Benjamin Péret

Trois cerises et une sardine, 1936

 

TROIS CERISES ET UNE SARDINE, 1936

CE QUI s’élève d’un champ de blé ne ressemble pas

forcément à un pot à eau

pas plus que ce qui mange les trônes ne ressemble à un

wagon-lit

des cerveaux en feu

jaillissent des pluies de sensitives

qui imitent parfois les danseuses remontant leur jarretière

ce qui permet au spectateur caché derrière un artichaut de

cristal

souriant comme un arbre

secret arraché

qui inonde la campagne

où ne pousseront plus que des avertisseurs d’incendie

en forme de pantalons de femme

ce qui permet dis-je

au spectateur à tête de palissade couverte de capucines

de dépaver sa rue

une enseigne de bordel à la main

mais s’il avait un parapluie d’enfant pendu aux oreilles

et les côtes en forme d’Ophélie

il respirerait aussi tranquillement qu’un baryton pané

gardant un champ de cerisiers morts

à cause de l’éclatement du soutien-gorge des bourgeons

dont la sève

transparente dans la pénombre des cinémas

s’envolerait au passage des tramways qui ne deviendraient

jamais des chamois

comme les ruines fumantes au sourire de rue barrée

dont la sève

d’humeur sombre comme un pneu poignardé

ou joyeuse comme une église transformée en abattoir

lit le journal du soir où l’on raconte

comment la barbe d’un vétéran de la grande guerre

sert de porte-plume à ses petits-enfants

qui me font irrésistiblement penser

à une réclame de chocolat offrant des tickets-primes à tout

acheteur

Cependant la grande lutte qui oppose le charbon aux soutiers

ne se terminera que par la victoire des étoiles de mer

qui se brossent les dents avec un cierge de groseille

aux yeux clos

comme un volcan qui contemple son sperme

en route vers la mer

et malgré les scorpions qui se suicident entre ses flammes

n’hésite pas à massacrer quelques douzaines de seins de

grand-mères

ou de signaux de chemin de fer

qui deviendront si facilement du mâchefer pour édredons

agités de soubresauts convulsifs à la manière des aubépines

en fleurs

Et les yeux roussis par les pastèques verront dans un nuage

de moustaches

de grandes serrures molles se balancer comme des trompes

d’éléphants

à seins de Mi-Carême

à pieds de sourires

à jambes d’oscillations frénétiques

rappelant

de loin il est vrai

les tremblements nerveux des sources du Nil

où naquit la danse de Saint-Guy

dans une coquille de noix

amère comme un coup de pied au cul

attendu depuis l’apparition au-delà des champs de navets et

de tulipes

croisés comme des épées prêtant serment

de la lune dans un pot de confitures usé comme une sauterelle

qui pourrait remplacer une gondole

propulsée par les éternuements des rameurs

aussi facilement qu’un gobe-mouches tatoué comme un pape

dans une source thermale où l’on soigne

les verrues lumineuses qui croissent à l’intérieur des vieux

crânes célèbres

avale les plus profonds soupirs

qui se camouflent parfois en bains de lait

orageux comme un mouton

parfois en brute épaisse

qui rêve de dentelles

comme un haricot au clair de lune

 

© Mélusine 2011
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