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Amendements à l'édition des Oeuvres Complètes d'André BRETON  

par Branko ALEKSIĆ

 

 

L’appareil critique des Œuvres complètes d’André Breton représente en lui-même une encyclopédie du mouvement surréaliste, ses aspects théoriques autant qu’historiques, chronologiques ou factuels. Marguerite Bonnet, architecte de l’édition, a établi les textes, notes et notices des volumes I (1988), II (1999), avec la collaboration de Philippe Bernier, Etienne-Alain Hubert et José Pierre. Après la mort de Marguerite Bonnet et de José Pierre, E.-A. Hubert a porté jusqu’à l’achèvement, en collaboration avec Marie-Claire Dumas, l’édition du t. III en 2003. Les disproportions dans l’appareil critique du dernier tome sont visibles. Le 1er tome a sept cents treize pages de commentaires (p. 1063-1776), et encore, l’éditeur de la Bibliothèque de la Pléiade, Jean Cottin, m’affirmait dans un entretien, à l’époque où je préparais mon premier compte-rendu, qu’il avait supprimé au moins cinq cents pages1. Les commentaires dans le t. II occupent cinq cent cinquante et une pages (p. 1289-1840). Enfin, le t. III n’a que trois cent quarante deux pages (p. 1131-1473). Les différences proviennent de la difficulté majeure que Marguerite Bonnet avait rencontrée dans l’établissement du tome I er : la découverte de deux variantes du manuscrit intégral des textes dits automatiques « Poisson soluble », qui prennent une place énorme dans son appareil critique. Cette découverte du fait que Breton a corrigé jusqu’à épuisement ses « textes automatiques » est la plus grande déception de ces Œuvrescomplètes, car ce qu’il a gardé dans le tiroir prend alors plus de poids sur la balance critique que ce qu’il avait révélé de Poisson soluble. La différence entre le texte surréaliste dit automatique et celui que les surréalistes entre eux désignaient plutôt comme un récit fantastique (les lettres de Simone Breton, publiées en 2003, le montreront clairement), n’est pas établie dans l’appareil critique.

Ensuite, les omissions dans la chronologie, dans les notices biographiques et bibliographiques, dans l’identification des sources de Breton, exigent du lecteur avisé un supplément critique.

Nous suggérons ici une suite d’amendements pour l’appareil critique des trois premiers volumes des Œuvres complètes de Breton, en espérant qu’ils seront utiles à l’amateur avisé.

I. ERREURS DANS LA CHRONOLOGIE

1° Lacune dans les dates d’adhésion au Parti communiste français

T. I, p. 1717 : les négociations d’un certain nombre de surréalistes avec les dirigeants du Parti communiste français, « aboutissent à l’adhésion pour Aragon, Breton, Éluard et Unik dans le courant de janvier 1927. Péret était inscrit depuis 1926. » En note, Marguerite Bonnet ajoute : « Aragon donne pour lui-même la date du 6 janvier 1927, “précisément parce que c’était le jour des Rois” (L’Œuvre poétique, t. IV, 1927-1929, Tournai, Livre club Diderot, 1974, p. 19-20). »

Le souvenir d’Aragon est erroné. La datation de l’adhésion de janvier doit être postdatée d’une semaine. Marko Ristić a noté dans son Journalparisien, le samedi, 15 janvier 1927 : « Eté au café Cyrano. 1° X ( ?), 2° X – Bernier ( ?), 3° Breton, 4° Eluard, 5° Sadoul, 6° Fourrier [Marcel], 7° Noll. - La nuit dernière il y a eu la réunion du Rayon Montmartre, où de la part des communistes on leur a posé des conditions. Qu’ils acceptent.2 »

2° Contradiction à propos du déménagement de Breton 1946-1949

T. I, p. XLIV : Depuis 1922, Breton vivra continûment dans un atelier au 42 de la rue Fontaine, à côté de la Place Blanche ; « il ne déménagera que vers 1949 pour s’installer à l’étage du dessous, dans un logement plus spacieux ». Mais à la page 1289, on note que Breton « changea seulement d’étage pour avoir un appartement plus grand en 1946 ».

3° Erreur dans la datation de la chronique sur l’Amour de J. Delteil

En colère contre Joseph Delteil, Pierre Naville et bien d’autres anciens amis, Breton se trompe en citant l’« ignoble chronique sur l’amour dans le numéro 2 de La Révolution surréaliste (direction Naville) ». L’erreur est d’autant plus curieuse que le Second Manifeste du surréalisme, dans sa première version, est publié dans le dernier cahier de La Révolution surréaliste précisément (n° 12, 1929 ; cf. p. 4).

Tome I, p. 788, reproduit cette erreur sans que les éditeurs se soient aperçus de la méprise : la « Chronique sur l’Amour » était publiée non pas dans le n° 2, mais bel et bien dès le 1 er numéro de La Révolution surréaliste du 1 er décembre 1924 (cf. p. 28). Pierre Naville n’a pas dirigé uniquement le n° 2, et il n’était pas seul ; il a signé avec Benjamin Péret les deux premiers numéros. Breton a pris la direction du n° 3 (le 15 avril 1924). Ensuite Naville et Péret signent de nouveau le n° 4 (15-VII-1925). Enfin Breton dirige seul tous les numéros suivants, du n° 5 (15-X-1925) au dernier, n° 12 (15 décembre 1929).

II. NOTICES BIOGRAPHIQUES

Plusieurs notices sur les personnes évoquées par Breton, mèlent esprit non-critique et anachronismes. Dénuées du sens critique objectif, ces notices biographiques contiennent des lacunes (exemple : Marcel Noll), des répétitions (un autre exemple : James Brown alias Pierre Morhange), voire des opinions préjudiciables (un dernier exemple : Gala Éluard-Dali).

Tome I : Marcel Noll est très présent dès 1922 dans le cercle d’amis qui fréquentent l’atelier de Simone et André Breton, qui écrivent et voyagent en commun. « Paul Éluard, Marcel Noll et moi nous trouvons réunis à la campagne… », écrit Breton dans l’un des « Cinq rêves » (Clair de terre, 1923) ; OC I, p. 153. Une notice de Marguerite Bonnet, p. 1194-1195, relative à cette première évocation, énumère la collaboration de Noll à La Révolution surréaliste (n° 1, décembre 1924) et son rôle de gérant de la Galerie surréaliste en 1926. Dix ans plus tard, Noll « aurait disparu en Espagne durant la guerre civile ». Marguerite Bonnet discute surtout le manque de rigueur dans la gestion de Noll en citant « une allusion à ce comportement dans la presse comme dans les lettres d’Éluard à Breton », et qu’« Aragon en parle de façon voilée à Dominique Arban (Aragon parle avec Dominique Arban, p. 60-61) et lui fait jouer un rôle dans sa tentative de suicide à Venise en 1928 ».

Précisons d’abord qu’Aragon a dédié à Noll le chapitre III du Paysan de Paris (1926) ; la signifiance du personnage n’en sort pas moindre, au contraire. Breton lui dédie le poème « L’Aigrette » dans Clair de terre (OC I, p. 183), et une nouvelle notice de Marguerite Bonnet, p. 1211, l’explique « par le fait que Noll a passé deux jours à Lorient, ainsi qu’Éluard, du 29 au 31 août (lettre [de Breton] à Jacques Doucet du samedi 1 er septembre) ».

Étrangement, la mort incertaine de Noll dans la guerre d’Espagne se trouve comme prédite dans un des textes du Poisson soluble II n° 36, du 11 mai 1924 : « …alors mais seulement alors je croirais à la mort de Marcel Noll, aux bruits avant-coureurs de sa mort et à sa vie. » OC I, p. 548 (la notice, p. 1465, renvoie simplement à la précédente de Clairdeterre).

Ensuite, Noll entre parmi les surréalistes de la première heure dans le Manifeste du surréalisme (1924) ; OC I, p. 321, ce que les notices le concernant ne prennent pas en compte.

Enfin dans Nadja (1928) on voit Breton se rendre un jour de 1926 « avec Marcel Noll au “marché aux puces” de Saint-Ouen… » Pour la réédition de Nadja en 1962, Breton supprimera pourtant le nom de Noll (OC I, p. 676). La notice de Marguerite Bonnet, p. 1538, s’efforce de justifier cette suppression, tout en renvoyant pour la 2 e fois à la notice précédente du Clairdeterre :

La suppression du nom de Marcel Noll en 1962 peut s’expliquer par le fait qu’il a disparu assez tôt du surréalisme, dans des circonstances quelque peu troublantes (voir Clair de terre, n. 2, p. 153). En 1962, son nom ne signifie plus grand-chose pour les lecteurs qui ne connaissent que de façon générale l’histoire d’un mouvement auquel il n’a pas laissé d’œuvre.

Cette dernière explication n’est pas seulement insuffisante ; les raisons de Breton sont d’ordre personnel – liées à son propre passé, et non pas objectives. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas un lecteur supposé de 1962, mais le face à face au lecteur de Breton lui-même qui détruit un morceau de son propre passé. Même si Marcel Noll « n’a pas laissé d’œuvre » au sens de la tradition littéraire, il a laissé assez de traces existentielles dans la vie de Breton (cf. les Lettres de Simone Breton) que dans les textes de Breton – Poissonsoluble (II, n° 37), « Cinq rêves » (Clair de terre), enfin Nadja, pour qu’une tentative de les effacer en supprimant son nom de l’un de ces textes paraisse illusoire, aussi illusoire que d’essayer de manière non-critique de justifier cette dernière suppression).

 

GalaÉluard est dédicataire du poème « Épervier incassable » (1922) dans Clair de terre (OC I, p. 160). Cela aurait dû suffire pour justifier un commentaire sur les rapports Breton-Gala au sein du cercle surréaliste dans les années 1920. Mais la notice de la page 1199, trois lignes, renvoie sèchement au Dictionnaire général du surréalisme composé par Breton et Éluard (soit seize ans plus tard…), et aux Lettres à Gala de Paul Éluard (posthume, 1984) ! L’anachronisme cache une méchanceté caractérisée : la notice du Dictionnaire…, n’est qu’une citation de Salvador Dali : « GALA. – Femme violente et stérilisée. » (Breton, OC III, p. 812). Les mémoires d’André Thirion précisent l’opération chirurgicale subie par Gala dans les années 1930 (Révolutionnaires sans révolution) ; elle n’a rien à voir avec « la jolie menuiserie du sommeil » dans le poème de Breton de 1920. La notice de Marguerite Bonnet dans son appareil critique n’est donc pas seulement tendancieuse, dévalorisante, mais montre un manque alarmant de sens poétique.

Comparer avec la notice sur Ève Francis, dédicataire d’un autre texte de Breton : aux yeux de Marguerite Bonnet, la dédicace « s’explique non seulement par la personnalité et la notoriété de l’actrice ou ses liens occasionnels avec Aragon et Breton, mais aussi par l’amitié qui unit Aragon à Louis Delluc » (ceci conclut les onze lignes de cette notice superflue, p. 1402).

T. I, notice sur la réception du Manifeste du surréalisme, p. 1342 : la critique par John Brown alias Pierre Morhange (1901-1972) dans la revue Philosophie, n° 3, 15-IX-1924, lui a valu une menace collective des surréalistes, publiée dans Le Journal littéraire du 18 octobre 1924, lui interdisant (sic) d’« écrire le mot Surréalisme » sous peine de « correction cruelle ». – Marguerite Bonnet répète ce fait dans la notice sur le Second manifeste du surréalisme, p. 1605, au lieu d’y renvoyer le lecteur.

III. IDENTIFICATION DES SOURCES DE BRETON : KANT, SADE

Les méandres des marque-pages, et des notes marginales, dans les livres que Breton a laissés dans sa bibliothèque privée, ont été d’une aide essentielle dans l’identification de ses sources. Les citations d’ordre philosophique ont présenté visiblement plus de difficultés que les littéraires. L’utilisation que Marguerite Bonnet a faite de la réception de la philosophie de Hegel à travers un ouvrage critique de Vera est l’exemple le plus éclairant de l’utilité de ces identifications. Mais beaucoup d’autres sources sont restées inconnues. Une paraphrase de Descartes, une citation de La Critique de la raison pure de Kant, etc., sont des exemples que nous ajoutons. Les autres exemples donnés dans les Notes – comme références supposées à Pascal – par contre, doivent être infirmées.

T. I, p. 251 : le texte de 1920 sur l’artiste de la pittura metafisica, Giorgio de Chirico, s’ouvre par une citation :

Olivier Lorsque Galilée fit rouler sur un plan incliné des boules dont il avait lui-même déterminé la pesanteur, ou que Torricelli fit porter à l’air un poids qu’il savait être égal à une colonne d’eau à lui connue, alors une nouvelle lumière vint éclairer tous les physiciens.

Notice de Marguerite Bonnet, page 1272 :

Ce paragraphe paraît provenir d’un ouvrage de vulgarisation ou d’une page de dictionnaire ; ces rapprochements ont pu être suggérés à Breton par le sujet de certaines œuvres de Chirico : savants, plans inclinés, boules évoquant l’expérience la plus connue de Galilée, baromètre du Rêve de Tobie renvoyant à l’expérience de Torricelli. Quoi qu’il en soit, cette référence initiale à deux savants qui ont bouleversé les conceptions scientifiques de leur temps signalent d’emblée qu’aux yeux de Breton les tableaux de Chirico proposent un nouveau mode de représentation du monde.

En effet, Breton a extrait sa citation de la préface à la 2 e édition de La Critique de la raison pure de Kant (de 1787)3.

L’esthétique transcendantale de Kant est évoquée également dans la phrase (loc. cit., p. 251) où Chirico révise « les données sensibles du temps et de l’espace ». Notice (5), p. 1272, manque également cette référence et renvoie sur un autre « article sur Max Ernst ».

Kant met une autre évocation de Pascal en doute. « L’égarement d’un philosophe… » (exemple d’une dualité d’esprit dans Les Pas perdus, p. 294) est attribué par Marguerite Bonnet au personnage de Pascal (p. 1323). Mais cela peut bien être quelque autre philosophe, Kant lui-même par exemple.

Breton cite l’ouvrage capital kantien dans son « Projet pour la Bibliothèque de Jacques Doucet » : comme on ne pouvait cacher Kant à la mentalité poétique de sa génération, écrit Breton, « c’est lui qui fut commis à nous sauver ». Et il ajoute un jugement péremptoire :

Quoique aujourd’hui ce ne soit plus guère que pour deux chapitres à peine de la critique de la raison pure, l’Esthétique transcendantale, que ce philosophe reste vivant, il n’est rien de moins négligeable que cet esprit qui sut le premier prendre conscience de l’opposition entre les principes du rationalisme leibnizien, auxquels il demeura toujours fermement attaché et l’existence même de la science newtonienne.

Pour Kant, « il s’agissait d’expliquer l’objectivité des données internes de la raison », et Breton conclut ici que « ce problème immortel est sensiblement le même que celui qui se pose aujourd’hui [en 1923] à des esprits plus purement scientifiques, qui rencontrent la même opposition que Kant. » (OC I, p. 631 ; de nouveau sans aucun commentaire dans les notices).

En effet, ces « lieux communs » proviennent de l’ouvrage biographique de Borowski, ancien secrétaire de Kant : Darstellung des Leben und Charakters Immanuel Kants, véhiculé par Thomas de Quincey dans son récit sur « La mort d'Immanuel Kant ».

Ensuite en 1945 : « Témoignage 45 », sur Marcel Duchamp : « On a dit que dès sa publication, il devint impossible de penser comme si la Critique de la raison pure n’avait jamais existé. » (OC III, p. 144). Et l’appareil critique du t. III reste muet quant à cette dernière référence.

Remarquons que le poème découpé des titres de journaux dans Poisson soluble II n° 61, du 23 avril 1924, avait marqué l’occasion de la célébration du bicentenaire de la naissance du philosophe : « EMMANUEL KANT / naquit il y a 200 ans / La Jeunesse intellectuelle / Elle lui résistait / En cherchant des escargots / sur les confins / du monde… » ; ces « vers » découpés sont précédés par une sorte du titre en tête de la page : « La tête de sûreté » (OC I, p. 586). Nous le considérons volontiers comme un poème sur Kant, confronté à « la mentalité poétique de notre génération », comme le formule Breton en 1923.

Les autres références anecdotiques sur Kant sont pourtant commentées – « la distraction de la femme chez Kant » (Manifeste du surréalisme, 1924 ; OC I, p. 346) serait, d’après la notice p. 1364, le biographème sur le vieux célibataire, véhiculé « par la célèbre remarque de Henri (sic, pour Heinrich) Heine dans son livre De l’Allemagne ». Mais Breton y revient plus sérieusement dans « Les “Enfers artificiels” » : « il y a malgré tout quelque chose d’infortuné dans la vie de certains grands philosophes comme Kant qui se créent un monde à part et se mettent à la merci d’un lieu commun tel qu’un sourire de femme » (OC I, p. 625 ; sans commentaire dans les notices).

Commentaire sur Kant dans le penser surréaliste de Breton pourrait analyser son utilisation dans l’ensemble des textes de Breton, qui déclara vouloir « reproduire pour [son] compte toute la démarche de la pensée moderne, cette pensée qui est venue normalement à Marx par Hegel, comme elle était venue normalement à Hegel par Maître Eckhart et par Kant. » (Conférence sur « Le Surréalisme », 1946, OC III, p. 156). Ensuite, ce penser kantien existe aussi dans Le Paysan de Paris d’Aragon.

Les autres thèmes philosophiques, comme l’existentialisme de Heidegger (« Devant le rideau » dans La Clé des champs, 1947 ; OC III, p. 747), n’ont été commentés dans aucune notice.

Tome I, p. 263 : le manifeste dadaïste « Lâchez tout » (1922), nous parle de la passion des idées. « Pardonnez-moi de penser que, contrairement au lierre, je meurs si je m’attache. » Il s’agit vraisemblablement d’une paraphrase de Descartes : (« il existe des hommes lierres, qui ne pensent pour soi-même »)

Tome II, p. 1194, le poème Fata Morgana (1940), « L’action se passe dans le voile du hennin d’Isabeau de Bavière… » ; une longue notice, p. 1794-1795, discute la proposition d’Henri Desoubeaux (Mélusine, n° XI, 1990), selon laquelle le récit de Sade, Histoire secrète d’Isabelle de Bavière, reine de France, peut être identifié comme source des vers de Breton. E.-A. Hubert conclut que « pour l’ensemble de la tradition Isabeau de Bavière n’est pas, à l’époque de son mariage, le monstre de séduction et de perversité qu’elle est chez Sade. » Mais Breton citera Sade dans l’article « Isabeau », Lexique succinct de l’érotisme surréaliste, 1959 !

T. III, p. 746 : Troisième Convoi, revue de l’après-guerre, est évoquée par Breton à travers une citation de Jean Maquet exigeant la « peau neuve » du surréalisme (« Devant le rideau », La Clé des champs). La notice (1) d’E.-A. Hubert, p. 1370, localise uniquement le titre de l’article de Maquet : « Les Anges pleurant ». Il faut ajouter une information basique sur la revue elle-même qui emprunte son titre à Breton (dans Les Vases communicants, il parle des « voyageurs du second convoi »). Le Troisième Convoi a été publié entre 1945 et 1951, avec cinq numéros en tout (réédités par Fourbis, 1998). Jean Maquet et Michel Fardoulis-Lagrange en ont été les fondateurs. Ils ont invité Breton à y collaborer. Il avait répondu favorablement, quand, en préparant son envoi, il a été surpris par l’attaque de Maquet dans la revue même !4

IV. CINQ POèMES DE BRETON PREPUBLIéS DANS L’IMPOSSIBLE

Pour l’almanach surréaliste yougoslave bilingue, en serbe et français, Nemoguće – L’Impossible, Breton envoie à Marko Ristić un manuscrit de cinq poèmes qui seront publiés en mai 1930, sur deux grandes pages (p. 106-108), dans l’ordre suivant : « Les écrits s’en vont » (p. 106), « La forêt dans la hache » (p. 106-107), « Hôtel des étincelles » (p. 107-108), « Toutes écolières ensemble » (p. 108), enfin « Le verbe être » (id.). Breton les insérera, deux ans plus tard, dans son livre Le Revolver à Cheveux blancs, imprimé le 25 juin 1932. Il est intéressant d’y observer un ordre de présentation différent, presque inverse de celui respecté dans L’Impossible.

Ces cinq poèmes sont réédités dans le cadre de la reprise intégrale des cinquante-cinq textes du Revolver, dans les Œuvres complètes de Breton, t. II, p. 74-80 (dans l’ordre suivant : « Hôtel des étincelles », « Le verbe être », « Les écrits s’en vont », « La Forêt dans la hache » et « Toutes les écolières ensemble »).

José Pierre, qui les commente dans les Œuvres complètes, ignorait la prépublication de ces poèmes dans L’Impossible, alors que la revue LeSurréalisme au service de la Révolution n° 1 avait présenté L’Impossible comme « une publication à laquelle ont collaboré : Aragon, Breton, Char, Éluard, Péret, Thirion…5 », et que Marko Ristić en avait ensuite parlé dans ses souvenirs sur Breton, publiés sous le titre « La Nuit du Tournesol » (paraphrase d’un poème de Breton), dans le numéro spécial de La Nouvelle Revue Française : « André Breton 1896-1966 et le mouvement surréaliste – Hommages – Témoignages – L’œuvre – Le mouvement surréaliste » (n° 172, 1 er avril 1967, p. 699-706) :

Pour notre almanach L’Impossible, paru en mai 1930, Breton nous avait envoyé cinq poèmes (plus tard reproduits dans Le Revolver à cheveux blancs) et dont l’un avait été cet inégalable Verbe être (« Je connais le désespoir dans ses grandes lignes… »). (p. 704n)

L’effet belgradois de cette prépublication, clairement notée dans le commentaire de Ristić, n’est pas pris en compte dans la notice sur la réception du recueil Le Revolver à cheveux blancs (p. 1321-1322).

T. II, p. 1331 : le poème « Hôtel des étincelles » est cité comme « sans prépublication » ; on constate la même erreur à propos des quatre autres poèmes précités, décrits sommairement dans les notes de José Pierre (p. 1331-1332).

Mais quelques 300 pages plus loin dans le même volume, José Pierre se trouve contredit par Marguerite Bonnet qui, elle, commentant la seule « Réponse » de Breton à l’Enquête sur le désir lancée par Ristić (et Vane Bor) dans la revue Nadrealizam Danas i Ovde – Le Surréalisme Ici et Aujourd’hui6, ajoute d’amples renseignements (p. 1612-1616) sur la collaboration entre Breton et Ristić, sans oublier les « cinq poèmes envoyés pour Nemoguće » (orthographié : « Nemogucé », à trois reprises, p. 1613)7 . Marguerite Bonnet précise en note que ces cinq poèmes « seront repris dans Le Revolver à cheveux blancs » (id.). Elle évoque le souvenir de Ristić dans La NRF de 1967 sur ces poèmes, tout spécialement sur « Le Verbe être », ainsi que d’autres souvenirs, sur le conflit de Breton avec Aragon par exemple (« communiqué par Marko de Ristić à Marguerite Bonnet le 23 janvier 1975 » ; id.).

Pour qu’un lecteur avisé tire les bonnes déductions de ces renseignements, a posteriori, il faut alors passer par une critique négative des propos antérieurs erronés de José Pierre, collaborateur du volume II : constater un manque de coordination, voire une absence de relectures et d’homogénéisation de l’appareil critique dans les Œuvres complètes de Breton dans la Pléiade.

 

 

1. Entretien avec Jean Cottin, dans la rédaction de la Pléiade, rue Sébastien Bottin, 1988. Voir mon compte-rendu de l’édition des Œuvres complètes, t. I, dans la revue Pitanja, Zagreb.

2. M. Ristić, « Pariski dnevnik » dans Uočinadrealizma, Belgrade, Nolit, 1985, p. 201. Traduction B. Aleksić.

3. Voir E. Kant, Œuvres philosophiques publiées sous la direction de F. Alquié (t. I-III) ; t. I, Critique de la Raison pure, trad. collective J. Barni, Delamarre et Marty, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1980, p. 737.

4 Voir : Branko Aleksić : « La force motrice du négatif dans la revue Troisième Convoi (1945-1951) », Mélusine, n° XIX, p. 368-389. Paris, décembre 1999.

5. Article « L’Impossible », L.S.A.S.D.L.R., n° 1, Paris, juillet 1930 (p. 11-12) ; p. 11.

6. Revue mentionnée dans Le Dictionnaire abrégé du surréalisme (1938) de Breton et Éluard (OC II, p. 839).

7. Le prénom de Dušan Matić est aussi estropié (« Dujan », p. 1 612 N et 1614n).