Benjamin Péret

Mort au vaches au champ d'honneur, 1922-1923

 
Chapitres de Mort aux vaches au champ d'honneur

Chapitre IV— QUI PERD GAGNE Chapitre VII — L’ÉLÉPHANT À BILLES

CHAPITRE V

LES PARASITES VOYAGENT

Voilà comment cela s’est passé :

« J’avais reçu un ferreux (1) sur le rond (2) et je glissais dans le blanc (3) lorsque je sentis qu’on me serrait les tiges (4).

(1) Ferreux : éclat d’obus.

(2) Rond : tête.

(3) Glisser dans le blanc : s’évanouir.

(4) Serrer les tiges : prendre par les membres.

Je pensais : « Ça devient sec ! » (5) mais j’étais trop loin pour m’exprimer (6). Quand il y eut de l’air (7) je me trouvais avec les voletants (8) à au moins quinze pipes (9) au-dessus des crottes (10) ; mais tu sais, je n’ai jamais aimé jouer avec la fumée (11) ; je ne souhaitais qu’une chose : me retrouver sur les crottes. Je me dis : « Ce n’est pas sourd (12), je n’ai qu’à me couler le long des poussants (13). » Mais de le dire était autre chose que de le faire. Lorsque je voulus essayer, je vis que les poussants et moi ça ne faisait qu’un. Ce n’est pas drôle de se savoir tout d’un coup un employé du noir (14), étant donné surtout qu’il n’y avait pas de raison pour que cela se terminât. J’essayais encore une fois de quitter le poussant, mais c’était du vent (15) !

(5) Ça devient sec : ça tourne mal.

(6) Etre trop loin pour s’exprimer : être trop étourdi pour se défendre.

(7) Quand il y eut de l’air : quand je revins à moi.

(8) Les voletants : les oiseaux.

(9) Pipe : mètre.

(10) Crottes : sol.

(11) Jouer avec la fumée : se trouver en l’air dans une position instable.

(12) Sourd : difficile.

(13) Se couler le long des poussants : se glisser le long des branches, ou d’un arbre.

(14) Etre employé du noir : être les feuilles qui font de l’ombre.

(15) Vent : impossible.

J’étais poussant et bien poussant. Je sentais le cogneur (16) qui s’affolait dans ma valise (17). Je croyais que j’en étais à la dernière ligne de mon chapitre (18), je me mordais (19) : un bavard (20) se posa sur mon occ (21), roula sur mon cornu (22), de là sur ma valise, descendit sur mon percot (23) et me brûla une tige.

(16) Cogneur : coeur.

(17) Valise : poitrine.

(18) La dernière ligne de mon chapitre : les derniers instants que j’avais à vivre.

(19) Se mordre : se tromper.

(20) Bavard : bouche.

(21) Occ : front.

(22) Cornu : nez.

(23) Percot : ventre.

Je gueulais comme une sirène, sans me rendre compte que, depuis que ma tige était brûlée, je n’étais plus fixé au poussant. Je fis un bol (24) et tombai sur un éclai (25) qui, au lieu d’être tussé (26), s’enfonça dans ma valise. Ce n’était pas l’amour (27) ! Lui, surtout, éclatait (28) et je ne savais pas comment faire pour qu’il parmînt (29).

(24) Bol : mouvement.

(25) Eclai : chat.

(26) Tusser : écraser.

(27) Ce n’était pas de l’amour : ce n’était pas agréable.

(28) Eclater : être furieux.

(29) Parmenir : s’en aller rapidement.

J’eus un coup (30) – et il fallait que je fusse vraiment trouc (31) pour n’avoir pas pensé à cela plus tôt. Je me mis à faire des fleurs (32) et après quelques grosses tulipes (33), le rond de l’éclai apparut hors de mon piston (34). Et il chantait, il chantait, c’était pire que la Chenal.

(30) Coup : idée.

(31) Trouc : bête.

(32) Faire des fleurs : excréter.

(33) Tulipe : Excrément.

(34) Piston : anus.

Je tirais sur le rond de l’éclai, et après une dizaine de râles (35) d’efforts, je réussis à me débarrasser de l’éclai. Libre, il n’eut rien de plus pressé que de jouer la sève (36). Quant à moi, j’étais dans les bois flottants (37) et cependant je prends le vieux (38) à témoin que je n’avais rien dans la blague (39) depuis deux sets (40). J’avais des tiges d’air (41), sans doute parce que je n’avais pas saqué (42) depuis longtemps, et au bout de dix pipes, je fondis (43) et ne tardai pas à me balancer (44). Je retournai à l’air (45) en sentant des fraises (46) me tomber sur le rond.

(35) Râle : minute.

(36) Jouer la sève : s’enfuir.

(37) Etre dans les bois flottants : être ivre.

(38) Vieux : Dieu.

(39) La blague : l’estomac.

(40) Set : jour.

(41) Avoir les tiges d’air : flageoler sur ses jambes.

(42) Saquer : manger.

(43) Fondre : tomber, s’effondrer.

(44) Se balancer : dormir.

(45) Retourner à l’air : se réveiller.

(46) Fraises : grosses gouttes de pluie.

– Bon Dieu, voilà la décharge (47) !

(47) Décharge : averse.

Cette claque (48) eut un effet magique, et le brûleur (49) réapparut. Il pouvait être salé (50) et, comme nous étions en été, le brûleur aurait dû se trouver au-dessus de moi. Il était à ma gauche et il se rapprochait de moi à toute vitesse. Cinq ou six râles plus tard, il était entre mes jambes et mon radis (51) était prêt.

(48) Claque : parole.

(49) Brûleur : soleil.

(50) Salé : midi.

(51) Radis : sexe.

Ah ! Quelle douceur mon pope (52) ! C’était comme une mince (53) nouvelle et tout minçait (54) en moi. Jamais je n’aurais douillé (55) cela. Et je t’assure que maintenant c’est bien fini avec les culottes (56). Tu ne sais pas ! tu ne sais pas !

(52) Pope : ami, camarade.

(53) Mince : danse.

(54) Mincer : danser.

(55) Douiller : imaginer.

(56) Culotte : femme.

Après cela, le brûleur disparut dans un poussant.

Je sentais que j’étais gallé (57) mince, et je minçais seul, et je minçais seul, pendant des pailles (58) et des pailles. Je partis vers le brûleur qui était retourné à sa place dans le chapeau (59), mais au bout de quelques râles, je sentis que je ne pourrais y arriver, je retombais sur les crottes et m’y enfonçai tout entier, mais c’était chal (60) et cela challait (61) de plus en plus.

(57) Galler : devenir.

(58) Paille : heure.

(59) Chapeau : ciel.

(60) Chal : chaleur.

(61) Challer : chauffer.

A la fin, je revins à la surface des crottes, mais je m’aperçus que j’étais gallé cygne, sur un porte-feuilles (62) et j’avais les boucles (63) au vent. Sur les crottes, était un gros doré (64) en pleine misère (65). Il me fit un petit signe du plat (66) et me cria :

(62) Porte-feuilles : étang couvert de nénuphars.

(63) Boucles : plumes.

(64) Gros doré : général.

(65) En pleine misère : en grande tenue.

(66) Le plat : la main.

– Hé ! Lohengrin ! Avance au ralliement !

– Ta gueule, lui répondis-je, et je l’accommodai de mon mieux (67).

(67) Accommoder : injurier.

– Je suis le général Pau, entends-tu. Tu seras fusillé. Mauvais Français, traître !

– Ta gueule, tu fais pousser le caca.

– Injures à un officier… Ah ! mon gaillard, c’est le conseil de guerre et les travaux publics ! Ah ! mon gaillard !

J’accourus vers lui et lui pointai (68) sur les tiges. Il glissa dans le blanc, galla cygne, et moi gros doré. C’était mon tour : je le saisis par le tuyau (69) et crac ! il était noir (70)…

(68) Pointer : donner un coup de bec.

(69) Tuyau : cou.

(70) Noir : mort.

Je changeai de lueur (71) et crossai (72) longtemps : cinq pailles au moins. Je venais de traverser une pousserie (73) et je longeais une mouille (74) lorsque d’un vieux poussant, noir depuis des pattes (75), sortit l’éclai dont j’avais eu tant de peine à me débarrasser. Il se leva droit sur ses tiges arrière et me dit :

(71) Changer de lueur : quitter un endroit.

(72) Crosser : marcher.

(73) Pousserie : forêt, bois.

(74) Mouille : rivière.

(75) Pattes : années.

– J’ai connu une petite Japonaise qui portait des griffes au bout des seins. Cette Japonaise était une petite vicieuse. Elle avait une cage pleine d’oiseaux, dans laquelle se trouvaient deux boules creuses d’égale grosseur composées d’une feuille extrêmement mince de laiton. L’une était absolument vide et dans l’autre se trouvait une boule pleine moins grosse de quelques centimètres. La petite Japonaise appelait cette dernière le mâle. Quand elle tenait dans sa main les deux boules l’une à côté de l’autre, elle éprouvait une sorte de frémissement qui durait longtemps et se renouvelait au moindre mouvement.

Ce petit frémissement, cette secousse légère mais longtemps continuée, faisait ses délices. Elle introduisait d’abord la boule vide dans son vagin et la mettait en contact avec le col de la matrice, puis elle introduisait l’autre boule. Alors, le plus léger mouvement des cuisses, du bassin, ou même la plus légère érection des parties internes de la génération déterminaient une titillation voluptueuse qui se prolongeait à volonté.

Eh bien, le croiriez-vous, je ne pouvais la voir faire cela sans me sentir un irrésistible désir de manger un canari.

Bonjour, Monsieur. »

« Et il partit, me laissant une énorme boussole sur le rond.

Qu’est-ce que cela signifie ? pensai-je. Sûrement cet éclai est tur (76) et j’allai grouter (77) lorsque du haut d’un poussant

un veux-tu (78) fondit de poussette (79) en poussette et vint se placer sur le nord de ma boussole. L’aiguille aimantée qui était dirigée sur le pays de chal (80) se détourna brusquement et resta caque (81) sur le Nord.

(76) Tur : feu.

(77) Grouter : s’en aller.

(78) Veux-tu : oeil.

(79) Poussette : branche.

(80) Le pays de chal : le sud.

(81) Caque : immobile.

Fadré (82), fis-je en moi-même, qu’est-ce qui se passe ?

(82) Fadré : exclamation exprimant l’inquiétude.

Ce n’était cependant pas sourd à piler (83) : mon rond était gallé boussole, ou plutôt la boussole et mon rond s’étaient si bien réunis qu’ils ne faisaient plus qu’un. J’étais bien toûtu (84). Tu vois quelle descente (85) j’aurais eue sur les boulevards avec un rond semblable : les roubes (86) m’auraient enchiné (87), ils auraient dit que j’étais tur.

(83) Sourd à piler : difficile à comprendre.

(84) Toûtu : ennuyé, inquiet.

(85) Descente : allure.

(86) Roubes : agents.

(87) Enchiner : arrêter.

Donc, j’étais bien toûtu. C’est alors que j’eus le coup de me décaler (88). Pour un coup c’était un coup et je m’en félicitai aussitôt. J’étais à peine décalé que je me trouvai au volant d’un taxi arrêté sur la Toile (89). Je n’y pilais plus rien et je roussais (90) autour de moi comme si j’étais tur. Les sipes (91) me roussaient et paraissaient se demander ce que je faisais là et pourquoi j’avais l’air aussi tur. Finalement j’en pris mon parti. J’embrayai et démarrai à toute allure dans la direction de la Porte Maillot. Je n’avais pas fait cent pipes que je m’aperçus que la route était barrée.

(88) Décaler : déshabiller.

(89) La Toile : la place de l’Etoile.

(90) Rousser : regarder.

(91) Sipes : gens.

Un troupeau de pules (92) s’avançait sortant d’une coque (93) située sur la droite de l’avenue de la Grande-Armée, traversait cette avenue au grand galop, rentrait dans une coque de l’autre côté, ressortait par une large (94) du premier étage et, montant sur le dos de leurs popes, qui arrivaient en sens inverse, retournait dans la coque du côté droit de l’avenue, pénétrait par une large du premier étage, en ressortait par une large du deuxième, de nouveau traversait l’avenue sur le dos de leurs popes, pénétrait dans la coque du côté gauche de l’avenue et ainsi de suite, en sorte que l’avenue était complètement barrée.

(92) Pules : chevaux.

(93) Coque : maison.

(94) Large : fenêtre.

J’étais ponné (95) : Comment faire pour continuer mon chemin ? Il ne fallait pas songer à passer par-dessus ce troupeau de pules, ils étaient trop nombreux et formaient une muraille infranchissable. J’eus un coup héroïque – ou de génie, comme tu voudras. Je reculai d’une centaine de pipes, je démarrai en troisième, puis poussant la pédale de l’accélérateur, je donnai tous les gaz et arrivai sur l’obstacle de toute la vitesse de mes douze pules.

(95) Etre ponné : être indécis.

Je passai à travers sans accident. Quand je dis sans accident, je parle pour l’escalope (96), car je tuai deux pules, et j’avais à peine franchi la muraille, qu’une détonation effroyable retentissait, faisait trembler les crottes et secouait les coques comme des châteaux de cartes.

(96) L’escalope : moi.

Je me retournai, il n’y avait plus un seul pule. A leur place, se trouvait un étang rempli de mercure, mais le plus étrange, était que l’arc de triomphe avait disparu. Au-dessus de son emplacement, se trouvait le S. I. (97) tenant une casserole à la main, dans laquelle il cillait (98) en disant : « Je suis le docteur Voronoff, écoutez-moi bien ! » Et il se mit à raconter cette petite histoire que je trouve stupide :

(97) S. I. : soldat inconnu.

(98) Ciller : uriner.

– Avec les têtes on peut faire de superbes fourrures imitant le lophophore.

Mais, ce sont surtout les jardiniers qui les emploient, non seulement comme réservoirs, mais pour la culture intensive.

On peut, dans les louves, trouver de quoi se fabriquer un mobilier rustique.

Le fond donne le fond, les fèves le dossier et les pieds et la messe ainsi faite, a l’air d’un meuble en bois courbé.

Avec deux fonds et trois manches on a un petit guéridon à la fois élégant et rustique ; de la même manière on construit de très jolies étrangères. Des tonnelles et des kiosques se montent en utilisant les cercles que l’on recouvre de soie sur laquelle on sème des graines !

$160

Enfin, les vieux, coupés en deux, sont utilisés pour prendre des bains par ceux qui n’ont pas de baignoires. »

« Après ces claques, il vida sa casserole pleine de cille (99) sur la tête d’un roube qui se trouvait au-dessous de lui et dans lequel je reconnus le général Joffre, le vainqueur de la Marne, comme on dit. (Et moi, donc ?) On ne peut pas dire que ce n’était pas drôle : Ah, ce qu’on fabaille (100) quand on est en République !

(99) Cille : urine.

(100) Fabailler : rigoler.

Je repartis à toute vitesse. C’est alors que je te rencontrai dans la pousserie de Boulogne, craquant (101) avec une culotte qui criait : « Oh ! les bons champignonsgnonsgnons ! ».

(101) Craquer : faire l’amour.

– Et voilà ! Qu’est-ce que tu penses de cela ?

– Je pense qu’on pourrait gratter le sel (102) et passer nos vacances à Deauville.

(102) Gratter le sel : prendre le train sans billct.

– Tu as raison, groutons à Deauville. »

 

© Mélusine 2011
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