souvent mal éclairées aux illisibles cartels, ces masques, ces statues, ces objets et ces fétiches dont d’heureuses photographies de l’Atelier Breton ont si bien su capter la tangible présence, je n’aurais guère imaginé conseiller un jour une flânerie au Musée du Quai Branly à des Mélusiens férus de surréalisme. Or l’exposition consacrée à Charles Ratton permet justement de retrouver, par l’intermédiaire du marchand-collectionneur qui fut l’ami de Breton, quelques belles pièces surréalistes. Si les sections sont ainsi construites plus ou moins chronologiquement, l’angle biographique choisi pour cette mise en scène fluide de l’histoire d’une collection d’art "primitifs" contextualise judicieusement les rapports entre les avant-gardes et le quasi autodidacte que fut Ratton. Notons que, bien que le bureau de ce dernier, reconstitué avec soin dans une des premières vitrines, donne la part belle aux statues ithyphalliques ou célébrant une féminité exacerbée – il suffit de le comparer au 42 rue Fontaine pour que ce lieu de travail révèle toute sa rigoureuse sobriété. Car dans les registres d’une collection établie avant tout pour la vente, l’étincelle analogique de mise en contact des objets n’est bien entendu pas de mise. Parmi bien d’autres vitrines et sections des plus plaisantes aux yeux – dont celle consacrée à une projection du splendide Les statues meurent aussi de Marker et Resnais auquel le marchand participa en 1953 – il est bon de se souvenir que c’est dans la galerie de Charles Ratton, au 14 rue de Marignan, qu’eut lieu l’exposition surréaliste d’objets de mai 1936, qu’accompagna le célèbre texte de Breton sur la « Crise de l’Objet. »

 

Sans titre, photographie de la reine Bangwa, Man Ray

Et c’est sans doute la même année – soit dix ans après son Noire et blanche – que Man Ray fit poser un modèle nu devant une statue de reine Bangwa de la collection Ratton. De ces clichés sans titre, celui retenu pour l’affiche de l’exposition est un jeu d’ombres et de regards : sous l’altière et sombre statue au yeux figés s’érigeant fièrement, l’ivoirine nudité du modèle aux seins dressés n’est plus que faire valoir – qu’un bien sot socle/soc. Pourtant, dans l’arrière plan des ombres grises, en un dialogue muet loin des jeux de pouvoir des postures et des poses, les deux profils féminins semblent tout simplement se faire face, en égales. Ne pourrait-on pas alors voir dans cette image une utopique mise en scène des liens entre collection et création ? Et si l’affiche omniprésente à Paris cet été n’avait pas encore tout à fait su vous séduire, sachez que vous pouvez visiter cette exposition jusqu’au 22 septembre.

Articles et textes (illustrés) autour de l’exposition :

http://lucasratton.ugal.com/les-articles/exposition-charles-ratton-linvention-des-arts- primitifs

http://blogs.rue89.com/balagan/2013/06/30/au-quai-branly-momie-de-chat-petits- paquets-et-arts-meconnus-230667

 

 

 

© Mélusine septembre 2013