Erik Satie

Cahiers d'un mammifère

(Extraits ) [1]

 

Celui qui n'aime pas Wagner n'aime pas la France..... Ne savez-vous pas que Wagner était Français ? — de Leipsick…… Mais oui.....

Oublieriez-vous ?... Déjà ?... Vous ?... un patriote ?...

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Les Critiques sont beaucoup plus intelligents qu'on ne le croit généralement... Aussi, veux-je devenir critique — un petit critique — tout petit, bien entendu...

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Si je suis Français ?..... Bien sûr..... Pourquoi voulez-vous qu'un homme de mon âge ne soit pas Français?.....

Vous me surprenez.....

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C'est entendu :..... à la prochaine guerre, Ravel sera encore aviateur — sur camion automobile.....

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Ne pas respecter les critiques ?..... Cet homme ne peut être qu'un PAS GRAND'CHOSE.....

Surtout, ne le fréquentez pas.....

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Non : Saint-Saens n'est pas Allemand... Il est seulement un peu « DUR » de cerveau..... Il comprend tout de travers, sans plus.....

Mais il est de bonne foi, parbleu... A son âge, on dit ce qu'on veut.....

Qu'est-ce que ça peut faire ?

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Chose curieuse : — plus un critique est bête, plus il est intelligent.....

C'est à n'y rien comprendre...

Evidemment...

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Nous savons que l'Art n'a pas de Patrie,... le pauvre... Sa fortune ne le lui permet pas...

Alors pourquoi ne pas jouer Richard Strauss et Schœnberg ?..... Dites, cher monsieur Laloy, vous qui savez tout...

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Est-ce que Marnold ne ferait plus de critique ?..... Ce serait bien fâcheux.....

Quelle perte séminale...!

Comme comique, il était « UN PEU LA », le cher homme...

Erik SATIE

 

 

 

Cahiers d'un mammifère

(Extraits) [2]

 

Oui !... Les Allemands prennent tout à la France... C'en est honteux !...

Vous savez bien que Wagner était Français... Il était très Franco-Allemand — le cher Homme — comme tous les bons Français, du reste...

Souvenez-vous... je vous prie : ... II était si bon !... et si de « chez nous » !

Car il ne faut pas le confondre avec Strauss et Schœnberg... Aucun rapport... aucun.

Eux ne sont pas bons, bien entendu — ni Français, naturellement.

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Chez les « deux Puristes » :... La prochaine fois, ce sera un tableau de Jeanneret qu'on lacérera...

Chacun son tour,... hein !...

Pas toujours le même,... n'est-ce pas ?

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Décentralisation : ... Félicitons M. Rouché d'avoir fait de l'Opéra un théâtre absolument de province — fond de province — et très réussi, comme imitation... On se croirait, même, aux colonies (à Djibouti)...

Les étrangers en sont « momifiés » et n'en « reviennent pas »...

Il y a de quoi !...

Sacré M. Rouché, va !

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Roublards et inventifs : ... Oui, c'est Ozenfant le plus malin des deux — sans l'être trop ; ... mais ne croyez pas que « l'Autre » soit bête — avec sa vue basse...

En tous cas,... ils sont aussi « puristes » l'Un que l'Autre — plus, même.

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Mise au point : ... Pour ce qui est de Reims... il ne faut pas exagérer…

La cathédrale était un vieil immeuble démodé et inconfortable.

La manière : … C'est Ozenfant qui a eu l'idée du canif ; … Jeanneret, lui, parlait de se servir d'un sabre (long comme ça)...

On voit qu'il est jeune ! — le Cher Ami...

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Erreur : ... Voyons !... Ravel n'est pas un « pion »... bien sûr... Il en a l'air, simplement — mais vu de loin,... de très loin...

C'est plutôt un « dandy » — un tout petit dandy dodinant... Oui...

D'un élégance !...

D'un « chic » !....

Il faut être juste — pour une fois.

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L'Homme du jour : ... Non, mon cher Ozenfant : ... vous n'êtes ni ridicule, ni grotesque...

Le canif ?... Peuh !...

Ne craignez rien :... « ça » se passera.

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A l'Opéra : … « L'Heure espagnole » obtient un réel succès… Ce vieux Ravel triomphe (comme à Verdun)... La salle est toujours pleine d'Espagnols (comme à Verdun)...

Quelques Portugais ont le « culot » de se mêler à la foule hispanique,... mais ils sont vile « repérés » : ... leur traditionnelle gaîté les trahit ; ... elle contraste avec la belle tristesse espagnole contenue dans l’ouvrage du si subtil militaire-compositeur (une vraie « barbe » — le si subtil militaire-compositeur ! — si j'ose dire entre parenthèses).

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Un grand malheur : ... Mon abonnement à « L'Esprit Nouveau » vient d'expirer... hier...

Oui...

J'en suis « tout chose ».

Erik SATIE

 

 

Cahiers d’un mammifère

 

(Extraits — de malt) [3]

Côte d'Azur(et d'Azor) : … Monte-Carlo est la terre du Jeu — du « double-jeu », même... C'est ce que je disais, là-bas à Poulenc et à Auric (je leur susurrai cela amicalement, bien entendu)

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Pour Vuillermoz : ... Ce n'est pas une raison, parce que l'on est chauve, pour être chauvin... Méfiez-vous, et ne confondez pas... Saisissez-vous la nuance ?...

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1916 : ... En ce temps-là, Cocteau « écrivait » Parade...

... Oui...

Picasso et moi le regardions (sans savoir, bien sûr)

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Conseils(de famille) : ... Se mettre à plat ventre est bien... Toutefois, cette position est incommode pour lécher la main de celui qui vous donne des coups de pieds dans le derrière (Souvenirs de Monte-Carlo)

« Simiesquerie » : … Louis Laloy (lequel est plus vilain qu'un singe, mais en a toute la malice — jusqu'au bout des ongles) a écrit de bien beaux articles sur Poulenc et Auric...

Oui...

 

Des larmes — larmoyantes — m'en sont venues aux yeux… — Juste récompense due au « double-jeu », fis-je en lisant moi-même ces articles (de nouvelle foi) : …. car la politesse, la soumission, le respect (respectueux), etc… doivent être pris en considération (distinguée)... Oui…

ERIK SATIE

 

 

Cahiers d'un mammifère [4]

Cocteau a mille fois raison : — « Plus de scandale », dit-il...

En effet, les scandales sont trop scandaleux & scandalisent tout le monde. Aussi conseille-t-il à ses acolytes Laloy & Auric d'éviter tout scandale — même infime, incolore & invisible.

Car en prenant de l'âge (40 ans), on devient sérieux — très sérieux,... fortement sérieux — grave (& assez bas). C'est ce qui arrive à Cocteau : il prend du ventre (moralement, bien entendu)..... Comme on change, tout de même!...... Quarantaine diabolique, où nous mènes-tu ?...

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Tout cela me fait songer, & me rend mélancolique & misanthropique….. Oui…

Combien ai-je besoin de tels conseils (de famille) !... Ne vais-je pas m'exercer à les suivre ?... même d'un peu loin ?...

Là, Cocteau ne nous donne-t-il pas un bel exemple ? Il renonce aux pompes du siècle — qu'elles soient aspirantes ou refoulantes (si j'ose dire). Oui... Faisons de même ; n'hésitons pas : aspirons & refoulons nos pompes. Ne repompons plus. Qu'est-ce que nous risquons ?

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Dans les « Nouvelles Littéraires », ce cher Auric me traite de « notaire normand », de « pharmacien de banlieue », de « citoyen Satie » (du Soviet d'Arcueil)

Très bien, mon petit ami... Qu'il continue ; qu'il se « relaloyse » de fond en comble... Après, on verra. Oui.

Mon crime ? Je n'aime pas ses Fâcheux « retapés » & « truqués »… Ceux qui me disent que ce regretté ami n'est qu'un « plat pied », exagèrent ; il n'est, très simplement, qu'un Auric (Georges) — ce qui est déjà trop suffisant pour un homme (?) seul.

ERIK SATIE

 

 

Cahiers d'un mammifère [5]

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CONTRADICTION : ...Cocteau m'adore... Je le sais (trop, même)

... Mais pourquoi me donne-t-il des coups de pied sous la table ?...

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CONSEILS : Ne respirez pas sans avoir, au préalable, fait bouillir votre air…

... Si vous voulez vivre longtemps, vivez vieux...

... Plus de cheveux courts : ... Arrachez-les...

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ACCUSÉ DE RÉCEPTION : ... Mon cher Auric — J'ai bien reçu votre hochet (figurant une noble tête de vieillard)... Oui...

II était accouplé d'une amusante lettre, gentiment ordurière &, surtout, très ▬▬▬ [6] pornographique…. Ho !... Gros polisson... Vilain ?...

Si ton papa savait ça !... Quelle fessée !...

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UN BRAVE HERCULE : ... — Quel est ce monsieur si maigre?...

— C’est un lutteur.

— Non?

— Si : ... il lutte contre la tuberculose (membre honoraire d'une des nombreuses ligues adéquates).

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UN BON MOT : L'auteur de « Parade » (J. Cocteau) expliquait (pour la millième fois) les misères qui l'accablèrent, qui le dépecèrent, qui le bombèrent, qui le défrisèrent, qui le raclèrent alors qu'il écrivait cette œuvre de — trois lignes.... Tout le monde pleurait (de rire — même Laloy & Auric)...

Tout à coup sans prévenir — Monsieur X*** (si connu par sa perspicacité) se leva & dit froidement : — « A bas Satie » !...

L'effet fut prodigieux... Oui...

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CAS CURIEUX : ... Drôle d'homme (?), cet Auric !...

Omoplate, sans doute... Homogène ?... Pourquoi pas ?... Drôle d'homme (?) !... Assez troublant, angoissant et inquiétant — en somme... Ses « saletés » de « potache » ?... Hé ! Hé !... Curieux... Oui (& non) !...

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INVOCATION :... Si mes adversaires ne respectent pas mon âge, qu'ils aient quelques égards au moins, pour ma pudeur (n'est-ce pas Auric — & vous, grand « dadais » de Poulenc ?)...

Erik SATIE

 

 

Cahiers d'un mammifère [7]

NOUVELLE DIRECTION DU VENT. — Le musicographe du « Mercure de France » vient de jeter ses cartes — en plein à la tête de l'Omoplate-Auric (si homogène, si omelette) et sur celle du grand Dadais de Poulenc... Oui...

C'est le Pape canonisant Lénine, se faisant arbitre sportif, et devenu marchand de poudre à tuer les curés (sorte de mort-aux-rats pour ecclésiastiques)... Une savante combinaison « politico-musicale » de Marnold, quoi !...

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Que l’Omoplate-Auric (si homogène, si omelette) et le grand Dadais de Poulenc s'arrangent pour être « pommadifiés » par le « marnoldeux » porte-grande-barbe du « Mercure de France », cela les regarde — sous le nez, même. En tout cas, les voici fournis d'un bon brevet qui les place dans la cuisine, derrière la rôtissoire à gaz de la Société Parisienne dispensatrice de ce fluide aériforme... Oui...

Qu’ils y restent : ils font un joli trio, à eux deux...

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ATTENTION : VOTRE FUSIL EST PEUT-ÊTRE CHARGÉ. Le vénérable grand-père Breton s'affiche comiquement en portant, (aux grandioses manifestations qu'il organise si bien), et avec ostentation, un lourd et puissant gourdin... Il ne soupçonne donc pas que dans gourdin, il y a « gourdée » ?... Grave !... Oui... Très...

Regardez-le donc, la prochaine fois, avec sa « gourderie » sous le bras... Il en a un œil !...

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BEAUCOUP TROP COQUET. — M. l'Omoplate-Auric (si homogène, si omelette) fait friser, onduler (aux petits fers, s'il vous plaît !...) le poil qu'il a dans la main...

C’est bien là une idée d'« homogène », d’« omelette » et d’« omoplate »...

Erik SATIE


[1] L’Esprit nouveau : revue internationale illustrée de l’activité contemporaine, n° 7, avril 1921, p. 833-834.

[2] Le Cœur à barbe, n° 1, avril 1922, p. 4-5.

[3] Création, [n° 3], février 1924, [p. 5].

[4] 391, n° 17, juin 1924, [p. 3].

[5] 391, n° 18, juillet 1924, p. 2.

[6] Un mot barré.

[7] Le Mouvement accéléré : organe accélérateur de la Révolution artistique et littéraire, n° 1, novembre 1924, p. 1.

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