Erik Satie

Écrits publiés entre 1895 et 1924

Svprématiales

Confrériales

Svprématiales

LES MUSICIENS de MONTMARTRE

Notes sur la Musique moderne

[Note sans titre pour Le Coq]

[Note sans titre pour Le Coq]

PAS DE CASERNES

NE CONFONDONS PAS

[Notes sans titre pour Le Coq]

[Notes sans titre pour Le Pilhaou-Thibaou]

Éloge des critiques

[Pensée pour Fanfare]

A TABLE

Office de la domesticité

Bouquinerie

De la Lecture

Éditions

Un très vieil Homme de Lettres

Pénibles exemples

Changement de saison

Les Ballets Russes à Monte-Carlo

[La musique de Relâche]  

L'Esprit musical

 

Svprématiales [1]

Église Métropolitaine d’Art de Jésus Conducteur.

 

Abbatiale, le 2 du mois de Mai de 1895. Erik Satie, Parcier et Maître de Chapelle, à M. Gauthier-Villars.

Contre l’enflure de son Esprit et en protection des Choses Magnifiques.

 

Monsieur ; Le caractère sacré de l’Art rend plus délicate la fonction de critique ; vous avilissez cette fonction par l’inexcusable irrespect et l'incompétence que vous apportez dans son exercice. Sachez, par Dieu, que toutes les consciences vous réprouvent de vouloir atteindre, pour le ternir, ce qui est au-dessus de vous.

Le démoniaque dragon de la présomption vous aveugle. Vous avez fait un blasphème de votre jugement sur Wagner, qui est pour vous l'Inconnu et l'Infini ; pour Moi, Je puis le maudire tranquillement, Mes mélodies dynastiques, Mon expression athlétique et l'ascétisme de Ma vie M'en donnent le pouvoir. Après ces paroles, Je vous ordonne l'éloignement de Ma personne, la tristesse, le silence et une douloureuse méditation.

Erik Satie.

 

Abbatiale, le 14 du mois de Mai de 1895. Erik Satie, Parcier et Maître de Chapelle, à M. Gauthier-Villars.

En expression du mépris attaché à sa personne.

Jaloux des réputations trop hautes pour votre bassesse, les grandes carrières et les triomphes prolongés remuent le fiel dont vous essayez de salir tout ce que vous approchez. J'ai parlé de Wagner et de votre ignorance obscure ; vous répondez par d'extravagants accouplements de mots, par ce qu'un écrivain moins louable que loué, Victor Hugo, appelait les excréments de l'esprit. Votre haleine exhale le mensonge, votre bouche répand l'audace et l'impudeur. Votre turpitude s'est retournée contre vous ; elle a étalé aux yeux des plus frustes natures votre incomparable grossièreté. Que peuvent dire les esprits sains devant tant d'orgueil mis au service de tant de petitesse ? Je ne puis qu'ignorer les infamies d'un bouffon ; mais Je dois lever la main pour renverser les oppresseurs de l'Eglise et de l'Art, ceux qui, comme vous, n'ont point connu le respect d'eux-mêmes. Pour ceux-là qui espèrent triompher de Moi par l'injure et la terreur, qu'ils sachent que Je suis résolu et que Je ne redoute rien. Est-ce donc parce que Gauthier-Villars, répugnante « ouvreuse du cirque d'été », faux histrion sous le nom de Willy, seule abjection en trois ignominies, est un sordide mercenaire de la plume, un constant déshonneur parmi les plus vils, que Je n'oserais pas contre lui ce que J'oserais contre le pire malfaiteur ? Qu'il se détrompe.

Erik Satie.

 

 

Confrériales [2]

Les Chrétiens qui ont à énoncer des revendications d'ordre esthétique touchant M. Lugné-Poë, le théâtre de « l'Œuvre » qu'il dirige, et la presse détestable qui l'inspire et le glorifie, doivent les faire connaître au siège de Notre Abbatiale, 6, rue Cortot. Nos Frères trouveront en Nous un rempart contre les œuvres sataniques, manifestées dans le Mercure de France, la Revue Blanche et la Plume, en même temps que la force nécessaire pour assurer le respect dû à Dieu, à l'Eglise et à l'Art.

Erik Satie.

 

Svprématiales [3]

Église Métropolitaine d’Art de Jésus Conducteur.

 

Abbatiale, le 18 du mois de Juin de 1895. Erik Salie, Parcier et Maître de Chapelle, à son Eminence Monseigneur Ferrata, Archevêque de Thessalonique, Nonce Apostolique.

Monseigneur. Les dangers redoutables qui menacent la Sainte Eglise Catholique Apostolique et Romaine, portent en eux l'indication des devoirs présents et des obligations futures. Nous ne saurions les écarter sans faillir à Dieu.

Le passé de Nos Pères est renié, l’art de la réflexion est perdu. Les jeunes gens ne savent point se rendre vénérables ; ils sont incapables d'éblouir les sages et les bons ; ils se font instruire par les ignorants et les fous.

Les livres de Salomon sont journellement outragés, et de même les Psaumes de David ; on oublie que l'Eglise, dans des siècles de piété et d'admirables terreurs, fut le guide des esthètes splendides auxquels l'humanité est redevable de Nos antiques Abbayes et de Nos riches basiliques. A la vue des iniquités de ces temps les Yeux du Seigneur se sont enflammés.

Votre Eminence connaît, Monseigneur, la source de tant d'opprobre : elle réside dans le sein des Maçons (qu'ils soient réprouvés) qui ont répandu sur le genre humain le venin mortel, reste de la morsure du serpent biblique. Elle provient aussi de ce méprisable gouvernement de la République, contre lequel Votre Eminence a donné la preuve indiscutable d'une sainte haine.

J'ignore les détours, Monseigneur, et l’éloquence factice des écrivains renommés ; mais pour de tels maux le remède n'est pas autre part que dans le renversement de la République impie, et dans le démembrement de l'Italie renégate, pour le rétablissement du Royaume Pontifical. La Sainte Inquisition Nous a légué superbes moyens d'anéantir les blasphémateurs, et de gagner leurs âmes au divin Paradis, par la fructueuse opération d'une souffrance corporelle.

Votre Eminence doit obtenir du Saint Père la faveur de son appui ; autrement Elle manquerait à Dieu, à l'Eglise et aux Chrétiens. Dans cette œuvre de purification Votre Eminence tiendra pour son devoir de combattre avec Nous. Pour s'y préparer qu'Elle se livre aux pratiques d'un ascétisme rigoureux, apportant du détachement dans les mets de sa table et de la modestie dans son breuvage : quelques herbes cuites dans l'eau seront son repas. Elle atteindra ainsi la robustesse des Apôtres et fera que Dieu épargne son Eglise ; et que les beaux Temples, ornements du monde, qui doivent être éternels, si les enfants de Rome persévèrent dans la piété, ne soient pas consumés par le feu des impurs.

Prosterné devant le Sauveur, les reins ceints du cilice et la tête découverte, Je vous donne le baiser d'Alliance.

Erik Satie.

 

LES MUSICIENS de MONTMARTRE [4]

On me reprochera d'être bref, cela m'est égal.

Il y a deux ou trois cents ans, bien peu des musiciens actuels de la Butte existaient, leur nom était ignoré du gros public, et même du mince. Tout cela a bien changé, surtout — semble-t-il — depuis ces dix dernières années.

J'aurais voulu, au moyen d'usages talismaniques, hors de la portée des brucolaques, accomplir, au moins une fois, ce qui fut toujours mon plus grand désir : l'exécution d'un passage commémoratif pavoisant les musiciens les plus respectés de Montmartre.

Mais alors, saisi d'un trouble que j'attribue froidement à une exquise timidité obtenue par un recueillement salutaire, je vis qu'il fallait que je me démisse — à regret, cela va de soi, — d'une tâche que je considère comme succulente, car, malgré mon intelligence, il m'est impossible d'exprimer, en le si étroit espace dont je dispose ici, l'entière majesté de ma pensée et de mon sujet ; et résolus-je d'aviser le passant à Montmartre, qu'il lui sera facile d'assister — en payant, bien entendu — à quelques soirées dans plusieurs des splendides cabarets réunis sur cette sorte de promontoire merveilleux, pour avoir une idée presque photographique de ce que je devrais écrire présentement.

Là, il entendra de ses propres oreilles, ou de celles des autres, des vibrations d'une telle saveur, qu'il s'exclamera lui-même : Si la musique ne plaît pas aux sourds, même s'ils sont muets, ce n'est pas une raison pour la méconnaître.

Je me retire avec simplicité.

ERIK SATIE

 

Notes sur la Musique moderne [5]

Pour combattre une idée « avancée » en Politique ou en Art, tous les moyens sont bons — surtout les moyens bas. Les artistes « neufs » — qui «  changent quelque chose » — connaissent les attaques que de tous temps leurs ennemis dirigèrent et dirigent contre la nouveauté des tendances — des visions — qu'ils ne comprennent pas.

Il en est en Art comme en Politique : Jaurès a été attaqué comme l'ont été Manet, Berlioz, Wagner, Picasso, Verlaine et tant d’autres. Cela « recommence » toujours et ce sont toujours les mêmes qui combattent le Progrès sous toutes ses formes, dans toutes ses manifestations : les soutiens des «  habitudes prises », les «  je-reste-sur-place » de bonnes gens.

J’ai le désir de défendre dans ce journal ceux de mes camarades musiciens appartenant aux groupements musicaux « avancés ». Il m’a semblé bon et utile de le faire ici, dans un milieu qui a mon affection et dont je fais naturellement partie. N'est-il pas naturel qu'un artiste « avancé » soit « avancé » en Politique ? Oui, n'est-ce pas ?

Eh bien ! mes amis, cela est très rare — rarissime, dirais-je, si j'osais — et plus rare que vous ne pouvez le supposer. Ainsi, Monsieur Saint-Saëns — ce grand patriote — a eu son heure « avancée ». Il est vrai que cette heure « avancée » ne date pas d'hier ni même d'avant-hier. Nous savons ce qu'a fait M. Saint-Saëns pour les musiciens de toutes catégories. Ah ! ce n'est pas un « bon type » ce brave M. Saint-Saëns. Combien il sait pratiquer la gentille maxime : « Tout pour moi, rien pour les autres ». Quel charmant homme ! En voilà un qui n'aime pas les socialistes. Du reste, cela vaut mieux. Ne trouvez-vous pas ?

Debussy était loin d'avoir politiquement, socialement, les mêmes aspérités de goûts que musicalement. Ce révolutionnaire en Art était très bourgeois dans l'usage de la vie. Il n'aimait pas les « journées de huit heures » ni autres modifications sociales. Je puis vous l'affirmer. L'augmentation des salaires — sauf pour lui, bien entendu — ne lui était pas très agréable. Il avait son « point de vue ». Étrange anomalie.

Je dois vous dire — et c'est une joie pour moi de le faire — que les « jeunes » musiciens partagent mieux nos opinions. Ils « y viennent ». Ce que nous voulons ne les effraye pas. Ça, c'est un progrès — ne vous semble-t-il pas ? Ils aperçoivent qu'il doit y avoir concordance entre leurs aspirations artistiques et leurs vues sociales.

Mais quels sont les musiciens « jeunes » dignes d'attirer votre attention ?

Dans de prochaines «  notes », je vous parlerai de ces « jeunes » ; je vous signalerai leurs travaux ; je vous dirai où vous pouvez entendre leurs ouvrages ; et je serai heureux si mes efforts peuvent aider au développement de la culture musicale dans notre grande famille socialiste, famille exquise que j'aime de tout cœur.

Erik SATIE

 

[Note sans titre pour Le Coq] [6]

Toute ma jeunesse on me disait : Vous verrez quand vous aurez 50 ans. J'ai 50 ans. Je n'ai rien vu.

ERIK SATIE

 

[Note sans titre pour Le Coq] [7]

Ravel refuse la Légion d’Honneur mais toute sa musique l’accepte.

ERIK SATIE

 

PAS DE CASERNES [8]

Je n'attaque jamais Debussy. Les debussystes seuls m'incommodent. IL N'Y A PAS D'ÉCOLE SATIE. Le satisme ne saurait exister. On m'y trouverait hostile.

En art, il ne faut pas d'esclavage. Je me suis toujours efforcé de dérouter les suiveurs, par la forme et par le fond, à chaque nouvelle œuvre. C'est le seul moyen, pour un artiste, d'éviter de devenir chef d'école ‑ c'est-à-dire pion.

Remercions Cocteau de nous aider à sortir des habitudes d'ennui provincial et professoral des dernières musiques impressionnistes.

ERIK SATIE

 

NE CONFONDONS PAS [9]

Parmi les musiciens, il y a les pions et les poètes. Les premiers en imposent au public et à la critique. Je citerai comme exemples de poètes : Liszt, Chopin, Schubert, Moussorgsky ; de pion : Rimsky-Korsakow. Debussy était le type du musicien poète. On trouve dans sa suite plusieurs types de musiciens pions. (D'Indy, qui pourtant professe, n'en est pas un).

Le métier de Mozart est léger, celui de Beethoven lourd, ce que peu de gens peuvent comprendre ; mais ils sont deux poètes. Tout est là.

ERIK SATIE

P.-S. — Wagner est un poète dramatique.

 

 

[Notes sans titre pour Le Coq] [10]

Ne jetez plus vos vieux bijoux.

ERIK SATIE

 

 

Exception faite pour Claude Debussy, l'orchestre poussiéreux des impressionnistes n'est pas de l'orchestre. C'est du piano orchestré.

ERIK SATIE

 

[Notes sans titre pour Le Pilhaou-Thibaou] [11]

J'aimerais jouer avec un piano qui aurait une grosse queue.

ERIK SATIE

 

Ce n'est pas beau de parler du nœud de la question...

ERIK SATIE

 

Éloge des critiques [12]

Ce n'est pas le hasard qui m'a fait choisir ce sujet. C'est la reconnaissance, car je suis aussi reconnaissant que reconnaissable.

J'ai fait l'an dernier, plusieurs conférences sur « l'Intelligence et la Musicalité chez les Animaux ».

Aujourd'hui je vous parlerai de 1'« Intelligence et la musicalité chez les Critique ». C'est à peu près le même thème, avec modifications, bien entendu.

Des amis m'ont dit que ce sujet était ingrat. Pourquoi ingrat ? Il n'y a là aucune ingratitude ; du moins, je ne vois pas où elle se tient : Je ferai donc froidement l'éloge des critiques.

On ne connaît pas assez les critiques ; on ignore ce qu'ils ont fait, ce qu'ils sont capables de faire. En un mot, ils sont aussi méconnus que les animaux ; bien que, comme ceux-ci, ils aient leur utilité.

Oui, ils ne sont pas seulement les créateurs de l'Art critique, ce Maître de tous les Arts, ils sont les premiers penseurs du monde, les libres-penseurs mondains, si l'on peut dire.

Du reste, c'est un critique qui posa pour le «  penseur » de Rodin. J'ai appris ce fait par un critique, il y a quinze jours, trois semaines au plus. Cela m'a fait plaisir, beaucoup de plaisir. Rodin avait un faible pour les critiques, un grand faible…

Leurs conseils lui étaient chers, très chers, trop chers, hors de prix.

Il y a trois sortes de critiques : ceux qui ont de l’importance ; ceux qui en ont moins ; ceux qui n'en ont pas du tout. Les deux dernières sortes n'existent pas : tous les critiques ont de l'importance…

*

*            *

Physiquement le critique est d'aspect grave, c'est un type dans le genre du contrebasson. Il est lui-même un centre, un centre de gravité. S'il rit, il ne rit que d'un œil, soit du bon, soit du mauvais. Toujours très aimable avec les Dames, il tient les Messieurs à distance, tranquillement. En un mot, il est assez intimidant, bien que très agréable, à voir. C'est un homme sérieux, sérieux comme un Bouddha, un boudin noir, évidemment. La médiocrité, l'incapacité, ne se rencontrent pas chez les critiques. Un critique médiocre, ou incapable serait la risée de ses confrères ; il lui serait impossible d'exercer sa profession, son sacerdoce, veux-je dire, car il lui faudrait quitter son pays même natal ; et toutes les portes lui seraient fermées ; sa vie ne serait plus qu'un long supplice, terrible de monotonie.

L'Artiste n'est qu'un rêveur, en somme ; le critique, lui, a la conscience du réel, et la sienne, en plus. Un artiste peut être imité ; le critique est inimitable, et impayable. Comment pourrait-on imiter un critique ? Je me le demande. Du reste, l'intérêt serait mince, très mince. Nous avons l'original, il nous suffit. Celui qui dit que la critique était aisée n'a pas dit quelque de bien remarquable. C'est même honteux d'avoir dit cela : on devrait le poursuivre, pendant au moins un kilomètre ou deux.

L'homme qui écrivit une telle chose. Peut-être le regretta-t-il, ce propos ? C'est possible, c'est à souhaiter, c'est certain.

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*            *

Le cerveau du critique est un magasin, un grand magasin.

On y trouve de tout : Orthopédie, sciences, literie, arts, couvertures de voyage, grand choix de mobiliers, papiers à lettres français et étrangers, articles pour fumeurs, ganterie, parapluies, lainages, chapeaux, sports, cannes, optique, parfumerie, etc… Le critique sait tout, voit tout, dit tout, entend tout, touche à tout, remue tout, mange de tout, confond tout, et n'en pense pas moins. Quel homme !! Qu'on se le dise !!! Tous nos articles sont garantis !!! Pendant les chaleurs, la marchandise est dans l'intérieur !!! Dans l'intérieur du critique !! Voyez !! Rendez-vous compte, mais ne touchez pas !!! C'est unique. Incroyable.

Le critique est aussi une vigie, une bouée, peut-on ajouter. Il signale les récifs qui bordent les côtes de l'Esprit Humain. Près de ces côtes, de ces fausses côtes, le critique veille, superbe de clairvoyance de loin, il a un peu l'air d'une borne, mais d'une borne sympathique, intelligente.

Comment parvient-il à cette haute situation, à cette situation de bouée, de borne ?

Par son mérite, son mérite agricole et personnel. Je dis « Agricole », parce qu'il cultive l'amour du Juste et du Beau. Nous arrivons à un point délicat. Les critiques sont recrutés au choix, comme les produits dits de choix, extra-supérieurs, de première qualité.

C'est le Directeur d'un journal, d'une revue ou de tout autre périodique, qui découvre le critique nécessaire à la bonne composition de sa rédaction. Aucune recommandation ne peut agir. Il le découvre à la suite d'un sévère examen, d'un examen de conscience. Cet examen est très long et très pénible, aussi bien pour le critique que pour le Directeur. L'un interroge ; l'autre se méfie. C'est une lutte angoissante, pleine d'inattendu. Toutes les ruses sont employées de part et d'autre. Enfin, le Directeur est vaincu. C'est ce qui arrive ordinairement si le critique est de bonne race, et si son entraînement a été soigneusement conçu. Le Directeur est absorbé, résorbé par le critique.

Il est rare que le Directeur en réchappe.

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*            *

Le vrai sens critique ne consiste pas à se critiquer soi-même, mais à critiquer les autres ; et la poutre que l'on a dans l'œil, n'empêche nullement de voir la paille qui est dans celui de son voisin : dans ce cas, la poutre devient une longue-vue, très longue, qui grossit la paille d'une façon démesurée.

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On ne saurait trop admirer le courage du premier critique qui se présenta dans le monde. Les gens grossiers de la Vieille Nuit des Temps durent le recevoir à grands coups de soulier dans le ventre, ne se rendant point compte qu'il était un précurseur digne de vénération. A sa manière, ce fut un héros.

Les deuxième, troisième, quatrième, et cinquième critiques ne furent certainement pas mieux reçus,… mais aidèrent à créer un précédent : l'Art critique se donnait le jour à lui-même. Ce fut son premier jour de l'an. Longtemps après, ces Bienfaiteurs de l'Humanité surent mieux s'organiser ; ils fondèrent des Syndicats de la critique dans toutes les grandes capitales. Les critiques devinrent ainsi des personnages considérables, ce qui prouve que la vertu est toujours récompensée. Du coup, les artistes étaient bridés, soumis comme des chats-tigres. Il est juste que les Artistes soient guidés par les critiques. Je n'ai jamais compris la susceptibilité des Artistes devant les avertissements des critiques. Je crois qu'il y a là de l'orgueil, un orgueil mal placé, qui déplaît. Les artistes gagneraient à mieux vénérer les critiques ; à les écouter respectueusement ; à les aimer, même ; à les inviter souvent à la table de famille, entre l'oncle et le grand-père. Qu'ils suivent mon exemple, mon bon exemple, je suis ébloui par la présence d'un critique, son éclat est tel, que je cligne des yeux pendant plus d'une heure ; je baise la trace de ses pantoufles ; je bois ses paroles dans un grand verre à pied, par politesse. J'ai beaucoup étudié les mœurs des animaux. Hélas, ils n'ont pas de critique. Cet Art leur est étranger ; du moins, je ne connais aucun ouvrage de ce genre dans les archives de mes animaux. Peut-être, mes amis critiques en connaissent-ils un, ou plusieurs. Qu'ils soient assez gentils pour le dire, le plus tôt possible serait le mieux. Oui, les animaux n'ont pas de critiques. Le loup ne critique pas le mouton : il le mange ; non pas qu'il méprise l'art du mouton, mais parce qu'il admire la chair, et même les os du laineux animal, si bon, si bon en ragoût.

Il nous faut une discipline de fer, ou de tout autre métal. Seuls, les critiques peuvent l'imposer, la faire observer, de loin. Ils ne demandent qu'à nous inculquer les excellents principes de l'obéissance. Celui qui désobéit est bien à plaindre, ne pas obéir est bien triste. Mais il ne faut pas obéir à ses mauvaises passions, même si elles nous en donnent l'ordre elles-mêmes. A quoi reconnaît-on que des passions sont mauvaises, mauvaises comme la gale ? Oui, à quoi ?

Au plaisir que l'on prend à s'y abandonner, à s'y livrer, et qu'elles déplaisent aux critiques.

Eux n'ont pas de mauvaises passions. Comment en auraient-ils, les braves gens ? Ils n'ont pas de passions du tout, aucune. Toujours calmes, ils ne songent qu'à leur devoir, corriger les défauts du pauvre monde, et s'en faire un revenu convenable, pour s'acheter du tabac, tout simplement.

C'est là leur tâche. Cette tâche incombe à ces hommes de bons conseils ; parce qu'ils en ont mille pour un, des conseils, des conseils régionaux.

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Remercions-les de tous les sacrifices qu'ils font journellement pour notre bien, pour notre seul bien ; demandons à la Providence de les protéger contre les maladies de toutes sortes ; de les éloigner des ennuis de tous genres ; de leur accorder un grand nombre d'enfants de toute espèce, qui continuent la leur. Ces souhaits ne peuvent leur faire ni bien ni mal. En tous cas, cela leur fera une belle jambe…….… pour écrire.

ERIK SATIE

 

[Pensée pour Fanfare] [13]

Il est d'usage de croire qu'il y a VÉRITÉ en Art. Je ne cesserai de le répéter — même à haute voix : « Il n'y a pas de Vérité en Art. » Soutenir le contraire n'est qu'un mensonge — et ce n'est pas beau de mentir……. C'est pour cela que je n'aime pas les Pontifs* : ils sont par trop menteurs — de plus, je les crois un peu bêtes (si j'ose dire).

Erik Satie (Pensée pour FANFARE).

* J'entends par Pontifs tous les beaux messieurs qui « pontifient. » On les reconnaît à leur air sérieux.

 

 

A TABLE [14]

Personnellement, j'ai toujours eu pour l'Art Culinaire une vive admiration, admiration nullement mitigée. Les « plaisirs de la table » sont loin de me déplaire — au contraire ; et j'ai pour la « table » une sorte de respect — plus, même.

Qu'elle soit ronde ou carrée, elle m'apparaît « cultuelle » et m'impressionne comme un grand autel (même « Terminus » ou « Continental », si j'ose dire). Oui.

Pour moi, manger est un devoir — un devoir agréable — de vacance, bien entendu ; et je tiens à accomplir ce devoir avec une exactitude et une attention soutenues.

Doué d'un bon appétit, je mange pour moi, mais sans égoïsme, sans bestialité. Autrement dit, je me « tiens mieux à table qu'à cheval » — bien que je sois assez bon cavalier.

Mais ceci est une autre histoire, comme le remarque si justement M. Kipling.

Dans les repas, mon rôle a son importance : je suis convive, comme, au théâtre, d'autres sont spectateurs. Oui... Le spectateur a un rôle défini : il écoute et voit ; le convive, lui, mange et boit. En somme c'est la même chose — malgré toute la dissemblance qui existe entre ces deux rôles. Oui.

Les plats où se dépensent une virtuosité calculée, une science avisée ne sont pas ceux qui retiennent le plus mon attention «  dégustatrice ». En Art, j'aime la simplicité ; de même, en cuisine. J'applaudis plus à un gigot bien à point qu'au subtil ouvrage d'une viande dissimulée sous les « fards savants d'un maître de la sauce » — si vous voulez bien me permettre cette image.

Mais ceci est une autre histoire.

Parmi mes souvenirs de convive, je ne puis oublier les gentils déjeuners que je fis, pendant plusieurs années, chez mon vieil ami Debussy, alors qu'il habitait rue Cardinet. J'ai toujours à l'esprit le souvenir de ces charmants repas.

Les œufs et la côtelette de mouton faisaient les frais de ces réunions amicales. Mais quels œufs et quelles côtelettes !... Je m'en lèche encore les joues — intérieurement, — vous le devinez. Debussy — qui les préparait, ces œufs, ces côtelettes — avait le secret (le secret le plus absolu) de ces préparations. Le tout s'arrosait gracieusement d'un délicieux bordeaux blanc dont les effets étaient touchants et disposaient convenablement aux joies de l'amitié et à celles de vivre loin des « Doubles Veaux », des « Momifiés » et autres « Vieilles Noix » — ces fléaux de l'Humanité et du « pauvre monde ».

Mais ceci est encore une autre histoire.

Erik Satie

 

Office de la domesticité [15]

Certificat :… Tous les animaux ne sont pas des domestiques du même nom. (Que dit le Lion.)

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Coup de tablier :… Le Congrès de Paris n'est pas une réunion de domestiques. (Que dit « ledit ».)

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Larbinerie :… M. Ozenfant n'est pas responsable des actes de ses domestiques. (Congrès de Paris.)

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Gilet rayé :… M. André Breton n'est pas le domestique de M. Ozenfant. (Qu'il dit.)

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Tel maître tel valet :… Un bon domestique doit être plat — tout au moins aplati. (Congrès de Paris.)

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Vieux serviteur :… M. Ozvieillard est un bon maître pour ses domestiques — ainsi que pour la Peinture. (Que dit M. Jeanneret.)

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On demande :… Jeune domestique pour Crever un autre Tableau du Même Peintre que la dernière fois. (L'Esprit Nouveau.)

Le Directeur de l'Office :

Erik SATIE

 

Bouquinerie [16]

Vendre, acheter des livres - quel régal ce doit être ! et combien j'ai de plaisir à visiter mes amies libraires Adrienne Monnier et Sylvia Beach !

La première de ces chères amies fonde sa maison en pleine guerre (Grande-Guerre) ; la seconde s'est installée, il y a deux ans - sous la protection du magnifique Shakespeare. Elles sont, à mes yeux, un exemple de courage.

Souvent, je viens leur dire — en passant (et j'y reste des heures !) — un « petit bonjour » de « cinq minutes ». Cela me rappelle la charmante librairie de mon bon ami Bailly, rue de la Chaussée-d'Antin (Librairie de l'Art Indépendant).

Lointain souvenir, mais combien doux à remémorer.

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*            *

Oui, charmante librairie que cette Librairie de l'Art Indépendant.

Fréquentée par la « jeune littérature » d'alors, quelques musiciens y venaient bavarder amicalement : Debussy, Chausson ‑ entre autres. Nous étions sûrs d'y trouver l'accueil le plus délicat qui soit ; et jamais je n'oublierai cette intime résidence du Livre, non plus que ne s'effacera chez moi l'image de ce brave homme qu'était ce « bon Bailly ».

Aussi, lorsque mon ami Pierre Trémois m'annonça qu'il créait une librairie, sautai-je de joie — trépignant presque. Pour moi, ce fut une bonne nouvelle — très bonne ; et j'y vis, d'avance, mille délices où la flânerie entrevue entrait assez fortement en jeu.

*

*            *

Une librairie n'est-elle pas, un peu, un Temple de la Flânerie ? et je crois qu'un « ensemble » de livres dispose à pratiquer cette « section » de l'Inconscience — facilite l'éclosion de celle-ci, tout au moins.

Etrange séduction ! Ne flâne-t-on pas devant les étalages des bouquinistes par les plus mauvais temps, debout, pieds dans l'eau, vent dans l'œil ?

Qu'importe ! des livres sont devant nous ; ils nous invitent à nous reposer en les caressant du doigt et du regard — à nous oublier en eux, béatement — à mépriser les bas liens qui nous retiennent à la si vieille Misère humaine.

*

*            *

Mon ami Pierre Trémois aime les livres ; il connaît leurs mérites et apprécie justement leurs qualités personnelles. Absolument impartial, son affection s'étend aussi bien aux vieux livres qu'aux tout jeunes derniers parus ; et il sera un guide précis pour l'amateur qui le voudra consulter.

Sa maison sera fraîche et ombragée, chaude et intime — suivant la saison ; elle évoquera le Passé et fera deviner l'Avenir.

— « Mon cher Trémois, je serai souvent chez vous » — dis-je.

Erik Satie.

 

De la Lecture [17]

Il y a plusieurs manières de lire : ... pour soi seul ; pour les autres — ou, au moins, pour un autre.

La lecture « pour soi seul » est intérieure — tout ce qu'il y a de plus intérieur ; alors que la lecture « pour les autres »

— ou pour un autre — se pratiquant à haute voix (généralement), est extérieure — tout ce qu'il y a de plus extérieure.

Lire pour soi seul est un jeu : aucun art ne s'y déploie. Par contre, combien difficile est la lecture à haute voix.

S'il vous plaît, étudions cette dernière et intéressante catégorie.

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*            *

Peu de personnes savent lire à haute voix : c'est un art, du reste. Entre parenthèses, je me suis toujours demandé comment lit le lecteur de la Comédie-Française. Ce qu'il doit bien lire, le cher homme ! Prestigieusement, bien entendu. Mais,... lit-il à haute voix ? Tout est là.

A ses débuts, le lecteur à haute voix fera bien de n'avoir qu'un seul auditeur — même un peu sourd — légèrement dur d'oreille, tout au moins. Il y gagnera de l'audace — un certain « culot » ; et son assurance s'agrandira auprès de cet auditeur « neutre » et inférieur.

Dans ce cas, le bon lecteur vise à n'intimider jamais son unique auditeur. Il l'encourage ; lui parle poliment, sans amertume — lui vantant l'ouvrage qu'il va lui lire. Froidement, il prépare son adversaire par une sorte de « coup du Père François » — un très bon Père.

*

*            *

Je conseillerai de ne pas lire à haute voix un texte écrit dans une langue qu'ignore l'auditeur. Ce n'est pas de bon goût, et l'effet est nul.

Après quelques exercices faits devant un seul auditeur, le lecteur à haute voix peut chercher un auditoire plus nombreux. Doué, il arrivera — rapidement — à se faire entendre devant plusieurs milliers d'auditeurs : ce n'est qu'une question de volume — de volume de voix, naturellement.

Erik Satie.

 

Éditions [18]

Les écrivains musiciens n'ont pas, ainsi que les écrivains lettrés, les mêmes avantages en ce qui concerne la publication de leurs œuvres.

L'édition littéraire apparaît plus brillante, plus logique, plus « vraie » que sa voisine l'édition musicale. Oui.

L'ouvrage de lettres se présente mieux ; il y a, de suite, une série d'attraits qui lui font une physionomie ; sa valeur, le plus souvent, a une tendance à se diriger vers l'augmentation, vers une plus-value, vers le « rare ».

En un mot, le livre est un objet « réel » — une sorte de bijou, une manière d'œuvre d'art. Il est complet.

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*            *

L'ouvrage musical, lui, n'a rien de ces précieux dehors : il s'apparente avec le livre scolaire dont il semble être une façon de frère — de frère de laid.

Je citerai Albéric Magnard qui publia un grand nombre d'ouvrages importants en les revêtissant d'un aspect « atlas ». Remarquez, je vous prie, que je ne l'en critique nullement. Son exemple — très « voulu » chez lui — prouve le peu de cas qu'il attachait à « l'extériorisation » notée de sa pensée, et souligne la différence qui existe entre une publication littéraire et une publication musicale.

*

*            *

Cette différence est aussi autre. Elle réside en quoi ? Surtout, à ce que ce ne sont pas les mêmes mains qui collaborent à la facture d'un livre et à celle d'un morceau de musique ; à ce que, imprimés tous deux, ils ne le sont pas par des gens du même métier : l'ouvrage littéraire est typographié ; celui musical est gravé ; et le livre a, de plus, un passé « historique » splendide que n'a pas l'ouvrage musical. Leur « patine » n'est pas la même ; car la variabilité de l'écriture musicale nuit à la « patine » des ouvrages de musique. Le temps en détruit la signification des « signes » : clefs, altérations, etc… ; et la plupart des partitions anciennes ne sont harmonisées que par une simple basse continue et chiffrée, naïf procédé qui laisse une trop grande part à la « fantaisie » de réalisation du lecteur ; les lire constitue une véritable traduction — laquelle peut, pour le moins, trahir la volonté créatrice du compositeur. Oui.

*

*            *

Par cela, les éditions originales des œuvres de tous les Maîtres musiciens classiques ont, pour ainsi dire, perdu de leur intérêt « pratique ». Elles ne sont pas recherchées.

En Musique, plus une édition est récente, plus elle a de chances d'être « au point ». Elle peut, seule, utilement servir à l'interprétation et la conseiller.

Je crains que la Musique ne puisse avoir jamais les mêmes qualités « d'édition » que la Littérature. Typographiée, elle aurait, peut-être, une tout autre représentation.

Il est certain que la « gravure » l'alourdit physiquement.

L'avenir en décidera. Oui.

Pauvres musiciens ! Tout n'est pas rose, pour eux, sur cette Terre — véritable vallée de larmes, malgré sa rotondité rotatoire.

Erik Satie.

 

 

Un très vieil Homme de Lettres [19]

Je ne puis passer auprès de l'exquise tour Saint-Jacques sans penser à un vieux lettré lequel exerçait, au XV e siècle, la profession d'écrivain-calligraphe — profession qui lui fut lucrative, semble-t-il. Je veux parler de Nicolas Flamel, notable de Paris, confrère et bienfaiteur de sa paroisse l'église Saint-Jacques-la-Boucherie ( démolie pendant la Révolution, cette église, située rue des Arcis, fut commencée au XII e siècle — d'après ce que j'ai pu observer, sans en avoir l'air). Oui.

*

*            *

De nos jours, dans le voisinage de ladite et ancienne demeure de Dieu ( demeure dont je viens de parler), deux rues évoquent les mémoires de Pernelle, sa femme et de la sienne propre à lui, Flamel : — rues créées sur l'emplacement des maisons de la rue des Cinq-Diamants et de celle de la vieille rue de Marivaux ( Mariveau, d'après le Plan Turgot).

*

*            *

Comme vous le supposez, je n'ai pas connu personnellement Nicolas Flamel — pour plusieurs raisons ; mais son souvenir m'est toujours resté sympathique. Sa réputation de sorcier ne me déplaît pour ainsi dire pas, car elle chatouille ma curiosité — et l'excite ( convenablement), bien entendu. Oui.

J'ignore quels sont les ouvrages copiés par lui. Je sais qu'il était vénérable, et que ses libéralités furent nombreuses, très importantes ; et ce sont ces libéralités qui laissent supposer qu'il possédait une grosse fortune, bien que la légende lui prête le pouvoir de faire de l'or — en barre ou autrement ( suivant son idée, à cet homme).

*

*            *

A ce que dit Dulaure, dans son Histoire de Paris, Nicolas Flamel aimait à composer des textes d'inscriptions qu'il éditait lui-même sur les murs. Il en plaçait de tous côtés ; et ce qui reste de sa maison ( année 1407) — rue de Montmorency, touchant la rue Saint-Martin — en est tout rempli. Oui.

Vous pouvez le constater par vous-même.

*

*            *

Comme poète, Flamel est peu célèbre. Toutefois le même Dulaure, dans son Histoire de Paris, cite les deux vers (? sic) suivants : —

De terre suis venu, et en terre retorne,

L'âme rends à toi J.H.S. qui les péchiés pardonne.

………………..

………………..

Ce dernier vers (?) est remarquable par son extrême longueur. En tout cas, c'est un des plus longs qui existent. Sans doute, un vers de sorcier ou de calligraphe. Je suis heureux de le connaître.

Dulaure ajoute qu'au-dessous était gravé un cadavre, ce qui n'est pas gai — n'est-ce pas ?

Erik Satie.

 

Pénibles exemples [20]

Le cabaret, dont la mauvaise réputation n'est plus à faire, a joué — et joue encore — un rôle assez important dans la vie Littéraire et Artistique. Hélas ! nous voyons, à l'heure actuelle, nombre d'intellectuels qui ne craignent pas de se montrer au café — tout au moins — et de s'y installer bien en vue (à la terrasse, même), oubliant ainsi toute la circonspection qu'un homme convenable se doit à lui-même — et qu'il doit un peu aux autres. N'est-ce pas une offense faite à la Morale que ces tristes exhibitions apéritives ? que ces bacchanales publiques ? que ces horreurs intempérantes ?

*

*            *

Evidemment, il m'arrive d'aller à la Brasserie ; toutefois, je me cache – non par une blâmable hypocrisie, mais conseillé par une prudente réserve — et, surtout, pour que l'on ne me voie pas. J'aurais honte d'être vu ! car, comme me le disait Alphonse Allais : — « cela peut vous faire rater un mariage ».

Dans le temps, j'ai été aussi un peu au « Chat Noir » — ainsi que Maurice Donnay, du reste ; et j'ai beaucoup fréquenté « l’Auberge du Clou » — mais en cachette, bien entendu, et je ne m'y rendais qu'entre mes repas — repas que je prenais dans une autre taverne, toute proche.

En somme, je ne suis pas un homme de Café : je préfère la Brasserie. Oui.

*

*            *

Autrefois, les Cafés étaient très différents des nôtres : c'étaient plutôt des cabarets ; et les consommations n'avaient aucun rapport avec celles qui nous sont offertes aujourd'hui dans les bars, les estaminets, les « tea-rooms », ou les débits que nous rencontrons lors de nos promenades à travers la ville. Pourtant on y buvait « sec », très « sec » ; et un de mes grands-oncles — lequel fut longtemps lieutenant de Pertuisaniers — raconte dans ses «  Vieux souvenirs » qu'il vida souvent « moult pots » avec Rabelais, à la « Pomme de Pin » le célèbre cabaret sis au coin des rues Copeau et de la Contrescarpe-Saint-Marcel, hors la porte Bordet (la rue Copeau est dénommée rue Lacépède depuis 1853).

Quel beau cabaret ! Villon vint à la « Pomme de Pin » bien avant Rabelais qui fréquenta là Despériers, Dolet, Marot et mon oncle.

*

*            *

Mon oncle — ainsi que tous les braves militaires — buvait avec une surprenante abondance tout en racontant force histoires dont le sel lui grattait le gosier et le poussait à lever le coude sans arrêt. Il est fâcheux qu'il n'ait pu connaître Villon : qu'est-ce que ce dernier aurait « pris », si j'ose dire moi-même.

Malheureusement, Villon était « devenu mort » depuis un certain temps — et ne pensait plus à boire, même à petites gorgées ; de plus, mon oncle ne naquit que bien après la mort de Villon. Tous motifs assez péremptoires qui les tinrent éloignés l'un de l'autre. Oui.

*

*            *

Curieuses époques que celles-ci, où le poète pouvait mener cette douteuse vie, sans perdre de son talent et de sa dignité. Les écrivains religieux des siècles suivants se sont peu montrés au cabaret. Bossuet et Massillon semblent s'être écartés de ce lieu. Sans doute, ont-ils bien fait d'agir de la sorte. Leurs œuvres en auraient probablement pâti et leur renommée n'en aurait été que sûrement ternie. Oui.

Boileau, Racine, Furetière, La Fontaine, Chapelle, l'avocat Mauvillain, le conseiller Brillac et autres beaux esprits se donnaient rendez-vous à la «  Bouteille d'Or », place du Cimetière-Saint-Jean (emplacement actuel de la caserne Lobau). C'est dans ce cabaret que Racine écrivit «  Les plaideurs ». N'est-ce pas inconcevable ?

*

*            *

De nos jours, Raoul Ponchon, lui, sait ce que c'est que d'aller au café. Je l'y ai vu bien souvent ; par contre, il ne me voyait pas : j'étais trop bien caché.

Il m'est impossible de vous citer ici tous ceux que je connais et qui vont au café — vous vous en doutez. Je ne crois pas que d'aller au café, ou à tout autre endroit de ce genre, soit mauvais en soi ; j'avoue y avoir beaucoup travaillé ; et je crois que les illustres personnages qui y furent avant moi n'y ont pas perdu leur temps. Il s'y fait un échange d'idées qui ne peut être que profitable — à la condition de ne pas se faire remarquer.

Cependant, pour faire montre de morale et pour me donner un air respectable, je dis : Jeunes gens, n'allez pas au café : écoutez la voix grave d'un homme qui y a beaucoup trop été, à son avis — mais qui ne le regrette pas, le monstre !

Erik Satie.

 

Changement de saison [21]

La question des « manuels », soulevée si précisément par M. Fernand Vanderem dans la « Revue de France », est un signe des temps actuels ; elle nous montre les pédagogues tels qu'ils sont, les pauvres : vilains au possible — plus, même.

La Pédagogie a pénétré dans tous les domaines de la pensée de l'Homme — et de la Femme, sa compagne. Nous autres musiciens nous en savons long sur ce sujet : beaucoup de nos chers Critiques ne sont-ils pas des pédagogues ? — et ne le font-ils pas voir ?

En tout cas, ils nous « dressent », nous « redressent » — et ferme, encore !

*

*            *

Le bon Napoléon (1 er) — si bon — n'aimait pas les idéologues ; moi, je n'aime pas les pédagogues : je les connais trop ; car ce sont eux qui (d'une main sûre) embrouillent et ratatinent tout ce qu'ils touchent, par des pesées, des mensurations et des dosages comiques, mais empoisonnés.

Au moins, la Grande-Guerre (la dernière) a rendu quelques services : elle a fait vieillir bien des « habitudes » ; elle a fané irrémédiablement un grand nombre de fausses fleurs ; elle a consolidé plusieurs « hésitations », et leur a octroyé de solides espoirs.

*

*            *

Mais que de mécomptes ! Oui.

M. Henri Lavedan se plaint de ne plus retrouver le public d'avant cette-ci devant Grande-Guerre — si belle. Evidemment... Parbleu !... Osa-t-il supposer que le public ne se rajeunirait jamais ? S'il l'a cru, il a été très peu perspicace, le cher Monsieur académique. Quelle erreur ! Je n'en suis nullement surpris, du reste ; et je vois là que M. Lavedan a été une victime des pédagogues, lesquels lui ont « bourré le crâne » — si j'ose dire moi-même — et lui ont fait croire que ses admirateurs étaient innombrables, soumis et perpétuels.

Il est regrettable qu'il n'en soit pas ainsi, bien entendu ; malheureusement, l'ingratitude du public reste immense et demeure fortement attristante, je trouve. C'en est honteux — désagréable, sans aucun doute.

*

*            *

Oui, ça c'est vrai : le public n'est plus le même. Que MM. les auteurs de « manuels » et M. Lavedan se rassurent, car ils en verront bien « d'autres » et de « pas mûres ». Certainement, le public semble en avoir assez de leurs « trucs » ; et il paraît décidé à s'instruire suivant son goût, à se récréer selon sa convenance.

N'est-ce pas son droit ? Peut-être en abusera-t-il ? C'est possible, mais je n'y puis rien.

*

*            *

Ne pleurons pas sur le sort — le hareng sort — de ces Messieurs pédagogues et C ie. Ils ont tous des bonnes places — très chaudes — pour asseoir leurs bons derrières. M. Lavedan est doté d'un fauteuil confortable sis au bord de la Seine ; les autres occupent des chaires spacieuses auxquelles sont attachés des traitements et des « extra » assez avantageux, quoi qu'ils disent.

S'ils sont insatiables, tant pis pour eux !... Et la « ceinture » ?... Pourquoi ne la serrent-ils pas d'un cran ?...

En ce moment, le doigt de Dieu les regarde d'un mauvais œil. Qu'ils ne le prennent pas pour une vessie.

Erik Satie.

 

 

Les Ballets Russes à Monte-Carlo [22]

(Souvenirs de voyage)

La situation musicale ? ... Hum !... Monte-Carlo ?... Superbe édulcoration... Mélanges sexuels, insexuels et vomitifs...

Grand choix de sirops... Limonade musicale à profusion... Oui... « Les Biches »,... « Les Fâcheux »,... Gounod...

MAIS,...

Travail intense... Diaghilew ?... toujours le même : consciencieux, sympathique... Oui...

Ai entrevu l'horrible Laloy (plus vilain que jamais)... Quelle horreur !... Une vraie taupe, comme myope ; mais, plus malin qu'un singe... Oui...

MAIS,...

Il a écrit (Laloy) de beaux articles — trop beaux... sur mes amis Poulenc, Auric... Compromettante admiration dudit. Oui... Ils l'ont donc « eu » ?... A quel prix ?... Hum !...

Possible, après tout... Oui...

MAIS,...

Cocteau triomphe… Oui… Continuation de la mystérieuse et ténébreuse alliance avec ledit Laloy…, Hum !... Pourquoi ? Curieuse idée « d'avoir » ce précité !... Que vont-ils donc en faire ? — Qu'ils le laissent froidement où il est…

Combinaisons ?... Peut-être... Des toutes petites combinaisons (pas plus, dis-je)... Oui...

MAIS,...

En somme, succès au Casino… Le public n'est-il pas, là-bas, subtil, suburbain et subconscient ?...

Aussi, la limonade sonore fait-elle prime… Abondantes critiques dans toutes les langues… On récompense indiscrètement les petites concessions à perpétuité… Applaudissements variés…

Sucre d'orge à pistons… Bretelles en guimauve… Soleil frigorifié (par l'enthousiasme); et température « ad hoc » (haddock).

… Surtout, grand retentissement général (de division)... Oui…

MAIS,...

Erik Satie

[La musique de Relâche] [23]

La musique de « Relâche » ? J’y dépeins des personnages « en vadrouille ». Pour cela, je me suis servi de thèmes populaires. Ces thèmes sont fortement « évocateurs »… Oui : très « évocateurs ». « Spéciaux », même.

…….

Les « timorés » - & autres « moralistes » - me reprocheront l’emploi de ces thèmes. Je n’ai pas à m’occuper  de l’opinion de telles gens….

……. Les « têtes de veau » réactionnaires lanceront leurs fulminations. Peuh !... Je ne tolère qu’un juge : le public. Il reconnaîtra ces thèmes, & ne sera nullement choqué de les entendre…. N’est-il pas « humain » ?..

……. Je ne voudrais pas faire rougir un homard, ni un œuf. Que ceux, qui auraient la crainte de ces « évocations », se retirent :… j’aurais honte de troubler les eaux tranquilles & suaves de leur sereine candeur… Je suis trop aimable, pour désirer leur déplaire.

Erik Satie

 



[1] Cartulaire de l’Église Métropolitaine d’Art de Jésus Conducteur, n° 1, mai 1895, p. 1.

[2] Ibid., n° 1, mai 1895, p. 1 et n° 2, juin 1895, p. 1.

[3] Ibid., n° 2, juin 1895, p. 1.

[4] Guide de l’étranger à Montmartre / [éd. par] Victor Meusy, Edmond Depas ; préface d’Emile Goudeau, Paris : J. Strauss, 1900, p. 31-32.

[5] L’Humanité, samedi 11 octobre 1919, p. 1-2.

[6] Le Coq, n° 1 [numéro d’essai], avril 1920, [p. 2] et Le Coq, n° 1, mai 1920, [p. 2].

[7] Ibid., n° 1, mai 1920, p. 1.

[8] Ibid., n° 2, juin 1920, [p. 8].

[9] Ibid., n° 3, juillet-août-septembre 1920, [p. 6].

[10] Ibid., n° 4, novembre 1920, [p. 9-10].

[11] Le Pilhaou-Thibaou, supplément illustré de 391, [n° 15], 10 juillet 1921, p. 1.

[12] Action. Cahiers de philosophie et d’art, deuxième année, n° 8, août 1921, p. 8-11.

[13] Fanfare. A Musical causerie issued on the first & the fifteenth of the month , vol. I., n° 7, 1 er janvier 1922, p. 129.

[14] Almanach de Cocagne pour l’an 1922 / [Bertrand Guégan], Paris : Ed. de la Sirène, 1922, p. 169.

[15] Le Cœur à barbe, n° 1, avril 1922, p. 2.

[16] Catalogue mensuel de Pierre Trémois, libraire-éditeur, n° 1, mars 1922, p. 3-4.

[17] Ibid., n° 2, avril 1922, p. 5.

[18] Ibid., n° 3, 30 mai 1922, p. 3-4.

[19] Ibid., n° 4, 30 juin 1922, p. 3-4.

[20] Ibid., n° 5, octobre 1922, p. 3-4.

[21] Ibid., n° 6, novembre 1922, p. 3-4.

[22] Paris-Journal, 38 ème année, 15 février 1924, p. 1.

[23] SATIE, Érik. Pages Relâche, dans Les Balletssuédois [programme général]. Paris : [Les Ballets suédois], [1924], pagination non numérotée faisant mention de l’auteur, [p. 17].


 

L’esprit musical [24]

 

Conférence donnée à Bruxelles (Lanterne Sourde) le 15 mars 1924, à Anvers (Cercle français) le 21 mars 1924.

Ayant à vous parler de la Musique — sujet bien vaste pour une causerie — je restreindrai beaucoup mon sujet, me réservant de vous parler un peu des musiciens, &, surtout, de l'Esprit musical.
***       

Le musicien se recrute dans tous les milieux ; …. il nous vient de toutes les classes sociales....

..... L'enseignement musical se pratique comme tous les enseignements :....

il est donné par des professeurs,……... & reçu par des élèves — lesquels sont plus ou moins bons — (ainsi que les professeurs, du reste....)…..

…... Au bout de quelques années, l'élève devient ce que l'on appelle vulgairement un « artiste », …. & se lance dans le Monde,... & à travers celui-ci…..

Jusqu'ici,... tout va bien.

***      

En somme,... ce nouvel arrivant,... que sait-il ?....

…….

Il connaît :….

L'Harmonie ;….

le Contrepoint ;

l'Instrumentation ;

l'Orchestration………

:::: La Mélodie n'a pas de secrets pour lui,... non plus que

le Rythme,

la Sonorité,

le Dynamisme,

la Tonalité (& le Système atonal).....

……

….

Il cultive la Sagesse..... Il est imaginatif…...

Il a une dose d'abnégation accrue d'un désir de sacrifice très volumineux,... énorme, ……… si j'ose dire.

,,,,, Sa puissance est extrême....

…En un mot, il est prêt pour la lutte...

……. Il combattra loyalement.....

……

Notez que toutes ces choses-là sont connues par les Critiques eux-mêmes.....

…. Car les Critiques,... bien entendu,... savent tout,... & possèdent toutes les qualités.

……

Voyez Messieurs Vuillermoz,….

Laloy,...

Schlœ(t)zer : ......

……..

oui,.... ils savent tout !...

…..

(Du moins,... je le suppose).....

* * *

Ne donnez pas,... je vous prie,... un sens agressif à ce que je vous dis présentement.....

Je ne fais que des constatations....... qui ne portent nullement ombrage à la renommée de Critiques respectables & respectueux — & que je respecte…..

.....J'ai trop l'esprit de Libre-Pensée pour ne pas tolérer la pensée des autres — — même si ceux-ci se présentent devant moi en adversaires irréductibles, & légèrement déloyaux…..

......

Je n'attaque ni ne glorifie personne……. J'abandonne même,… aujourd'hui, l'ironie qui m'est coutumière…..

….. Je vous parle en ami — en vieil ami, bien entendu….

* *  *

Mais il ne suffit pas d'être musicien — ou d'en avoir l'air — il faut en avoir l'esprit……

….. Cet esprit est un esprit comme un autre ; ….

….il est le frère de l'Esprit littéraire,... de l'Esprit pictural,…. de l'Esprit scientifique,…. & de plusieurs autres esprits — tous plus spirituels les uns que les autres.....

,,,, Seuls,... ceux qui sont animés de cet esprit peuvent espérer atteindre certaines hauteurs de pensées,….. certains sommets de la spéculation…..

…. Sachez, chers amis, que c'est l'esprit propre à chaque art qui donne, à l'artiste, le courage nécessaire pour supporter la violence des luttes….. …. Car, en Art,…. tout est dans la lutte ;...

& les luttes y sont nombreuses,... répétées,….. sans merci……

…… Surtout,... pas de compromissions….. ……

….. Capituler sera toujours un signe de faiblesse — sinon de lâcheté.....

* * *

Ainsi, voyons-nous que la plupart des Critiques — en Musique, comme dans n'importe quel Art — n'ont pas « l'esprit » de la chose qu'ils traitent…..

….. C'est pourquoi leur point de vue diffère si souvent de celui de l'auteur qu'ils jugent…..

Remarquez que je ne mets nullement en cause leur bonne foi ; …. car je ne parle, ici, que des Critiques sérieux ;….

les autres ne m'intéressant pas suffisamment pour que je m'occupe d'eux…. …..

Que ceux-ci ne voient donc dans mes paroles aucune mauvaise intention à leur égard : …..

…. ils ne sont aucunement l'objet de ma désobligeante attention…… ……

Que le Seigneur les protège,…..

…. les bénisse,…..

….. les comble de bonheur — s'il veut bien....

Dans les choses de l'intellect, il y a des conventions spéciales à ces choses.

…… Si l'on veut avoir raison — réellement raison — il faut commencer par être raisonnable, très raisonnable (notez que je ne fais pas, ici, un pléonasme) ;….

de plus,... il faut avoir raison sans vanité,…. sans bruit,…. sans orgueil……… La possession de la Raison n'accorde aucun privilège ;….

…. souvent, elle n'occasionne que des ennuis…..

…. L'homme qui a raison, est — généralement — assez mal vu,…. même avec des lunettes……

…. C'est à lui de le savoir, & de ne pas ambitionner autre chose que d'avoir raison — s'il y tient….

……

……..

….. Mais celui qui désire conserver sa personnelle tranquillité, aura soin d'avoir toujours tort,... tout à fait tort — plus même…..

…. Alors,... de beaux jours lui seront assurés,... & il s'éteindra dans les honneurs & la prospérité ; —

— &,... peut-être,... aura-t-il beaucoup d'enfants — légitimes, naturels — ou surnaturels.

** *

L'exercice d'un Art nous convie à vivre dans le renoncement le plus absolu…..

….. Ce n'est pas pour rire que je vous parlais,... tout à l'heure,... de sacrifice...

….

La Musique exige beaucoup de ceux qui veulent la servir….. C'est cela que je voulais vous faire pressentir…..

…...

Un vrai musicien doit être soumis à son Art ;…… il doit se placer au-dessus des misères humaines ;…. il doit puiser son courage en lui-même,….. rien qu'en lui-même.

ERIK SATIE.

[24]Sélection. Chronique de la vie artistique, troisième année, n° 6, avril 1924, p. 78-81.

 

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