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Énigmes... et rÉponses de Nelly Feuerhahn

Jean-Paul MOREL

Pardon de découvrir à retardement, – au rayon des « astu » que vous m’avez réinvité à consulter –, l’article (d’ailleurs non daté) de Nelly Feuerhahn, « Pierre l’Ébouriffé : l’énigme d’une figure surréaliste ».

L’article est la traduction française en 2003 de sa version originale en allemand datée de 2002. Il s’agissait d’un hommage amical à Walter Sauer, président de l’association des amis du musée Heinrich Hoffmann, dont je suis membre depuis les années 1980 (Was, Walter ! Sechzig ! ?. Festschrift für Walter Sauer anlässlich seines 60. Geburtstags am 14. April 2002. Herausgegeben von Ulrich Wiedmann, Pfinztal. Frankfurt am main, 2002).

Puisqu’il est question d’énigme, une source de ce Struwwelpeter semble avoir été négligée, qui n’est pourtant pas d’origine indifférente : elle vient du « poète des chloroses » chanté par Baudelaire, à savoir Gavarni..., auteur d’un dessin publicitaire paru dans La Caricature, 22 mars 1840, sous le titre « Un enfant terrible » et avec la légende suivante : « ...Qu’on a eu l’imprudence de laisser jouer avec un pot de Pommade de Lion ».

Dans mon livre Le Comique et l’enfance. Paris, Puf, 1993 vous trouverez ce document illustré page 73 et l’histoire de ce transfert culturel (page 63-77).

Notre auteur passe ensuite un peu vite sur la lecture qu’a faite le psychanalyste Georg Groddeck de ce dit « livre pour enfants » et qu’il considère comme un « quatrième manuel de psychanalyse ». Le texte, recomposé par l’éditeur allemand à partir des manuscrits de ses conférences, et datable entre 1918 et 1927, ne fait, dans l’édition française Gallimard parue en 1969, pas moins de 17 pages (pp. 201-217). Ici, une ligne et demie.

Il ne s’agissait pas d’un article psychanalytique, mais bien de montrer la richesse des liens autres que de littérature de jeunesse. Ce que personne n’avait pointé avant mes publications dont la première sur ce sujet remonte à 1989 !

Le traducteur, Roger Lewinter, précise ensuite (p. 311) les bizarreries, aboutissant souvent à des contre-sens, de l’« adaptation » française. Nous ne pouvons mieux faire que de reprendre son avertissement :

« Il existe une adaptation française du Struwwelpeter [1 ère éd. frçse, Paris, Louis Hachette, 1860], mais elle présente de nombreuses différences d’avec l'original allemand, et parfois même des inversions de dessins (cf. l'Histoire des allumettes, Pierre l' Ébouriffé, etc.), qui contredisent le sens même de l’ouvrage tel que le dégage Groddeck. / Ce que nous proposons ici [p. 311-316], ce n’est donc pas une adaptation qui tâche de rendre en français les vers de mirliton, mais une traduction mot à mot qui suit fidèlement l’ordre des vers allemands et respecte le caractère singulièrement désuet et adulte du texte, en contraste absolu avec la violence enfantine des images. »

Une référence bibliographique, absente du recensement de Nelly Feuerhahn, lui aurait évité ces manquements : Boris Eizykman, Der Struwwelpeter, Paris, Éditions Phot’œil, 1979, qui comporte : 1. une préface de Sigrid Metken (p. 7-15), laquelle souligne la référence à Gavarni ; 2. l’édition remise en ordre par Roger Lewinter de Pierre l’Ébouriffé (p. 17-46) ; 3. une fort subtile analyse de Boris Eizykman (p. 47-96) – qui débat avec Groddeck –, pour se conclure avec la préface du Dr Hoffmann pour la 100 ème édition de l’ouvrage en 1876 (p. 97-100).

Là, aussi, je dois renvoyer JP Morel à mes publications en particulier la référence en fin de mon texte sur Astu (« De Pierre l’ébouriffé à Crasse-Tignasse. La réception française du Struwwelpeter (heinrich Hoffmann, 1845). Contribution à une histoire des échanges culturels comiques en Europe », Autour de Crasse-tignasse, Actes du colloque de Bruxelles augmentés et illustrés, Bruxelles, Théâtre du Tilleul, 1996, p. 24-40)

Plus récemment, j’ai rédigé l’article « Struwwelpeter » pour le Dictionnaire du monde germanique sous la dir. de Elisabeth Décultot, Michel Espagne et Jacques le Rider (Paris, Bayard, 2007, page 1089-90)

Enfin, j’ai été invitée à diverses conférences : « Comment le Struwwelpeter ébouriffa les Français ». Conférence d’introduction à l’exposition de la collection de Nadine et Walter Sauer (La Petite Pierre, 30 avril 2009).

Puis à une conférence magistrale à l’Université de Francfort pour la célébration du bicentenaire de la naissance d’Heinrich Hoffmann : « Die unmögliche Rezeption der Komik des Struwwelpeters in Frankreich [l’impossible réception du comique du Struwwelpeter en France » (13 mai 2009)

Rappelons, anecdotiquement, que ce classique de la littérature « pour enfants » atteignait en 1980 les 25 millions d’exemplaires vendus...

 

Le rejet voire le silence des Français a été à l’origine de ma curiosité. Alors que partout dans le monde dès le XIX e siècle il est traduit (pays scandinaves, Russie, Chine, Japon). Il existe actuellement des traductions dans quasiment toutes les langues.

Ce qui m’a fait revisiter ce texte, c’est qu’il sera peut-être possible de vous offrir, si les ayants droit donnent leur accord, une traduction du – inédit en langue française à ce jour– Struwwelhitler, pamphlet anti-nazi de deux illustrateurs anglais, Robert et Philip Spence, paru à Londres en 1941, et parodie non dissimulée de notre classique mondial.

Struwwelhitler. A Nazi Story Book by Dr. Schrecklichkeit. Robert & Philip Spence, Londres, 1941). Publié dans The daily Sketch au profit des troupes anglaises et des victimes des bombardements allemands outre-manche durant la Seconde Guerre Mondiale.

 

L’ouvrage existe désormais en livre de poche. Et Internet apporte de nombreuses informations sur ce motif. Par exemple : http://traube.blog.lemonde.fr/2010/04/01/from-struwwelpeter-to-struwwelhitler-the-work-of-robert-and-philipp-spence-in-the-daily-sketch-and-sunday-graphic-england-1941/

Sur ce point, il y aurait beaucoup plus à dire car d’autres parodies politiques parurent dès 1848 et plus tard avec la guerre de 1914 par exemple. La tradition est toujours très vive de ces pastiches (publicitaires ou politiques) et de ces parodies de cet album pour les enfants en Allemagne comme aux Etats-Unis –où la tradition fut exportée par les émigrants ainsi avec l’affaire du Watergate..

Puisque Nelly Feuerhahn conclut avec Nadja, nous croyons pouvoir résoudre une dernière énigme. Nadja... “qu’est-elle ?” » : Il ne s’agit ni de magie pas plus que de dessin automatique, mais, sinon de la copie quasi directe, de la remémoration d’une publicité des établissements Gaumont, réalisée pour le lancement du film Les Vampires de Louis Feuillade en novembre 1915 (affiche signée Harford), et à la gloire de Musidora, saluée la même année, comme on le sait, avec le Trésor des jésuites...

Je n’ai sans doute pas la compétence de Jean-Paul Morel en ce qui concerne le surréalisme (mais ne sommes-nous pas tous un peu ces « Fachidioten [idiots spécialisés] » selon l’éclairante expression des étudiants de l’université critique de Berlin dans les années 1960 ?). Néanmoins, l’allusion au dessin vu lors de l’exposition évoquée dans mon texte ne renvoie pas ce questionnement. Nous sommes loin de la magie lunaire du Struwwelpeter avec les dernières illustrations publicitaires que vous évoquez…

La grand-mère que je suis devenue ne peut que sourire de l’impatience de Jean-Paul Morel à redécouvrir ce petit personnage extraordinaire qui m’a tant passionnée. Bonne chance ! N’oubliez pas que beaucoup a été fait sur ces questions et que parfois en enfonçant des portes ouvertes, on peut avec un peu de chance trouver de vraies nouvelles informations….

Nelly Feuerhahn

Chercheur CNRS (en retraite encore active)

Paris, le 20 juillet 2011

L'article de Jean-Paul Morel

 

© Mélusine 2011