Benjamin Péret

Des cris étouffés, 1957

 

Celui qui du haut de la falaise siffle en ourlet de vague à

l’autre qui lui répond par une branche morte croulant

sous le poids des orchidées

Celui qui abrite ses yeux sous un nuage de pluie à cinq

branches pour mieux voir s’enfuir une ombre entre les

hautes fougères qui répètent dans le vent un hymne de

spores

Celui qui d’une oreille en brise écoute dans le dernier reflet

du jour une femme fredonner une chanson de

gouttelettes qui retournent dans le sein de leur mère

Celui qui souffre d’une blessure en croissant de lune au front

du jour

Celui qui gémit du passage à reculons du bleu de ciel entre

des racines de cathédrales sans dieu

Celui qui entend tous les génies du monde discuter dans un

cône mort et leur apporter son avis

Celui qui rit comme un pré fleuri tandis que les martins-pêcheurs

montent une garde en explosions

Celui qui répond par je t’aime au chant ensoleillé des ailes

froissant la verdure qui tète

Celui qui dit je t’aime à la première nacre du soleil

répondant à un cœur né de la fonte des neiges

Celui qui du plein midi sut extraire le bruissement inconnu

des soudaines métamorphoses et faillit rendre à la

mousse tout ce qui d’elle avait jailli

Celui qui d’un dieu inerte sut obtenir un autre jour de vie

Celui qui fécondant l’erreur des miettes perdues inventa

l’avenir et les regards mimant sans le savoir les feux qui

s’éteignent

Celui qui rendait au bois mort le chêne qui l’avait abrité afin

de conquérir son sang et de le semer d’accord avec les

quatre couleurs

Celui qui regardant le doigt du jour l’accuser au sortir de la

boutique comprit qu’il reflétait toutes ses graines prêtes

à germer

Celui qui se sentit menacé par le marteau de la lune à cause de

la blessure intermittente de sa compagne et s’étendit très

loin dans le ventre de sa mère en allumant des yeux morts

Celui qui entre deux bonds de saumon vit apparaître son

premier cheveu blanc

Celui qui des gouttes de rosée filées par les ailes de l’aurore

sur le rouet des arbres en fleurs sut tisser le bas de la

femme aimée

Celui qui derrière la poussière décrivant son destin galopa

à la conquête des dieux qu’elle dissimulait

Celui qui d’un signe permit les grimaces d’un singe ou la

mort d’un cygne

Celui qui à la mort des grands bois partit pour voir de quel

côté du spectre solaire se lèverait le prochain jour

Celui qui fit rafraîchir par l’air du large le mollusque invisible

d’autrui

Celui qui par la brise aidée d’un signe bénéfique transporta

au-delà des déserts les premières étincelles des soleils

sans fin

Celui qui de cent bras croisés anima une plate effigie et tous

les autres qui dansaient dans l’eau claire comme des

soupirs

qui dessinaient des signes cachés par la nuit dans les

feuilles des arbres que l’humus n’enfantait pas encore

qui travaillaient leurs désirs dans les vagues en lutte

incessante et vaine pour la domination des eaux

qui murmuraient des mots insensés en lançant aux quatre

horizons les lueurs savantes des volcans révoltés et

l’espoir des grands sourires éveillant les sens l’âme et

jusqu’aux pierres éclatées

Tous et tant d’autres qui n’avaient qu’un jour

Qu’un feu d’artifice dissolvant un nuage de pluie

une vie de capucine qui aspire à l’éternité

un chant de pierre qu’on polit pour le rayon de soleil d’un

jour unique

Tous se sont rassemblés sous la cupule d’un gland grande

comme une planète perdue

et s’embrassant et s’entre-déchirant ont allumé un soleil qu’ils

ne voient pas

© Mélusine 2011
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