Le SurrÉalisme au service de la RÉvolution
LE SURREALISME AU SERVICE DE LA REVOlUTION N°6

Revue 6

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« EN LISANT HEGEL »

J’ai reçu, au début de l’année, de Charles Hainchelin, la traduction de quelques-unes des notes prises par Lénine au cours d’une lecture de la Science de la Logique de Hegel, lecture faite à Berne, à la fin de 1914. De la part d’Hainchelin, cette traduction devait constituer un des éléments d’une collaboration que le mauvais état de sa santé ne lui a pas permis de réaliser entièrement.

Le texte que nous reproduisons a été établi d’après l’édition allemande de la Marxistische Bibliothek. En tête de chaque paragraphe figure un chiffre qui est celui de la page correspondante du volume de cette édition :comme la Science de la Logique n’est pas traduite en français, cette référence m’a paru la plus simple. Quelques notes, pourtant, se rapportent à la Petite Logique de l’Encyclopédie traduite par A. Vera sous le titre : Logique-de Hegel. Dans le cours du texte, les citations de Hegel sont toujours placées entre guillemets.

Fallait-il ou non commenter cette publication ? L’édition allemande est, à ce sujet, d’une grande retenue. Il m’a semblé que cette manière était la meilleure, tant pour rester dans le cadre d’une revue qui n’est pas à proprement parler une revue philosophique, que pour ne pas alourdir inopportunément un texte dont la nature même appellerait une très longue exégèse.

Ce n’est là, encore une fois, qu’une partie des trois Cahiers philosophiques ou Lénine traite de la Logique de Hegel. Il appartenait aux surréalistes qui, à l’exception de quelques philosophes professionnels, sont seuls ici à se réclamer de la pensée hégélienne et à rapporter constamment leur démarche propre à cette pensée, d’imprimer pour la première fois en France des fragments du dialogue Hegel-Lénine. Pour nous il ne s’agit évidemment pas à ce propos de faire étalage d’érudition, non plus que de piquer par jeu la curiosité. L’effet qu’a produit sur chacun de nous la lecture des textes qui suivent nous a conduit à leurs reconnaître la plus grande puissance de choc sur tous ceux qui aspirent à dégager les lois de l’évolution de tous les objets matériels et intellectuels. Pas une face de l’activité surréaliste où l’utilité de retenir les jugements De Lénine sur la dialectique soit niable. Pas un de ces jugements où nous ne touchions pour nous quelque chose de très grave, de très nécessaire.

Plus particulièrement attiré, en ce qui me concerne, par les problèmes d’ordre politique, je dois dire – au risque d’aiguiller la pensée du lecteur vers une direction particulière – que la date de rédaction de ces textes m’a frappé. Il est remarquable qu’au moment même où venait de se produire l’effondrement de la 2 e Internationale, Lénine ait jugé indispensable d’aller de nouveau interroger Hegel, et ceci en réaction contre le fait que les plus célèbres théoriciens social démocrates l’avaient curieusement négligé. Sans doute Lénine considéra-t-il ce travail comme le complément nécessaire à la dénonciation, à laquelle il se livra alors, de la trahison des partis socialistes.

L’histoire se répète ; les événements dont l’ Allemagne, depuis la fin de janvier, est le théâtre paraissent de nature à donner aux préoccupations théoriques qui furent à ce moment celles de Lénine plus d’actualité que jamais.

André THIRION.

4. Retourner : La logique et la théorie de la connaissance doivent être dérivées de l’évolution de toute la vie matérielle et intellectuelle.

6-7. Les catégories de la logique sont des abréviations de la « quantité infinie » des « particularités infinies de l’existence extérieure et de l’activité ». De leur côté ces catégories servent à l’homme dans la pratique.

8. Objectivisme. Les catégories de la pensée ne sont pas des moyens auxiliaires de l’homme, mais l’expression des lois aussi bien de la nature que de l’homme.

9. Mais Hegel exige une logique dans laquelle les formes doivent être pleines d’un contenu vivant, réel, auquel elles sont liées d’une manière inséparable.

9. La logique est l’enseignement, non des formes extérieures de la pensée, mais des lois de l’évolution de tous les objets matériels, naturels et intellectuels, c’est-à-dire de l’évolution de l’ensemble du contenu concret du monde et de sa connaissance, c’est-à-dire le résultat, le total, la conclusion de l’histoire de la connaissance du monde.

10. Devant l’homme est déployé un réseau de phénomènes naturels. L’homme instinctif, le sauvage, ne s’élève pas au-dessus de la nature, l’homme conscient et actif, lui, s’élève au-dessus ; les catégories sont le degré de cette élévation, c’est-à-dire de la connaissance du monde, les nœuds dans le réseau qui aident à le connaître et à s’en rendre maître.

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11. On doit dériver les catégories (et non pas les prendre arbitrairement ou mécaniquement) (non « en racontant », « en assurant », mais en démontrant) en partant des plus simples, des fondamentales (l’être, le néant, le devenir) (pour ne pas nommer les autres) ici, en elles, est « tout le développement dans le germe ».

15. Très important, à mon avis, cela signifie :

Nécessaire est la connexion, la connexion objective de toutes les faces, forces, tendances, etc., du domaine donné des phénomènes.

2° « La naissance immanente des différences »… la logique interne objective de l’évolution et du combat des différences de la polarité.

17. La dialectique :

= « saisir le contradictoire dans son unité ».

17. Une forme magnifique : « non seulement l’universel abstrait, mais un universel tel qu’il contienne en soi la richesse du particulier, de l’individuel, de l’isolé, toute la richesse du particulier et de l’individuel » ! Très bien !

18. « Non abstrait, mort, inanimé, mais concret » (caractéristique ! Esprit et Essence de la dialectique !)

18. Kant : « borner » la raison et fortifier la foi.

19. Ciel. Nature. Esprit. Le ciel ôté : matérialisme.

20. Je m’efforce avant tout de lire Hegel en matérialiste. Hegel est le matérialisme placé sur la tête (d’après Engels) – c’est-à-dire je laisse le bon Dieu, l’absolu, l’Idée pure, etc. pour la plus grande partie de côté.

22. « Ce qui est le premier dans la science a dû se montrer historiquement le premier » (cela résonne d’une manière extrêmement matérialiste !)

26. La dialectique est l’enseignement qui montre comment les contraires peuvent être identiques, ont l’habitude d’être (comment ils le deviennent) – sous quelles conditions ils sont identiques en se transformant l’un en l’autre, pourquoi l’entendement humain ne doit pas saisir ces contraires comme morts, gelés, mais comme vivants, conditionnés, mobiles, se transposant l’un dans l’autre. En lisant Hegel…

27. Pensée sur la dialectique. En lisant Hegel.

… l’élasticité universelle, sous toutes ses faces, des notions, élasticité qui va jusqu’à l’identité des contraires – là gît l’essentiel. Cette élasticité, subjectivement appliquée = éclectique, sophistique. Si cette élasticité est employée objectivement, c’est-à-dire si elle reflète toutes les faces du processus matériel et son unité, alors elle est dialectique elle est l’exact reflet de l’évolution éternelle du monde.

70. La loi est le reflet de ce qu’il y a d’essentiel dans le mouvement de l’univers.

71. Phénomène, totalité. (Loi = Partie). Le phénomène est plus riche que la loi.

72. La loi est un rapport.

77. Le développement de la totalité des moments de la réalité N.-B – L’essence de la connaissance dialectique.

78. « La substance est un degré essentiel dans le procès évolution de l’idée. »

Lis : un degré important dans le procès de l’évolution de la connaissance humaine de la nature et de la matière

82. La nécessité ne disparaît pas en devenant liberté.

85. Renverser : les notions sont le plus haut produit du cerveau, du plus haut produit de la matière

92. Le phénomène est une manifestation de l’essence (91. Hegel pour la connaissabilité de l’objet en soi).

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99. Aphorisme : on ne peut comprendre complètement le « Capital » de Marx et particulièrement le 1 er chapitre si l’on n’a pas étudié à fond et compris toute la logique de Hegel. C’est pourquoi, depuis un demi-siècle, aucun marxiste n’a compris Marx.

99. Aphorisme.

… Et Hegel a réellement démontré que les formes et les lois logiques ne sont pas une enveloppe vide, mais le reflet du monde objectif. Plus exactement non démontré, mais génialement deviné.

107. Dialectique matérialiste

Les lois du monde extérieur, de la nature, leur division en mécaniques et chimiques (cela est très important) sont les fondements de l’activité de l’homme, dirigée vers un but. Dans son activité pratique, l’homme a devant lui le monde objectif dont il dépend et qui détermine son activité.

De ce côté, vue du côté de l’activité pratique de l’homme (s’étant proposé un but) la causalité mécanique (et chimique) du monde (de la nature) apparaît comme quelque chose d’extérieur, comme quelque chose de subordonné, comme quelque chose de caché.

Deux formes du processus objectif : la nature (le mécanique et le chimique) et l’activité se proposant un but de l’homme. Le rapport réciproque de ces formes. Les buts de l’homme paraissent au début étrangers, « autres » dans leurs relations avec la nature. La conscience de l’homme, la science (« la notion ») reflète l’essence, la substance de la nature, mais cette conscience est en même temps une chose externe par rapport à la nature (elle ne coïncide pas avec elle tout de suite, simplement).

C’est pourquoi la technique mécanique et la technique chimique servent aussi des buts humains parce que leur caractère état) consiste dans leur détermination par des rapports extérieurs (les lois de la nature).

108. En réalité les buts humains sont créés par le monde objectif et le supposent ; ils le trouvent à l’avance comme quelque chose de donné, de présent. Mais il semble à l’homme que ses buts naissent hors du monde, sont indépendants du monde (« liberté… »)

110. Les catégories de la logique et de la pratique humaine.

...On doit retourner la chose : l’activité pratique de l’homme devait conduire des milliards de fois la conscience de l’homme à la répétition des différentes figures logiques, afin que ces figures puissent recevoir l’importance d’axiomes.

111. L’homme par sa pratique, démontre la justesse objective de ses idées, notions, connaissances, de sa science.

115. N.-B. – La connaissance est l’approche éternelle et infinie de la pensée vers l’objet. Le reflet de la nature dans la pensée humaine n’est pas à comprendre comme mort, « abstrait » sans mouvement, sans contradictions, mais il faut le comprendre dans le processus éternel du mouvement, de la naissance et de la négation des contradictions.

116. Hegel a génialement deviné la dialectique des objets (des phénomènes, du monde, de la nature) dans la dialectique des notions.

117. Cet aphorisme pourrait être exprimé d’une manière plus populaire, sans le mot dialectique, par exemple ainsi :

Hegel a génialement deviné dans le changement, dans la dépendance réciproque de toutes les notions, dans l’identité de leurs contraires, dans les passages d’une notion dans une autre, dans l’éternel changement, dans le mouvement des notions, le même rapport des objets, de la nature. Mais seulement deviné, pas plus.

117. En quoi consiste la dialectique ?

N.-B. – Chaque notion se trouve dans un certain rapport, dans une certaine connexion avec les autres.

118. Les moments de la connaissance (= de l’Idée) de la nature par l’homme, ce sont les catégories de la logique.

120. La dialectique n’est pas dans l’entendement de l’homme, mais dans l’« Idée », c’est-à-dire dans la réalité objective.

120. L’idée est processus.

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121. La vérité est un processus. De l’idée subjective, l’homme parvient à la vérité objective par la « pratique » (et la technique).

121-2. L’idée est la « vérité ». L’idée c’est-à-dire la vérité comme processus – car la vérité est un processus, traverse trois degrés dans son évolution : 1° la vie ; 2 le procès de connaissance qui inclut la pratique humaine et la technique ; 3° le degré de l’idée absolue (c’est-à-dire de la pleine vérité). La vie crée le cerveau. Dans le cerveau humain se reflète la nature. En faisant dans la pratique et la technique la preuve de la justesse de ces reflets et en les employant, l’homme parvient à la vérité objective.

122. Toute science est logique appliquée.

135. « La pratique est plus haute que la connaissance (théorique), car elle n’a pas seulement la dignité de l’universel, mais aussi de la réalité immédiate. »

142. L’unité de l’idée théorique (de la connaissance) et de la pratique – ceci N.-B. – et cette unité, justement dans la théorie de la connaissance, car l’« idée absolue » en résulte comme une somme (mais l’idée « le vrai objectif »).

144. (Éléments de la dialectique).

L’objectivité de l’examen (pas d’exemples, de digressions, mais l’objet lui-même) ;

2° la totalité des rapports variés de cet objet avec les autres objets ;

l’évolution de cet objet (ou du phénomène) son mouvement propre, sa vie propre ;

4° les tendances internes (et les faces) se contredisant dans cet objet ;

5° l’objet (le phénomène, etc.), comme somme et unité des contraires ;

6° le combat, ou le développement de ces contradictions, le caractère contradictoire des efforts, etc...

145. 7° L’union de l’analyse et de la synthèse, la décomposition des parties isolées et le total, l’addition de ces parties.

[La dialectique peut être brièvement définie comme la doctrine de l’unité des contraires. Ainsi le noyau de la dialectique est compris, mais cela exige des éclaircissements, un développement].

8° Les rapports de tout objet (phénomène) ne sont pas seulement variés, mais généraux, universels. Tout objet (phénomène, processus, etc.), est lié à tout.

9° Non seulement l’unité des contraires, mais les passages de chaque détermination, de chaque qualité, de chaque trait, de chaque face, de chaque propriété en chaque autre (en sens contraire ?)

10° Le processus infini de l’apparition de nouvelles faces, de nouveaux rapports, etc.

11° Le processus infini de l’approfondissement de la connaissance de l’objet, des phénomènes, des processus, etc., par l’homme, du phénomène à l’essence et de l’essence la moins profonde à la plus profonde.

12° De la coexistence à la causalité et d’une forme de connexion, d’une dépendance réciproque à une autre plus profonde, plus générale ;

13° la répétition de certains traits, de certaines propriétés, etc., du stade inférieur dans le supérieur ;

14° le retour apparent à l’ancien (négation de la négation) ;

15° Le combat du contenu avec la forme et inversement.

Le rejet de la forme avec la transformation du contenu ;

16° Le passage de la quantité à la qualité et vice-versa (15 et 16 sont des exemples de 9).

150. Ce n’est pas la négation pure, la négation légère et non réfléchie, la négation sceptique, l’hésitation, le doute qui est caractéristique et essentiel dans la dialectique – qui sans aucun doute contient en soi l’élément de la négation et en fait élément le plus important – non, mais la négation comme moment de la connexion, comme moment de l’évolution, avec maintien du positif, c’est-à-dire sans aucune hésitation sans aucun éclectisme.

La dialectique consiste principalement dans la négation de la première thèse, dans son remplacement par la deuxième (dans le passage de la première à la seconde, dans la production de la relation entre la 1 re et la 2 e, etc.), la seconde peut être fait prédicat de la 1 re.

Par exemple. – Le fini est infini. Un est multiple. L’individuel est universel.

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153. Ceci est important :

1° la caractéristique de la dialectique : autodynamique, source de l’activité, mouvement de la vie et de l’esprit ; coïncidence de la notion du sujet (de l’homme) avec la réalité ;

2° l’objectivisme à son plus haut degré(le « moment le plus objectif »).

154. La « triplicité » de la dialectique est sa face extérieure, superficielle.

156. N.-B. ceci : le plus riche est le plus concret et le plus subjectif.

N LÉNINE.

CENTENAIRE D’ARNIM

Sont en présence, à l’époque où Achim d’Arnim atteint l’âge de vingt ans et où nous le trouvons étudiant en mathématiques et en physique à l’université de Goettingue, deux conceptions scientifiques, dont l’une de tout récent avènement, qui, loin de tendre d’emblée à se concilier, vont à tout prix maintenir leur antagonisme et mener l’une contre l’autre une lutte à mort. Dans les circonstances historiques où s’engage un tel débat, pour un esprit aussi agile et aussi ardent que celui d’Arnim aucune neutralité n’est possible. Afin d’aider à le comprendre, je ne puis faire moins que retracer les péripéties à première vue fort singulières du drame mental qui se joue alors et, sous couleur purement intellectuelle d’imposer le choix entre deux méthodes la méthode expérimentale et la méthode spéculative, entraîne l’obligation d’opter entre deux explications foncièrement discordantes du monde et de la vie.

On ne saurait trop insister sur le rôle qu’a tenu la physique dans les préoccupations des romantiques. La grenouille écorchée qui, hors de toute attente, en 1786, sur la table de Galvani, a exécuté le mouvement que l’on sait, si l’on tient compte de l’extraordinaire révélation qu’ils en ont reçue, du secours dont elle leur a été dans la perception d’un nouveau monde aussitôt paré de toutes les grâces mystiques et même de l’habitude qu’ils ont contractée, comme à son image, de mettre leur cœur à nu, poétiquement cette grenouille pourrait assez bien passer pour leur totem. Or, lorsque en 1800 Arnim fait son entrée dans le cercle qui s’est formé autour des principaux universitaires d’Iéna, il est remarquable que son génie propre l’oriente vers Ritter qui, partant des expériences de Galvani, vient, en même temps que Volta dont il ignorait les recherches, de mettre en lumière des phénomènes susceptibles de confirmer les découvertes du magnétisme animal. La figure de Ritter semble bien, en effet, la plus attachante du moment. Physicien, mais aussi cabaliste, théosophe et poète, Ritter était alors, comme il le raconte lui-même dans l’introduction à ses Fragments, affecté d’un tic bizarre qui prenait l’apparence d’un « esprit » lutin et rappelle, à s’y méprendre, l’« écriture automatique » des médiums spirites. Ce tic l’obligeait, à tout instant, à s’interrompre dans le feu même de la composition et à écrire en marge de son manuscrit les inventions les plus burlesques ». Ce « surréaliste » avant la lettre se fait, après Mesmer, le grand apologiste du sommeil, par lequel, dit-il, « l’homme retombe dans l’organisme universel, est vraiment tout puissant physiquement », devient « un véritable magicien ». Le magnétisme et le somnambulisme requièrent tout particulièrement son attention. « Dans le magnétisme animal, dit-il, on quitte le domaine de la conscience volontaire pour entrer dans celui de l’activité automatique, dans la région où le corps organique se comporte de nouveau comme un être inorganique et ainsi nous révèle les secrets des deux mondes à la fois ». Il importe, pour se faire une idée plus précise de l’état de son esprit et de l’étendue de ses démarches, de lui tenir compte enfin de la déclaration suivante  : « Plusieurs

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de ces fragments je n’ai pu les publier, parce que sous leur forme primitive, ils paraîtraient trop osés et trop scabreux, particulièrement l’un d’eux, composé peu de semaines avant le mariage de l’auteur et qui est de telle nature qu’il semblerait impossible qu’avec de telles idées un homme put jamais songer à se marier ». Il s’agissait, paraît-il, d’une histoire des rapports sexuels à travers les âges avec, pour finir, une description de l’état idéal de ces rapports, description faite en des termes tels, observe l’auteur, « que ce fragment n’aurait pas trouvé grâce même auprès des juges les plus libéraux, malgré la rigueur de la démonstration ». Il est significatif de voir Achim Arnim, dont le premier ouvrage est un Essai de théorie des phénomènes de l’Électricité, compter parmi les hôtes les plus assidus de la maison de campagne de Ritter au Belvédère, dans les environs d’Iéna. C’est là, en effet, que passe pour se fomenter « un parti contre Schelling », dont la Philosophie de la Nature est vivement attaquée, Ritter ne voulant voir dans le système de Schelling « qu’un fragment de la Physique » et dans son auteur, incapable d’être « un philosophe par excellence : un philosophe chimiste », rien de plus qu’« un philosophe électricien. Bien que quelques auteurs mentionnent à cette époque, pour Arnim, l’existence de relations suivies avec Novalis, il semble qu’elles aient surtout été fonction des liens de reconnaissance passant pour unir Ritter à ce dernier, qui l’avait découvert et arraché à sa condition misérable. En dépit de ses incursions très fréquentes et très suspectes dans le monde métaphysique, tout permet en effet de penser que Ritter, en tant qu’expérimentateur de très haute classe, dut aux yeux d’un jeune homme épris, par formation, de rigueur et, par tempérament, de grande curiosité comme Arnim, jouir d’un tout autre prestige qu’un poète mystique s’égarant jusqu’à reprocher à Fichte de n’avoir pas mis l’extase à la base de son système. Quoiqu’il en soit, la mort de Novalis en 1801 assigne à ses possibilités d’influence personnelle sur Arnim des limites temporelles fort étroites. Nous savons d’autre part qu’Arnim, qui s’est montré d’emblée particulièrement attentif aux travaux de Priestley, de Volta, ainsi que du physicien et humoriste Lichtenberg, et dont le protestantisme était fort étayé de kantisme, n’entretint aucune relation personnelle avec Schelling. Ayant été des premiers à condamner la Philosophie de la Nature, il ne put nécessairement suivre son auteur à travers les caprices de son évolution ni, à plus forte raison, le rejoindre quand l’opportunisme – qui pour mieux séduire Schelling, avait pris les traits de Caroline Schlegel – lui eut dicté sa conversion aux idées les plus nuageuses de Ritter et de Jacob Boehme qui imprégnèrent le néo-catholicisme d’alors. De même il est à remarquer qu’il se tint toujours éloigné des frères Schlegel. Une telle attitude, que j’ai tout lieu de croire délibérée, implique à ce moment de la part d’Arnim une adhésion sans réserve aux thèses de Fichte, dans la très large mesure où, objet des polémiques les plus constantes et les plus violentes, elles défendent les droits de la Raison et de la Critique, elles sont l’expression de la philosophie de la Réforme et de la Révolution. Douterait-on de la netteté et de la vigueur de cette adhésion qu’il suffirait ici de faire état d’un témoignage qui fixe en 1811, c’est-à-dire l’année de la publication d’Isabelle d’Egypte, un propos qui prend à cette date toute sa valeur « Pour plus d’un auditeur, étudiant ou non étudiant, les conférences de Fichte, selon la remarque d’Achim Arnim, remplaçaient ce qu’était autrefois la religion de l’Église ».

Ainsi trouve, vraisemblablement non sans grande effervescence et fréquent retour aux scrupules, à se dénouer dans un des cerveaux les mieux organisés du début du xix e siècle, dont il ne faudrait pourtant pas oublier qu’il est essentiellement un cerveau poétique, la situation remarquable faite à l’esprit que s’arrachent alors plus manifestement que jamais les forces de progression et de régression. Une coalition frappante qui, pour prendre dans l’histoire assez exceptionnellement conscience d’elle-même, n’en est peut-être pas moins éternelle, tend à retenir dans le même camp les poètes, les artistes et les savants originaux qui savent

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trop le prix de l’illumination qui se produit, de loin en loin, à travers eux pour ne pas être tentés de la déifier et pour admettre que quelque chose tient en dehors d’elle, si ce n’est la nuit. De là à vouloir épaissir cette nuit, il n’y a naturellement qu’un pas, ainsi qu’en témoigna Schelling dès qu’il se fut mis en tête de rassembler sur sa philosophie le plus grand nombre des suffrages romantiques, en préconisant le retour au mysticisme et en inféodant la science à l’art comme il ne put manquer de le faire lorsqu’il déclara que « tous deux devraient se rencontrer et se confondre si la science avait résolu tout son problème comme l’art a pour toujours (c’est moi qui souligne) résolu le sien. » Dans l’autre camp, groupés autour de la personne de Fichte, comme ils le seront plus tard autour de celle de Hegel, se rassemblent les partisans des Lumières et parmi eux il est essentiel de reconnaître, dès cet instant, Achim Arnim. C’est, en effet, cette conjoncture et elle seule qui nous rend pleinement saisissable le remords, vers la fin de sa vie, de Brentano, s’accusant, lui qui devait finir moine, d’avoir favorisé le mariage d’Arnim avec sa sœur : « C’est moi, dit-il, qui l’amenai à Bettina, que je livrais par là à la littérature, aux philosophes, à la jeune Allemagne ; c’est moi qui suis cause qu’elle n’a plus de religion. »

Et c’est encore cette conjoncture qui nous explique que l’œuvre d’Arnim, dont la fantaisie est pourtant plus éblouissante qu’aucune autre à cette époque, n’encourt en rien le reproche d’ensemble qu’on peut faire porter sur la plus grande partie de la littérature romantique allemande et qui s’exprime, à mon sens, avec une décision et une autorité incomparable, dans ce jugement de Hegel sur Henri d’Ofterdingen, le roman si nébuleux de Novalis : « Le jeune auteur s’est laissé entraîner par une première invention brillante, mail il n’a pas vu combien une pareille conception est défectueuse, précisément parce qu’elle est irréalisable. Les figures incorporelles et les situations creuses se dérobent sans cesse devant la réalité où elles devraient pourtant s’engager résolument si elles-mêmes prétendaient à quelque réalité. » Rien de cet arbitraire, de ce vague, de cette irrésolution chez Arnim. Je m’assure, après les avoir maintes fois relus, qu’il n’est pas dans les contes qui suivent commis le moindre abus de confiance au delà de l’initiative qui consiste à mettre en circulation et en rapport des êtres aussi déliés que possible de la convention de se présenter dans leur substance ou dans leur maintien comme des êtres de la vie. Le premier assentiment donné à leur entrée en scène, ces êtres se comportent avec un naturel et, pourrait-on dire, une bravoure dont je suis loin de trouver un équivalent dans les créations de quelque autre conteur. Et disant cela je songe moins qu’à tout autre à Hoffmann et à ses « diables » de pacotille, dont un prétendu golem venu après celui d’Arnim et qui n’en est qu’une grossière contrefaçon. Ce sont vraiment des objets parfaits d’illusion, poussant la coquetterie jusqu’à paraître se soustraire à la volonté de l’auteur, de sorte que celui-ci, comme s’il échappait à toute contagion romantique, prend à côté d’eux figure d’observateur impersonnel. Le côté spectral de certains de ces personnages ne nuit expressément en rien à leur humeur, qui est parfois excellente et leur laisse toute licence de s’ébattre dans tous les sens pour notre plus grand émerveillement. Bref, la spéciosité de leur existence ne les retient aucunement, dès qu’ils ont été lâchés dans la vie courante, de manifester les penchants les plus valables et de se comporter logiquement selon leur nature. Ceci me paraît devoir être mis d’autant plus en évidence que rien ne porte plus préjudice à Arnim que de le faire passer, comme s’y sont employés Heine et Gautier, pour l’inventeur, remarquablement doué, d’histoires à faire peur. Il est, du reste, maint épisode d’un conte comme Isabelle d’Égypte (n’en prendrais-je qu’un seul exemple à la page 131 de la première édition française de ce livre) qui inflige un démenti éclatant à l’affirmation portée par Heine Et Gautier, du « sérieux » imperturbable d’Arnim et de sa crainte d’en user par trop familièrement avec les spectres. C’est très vainement, à mon sens, que le lecteur

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persisterait à se demander si, aux yeux d’Arnim, tel ou tel de ses personnages est vraiment vivant ou mort, quand bien même cette incertitude serait pour procurer à certains esprits peu exigeants une terreur panique plus ou moins agréable. J’estime que le premier moment d’émotion passé, mieux vaut, à beaucoup près, prendre ces personnages pour ce qu’ils sont et le plus froidement du monde observer pour cela que, dans leurs différences, ils ne font que reproduire, par exemple, certaines propriétés des images optiques qui oscillent entre la virtualité et la réalité.

Là réside en effet, selon moi, le grand secret d’Arnim qui est de douer d’une vie des plus acceptables certaines figures inanimées aussi aisément qu’il parvient à priver graduellement de vie des créatures dans lesquelles nous avions tout lieu de croire que le sang circulait. Toute référence à la magie serait ici plutôt de nature à obscurcir le problème et ne justifierait que très médiocrement la part sensible que nous prenons à ces continuels renversements de sablier. La magie ne me paraît dans l’œuvre d’Arnim être utilisée que comme toile de fond, n’intervenir que pour faciliter d’une manière toute extérieure l’exposition du drame purement intellectuel qui est celui de l’idéalisme allemand au début du xix e siècle. Songeons que le fameux, que le décisif « Ce qui est rationnel est réel, et ce qui est réel est rationnel », s’il n’a pas encore été prononcé ou entendu, est d’ores et déjà dans l’air et que toute conscience digne de ce nom doit, comme il se passe toujours en pareil cas, en être obscurément alertée. Subsiste cependant, en pleine lumière, l’erreur grandiose de Fichte qui, ne l’oublions pas, n’est tenue par aucun grand romantique pour une erreur, et qui consiste dans le fait de croire à l’« attribution par la pensée de l’être (de l’objectivité) à la sensation étendue dans l’espace ». Je ferai remarquer que cette manière de concevoir le monde extérieur, tendant à le faire dépendre de la seule puissance du Moi et équivalant pratiquement à le nier, ouvre un champ très large aux possibilités d’« extériorisation » en même temps qu’elle invite l’esprit à procéder à la décomposition du mouvement qui le porte à cette extériorisation même. J’entends par là que l’objet, conçu comme résultante d’une série d’efforts qui le dégagent progressivement de l’inexistence pour le porter à l’existence et vice-versa, ne connaît de fait aucune stabilité entre le réel et l’imaginaire. C’est ce qu’exprime fort clairement un des héros de ce livre, l’Héritier du Majorat, lorsqu’il déclare : « Je discerne avec peine ce que je vois avec les yeux de la réalité de ce que voit mon imagination » la considération des « états seconds » que nous avons vu prendre autour de Ritter un tour très actif est d’ailleurs de nature à renforcer l’équivoque. Enfin la création artistique à l’état de veille, par les rapports étroits qu’elle entretient avec la création subconsciente du sommeil et du rêve, n’est pas, et il faut bien le dire, ne sera sans doute jamais pour permettre entre ces deux solutions, la solution réelle et la solution imaginaire, une totale discrimination. L’ambition être voyants, de se faire VOYANTS, n’a pas, pour animer les poètes, attendu d’être formulée par Rimbaud, mais Arnim qui, dès 1817, proclamait l’identité des deux termes : « Nennen wir die heiligen Dichter auch Seher » est peut-être le premier à l’avoir réalisé intégralement pour l’un de ces poètes comme pour l’autre, découvrir dans la représentation le mécanisme des opérations de l’imagination et faire dépendre uniquement celle-là de celle-ci n’a, bien entendu, de sens qu’à la condition que le Moi lui-même soit soumis au même régime que l’Objet, qu’une réserve formelle vienne ébranler le « Je suis » toute l’histoire de la poésie depuis Arnim est celle des libertés prises avec cette idée du « Je suis », qui commence à se perdre en lui. C’est dans un conte comme Les Héritiers du Majorat qu’à ma connaissance pour la première fois tend à s’exprimer un doute radical à l’égard d’une telle affirmation, doute logique qui repose sur la possibilité de soustraire chez l’homme l’intuition de l’activité interne à l’action de la pensée qui confère l’être, doute qui, compte tenu de divers états d’éparpillement du Moi dans l’objet « extérieur » ayant lieu particulièrement dans l’enfance et dans certains délires, entraîne consciemment le trouble général de la notion de personnalité. Ici encore les faits de dédoublement de cette dernière,

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observés sur lui-même par Ritter, et les expériences de télépathie, de somnambulisme artificiel, auxquelles on avait coutume de se livrer au Belvédère semblent avoir prêté momentanément une apparence de justification concrète aux vues de Fichte et avoir eu, dans la formation de l’esprit d’Arnim, un caractère déterminant. Je me bornerai à faire, pour mémoire, allusion à quelques unes des étapes parcourues par cette idée jusqu’à nous, en citant Aurélia de Nerval, la profession de foi philosophique de Rimbaud : « C’est faux de dire : Je pense. On devrait dire : on me pense... Je est un autre », Les Chants de Maldoror et Poésies de Lautréamont, la préconception par Jarry de César-Antéchrist avec « des endroits où tout est par blason, et certains personnages doubles », un poème comme Ignorant de Nouveau, comme Cortège d’Apollinaire et toute l’œuvre de Salvador Dali dans laquelle, par exemple, la multiplication à l’infini de l’image onirique, le recours volontaire à certains effets de stéréotypie tend à compromettre à sa base le pouvoir objectivant qui, jusqu’à elle, restait en dernière analyse dévolu à la mémoire. Il n’est pas jusqu’au domaine plastique dans lequel Arnim ne se soit fait l’évocateur de l’inquiétude la plus durable et la plus moderne, comme lorsqu’un siècle avant Picasso – et plus de vingt-deux siècle après Apelle – il rêve dans Isabelle d’Égypte de « ce tableau qui représentait des fruits si habilement peints, que les oiseaux, les prenant pour des fruits véritables, venaient se heurter contre la toile ».

En dehors de ce premier conflit dont la répercussion à l’heure actuelle est encore considérable, auquel n’a pas positivement mis fin sur le plan de la création artistique non plus, par suite, que sur celui de la connaissance, la faillite de l’idéalisme subjectif, puis objectif, comme philosophie ou, si l’on préfère, sa résorption dans le matérialisme dialectique, l’œuvre d’Achim Arnim résonne encore, quoique plus faiblement, du heurt des idées de son époque en ce qui concerne la solution à donner au problème de l’État, le choix de l’organisme à faire prévaloir socialement. La doctrine passablement confuse, mais ultra-réactionnaire, qui trouve à s’exprimer dans l’Europe de Novalis en même temps que dans les Cours sur la littérature et les beaux-arts de Schlegel et qui tient dans les quatre mots : « Mysticisme, naturalisme, catholicisme, césarisme » n’avait pas eu, à son origine, d’adversaire plus résolu que Fichte dont le rationalisme, le vieil idéal démocratique et, pour tout dire, l’esprit révolutionnaire ne semblent à aucun moment avoir subi d’éclipse. Mais c’est précisément dans ces convictions mêmes – qu’on peut s’attendre à trouver celles d’un de ses auditeurs les plus passionnés comme Arnim – qu’un homme peut se sentir, non certes ébranlé, mais trop violemment atteint pour ne pas aussitôt réagir lorsqu’un fait extérieur, de l’ordre le plus brutal, vient annihiler ses espérances de progrès, sa volonté immédiate de perfectionnement. Ce fait extérieur ruinant, insurmontable, on sait que c’est Napoléon qui, en 1806, vint l’infliger gratuitement, sauvagement, à l’Allemagne des lumières. Avec lui s’effondrait de toute sa hauteur l’image de l’homme du 18 brumaire, dans lequel le jeune romantisme allemand avait eu la faiblesse de voir un libérateur et celui qui devait apporter à la France le « gouvernement libre d’une nation libre ». Au cours du réveil national qui, sous l’impulsion de Fichte, s’ensuivit en Allemagne et dont nous éprouvons aujourd’hui, à la suite d’une nouvelle aventure, le contre coup, il se peut que, trop longtemps identifiée avec Napoléon, la Révolution Française ait dans les meilleurs esprits subi le plus grand dommage. Il est indéniable qu’Arnim, dans Maria-Meluck-Blainville, se montre plus que défiant envers elle et je veux bien croire qu’il a, comme on le raconte, approuvé plus tard jusqu’au bout la politique de von Stein. J’y trouve cette excuse que, pour lui comme pour d’autres, la déception initiale avait du être trop forte, l’écroulement des efforts intellectuels trop soudain, tout à coup la misère de l’Allemagne trop grande, – et que Marx n’était pas encore né.

André BRETON.

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RECHERCHES EXPÉRIMENTALES

A

SUR LA CONNAISSANCE IRRATIONNELLE DE L’OBJET

BOULE DE CRISTAL DES VOYANTES

(5 février 1933)

Questions :

1. Est-elle diurne ou nocturne ? – 2. Est-elle favorable à l’amour ? – 3. Est-elle apte aux métamorphoses ? – 4. Quelle est sa situation spatiale par rapport à l’individu ? – 5. À quelle époque correspond-elle ? – 6. Que se passe-t-il si on la plonge dans l’eau ? – 7. Dans le lait ? – 8. Dans le vinaigre ? – 9. Dans l’urine ? – 10. Dans l’alcool ? – 11. Dans le mercure ? – 12. À quel élément correspond-elle ? – 13. À quel système philosophique appartient-elle ? – 14. À quelle maladie fait-elle penser ? – 15. Quel est son sexe ? – 16. À quel personnage historique peut-elle être identifiée ? – 17. Comment meurt-elle ? – 18. Avec quoi devrait-elle se rencontrer sur une table de dissection pour que ce soit beau ? – 19. Quels sont les deux objets avec lesquels on aimerait la voir dans un désert ? – 20. À quel endroit d’un corps nu de femme la poseriez-vous ? – 21. Et si la femme est endormie ? – 22. Et si elle est morte ? – 23. À quel signe du Zodiaque correspond-elle ? – 24. Sur quelle partie d’un fauteuil la poseriez-vous ? – 25. Sur quelle partie d’un lit la poseriez-vous ? – 26. À quel délit correspond elle ?

 

Réponses :

I. André Breton. –1. Nocturne –2. En grande partie indifférente, partiellement très favorable – 3. C’est le lieu même de toutes les métamorphoses possibles – 4. Elle a une sœur jumelle à l’intérieur de la tête – 5. À l’An-mille comme on l’attendait en 999 – 6. Le bruit idéal du baiser – 8. Elle s’effeuille, comme un artichaut transparent – 9. Selon la prédiction le fumier se transforme en or et l’or en fumier – 11. Elle prend la forme de cœur – 12. Le feu – 13. Héraclite – 14. Démence précoce – 15. Féminin (saphisme) – 16. Circé –17. Dans la main de celui qui, lui préférerait une bombe – 18. L’arbuste de sang parfaitement isolé d’un homme normal – 19. Avec la plus belle pièce de lingerie de luxe de l’armoire des demoiselles Papin et le pot d’étain du crime – 20. Sur la région lombaire – 21. Contre la plante du pied gauche – 22. Contre son oreille – 23. Les Gémeaux – 25. Cachée dans un ourlet du drap.

IIDenise Bellon. –1. Diurne –2. Très favorable –3. Oui – 5. Moyen-âge – 6. Elle s’allonge, se fond et il en sort de petits poissons –9. Elle s’envole comme un ballon d’enfant et roule sur de la neige – 12. L’eau – 13. Physiocrate – 14. La tuberculose – 15. Hermaphrodite – 16. Freud – 17. Par scissiparité à l’infini – 18. Un tronc de femme nue et un chronomètre – 19. Une mare d’eau et le soleil – 20. Dans le creux du cou, à demi recouverte par les cheveux – 21. Sous les jambes – 22. Sur le ventre, tenue par la main ouverte – 23. La Balance – 24. Sous un des pieds.

III. Roger Caillois. –1. Nocturne par excellence – 2. Très favorable – 3. Apte à toutes les métamorphoses – 4. L’homme y est enfermé, il le sait, mais il ignore l’épaisseur de la paroi – 5. L’incendie de Persépolis, c’est elle qui l’alluma – 6. Elle flotte et roule –7. Le lait devient clair. Enfin il est délivré. Ce n’est plus du lait, mais de l’eau claire, froide. Je suis aussi délivré – 8. Elle fond comme une perle – 9. L’urine s’exile, la boule est masquée d’un loup de soie noire, elle a des yeux. – 10. Elle grandit, c’est un œil noir, l’œil absolu – 11. La sphère de cristal et le mercure ont toujours fait l’amour – 12. L’eau – 13. Parménide – 14. L’hypnose chronique – 16. Saint-Just – 17. Elle est la mort – 21. Entre les cuisses croisées – 22. À la place d’un sein – 23. La Balance – 26. Vampirisme.

IV. René Crevel. – 1. Diurne – 2. Défavorable – 3. Inapte – 4. Entre ses sourcils – 5. X e siècle – 6. L’eau gèle – 7. On a un arbre de sel – 9. On a un bloc d’ambre – 11. On a une mine de platine – 12. L’eau – 13. Kantien – 14. Encéphalite – 15. Hermaphrodite – 16. Velléda – 17. D’ennui – 18. Avec une lampe à esprit de vin allumée – 19. Avec un baromètre et un très fin poignard damasquiné – 20. Entre les seins – 21. Sous la nuque – 23. La Vierge – 25. En équilibre sur le bois de lit à la tête du lit – 26. Menaces de mort.

V. Salvador Dali. – 1. Nocturne – 2. Défavorable – 3. Inapte. Elle ne fait que refléter les métamorphoses – 4. Très haut au-dessus de ma tête et se reflétant dans l’eau immobile et limpide qui emplit un trou creusé dans mon crane – 5. Elle est l’idée même du temps, son idée irrationnelle – 6. Elle photographie l’eau – 8. Elle influence la silhouette des omelettes en train de brûler – 9. Il en résulte une boîte cubique de petits gâteaux secs. Un ballon est gravé en relief sur la boite – 10. On entend rouler des noix à intérieur d’un violon – 12. Elle est la synthèse des éléments – 13. Héraclite – 14. L’hystérie –15. Insexuée – 16. Mercure – 17. En persistant à être identique à elle même – 19. Avec une statue de Narcisse et un camion de la Croix-Rouge chargé de vieux arrosoirs – 20. Je réduirais la sphère en poussière et, avec cette poussière, je tracerais une ellipse sur le ventre – 21. En équilibre sur son front – 23. Le Sagittaire – 24. Sous un de ses pieds, pour qu’il soit incliné – 25. Je

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N’imagine pas la boule sur un lit, mais un lit minuscule posé sur la boule – 26. Vol, kleptomanie incurable.

VI. Paul Éluard. – 1. Diurne – 2. Favorable – 3. Inapte – 4. Entre les jambes – 5. Moyen-âge – 6. Elle disparaît – 7. Elle se dilate – 8. Elle devient opaque – 12. L’eau – 13. Lulle – 14. L’apoplexie – 15. Masculin – 17. En roulant si vite qu’elle disparaît – 18. Avec une araignée – 19. Avec une montre et une lanterne sourde – 20. Entre les cuisses – 21. Entre les yeux – 22. Sous la nuque – 23. La Vierge – 24. Au milieu du siège – 25. Au milieu du lit – 26. Le vol à la tire.

VII. Gala. – 1. Nocturne – 2. Favorable, mais parfois menaçante – 3. Oui, quand elle est exposée à la lumière artificielle – 4. Face à la poitrine – 5. L’âge de pierre – 6. Elle devient éblouissante – 7. Elle réchauffe les crapauds – 8. Elle se transforme en une poignée de paille – 9. Elle s’aplatit et s’ouvre comme un livre – 10. Elle crève – 11. Elle contribue à éclipse totale – 12. L’air – 13. Hegel – 14. La fièvre – 15. Féminin – 16. Freud.

VIII. Alberto Giacometti. – 1. Diurne – 2. Favorable – 3. Uniquement de très légères déformations – 5. Aujourd’hui même – 7. Elle dort d’un sommeil très agréable– 8. Elle remonte à la surface et le vinaigre devient plus clair – 9. Elle la traverse et sort par l’autre côté – 10. L’alcool prend un goût plus doux – 11. Ils se heurtent avec éclat et de petites boules de mercure s’élèvent autour de la boule – 12. L’air et la terre – 13. Hegel – 14. Aucune – 15. Hermaphrodite – 16. Hölderlin fou – 17. Elle éclate – 18. Avec deux yeux de femmes qui la regarderaient – 20. Sous la nuque, la femme étant couchée – 21. Sur le ventre, près de la hanche – 23. Le Sagittaire – 24. À la place de la tête, mais je l’enlèverais vite – 25. À la hauteur du cœur, le lit étant vide – 26. Cruautés, violences.

IX. J. M. Monnerot – 1. Magnifiquement diurne – 2. Très favorable. Elle est l’image de l’amour – 3. Apte à toutes les métamorphoses érotiques – 4. Partout et toujours renversée – 5. Je ne peux pas répondre – 6. La naissance – 7. Le lait est lavé, on peut en boire – 8. La tristesse devient impossible – 9. Quel beau temps, le soir ne viendra jamais – 10. Le crime et la folie rejetés comme solutions faciles – 12. L’eau – 14. À celle qui fit mourir Rimbaud – 15. Féminin – 16. Charles-le-téméraire – 19. Avec un lit et une bête lasse qui dormirait sur le sable à côté du lit – 20. Aucun car il y aurait alors identification de la femme et de la boule – 21. Sur le nombril – 23. Le Lion – 25. Le lit sous la boule immense, comme un insecte écrasé.

X. César Moro. – 1. Diurne et nocturne – 2. Favorable – 4. Elle m’enveloppe – 6. L’eau devient plus légère que le souffle, le printemps commence – 9. Ce n’est plus de l’urine, mais une topaze – 13. C’est l’œil même – 12. Au feu, à l’air et à l’eau, jamais à la terre – 13. Aucun – 18. Seule couverte de sang entre des milliers d’autres boules – 19. Entre deux immenses cubes de cristal de roche – 23. Le Scorpion.

XI. Nusch. – 1. Diurne – 2. Oui – 3. Oui – 4. Au-dessus de lui – 5. 1933 – 6. Elle fond – 7. Elle grandit – 8. Elle disparaît – 10. Je ne sais pas – 11. Elle s’aplatit – 12. L’air – 14. Aucune – 15. Masculin – 16. Mars – 17. Dans l’eau – 20. Sur le ventre – 21. Sur l’épaule – 22. Sur les jambes – 23. La Balance – 24. Sur l’un des bras – 25. Sur l’oreiller.

XII. Yolande Oliviero. – 1. Diurne – 2. Extrêmement favorable – 3. Très apte, c’est la boule des voyantes – 4. Dans les deux mains en coupe – 5. Règne de Catherine-de-medicis. Inquisition – 8. Elle change le vinaigre en perles innombrables – 9. Je ne veux pas. Impossible – 10. Elle se multiplie à l’infini et chaque boule recèle un iceberg – 11. La fin du monde ou bien c’est Saturne même – 12. L’air – 13. Manifeste-du-surréalisme. Lettre-aux-voyantes. Poisson-soluble – 14. Cécité des neiges – 15. Féminin 16. Nostradamus. Cyclope – 17. Elle est éternelle – 18. Avec un scalpel – 19. Le cadavre d’un homme mort de soif et un collier de velours noir auquel est attaché une croix de brillants – 21. Sur un de ses yeux, comme toutes ses larmes réunies – 22. La boule ne peut toucher une morte – 23. La Vierge – 25. Sur l’oreiller, afin qu’elle touche la joue gauche.

XIII. Benjamin Péret. – 1. Diurne – 2. Tout à fait favorable, en toutes circonstances – 3. Apte à toutes les métamorphoses – 4. Légèrement au-dessus de la tête – 5. Au règne de Charles-vi, juste avant qu’il devienne fou – 8. Le bouchon de la bouteille de champagne saute – 9. L’estomac descend lentement, à la manière d’un parachute – 10. La ville flambe – 11. Je grince des dents – 12. L’air – 13. Hegel – 14. La rupture d’anévrisme – 15. Féminin, mais uniquement masturbé – 16. Le Chevalier-de-la-barre – 19. Avec un squelette et la montre que le mort avait dans son gousset quand il était vivant, la montre étant tombée à la place du cœur – 20. Dans le sexe, à condition que la femme se masturbe – 23. Le Capricorne – 24. De façon à ce que l’on puisse s’asseoir dessus – 25. Sous l’oreiller.

XIV. Yves Tanguy. – 1 nocturne – 2. Très favorable, toujours – 3. Apte à toutes les métamorphoses – 4. Au zénith – 5. Le règne d’Isabeau-de Bavière – 6. Absolument rien – 7. Le lait devient du sperme – 8. Elle devient molle, élastique et se déforme légèrement – 9. Elle acquiert la vue de tous côtés – 10. Elle en fait des spirales transparentes entre lesquelles elle évolue lentement – 11. Le tout se résout en une légère fumée – 12. Le feu – 14. L’ophtalmie – 15. Insexuée – 18. Charles-le-téméraire – 17. Fusillée – 18. Avec un monceau d’aiguilles et un miroir de poche – 20. Mobile entre les cuisses jointes – 21. Contre l’anus – 22. Sur la bouche entrouverte – 23. Les Gémeaux – 25. Aucune

XV. Pierre Yoyotte – 1. Diurne et nocturne – 2. Très favorable, mais provoque la mort immédiatement après – 3. Se métamorphose sans cesse en femme – 6. L’eau se cristallise en lamelles concentriques qui forment une très grande sphère – 7. Un serpent couleur de cendre apparaît dans le lait – 9. Dédoublement du soleil – 14. Délire d’autodestruction

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– 16. À un personnage évidemment futur – 18. Avec le cadavre aplati d’un très grand lézard noir – 21. D’un choc violent, fracasser la tête – 22. Il y a toujours une femme morte à intérieur de la boule – 23. Le Capricorne.

B

SUR LA CONNAISSANCE IRRATIONNELLE DE L’OBJET

UN MORCEAU DE VELOURS ROSE

(11 février 1933)

Questions :

1. Est-il diurne ou nocturne ? – 2. Est-il favorable à l’amour ? – 3. Est-il apte aux métamorphoses ? – 4. Quelle est sa situation spatiale par rapport à l’individu ? – 5. À quelle époque correspond-il ? – 6. À quel élément correspond-il ? – 7. À quel personnage historique peut-il être identifié ? – 8. Comment meurt-il ? – 9. Avec quoi devrait-il se rencontrer sur une table de dissection pour que ce soit beau ? – 10. À quel endroit d’un corps nu de femme endormie le poseriez-vous ?– 11. Et si la femme est morte ? – 12. À quelle maladie fait-il penser ? – 13. Quel quartier de Paris habite-t-il ? – 14. Quelle pourrait être sa profession ? – 15. De quelle manière le voyez vous enveloppé ? – 16. Est-il heureux ou malheureux ? – 17. Quelle langue parle-t-il  ?– 18. Quel est son poète préféré ? – 19. Quelle place occupe-t-il dans la famille ? – 20. Comment le tueriez-vous ? – 21. Comment se déplace-t-il ? – 22. À quelle perversion sexuelle correspond-il ? – 23. Quel est le parfum qui lui convient ? – 24. À quel peintre correspond-il ?

Réponses :

I. André Breton. – 1. Nocturne – 2. Extrêmement favorable – 3. Apte aux métamorphoses naturelles, connues aujourd’hui – 4. Autour du visage – 5. 1880 – 6. Le feu – 7. Isabeau-de-Bavière – 8. La nuit, en se jetant dans une mare – 9. Avec le Sphinx – 10. Sur la gorge – 11. Sur le bas du visage, voilant la bouche – 12. Hystérie – 13. Le quartier de l’Étoile – 14. Souris d’hôtel – 15. D’un paillon de bouteille – 16. Profondément malheureux – 17. Irlandais – 18. Henri Bataille – 19. Frère et sœur – 20. En le piétinant – 21. Par vol très lourd comme les oiseaux de nuit – 22. Fétichisme – 23. Le chèvrefeuille – 24. Manet.

II. Roger Caillois. – 1. Nocturne – 2. Très favorable, malgré sa déplorable couleur – 3. Espérons que non – 4. I individu marche toujours dessus – 6. L’eau – 7. Élisa Mercœur – 8. Par asphyxie 9. Une main de verre posée sur lui – 10. Sur les pieds – 11. Enlacé aux cuisses – 12. L’hydropisie – 13. L’observatoire – 14. Secrétaire – 15. D’herbe – 16. Secrètement malheureux, car il a une vie extérieure – 17. Portugais – 18. Hölderlin fou – 19. Fille naturelle – 20. Avec les dents – 21. Il nage – 22. Fétichisme – 23. Le sperme – 24. Böcklin.

III. René Char. – 1. Nocturne – 2. Favorable – 3. Inapte – 4. Sur la scène d’un music-hall – 5. Époque de Cléopâtre – 6. Le feu – 7. Saint-Just – 8. Noyé – 9. Avec un cuirassé aux mains des mutins – 10. Au poignet avec une ganse – 11. Sur le sexe – 12. Hystérie – 13. Il est nomade – 14. Prostituée désintéressée – 15. Dans le sable – 16. Indifférent – 17. Turc – 18. Alphonse Allais 19. Sœur cadette – 20. D’un coup de poignard – 21. Par câble – 22. Masturbation – 23. Les aisselles – 24. Manet.

IV. Paul Éluard. – 1. Nocturne – 2. Défavorable – 3. Apte : héron, jade, vin, gâté, montagnes – 4. Sous les pieds – 5. XVI e siècle – 6. La terre – 7. Richelieu – 8. Il pourrit tout vivant – 9. Avec un canard sauvage – 10. À la plante des pieds – 11. Sous les fesses – 12. Un lupus – 13. Les Champs-Élysées – 14. Martyr – 15. De papier de soie – 16. Heureux – 17. Russe – 18. Lamartine – 19. Mère – 20. À coups de pied – 21. En rampant – 22. Sodomie – 23. Le lys – 24. Utrillo.

V. Alberto Giacometti. – 1. Nocturne – 2. Très favorable – 3. Oui – 4. Sur le cou, près de l’oreille – 5. Romantique – 6. L’air et le feu – 7. Gérard-de-Nerval – 8. Fou – 9. Avec un cobra en bois la tête levée – 10. Sur le visage – 11. Sur la poitrine, au-dessus des seins – 12. La démence précoce – 13. Bagatelle – 14. Il ne fait rien – 15. De deux bras nus – 16. Tantôt heureux, tantôt malheureux – 17. Égyptien ancien – 18. Marceline Desbordes-Valmore – 19. Fille partie à quinze ans. On n’a plus eu de ses nouvelles – 20. Avec un poignard – 21. En barque – 22. Saphisme – 23. Le musc, faible – 24. Watteau.

VI. Maurice Henry. – 1. Diurne – 2. Très favorable et presque indispensable – 3. Inapte – 4. À droite de la cuisse droite, chiffonné, et de préférence dans la main – 5. Louis-xvi, avant la Révolution – 6. L’air – 7. Marie-Antoinette – 8. En tombant d’un ballon – 9. Avec un engrenage de dix centimètres de diamètre, couvert d’huile – 10. Étendu sur le ventre – 11. Couvrant les cheveux – 12. Le rhume de cerveau – 13. Sur les pelouses, devant le Trocadéro – 14. Prostituée – 15. De papier gras – 16. Très heureux, extrêmement gai – 17. Anglais – 18. Jacques Baron – 19. La petite fille à l’œil crevé – 20. À coups d’ongles, c’est la seule façon – 21. Il vole, emporté par le vent – 22. Fellation – 23. Le musc – 24. Monet.

VII. J. M. Monnerot. – 1. Diurne – 2. Favorable – 3. Apte, à chaque nouvel amour, – 4. Au-dessus de la tête – 5. Hypothèse de Laplace – 6. L’eau – 7. Marguerite-de-Bourgogne – 8. À la bataille de Fontenoy – 9. Avec une baratte – 10. Sur tout le corps – 11. Dans la

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gorge – 12. La tuberculose – 13. Porte-de-la-chapelle – 14. Coutelier – 16. Heureux – 17. Arabe – 18. Verlaine – 19. Jeune sœur de la mère – 20. Piqûre intraveineuse – 21. De haut en bas, toujours – 22. Sadisme – 23. Le rhum – 24. Renoir.

VIII. César Moro. – 1. Nocturne – 2. Favorable s’il est sous le corps – 3. Apte : jeu de cartes, oiseau, cerf volant – 4. Enveloppant entièrement la tête – 5. La femme de François-I er – 6. Le feu – 7. Rubens – 8. Noyé – 9. Avec une défense d’éléphant – 10. Couvrant le visage – 11. Entourant étroitement tout le corps et la tête – 12. Les boutons de la fièvre – 13. Place-Vendôme – 14. Sage femme – 15. De papier d’argent – 16. Indifférent – 17. Français – 18. Verlaine – 19. Jeune fille à marier – 20. À coups de revolver – 21. Il nage – 22. Homosexualité féminine – 23. L’œillet – 24. Jean-Paul Laurens.

IX. Yolande Oliviero. – 1. Nocturne – 2. Extrêmement favorable – 3. Très apte – 4. Plaqué sur le visage – 5. La Tour de Nesle – 6. Le feu – 7. Marguerite de Bourgogne – 8. Scalpé – 9. Avec un Pernod – 10. Sur la bouche le menton et le cou – 11. Autour de la tête, la cachant complètement, très serré au cou – 12. Une lèpre qu’on ignore – 13. Place-Vendôme – 14. Souteneur – 15. D’un bloc de glace – 16. Très malheureux, sans espoir – 17. Martien – 18. Henri Bataille – 19. Fille cadette (17 ans) – 20. Avec un kriss – 21. Il rampe – 22. 69 – 23. L’encens – 24. Gustave Moreau.

X. Benjamin Péret. – 1. Diurne – 2. Toujours favorable – 3. Peut se transformer en saule et en cascade – 4. Sur les yeux – 5. Les Cours d’Amour – 6. L’air – 7. Cléopâtre – 8. Brûlé vif – 9. Avec une paire de moustaches – 10. Sur un sein, de façon à laisser découvert le bout du sein – 11. Sur le ventre – 12. La phtisie galopante – 13. Place du Combat – 14. Parfumeuse – 15. D’une vague – 16. Désespéré malgré les apparences – 17. Finlandais – 18. Germain Nouveau (les Valentines) – 19. La jeune fille qui s’émancipe – 20. D’un coup de couteau au cœur – 21. En auto de marque américaine conduite par un chauffeur en livrée – 22. 69 – sodomie – 23. L’œillet – 24. Delacroix.

XI. Tristan Tzara. – 1. Nocturne – 2. Favorable – 3. Apte – 4. Dans l’estomac de l’individu – 5. Age de pierre – 6. L’air – 7. Napoléon III – 8. Par asphyxie – 9. Avec un masque de la Nouvelle-Guinée – 10. Sur les seins – 11. Enfoncé dans la bouche – 12. La rougeole – 13. L’académie-française – 14. Grue, aux Halles – 15. De sperme sec, légèrement translucide – 16. Il s’en fout – 17. Bulgare – 18. Mallarmé – 19. Cousine – 20. Avec un arc – 21. En avion – 22. Amour entre femmes – 23. Le miel – 24. Le Greco.

XII. Georges Wenstein. – 1. Nocturne – 2. Extrêmement favorable – 3. Très apte – 4. Sous les pieds – 5. Carthage – 6. Le feu – 7. Saint-Just – 8. Tué – 9. Avec une mouche blanche – 10. Voilant le visage – 11. Sur les seins – 12. Hystérie – 13. Dans les grottes de la cascade de Longchamp – 14. Tous les métiers – 15. De sirop de grenadine – 16. Malheureux – 17. Irlandais – 18. Germain Nouveau – 19. La sœur – 20. En le foulant aux pieds – 22. La nymphomanie – 23. Le magnolia – 24. Savitry.

C

SUR LES POSSIBILITÉS IRRATIONNELLES DE PÉNÉTRATION ET D’ORIENTATION DANS UN TABLEAU

GEORGIO CHIRICO : L’ÉNIGME D’UNE JOURNÉE

(11 février 1933)

Questions :

– 1. Où est la mer ? – 2. Où apparaîtrait un fantôme ? – 3. Où apparaîtrait un éléphant ? – 4. Où apparaîtrait une cigogne ? – 5. Décrire le paysage qui entoure la ville ? – 6. Où découvrirait-on de l’eau ? – 7. À quel endroit ferait-on l’amour ? – 8. À quel endroit se masturberait-on ? – 9. Ou déféquerait-on ? – 10. En arrivant sur la place, qu’iriez-vous voir d’abord – 11. Qui représente la statue ? – 12. Quelle heure est-il ? – 13. Quelle sera la première personne arrivant sur la place ? D’où viendra-t-elle ? Comment sera-t-elle ? Que viendra-t-elle faire là ?– 14. Comment voyez-vous la statue de la femme du personnage figuré sur la place ? – 15. Quelle publicité ferait-on sur le bâtiment principal de gauche ?

Réponses :

I. André Breton. – 1. Derrière la statue – 2. Dans la deuxième arcade. C’est un fantôme femme très sanglant – 3. Dans la partie comprise entre la voiture de déménagement et le bâtiment de droite – 4. Complètement folle, se prenant pour une hirondelle et cherchant à faire son nid sous le toit de la deuxième galerie, des fils télégraphiques dans le bec – 5. Des villas, les plus riches sous la neige. Des puits de pétrole très loin, en forme de femme. Des orages artificiels sur des baraques de chiffons dont les fenêtres sont faites de roseaux jaunes. Des places désertes dont une belle ceinture en cuir haute de dix mètres, avec une boucle obscène en verre, fait le tour. – 6. Dans le prolongement de l’index de la main non tendue de la statue – 7. Dans le socle de la statue – 8. Derrière la voiture de déménagement, de manière à ne pas voir les cheminées et en se déplaçant pour apercevoir constamment la locomotive qui avance très lentement – 9. Dans un endroit destiné à cet usage du petit paysage ordurier du fond 10. Le nom du personnage sur le socle de la statue – 11. Lincoln

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– 12. Onze heures du soir – 13. Un automate traînant un miroir trop lour d. Il vient inspecter les totems placés devant la mer, en avant. Il a voyagé seul, en mangeant des œufs, dans le train sans mécanicien – 14. C’est une dame de voyage sans cesse bondissant tout autour de lui et reliée à sa main droite par un gourmand de fraisier.

II. Roger Caillois. – 1. La scène se passe au fond de la mer – 2. Il sort de la voiture de déménagement dont la porte s’ouvre à deux battants, vêtu d’un linceul violet et en saluant à la romaine – 3. À l’extrémité des arcades. C’est naturellement un éléphant blanc – 4. Elle sort de la première arcade en marchant solennellement sur des pattes encore plus longues que d’habitude – 5. Derrière les arcades, des champs de bouteilles à perte de vue. La statue indique de la main le Marchés aux puces. La ville est construite sur un terrain aurifère d’une richesse décevante (c’est pourquoi on s’est finalement décidé à la bâtir là). C’est le bout du monde dont on parle quelquefois, aussi n’y a t il rien derrière les cheminées – 6. Sous la statue, affleurant presque le sol, mais gelée. – 7. En plein soleil, au centre de la place – 8. Sur la voiture de déménagement, accroupi en tailleur et en regardant fixement dans la troisième arcade – 9. Le dos à la statue – 10. J’irai regarder ce qu’il doit y avoir dans la première arcade. Parce que c’est la première – 11. Le grand inquisiteur de la foi – 12. Midi – 13. C’est une très vieille femme s’appuyant sur une canne bleue et conduisant un grand cheval blanc. Elle est à la recherche d’une clef. Elle débouchera de la ruelle – 14. Statue en marbre noir. Ses yeux sont des diamants étincelants. Elle est ligottée, nue, par des cordes phosphorescentes, à la cheminée de droite. Les bras tordus en arrière, la tête révulsée, un poignard de verre dans la poitrine – 15. Crème Éclipse.

III. René Char. – 1. De tous les côtés dans la conversation des deux personnages – 2. Il se tient au-dessus du bâtiment de droite, à côté du drapeau – 3. Il n’apparaîtrait pas, se contentant de faire les cent pas sous les arcades où il a sa baignoire – 4. Comme ce n’est pas par définition le pays des cigognes, elle passerait très haut. On la verrait à peine – 5. Paysage des Vosges ou de la Sardaigne. Quelques marécages, une mer morte. Immédiatement derrière les cheminées, une usine de chocolat. À gauche, à quelques kilomètres un broyeur de plâtre et une usine de talc. Dans les combles du bâtiment de gauche, un grenier à crin. Sol volcanique. C’est la grève. C’est l’île du Diable. Au loin et quelquefois dans les plis du drapeau le fantôme d’Annibal. La statue est en terre. Dessous, des tuyaux la vidangent continuellement pour qu’elle reste fraîche. Dans l’air des émanations de soufre.

IV. Paul Éluard. – 1. Dans les arcades – 2. Dans la partie noire, en bas et à droite – 3. Il sortirait de la voiture de déménagement – 4. Sur les x, au-dessus des arcades – 5. La ville est sur un plateau. Des murailles à pic de tous côtés. Puis d’autres places semblables au bas des murailles, puis d’autres murailles, d’autres places, etc... – 6. À la place de l’écorchure du tableau, en bas, à gauche – 7. Sur le socle de la statue – 8. Dans la cheminée – 9. Dans la gare qu’on ne voit pas, à droite – 10. Éléphant dans sa voiture – 11. Du père – 12. Midi – 13. Personne. Le train n’a jamais bougé – 14. Jupes relevées, jambes écartées, la tête complètement renversée sur le dos – 15. « Faites votre voyage de noces à Detroit ».

V. Alberto Giacometti. – 1. Très proche, derrière les premières arcades – 2. Au milieu de la place – 3. Entre les deux cheminées. Énorme – 4. Au-dessus du toit du premier bâtiment, volant, vers l’ombre du bas à gauche – 5. Du sable forme un cercle autour de la ville. Il est limité par une toile tendue – 6. Entre l’ombre de la voiture de déménagement et le pilier de droite – 7. Sous le portique de droite – 8. Près du deuxième bâtiment et tourné vers la voiture – 9. Assez loin dans le fond, à droite de la cheminée – 10. Je resterais assez longtemps, immobile, puis j’irais regarder entre les deux bâtiments de gauche – 11. Un disciple de Cavour – 12. Trois heures du matin. Le soleil est faux – 13. Un homme très maigre, complètement ensanglanté, les vêtements déchirés, sort en courant de la troisième arcade et s’arrête sur la place près des deux petites lignes noires. Il est très effrayé – 14. Sur la voiture de déménagement, enveloppée du cou aux pieds dans une draperie, une seule main libre, elle regarde, les sourcils froncés, la statue – 15. Le mot « savon » au-dessus de chaque arcade.

VI. Maurice Henry. – 1. Du côté du spectateur – 2. Il sortirait de la voiture de déménagement il serait semblable à la statue et dans la même attitude, mais sa tête serait recouverte d’un masque de scaphandrier. Il marcherait d’un pas- saccadé – 3. Éléphant, d’un gris très foncé, sortirait de la cheminée de gauche. Il se laisserait glisser le long de la cheminée – 4. La cigogne s’envolerait de la braguette de la statue, d’un vol très lourd – 5. Au fond, un désert de sable blanc. À gauche, de grandes falaises de craie à perte de vue, bâties comme la ville, striées comme elle d’étroits passages semés d’os d’animaux. À droite de nombreuses voies ferrées aboutissant parmi des dunes arides – 6. Il y a un puits sous la statue – 7. Dans la voiture de déménagement, sur un lit de crin, parmi des statues de plâtre mutilées – 8. En marchant sur la place. On partirait du bas à gauche pour éjaculer devant les deux personnages et, de préférence, sur eux – 9. Dans la main droite de la statue – 10. J’irais ouvrir les portes de la voiture – 11. D’un déménateur célèbre dans le pays – 12. Midi – 13. C’est évidemment moi. J’ai passé à travailler une journée épuisante, j’ai chaud et je suis débraillé. Je recherche une femme dont la photographie a été glissée dans ma poche par un inconnu – 14. Sur le même socle que le personnage, sur ses pieds. Plus grande que lui, elle serait placée de telle sorte que son sexe soit dans la main de l’homme. Elle aurait de vrais cheveux. Vêtue d’une robe de lourd tissu, elle aurait sur la bouche un carré de grillage de fer – 15. « Rasurel » ou « Paramount ».

VII. J.-M. Monnerot. – 1. La plage commence au bas du tableau. En prolongeant

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Le tableau par en bas, nous trouvons tout de suite la mer – 2. On le verrait peut-être à l’unique lucarne au-dessus des arcades – 3. Il sortirait de derrière la voiture de déménagement il serait caparaçonné de vert très terne – 4. Entre les deux bâtiments, battant des ailes. Bruit de rires – 5. Des groupes hexagonaux et très distincts d’épis minéraux – 6. Seulement sous la statue – 7. Au bas du tableau, à l’endroit du cadre – 8. En dansant nu tout autour de la statue. On ne s’interrompt que pour pousser de profonds soupirs – 9. Au beau milieu de la place – 10. Je filerai droit, venant de la mer pour me perdre entre les deux cheminées, sans rien voir – 11. Un géologue, parent du général Cavaignac – 12. Le degré de refroidissement du globe terrestre ne permet plus au temps de se manifester. Ni jour ni nuit. Faux jour, fausse nuit – 13. C’est moi. Je passe. Je suis les deux globes vides de mon front. Ils me font disparaître dans le fond, à égale distance des deux cheminées – 14. Jeune, grave, dépoitraillée, les cheveux dénoués, au pied de la statue, elle brandit une pancarte où l’on peut lire ces mots : « Liberté. Gustave. Moisi. » Elle est un but de pèlerinage très apprécié. On l’enlève de temps en temps pour permettre certaines danses rituelles en l’honneur du monsieur seul – 15. Bouillon Kub.

VIII. César Moro. – 1. Devant le tableau et derrière les cheminées – 2. Par en bas, angle gauche, en pleine lumière – 3. Courant sous les arcades, ensanglanté, barrissant – 4. Sur la cheminée gauche, tenant un chapeau haut de forme dans son bec – 5. Cette ville au sommet d’une île, la mer est très agitée. Des débris de bateau, des noyés. Une locomotive traîne inlassablement tout autour de l’île des wagons plombés absolument vides – 6. Sous le socle de la statue – 7. Sur le rivage, derrière les cheminées – 8. Dans un souterrain qui se trouve à droite du socle, puis à la fenêtre du palais. On laisse le sperme tomber sur la place – 9. Sur le toit du deuxième bâtiment, en regardant la mer – 10. J’irais voir la mer entre les deux cheminées puis je me coucherais au soleil à droite des deux personnages qui parlent, assez loin pour entendre le son de leur voix sans comprendre ce qu’ils disent – 11. Raimondi – 12. Quatre heures trente de l’après-midi – 13. Ce sera un assassin rescapé d’un naufrage. Vêtu comme la statue, ganté, un fouet dans la main droite, une longue vue en bandoulière, il vient se reposer au soleil – 14. Elle est dans une chambre dont les portes sont ouvertes sous la première arcade du deuxième bâtiment elle est en or recouvert de fiente d’oiseau. Elle a sur la tête un chat noir. Vêtue d’une chasuble véritable de Vendredi-Saint, elle élève de ses deux mains vers le chat un ostensoir contenant un caillou à la place de l’hostie – 15. « Je ferai le ciel sur la terre ». (Sainte-Thérése).

IX. Yolande Oliviero. – 1. À droite de la statue, angle droit du tableau prolongé – 2. C’est la statue qui devient, qui est le fantôme. Il descend du socle et passe dans le petit espace lumineux de droite, entre les deux piliers, puis disparaît. Je crois qu’il entre dans le fourgon, mais pas par la porte – 3. On voit au fond de la place ses deux défenses rouges (les cheminées). Il est agenouillé dans le paysage qui est derrière la place. Il se lève brusquement et passe au galop entre les deux femmes – 4. Le caillou éclot et la cigogne lisse ses plumes. Puis elle picore les petits grains noirs qui sont devant elle – 5. Il n’y a pas de ville, mais seulement la place au sommet d’une très haute montagne. En se penchant sur les garde-fous, on ne voit que de l’eau et de la fumée – 6. Le fourgon est l’entrée d’une fontaine à laquelle on parvient après avoir descendu 6817 marches en quatre nuits – 7. Sur le bâtiment très sombre de droite, sur la crête du mur, celle-ci étant très étroite. Danger de mort – 8. Assise sur le socle de la statue, entre ses pieds – 9. Sur le caillou, exactement – 10. L’homme poignardé sous la première arcade (Cf. Photo Breton) – 11. Benjamin Franklin – 12. Cinq heures du soir en été – 13. Une femme sortira de la petite ruelle entre les arcades. Elle est probablement jeune. On ne la voit qu’en profil perdu. Elle marche très vite et se réfugie derrière le premier pilier de droite où elle attendra, les mains jointes, la vieille tireuse de cartes – 14. Naine. On la posera sur le bras gauche, replié, de la statue. Le groupe ainsi constitué devra faire penser à la Vierge tenant l’enfant. Elle a un bonnet tuyauté – 15. Dubonnet.

X. Benjamin Péret. – 1. De notre côté, mais nous tournons le dos – 2. Il surgirait de sous le caillou, derrière la statue – 3. Dans le fond, entre le bâtiment et la cheminée, lancé à toute vitesse, affolé – 4. À la lucarne. Elle tomberait morte sur le sol, devant la porte de la voiture de déménagement – 5. Dans le fond, d’immenses carrières d’ardoise bordées par une falaise à pic qui est une ancienne carrière abandonnée ; à droite, une forêt incendiée ; à gauche, des puits de pétrole et par devant des ruines indéfinissables où vivent des saltimbanques – 6. Dans la voiture de déménagement, il y a un trou où l’on entend gronder – 7. Debout au milieu de la place, sans tenir compte des deux personnages, qui sont morts – 8. Près de la locomotive ou entre les arcades et la cheminée de gauche, très loin dans le paysage – 9. Sur le pied droit de la statue – 10. Ce qu’il y a dans la voiture de déménagement je crois que c’est horrifiant – 11. L’inventeur de la décalcomanie – 12. Entre six et sept heures du soir, en juin – 13. Ce sera une femme échevelée, affolée. Elle arrivera par la droite,

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Entre la voiture de déménagement et le bâtiment sa robe déchirée laisse voir la cuisse très blanche et un sein ensanglanté. Elle crie au secours et disparaît dans la ruelle qui sépare les arcades. On n’entend plus que des gémissements – 14. Une petite femme obèse juchée sur le toit du premier bâtiment à gauche. Des moineaux nichent sous ses jupes. Elle regarde les cheminées – 15. Dubonnet.

XI. Tristan Tzara. – 1. À douze kilomètres derrière les cheminées – 2. À gauche, dans le passage situé entre les deux corps de bâtiment – 3. Entre les deux cheminées, s’avançant vers la statue – 4. Du coin en bas et à droite du tableau, s’avançant vers le socle et, quoique dans l’ombre, s’immobilisant soudain parfaitement, aussi blanche que la statue – 5. Des vignobles abandonnés, un enchevêtrement de guillotines et, par plaques, du gravier en forme d’œufs d’hirondelles. Un tapis formé de papillons morts part de la mer en ligne droite et débouche entre les cheminées. On l’asperge de vin rouge et d’excréments de chèvres – 6. Nulle part – 7. Le tableau étant aveugle, on ferait l’amour au soleil – 8. En tournant le dos au tableau – 9. Sur le caillou, à gauche – 10. J’irais m’assurer de la réalité des deux personnages – 11. Un inventeur célèbre dans le monde de la boulangerie – 12. Soleil de minuit – 13. Victor Hugo habillé en petite fille et jouant au cerceau apparaît sur le toit du second bâtiment de gauche, le longe, disparaît en le contournant et réapparaît à la lucarne pour crier « coucou » – 14. Elle serait en fromage blanc, debout, nue, derrière la statue de son mari et regardant dans la même direction. L’affaissement du fromage lui donnerait un aspect hideux, en tombant complètement, elle affecterait la forme d’un casque colonial sur lequel il aurait beaucoup plu – 15. « Bovril » ou « Boulodrome ».

SUR LES POSSIBILITÉS IRRATIONNELLES DE VIE À UNE DATE QUELCONQUE

(12 mars 1933)

Questions :

En l’an 409 – 1. Quel aurait été votre costume ? – 2. Quel était le plaisir non sexuel le plus apprécié ? – 3. Quelle était la perversion la plus développée ? – 4. Quelle fut la nouveauté de l’année ? – 5. Quels étaient les crimes les plus fréquents ? – 6. Comment étaient habillées les femmes ? – 7. Quel était l’animal à la mode ? – 8. Quelle était la couleur de l’atmosphère ? – 9. Quel fut le plus grand scandale ? – 10. Combien d’habitants avait Paris ? – 11. Décrire l’emplacement de la Porte Saint-Denis ? – 12. Quelle était la maladie la plus répandue ? – 13. Quels étaient les sujets de carte postale ? – 10. Quels étaient les principaux actes des gens dans la rue ? – 15. Quel était le jeu de société à la mode ? – 16. De quelle manière abordait-on les femmes ? – 17. Quelle était la couleur de cheveux des jeunes filles de dix huit ans ? – 18. Comment se vengeait-on ?

Réponses :

I. André Breton. – 1. En complet d’osier, avec le chapeau canotier qui sert encore aujourd’hui à prendre les mesures chez les chapeliers – 2. Tuer les papillons quand ils sont à l’état de chrysalides – 3. Faire l’amour un faucon au poing – 6. Une petite balançoire sous les fesses nues, les cheveux entièrement rabattus en avant – 7. La raie – 8. Noire comme de la cire – 9. La reine, une aristoloche aux lèvres – 10. Trois dont un aveugle – 11. Une très belle nappe de pétrole sur laquelle passaient des cygnes automatiques, pommelés – 12. Cette maladie s’appelait la façonnade blanche – 13. Beaucoup de moulins à vent dont les ailes étaient roulées comme des parchemins, les betteraves, la cédille du C – 15. Le furet, au moyen d’un boa – 16. On les jetait en l’air à plusieurs mètres en avant, ce qui les faisait rire ; puis on les portait horizontalement sous son bras en les inclinant de temps en temps pour les embrasser – 17. Couleur chair.

II. Roger Caillois. – 1. Un maillot collant de tulle noir, ne laissant rien à nu, ni du corps ni de la tête ; cape également en tulle noir – 2. Faire des herbiers de plantes potagères – 3. Le viol des cadavres – 4. La chasse à la perdrix – 5. La haute trahison et le scalp – 6. De minces tuyaux de caoutchouc de différentes couleurs disposés horizontalement et à gonflage variable – 7. La licorne bleue – 8. Jaune citron – 10. 409, car c’est par le nombre des habitants de Paris que l’on numérotait les années – 11. Une mare de mercure – 12. L’hémiplégie, universellement – 13. Les phases de la lune avec des fleurs légèrement modifiées ; on employait en général des cartes à jouer – 16. En leur fermant les paupières – 17. Précisément à cet âge, elles étaient chauves.

III. Paul Éluard. – 1. En ramoneur, avec des brindilles catapultes dans les oreilles – 2. Copier le verbe être 410 fois – 3. Faire l’amour sur un cheval de velours noir – 4. Le moulin

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à alcool – 6. Une petite robe d’enfant de cinq ans, en dentelle, un canotier et, souliers baillants, les doigts de pieds revêtus de mousse – 7. Le sphinx – 8. Verte – 10. 7.000 – 11. Une vieille galère offerte à César – 12. La coqueluche – 13. Presque toujours un bouquet de coquelicots dans le méat d’un sexe. Peu de variantes quant au sujet. Parfois les coquelicots en bouton – 15. Le gribouillet, qui consistait à se chatouiller mutuellement la paume de la main – 16. En essayant de leur expliquer le peu de ressemblance qu’on avait avec son propre père – 17. Rose et noire – 18. En persuadant à la personne dont on voulait se venger qu’elle n’avait aucune chance être jamais aimée.

IV. Alberto Giacometti. – 2. On jouait aux quilles – 3. On caressait avec une petite plume blanche les hanches des jeunes filles pendant qu’elles marchaient – 4. On sortit avec une longue plume mince derrière l’oreille – 7. Le tapir – 8. Gris clair, dans les villes, rouge autour des villages – 10. Un, une vieille femme – 11. Une clairière au centre de laquelle était la porte Saint-Denis, toute de brouillard – 15. Les dés – 16. Le soir, on se cachait. Et quand une femme passait on se jetait sur elle pour la violer – 17. Noire, leurs yeux étant d’un bleu foncé.

V. Arthur Harfaux. – 1. Grands voiles noirs et brillants des épaules au sol – 2. Ramper sur le ventre dans un endroit clos avec sur le dos une grosse masse de terre – 5. On fendait la bouche jusqu’à l’articulation des mâchoires. On brisait les cranes deux par deux dans un étau – 6. Le nombre des vipères autour du cou indiquait le rang social de la femme. Un grand voile rouge par devant, rien derrière les pieds et le bas des jambes garnis de plantes vertes – 7. Le pou doré – 8. Blanche avec des reflets métalliques – 9. Un certain nombre de femmes voulaient construire un pont de cire molle au-dessus de la Seine, à sa source – 10. Trois – 12. L’ossification des muscles – 14. Perdre des objets sans jamais les rechercher, le saut à la corde, la marche les yeux fermés, les cures de silence et les suicides collectifs – 16. On leur faisait un croche pied, on les aidait ensuite à se relever, après quoi la conversation s’engageait très sérieusement – 17. Bleu sombre le jour, blanche la nuit.

VI. Maurice Henry. – 1. Une peau de panthère autour des hanches et des bottines montantes à tige de drap noir. Un bracelet de platine au poignet gauche. Pas de chaussettes – 3. Écraser les mouches entre le gland et le prépuce – 4. La construction, dans la Beauce, d’une tour de beurre de trente mètres de haut, à laquelle tout le monde essayait de grimper sans y parvenir – 7. Le chien rasé – 8. Grise. Jamais de soleil – 9. Une femme avait envoyé son enfant par la poste, à une charcutière – 10. 1857 – 11. Une île, au milieu d’un lac de deux cent cinquante mètres de diamètre – 12. L’eczéma – 13. Un arbre donnant le sein à une moule. Un soldat assis sur un pot de chambre de vaseline. Une femme conduisant un train. Des moustaches sur un ventre – 14. Les hommes se donnent, sans raison, de grandes gifles. Les enfants mordent les mollets des vieilles femmes pour les faire courir – 17. Mauve foncé le jour, clair la nuit.

VII. Benjamin Péret. – 2. Le ramonage des cheminées – 4. Le blaireau – 5. Viols de petites filles, hommes coupés en morceaux à l’aide de ficelle, femmes empalées sur des parapluies, parents réduits en esclavage par leurs enfants naturels – 6. Cheveux courts, avec une fleur rouge sur la tête, la chemise laissant les seins découverts, une jupe de tulle de couleur vive, des bas de soie et des pantoufles à haut talon – 7. L’écrevisse – 8. Verte au lever du soleil, jaune à midi et blanche au crépuscule – 9. Un troupeau de vaches traversant Paris à la nage, précédé de son berger en barque – 10. 500 – 12. Les oreillons – 14. Ils se grattaient la tête, les fesses et cherchaient des objets perdus – 16. En ouvrant son parapluie et en leur disant « Madame, il va pleuvoir » – 17. Brun sombre.

VIII. Tristan Tzara. – 1. Chapeau métallique pointu, cravate sans faux col, chemise peinte représentant des montagnes et des glaciers, pantalon court, chaussettes, souliers de forme ronde – 3. Faire l’amour à travers des machines très compliquées destinées à séparer les hommes des femmes, en silence – 7. Le cheval rasé – 8. Couleur de mandarine – 9. Le mariage de l’homme à barbe avec la femme sans barbe – 10. 48 – 11. Une petite colline ou les habitants venaient puiser une sorte spéciale d’humus malléable dont on faisait les faux gâteaux destinés aux enfants aveugles – 16. En sifflant comme les rossignols ou en se chatouillant les aisselles et en riant à se désarticuler les mâchoires – 17. Celle des petits poils des oignons jaunes – 18. On se vengeait généralement en saluant du bras droit son ennemi à la romaine, l’index de la main gauche dans la bouche.

IX. Georges Wenstein. – 2. Cracher dans l’eau du haut d’une tour dont les fenêtres étaient tapissées de bas-reliefs représentant la mort de la Victoire de Samothrace – 5. Le chatouillement des aisselles prolongé jusqu’à ce que mort s’ensuive – 6. Elles portaient des souliers de futaine et des robes de lar d. La moustache soigneusement rasée, le crane en pointe – 7. L’escargot géant – 8. Zinzolin – 9. Le meurtre par un homme blond des poux préférés de la reine du pays – 10. 1409 – 11. À l’emplacement exact de la porte s’élevait un arc triomphal fait de troncs d’arbres calcinés – 12. La phtisie – 15. Les quatuors de cornemuse – 16. Avec la plus grande douceur, en leur tendant d’un air soumis quelques cailloux blancs choisis la nuit dans les ruisseaux les plus connus pour la rapidité de leur cour – 17. Le rouge ponceau rayé de jaune et de vert.

Marxistische Bibliothek. — Band 23. — Wien-Berlin Verlag für Litteratur und Politik (1932).

Ces notes figurent ci-après sous les numéros suivants :

77 78. — Logique de Hegel, 2 e édition. Tome 2, p 143.

91-92. — Id., ibid., p. 198.

116.Id., ibid., p. 331-332.

118-120. — Id., ibid., p. 339.

121-122. — Id., ibid., p. 334.

Fragment de l’Introduction à la réédition des Contes Bizarres.

Spenlé : Novalis. Essai sur l’idéalisme romantique en Allemagne.

Ritter : Nachlass aus den papieren eines jungen Physikers.

Spenlé : Ibid.

Xavier Léon : Fichte et son temps.

Max LenzGeschichte der Königl Fr. W.

Schelling : Système de l’Idéalisme transcendantal.

Hegel : Jahrbücher für wissenschaftliche Kritik.

Sucher : Les sources du merveilleux chez E. T. A. Hoffmann.

Heine : De l’Allemagne.

Les Gardiens de la Couronne — Introduction.

Les chiffres composant cette date ont été tirés au sort.

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E

SUR CERTAINES POSSIBILITÉS D’EMBELLISSEMENT IRRATIONNEL D’UNE VILLE

(12 mars 1933)

Questions :

Doit-on conserver, déplacer, modifier, transformer ou supprimer : – 1. L’arc de Triomphe – 2. L’obélisque – 3. La Tour Eiffel – 4. La Tour Saint-Jacques – 5. La statue de Chappe – 6. La statue de Gambetta – 7. La statue de Jeanne-d’Arc (rue de Rivoli ) – 8. Paris pendant la guerre – 9. La Défense de Paris en 1870 – 10. La République (place de la République) – 11. La colonne Vendôme – 12. Le Sacré-Cœur – 13. Le Trocadéro – 14. Le Chevalier de la Barre – 15. Le Lion de Belfort – 16. L’Opéra – 17. Les Invalides – 18. Le Palais de Justice – 19. La Sainte-Chapelle – 20. Le Chabanais – 21. Notre-Dame – 22. La Nationale – 23. La statue de Panhard – 24. La statue d’Alfred de Musset – 25. La statue de Clémenceau – 26. Le Panthéon – 27. La statue d’Henri IV – 28. La statue de Victor Hugo (Palais-Royal) – 29. La statue de Louis XIV – 30. La gare de l’Est- – 31. La statue de Camille Desmoulins ?

Réponses :

I. André Breton. – 1. Faire sauter après l’avoir enfoui dans une montagne de fumier – 2. À transporter à l’entrée des Abattoirs où une immense main gantée de femme le tiendra – 4. À conserver telle quelle, mais démolir tout le quartier environnant et interdire pendant cent ans l’accès des environs à un kilomètre sous peine de mort – 6. À détruire – 9. Lui adjoindre un ballon jumeau, s’aplatissant légèrement contre le premier, et des poils – 11. À remplacer par une cheminée d’usine à laquelle grimpe une femme nue – 12. En faire un dépôt de tramways après l’avoir peint en noir et transporté dans la Beauce – 14. À laisser en place. Une femme admirable viendra chaque jour prendre près de lui des poses admirables – 15. Lui faire ronger un os et le tourner vers l’ouest – 16. À transformer en fontaine de parfums. Reconstruire l’escalier en os d’animaux préhistoriques – 18. À raser. Dessiner sur l’emplacement un magnifique graffite pour la vue en avion – 19. À remplacer par un cocktail arc en ciel de même hauteur – 20. À transformer en exposition permanente d’horticulture – 21. Remplacer les tours par un immense huilier croisé en verre, l’un des flacons rempli de sang, l’autre de sperme. Le bâtiment servira d’école sexuelle pour les vierges – 23. Remplacer la voiture par une baignoire – 24. La femme lui mettra la main dans la bouche ; on sera invité à lui frapper sur le ventre et ses yeux s’allumeront – 27. Peindre le cheval en noir. Reconstruire Henri IV en houppe à poudre – 28. Le placer à dix mètres du sol dans le chas d’une aiguille en marbre plantée dans une pelote de velours vert représentant un petit lapin – 31. À faire ruisseler de sueur. La chaise sera percée.

II. Paul Éluard. – 1 le coucher et en faire la plus belle pissotière de France – 2. L’insérer délicatement dans la flèche de la Sainte-Chapelle – 4. La courber légèrement – 6. À peindre en trompe l’œil de façon à lui donner l’aspect d’un paysage neigeux des Alpes au crépuscule – 7. Lui placer sur la tête une merde en bronze doré et dans la bouche un phallus grossièrement sculpté – 11. À abattre, en répétant soigneusement la cérémonie de 1871 – 14. À la place de l’Opéra qui sera détruit – 15. Jucher sur son dos un scaphandrier tenant dans la main droite un pot dans lequel trempe une poule – 17. À remplacer par une forêt de trembles – 18. À détruire. Installer une piscine sur son emplacement – 20. À transformer en épicerie – 23. À compliquer d’un flic roulant sur les roues – 24. Placer en face d’elle la statue d’un exhibitionniste vigoureux, visiblement charmé par la muse – 25. Aux ordures – 26. À transformer en maternité – 28. À entourer d’un groupe de petits enfants très habillés et copulant entre eux – 31. À installer dans une station de métro. Un mécanisme lui ferait poinçonner les billets et fermer le portillon.

III Arthur Harfaux. – 1. Une délégation quotidienne le détruira peu à peu – 7. À vendre aux enchères – 8. Enlever le sabre et mettre à la place un énorme tire-bouchon – 11. À remplacer par une colonne de matière molle qui s’inclinerait sous le vent – 14. Construire dix fois plus grands de nombreux exemplaires qu’on placerait devant toutes les églises – 23. À conserver. Construire à droite un groupe de douze hommes pleurant et à gauche un groupe de douze hommes s’esclaffant – 24. À peindre en couleurs naturelles. Enlever le socle. Placer à côté un flic nu, ayant conservé son képi et son bâton – 25. À placer sur un mouvement de bascule. La camoufler comme un canon – 26. À réduire aux proportions d’un dé à jouer. Construire tout autour une grille trois fois plus grande que celle qui existe actuellement – 27. Construire derrière elle, en file indienne, trois répliques d’Henri IV de plus en plus petites et de moins en moins consistantes – 29. Changer le cheval en édredon. Mettre une bougie dans la main de Louis XIV. Les yeux lumineux et la bougie allumée seraient le seul éclairage de la place.

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IV. Maurice Henry. – 4. La transporter place de la Concorde pour qu’elle remplace L’obélisque – 5. À laisser en place ; pendre à l’appareil télégraphique des morceaux de viande, des jambons, des saucissons et les renouveler fréquemment. Peindre le personnage en couleurs naturelles – 7. Lui mettre une fausse barbe et remplacer le cheval par un énorme porc – 9. À transformer en un énorme sexe, le ballon constituant l’un des testicules et le phallus étant horizontal. Entourer le tout d’une haute grille – 10. À supprimer. À remplacer par une statue du marquis de Sade. Défense de pénétrer sur la place – 12. Le remplacer par une immense main de femme tenant un rouleau de papier – 14. À transporter place de l’Opéra. On l’entourerait d’un cimetière de prêtres dans lequel de très belles femmes nues joueraient sans cesse au cerceau – 16. À transformer en skating pour femmes nues. Académie nationale de patinage à roulettes – 20. Remplacer les femmes par des généraux. Bordel pour chiens – 24. Le poète et la muse, sur le banc, dans la position du 69 – 26. À conserver, mais changer le nom en « Pantalon ». Restera complètement vide. Défense d’entrer – 29. Laisser le socle en place, vide. Représenter Louis XIV courant derrière son cheval qui s’enfuit par la rue Etienne-Marcel – 31. Le pied dans un grand pot de confitures de groseilles. Dans la main, une boite de sardines.

V. Benjamin Péret. – 1. Le remplacer par un volubilis grimpant à une hallebarde – 4. À placer au centre de Paris, avec de belles gardiennes en chemise – 13. À transformer en halle aux poissons et faire de l’aquarium une cage à lions – 14. La reconstruire cent fois plus grande et en verre. On la placera au sommet d’une très haute tour. Lumineuse la nuit – 18. À détruire mettre à la place une piscine où ne seraient admises que de très belles femmes nues – 20. Le classer église romane et y mettre le feu après y avoir entassé tous les curés de Paris – 23. La transformer en une pomme de terre aux pieds d’un mousquetaire. Le tout dans une station de métro – 25. La détruire et mettre à la place une des pissotières en or dont parle Lénine – 29. À remplacer par une botte d’asperges décorée de la Légion d’honneur – 31. Remplacer la chaise par un tabouret branlant sur lequel Camille Desmoulins cirerait ses chaussures. À transporter place de L’opéra.

VI. Tristan Tzara. – 2. L’arrondir et faire poser à son sommet une plume en acier à sa mesure – 3. À conserver telle quelle. Changer son nom en : « Le verre de lait » – 4. La démolir et la faire rebâtir en caoutchouc. On placera une coquille vide sur le toit – 5. La perfectionner en la peignant de couleurs éclatantes imitant les couleurs réelles – 14. À laisser en place. Seule statue qui aura le droit de porter un nom propre – 15. Le transpercer d’une énorme barre et le faire rôtir à des flammes de bronze – 16. Y installer le jardin zoologique, section des singes et des kangourous. Remplacer le décor extérieur par des squelettes. Sur le perron, la reproduction en acier d’une bicyclette aussi haute que toute la façade – 19. L’emplir de sciure de bois – 20. L’emplir de lave transparente et après solidification démolir les murs extérieurs – 22. Fermer soigneusement toutes les ouvertures après y avoir introduit quelques couples de rats – 24. La recouvrir d’un grand matelas – 25. Placer sur le gazon, tout autour, des milliers de moutons en bronze, dont un en camembert – 26. Le trancher verticalement et éloigner les deux moitiés de 50 centimètres – 28. La remplacer par un amplificateur puissant branché sur l’Observatoire et hurlant l’heure de 10 secondes en 10 secondes – 31. Ajouter sur le socle agrandi, tout le mobilier d’une chambre. Tous les jours, on allumerait le feu dans le poêle.

VII. Georges Wenstein. – 4. Abattre les maisons environnantes – 5. Le télégraphe peint en vermillon, la statue glorifierait le préromantisme – 7. Le cheval piétinant furieusement la fille – 14. À laisser en place. Enchaîner à ses pieds l’archevêque de Paris – 15. À transporter place de la Madeleine. À représenter dévorant méchamment le colonel Denfert-Rochereau – 17. À raser. Au milieu d’un jardin on placera la coupole sur laquelle on représentera en bronze un motocycliste gonflant, avec la plus grande difficulté, un pneu de sa machine – 27. À modifier. Henri IV ayant mis pied à terre fait brouter son cheval en lui tapotant la croupe – 28. Vêtu d’une combinaison il tiendra à la main un corset. Sur la tête un petit renard accroupi sur les oreilles duquel sera posé un encrier surmonté d’une petite statue de Rodin en bronze et tout nu – 31. Le cou entouré d’une serviette. Sur la chaise un certain nombre d’objets de toilette : blaireau, rasoir, rince bouche, etc... Il tiendra dans la main un verre à dents.

Remarques – puisque certains esprits mal tournés, toujours les mêmes, ne manqueront pas de contester l’authenticité de ce qui précède il est d’abord bon d’affirmer que ces enquêtes ont été menées avec le maximum de sérieux, de scrupules passionnés et sans aucune idée préconçue de leur donner la moindre publicité. Les quelques réponses que l’on essaiera certainement de faire passer pour spirituelles (par exemple  : C. IV. 15, D IX. 16 ou E. VI. 4) ne décèlent en vérité que des moments de mauvaise humeur, d’humour impuissant, d’inattention ou de fatigue réelle, mais nous en tiendrons compte autant que des autres, les distractions ou la mauvaise volonté conduisant aussi sûrement que l’application un esprit à son but, quoique par des voies et à une allure différentes le seul défaut que l’on pourrait reprocher à ces réponses automatiques, rapides, est de ne pas rejeter certaines associations libres, soit d’idées, soit phonétiques qui s’établissent quelquefois entre elles et qui les rendent par trop interdépendantes. Certains éléments de la réponse ne s’appliquent

 

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plus à la question qu’en fonction d’éléments semblables ou étroitement liés à une réponse précédente (ex D. III. 12 et D. III. 13, D. IV. 3 et D. IV. 4, E. I. 15 et E. I. 16, E. IV. 14 et E. IV. 16, E. VI. 19 et E. VI. 20, E. VII. 7 et E. VII. 15).

La connaissance irrationnelle de l’objet s’acquiert subjectivement par une seule question et une seule réponse, mais il est évident que pour redéterminer ensuite objectivement cet objet, il aurait fallu poser bien plus de questions qu’il n’en a été posées dans ces essais. De même, pour les possibilités irrationnelles de pénétration et d’orientation dans un tableau ou pour celles de vie à une date quelconque, l’on devrait presque, en se basant sur les réponses déjà obtenues, et, successivement, inlassablement, poser tant de questions que l’univers dont participe ce lieu ou cette date particuliers se reconstituerait.

Il est néanmoins du plus grand intérêt de constater que nous sommes parvenus, par des rencontres aussi inattendues que par exemple celles de D. I. 11, D. II. 11, D. III. 11, D. IV. 11, D. VI. 11, de D. III. 1 et D. VII. 2, de E. I. 16 et E. VI. 16 ou de A. V. 25 et A IX. 25 à une certaine objectivité irrationnelle dont nous pourrions aisément nous contenter.

A

LA BOULE DE CRISTAL

Seules trois réponses (V. 3, XII. 3 et XII. 13), insistent sur le fait qu’elle est la boule des voyantes. Sa limpidité en fait un objet de lumière, interprétable comme diurne (7 fois) ou de luminosité, interprétable comme nocturne (5 fois) les deux réponses dans lesquelles elle est à la fois diurne et nocturne me semblent renforcer cette explication. La boule est favorable à l’amour (treize fois contre deux). Pour la plupart, elle est apte aux métamorphoses. « C’en est le lieu même » déclare Breton. Dali, par contre, dit qu’« elle ne fait que les refléter ». Pour les uns, l’individu est à intérieur de la boule (III. 4, IX. 4, X. 4, et XV. 22). Breton considère que l’individu, pour la boule, est une boule. Pour plusieurs des autres, elle est au-dessus de l’individu (V. 4, XI. 4, XIII. 4, XIV. 4). Sa transparence la rend invisible dans l’eau (VI. 6, XI. 6 et XI. 17), idée toute rationnelle. De ce qui se passe si on la plonge dans le lait il faut retenir la coïncidence remarquable entre les réponses III. 7 et IX. 7. Il serait intéressant de savoir comment Caillois et Monnerot ont été nourris dans leur première jeunesse, à quel âge et pourquoi exactement ils ont été sevrés. On distingue clairement des résistances (II. 9, III. 9, VIII. 9, XII. 9) à l’acte de plonger la boule dans l’urine. Dans l’alcool, elle est un œil (III. 10, X. 10). Sa ressemblance simple avec l’œil influence d’ailleurs d’autres réponses (III. 9, VIII. 18, XII. 16, XII. 21, XII. 14, XIV. 14). Sa conjugaison avec le mercure est de mauvais présage, elle provoque les éclipses, la fin du monde (VII. 11, XII. 11) et fait grincer des dents (XIII. 11). Pour trois hommes et une femme, elle correspond à l’eau (II. 12, III. 12, IV. 12, VI. 12), pour trois femmes et un homme, à l’air (VII. 12, XI. 12, XII. 12, XIII. 12). Elle paraît plutôt appartenir à un système philosophique de l’antiquité qu’à un système philosophique moderne, quoique trois réponses indiquent Hegel. Elle s’identifie également plutôt à des dieux de l’antiquité qu’à des personnages de l’histoire moderne (I. 16, IV. 16, V. 16, XI. 16). Presque toutes les maladies auxquelles elle fait penser paraissent directement associées à son pouvoir hypnotique réel (maladies nerveuses ou mentales, cécité, apoplexie, fièvre). Chacun convient par là que cet objet a été particulièrement bien choisi, puisqu’il agit directement sur l’œil, sur le cerveau, sur les nerfs, objet de délire par excellence, vase et moteur des sortilèges. Il serait particulièrement intéressant de demander aux participants à cette enquête pourquoi la boule est pour eux féminine, masculine, hermaphrodite ou insexuée, auquel de leurs désirs sexuels ils l’assimilent et à quel usage sexuel ils la destineraient.

Les questions (18-19) inspirées par l’image géniale de Lautréamont ont presque invariablement donné, à cause de la table de dissection, des réponses en rapport avec la chirurgie, l’anatomie, la mort (I. 18, I. 19, II. 18, IV. 19, V. 19, X. 18, XII. 18, XII. 19, XIII. 19, XV. 18). À noter dans la réponse de Yolande Oliviero qui venait de citer (XII. 13) des ouvrages de Breton une réminiscence des Vases Communicants (la croix de brillants). On décèle aussi en général dans ses réponses, une très vive préoccupation de la soif (A. XII. 4, A. XII. 19, B. IX. 9, B. IX. 15, B. IX. 22, C. IX. 15).

Nous parvenons mal à déterminer la place qu’occuperait la boule dans le paysage magique d’un corps nu de femme, que cette femme soit éveillée, endormie ou morte. Serait-ce si elle est éveillée, entre ses cuisses (VI. 20, XIV. 20), sur son ventre (V. 20, XI. 20) ou sur son sexe (XIII. 20) semblant ainsi vouloir la combler ? Si elle est endormie, sous sa nuque (IV. 21), sur son front (V. 21), entre ses yeux (VI. 21) ou sur ses yeux (XII. 21) pour qu’elle dorme plus sûrement, pour qu’elle s’éloigne de celui qui la regarde mourir ? Si elle est morte, contre son oreille (I. 22), ou sur la bouche (XIV. 22) pour signifier qu’elle n’a plus rien à attendre des vivants ? Quelle est cette femme ? L’amour et la mort nous opposent cette inconnue. Nul n’est d’accord et trop de rivalités surgissent aussitôt autour d’elle.

La Vierge et la Balance sont les plus cités (trois fois chacun) des signes du Zodiaque auxquels correspond la boule.

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Sur le lit, la boule sera à la tête (IV. 25, XI. 25, XII. 25, XIII. 25). Giacometti a évidemment peur, en la posant à la place de la tête sur un fauteuil (VIII. 24) ou à la place du cœur sur un lit (VIII. 25), de voir se composer un personnage. Il se refuse à l’imaginer.

Le mot délit n’a, en général, pas été compris.

B

UN MORCEAU DE VELOURS ROSE

Nocturne (neuf fois contre trois). Reconnu à l’unanimité moins une voix, la mienne, favorable à l’amour. Apte aux métamorphoses (neuf fois contre trois). Six participants le placent sur le visage, trois autres marchent dessus. Trois réponses seulement lui donnent l’antiquité pour époque, les autres le situent entre le XIV e et le XIX e siècle. son élément est d’abord le feu (I. 6, III. 6, V. 6, VIII. 6, IX. 6, XII. 6), puis l’air (V. 6, VI. 6, X. 6, XI. 6).

Parmi les personnages historiques auxquels il s’identifie, se trouvent cinq femmes (I. 7, II. 7, VI. 7, VIII. 7, X. 7), puis Saint-Just (III. 7, XII. 7). Richelieu et Rubens représentent la fausse splendeur du rose. Le morceau de velours rose meurt noyé (I. 8, III. 8, VIII. 8). « Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection » d’un morceau de velours rose et... de douze objets, successivement, dont trois au moins sont esthétiques par eux mêmes (I. 9, II. 9, IV. 9), quatre choisis pour leur rapport esthétique simple avec le morceau d’étoffe (VIII. 9, IX. 9, XI. 9, XII. 9), deux destinés à le souiller (VI. 9, VII. 9) et trois vraiment insolites (III. 9, V. 9, X. 9).

Le morceau de velours rose est de nouveau dévolu au visage d’une femme endormie et nue (V. 10, VIII. 10, IX. 10, XII. 10), mais s’il s’agit d’une femme morte, on le pose sur le visage, les cuisses, le sexe, les fesses, la poitrine, les cheveux, le ventre, la bouche et plus particulièrement dans la bouche (VII. 11, XI. 11).

Les maladies auxquelles il fait penser, à part l’hystérie (I. 12, III. 12, XII. 12) et la démence précoce (V. 12) sont particulièrement dégradantes (tuberculose, hydropisie, lupus, lèpre, rhume).

Il habite les quartiers les plus luxueux de Paris (I. 13, IV. 13, V. 13, VI. 13). La place Vendôme (VIII. 13, IX. 13) est la fine fleur de son jardin. (On retrouve encore l’idée de luxe dans la réponse X. 21). C’est une idée à laquelle succède immédiatement, pour la question suivante, celle de prostitution (III. 14, VI. 14, IX. 14, XI. 14), celle d’un métier agréable (I. 14, II. 14, X. 14) et même celle qu’il ne fait rien (V. 14). Il est enveloppé de papier (papier de soie, papier d’argent et papier gras, destiné à le salir). Il est à peine plus malheureux qu’heureux ou indifférent. Il parle onze langues, mais irlandais un peu plus ou un peu mieux que les autres (I. 17, XII. 17).

L’unanimité qui le déclarait favorable à l’amour se retrouve à peu près (sauf III. 18) pour son poète préféré, ou plutôt pour le genre de poésie, très sentimental, souvent remarquable mais souvent aussi insipide (IV. 18, VI. 18, VII. 18, VIII. 18) qu’il préfère. Ces réponses nous seraient précieuses s’il fallait, après l’avoir perdu de vue redéterminer cet objet. Elles nous indiqueraient sa douceur, sa mollesse, sa couleur trop précieuse, presque fade.

La place qu’il occupe dans la famille nous permet de connaître son sexe. Sauf la réponse de Breton qui le voit à la fois frère et sœur, toutes les réponses le qualifient fille, sœur, mère, cousine.

Comme on déclarait marcher dessus à la question 4, on le tue avec les pieds (I. 20, IV. 20, XII. 20). On le tue également à coups de couteau (III. 20, V. 20, IX. 20, X. 20). En le salissant et en le déchirant, rationnellement. La seule façon irrationnelle de le tuer nous est donnée par la réponse VII. 20 (piqûre intra-veineuse). Il rampe, il nage, il vole, ce qui permet de croire à son évolution naturelle possible.

Sa personnalité féminine se confirme par la perversion féminine à laquelle il correspond (V. 22, VIII. 22, XI. 22, XII. 22). L’œillet et le musc lui conviennent. L’association la plus simple ne s’est pas produite, personne n’a dit la rose.

Peu de peintres (I. 24, III. 24, IX. 24) pour lesquels on ferait des folies. Et quelques sinistres farceurs (II. 24, IV. 24, VI. 24, VIII. 24, 1X. 24, XII. 24) !

C

LE TABLEAU DE CHIRICO

On a eu, en établissant le questionnaire, le désir de rendre fantastique l’atmosphère de cette place sur laquelle il semblait ne jamais rien devoir se passer. On a voulu faire revivre, en s’introduisant dans ce tableau, tout ce qui semblait être définitivement figé à un moment particulièrement vide de la vie. Un fantôme, un éléphant, une cigogne, de l’eau, l’amour, une autre personne vivante que soi, une autre statue aussi, de la publicité, c’était assez pour ranimer ce rêve endormi. On a vu par les réponses que l’aventure fut dramatique et quel cauchemar ce fut pour ceux qui voyagèrent dans ce pays interdit. Toutes les apparences du monde leur étaient pourtant laissées : l’espace, le ciel, la lumière, des murs, des cheminées, une statue,

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Une voiture de déménagement, un caillou, un train, tous les vieux éléments des décors auxquels l’homme est accoutumé de ne pas se heurter. Mais cela, comme le reste, vous avait un petit air un peu trop définitif, un peu plus définitif peut-être que le reste. Vite le fantôme, la cigogne, l’éléphant et la curiosité, la curiosité de tout. Tout accompagne l’homme, mais il court un danger à laisser agir les productions de son imagination. Il est possible qu’un jour nous soyons tentés par exemple de nous laisser vivre dans une nature morte, de fonder nos espoirs et nos désespoirs au flanc d’un pétale, d’une feuille ou d’un fruit. Nul ne comprendra plus alors les raisons de notre déraison et les nommera démence.

D

L’AN 409

J’ai l’impression très nette en écrivant ces remarques de le faire pour la deuxième fois. Je n’y pense pourtant que depuis quelques jours, mais je me suis déjà certainement senti incapable de traiter l’expérimentation C comme les expérimentations A et B. J’ai eu, dans les mêmes circonstances, peur de l’éléphant, de la cigogne, du fantôme, peur aussi absurde, aussi inexplicable aujourd’hui que presque toutes mes angoisses et satisfactions oniriques. J’attribue cette impression de déjà vu, déjà entendu, déjà connu à trois raisons : 1° Je connais et aime le tableau de Chirico depuis treize ou quatorze ans. Je l’ai eu devant les yeux chaque jour, pendant des années entières. 2° J’ai lu, il y a très longtemps, dans la revue Je sais tout je crois, une enquête dont le sujet était à peu près : « À quelle époque auriez-vous préféré vivre ? » ainsi qu’un roman de Wells : « La Machine à explorer le temps ». 3° Il existe pour moi un rapport étroit entre les poèmes, qui me sont essentiels, de Breton et de Péret d’une part et leurs réponses aux expérimentations C et D d’autre part. Mais ces raisons n’atténuent pas la gêne qui est née en moi, ni la conviction que je me répète. Probablement sans cesse d’ailleurs.

La connaissance du temps n’est pas limitée par la durée du temps vécu. L’oubli ou les souvenirs intenses modifient constamment cette durée. Mon imagination dispose de tout un monde enfoui de sensations et d’images merveilleusement nouées, de toutes les sensations et de toutes les images qui n’ont pas trouvé jusqu’ici leur place dans le temps et l’espace. Elles me rendent ma naissance aussi impensable que ma mort. Grâce à ce trésor inépuisable, je puis transporter à mon gré le lieu et l’instant.

En l’an 409, tout est sombre. On aime le noir (II. 1, III. 1, III. 3, V. 1). Si la chevelure des jeunes filles est claire la nuit (V. 17, VI. 17), elle est sombre le jour (III. 17, IV. 17, V. 17, VI. 17, VII. 17). Comment s’expliquer ces cheveux couleur chair (I. 17) ou rose et noire (III. 17) ? L’atmosphère est noire (I. 8) ou grise (IV. 8, VI. 8). Paris a peu d’habitants, peut-être un seul (IV. 10), peut-être trois dont un aveugle (I. 10), peut-être pas, car on les confond avec le nombre des années (II. 10, IX. 10). Un aveugle, des aveugles (VIII. 11), on séduit les femmes en leur fermant les paupières (II. 16), on marche les yeux fermés (V. 14).

Puisque nous ne pourrons jamais dire : rien n’est ancien, quelle a été la nouveauté de l’année ? Le blaireau (VII. 4) ou la chasse à la perdrix (II. 4) ? Les animaux furent à la mode : la raie (I. 7), le tapir (IV. 7), le pou doré (V. 7, VII. 14, IX. 9), l’écrevisse (VII. 7) et même la licorne bleue (II. 7), le sphinx (III. 7), l’escargot géant (IX. 7). On rasa son chien et son cheval (VI. 7, VIII. 7), on fit l’amour un faucon au poing (I. 3) ou sur un cheval de velours noir (III. 3), on joua au furet au moyen d’un boa (I. 15), les femmes portèrent des vipères autour du cou (V. 6), des pervers attrapèrent les mouches (VI. 3).

Les femmes, comme il se doit, furent mêlées aux scandales ou les provoquèrent (I. 9, V. 9, VI. 9, VIII. 9, IX. 9). Il est déplaisant qu’on nous laisse à penser qu’elles avaient de la barbe (VIII. 9, IX. 6). On se chatouilla beaucoup (III. 15, VIII. 16, IX. 5).

Les perversions étaient délicates (I. 3, III. 3, IV. 3, VIII. 3) et les plaisirs non sexuels, pleins d’humour, n’excluaient pas un symbolisme assez directement sexuel (II. 2, IV. 2, V. 2, VII. 2, IX. 2).

Enfin la porte Saint-Denis, déjà toute de brouillard, régnait sur des liquides (I. 11, II. 11, III. 11, IV. 11).

E

L’EMBELLISSEMENT DE PARIS

Les plus conventionnelles des statues embelliraient merveilleusement les campagnes. Quelques femmes nues en marbre seraient du meilleur effet sur une grande plaine labourée. Des animaux dans les ruisseaux et des conciles de graves personnages cravatés de noir dans les rivières formeraient de charmants écueils à la monotonie des flots. Le flanc des montagnes s’agrémenterait à ravir de toutes les pétrifications de la danse. Et, pour faire la part de la mutilation indispensable, que de têtes sur le sol, que de mains sur les arbres, que de pieds sur le chaume !

Les villes ont beaucoup souffert de l’horreur du vide. Leurs habitants, pour combattre

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l’agoraphobie, ont élevé partout des monuments et des statues sans se soucier aucunement de les mêler à la vie réelle, quotidienne de l’homme. Les monuments sont, ou déserts, bêtes, inutiles ou consacrés aux plus infimes superstitions, aux pires besognes. À part de rares exceptions, leur laideur consterne, crétinise, défigure celui qui les contemple. Les statues, presque toujours d’individus dérisoires ou néfastes, sont sur des socles, ce qui leur enlève toute possibilité d’intervention dans les affaires humaines et réciproquement. Elles pourrissent sur pie d.

Partisans sincères du mieux, nous avons essayé d’embellir un peu, physiquement et moralement, la physionomie de Paris, sur laquelle tant de cadavres ont laissé leur empreinte.

Félicitons-nous de l’excellence des transformations opérées. Quelques-unes (VI. 2, VII. 7, I. 9, I. 11, III. 14, V. 14, V. 18, I. 19, VI. 20, III. 23, VI. 25, I. 27, IV. 29, VI. 31) peuvent être, sans fausse modestie, données en exemple aux architectes et aux statutaires de bonne volonté. La plus petite ville du monde leur serait un chantier perpétuel.

Si l’on examine l’expérimentation E, l’on s’aperçoit que la préoccupation de la femme a déterminé un grand nombre de réponses (I. 2, I. 11, I. 13, I. 21, I. 23, II. 24, IV. 12, IV. 14, IV. 16, IV. 24, V. 4, V. 18). Des femmes nues. Une immense main gantée de femme tient l’Obélisque (I. 2), une autre un rouleau de papier (IV. 12).

Beaucoup de réponses visiblement dictées par le dégoût et la haine (I. 1, I. 18, II. 7, II. 25, III. 1, III. 7, IV. 20, V. 20, V. 29, VI. 20, VI. 22, VII. 7). L’Arc de Triomphe, Jeanne-d’Arc, les Invalides, le Palais de Justice, la Sainte-Chapelle, le Chabanais, Clémenceau sont particulièrement mal traités. Une piscine sera installée sur l’emplacement aride et puant du Palais de Justice (II. 18, V. 18). Les rats détruiront minutieusement tous les livres de la Nationale (VI. 22). Le Lion de Belfort est ridiculisé (I. 15, II. 15, VI. 15), Gambetta, abject et débonnaire, est camouflé (II. 6) ainsi que Clémenceau (III. 25) Chappe (IV. 5, VII. 5) et Musset (III. 24) sont peints en couleurs naturelles.

La Tour Saint-Jacques et surtout le Chevalier de la Barre jouissent d’une grande faveur. La statue de ce dernier est la seule à pouvoir porter un nom propre (VI. 14). Quelques changements de noms (IV. 26, V. 20, VI. 3).

On touche à peine à la plus érotique des statues de Paris (III. 8).

L’Obélisque, la Défense de Paris et la Colonne Vendôme profitent incontestablement de leur forme symbolique (I. 2, II. 2, VI. 2, I. 9, IV. 9, I. 11, III. 11). Certains monuments sont tabou (IV. 9, IV. 10, I. 4, VII. 4, III. 26, IV. 26). Des ossements décorent l’Opéra (I. 16, VI. 16). Enfin, les réponses à la dernière question font présager qu’un jour les maisons seront retournées comme des gants et que les objets usuels iront éterniser sur les places et dans les rues l’affreux souvenir d’un temps où l’homme luttait désespérément pour la satisfaction de ses besoins les plus élémentaires.

Paul ÉLUARD.

A propos de l’expérience portant sur la connaissance irrationnelle des objets

Il s’agit de connaître les objets dans leur vie, dans leur mouvement, de faire le compte de leurs possibilités. C’est en les plaçant, par expérience collective, dans toutes les situations possibles, qu’on obtiendra d’eux des définitions concrètes, et complètes, seulement valables, bien entendu, à un moment donné, dans un lieu donné, et dans des circonstances données.

La méthode jusqu’à présent employée consistait en ceci : Un objet, de préférence simple, pas trop fabriqué, était choisi, et posé sur la table. Il présentait généralement un caractère assez évidemment poétique (l’orgue de mer, un morceau de velours rose). Une liste de questions était établie en commun, liste qui servait par la suite aux expériences portant sur d’autres objets. Puis on répondait par écrit à chacune des questions ; lecture était faite des réponses, avec comparaison sommaire, avant de passer à la question suivante.

L’objet ne sera pas choisi. Il est assurément plus tentant de faire porter l’expérience sur un objet jamais vu, et dont on ne connaît ni le nom ni l’usage ; mais tous les objets, sans exception, doivent nous retenir, même la cuiller à manger le potage, même le fixe chaussette, même l’un d’entre nous, capable de se transformer tout à coup en un enchevêtrement de tuyaux d’arrosage. Les considérations poétiques, sentimentales, symboliques seront écartées sans pitié. Il n’y a pas lieu, en particulier, d’éviter les objets à signification symbolique évidente, tels qu’un cigare, par exemple, ou un verre : il suffira d’oublier, en répondant aux questions, cette signification, de la même façon qu’on oubliera l’usage habituel du cigare et du verre.

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Les questions seront posées au fur et à mesure de la marche de l’expérience, par les assistants, à tour de rôle, afin que les réponses puissent jaillir spontanément à la lumière d’éclair de la surprise. Aucune discussion ne sera tolérée : l’abstention sera admise. On saura simplement que sera mauvaise toute question impliquant, pour sa solution, le moindre degré d’attention autre que celui nécessaire au contact avec l’objet et à la compréhension de ce que l’on demande.

Les réponses ne seront lues et comparées qu’à la fin du jeu. Elles seront courtes, dépouillées, et écrites immédiatement, sous le choc de la conviction profonde. Dans la mesure du possible il serait souhaitable de noter, avec la plus grande impudeur, à la suite de la réponse, les images et associations d’idées fulgurantes qui auront présidé à l’élaboration de celle-ci ou en auront été la conséquence. Cela nous semble très important. Le processus de la pensée, au moment de la réponse, comporte trois étapes : la perception de l’objet donne naissance à une hallucination qui engendre elle-même l’expression. Le lien qui existe entre ces trois phénomènes peut être plus ou moins saisissable. Dans l’étude des résultats on cherchera à le préciser ; il peut n’exister avec évidence qu’entre deux des termes : perception-hallucination, perception-expression ou hallucination-expression. Les réponses individuelles les plus intéressantes seront, à coup sûr, celles où le lien existera clairement entre les trois phénomènes, et, à la limite – à condition qu’un même voile éclatant s’abatte sur les participants, – celles où le fait sera commun à tous ceux-ci.

La question de la notation des hallucinations et associations d’hallucinations nous paraît de nature à pouvoir être étendue avec profit à l’écriture automatique, en dépit des difficultés pratiques qu’une telle expérience semble, au premier abord, comporter. Rien, sur la voie de la connaissance des mécanismes de la pensée, ne doit nous empêcher de tout tenter. Par ailleurs, et puisque nous en sommes à ce chapitre, il serait sans doute bon de comparer des textes d’écriture automatique écrits, à un moment donné, sous l’inspiration d’un même objet.

Avant que la première question ne soit posée, il importe indubitablement de prendre contact avec l’objet par la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher, car il n’y a aucune raison pour que la vue soit seule génératrice d’images auditives, olfactives, gustatives et tactiles. L’objet, au lieu être placé ensuite sur la table, pourra l’être sur le sol ou sur la tête d’un des assistants ; de même, l’expérience, au lieu d’être faite chez André Breton, pourra l’être dans une clairière, ou sur une plage de sable, à l’aube. L’éclairage, l’heure, la température, la matière en contact avec l’objet, le cadre, le nombre des personnes présentes et le réseau de leurs états physiques et mentaux, etc., autant éléments qui tendent à influencer la pensée des expérimentateurs, les phénomènes de contagion, et, par conséquent, les réponses il serait précieux de pouvoir déterminer exactement la part de ces influences extérieures dans l’ensemble des résultats.

Les réponses seront minutieusement et systématiquement étudiées et comparées au cours de chaque séance. On fera le compte des coïncidences, à tous les étages : coïncidences formelles, coïncidences d’atmosphère, coïncidences symboliques – deux images apparemment différentes pouvant constituer deux symboles apparemment différents de la même réalité. Dans cette étude seront particulièrement utiles les notations des images et associations d’idées adjointes.

On imagine avec angoisse quel prix on pourra attacher à la chevelure blonde d’une femme très belle, présente, dont on saura soudain que, plongée dans le mercure, elle provoquera la mort, par combustion, de l’archevêque de Paris.

Arthur HARFAUX, Maurice HENRY.

DOUZE FOIS DOUZE…

Douze fois douze fautes d’orthographe, c’est un bien ravissant poème, le seul que désormais je comprends : la harpe aux yeux verts, les ciseaux déconcertants de la femme-arbalète prisonnière dans les oubliettes du Bal Tabarin ... Ne dites pas la poésie dites l’amour. Écoutez le balbutiement confus le bourdonnement très doux des amoureux sous leur globe de verre. Ne soyez pas insensible aux joies simples de la vie.

Exemple : J’écarte les ronces, l’image de la forêt saigne dans le lac aux yeux clairs, écarte les ronces et je découvre une femme qui dort dans un cercle de scorpions. C’est ma femme.

Autre exemple : sur un divan capitonné de moutarde et de feuilles mortes, comme la Place Maubert un jour de mardi gras, voici ma fiancée, le bras derrière la nuque d’eau courante, dans le creux de l’aisselle un nid de scolopendres. C’est la jeune fille aux cheveux blancs. Vive la révolution. La nuit tombe. Le sphinx tête de mort est là dans ses jupes de lichen.

Henri BARANGER.

 

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L’INEXTRICABLE POSITION

Une large blessure s’enfonçait dans ma poitrine jusqu’au cœur. C’était le même ulcère que jadis mais il avait changé de signification ; moi-même j’étais lié à la chair par des douleurs et des laideurs nouvelles. Un cheval participait à cette pensée ou plutôt l’œil d’un cheval portant en excroissance une minuscule tête pareille à la grande mais plus pâle et visiblement plus souffrante (les nègres ont souvent de ces poupées dans leurs bras). Pour le reste : j’étais nu jusqu’à la ceinture, un mince pantalon en carton me couvrait rigidement les jambes si bien que la rue entière (assistant à l’instant aussi irrémédiablement que le cheval) me prit pour un religieux en quête d’un volume d’air tranquille pour déposer ses bagues.

M. Blecher.

PRÉFACE À UNE ÉTUDE SUR LA MÉTAPHORE

(fragment)

Si une démarche poétique est humainement possible, si une représentation imagée, une métaphore, faite dans ce monde et en vue de ce monde, peut exister avec un contenu qui n’est pas d’une autre nature que le contenu de la pensée logique – et si moi, je puis la concevoir et être ému sans la soumettre à une justification logique, force m’est de me demander : Comment se fait-il qu’une telle démarche puisse avoir lieu sans entraîner la modification complète des fondements de notre connaissance ?

Je cherche en vain, dans tous les systèmes philosophiques, une réponse satisfaisante. La philosophie a, dialectiquement, pris naissance comme antithèse à toutes les démarches de la pensée qui n’ont pas été capables de s’enchâsser à l’intérieur d’un système dont le but est d’expliquer le monde. Si la philosophie n’avait pas été accaparée par la religion qui a créé dans son sein un dérivatif très efficace pour tout ce qui se dérobe à son entreprise – et qu’on s’obstine encore aujourd’hui à qualifier de pensée irrationnelle, terme aussi vague que louche qui aggrave la dualité entre les démarches de l’homme et fait le jeu des postulats mystiques – elle aurait certainement eu une évolution bien différente et ce problème aurait été résolu beaucoup plus tôt.

Il n’est donc pas autrement étonnant qu’en 1725, juste au moment où se desserrait l’étreinte de la religion, un siècle avant que se format une nouvelle conception de l’homme, basée sur les lois de son propre devenir, il n’est donc pas autrement étonnant, dis-je, qu’un penseur de la clairvoyance de Jean-Baptiste Vico ait publié sous le titre : Les Principes d’une Science Nouvelle, un ouvrage où il insiste sur la valeur de l’activité poétique comme base d’une nouvelle connaissance de l’homme :

« Les Philosophes et les philologues devraient s’occuper en premier lieu de la métaphysique poétique, comme de la science qui cherche ses preuves non pas au dehors, mais dans les modifications mêmes de l’esprit qui médite sur elle. Le monde des nations ayant été fait par des hommes, c’est dans l’esprit de ces mêmes hommes qu’il faut en rechercher les principes. »

Les théories de Vico, mélange de pensées profondes qui annoncent déjà l’arrivée du matérialisme historique – et je pense ici à ce principe « L’histoire humaine est différente de l’histoire naturelle, parce que nous avons fait l’une et nous n’avons pas fait l’autre », que Marx a repris dans Le Capital comme fondamental pour toute étude de l’histoire des religions – et de divagations absurdes sur l’évolution de l’humanité depuis les géants jusqu’à l’homme moderne, expliquée par la mythologie, ont presqu’entièrement mérité leur oubli. Pourtant rien n’est plus déprimant

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que de voir l’échec d’un projet qui, malgré toutes les erreurs que Vico a pu commettre en tentant de le réaliser, reste un exemple lumineux, entièrement isolé, dans l’histoire. La pensée de l’auteur, formulée dans un moment où la lutte entre la bourgeoisie et la féodalité allait être engagée, se trouve ainsi anticiper apparemment sur l’histoire et porter en elle les lueurs d’une connaissance qu’elle était incapable de préciser en dehors de sa conception de l’histoire, basée sur un matérialisme rudimentaire – et qui n’a été valablement accréditée qu’un siècle plus tard – les théories de Vico ont été injustement jetées dans le fatras d’idées périmées qu’aucun philosophe n’a cru nécessaire de reprendre. Elles étaient énoncées prématurément. La réaction contre les postulats transcendants de la métaphysique devaient ramener d’abord les démarches de la pensée dans les limites de la raison – avant que cette raison pût, par ses propres moyens, incorporer son antithèse originaire, qui lui a donné historiquement naissance, et réaliser la synthèse de l’homme.

Le fondement subjectif de cette synthèse doit donc être conditionné par le devenir inhérent à toute pensée et qui la conduit, fatalement, à la limite de ses possibilités. Chaque acte de la pensée est un produit du dédoublement initial (diremption) du sujet qui pense et de l’objet auquel il pense. Son but est pourtant de supprimer ce dédoublement et de réaliser le sujet dans l’objectivité à travers les contenus de la pensée.

L’avènement de la philosophie dans l’histoire est logiquement justifié par la possibilité permanente pour la pensée d’ouvrir une brèche à intérieur de ce dédoublement – dès que la pensée est libérée du joug de la civilisation qui dans son stade archaïque exige de chaque effort mental un maximum de réalisation possible, dans les cadres, le plus souvent religieux, qui lui sont imposés par la tradition – et de polariser, méthodiquement, tous les raisonnements entre le sujet et l’objet.

La destinée de la philosophie a été la ruine de son entreprise. Au lieu de considérer cette dualité comme provisoire, au lieu de la dépasser en faisant intervenir le dynamisme de la pensée, elle a creusé l’abîme entre l’homme et le monde, cherchant une place convenable qui n’est ni dans l’un ni dans l’autre, mais voulant à tout prix être partout, afin de juger de tout et n’étant, finalement, nulle part. C’est la raison de l’inefficacité de tous les systèmes philosophiques, de leur appauvrissement progressif au profit des sciences exactes, à qui la philosophie a donné, historiquement, naissance. Incapable de réaliser le moi dans toute son étendue, parce qu’elle n’étudiait que le moi qui est tourné vers le monde extérieur, en vue de la connaissance, en laissant à la psychologie le soin de l’approfondir d’avantage, incapable d’atteindre le monde extérieur, qu’elle a dû abandonner à la physique et à la chimie, la philosophie se trouve, aujourd’hui, devant cette alternative (si l’on peut, naturellement ici, parler d’alternative) : ou bien se convaincre qu’elle tourne, qu’elle tournera toujours dans les limites de la pensée non réalisée et qu’elle tombe lentement dans un sommeil agnostique, endormie par son éternel leitmotiv « je pense, je pense, je pense » – ou bien s’envoler vers une idée transcendante et, entre les plis d’un dieu inexistant, oublier sa propre inutilité.

Les résultats positifs qui ont été obtenus par la philosophie sont basés sur l’observation empirique de réalisations de la pensée. Le principe de causalité – expression de la possibilité de renverser le devenir de la pensée et d’aller aussi bien de l’effet à la cause que de la cause à l’effet – n’affirme que la nécessité intérieure qui détermine la réalisation d’une démarche de la pensée, si les éléments dont elle se compose sont dans un tel rapport que, dès qu’on isole l’un, on doit aboutir à l’autre.

Le principe de causalité nous mène donc, lui-même, aux limites de la philosophie et à la suppression du dédoublement entre le sujet et l’objet. L’objet contient le sujet comme le sujet contient l’objet. En partant de l’un on aboutit à l’autre et réciproquement. Cette interdépendance doit être prise uniquement dans un sens relatif, c’est-à-dire qu’elle doit préciser la position de l’homme dans la réalité et celle de la réalité par rapport à l’homme. Poussé à ses dernières conséquences le principe de la causalité n’est que la seule démarche possible qui exprime les rapports entre l’homme

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et le monde, et si ces rapports sont réversibles, il faut admettre ou que la dualité entre le sujet qui pense et l’objet auquel il pense ne peut pas être supprimée – la pensée discursive serait alors une démarche arbitraire se déroulant sans aucune nécessité intérieure : ce qui impliquerait la négation de sa propre utilité – ou qu’une autre démarche est encore possible, qui se déroule dans le sens inverse avec la même utilité que la pensée discursive. En d’autres termes : la démarche de la pensée discursive, réhabilite, aux limites de sa réalisation, son antithèse logique, sans laquelle elle doit nier sa propre nécessité et la rigueur qui la justifie en tant qu’acte de la connaissance.

Un objet, une phrase, un mot, prononcé par hasard, sans intention particulière, peut provoquer en nous une démarche de la pensée qui, au lieu de rester isolée, comme l’objet qui lui a donné naissance, se transforme en nous-mêmes et réalise, dans une forme concrète, la totalité de notre vie émotive.

Cette démarche est la base de l’élaboration du langage. Ayant eu, autrefois, le moyen d’étudier les langues des indigènes d’Australie et de Mélanésie, j’ai constaté, à ma surprise, qu’il y a là des racines qui, partant d’une signification très précise, voire concrète, s’élaborent et donnent naissance à toute une suite de mots, pour la plupart émotifs. La racine « Mar » ou « Man » signifie à la fois la main et le nombre cinq. La répétition du même mot exprime un très grand nombre que l’Australien est incapable de préciser. Or, cette même racine est la base des expressions grand, bon, bien, beau, beaucoup, puissant. Le mot polynésien « Mana » qui signifie le pouvoir, la force magique et surnaturelle, pourrait être mis en rapport étymologique avec la racine primitive qui signifie main.

Le devenir du langage est la transposition du devenir de la pensée dans l’histoire. L’un doit être observé dans l’autre et inversement. L’élaboration de mots repose sur une nécessité humaine de réaliser la plus grande subjectivité à l’intérieur du contenu objectif de chaque signification. Le terme « signifier » ou « designer » exprime, sous la forme d’un verbe, donc du devenir, un noyau objectivement et rationnellement irréductible : le signe. Toute démarche de la pensée se réalise, en dernier lieu, dans un signe. Mais, au lieu d’être un concept négatif et problématique – le noumène de la philosophie kantienne – le signe est le fondement objectif de toute pensée et la seule preuve de son existence.

L’expérience onirique doit être la base empirique pour une étude du fonctionnement de la pensée qui veut dépasser les limites de la raison discursive. Le dédoublement entre l’homme et le monde disparaît, dans le rêve, sous la poussée de contenus émotifs. Tout ce qui a été freiné, ou seulement partiellement réalisé dans la vie éveillée, se précipite comme une vague grouillante d’images, renversant sur son passage ce que l’homme a si laborieusement cultivé pour justifier le progrès et la véracité de son raisonnement. Il n’y a plus une écluse. Elle est la force de l’émotion qui pousse les images et les associe, entre elles, dans les actes. Le symbole onirique est un raccourcissement de démarches de la pensée et sa réalisation dans un signe émotif qui est, en lui-même, si on le soumet à une analyse, l’acte érotique dans toute sa réalité.

La poésie garde, dans la vie éveillée, le même élan et, en braquant ses regards sur le monde extérieur, elle réalise à la fois l’unité de rêve et le désir humain de la connaissance. Cette activité s’exprime dans la métaphore, dans la représentation imagée qui ne signifie plus rien logiquement, parce que le signe, c’est-à-dire le contenu irréductible de cette représentation ne peut plus devenir un verbe pour figurer dans un enchaînement de raisonnements. La métaphore est à la vie éveillée ce que le symbole est au rêve. Mais son contenu est d’une autre nature. Le symbole onirique objectivise l’émotivité ; la métaphore la démarche entière de la pensée. Elle est l’image et le signe et un produit de la synthèse définitive de l’homme et du monde. Son analyse objective nous permettra donc d’arriver à une autre vue de la réalité qui n’est plus le départ hypothétique d’une démarche de la pensée, mais qui est son produit final : le monde de l’homme, tel qu’il est, qu’on le veuille ou non.

Zdenko Reich.

 

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POÈMES

ET AINSI DE SUITE

Encore un coup de pied au cul

et la boîte de sardines vide se croira sainte

Un coup de talon dans la gueule

et c’est une divinité

qui nage dans le miel pur

sans se soucier des protozoaires

des hippocampes

des cailloux célestes qui voltigent d’un œil à l’autre

et transportent la raison

avec un peu de sauce et des dents cassées

dans la société des trognons de choux

qui ne savent plus ou donner de la tête

depuis que les eaux grasses étouffent dans la zibeline.

 

LES LYCÉES DE JEUNES FILLES SONT TROP PETITS

La nature des voies de chemin de fer

laisse indifférents les scarabées qui moururent de la peste

de même que le vin chaud

n’empêche pas les petits poissons de dormir

à la lueur d’une lanterne

De long en large

la mie de pain passe de long en large

et s’extasie devant les chiens pissant sur des arbres centenaires

Quelle audace

Mais l’audace son chapeau à la main

vous dit merde

car vous êtes plats et moisis

tricolores et pourris

décorés

décomposés

barbus

véreux

et pour tout dire semblables en tous points à une armée de puces sur un tapis sale.

 

AU BOUT DU MONDE

Quand les charbons enflammés s’enfuient comme des lions apeurés au fond de la mine

les oiseaux de vin blanc

se traînent comme des timbres-poste sur les lettres retournées à l’envoyeur

et les escaliers branlants

bêtes comme des saucisses dont la choucroute a déjà été mangée

attendent qu’il fasse jour

que les pommes soient mûres

pour appeler le cheval de fiacre

qui joue à cache-cache avec son fiacre

et le détruira

avant que les orteils des concierges deviennent des rails de chemin de fer.

 

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BRAS DESSUS BRAS DESSOUS

Elle aura de grands yeux de boomerang

qui faucheront les blés comme une vitre dépolie

et étoilée par une balle de revolver

Il y aura aussi sur la première marche d’un escalier très vieux comme un matelas qui s’envole

un petit rat

dont la queue rappellera au premier passant venu

son ancienne profession de chef d’orchestre

qu’il avait oubliée à cause de son chapeau

qui est la carte de l’Angleterre

avec l’Écosse légèrement abîmée par une tache d’encre

dont on ne saurait dire si elle est bleue

rouge ou verte

ou si c’est la graisse qui l’entoure

qui forme cette petite aurore boréale

plate et exsangue comme une gaufrette

ou un âne pelé qui a encore la force de braire

en voyant un tournevis

se balancer nonchalamment au-dessus de sa tête

et ouvrir une gueule énorme et verte comme une église en ruines

d’où s’échappent quelques acrobates boiteux

un dindon qui bat de l’aile comme une banque

et plus de mille dictionnaires qui ressemblent à de vieux vestons

de très vieux vestons

des vestons extrêmement vieux

avec des poches déformées à force d’avoir contenu des étoiles

avec des boutonnières si larges qu’on pourrait s’y pendre

avec le col qui ressemble à un drapeau français dans le fumier

de très vieux vestons

avec des taches de cambouis qui pleurent

des larmes de mayonnaise

de très vieux vestons.

 

DANS LE BLANC DES YEUX

La fenêtre s’ouvre et se ferme

comme une tempête dans un verre d’eau

qui proteste parce que la pluie refuse de le faire déborder

sous les yeux de la salade morte

dont le cœur est devenu depuis longtemps

un parapluie d’enfant

qu’on cache pour ne pas faire peur aux abeilles

dont l’essaim se nicherait avec plaisir

dans les profondeurs éternelles d’un os à moelle

J’en étais là de mon analyse spectrale

des reflets qui vont se cacher dans les oreilles des militaires

quand

Mais je n’insiste pas

Le vert-de-gris a vraiment bonne mine ce soir

il est un peu ivre

et prendrait volontiers un bain

dans une brioche

Un vaste rire fait se tordre les boutons de ma braguette

On dirait une aigrette sous l’aisselle d’une jolie femme

amoureuse d’une pince à sucre.

Benjamin PÉRET.

 

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LES MOYENS D’EXISTENCE

La taille bien prise dans les glaces d’une personnalité comme une autre

historique sous l’armure de ses mouvements et sans musique entre les yeux

madame l’amour de son prochain

une forêt au creux de la main qui l’étreint

beauté de première grandeur en folie autour du soleil

fardée selon son goût du mystère elle ne connaît pas son visage

c’est un nuage de bois sur la conscience

ni sa voix jamais à la même place

nulle part où se promène la voix de Benjamin Péret

 

Tous les cas pendables d’étoile sont dans la nature selon le code de brume trouvé sous le pas d’un hippocampe battu

les eaux dans les cordages crient Terre à Benjamin Péret qui chasse l’avenir sur le bout de ses doigts

il tue tout ce qu’il veut

poil comme le jour

plume comme la nuit

il sourit à tout ce qui brille et tout lui sourit comme à cent mille hommes car un mot sur chaque lèvre le bonheur à la longue manque de mesure ou de réalité

*

Colonie d’idées noires

la première arme à feu surveille l’ouvrage des mains au sein de la nature

j’ai beau plier le bras à toutes les nécessités de l’existence

je résiste mal aux grandes chaleurs humaines

il y a sept étages de cadavres sans dents ni fenêtres habités par sept couples siamois dans une avenue balayée de regrets argentés

c’est le juste milieu pareil à un cimetière prétentieux

un lieu de déséquilibre charnel

pelletées de caresses au tour du cœur

les morsures de l’amour n’ont jamais tant remué la terre

 

Dur langage en ce jour mal ferré qui ne veut pas finir

on a planté trop d’exemples pour nourrir la faim bleue des morts lentes

extrait du sol des métaux doux comme des baisers

ma mère en porcelaine mon père t’a brisée à votre dernière nuit d’amour

rivière de diamants offerte à la femme d’une seule nuit tu roules des yeux blancs dans une prairie d’anthracite où d’autres yeux jouent du violon

fille de soie aux bas de joie

les cinq doigts de la main me vont comme un masque de fer

 

Maladie aux beaux traits

maladie au corps de la jeune négresse

maladie qui vaut un empire

maladie changée en paysage

maladie couchée au pied de la lettre I

maladie écrite sur le front d’une armée endormie

maladie en voiture

maladie servie par dix femmes nues

mer malade de la peste

terre atteinte de la maladie du soleil

maladie derrière laquelle je cours sans pouvoir l’attraper

fuite des heures dans le désordre d’un regard de pierre

flamme volage impersonnelle courbée comme un rameur

je marche sur tes traces qui battent de l’aile

 

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Un brin d’air au secours d’un brin d’or

tous les châteaux du monde fanés sur leurs tiges en un tour de main

les feuilles mortes à l’envers de la vérité

je n’ai que l’écriture que je mérite

elle me vient d’une blessure que j’ai en commun avec quelques amis

mais je crois voir la fin du grand malentendu des couleurs dans le monde à son œil de verdure

*

Argument nocturne des mille raisons être contre l’unique raison de ne pas être

tu viens de loin

des gorges profondes ou les fleuves ne sont que l’ombre d’eux-mêmes

il s’agit maintenant de joies qui chantent leur peine entre chien et loup

quel événement roule carrosse en ce dimanche réservé aux crimes d’honneur

d’inoubliables funérailles ont pris les devants du corps dans un ciel particulier

d’une part un monde sans issue

d’autre part une existence qui ne mène à rien de valable

n’y croyant pas je l’ai recommencée plusieurs fois comme un morceau de musique

tant de perroquets parlent aux sens

tant d’objets de dégoût confiés à la poste n’arrivent pas

tout ce que je pense sauvé des eaux

abominable espace où le plus court chemin d’un point à l’autre est la douleur

je ne conçois un cœur qu’à bout d’espoir

comme le deuil pris avant la lettre

le deuil de ce qu’il y a de plus cher

ou de ce qui n’existe pas

 

La liberté des mers se change en pieuvre

la liberté des miroirs ne reflète que ce qu’elle aime

combien sommes-nous à savoir où commence où finit un même mot appliqué à plusieurs objets ayant entre eux des rapports sexuels comme oui et non par exemple

silence sur l’homme sur son drame et sur ses torches

place au théâtre tuberculeux ou la justice de minuit avale un sabre d’honneur.

Gui ROSEY.

La place manquant, j’ai dû supprimer un certain nombre de réponses qui n’apportaient rien à ma démonstration. Pour les mêmes raisons, je n’examinerai pas les réponses qui n’ont qu’un intérêt trop particulier.

Ce symbolisme gravidique rejoint d’une certaine façon la réponse (I. 4) de Breton.

Je dois déclarer ici, pour ne plus être tenté de le signaler, que la douceur et la couleur de ce morceau d’étoffe me répugnent très particulièrement.

À signaler que peu de réponses sont au conditionnel.

Voir également la réponse III. 2.

V. 14 est par ailleurs en rapport étroit avec VII. 14.

À rapprocher la réponse E. II. 6 de la réponse D. VIII. 1. Pour Gambetta, l’idée de le peindre en trompe-l’œil a inconsciemment été suggérée par le fait que cet individu avait un œil de verre. De même les « saintes huiles » ont entraîné la réponse E. I. 21 (huilier des tours de Notre-Dame).

Ailleurs VII. 5, seul le télégraphe de Chappe est peint.

Qui a besoin d’espace (I. 4, IV. 4, V. 4).

LA PÊCHE TROUBLE DANS L’EAU CLAIRE

Et au fond de cette eau a fermé les yeux celle à laquelle je ne pense jamais. Je ne pense.

elle a fermé les yeux pour mieux me voir, pour mieux me veiller. Veiller.

car elle veille, elle veille à ce que tout quand même, n’aille au diable. Au diable.

au-dessus de ce poème ma tête penchée, ma tête blessée, ridicule.

la couleur bleue est changée pour toujours, émiettée, broyée. Les fourmis, les fourmis, sont-elles bleues, sont-elles horribles, plongent dans les profondeurs paresseuses. Les miennes.

si je regarde mieux le sexe de la nuit s’illumine dans les constellations. Les étoiles nues attendent comme les oreilles du zèbre. Du zèbre ou de la jeune fille.

la nuit, et les nuits cela venait lier ces mots, ces phrases. Ces pies enivrées sont attendues par cette nasse.

la nuit venait, s’en allait, comme personne ne vient, ne s’en va, de tous les côtés, du cœur. Des miroirs noirs.

la nuit aimait, quand les montagnes se parlent à mi-voix. Se séduisent.

la nuit grandissait comme une supposition, telle ça te tombait une lune pourrie.

la nuit s’ouvrait comme une porte, comme des sentiers qui rêvent toujours d’un complot. D’une vieille palme de la lumière.

comme la nuit des amoureux, par les mêmes escaliers,

o terre elle s’abaisse de plus en plus silencieusement.

 

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qui, qui est-elle ? Qui es-tu ? Tu, toi.

elle est jolie, elle est splendide, elle est variolée.

Il est enfermé dans les entrailles du temps

non, il n’est pas temporeux, venteux

non, il n’est qu’ombrageux, épineux.

lui c’est moi, lui c’est toi, lui c’est le cheval jaune ou la question.

hennissent les chevaux ou le chemin.

va-t-en, va-t-en, ceci est un regard arraché de la terre.

un regard jusqu’au bout.

va-t-en, va-t-en, la pierre est une pierre plus silencieuse.

reviens à ce fauve, à cette faute, menace et tais-toi.

une voix dans la nuit sans silence. Sans silence.

je n’ai pas oublié ni les poissons ni les oiseaux au front pâle. Non.

car ils se doutent que pis la vie meilleure parfois murmure.

en face de la nuit

dans la face de la nuit dans la face où maintenant ils rongent les os de quelques fleuves pesants

ou maintenant nous lapons bêta lapons

dieu comme les jours sont beaux – vint le soldat, dit et s’en fut. S’en fut.

le soldat qui peut-être n’existe même pas

mais je le trahirai sûrement, tuerai.

Douchan MATITCH. (1930)

(Traduction de Kotcha Popovitch ).

LE POIL DE LA BÊTE

à Marcelle Ferry.

Sonneur de vérités, crieur de pressentiments,

vérité comme un pôle magnétique,

vérité qui parle en toi derrière ta bouche cousue,

hors du monde, dans le monde qui s’éthère

comme ce gâteau de boue où lente se recompose

la jeunesse du monde perdue de vue,

ainsi, ton sommeil n’est pas plus tranquille.

Dans la continuité de ce qui vit en toi,

une force sort de toi, continuelle, sans profil,

la houille blanche qu’on ne nomme pas,

par peur, par luxe, par hérédité, ô mal si perpétuel

d’être un silence pour un cri de simplicité,

ô révolte si caressante de l’estimation.

Au hasard, porteurs de mouvement perpétuel,

nous qui ne sommes pas perpétuels,

nous sommes en face de tant de loisirs,

de tant de promesses qui s’ébauchent à la minute

dont l’appât reste la beauté si lâche du geste

ou de l’esprit, ce touchant galopeur de facilités.

Sonneur de vérités, tant d’années sont derrière toi

qui réclament leurs chasses et leurs victimes,

même dans la douceur, même dans les jours si clairs,

même dans cet optimisme, même dans ce mépris,

même à l’ombre,

même dans un amour qui se casse,

même après cette corde rompue qui pend,

même dans cette nuit de rancunes,

même dans cette solitude comme une rue devant le désir,

comme un cri d’appel du loup,

même à l’ombre si palpable, entends tu, même

après cette amarre rompue,

même devant ce vide.

Georges HUGNET.

 

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L’AIR EST UNE RACINE

les pierres sont remplies d’entrailles. bravo. bravo. Les pierres sont remplies d’air.

les pierres sont des branches d’eaux.

sur la pierre qui prend la place de la bouche pousse une feuille-arête. bravo.

une voix de pierre est tête à tête et pied à pied avec un regard de pierre.

les pierres sont tourmentées comme la chair.

les pierres sont des nuages car leur deuxième nature leur danse sur leur troisième nez. bravo. bravo.

quand les pierres se grattent des ongles poussent aux racines. bravo. bravo.

les pierres ont des oreilles pour manger l’heure exacte.

ARP.

 

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UNE GIRAFE

Cette girafe, de grandeur naturelle, est une simple planche de bois découpée en forme de girafe et qui offre une particularité qui la différencie du reste des animaux du même genre fabriqués en bois. Chaque tache de sa peau, qui, à trois ou quatre mètres de distance, n’offre rien d’anormal, est en réalité constituée soit par un couvercle que chaque spectateur peut très facilement ouvrir en le faisant tourner sur un petit gond invisible placé dans un de ses côtés, soit par un objet, soit par un trou laissant apparaître le jour – la girafe n’a que quelques centimètres d’épaisseur – soit par la une concavité contenant les différents objets qu’on détaille dans la liste ci-dessous.

Il est à remarquer que cette girafe ne prend véritablement son sens que lorsqu’elle est entièrement réalisée, c’est-à-dire, quand chacune de ses taches remplit la fonction à laquelle elle est destinée. Si cette réalisation est très dispendieuse elle n’en reste, pour cela, pas moins possible.

TOUT EST ABSOLUMENT RÉALISABLE.

Pour cacher les objets qui doivent se trouver derrière l’animal, il faudra placer celui-ci devant un mur noir de dix mètres de hauteur sur quarante de longueur. La surface du mur doit être intacte. Devant ce mur il faudra entretenir un jardin d’asphodèles dont les dimensions seront les mêmes que celles du mur.

CE QUI DOIT SE TROUVER DANS CHAQUE TACHE DE LA GIRAFE

Dans la première : L’intérieur de la tache est constitué par un petit mécanisme assez compliqué ressemblant beaucoup à celui d’une montre. Au milieu du mouvement des roues dentées, tourne vertigineusement une petite hélice. Une légère odeur de cadavre se dégage de l’ensemble. Après avoir quitté la tache, prendre un album qui doit se trouver par terre aux pieds de la girafe. S’asseoir dans un coin du jardin et feuilleter cet album qui présente des dizaines de photos de très misérables et toutes petites places désertes. Ce sont celles de vieilles villes castillanes : Alba de Tormes, Soria, Madrigal de las Altas Torres, Orgaz, Burgo de Osma, Tordesillas, Simancas, Siguenza, Cadalso de los Vidrios et surtout Toledo.

Dans la deuxième : À condition de l’ouvrir à midi, comme le précise l’inscription extérieure, on se trouve en présence d’un œil de vache dans son orbite, avec ses cils et sa paupière. L’image du spectateur se reflète dans l’œil. La paupière doit tomber brusquement, mettant fin à la contemplation.

Dans la troisième : En ouvrant cette tache on lit, sur un fond de velours rouge, ces deux mots  :

AMERICO CASTRO

Les lettres étant détachables, on pourra se livrer avec elles à toutes les combinaisons possibles.

Dans la quatrième : Il y a une petite grille, comme celle d’une prison. À travers la grille, on entend les sons d’un véritable orchestre de cent musiciens jouant l’ouverture des Maîtres Chanteurs.

Dans la cinquième : Deux boules de billard tombent à grand fracas dès l’ouverture de la tache. À l’intérieur de celle-ci ne reste plus, debout, qu’un parchemin roulé, entouré d’une ficelle ; le dérouler afin de pouvoir lire ce poème :

À RICHARD CŒUR DE LION

Du chœur à la cave, de la cave à la colline, de la colline à l’enfer, au sabbat d’agonies de l’hiver.

Du chœur au sexe de la louve qui fuyait dans la forêt sans temps du Moyen-Âge.

verba vedata sunt fodido en culo et puto gafo c’était le tabou de la première cabane dressée dans le bois infini, c’était le tabou de la déjection de la chèvre d’où sortirent les foules qui élevèrent les cathédrales.

Les blasphèmes flottaient dans les marécages, les tourbes tremblaient sous le fouet des évêques de marbre mutilés, on employait les sexes féminins pour mouler des crapauds.

Avec le temps reverdissaient les religieuses, de leurs côtés secs poussaient des branches vertes, les incubes leur faisaient de l’œil tandis que les soldats pissaient dans les murs du couvent et que les siècles grouillaient dans les plaies des lépreux.

 

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Des fenêtres, pendaient des grappes de nonnes sèches qui produisaient, à l’aide du tiède vent printanier, une suave rumeur d’oraison.

J’aurai à payer mon écot, Richard Cœur de Lion, fodido en culo et puto gafo.

dans la sixième : La tache traverse de part en part la girafe. On contemple alors le paysage à travers le trou ; à une dizaine de mètres, ma mère, – Mme Bunuel – habillée en blanchisseuse, est agenouillée devant un petit ruisseau en train de laver le linge. Quelques vaches derrière elle.

Dans la septième : Une simple toile de vieux sac salie de plâtre.

Dans la huitième : Cette tache est légèrement concave et se trouve couverte de poils très fins, frisés, blonds, pris au pubis d’une jeune adolescente danoise aux yeux bleus très clairs, potelée de corps, à la peau brûlée par le soleil, de toute innocence et candeur. Le spectateur devra souffler suavement sur les poils.

Dans la neuvième : À la place de la tache on découvre un gros papillon nocturne obscur, avec la tête de mort entre les ailes.

Dans la dixième : À l’intérieur de la tache une appréciable quantité de pâte à pain. On est tenté de la pétrir entre ses doigts. Des lames de rasoir très bien dissimulées mettront en sang les mains du spectateur.

Dans la onzième : Une membrane en vessie de porc remplace la tache. Plus rien. Prendre la girafe et la transporter en Espagne pour la placer au lieudit « Masada del Vicario », à 7 kilomètres de Calanda, au sud de l’Aragon, la tête dirigée vers le nord. Crever d’un coup de poing la membrane et regarder par le trou. On verra une maisonnette très pauvre, blanchie à la chaux, au milieu d’un paysage désertique. Un figuier est placé à quelques mètres de la porte, en avant. Au fond, des montagnes pelées et des oliviers. Un vieux laboureur sortira peut-être, à cet instant, de la maison, pieds nus.

Dans la douzième : Une très belle photo de la tête du Christ couronné d’épines mais RIANT AUX ÉCLATS.

Dans la treizième : Au fond de la tache une très belle rose plus grande que nature fabriquée avec des pelures de pommes. L’androecie est en viande saignante. Cette rose deviendra noire quelques heures après le lendemain pourrira. Trois jours plus tard, sur les restes apparaîtra une légion de vers.

Dans la quatorzième : Un trou noir. On entend ce dialogue chuchoté avec une grande angoisse :

voix de Femme : Non, je t’en supplie. Ne gèle pas.

Voix d’Homme : Si, il le faut. Je ne pourrais pas te regarder en face.

(On entend le bruit de la pluie).

Voix de Femme : Je t’aime tout de même, je t aimerai toujours, mais ne gèle pas. NE... GÈLE.... PAS.

(Pause).

Voix d’Homme, très bas, très doux : Mon petit cadavre...

(Pause. On entend un rire étouffé).

Une lumière très vive se fait brusquement à intérieur de la tache. À cette lumière, on voit quelques poules qui picorent.

Dans la quinzième : Une petite fenêtre à deux battants construite à l’imitation parfaite d’une grande. Il en sort tout à coup une épaisse bouffée de fumée blanche, suivie, quelques secondes plus tard, d’une explosion éloignée. (fumée et explosion doivent être comme celles d’un canon, vues et entendues à quelques kilomètres de distance.)

Dans la seizième : En ouvrant la tache on voit à deux ou trois mètres une Annonciation de Fra Angelico, très bien encadrée et éclairée, mais dont l’état est pitoyable : déchirée à coups de couteau, gluante de poix, la figure de la vierge soigneusement souillée avec des excréments,

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Les yeux crevés par des aiguilles, le ciel portant en caractères très grossiers l’inscription : À BAS LA MÈRE DU TURC.

Dans la dix-septième : Un jet de vapeur très puissant jaillira de la tache au moment de son ouverture et aveuglera affreusement le spectateur.

Dans la dix-huitième : L’ouverture de la tache provoque la chute angoissante des objets suivants : aiguilles, fil, dé, morceaux étoffe, deux boites d’allumettes vides, un morceau de bougie, un jeu de cartes très vieux, quelques boutons, des flacons vides, des grains de Vals, une montre carrée, une poignée de porte, une pipe cassée, deux lettres, des appareils orthopédiques et quelques araignées vivantes. Le tout s’éparpille de la manière la plus inquiétante. (Cette tache est la seule qui symbolise la mort. )

Dans la dix neuvième : Une maquette de moins d’un mètre carré derrière la tache, représentant le désert du Sahara sous une lumière écrasante. Couvrant le sable, cent mille petits maristes en cire, le tablier blanc se détachant sur la soutane. À la chaleur, les maristes fondent peu à peu. (Il faudra avoir plusieurs millions de maristes de réserve).

Dans la vingtième : On ouvre cette tache. Rangés sur quatre planches on voit douze petits bustes en terre cuite, représentant Mme…, merveilleusement bien faits et ressemblants malgré leur dimensions d’environ deux centimètres. À la loupe on constatera que les dents sont faites en ivoire. Le dernier petit buste a toutes les dents arrachées.

Luis BUNUEL.

 

L’HUMOUR, ATTITUDE MORALE

(Réponse à l’enquête « l’humour est-il une attitude morale ? »)

Quels sont les rapports de l’humour et de la poésie, de l’humour et de la morale, de l’humour et de la mort ?

Il s’agit tout d’abord d’une nouvelle manière d’envisager la réalité et de se comporter envers elle (mais sous cet angle les objets eux mêmes se montrent dans ce qui est en eux réellement l’aspect du moderne), et cela, tandis que la machine à détraquer et à nier de l’humour ne fonctionne pas, ou après le bref instant de son fonctionnement fulgurant. Je veux dire que je parle sans humour de l’humour.

Les quatre pages de la publication L’Impossible (Belgrade, 1931) qui furent, sous le titre Le Réveille-Matin, une première tentative d’établir expérimentalement les rapports entre la poésie et l’humour, ont été totalement incomprises des intellectuels bourgeois. À la lumière de ces rapports, il apparaît pourtant très clairement que l’humour est, dans son essence, une critique intuitive et implicite du mécanisme mental conventionnel, une force qui extrait un fait ou un ensemble de faits de ce qui est donné comme leur normale pour les précipiter dans un jeu vertigineux de relations inattendues et surréelles. Par un mélange de réel et de fantastique, hors de toutes les limites du réalisme quotidien et de la logique rationnelle, l’humour et l’humour seul donne à ce qui l’entoure une nouveauté grotesque, un caractère hallucinatoire d’inexistence, ou du moins, une objectivité douteuse et méprisable et une importance dérisoire, à côté d’un sur-sens exceptionnel et éphémère, mais total. En contact avec la poésie, l’humour est l’expression extrême d’une inaccommodation convulsive, d’une révolte à laquelle sa retenue, sa compression ne font que donner plus de force.

Selon Freud, l’humour a « un côté grandiose » qui

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« se trouve sans aucun doute dans le triomphe du narcissisme, dans l’invulnérabilité victorieusement affirmée du moi. Le moi refuse de subir une offense, de souffrir par des causes venant de la réalité, il persiste à croire que les traumas du monde extérieur n’ont aucune prise sur lui, il va même jusqu’à prouver qu’ils fournissent des motifs à son plaisir ».

En tant qu’inacceptation, non-reconnaissance de la réalité et de sa gravité, l’humour satisfait certaines tendances « tendances ludiques et régressives vers des modes de pensée pré-logique et pré-réaliste ». À ce propos, Jean Frois-Wittmann attire l’attention sur les rapports qui existent entre le mot d’esprit et l’humour d’une part et l’image poétique de l’autre, et arrive ainsi à des conclusions qui sont celles de l’expérience purement poétique.

La psychanalyse nous montre comment la transformation des sentiments accumulés en plaisir humoristique rend momentanément superflue toute extériorisation effective.

Par ailleurs, l’humour est d’une certaine façon un masque estampillé et approuvé par le sur-moi, qu’arbore l’inconscient pour pouvoir passer en resquilleur à côté du contrôle de ce même sur-moi.

Et maintenant, quels sont les rapports entre l’humour et la morale, entre l’humour et une attitude morale, qui suppose justement cette réaction constante, consciente et agissante dont l’humour dispense ?

Dans notre Esquisse d’une phénoménologie de l’irrationnel Kotcha Popovitch et moi, après avoir rejeté la morale normative bourgeoise, ensemble dégoûtant de règles et de règlements, codification qui pour varier en deçà et au delà des Pyrénées n’en demeure pas moins codification et non seulement du bien et du mal, in abstracto mais de la conduite de l’homme, de l’homme et de femme en amour (le normal et le pervers, le permis et le défendu, la procréation et le soixante-neuf…), – nous avons distingué, d’une part, la morale réelle (processus de la réalisation du désir concret, irrationnel et individuel, expression des revendications directes de l’inconscient, de l’instinct, du « raisonnement », en dehors de toute systématisation) et, d’autre part, la morale moderne (étape de ce devenir, système relatif, attitude conditionnée par les exigences des catégories dont la morale réelle, individuelle et inapplicable dans la société actuelle, ne peut, par définition, tenir compte, telles que les catégories du « jugement », de la conscience rationnelle, de la chronologie, de l’histoire, de la société).

À défaut d’une conception dialectique, la notion de morale nous apparaîtrait sur deux plans irréconciliables. Sur le premier, – déjà contradictoirement, mais du moins sur le même plan – , il nous faudrait considérer la morale comme un système qu’à tout prix il faut abolir et, en même temps, comme la condition même de cette abolition, comme la négation de ce système sur l’autre de ces deux plans, étant l’exigence irréductible et pleinement arbitraire de la liberté personnelle de l’individu, le droit du désir de se réaliser, la morale nous apparaît comme la personnification du désystématisé de la désystématisation elle-même. Pour éviter ce paradoxe confusionnel, la distinction et la terminologie proposées par l’Esquisse me semblent suffisamment justifiées.

Si l’on tient compte de la distinction mentionnée entre la morale réelle (la morale du désir) et la morale moderne (l’attitude révolutionnaire « dépendante de la dialectique sociale »), la réponse à la question : l’humour est-il une attitude morale ? est négative, tandis qu’à la question l’humour est-il moral ? La réponse est affirmative. Car, par cela même que l’humour est parfaitement amoral, on peut dire qu’il est parfaitement moral, étant donné que par lui-même, il ne tombe pas sous le coup de la catégorisation du

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moral et de l’immoral, qui ne peut s’occuper que des conséquences pratiques de l’humour. Cependant un tel humour « en soi », en dehors de sa détermination et de ses résultats, qu’il soit utilisable ou non révolutionnairement, ne pourrait s’imaginer que dans le plein devenir phénoménologique illimité, impensable au stade actuel de notre conscience ou bien dans l’infiniment brève fulguration d’un présent éternisé, c’est-à-dire hors du temps dans l’un et l’autre cas. Mais nous sommes dans le temps, et comment ! Et dans quel temps ! Si donc on conçoit qu’ici, dans l’implacable lumière de la veille, en pleine lutte de classes, le mot moral énoncé à haute voix (je ne suis pas seul au monde, tu n’es pas seul au monde, quelqu’un parle à quelqu’un, quelqu’un s’explique à quelqu’un) signifie conforme aux exigences de la morale moderne, – car l’énonciation donne aux mots un sens social – , alors, il devient clair que seul est moral ce qui est révolutionnaire. Révolutionnaire parce que moral ; moral parce que (peut-être considéré comme) révolutionnaire : c’est par ses conséquences, ses résultats que l’on peut juger de la moralité d’une donnée initiale. Parce qu’il ne laisse en paix aucune pierre tombale des siècles, aucune pierre angulaire de l’amphithéâtre de l’éternelle sagesse, l’humour est moral, tout comme la folie, la poésie, l’amour (réponse affirmative). Se pourrait-il d’ailleurs qu’une chose qui idéalement s’identifie avec la réalisation désintéressée de l’inconscient, c’est-à-dire avec la morale réelle du désir, qu’une telle chose n’ait pas des conséquences morales ? Mais cela ne veut pas encore dire que l’humour soit une attitude morale. « L’humour serait l’anarchie s’il pouvait être une attitude. Mais il n’existe qu’instantané, aussi loin que puissent rouler ses conséquences dont il n’est pas responsable et qu’il n’a pas pu prévoir » (Kotcha Popovitch ).

L’humour en tant qu’attitude vitale est intenable.

Jacques Vaché s’est tué, Jacques Rigaut s’est tué. L’humour persistant pourrait être la morale de la solitude, mais la solitude s’est condamnée elle-même à mort, (ou bien elle est obligée de se transformer en action, c’est-à-dire de se nier), précipitée vers son unique résolution, vers l’autodestruction, solitude définitive. L’humour, nihiliste, tend régressivement vers sa propre annihilation, vers la paix intra-utérine de l’isolement, de la non-participation, de l’irresponsabilité, vers le repliement humoreux de l’embryon.

L’humour par définition ne peut choisir, prendre parti, car il n’admet pas, n’accepte pas la réalité ou son choix, sa décision devraient s’exercer. Son « ironie suprême » est en réalité une indifférence sans issue. Enopposition avec toutes les données possibles de la réalité sociale l’humour généralisé, perpétué est incompatible avec chaque décision, avec chaque adéquation sociale possible… Et, en tant indifférence, l’humour n’est ni vital, ni viable ; la vie de l’homme particularisée dans la matière ne peut pas être indifférente. (Esquisse, pp. 170-171).

Les temps sont trop sévères et trop présents pour que qui que ce soit puisse espérer s’en tirer par la conservation artificielle d’une illusion, sous le vague toit de chaume de l’humour, dans le moulin solitaire et mort de l’humour, dans le phare sans feux de l’humour. L’humoriste désenchanté (je ne parle pas des journalistes), enveloppé dans la cape illusoire du fatalisme, est accroupi au sommet de la plus haute meule de foin (celle-ci brûle à la base), sans une miette d’illusion (et voué tout entier à une illusion), sans espoir mais sans amertume créatrice, sans un seul geste de révolte agissante, sans mouvement et sans efficacité. « Sensation – j’allais presque dire un sens de l’inutilité théâtrale (et sans joie) de tout » (Vaché) : sentiment qui doute de tout (« O DIEU ABSURDE ! Car tout est contradiction – n’est ce pas ? – et sera umoreu celui

 

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qui toujours ne se laissera pas prendre à la vie cachée et SOURNOISE de tout – O mon réveille-matin »). « Sensation de l’inutilité théâtrale de tout », (« ... et sera umoreu celui qui sentira le trompe l’œil lamentable des simili symboles universels ») : aube trouble et cendrée de dada. Sentir la vanité lamentable, l’absurde irréalité de tout, c’est sentir sa propre inutilité, c’est être inutile. Alors, il faut ou bien s’anéantir ou bien se transformer, se dépasser par une négation substantielle : Vaché s’est tué, dada est devenu le surréalisme. L’indifférence de l’humour est une force d’expansion refoulée, dont la puissance virtuelle d’explosion est tirée au clair par une autre puissance, réelle et déterminante, celle du temps présent, au clair de la décision et de l’action : l’énergie cachée, particulière à cette indifférence, attelée, devient ainsi un moteur de l’action.

Et pour cela, je salue très bas les miasmes virulents de l’humour.

Psychologiquement, par son « attitude humoristique » un homme montre qu’il ne veut rien savoir des attaques du monde extérieur, et il transmue ses traumas en motifs de plaisir humoristique. Mais nul n’est mithridatisé contre le poison opaque et perfide de la réalité de ses désastres. Il est vrai que dans ses minutes actives, l’humour est un poison plus secret, subtil et corrosif. Dans certains cas précis (p. ex. à la face d’un prêtre), sans tenir compte du nihilisme narcissiste qui lui est généralement propre, non seulement il est moralement justifié, mais encore ses réactions s’identifient avec celles de la morale moderne du révolutionnaire. Or, voilà qui ne saurait être constant, qui ne saurait se prolonger objectivement.

L’humour devient immoral, dès qu’il tente (même inconsciemment) de parer à son incapacité de validité durable par une systématisation non moins immorale que toutes celles opérées abusivement sur les éléments subversifs de l’esprit, excepté celle, consciente et consciemment relative et pratique, de la morale moderne. Statiquement généralisé à des fins narcissistes et illusoires, l’humour n’est plus l’expression désintéressée et directe de l’inconscient. Traître à sa propre particularité concrète et irrationnelle, il n’est pas non plus une systématisation rationnelle nécessaire, au but objectivement, c’est-à-dire révolutionnairement efficace, il se réduit à rien. Il n’est plus qu’une désertion, un alibi et couvre tous les compromis.

Pour que la liberté de la vie désystématisée puisse devenir universelle, il faut une systématisation (tout le contraire de la généralisation de certains éléments pris à part) qui englobe tous les éléments présents et incomplets et, non moins que les autres, ceux de l’humour, image fuyante de l’arbitraire déchaîné.

Le surréalisme va droit à la zone interdite mais si, dans son expérimentation spécifique, il ne saurait en rien être rationalisé, il s’est, d’autre part, mis au service d’une cause – la seule historiquement inévitable et décisive – qui exige une organisation rationnelle de la pensée, le surréalisme s’est mis au service de la révolution qui, elle-même, en travaillant à transformer les conditions matérielles de l’existence humaine, est au service d’une liberté concrète et certaine dont les éléments, autant qu’il est actuellement possible, se sont déjà incorporés au surréalisme, se mettant à leur propre service. L’humour, par exemple, peut-être une arme à ne pas négliger. Mais le fatalisme – qui devient son fait dès qu’il se généralise – n’a rien à voir avec le caractère déterministe de l’attitude morale du révolutionnaire. Un révolutionnaire sait qu’on n’atteint à la liberté que par la connaissance de la nécessité, et qu’on ne se dérobe pas à la responsabilité devant la nécessité de cette connaissance et de l’action avec laquelle elle s’identifie.

Marco RISTITCH.

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La terreur blanche chez les « amis de la France »

DES SURRÉALISTES YOUGOSLAVES SONT AU BAGNE.

On sait comment – pour s’opposer au mouvement de l’histoire, à son plus irrésistible élan, la révolution prolétarienne – Foch et Clémenceau, qui n’en étaient point à un assassinat près, poignardèrent dans le dos les Spartakistes allemands et les soviets hongrois.

Le professionnel de la tuerie et le vieux bouffon, dignes représentants de l’impérialisme vainqueur, dans une Europe divisée jusqu’à la décomposition, implantèrent la terreur blanche. Si, de temps à autre, ici ou là, cette terreur blanche s’est engrisaillée, aujourd’hui, partout, elle a retrouvé son plus féroce, son plus stupide éclat. De surenchère en surenchère les nationalismes vont s’exaspérant. L’hitlérisme est l’enfant maudit du traité de Versailles. Voilà qui est incontestable. Mais il n’est pas moins incontestable que jamais

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fils ne ressembla tant à son père. Aussi reconnaîtrons-nous aux trois mégères France, Angleterre et États-Unis d’Amérique, le droit de s’indigner contre l’antisémitisme des nazis, quand la première aura renoncé à la pacification du Maroc et aux massacres d’Indochinois, la seconde à sa rage de persécuter les Hindous et la troisième a son sport favori, le lynchage des noirs.

Non moins que le fascisme allemand il convient de dénoncer la réaction, prodigue d’horreurs, dans les divers pays d’Europe orientale qui servent d’alliés à la France, de clients à ses marchands de canons.

Tandis que, dans l’espoir d’une nouvelle union sacrée, nos bourreurs de crâne plus ou moins officiels nous ressortent des bobards qui puent leur 1914 à plein nez, M. Titulesco, au nom de la Petite-Entente, vient supplier la grande sœur de ne pas changer un iota au traité de Versailles. On voit la grosse malice et l’on voit aussi (ce qui n’est guère réjouissant), aux actualités du cinéma de ce printemps vraiment français, la face et l’on entend la voix d’eunuque de ce M. Titulesco qui, soit dit entre parenthèses, appartient à une secte religieuse dont les membres se font couper les couilles, après s’être assuré une descendance. Pour avoir subi cette petite opération M. Titulesco n’en apparaît, à la grosse poufiasse de classe exploiteuse, que plus apte à lui servir de gardien du sérail. La bourgeoisie de l’Europe occidentale ne conçoit en effet l’Europe orientale que comme le corps de garde de la flicaille, d’où les mamours que la grande presse fait sans compter à la Sigurantza roumaine, par exemple, – qui doit servir de cloison étanche entre le prolétariat de plus en plus misérable du monde capitaliste et le prolétariat libéré, libérateur de l’U.R.S.S., – d’où le couloir de Dantzig visant certes moins dans l’intention des dépeceurs de 1918 à donner à la Pologne un accès à la mer qu’à mettre un

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fossé de fascisme entre l’Allemagne et les Soviets.

La Yougoslavie récompensée par les vainqueurs d’avoir, jadis, sous le nom de Serbie, été le théâtre de l’attentat de Sarajevo, cette provocation policière qui fournit le prétexte de la guerre mondiale, la Yougoslavie devait bien à ses protecteurs de détraquer et torturer, mieux que nul autre pays de l’Europe orientale, ouvriers et intellectuels, de convictions communistes.

Mais une réaction appelle sa réaction. La réaction de la réaction c’est l’action. Aussi, à Belgrade, un mouvement surréaliste, parallèle à celui de Paris, se développait, agissait. Une importante revue Le surréalisme aujourd’hui et ici contrevenait efficacement à la défense de penser qui est de règle culturelle, dans tout pays fascisé. Le courage intellectuel sous entend, exige l’autre courage. Depuis un an les surréalistes yougoslaves en ont fait l’expérience.

Un jeune universitaire, Oscar Davitcho, fut, le premier, arrêté à Bihatch (Bosnie ) où il était professeur de français.

Son crime : avoir organisé un centre d’études marxistes. Pour mener l’instruction, on envoya de Belgrade un certain Vouïkovitch spécialisé dans la torture des communistes. En Yougoslavie, tous ceux qui sont soupçonnés de militer, tous ceux dont la police veut tirer des aveux ou des renseignements sont passés à tabac jusqu’à ce que perte de connaissance s’ensuive.

Tel fut le sort de Davitcho, tel fut le sort de son ami Djordjé Kostitch qui, après plusieurs mois de prison fut relâché sans jugement, ce qui prouve que, avant même d’avoir réussi à trouver matière à inculpation, les bourreaux yougoslaves n’hésitent point à infliger les pires traitements à ceux dont il leur plaît de se saisir.

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Davitcho, lui, fut avec vingt-cinq de ses camarades (ouvriers, paysans, étudiants) traduit devant le tribunal pour la défense de l’État. Il fut condamné sans appel à cinq ans de travaux forcés. Les peines étaient pour les autres de trois, deux ans, un an, six mois.

Quelques jours après ce jugement, dans la nuit du 30 novembre au 1 er décembre les deux surréalistes Kotcha Popovitch et Djordjé Yovanovitch sont arrêtés. Et, depuis ce temps, ils attendent en prison être jugés.

Ils n’ont ni le droit de communiquer avec leurs amis, ni celui d’avoir un avocat pendant l’instruction. Leur sort dépend de l’arbitraire d’un gouvernement qui n’est pas tendre pour qui tente d’exprimer librement sa pensée.

Les étudiants de Belgrade se sont affirmés solidaires des surréalistes persécutés. Ils ont manifesté contre le régime.

La police yougoslave se vante d’être une des plus fortes du monde. Donc elle arrive presque toujours à trouver ce qu’elle désire trouver pour faire des exemples. Il est à penser qu’elle ne va pas s’arrêter en chemin, car elle est couverte dans sa besogne répressive, par le silence officiel de la France. Mais, s’il est dans la tradition de ladite république bourgeoise de tolérer que tel ou tel de ses petits royaumes vassaux sévisse (et avec quelle violence !) contre les intellectuels qui ont lié leur devenir à celui du prolétariat, le front unique contre le fascisme doit être un front unique contre l’hypocrisie de ces nations prétendument libérales qui permet, encourage chez ses alliés et ses clients ce qu’elle ne dénonce chez ses ennemis ou ses rivaux commerciaux qu’à ces fins les plus abominablement capitalistes dont la suprême est toujours la guerre.

René CREVEL.

 

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NOTES - COMMUNICATIONS

I

LES FAUX MÉTÉORES DU MUSÉUM D’HISTOIRE NATURELLE SONT « AUSSI » DES PHÉNOMÈNES PARANOÏAQUES.

La profusion de faux météores au muséum et dans les collections particulières a toujours frappé les naturalistes qui durent les soumettre à des analyses rigoureuses pour en déceler l’origine terrestre à tel point était la ressemblance. Ce fait aujourd’hui se présente à nous dans la plus intense actualité psychologique. Déjà le professeur Stanislas Meunier, en 1900, se prononce catégoriquement pour la bonne foi des trouveurs de météores qui prétendent les avoir vus tomber, casser une branche, faire un trou dans la terre.

« Ce n’est pas une fois, écrit-il, mais cent fois, mille fois que nous avons reçu au musée d’histoire naturelle des blocs durs soi-disant tombés du ciel mais dont l’étude accusait l’origine terrestre. Les propriétaires qui, souvent, y tenaient beaucoup et qui, plus d’une fois, il me faut l’avouer, les ont remportés en laissant voir que nos arguments ne les avaient nullement convertis, appartenaient aux catégories les plus diverses de nos contemporains, et parmi eux, il faut le dire, abondaient les personnes instruites, ayant même l’habitude de l’observation. »

« Les témoignages de la chute d’un objet, ajoute-t-il, sont inépuisables, depuis celui que nous devons au grand verrier, jusqu’à celui des paysans sans culture et même des sauvages, spécialement ceux de la Nouvelle-Calédonie. » Après une documentation étonnante sur ce sujet, il conclut : « De sorte que si l’on voulait, à propos des pierres tombées du ciel, faire, selon le précepte de Bossuet, intervenir le consentement unanime des hommes pour établir la vérité, on consommerait une erreur manifeste. »

Plus loin le même professeur essaie d’expliquer ce phénomène : « L’illusion est très facile à comprendre. Un bolide traverse le ciel, explose avec ou sans bruit et plonge le témoin dans un étonnement bien souvent mélangé de crainte. Quand c’est fini on regarde autour de soi et si l’attention est attirée par quelque substance dont le caractère contraste avec les pierres ordinaires du pays, on arrive très facilement à se persuader qu’il s’agit d’un produit apporté par le météore. » Mais il semble que le professeur, à la tête marconisée, n’ait pas conscience de la violence du phénomène et du mécanisme associatif délirant qu’il suppose, car il faut ajouter à la ressemblance incontestable et inexpliquée (allant jusqu’à nécessiter l’analyse chimique) la coïncidence de la branche cassée et du trou creusé, au fond duquel, habituellement, a été trouvé le météore, ce qui aggrave considérablement la question.

L’homme qui voit tomber une étoile la cherche et la trouve et trouve encore les signes révélateurs et probants de la chute, le trou et la branche cassée, toujours les mêmes représentations invariables. Le corps qu’il trouve peut se confondre et est confondu couramment

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avec les vrais météores, même s’il s’agit d’un paysan ou d’un sauvage n’ayant aucune idée de ces corps.

L’homme connaît irrationnellement l’aspect des étoiles qui tombent sur la terre ; elles ressemblent au mâchefer, à la merde.

II

L’ACTUALITÉ SURRÉALISTE DES ANAMORPHES CONIQUES

Les rapports instantanés créés entre l’usage courant et l’utilisation des objets et des êtres d’une part et leurs représentations anamorphiques ainsi que la réobjectivation matérielle de ces représentations d’autre part, nous conduiront sans doute à une source inépuisable d’équivalents poétiques de ce qui, sur le terrain scientifique, constitue les contradictions des déterminantes relativistes génératrices, à mon avis, de fantasmes irrationnels déjà fort appréciables. Au théâtre surtout, il est urgent qu’entre en vigueur l’intervention des anamorphes. Songez aux décors anamorphiques. Songez à un enfant porté dans les bras auquel sa mère veut faire embrasser l’œil de son père sur une grande photo anamorpho-conique de celui-ci. L’œil, comme l’on sait, occupe tout le périmètre circulaire de la photo. Pour réussir à embrasser l’œil paternel, l’enfant devra promener ses lèvres et même se promener à quatre pattes sur la photo anamorphée.

Je ne cite qu’un de ces rapports instantanés auxquels je me réfère au début de cette note, l’un des plus modestes, choisi au hasar d. Je laisse à l’imagination féconde du lecteur les propositions mieux conciliables avec l’idée de durée qu’acquiert l’acte de l’amour par exemple, réalisé avec l’anamorphe conique d’une femme (ce qui est, pratiquement, tout à fait réalisable au cinéma). Ainsi, au ralenti sensoriel, serait, pour la première fois, opposé le ralenti psychique, celui de notre vie et de notre mort.

III

RAYMOND ROUSSEL – NOUVELLES IMPRESSIONS D’AFRIQUE.

Voici, entre tous les livres de notre époque, le plus « insaisissable poétiquement », par conséquent celui qui a le plus d’avenir. La métaphore, sublimement dépréciée, effleure ici les bords de la « débilité mentale ». Les comparaisons établies procèdent des plus immédiates, des plus directes ressemblances anecdotiques accidentelles grâce à quoi les éléments comparés qui se succèdent par centaines nous font assister aux conflits les plus obscurs, les plus impénétrables qui se soient jamais produits. On ne peut en effet manquer de considérer comme relations la suite d’« éléments composés », du fait qu’ils sont consécutifs de façon cohérente et qu’ils offrent, au premier chef, des constantes obsessives très évidentes : répétition des œufs sur le plat, allusions multiples à l’odeur de l’urine après ingestion d’asperges, etc... Le contenu irrationnel est prouvé – et devient impossible à contredire – par le monde de rapports élémentaires dont le degré d’objectivité est déterminable expérimentalement. C’est par l’utilisation systématique, à l’infini, de ce mécanisme d’associations microscopiques impossibles à contredire, mécanisme destiné à faire « valoir » le contenu obsessif et délirant tenant au choix des éléments comparés, que les Nouvelles Impressions d’Afrique se présentent à nous comme l’itinéraire rêvé des nouveaux phénomènes paranoïaques.

Le choix de l’illustration témoigne une fois de plus du génie de Raymond Roussel.

Salvador DALI.

 

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LE BON TON

I

À Monsieur P. L. Flouquet, « Le Journal des Poètes ». Paris, 25 janvier 1933.

Monsieur,

Les signataires de cette lettre, lecteurs du Journal des Poètes, s’élèvent contre l’article anonyme et injurieux paru dans le numéro du 22 janvier 1933 (intitulé « Monsieur Tristan Tzara écrit l’Histoire ou Défense d’avouer »), article dirigé contre Tristan Tzara et qui dans sa totalité, vise à jeter le discrédit sur l’activité poétique surréaliste.

Nous saisissons l’occasion qui nous est donnée de dénoncer votre journal (si justement qualifié de « feuille de chou » par Tristan Tzara) qui est devenu depuis longtemps suspect à nos yeux.

Nous ne saurions désormais composer avec un tel périodique ou la bassesse, l’imbécillité et l’indignité éclatent à chaque page.

Nous vous adressons cette lettre, due à notre seule initiative, avec l’assurance de notre plus profond mépris.

Louis Cattiaux, André-D. Chenneviere, A. Gacon, André Guilliot, Hattenville, Fernand Marc, Jean Marembert, André Mora, Jean Pelier, André Silvaire, Jean Stefani, Robert Valançay.

II

Au « Journal des Poètes ».

Notez une fois pour toutes, de ne plus nous adresser ces saletés que vous publiez sous le nom de Journal des Poètes.

Mayakowsky après Guilbeaux !!!

N’essayez pas de nous tendre vos mains sales. Nous ne toucherons pas à la pourriture qui vous compose.

Mayakowsky ne vous appartient pas.

Fernand Marc, Jean Marembert, Robert Valançay.

III

À Monsieur Robert Harlong, à « Gringoire ».

11 mars 1933

Croyez, cher Monsieur, qu’il

 

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existe des besognes plus lucratives que d’épingler chaque semaine dans un journal aussi infect que Gringoire, aux senteurs de maréchaussée, des poèmes ou des fragments de poèmes modernes que vous ne comprenez pas et ne comprendrez jamais.

La Poésie vous emmerde, cher Monsieur !

Mêmes signatures, moins Hattenville, Jean Pelier et Jean Stéfani, que pour la première lettre.

IV

À Monsieur Sacha Bernhardt, directeur de « Le Monde et la Ville ».

11 mars 1933

Avec indignation, nous avons reçu cette petite cochonnerie que vous appelez si justement Le Monde et la Ville, où, une fois de plus, le catholicisme s’allie à la pédérastie.

Chacun de nous considère comme une injure personnelle d’être invité à des banquets présidés par d’aussi bas académiciens que mm Henri Bordeaux et Louis Bertrand.

Nous méprisons votre pseudo-élite, votre tradition, votre France et exigeons, dorénavant, que vous nous foutiez la paix.

Mêmes signatures que précédemment.

V

Des intellectuels du groupe Sagesse, répondant aux appels de Romain Rolland et du Secours Rouge International protestent avec indignation contre la terreur fasciste en Allemagne, la violence de la police des nazis s’exerçant contre les Israélites et les classes laborieuses, plus particulièrement communistes ;

Condamnent l’impérialisme français qui, par sa politique intransigeante et le maintien du traité de Versailles a permis le triomphe d’Hitler-l’histrion.

Cattiaux, André Chenneviere, Marc Cheyrouse, Yves Demailly, Paul Dolonne, Jean Dorcy, Armand Durand, Hugues Fouras, Gacon, Georges Garampon, André Guilliot, Joaquim, Georges Malkine, Fernand Marc, Jean Marembert, Laurent Pattaronne, Jean Rousselot, André Silvaire, Marie-louise Simard, Jean Stefani, Anna Stephann, Robert Valançay.

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COMMENT ON FORCE L’INSPIRATION

(Extraits du « Traité de la peinture surréaliste »)

Aucune conduction mentale consciente (de raison, de goût, de volonté) n’étant de mise dans le devenir d’une œuvre méritant la qualification de surréaliste absolue, la part active de celui qu’on appelait jusqu’ici « l’auteur » de l’œuvre se trouve subitement réduite à l’extrême. C’est en qualité de spectateur qu’il assiste, indifférent ou passionné, à la naissance de l’œuvre et observe les phases de son développement. De même que le rôle du poète est d’écrire sous la dictée de ce qui se pense (s’articule) en lui, le rôle du peintre est de cerner et de projeter ce qui se voit en lui.

Cela, nous disaient les sceptiques et les plaisantins au lendemain de l’apparition du Manifeste du surréalisme d’André Breton, cela ne peut être à la portée que des médiums, des illuminés et, d’une manière générale, de ceux qui parviennent à l’état second. « Plus personne n’ignore qu’il n’y a pas de peinture surréaliste. Ni les traits de crayon livrés au hasard des gestes, ni l’image retraçant les figures de rêve, ni les fantaisies imaginatives, c’est bien entendu, ne peuvent être ainsi qualifiées », a cru devoir écrire, pour nous décourager, M. Pierre Naville, dans le n° 3 de la Révolution Surréaliste (Avril 1925) dont il était alors l’un des directeurs. Il serait trop aisé de prouver qu’à l’époque même de cette prophétie, l’« inconscient » avait pourtant déjà fait son entrée sensationnelle dans le domaine pratique de la poésie peinte et dessinée.

*

Les recherches sur le mécanisme de l’inspiration, poursuivies avec ferveur par les surréalistes, les ont conduits à la découverte de certains procédés d’essence poétique, aptes à soustraire à l’empire des facultés dites conscientes l’élaboration de l’œuvre plastique. Ces moyens (d’envoûtement de la raison, du goût et de la volonté consciente) ont abouti à l’application rigoureuse de la définition du surréalisme au dessin, à la peinture, voire même, dans une certaine mesure, à la photographie : ces procédés dont quelques-uns, en particulier le collage, ont été employés avant l’avènement du surréalisme, mais systématisés et modifiés par celui-ci, ont permis à certains de fixer sur papier ou sur toile la photographie stupéfiante de leur pensée et de leurs désirs.

Appelé à caractériser ici le procédé qui le premier est venu nous surprendre et nous a mis sur la voie de plusieurs autres, je suis tenté d’y voir l’exploitation de la rencontre fortuite de deux réalités distantes sur un plan non-convenant (cela soit dit en paraphrasant et en généralisant la célèbre phrase de Lautréamont : Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie) ou, pour user d’un terme plus court, la culture des effets d’un dépaysement systématique selon la thèse d’André Breton : La surréalité sera d’ailleurs fonction de notre volonté de dépaysement complet de tout (et il est bien entendu qu’on peut aller jusqu’à dépayser une main en l’isolant d’un bras, que cette main y gagne en tant que main, et aussi qu’en parlant de dépaysement, nous ne pensons pas seulement à la possibilité d’agir dans l’espace). (Avis au lecteur pour La Femme 100 Têtes). La technique la plus générale de ce procédé lui a valu d’être désigné couramment sous le nom de « collage ».

Ce procédé employé, modifié et systématisé chemin faisant par presque tous les surréalistes, tant peintres que poètes, les a, depuis sa découverte, conduits de surprise en surprise. Entre les plus belles conséquences qu’ils ont été appelés à en tirer, il convient de mentionner la création de ce qu’ils ont appelé des objets surréalistes.

Une réalité toute faite, dont la naïve destination a l’air d’avoir été fixée une fois pour toutes (un parapluie) se trouvant subitement en présence d’une autre réalité très distante et non moins absurde (une machine à coudre) en un lieu où toutes deux doivent se sentir dépaysées (sur une table de dissection), échappera par ce fait même à sa naïve destination et à son identité ; elle passera de son faux absolu, par le détour d’un relatif, à un absolu nouveau, vrai et poétique : parapluie et machine à coudre feront l’amour. Le mécanisme du procédé me semble dévoilé par ce très simple exemple. La transmutation complète suivie d’un acte pur comme celui de l’amour, se produira forcément toutes les fois que les conditions seront rendues favorables par les faits donnés : accouplement de deux réalités en apparence inaccouplables sur un plan qui en apparence ne leur convient pas. Parlant du procédé de collage en 1921, Breton nous dit : « Mais la faculté merveilleuse, sans sortir du champ de notre expérience, d’atteindre deux réalités distantes et, de leur rapprochement, de tirer une étincelle ; de mettre à la portée de nos sens des figures abstraites appelées à la même intensité, au même relief que les autres ; et, en nous privant de système de référence, de nous dépayser en notre propre souvenir, voilà qui provisoirement le retient ». (Préface à l’exposition Max Ernst, mai 1921). Et il ajoute ici ce mot prophétique : « Qui sait si, de

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la sorte, nous ne nous préparons pas quelque jour à échapper au principe d’identité ? »

Le lecteur découvrira un mécanisme analogue à celui du collage dans cette image grandiose, en laquelle réside le projet d’un objet surréaliste proposé par Dali : « De grandes automobiles trois fois plus grandes que nature, seront reproduites (avec une minutie de détails surpassant celle des moulages les plus exacts) en plâtre ou en onyx, pour être enfermées, enveloppées de linge de femme, dans des sépultures, dont l’emplacement ne sera reconnaissable que par la présence dune mince horloge de paille » (Le Surréalisme A.S.D.L.R., n°3).

*

Dans l’espoir d’augmenter la fortuité des éléments pouvant entrer dans la composition d’un dessin et d’en rendre d’autant plus grande la soudaineté d’association, les surréalistes ont eu recours au procédé dit du « Cadavre exquis », divulgué par ailleurs dans ce numéro. La part considérable de hasard n’est plus ici limitée que par celle qui, pour la première fois, est faite à la contagion mentale. À en juger par les résultats obtenus (voir les reproductions dans la Révolution Surréaliste n° 9-10 et dans Variétés, juin 1929) nous pouvons considérer ce procédé comme particulièrement apte à produire des images surréalistes pures et fortes, selon les critériums donnés par Breton : « Pour moi, la plus forte [image surréaliste] est celle qui présente le degré d’arbitraire le plus élevé, je ne le cache pas ; celle qu’on met le plus longtemps à traduire en langage pratique, soit qu’elle recèle une dose énorme de contradiction apparente, soit que l’un de ses termes en soit curieusement dérobé, soit que s’annonçant sensationnelle, elle ait l’air de se dénouer faiblement (qu’elle ferme brusquement l’angle de son compas), soit qu’elle tire d’elle-même une justification formelle dérisoire, soit qu’elle soit d’ordre hallucinatoire, soit qu’elle prête très naturellement à l’abstrait le masque du concret, ou inversement, soit qu’elle implique la négation de quelque propriété physique élémentaire, soit qu’elle déchaîne le rire. » (Manifeste du surréalisme)

*

À l’époque où nous étions particulièrement passionnés par les recherches et les premières découvertes dans le domaine du collage, il arriva que, tombant par hasard ou comme par hasard sur (par exemple) les pages d’un catalogue ou figuraient des objets pour la démonstration anatomique ou physique, nous y trouvâmes réunis des éléments de figuration tellement distants que l’absurdité même de cet assemblage provoqua en nous la succession hallucinante d’images contradictoires, se superposant les unes aux autres avec la persistance et la rapidité qui sont le propre des souvenirs amoureux. Ces images appelaient elles-mêmes un plan nouveau, pour leurs rencontres dans un inconnu nouveau (le plan de non convenance). Il suffisait alors d’ajouter, en peignant ou en dessinant, et pour cela en ne faisant que reproduire docilement ce qui se voit en nous, une couleur, un griffonnage, un paysage étranger aux objets représentés, le désert, le ciel, une coupe géologique, un plancher, une seule ligne droite signifiant l’horizon, pour obtenir une image fidèle et fixe de notre hallucination et transformer en un drame révélant nos plus secrets désirs, ce qui auparavant n’était qu’une banale page de publicité. Autre exemple : un ornement « second empire » trouvé dans un livre pour l’enseignement du dessin montra, en se présentant à nous, une forte propension à se transformer en une chimère, tenant à la fois d’un oiseau, d’une pieuvre, d’un homme et d’une femme. Le dessin de moi reproduit dans ce numéro témoigne de cette obsession. Il semble que déjà nous touchions par là à ce que Dali appellera plus tard « l’image paranoïaque » ou « image multiple » :

« C’est par un processus nettement paranoïaque qu’il a été possible d’obtenir une image double, c’est-à-dire la représentation d’un objet qui, sans la moindre modification figurative ou anatomique, soit en même temps la représentation d’un autre objet absolument différent, dénuée elle aussi de tout genre de déformation ou anormalité qui pourrait déceler quelque arrangement.

« L’obtention d’une telle image double a été possible grâce à la violence de la pensée paranoïaque qui s’est servie, avec ruse et adresse, de la quantité nécessaire de prétextes, coïncidences, etc., en en profitant pour faire apparaître la deuxième image qui dans ce cas prend la place de l’idée obsédante.

L’image double (dont l’exemple peut être celui de l’image d’un cheval qui est en même temps l’image d’une femme) peut se prolonger, continuant le processus paranoïaque, l’existence d’une autre idée obsédante étant alors suffisante pour qu’une troisième image apparaisse (l’image d’un lion par exemple) et ainsi de suite jusqu’à concurrence d’un nombre d’images limité uniquement par le degré de capacité paranoïaque de la pensée. » (Le Surréalisme A.S.D.L.R., n° 1).

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Qui sait si, de la sorte nous n’avons pas déjà échappé au principe d’identité ?

*

Il me reste à parler d’un autre procédé à l’usage duquel j’ai été amené sous l’influence directe des précisions concernant le mécanisme de l’inspiration qui se trouvent dans le Manifeste du Surréalisme. Dans mon évolution personnelle ce procédé, qui ne repose sur autre chose que sur l’intensification de l’irritabilité des facultés de l’esprit et que, eu égard à son côté technique j’appellerais volontiers frottage, a joué peut-être un plus grand rôle que le collage, duquel, à vrai dire, je ne pense pas qu’il diffère foncièrement. (C’est par suite accorder une trop grande importance à la technique que de vouloir la lui opposer, comme l’a fait Aragon, à une époque où sa clairvoyance naturelle n’était pourtant pas encore troublée par ses ambitions politiques : « Max Ernst, pour avoir pris goût à ces jeux de matière qu’on obtient en frottant une feuille de papier au crayon après avoir glissé dessous une pièce de monnaie, est certainement au delà du signifiable hanté par un certain granité du fond. » (La peinture au défi).

*

Partant d’un souvenir d’enfance au cours duquel un panneau de faux acajou, situé en face de mon lit, avait joué le rôle de provocateur optique d’une vision de demi sommeil, et me trouvant par un temps de pluie, dans une auberge au bord de la mer, je fus frappé par l’obsession qu’exerçait sur mon regard irrité le plancher, dont mille lavages avaient accentué les rainures. Je me décidai alors à interroger le symbolisme de cette obsession et, pour venir en aide à mes facultés méditatives et hallucinatoires, je tirai des planches une série de dessins, en posant sur elles, au hasard, des feuilles de papier que j’entrepris de frotter à la mine de plomb. J’insiste sur le fait que les dessins ainsi obtenus perdent de plus en plus, à travers une série de suggestions et de transmutations qui s’offrent spontanément, – à la manière de ce qui se passe pour les visions hypnagogiques, – le caractère de la matière interrogée (le bois) pour prendre l’aspect d’images d’une précision inespérée, de nature probablement à déceler la cause première de l’obsession ou à produire un simulacre de cette cause. Ma curiosité éveillée et émerveillée, j’en vins à interroger indifféremment, en utilisant pour cela le même moyen, toutes sortes de matières pouvant se trouver dans mon champ visuel : des feuilles et leurs nervures, les bords effilochés d’une toile de sac, les coups de couteau d’une peinture « moderne », un fil déroulé de bobine, etc., etc. J’ai réuni sous le titre : Histoire naturelle les premiers résultats obtenus par le procédé de frottage, de la Mer et la Pluie jusqu’à Eve, la seule qui nous reste. Plus tard, c’est en restreignant toujours davantage ma propre participation active, afin d’élargir par là la part active des facultés de l’esprit, que je parvins à assister comme en spectateur à la naissance de tableau tel que : Femmes traversant une rivière en criant, Vision provoquée par les mots : le père immobile, Homme marchant sur l’eau, prenant par la main une jeune fille et en bousculant une autre, Vision provoquée par une ficelle que j’ai trouvée sur ma table, Vision provoquée par une feuille de buvard, etc. (Voir les reproductions de certaines œuvres de cette époque dans Le Surréalisme et la Peinture, d’André Breton).

Le procédé de frottage paraissait d’abord applicable seulement au dessin. Si l’on songe que, depuis lors, il a pu être adapté avec succès aux moyens techniques de la peinture (grattage de couleurs sur un fond préparé en couleurs et posé sur une surface inégale, etc.) sans que pour cela il eut été pris la moindre liberté avec le principe de l’intensification de l’irritabilité des facultés de l’esprit, je crois pouvoir affirmer sans exagération que le surréalisme a permis à la peinture de s’éloigner, à pas de bottes de sept lieues, des trois pommes de Renoir, des quatre asperges de Manet, des petites femmes au chocolat de Derain et du paquet de tabac des cubistes, pour voir s’ouvrir devant elle un champ de vision limité seulement par la capacité d’irritabilité des facultés de l’esprit. Cela, bien entendu, au plus grand désespoir des critiques d’art, qui s’effraient de voir rendu au minimum l’importance de « l’auteur » et anéantie la conception du « talent ». Contre eux nous maintenons que la peinture surréaliste est à la portée de tous ceux qui sont épris de révélations véritables et pour cela sont prêts à vouloir aider ou forcer l’inspiration.

En cédant tout naturellement à la vocation de reculer les apparences et de bouleverser les rapports des « réalités », elle a pu contribuer, le sourire aux lèvres, à précipiter la crise de conscience générale qui doit avoir lieu de nos jours.

Max ERNST.

 

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MOURIR POUR LA PATRIE

Passion de l’enfant pour la lecture ! Les « ouvrages pour la jeunesse » les plongent dans une stupeur absorbée qui paraît bien inexplicable à l’adulte lorsqu’il se trouve à relire ces anciens sortilèges. Alors dans sa mémoire, seules des bribes de souvenir conservent une partie de leur charme, souvent c’est une phrase, simplement la légende d’une image ; je me souviens encore des textes de certaines illustrations de l’édition Hetzel des « Voyages extraordinaires ». « La vapeur se contourne en spirales » (des tigres bondissaient devant un étang, à l’arrière plan défilait un petit « chemin de fer » panaché de fumée brillante). « Une jeune Tankadère ... »

Les livres d’images de Max Ernst amplifient et véritablement expliquent les gravures de nos livres d’enfance ; toute l’histoire de la Femme 100 têtes se découvre lorsque Max Ernst déplace les rideaux des fenêtres masquées, et maintenant battantes, d’où s’échappent avec des échos d’oubliettes, de nouvelles et merveilleuses légendes.

Notre album réunit des dessins exécutés après une suite de textes, véritables illustrations des échos que ces textes ont éveillé pour nous comme font les légendes anciennes dont le souvenir de l’image qui les illustrait s’est perdu. Ces légendes-ci ont été puisées aux sources les plus diverses, voire inventées, et nous avons cherché parfois à amplifier, d’une façon toute mécanique, leurs résonances, en introduisant des contre-sens, en remplaçant certains mots par leurs contraires, etc...

Les détours, les contradictions de la pensée en cours d’élaboration, ont été ici, – bien qu’il ne s’agisse pas d’automatisme, et en dépit par conséquent de l’intervention du choix, cette censure consciente employée à la mitigation du hasard, – le moins possible éludés, le moins possible utilisés dans un sens préconçu.

Et pourtant voici, dans ces images, divers sacrilèges envers Dieu, les gloires nationales ou la bonne et sainte morale bourgeoise. Que ces phrases, dont beaucoup n’étaient pour nous nullement situées, avant la traduction plastique que nous en avons donnée, se soient cependant vues expliquées à plusieurs reprises dans un sens de propagande révolutionnaire – ce fait qu’une expression de pensée qui se présente malgré tout, dans son élaboration, comme indépendante, dans une mesure certaine, de la volonté consciente, se révèle cependant à plusieurs reprises concrètement et directement révolutionnaire, ne nous semble nullement négligeable pour motiver la position militante prise par un de leurs auteurs à l’égard de la Révolution.

Il serait vain de nier que pas mal de circonstances banales ont amené et amènent tous les jours des individus à une position très nette en faveur de la Révolution. La crise permet à beaucoup de gens d’apprécier plus exactement, par une expérience personnelle, le fonctionnement du système capitaliste, le rôle qu’ils y jouent, les perspectives d’avenir de ce régime et les leurs propres.

Mais la limitation éventuelle du bouleversement révolutionnaire à la seule réorganisation de la production, sans prévoir dans ses plus larges conséquences la réorganisation, qui doit forcément en découler, du système actuel

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de pensée, non par la destruction ou l’abandon des méthodes de pensée venues au jour en période capitaliste, mais dans l’exploitation de ce que ces méthodes présentent de plus libérateur vis-à-vis des répressions bourgeoises, cette limitation réduit dans la même mesure les possibilités d’action révolutionnaire directe de ceux qui jugent intolérables non seulement les chaînes qui attachent le prolétariat au joug du capitalisme, mais également les entraves apportées à la libre expression de la pensée humaine par ce même capitalisme, dans un même dessein de domination, au moyen des philosophies, de la morale, de la religion, de l’art.

Cette patrie perdue de la liberté mentale où nous pouvions, enfant, errer, jouer dès que s’ouvraient les livres, cette patrie dont la belle éducation de notre « sainte famille » nous a fait perdre le chemin, dont seulement des échos, des reflets, si fugaces, si décevants, nous parviennent à présent, c’est ce que nous aurions voulu montrer dans ces images le mirage de la seule patrie pour laquelle nous voudrions mourir.

André et Marcel JEAN.

 

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CORRESPONDANCE

À Salvador Dali

Beograd, 31 décembre 1932.

Cher ami,

Il y a deux ans j’ai reçu d’Angleterre une magnifique collection de couleurs à l’huile en tubes de grande dimension. Je voulais peindre. Mes amis, et Marco Ristitch en particulier, ont remarqué que plutôt que de peindre je passais la plupart de mon temps à jouer avec les couleurs. En pressant légèrement les tubes, j’en faisais sortir de petites quantités de couleur, les étalais sur du papier propre afin d’en contempler l’état, la nuance et la texture. À la fin, ce jeu se transformait en véritable passion. Pendant le jour, j’interrompais souvent mon travail (sur un livre), pour dévisser un à un les capuchons des tubes et contempler les couleurs. Avant de me coucher, chaque nuit, je prenais mes couleurs et les sentais.

Bientôt, ayant installé mes couleurs tout près du lit, je continuais ce jeu jusque dans mon lit, et même après avoir éteint la lumière. Je suis arrivé à pouvoir reconnaître la couleur par son odeur. J’avouais à Marco Ristitch, qui me taquinait, que non seulement je ne pouvais plus me passer de sentir les couleurs, mais que j’éprouvais une forte envie d’en manger. Plus particulièrement m’excitaient le jaune de cadmium très pale, le bleu de cobalt, le cinabre rouge, le bitume, le blanc d’argent, le Caput-mortuum et le jaune de Naples. Mais il n’y en avait pas qui ne m’excitasse.

Pendant ces deux dernières années, j’ai voyagé plusieurs fois, mais chaque fois que je retournais chez moi et que je retrouvais mes couleurs, je recommençais le même jeu. Bien mieux, dès que je passais à côté d’un marchand de couleurs, j’étais pris d’envie d’y entrer, et je le faisais souvent. Je me laissais montrer alors une foule de couleurs et je profitais de l’occasion pour les presser,

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en faire sortir un peu de couleur, étaler cette couleur sur du papier, sentir la couleur dans le tube.

Voilà les faits principaux, et dont j’étais conscient avant la lecture de votre article sur l’objet surréaliste dans This Quarter. Aussitôt après la lecture de cet article, je me rendis compte de la signification des actes auxquels je me livrais sur les tubes. Je classai aussitôt le tube de couleur parmi les objets simples à fonctionnement symbolique. Puis un grand nombre de faits me vint à la conscience. Tout d’abord, je remarque que ma prédilection allait aux tubes envoyés de Londres, qui étaient beaucoup plus grands que ceux que j’avais eus jusque là, et dont les dimensions atteignaient presque celles d’un membre masculin en érection. Je remarque jusqu’à quel point je sentais « pauvres » les autres couleurs contenues dans les tubes plus petits. Je me rappelle combien j’ai été fier de deux énormes tubes que j’ai achetés postérieurement, deux tubes trois fois plus grand chacun que ceux de Londres. Je crois que le fait d’avoir montré fièrement ces deux tubes à toute personne et en toute occasion constitue un exhibitionnisme symbolique d’autant plus compréhensible et attribuable à moi, que je me suis livré plusieurs fois à cet acte même dans les rues de Paris.

Si on fait la part de l’attrait direct que peuvent avoir les couleurs d’une réelle beauté, dans le tube ou hors du tube, de l’attrait de certains noms de couleurs, par exemple des noms comme Caput Mortuum, Bitume, Ocre rouge, Terre d’ocre, Cinabre et autres, il n’en reste pas moins quelque chose dans cette obstination à répéter plusieurs fois par jour et pendant des mois, les mêmes gestes, quelque chose qui est de nature nettement symbolique et ne peut être compris que de la façon dont vous l’avez expliqué dans This Quarter.

Vane BOR.

Professeur à l’Université de Madrid, ex-ambassadeur à Berlin.

Je ne puis révéler ce nom.

André Breton : L’objet fantôme (Le Surréalisme A.S.D.L.R., N°3, p. 20).

Introduction à un album de 24 images (à paraître).

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A QUOI JE ME DESTINE

11 février 1932.

La propriété de ma famille à l’Isle-sur-Sorgue. À l’ouest, une vaste étendue de prairies. Le foin a été enlevé. Pour bien marquer les divisions, outre les rideaux d’arbres dépouillés de leurs feuilles, quelques sombres carrés de betteraves d’une espèce bâtarde, très basse. Tout cela rapidement aperçu. Je constate avec satisfaction que la vue est libre. À l’horizon et comme point final du panorama, une chaîne de montagnes me fait facilement songer à un renard bleu. Mon attention est attirée par un large fleuve, sans sinuosité, qui s’avance vers moi, creusant son lit sur son passage. Son allure très lente est celle d’un promeneur un peu las. Je n’éprouve pas d’inquiétude. Quelques centaines de mètres me séparent de lui. En son milieu, marchant dans le sens du courant, de l’eau à la ceinture, je distingue, côte-à-côte, ma mère et mon neveu âgé de sept ans. Je remarque que le niveau de l’eau est le même pour tous les deux, bien qu’ils soient l’un et l’autre de taille visiblement différente. Ils me racontent la promenade agréable qu’ils viennent de faire ; promenade complètement dénuée d’intérêt à mon avis. J’écoute très distraitement un récit où il est question d’un enfant que je ne connais pas, du nom de Louis Paul, disparu depuis peu de jours et dont on n’a pu réussir, malgré les efforts répétés et l’assurance qu’il s’est noyé dans le fleuve, à retrouver le corps. Ma mère se montre réservée dans le choix de ses termes. Systématiquement le mot « mort », n’est pas prononcé. Elle dit : « La perte du fils ». Ce qui me laisse rêveur.

Dans les sous-sols de la maison d’habitation. Je suis dans une pièce infiniment peu attirante, probablement une ancienne cuisine désaffectée. Un alambic est accroché à un clou de la plinthe. Une corde à linge fortement nouée à ses deux extrémités traverse la pièce dans le sens de la largeur. Un placard dont on a ôté les battants qui est aussi une forge et une mare laisse voir à peu de distance un foyer de coke de gaz allumé et une pancarte, de la destination de celle des hommes-sandwich sur laquelle est écrit en caractère braille « Électricien de Venus ». J’ai l’impression que, mettant à profit la confusion qui règne, les vers de farine ont dévoré le sel à l’Équateur. Entre ma mère. Elle porte sans effort un cercueil de taille ordinaire qu’elle dépose, sans un mot, à mes pieds. Sa force seule m’est un profond sujet d’étonnement. En vain je m’essaie à soulever le cercueil. Cet objet creux destiné à être longuement fécondé me surprend d’ailleurs par sa forme invariable et son aspect extérieur d’une grande propreté. On l’a passé à l’encaustique. Je suis flatté. Je questionne ma mère sur le ton de la conversation elle m’apprend la présence du cadavre de Louis Paul à l’intérieur. Mais aussitôt elle détourne les yeux, très gênée et murmure à court de souffle : « C’est la logique », phrase que j’interprète par « C’est la guerre », et qui provoque ma colère. Nous ne sommes donc pas sortis des frontières du Premier Empire. Je désire m’assurer du contenu exact du cercueil. Je dévisse les écrous. Le cercueil est rempli d’eau. L’eau est extrêmement claire et transparente. Contrairement à celle du fleuve c’est une eau potable, probablement filtrée. Je me penche assez intrigué : sous l’eau, à quelques centimètres, dans une attitude de souffrance indescriptible j’aperçois le corps d’un enfant d’une huitaine d’années. La position des membres, par ce qu’elle représente de désarticulation horrible, m’émeut vivement. Les chairs sont bleues et noires, déchirées, parce qu’il y a eu lutte, mais curieusement disposées en particulier sur le front où elles empruntent le dessin d’une dentelle vénitienne. L’un des bras passe derrière la tête. La main appliquée sur la bouche est retournée. La paume est un cul de singe. C’est le premier noyé qu’il m’est donné de voir. Un monstre. Un chapeau de paille du genre canotier de première communion me surprend par son parfait état de conservation. Sur le ruban de couleur blanche, un mince filet de sang flotte sans parvenir à se détacher ni à troubler l’eau. C’est la sangsue métisse. Ma mère me prie de sortir. Je refuse. Elle attire mon attention sur ce qu’elle appelle tristement « Le retour des Boers fratricides ». A l’aide d’un gant de boxe elle tranche la corde qui s’effondre avec un grand cri. C’est un attentat. Quel poids. J’ai très peur. Je tire hâtivement le corps hors du cercueil. Durant cette opération je pense, non sans mélancolie, à certaine mort vraiment trop inhumaine. L’essentiel est de ne pas échouer. Je comprends mal. Maintenant je frictionne rudement le corps de l’enfant. J’exécute à plusieurs reprises les tractions de langue prévues. Mais je suis manifestement gêné, dominé par un sentiment de pudeur indicible. Ma mère se plaint de coliques. La raideur du corps de l’enfant s’est accrue. J’ai brusquement la conviction que cet enfant vit. C’est l’évidence. Tout à l’heure au fond de l’eau il louchait. C’était l’octroi. Je multiplie de plus en plus énergiquement mes frictions. Mais il faudrait qu’il rendît au moins une partie de l’eau absorbée. Sans cela il va couler de nouveau

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à pic. Sa bouche apparaît légèrement entr’ouverte. Où ai-je déjà vu ces lèvres ? Au parc des Buttes-Chaumont : c’était l’arc du tunnel. Je guettais à l’entrée, la sourde et la muette. Je me rappelle avoir rêvé d’une exquise petite fille, grande comme une bille se baignant dans la conque d’une source, toute nue. Malgré des séjours prolongés dans l’eau, coupés de fréquents plongeons, elle n’était jamais parvenue qu’à mouiller les lèvres extérieures de son sexe et cela à son grand désespoir. C’était Sangüe. Quelle aventure. Autour de moi il pleut de la suie et du talc. Signes d’une conjonction d’astres dans le ciel favorable et défavorable à moins que le jour et la nuit écœurés du conformisme de l’actuelle création n’aient enfin conclu le grand pacte d’abondance. Il n’y a rien de miraculeux dans le retour à la vie de cet enfant. Je méprise les esprits religieux et leurs interprétations mystiques. Je prends l’enfant entre mes bras et un immense amour m’envahit. J’aime cet enfant d’un amour maternel, d’une grandeur impossible à concevoir. Il va falloir changer ma règle d’existence. Ma tâche est désormais de le protéger. Il est menacé. On verra. Il est petit et je suis gran d. Assis sur une chaise et le serrant contre moi, je le berce doucement, tendrement. Ma sœur, mère de mon neveu, se trouve là. Je la prie de m’apporter des vêtements secs. Il me tarde qu’elle me donne satisfaction pour la mettre dehors ensuite. Elle ne se montre pas très empressée. À cette minute je mesure toute l’étendue de son avarice. Je la menace de la tuer. Elle s’en va et revient bientôt avec un gracieux vêtement taillé dans un fibrôme d’été. Elle fait preuve dans ses explications d’une platitude et d’une bassesse dégoûtantes. Il me semble que l’enfant sur mes genoux s’est transformé. Son visage vivant, expressif, ses cheveux châtains, en particulier, m’enchantent. Ils sont partagés par une raie impeccable. L’enfant m’aime profondément. Il me dit sa confiance et se blottit contre moi. Je suis ému aux larmes. Nous ne nous embrassons pas. Ma mère et ma sœur ont disparu. À la place qu’elles occupaient il y a une loupe noire oubliée par le libérateur repoussant.

René CHAR.

 

GRAINS ET ISSUES

Rêve expérimental

A partir de ce jour, le contenu des jours sera versé dans la dame-jeanne de la nuit. Le désespoir prendra les formes gaies de la fin du tems des pommes et roulera comme une grêle de tambours fraîchement déchargés sur l’ombre humide qui nous sert de manteau. Les nuits seront agrandies au détriment des jours, en plein jour, selon les règles des mauvaises humeurs les plus indéracinables et sordides. Des œufs de lumière seront amassés sur la poitrine des édifices. Il sera interdit au rêve d’accoster les femmes dans la rue. Aux heures d’affluence on lâchera des meutes de chiens invisibles à travers la ville, ils se faufileront entre les pieds et les véhicules, tous enduits d’une substance phosphorescente, légèrement musicale comme le satin. Hommes, femmes et enfants se toucheront les mains avec une évidente satisfaction qui tiendra lieu de politesse. Personne ne sera tenu de rendre compte du prolongement de ces attouchements. De cette formule, en apparence démunie d’intérêt, naîtront des connaissances invraisemblables et des enchevêtrements capitaux. Bientôt les cheveux seront mis à la disposition de tous. Une volupté nouvelle éclora en remplacement de l’amour. Ses chaînes disparaîtront et à leur endroit il y aura des fils de soie aussi invisibles que certains regards qui expriment le monde dans sa complication actuelle, sentimentale, atroce.

Voilà, à ce moment, la pluie fine d’une obscurité de fourmis, qui tombera heureusement sur la ville.

je dis heureusement je ne dis pas autre chose

car comment pourrait-on, sans bruit, écraser les agents et briser les vasistas

si la douceur de l’atmosphère, entre autre, n’encourageait par de subtils signes de rires chuchotés en cachette

les faiseurs de scènes sans fin qui viendront poindre dans la paume de la ville.

Des monceaux de fruits seront placés aux carrefours, certains d’entre eux atteindront les hauteurs d’une maison de trois étages. Les nouvelles seront soigneusement affichées au moyen de signaux de bateaux enfilés sur des cordages et ceux-ci à leur tour suspendus aux réverbères. On remettra les chevaux à l’honneur qui est dû à leur beauté plastique et à la noblesse de leur caractère. Rien ne sera négligé, ni l’embellissement des animaux domestiques, ni l’institution des parlements d’oiseaux. Les hommes ne parleront plus, tandis que les femmes chanteront certaines phrases, dont l’usage sera déterminé et le nombre délimité, mais le sens exprimé par les paroles ne concordera ni avec l’étymologie ni avec les sentiments habituels. Tous les vendredis il y aura changement d’expressions, quelques suppressions seront ordonnées

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et dans les limites du répertoire qu’on établira pour la semaine en cours, les adjonctions aux sens toujours renouvelés combleront les mélodies connues. Tout ce qui est susceptible de faire un bruit aigu on l’enduira d’une mince couche de caoutchouc. Les bruits seront matés et assourdies leurs résonances.

Dans la ville immensément fluorescente où la sagesse des foules sera agglutinée à la folie éparse de quelques êtres délicieux, sera instituée, en prévision de la transformation imminente de la matière, et claironnée du haut de tous les greniers, à l’usage de ceux qui ont des oreilles pour entendre et non pas pour casser les vitres des gifles malheureusement bien entendues, sera claironnée, dans la clarté du temps bienvenu, seul tintamarre largement admis, l’heure des pâtres. Et le chanteur des rues mettra l’ombre à la rude épreuve du silence répandu comme une tache de vin rouge qui saura engloutir la ville entière dans le délice et la volupté sans bornes vers quoi tendent véritablement les significations de l’homme, cet imperturbable solitaire qui sort chaque jour d’une prison.

*

un pas en avant

les lèvres de pluie

un pas en avant ceci est une berceuse pour les enfants de cuir hermétiquement bouchés

une rue de moins

 

un pas en arrière

la douleur du prochain

un pas- en arrière

dire ce qui se passe par la tête pourvu que ce ne soit en vain

 

dire n’importe quoi

sans desserrer les lèvres

il y a déjà eu les lèvres de pluie

et nous en sommes restés là

ce ne sera pas pour toujours le verra bien qui verra la fin

pourvu que personne n’entende

 

le vent les essuie

avant après

n’importe comment

tous les détails, dont nous saurons un jour le nombre exact et la nature, grâce à l’enregistrement mécanique des feuilles tombées par terre que l’automne amasse à la poitrine chaude de la terre, celles qui sont dépareillées devant tomber dans le fossé, tandis que les femmes éparpillées dans le parc se déshabilleront, jetteront leurs robes dans un puits profond et chercheront asile dans les arbres qu’elles transformeront par des moyens de fortune en domicile jusqu’au moment où les nouvelles feuilles viendront prendre possession des branches adroitement trompées par ces provisoires et insolites présences.

Le printemps se verra annoncé par des feux, des jeux et des bois. Les femmes descendront des arbres et se grouperont aux entrées des parcs. Sous la conduite de boulangers habillés en pâtissiers, elles traverseront les rues, se mêlant de plus en plus à la population ébahie et accueillante et s’y perdant entièrement, tant en signe de joie que de reconnaissance. Ainsi, au fur et à mesure qu’elles disparaîtront totalement de la circulation, happées littéralement par une jeunesse avide de sensations curieuses, le printemps apportera bien d’autres réjouissances.

À chacun il sera donné le pouvoir de réaliser sur une vie monocorde les absurdes possibilités que nous fait pressentir l’envie de rire en sécurité.

L’absence de paroles saura par elle-même déjà, amener de curieuses transformations à la nature des sens, les rapports entre l’exprimé et l’exprimable engendreront, à la place des désirs nettement poursuivis selon une ligne plus ou moins droite issue de nos connaissances actuelles, une manie de l’action, surprenante en partie et en partie rappelant un utilitarisme manquant singulièrement de conviction et de but, une action qui, à cause de la faculté de soumission ou plutôt de la facilité de subir qui se sera développée dans la masse de la population, n’aura plus le caractère agressif d’une réussite envisagée ni la passivité d’un devoir accompli ou d’une énergie à dépenser, – elle sera donc nettement égocentrique quoique incorporée à la vie sociale par la suppression des barrières aussi bien à la réception qu’à l’énoncé d’une quelconque proposition. C’est pour exercer un constant rapprochement, établir un point de

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repère constatant les distances parcourues, une échelle de proportions ferme et rigoureuse et aussi pour tenir la vie à un niveau qui ne menace plus de se stabiliser définitivement ni d’éterniser de stériles considérations dans un récipient aux sourires trop faciles, certifiables, que les femmes chanteront, selon les conditions déjà décrites, quelques phrases aux sens dépourvus de l’apparat de la raison.

Disparaîtront peu à peu : le doute de ce qu’un individu pense, ne pouvant ne sachant ou ne voulant, pour de diverses raisons, le dire, la possibilité du « dire » n’existant plus, l’habitude de penser en mots, pour la plupart des cas le parler sonore ou étouffé dans la bouche étant celui qui engendre le penser, le pouvoir moteur de la pensée qui, par son avancement et la preuve de ce qui reste en arrière, fait son compte sous la rubrique du temps, le but à atteindre qui, par la contagion de celui proposé à la pensée se répand selon la démarche d’une activité ou la notion moisie de la vie en général, la notion de temps car la nature statique de la pensée imagée saura retenir l’individu dans la mare croupissante d’ou seront absents le bien et le mal, le beau et le laid, la vie et la mort. L’enchaînement des faits n’aura plus la crétinisante allure que donne à l’imagination les testicules paternels, mais la tendresse imprègnera les événements collectifs par lesquels s’extérioriseront les phénomènes spatiaux. On peut aisément se figurer la nouvelle nature de ce temps si l’on admet qu’à tous les cadrans des montres que l’on continuera à remonter on arrachera les aiguilles à même leurs racines.

En attendant les débordements d’une tendance sur l’autre, on mangera dans de vastes établissements soit des plats que les dispositifs olfactifs et visuels auront énoncé à la mesure des sens mis en éveil, soit ce que le gré ou la fantaisie des serveurs acrobates, vivantes pendules, laissera tomber pendant les sauts périlleux ; chaque barre fixe étant le dépôt d’une des spécialités dont le hasard aura pourvu, ce jour-là, la population prête à accueillir les plus extravagantes innovations.

Manger, dormir, faire l’amour, etc., tendront à se confondre ; on ne saurait tenir encerclées pendant longtemps des manifestations vitales dans des enclos rigoureux aux destinations nettement spécialisées. Des mannequins témoins d’une parfaite exécution et ressemblant profondément aux piétons seront postés dans des poses banales aux arrêts des autobus. Ils seront fabriqués en matières comestibles et incrustés de perles. De mauvais plaisants ne manqueront pas de leur faire une cour assidue, mais les rites se transformeront en nécessités avec le droit de rire sans desserrer les lèvres jusqu’au moment où de nouveaux postulats en feront des vestiges pris en flagrant délit de bêtise manifeste, ce qui créera une nouvelle raison de continuer à y croire et à s’y adonner de bon cœur. On remplacera les feux d’artifice par des lâchages, dans une totale obscurité, d’oiseaux munis de minuscules réflecteurs et attachés par de longs fils à de hauts pylônes appelés communément tours des philosophes. Les plus mauvais tours seront joués aux personnes dont l’allure pensive prendra l’apparence du bitume. Ils pourront être obligés à marcher à quatre pattes, trempés dans les bassins et abandonnés à la terreur et à la cruauté délirante de la populace, ce qui leur servira de leçon bien méritée. La quantité de tristesse diminuera ainsi progressivement et lorsqu’elle aura toute disparue de la ville, on lancera les nouvelles formes de la joie, où l’étude de la terreur, de la peur et de la cruauté jouera un rôle de premier plan et amènera un certain changement dans les habitudes désormais uniformes. Des chiens gorgés d’essence, auxquels ont aura mis le feu, seront ameutés contre les femmes nues, les plus belles bien entendu. Des vieillards seront pressés et séchés entre les feuilles d’immenses livres de bois et étendus en guise de tapis dans les salons bourgeois. Des bocaux contenant des langues d’aristocrates seront exposés parmi les pots de confiture et de moutarde aux devantures. Des autos rapides munies à l’avant d’aiguillons en acier pourront empaler de longues files de gens faisant la queue devant un cinéma par exemple. Ce sera très excitant, n’est ce pas, tout le monde sera de cet avis. Une maison de huit étages ayant servi pendant plus de dix ans au service de la chanson, sans susciter la moindre inquiétude, se renversera sur son flanc, un fonctionnaire ayant coupé la ficelle qui seule l’attachait aux fondations. Une montagne pourrait aussi, aménagée sur des rails, venir se renverser sur la ville, puisque nous y sommes, mais on évitera le plus longtemps possible d’employer ce moyen un peu brutal de mettre fin à l’exquise et excellente organisation de la joie générale. On se contentera d’arroser les jardins publics avec de l’encre et de construire sur la place de la Concorde un immense bateau dont les moteurs tourneront à sec. Des bandits enlèveront au lasso les banquiers qui se seront trop rapprochés et, à l’aide de béliers moyenâgeux, on détruira petit à petit cette merveille de la mécanique moderne. Pourtant, tous les jours, au moment ou personne n’y pensera, car l’oubli servira de base à la culture nouvelle de la joie sous ses manifestations les plus âprement discutées, non pas du point de vue de leur efficacité, mais de celui de la destruction qui constituera toute l’humaine fierté de l’oubli au jour le jour et d’heure en heure, au moment où la vie de la ville brûlera d’envie de surmonter la joie, quand elle n’aura pas encore fini de moudre la fatigue des petits suiveurs, des grands amasseurs de cruauté populaire, les vrais inventeurs de temps inespérés dans un

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minimum d’espace, je parle de ceux, peu nombreux, qui vivent de la vie de tous et qui, morts, servent encore de tartines au beurre sur la table des profiteurs, tant il s’exhale d’allégresse de leurs bras tendus et raides, à l’heure où l’oubli aura circonscrit la vie en dehors de tout passé et avenir, dans un présent toujours plus réduit à sa plus courte expression d’existence, de silence, du haut des tours immensément fluorescentes, invraisemblablement perdues à la recherche des nuages, sera claironnée, à travers les masses glaciales, pour que la ville trépidante de bruits secs et feutrés se transforme en vie d’aquarium, comme un seul et immanent rappel à l’existence, l’heure des pâtres. Et le chanteur des rues se couvrira lui aussi du manteau de cet asservissement, lui qui répandit des flots de silence comme des ondes infiniment gracieuses sur la ville incommensurablement cruelle et contente.

*

Le sommeil tournera vide et sec, car les rêves ne viendront plus concasser les pierres de l’existence avec leur vis d’Archimède, leurs désirs étant comblés pendant le temps de veille. On dormira à tour de rôle dans des bahuts rangés le long des trottoirs et la ville ne désemplira pas des vivantes fornications des ombres, de l’esprit inventif de ses habitants. Les souffrances physiques seront un plaisir recherché, des institutions luxueusement aménagées répondront aux besoins de la foule. Nombreux s’y presseront les adeptes de la douleur corporelle, la morale ayant depuis longtemps disparu sans laisser d’autres traces que les dérisoires accessoires sentimentaux passés actuellement dans le domaine des mythes. Les métros seront désaffectés, personne n’étant pressé et le temps ayant recouvré, à de grands intervalles, une fluidité aérienne de passage à niveau de pensées mates et statiques, ponctuée par les besoins organiques. Le temps n’étant plus emprisonné dans le système de marteaux trop bien connu, hélas ! dans notre époque où il s’allie à l’excrémentielle odeur de l’idée de mort et de regret, le temps libéré de l’étreinte osseuse de la religion, étant effacé du cercle des représentations humaines, les métros seront mis à la disposition du laboratoire de souffrance et de cruauté. L’honneur se gravera sous les formes inverses, de toute façon négatives, de l’héroïsme, celles de la destruction. Les soupapes dérivatives que ces nouvelles pratiques créeront de toutes pièces ne manqueront pas de faire apprécier aux foules les effets bienfaisants du nouveau système. La beauté des corps sera façonnée dans ces instituts par les déformations et les suppressions et ainsi de nouveaux critères prendront les places en vue dans le domaine d’une morale aux moyens coercitifs et aux signes indiscutablement visibles de tout le monde. Les costumes des hommes et des femmes ne seront pas sensiblement différents de ceux portés aujourd’hui, leurs transformations auront lieu dans la mesure où la coquetterie des habitants exigera qu’on découpe certaines parties pour que les marques des corps puissent être rendues à évidence et ainsi se formera une nouvelle hiérarchie des élégances où les plaies iront de pair avec les découpures correspondantes, celles-ci commandant les autres et inversement.

Des sérieux correctifs à la nature ambiante, des accaparements des règles physiques par les rayons ordonnés et complexes des miroirs, face à face, dans l’esprit évolué de chaque individu, des expropriations de chair et des douleurs contenues jusqu’à leur inhibition si parallèle au plaisir qu’elles arriveront à s’y identifier entièrement, naîtra la forme supérieure de l’amour, épluchée de la zone érotogène, et, sous un certain aspect, épurée des controverses et attendus moraux, car elle n’évoluera que dans la sphère morale des absences de soutiens et de principes solides. Les attirances seront marquées du sceau de la réciprocité animale et directe, hors de l’idéal support de la conscience, elles atteindront à l’état de nudité parfaite qu’exigeront la théorie de la connaissance et, pour ainsi dire, l’impossibilité de tirer des conséquences de quelque nature que ce soit, avec ce que comporte de reposante intensité, l’abolition des lois de la causalité et le manque de toute idée de danger et de responsabilité.

La vie s’écoulera d’une façon systématique et agréable. Pour mieux faire saisir au lecteur la manière dont l’érotisme pourra se vider de ses perspectives spécifiquement immédiates, je décrirai une scène entre mille prise au hasard d’une promenade dans la lumière blafarde des lampes de mercure.

Dans une rue en pente, des gens qui ne sont pas ivres, vont les uns vers les autres, traversant souvent la rue, se touchant les mains, hâtivement, presque en secret, courant à d’autres, d’un pas hagard, absent, d’un corps absent et pourtant maître de ses mouvements. Dans le silence, une voix belle comme ne peut être que la voix d’une femme très belle, élancée dans la solitude qui ne connaîtrait ni l’idée tragique de la mort ni la tristesse des regards remués par ce qu’ils cachent de misère installée à domicile, une voix s’élève résistante et chante sur le ton velouté d’un cireur de rues (car les rues seront cirées et les portes remplacées par des corsets, couleur de rose rose, dont les vantaux seront fermés par des lacets), s’élève, dis-je, une voix qui chante :

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pain de minuit aux lèvres de soufre

chante en marchant et se tait, selon le mode ordinaire des invocations subitement retirées de l’eau quand sous la pression de la main on sent que le poisson s’est pris au hameçon et se débat dans sa merveilleuse et soudaine lucidité, sur une mélodie qu’à défaut de notation exacte j’essayerai de décrire, en m’excusant de l’imprécision des termes que ce genre bâtard de transcription ne saurait éviter.

Pain, chanté dans toute sa longueur de pain, soutenu par un souffle aux prises avec les défaillances éventuelles et l’inflexion à la fin pouvant faire croire au contentement d’avoir abouti à placer la modulation en sécurité dans les notes suivantes, leur servant aussi de socle ; de mi... doit précipitamment tomber comme un renversement de boîte à deux couvercles, plus grave et descendante, l’attrapant dans sa chute avant qu’elle ne tombe par terre, sur mi, tandis que …nuit sera, à l’opposé de pain, l’exacte contre-partie du jaune par rapport au rouge ou du canari à un tuyau en fonte, de la longueur d’un fil à coudre un bouton de gilet, au moment où l’aiguille s’arrête par un léger soubresaut annonçant la limite de sa longueur maximum, limite où s’amorce aux lèv..., qui sera légèrement triomphal, mais pas plus que la décision de se lever d’une chaise, la satisfaction que vous donne une résolution de peu d’importance, un acte réflexe ou mécanique par exemple, ayant un minimum de sous-entendus de confort comme mobile, mais qui par la suite de la modulation pourrait faire penser à un souffle emporté proposant la prise d’une barricade, par le mouvement musical qui la précéderait bien entendu et non pas par énergie musculaire et bondissante qui se développerait en cette circonstance ; …res de sou... rappellera une certaine tournure mélodique employée avec insistance par le réparateur de porcelaine qui sous le nom de M. Joliboit se fit entendre au cours d’une audition dans la soirée du 10 juin 1921, au Studio des Champs-Élysées, à Paris et aura aussi la régularité de trois petits coups successivement donnés avec une fourchette sur une soupière, une assiette et un verre empli de citronnade ; …fre sera le point d’arrêt terminal d’un ascenseur, amorti par des tampons de ouate dans des sacs de laine qui imiteraient les pattes d’éléphants des jouets d’enfants blonds de préférence, – ni trop long ni trop court, ce sera un livre qu’on ferme, mais un livre de velours où la justification des pages fera croire que des poèmes réguliers y sont imprimés, mais inutile de dire que rien ne sera lisible dans ce pseudo-livre de poèmes de velours et que le lecteur patient n’y verrait que des soupçons de beauté dont il sera seul l’auteur momentané, l’éditeur et le lecteur et qui par la subite fermeture décèlera le sourire de l’homme content d’une œuvre accomplie en d’heureuses conditions, – cette note sera close par un geste d’hésitation sur de possibles échos à réveiller dans l’âme des auditeurs, par ailleurs absents, – comme un léger haussement d’épaules, qui pourtant n’aura pas lieu, de renoncement et de soumission aux décisions à prendre et à venir, – quelque chose d’aigu et de résigné dans le sens de la fatalité et aussi de timide offrande quand on n’a rien de mieux à offrir ou l’acte d’engloutissement d’une dernière bouchée d’une substance aimée après la mastication et la succion machinale quasiment désespérée et délicieuse par elle-même en dehors du goût qui la caractérise.

Voici comment chante, avec un arrière-goût de nature interrogative, la femme belle et consciente de l’importance de son acte :

pain de minuit aux lèvres de soufre

tandis que d’autres femmes chantent, indifférentes ou insouciantes, passionnées ou dramatiques, dans un ordre où le hasard seul est le régulateur d’intervalles et de puissance de débit, sur le mode bien défini du répertoire hebdomadaire :

la force réside dans le lobe d’oreille

roue des plaisirs plaisir de souffrir

la fureur la fureur du furet des bois fictifs

ravir aux fruits les ancêtres de paroles dures

les objets à mûrir

couver les parfums par de longs tremolos dans la voix

tout ce qu’il faut ce qu’on veut ce qu’on peut

ce qu’on a n’a pas ce que

chat de pomme

théorie des sentiments par la concordance de leurs rapports de réalité souriante

la réalité non euclidienne aux prises avec l’autorité

et ce qu’on peut nécessairement lier dans un système dont les prémisses de départ sont superficiellement mises à l’épreuve d’une fantaisie de fer passée au rouge par la flamme et le sabre et dont les conséquences s’étagent régulièrement comme une humanité nouvellement organisée

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en vue de la volupté sans armes et de considérations oiseuses accompagnant le langage en fuite, les paroles faisant office de servants uniquement décoratifs : de maîtres d’hôtel pendant une famine au milieu d’un désert, – de desserts copieux dans le même désert, – de restes de repas sur un rocher solitaire perché sur un glacier où l’on vient de l’amener à grands frais d’une mer lointaine située aux antipodes de la civilisation et de feu à se brûler les doigts, spécialement vendu (je dis vendu pour donné, mais je sais ce que je dis), à grands renforts de publicité.

Voici pourtant une très belle jeune fille à la description de laquelle je ne m’attarderai pas, le vocabulaire descriptif ayant totalement changé d’aspect selon les notions nouvellement pensées mais inexprimées et encore moins dites.

Ne serait-ce pas la chanteuse de tout à l’heure, car elle était belle et une belle vaut une autre, c’est fort possible et c’est même souhaitable ?

Un jeune homme horriblement déformé sur tout le long de la partie gauche de son corps, des cheveux à la plante des pieds, selon une ligne de démarcation nettement dessinée, tient longuement dans ses mains celles de la jeune fille. Le sens évident de la politesse s’est transformé en joie d’autant plus délirante que rien ne fera voir aux gens qui les entourent, le plaisir qu’ils y prendront. Maintenant dos à dos, debout, les jambes légèrement avancées, ils se soutiennent réciproquement. Ceci durera au moins pendant une heure, des badauds feront cercle, passeront et se disperseront, mais personne ne soupçonnera à quelle communion de sentiments expérimentaux les deux amoureux se seront ainsi consacrés, d’autant plus qu’ils se sépareront, sans que, à tout jamais peut-être, ils aient la chance de se retrouver. (Scène 114.097 C. rue Tholozé 2.2.4.). Il faut ajouter que toute scène d’ordre spectaculaire sera inscrite sur un registre par la seule demi-douzaine de Rescapés de l’Alphabet qui auront le droit de savoir lire et écrire. Combien de milliers de scènes différentes se seront produites à la même minute sur les mille points de la ville, en toute indifférence et dans la sobriété des gestes distingués, dans la réjouissante sécurité d’une foule aux lèvres cousues, sans compter les quelques ennuyeux et rebondissants chants saccadés, dûs au reboisement des rêves, à une âme populaire à l’invention toujours en éveil, au goût exquis et délicat, jamais en faute à cause de l’organisation même de l’esprit qui ne peut plus céder aux vagissantes fluctuations des œufs en mal d’orgueil et des visites en plein champs d’avoine, personne ne saurait le dire.

*

C’est à dessein que je laisse le lecteur avec l’impression du goût d’avoine sur sa langue, car le moment est venu où par mille sirènes, toutes décorées de sirènes et les sirènes elles-mêmes décorées de vraies écailles de poisson, par mille sirènes on annonce à la ville, je dis que le moment est venu non seulement de clamer au ciel moribond, pour déchirer la trame d’une existence monotone et rébarbative, l’heureuse nouvelle, mais aussi de fournir un exemple de ce que pourrait être une surprenante démonstration, on annonce dis-je à la ville, qu’un fait – pourquoi l’un et pas l’autre, personne ne saurait le dire – un fait d’une importance immémoriale, quoique se produisant quotidiennement selon nos montres actuelles, déclenchera à l’instant même une activité que seuls les poètes de nos jours apprécieront à leur juste valeur.

Les hommes et les femmes sont tenus de charrier dans les rues des tonnes de foin, des sycomores à roulettes sont portés par des bœufs peints en blanc, les charrues sont hissées sur le toit, d’où on les jettera dans le foin. D’innombrables quantités de melons glacés sont écrasés sur les trottoirs. Des batteuses happent des passants innocents et les broient en même temps que les machines à écrire. Une grande campagne de semailles sera abordée en toute simplicité, l’on ne négligera pas la complicité, avouée par ailleurs, des tribunaux et des théâtres, qu’on aura auparavant retournés comme des gants, les décors, les loges, etc., étant à l’extérieur dans la rue, tandis qu’à intérieur on établira une petite place, un kiosque de journaux, un vendeur de colibris pour cacahuètes (je dis vendeur pour donneur, mais je sais ce que je dis, on ne donne qu’à ceux qui ont de l’intérêt à prendre), des trottoirs parsemés de chapeaux qu’on appelle pleureuses comme les filles malheureuses dégoulinent le long des boulevards, –voir « Fille malheureuse qu’on appelle pleureuse » – une campagne de moissons se dessine, car dans chaque cœur de citadin bat un cœur de drôle de drille et dégouline le long des boulevards, plantant des pommiers et des poivriers, tous à roulettes, quelques-uns à la vapeur, les légumes, des montagnes de moutons qui n’arrivent pas à se dépêtrer des tonnes de miel qui coulent par les bouches en fonte militaire, munies de puissantes pompes à miel, des têtes de veau à tous les arbres, des sardines huilées pour que l’on glisse mieux sous les lampes à arc, des jambons sculptés en forme de femmes nues, grandeur naturelle et qu’on s’arrache à pleines dents avec le mouvement précipité de la gueule de gauche à droite comme les chiens qui savent bien copier les gestes des hommes, des candélabres et des pustules parmi les détritus d’avions

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construits en carottes et palétuviers, des pluies de noisettes, des barbes de rhubarbes dans des cages minuscules, sur l’air des lampions, mouvements divers sur les bancs de l’opposition, des miroirs à catins, des sacs de sel, des tonnes de clés mises au rancart, – tout cela et le reste – et aussi la simplicité du verger jeune et les feux d’automne et les vents et les hurlements de chiens prolongés au delà des lignes de démarcation de l’obscurité, les silences lourds d’angoisse et le vent, où l’animal sauvage surgissant parmi les chercheurs d’or et le vent encore et le vent, le vent, tout cela et bien d’autres phénomènes aériens, la foudre et la solitude, mais tout à coup tout cela cesse et les gens s’empressent de nettoyer les rues, on fait rentrer les animaux domestiques et les étendards, on trait le ciel de sa noire mélancolie, on lui retire l’électricité comme une lente agonie, on range les flûtes dans les boites à musique, on lave les rues et on les cire de nouveau, la vie recommence, selon des règles définies, à marcher sur les roulettes de ses lents développements, dont nous ne saisissons que quelques courts principes, en coups de vent, le vent aussi s’est tu, l’heure inattendue, dont la longueur et la profondeur nous sont toujours inconnues, a pris fin. Et le chanteur des rues saura dorénavant par le geste et la mimique alerter toutes les attentions du monde et assembler sur la place publique ceux qui, comme lui, auront incorporé la nécessité jusqu’aux ultimes clignements de probabilités logiques et dans la saturation des raisons majeures, impérissables, impersonnelles, préférant servir aux survivants de cuir à ressemeler les bottes plutôt que de survivre à l’expérience, enlèveront leur vie comme une couche d’écume

avec la même gaieté muette

au fil de l’eau

de frôlement de papillons

les mouvements ondoyants des éléphants

blancs bois de rênes chargés de neige

de cahotants et monstrueux rasoirs gilette à moteurs

destinés à raser la vie la campagne les villes

l’indéniable tranquillité de conscience

forte comme l’alcool que donne l’absence d’amour filial local

maternel paternel tout cela étant intégré dans la méthode

de la violence et de l’objectivation d’une nature brute

sans plus de front qu’il ne faut aux arbres pour pousser

et à la toundra de se laisser parcourir

par les nostalgies douteuses

sans plus de crainte que ne fait présager l’existence

sans plus de discernement qu’il ne faut au cirque pour s’élever du centre de la terre

jusqu’à nos doigts toujours en quête de tendresse

sans plus de certitude sans plus d’yeux fameux

sans plus de rigueur ni de cœur assourdissant

qu’il ne faut aux étoiles en chômage pour trouver la peine à suivre

en claquant des dents

sans bruit sans lampes

sans chaînes à tendre à rompre à vouloir rompre

à tendre des lampes tendres jusqu’aux confins des lumières caresses

à vouloir tomber dans les bruits sombres et tendres et fumeux

comme un éclair éparpillement de fleurs à fumer

de duvets de légers serrements à la poitrine sans limites

de sentiments de duvets qui imprègnent la maladie de l’homme

l’homme latent

l’homme aux univers de printemps éclatants

l’homme latent cerné par l’audace

incarné à son devenir

et la certitude

qui participe aussi bien de sa vie que de sa mort

avec un tapis persan comme fond de déception

et ce n’est pas plus compliqué que cela

d’avoir plusieurs cordes à son rire

cela fait même une heureuse diversion

et procure quelques joyeux murmures quoique muets teintés d’ironie dans l’assistance

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Des manœuvres intrinsèques et du vin sec

grisonnant aux tempes aquatiques de la foudre

que les poils numérotés des nuages sont capables de laisser errer parmi les autres

égarements

car la vie humaine n’aura plus de valeur, – la peur de la mort ayant disparu avec ses dérivés de regrets à laisser parmi les restants ainsi que la conformité de ceux-ci à l’hommage des morts, – telle sera, dans un monde où l’oubli absolu s’instaurera comme première règle de vie, quand l’inspiration et l’enchantement deviendront les objectifs en vue d’une innocence totale, la force émouvante de l’esprit en mouvement, comme la géométrie euclidienne, restreinte à l’explication de quelques sens de misère n’est plus opérante dès qu’on y introduit un système à plusieurs dimensions, démontrant par là la vanité de notre délire de fixation et les innombrables possibilités de changements, non pas du décor de la vie, mais du contenu spécifique des notions et des sentiments et les multiples glissements dont l’homme, ce désir en marche, sera l’objet assoiffé et infiniment transformable.

Tristan TZARA.

 

NOTE ANALYTIQUE

L’expression « rêve expérimental » pouvant susciter quelque équivoque quant à la signification que j’aimerais lui prêter, je me dois, quoique cela puisse paraître présomptueux, de publier les observations qui suivent, sans toutefois entrer dans le détail même de la création artistique, l’analyse des manières dont j’ai pratiquement procédé en écrivant Grains et Issues étant une tâche qui dépasserait ici mes possibilités.

C’est la première phrase : « À partir de ce jour... » qui m’a fourni l’idée de rapporter à la réalité sensible les faits matériels que j’inventais au fur et à mesure du cours de mon travail. Mais c’est dans cette invention même qu’apparut le piège de l’élément lyrique, non conforme à la réalité environnante ou supposée possible, qui devait jouer un rôle décisif dans l’élaboration de ce conte. À partir de là, l’enchevêtrement s’est poursuivi avec le maximum d’inattention, mon principal souci étant de conformer naturellement les faits aux déductions morales et critiques qu’ils suscitaient, tandis que celles-ci donnaient à leur tour naissance à de nouveaux événements non prévus par le plan initial. Le récit suit ainsi et s’échelonne sur une trame à développement logique qui, réduite à l’expression d’un compte-rendu des faits successifs, laisserait à découvert un résidu irrationnel de contenu lyrique. Celui-ci à son tour, déborde du récipient qui lui est assigné, submerge et inonde à certains moments la base, le fondement, la charpente rationnelle du récit. C’est une superstructure lyrique, dont les éléments dérivent de la structure même et qui, aussitôt réalisés, agit sur elle du haut de sa nouvelle puissance. Elle sait à l’occasion développer sa virulence, au point de miner la signification de cette structure, la corrompre, la soulever et l’anéantir dans son essence.

La somme des qualités de cette activité lyrique, je l’appelle rêve, car ici je n’envisage celui-ci que dans le sens généralisé de zone d’influence, d’attitude, de sphère d’activités et non pas de fait. Le rêve est qualité d’un mouvement psychique donné, d’un dégagement de forces, qui sous l’action d’un levier pour l’instant inconnu, est susceptible de faire passer d’un état à l’autre certains phénomènes en vue d’une synthèse qui est un acte de connaissance, qui est quantité et que nous désignons sous le nom de poésie. Il tire sa nourriture de la structure logique du récit (qui représenterait l’état de veille) sur laquelle il exerce son influence jusqu’à en provoquer la décomposition, comme le rêve-sommeil se comporte envers les manifestations du monde extérieur, dont il extrait ses données et que, par répercussion, il trouble réellement. Les symboles poétiques sont interprétables par rapport au récit rationnel, dans le même esprit d’insolite interdépendance que les symboles oniriques par rapport à la vie diurne.

J’appelle donc rêve, la force qui comprend le débordement lyrique provoqué par un mouvement logique, d’une part et d’autre part, leurs facultés réciproques d’inhibition, les valeurs des matières interchangeables, qui se manifestent à la fois sur les plans du penser dirigé et du penser non dirigé.

La nature éveillée de ce rêve ne m’importe pas autant que sa relation avec la qualité expérimentale, car l’opposition et la réunion de ces termes dont les aboutissants sont apparemment contraires, exige impérieusement la création d’une nouvelle notion, celle de la poésie.

J’ai appelé ce rêve « expérimental » parce que les interventions de l’activité lyrique dans le domaine rationnel se produisent en vue d’éclaircir le problème de l’interpénétration des mondes rationnel et irrationnel et parce que les mobiles, les provocations, les moments de déclenchement, ne se trouvent plus uniquement soumis à la volonté du poètes, mais tiennent en grande partie à l’automatisme des nécessités et des réactions créé, pour la cause, par le récit logique lui-même. Ainsi tout ce qui est superposé à la trame logique, le poètes l’enregistre aussi docilement que peuvent le lui permettre ses habitudes, ses tics sensoriels et littéraires. Il connaît l’arbre qu’il a planté, qui est sa création, mais il n’est pas responsable des fruits qui sont les créations spécifiques de l’arbre et pourtant sa connaissance englobe et les fruits et l’arbre familièrement, car ces fruits sont, sur un plan différent, à un degré supérieur à leur propre nature initiale, la reproduction du fruit même qui, à l’origine, est condition de l’existence de l’arbre.

L’activité délirante se substitue consciemment à l’inspiration poétique. Le fait qu’elle n’est pas systématisée, assume au rêve la valeur d’une expérience qui consiste en la tentative de le libérer de tout automatisme inhérent au subconscient du poètes et comme telle, il lui est loisible de se transformer en processus de connaissance, la contrainte étant son correspondant morbide dont il n’emprunte qu’un certain fonctionnement et quelques formes symptomatiques. La poésie est la leçon humaine la plus efficace pour déterminer la méthode de la connaissance. Bientôt elle deviendra acte unanimement employé et exercé, principal moyen de connaissance, car elle dépassera le stade de champ d’observation et de déviation spécialisée, voisine du délire, qu’elle occupe actuellement, pour suivre son destin révolutionnaire qui se confondra avec celui de l’amour. Mais ceci est une tout autre question.

T. T.

Ce texte dans son ensemble, est un récit de rêve. Seules les parties en italiques, sont des impressions de réveil qui se sont imposées à mon esprit au fur et à mesure de la transcription du rêve. Je n’ai pas cru devoir les écarter tant elles mettaient d’insistance à être consignées. On les trouvera scrupuleusement dans l’ordre.

 

©2010 Mélusine
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