Benjamin Péret

Poèmes inédits

 

POÈMES INÉDITS, 1920-1926

IMPORTÉ DU JAPON

Un papou qui fumait de l’opium chantait

Grogne sur le parquet un chrysanthème blanc

S’étirent des viandes saignantes

Dans une coupe bleu de roi

Dans la coupe bleu de roi le chrysanthème blanc

D’un coup sec on déchire une soie

Des taches rouges et de l’eau sur le parquet

Demain matin le chiffonnier

Avec les viandes à son chapeau

Causera de Nagasaki

Pleurera toute une soirée

Des gâteaux qu’il n’aura pas

Le chrysanthème blanc

Qui a sali les viandes de Nagasaki

Le vent perdit la fin de la chanson

Le papou était un chimpanzé

 

CHANSON DE LA GARDEUSE DE KANGUROOS

La dame est sur la tour

la tour est ivre comme un boeuf

un boeuf sanglant

qui mange des glands

en se levant

et crache du sang

en se couchant

La dame est sur la tour

La tour était si haute

la dame était si petite

qu’on s’y trompait

c’était la paie

Dans la saulaie

tous les navets

se dorlotaient

La dame était si petite

la tour était si grande

que les amandes

et les amantes

s’aimaient dans les soupentes

 

PORTRAIT DE SAINT-POL-ROUX

Le soleil s’éloignait des mitres et des casques

poussé par la colère des forêts

entraînant avec son ombre

les visages noircis par la suie de leurs rêves

Et tels des escaliers

leurs rêves simulaient leurs nuits et leurs jours

absurdes comme une épingle au sommet du Kilima N’diare

Seul sur la neige usée

un homme aux yeux de planète

levait ses bras chargés de lis

vers un ciel de marbre

d’où pleuvaient des yeux

si beaux que les revolvers crépitaient

Un vrai ciel de mariage

où la mariée nue comme la mer

attendait que l’homme jetât ses lis

pour remplacer l’écho

qui tremblait au son de sa voix

PORTRAIT DE MAX ERNST

Il avait les oreilles d’une huître

et ses cheveux dansaient dans la mousse

lorsque les rochers blancs s’évaporaient

au passage des mouches

Il avait les yeux bleus comme les olives

il avait les olives noires comme son ventre

et demandait aux cheminées le secret

de la fumée

qui court dans l’axe de ses yeux

comme la neige des spectres

lorsque les pierres s’habillent à la mode de leurs pères

dont les pieds s’allongent comme un rayon de soleil

le long des schistes

des bois tricolores

des tulipes nageant comme une raie dans l’avenue des pieds

gelés

des squelettes aux os de gramophone

des vitres blanches comme une escalope

des statues de radis

des cuivres morts

et surtout des filets d’eau douce coulant au fond des oreilles

de saints

 

© Mélusine 2011
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