DORMIR, DORMIR DANS LES PIERRES, 1926 1 De la corne du sommeil aux yeux révulsés des soupirs il y a place pour une cornemuse bleue d’où jaillit le son fatal du réséda fleuri Réséda réséda si tu fleuris c’est au quartz que tu le dois car il a mis dans tes racines une poudre de sang et de cervelle qui poivre te caresse les yeux Il a mis aussi sa caresse marine sur la face inférieure de tes pétales et l’eau pure de sa tête dans tes mains Réséda réséda lorsque le jour des blanches cambrées sera venu tu sentiras ta tête s’incliner comme un soleil sans épaisseur et le sang de tes veines se répandra sur les étoiles qui te répondront Réséda réséda tes mouvements rebelles aux caresses du vent qui passe près de toi comme une minute usée comme une minute liquide dont les inutiles regards se perdent dans les puits où tu voudrais vivre souple et pâle comme un cheveu de source Oiseaux oiseaux de mes oreilles envolez-vous Envolez-vous comme un courant d’air vers le spectre de sel où gémissent vos plumes Telle plume qui gémit n’attend que la pluie fine pour vous retrouver Telle plume qui pâlit sera verte demain si l’ouragan lui dévoile son destin Et telle plume qui disparaît comme un A B C D se retrouve au printemps sur la tête des cieux car les cieux sont faits de vos plumes mes oreilles et la mort de celles-ci est la mort de vos cieux Gouttes de sang gouttes d’eau du plus ancien bijou des femmes La poudre s’ennuyait dans le désert des mains dont le superflu s’épanche sur des gorges pâles issues du miroir que nul ne découvrit car il part et revient comme une feuille car il est bleu car il est rouge suivant que ton regard se fixe ou s’égare comme un drapeau suivant que ta voix éclate comme une aurore boréale ou coule comme les cerises du temps cueillies par les obscurs voyageurs de ton sang qui mousse le long de tes hanches vagues fraîches sur des lèvres qui brûlent au passage la mer et ses îles
Entourez de vos mains le corps fragile des vents Les vents de l’erreur et du sang s’enflent dans nos corps comme un poème de sel et le réséda du ciel s’anémie près des miroirs car il se voit grandir comme un torrent car il se voit osciller sur son support osseux trop semblable à l’angoisse d’un fauve car il se sent il se sent la bouche et les oreilles d’un dieu d’un dieu salubre et fort balayant le matin les germes spontanés des mains lasses Qui donc ici malgré la nacre des oranges ose contempler du plus profond des siècles le cheval serein oublieux des cratères où naquit l’orgueil de sa race qui nous conduit au petit jour porteur de nénuphars et semeur de colliers Reflet de la peau si douce qu’on voudrait s’y mirer oiseau des lumières ne l’emporte pas Les graines humides sifflent dans leurs retraites et les ombres fanées se cachent sous la mousse Souffle ô corne un azur sombre et verbal Le printemps est malade d’un cerisier nouveau d’un cerisier plein de fruits miroitants où sombrent les cils de porcelaine comme un regard dans un jet d’eau Assise flamberge assis vents La mer se décolore et le rouge domine Le rouge de mon CŒUR est le vent de ses îles le vent qui m’enveloppe comme un insecte le vent qui me salue de loin le vent qui écoute le bruit de ses pas décroître sur mon ombre si pâle qu’on dirait un poisson volant
As-tu senti les cheveux se dénouer comme les aiguilles d’une pendule et le souffle des pierres s’atténuer de crainte que les mains ne les remarquent As-tu senti la sève jaillir hors des arbres de paille et se répandant sur les fleuves les couvrir de canards Les canards des astres ne sont pas ceux de ma sœur car ma sœur est noire comme une huître et de sa voix sortent des taupes et les taupes de ma sœur gardent leur secret
Les corbeilles et les raisins se rencontreront sur une route bleue Du choc jaillira la grande mamelle qui recouvre les horizons flétris et ce sera justice Si la justice naît de la rencontre des raisins et d’une corbeille les tuiles caresseront les sages noyés dans le ciment et les vagues refuseront de traverser la mer Encore une heure et les squelettes se balanceront à la corde des marées à condition que les vitres perdent leur éclat à condition que les vieillards se cachent sous les herbes escargots des pendules
Si l’amour naît de la projection d’une groseille dans le bec d’un cygne j’aime car le cygne de mon sang a mangé toutes les groseilles du monde car le monde n’est que groseilles et les groseilles du monde jaillissent de ses yeux comme le sel des arbres comme l’eau des mains sonores et comme les caresses des mouches de neige nageant le soir sur les cheveux défaits qui les implorent 2 Soleil route usée pierres frémissantes Une lance d’orage frappe le monde gelé C’est le jour des liquides qui frisent des liquides aux oreilles de soupçon dont la présence se cache sous le mystère des triangles Mais voici que le monde cesse d’être gelé et que l’orage aux yeux de paon glisse sous lui comme un serpent qui dort sa queue dans son oreille parce que tout est noir les rues molles comme des gants les gares aux gestes de miroir les canaux dont les berges tentent vainement de saluer les nuages et le sable le sable qui est gelé comme une pompe et projette au loin ses tentacules de cristal Tous ses tentacules n’arriveront jamais à transformer le ciel en mains Car le ciel s’ouvre comme une huître et les mains ne savent que se fermer sur les poutres des mers qui salissent les regards bleus des squales voyageurs parfumés voyageurs sans secousses qui contournent éternellement les sifflements avertisseurs des saules des grands saules de piment qui tombent sur la terre comme des plumes
Si quelque jour la terre cesse d’être un saule les grands marécages de sang et de verre sentiront leur ventre se gonfler et crier Orties Orties Jetez les orties dans le gosier du nègre borgne comme seuls savent l’être les nègres et le nègre deviendra ortie et soutane son œil perdu cependant qu’une longue barre de cuivre se dressera comme une flamme si loin si haut que les orties ne seront plus ses enfants mais les soubresauts fatals d’un grand corps d’écume salué par les mille crochets des eaux bouillantes que lance le pain blanc ce pain si blanc qu’à côté de lui le noir est blanc et que les roches amères dévorent lentement les chevilles des danseuses d’acajou mais les orties ô mosaïque les orties demain auront des oreilles d’âne et des pieds de neige et elles seront si blanches que le pain le plus blanc s’oubliera dans leurs dédales Ses cris retentiront dans les mille tunnels d’agate du matin et le paysage chantera Un Deux Trois Quatre Deux Trois Un Quatre les corbeaux ont des lueurs d’église et se noient tous les soirs dans les égouts de dieu Mais taisez-vous tas de pain le paysage lève ses grands bras de plume et les plumes s’envolent et couvrent la queue des collines et voici que l’oiseau des collines se retrouve dans la cage de l’eau Mais plumes arrêtez-vous car le paysage n’est presque plus qu’une courte paille que tu tires C’est donc toi fille aux seins de soleil qui seras le paysage l’hypnotique paysage le dramatique paysage l’affreux paysage le glacial paysage l’absurde paysage blanc qui s’en va comme un chien battu se nicher dans les boîtes à lettres des grandes villes sous les chapeaux des vents sous les oranges des brumes sous les lumières meurtries sous les pas hésitants et sonores des fous sous les rails brillants des femmes qui suivent de loin les feux follets des grands hérons du jour et de la nuit les grands hérons aux lèvres de sel éternels et cruels éternels et blancs cruels et blancs
3 J’existe sous sceau des vignes et les naseaux fumants du céleste empire rôdent autour des fleurs fanées car ici tout dort et le sommeil de l’air est propice à la naissance des montagnes La plus légère brise suffirait pour qu’elles apparaissent dans le creux de ma main accompagnées de tous leurs attributs le sternum de verre que polit le soleil des caves le diable des pianos qui rugit comme une chevelure coupée et les quatorze lueurs ovales du ventre marin dont la présence n’est désirable que le matin lorsque les herbes recouvrent la raison et chantent Sais-tu d’où vient l’aluminium Sais-tu le pays des grands os pâles qui baignent dans les fleuves de mercure Sais-tu le pays des démons tournant autour d’un cornet de papier L’orifice du cornet est plein de lumières et de lentilles Mais Esaü Esaü lève la tête et montre tes cornes semblables à une invasion Esaü tu es le cornet et les lentilles et tu seras ainsi jusqu’à ce que les surfaces lisses sentent apparaître les premières rugosités qui présagent la naissance de l’alcool de cet alcool qui s’ouvre chaque jour comme un compas dont les deux pointes tournées vers nous marquent le la J’existe sous le sceau des vignes que suscite mon sang car mon sang ce soir ce soir comme toujours n’est ni moins ni plus beau que le plus brutal hasard celui qui provoque la rencontre dans l’escalier des bouteilles d’une orange et d’un porte-monnaie Une orange et un porte-monnaie C’est aussi la rencontre au moment où le flux devient reflux d’une corde à nœuds et d’un pendu tous deux se regardent avec des yeux d’horizon et l’horizon rit Tous se lèvent la corde sur un nœud et le pendu sur la tête Et la corde dit au pendu O toi échappé de mes nœuds que me veux-tu toi qui as suivi mille fois les regards des décapités dont le sourire défie les pierres scintillantes et appelle le ronflement des jets d’abeille O toi qui descends des pailles tressées en forme de tulipe et retournes à la tulipe qui n’est pas encore paille O toi le fer et la plaie l’œil et le monocle toi qui as fait la corde et les nœuds pourquoi m’as-tu quittée
Mais le pendu chantait Le roi et la reine ont des pattes de moustique et le dauphin de moustiquaire Le roi et la reine ont un violon mais leur violon est aussi une méduse une méduse qui ne sera jamais un radeau car le roi et la reine ont perdu leur regard dans le corps de la méduse Mais la méduse s’enfuit comme un reflet et garde le roi et la reine qui dorment quelque part sous une plante de silex Dauphin ne les réveille pas avec ton marteau qui frappe sur le silex L’étincelle ferait fuir la méduse et la méduse garderait leur regard leur regard de la leur regard de Neptune
4 Nue nue comme ma maîtresse la lumière descend le long de mes os et les scies du temps grincent leur chanson de charbon car le charbon chante aujourd’hui le charbon chante comme un liquide d’amour un liquide aux mouvements de volume un liquide de désespoir Ah que le charbon est beau sur les routes tournesol tournesol et carré si je t’aime c’est que le sol est carré et le temps aussi et cependant je ne ferai jamais le tour du temps car le temps tourne comme à la roulette la boule qui regarde dans la mosaïque des forêts Cerveaux et miroirs roulez Car le charbon a la tête d’un dieu et les dieux ô cerises les dieux aujourd’hui plantent des épingles dans le cou des zouaves et les zouaves n’ont plus de moustaches parce qu’elles accompagnent les jets d’eau dans la course de l’avoine l’avoine cirée lancée le long des vents à la poursuite des marées Marées de mes erreurs où mîtes-vous nos vents car vos vents sont aussi des marées ô mon amie vous qui êtes ma marée mon flux et mon reflux vous qui descendez et montez comme le dégel vous qui n’avez de sortie que dans la chute des feuilles et ne songez point à vous échapper car s’échapper c’est bon pour une flèche et les flèches qui s’échappent ont frôlé tous les soupirs mais vous qui êtes dans l’eau comme un remous belle comme un trou dans une vitre belle comme la rencontre imprévue d’une cataracte et d’une bouteille
La cataracte vous regarde belle de bouteille la cataracte gronde parce que vous êtes belle bouteille parce que vous lui souriez et qu’elle regrette d’être cataracte parce que le ciel est vêtu pauvrement à cause de vous dont la nudité reflète des miroirs vous dont le regard tue les vents malades Mon amie ma fièvre et mes veines je vous attends dans le cercle le plus caché des pierres et malgré la lance du dramatique navire vous serez près de moi qui ne suis qu’un point noir Et je vous attends avec le sel des spectres dans les reflets des eaux volages dans les malheurs des acacias dans le silence des fentes précieuses entre toutes parce qu’elles vous ont souri comme sourient les nuages aux miracles comme sourient les liquides aux enfants comme sourient les traits aux points
5 À quoi bon les germes des astres dans le sillage des végétations obscures À quoi bon les mains d’écume sur le versant des collines À quoi bon la vase devant la nuit À quoi bon le soleil mousseux près de moi À quoi bon l’invisible mirage des roches À quoi bon les animaux du jour si la nuit roule perpétuellement sur la pente du poison et si le tonnerre des sables s’évapore comme la goutte d’eau des images cette goutte d’amour que nul ne recueillit jamais car elle s’évapore trop vite si vite qu’elle n’est jamais que vapeur Et si cette vapeur s’échappait des yeux vivants de la tempête mais la tempête ment comme une soupe A quoi bon À quoi bon te lever sur le pied droit puisque le pied gauche t’attend Comme la lune attend les torpilleurs qu’elle ne rejoindra jamais Ah torpilleur à quoi bon À quoi bon torpilleur votre cauchemar d’éponge puisqu’il restera cauchemar comme l’eau reste vent et le vent éponge À quoi bon puisque tout n’est qu’eau et vent comme vous et vos cauchemars À quoi bon mon torpilleur et mon cauchemar se confondent dans une goutte d’eau qui tombe perpétuellement sous mon crâne et jamais ne fera ni un lac ni un ruisseau car c’est l’inverse que je vois Les crocodiles se promènent comme des reines et les reines vivent avec les taupes A quoi bon les saluts des interstices qui séparent la chair des arbres si les arbres s’effondrent dans l’océan des talons comme s’effondrent mes yeux au passage de midi À quoi bon les poussières des hauteurs et le frôlement voluptueux des lignes lumineuses sur des jambes d’azote À quoi bon le passage d’un point à un autre À quoi bon les lignes de la main et le charbon qu’elles cachent À quoi bon l’enfance des os À quoi bon les lueurs qui disparaissent à l’horizon À quoi bon mon amour dans une corne gelée À quoi bon la corne gelée qui ne se renversera jamais sur mon amour car il est autour de la corne comme les pierres autour de la maison |
© Mélusine 2011 |
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