Benjamin Péret

La denière nuit du condamné à mort, (s.d.)

écrit vraissemblablement en 1924 d'après Le Gigot, et paru dans La Révolution Surréaliste n°7, 15 juin 1926

 

La derniÈre nuit du condamnÉ à mort

– Le temps de mettre mes cheveux et je suis à vous.

C’était moi qui parlais et j’étais juché sur une des plus hautes branches d’un châtaignier centenaire. Il pleuvait beaucoup. Des enfants jouaient au pied de l’arbre. A l’intérieur du tronc qui était creux et ne tenait guère que par l’écorce, une poule pondait continuellement des oeufs qu’elle brisait, séance tenante, à coups de bec.

Mon interlocuteur, un jeune fermier des environs, enlevait son bouc et le mettait dans sa poche quand il était fatigué, le soir surtout, en fumant une grosse pipe de verre bleu, laquelle n’était autre qu’un isolateur évidé et muni d’un tuyau de roseau.

Je descendis de mon arbre et, prenant mon ami par le bras, je partis à la chasse, quoique à cette époque de l’année, les règlements en vigueur ne le permissent point.

….

A ce moment, la porte de ma cellule s’ouvrit avec fracas et un enfant de huit ans traînant une petite chèvre entièrement noire entra, précédant une foule de gens que je ne connaissais pas. Parmi eux se trouvait mon défenseur. Il tenait une paire de bretelles qu’il fixait obstinément et ses lèvres remuaient, prononçant des paroles que je n’entendais point. « Bonjour, Papa » fit l’enfant et il poussa la chèvre sous le lit.

L’un des hommes qui m’étaient inconnus s’approcha de moi et me dit :

– Benjamin Péret, vous savez ce qui se passe.

MOI. – Non.

LUI. – Ecrivez ce que vous voudrez.

MOI. – Je n’ai pas à écrire.

LUI. – Bien, habillez-vous.

Je m’habillai, me rasai avec soin, débranchai par habitude mon ampoule électrique, lus quelques versets de la Bible et un chapitre des « Onze mille verges » et annonçai que j’étais prêt.

En route, la conversation ne languit point. J’entretins mon défenseur de mes projets. Sitôt sorti de prison je comptais reprendre ma profession que je considérais comme la plus belle de toutes. Je me proposais de violer et d’assassiner ensuite avec des procédés de torture inédits, une jeune fille que j’avais rencontrée un jour sur une route aux environs d’Epinal et que j’avais suivie jusqu’à son domicile non sans lui déclarer qu’elle était la plus belle de toutes et que si elle me laissait l’aimer, je serais infiniment heureux. Elle sourit un peu et me donna un petit oiseau qui n’avait qu’une patte. Je le gardai longtemps. Il vivait dans la poche de mon veston ; tenez, là.

Mon défenseur était un homme charmant qui comprenait la vie et à mesure que je parlais je le sentais gagné à mes idées, à mes ambitions. Tuer, n’est-ce pas le plaisir le plus délicat qui soit donné à l’homme.

– Tenez, lui disais-je, quand je me sens un poignard long et effilé en main et que ce poignard plonge dans la poitrine d’une fillette ou à travers la face d’un de ces hommes qui, le soir, en bras de chemise, lisent le journal à leur fenêtre…

Je sentais que cette vie le tentait et il m’eût été agréable que cet homme qui m’avait défendu aux assises avec tant de talent continuât avec moi l’oeuvre que j’avais entreprise : La généralisation du crime.

Pour ce, je développais les arguments qui me semblaient les plus favorables à ma thèse et quand nous arrivâmes dans la cour de la prison après un temps qui me parut, ou très court ou très long (il est si difficile d’apprécier le temps), il était tout disposé à assassiner un des personnages qui nous accompagnaient, afin, disait-il, de nous enfuir à la faveur du désarroi que causerait son geste.

Arrivé dans la cour de la prison, je vis la guillotine et me trouvai, sans transition aucune, dans un état d’excitation sexuelle surprenant. Je crois que si j’en avais eu la possibilité, j’aurais pu aimer successivement une quinzaine de femmes. Néanmoins je me dominai et m’adressant à M. Deibler, je lui demandai la permission de m’entretenir un instant avec le gardien-chef de la prison.

Je dis à ce brave homme, combien j’étais attristé de le quitter et quel souvenir agréable je conservais des relations amicales qui s’étaient établies entre nous. Pour lui prouver ma sympathie, je lui déclarai que j’allais semer dans la cour de la prison, du côté le plus exposé au soleil, un noyau de cerise et lui fis promettre d’apporter tous ses soins à sa culture. Quand il m’eut fait cette promesse, je lui représentai combien il m’était doux de penser que dans quelques années, alors que le noyau serait devenu un arbre, il recueillerait des fruits délicieux. Je lui demandai seulement d’en donner une poignée à ceux qui viendraient, comme moi, expier leurs crimes, encore que je ne jugeasse point que mes crimes méritaient un châtiment quelconque. Mon défenseur m’approuvait – Cher ami -.

Ce fut au tour de l’abbé de me dire que je ne devais pas mourir avant d’avoir demandé à Dieu pardon de mes fautes. Cette fois, je me mis en colère et, haussant les épaules, je lui dis rudement que je n’avais aucune faute à me faire pardonner. Il fit un signe de croix précipité et se mit à dire son chapelet en silence, ce qui me gênait beaucoup.

M. Deibler s’avança vers moi et, avec une politesse qui me toucha beaucoup, me demanda si j’étais prêt. Sur ma réponse affirmative, il me fit la toilette habituelle du condamné à mort. L’opération terminée, je m’avançai, soutenu par M. Deibler et mon défenseur, vers la guillotine près de laquelle se tenaient les aides. Tous trois nous chantions le Die Wacht am Rhein. Au loin un piano mécanique tordait la 5e symphonie de Beethoven.

Au moment de passer sur la bascule je demandai à téléphoner.

– A qui ? me dit M. Deibler.

– N’importe, lui dis-je, je veux simplement téléphoner.

Il ne voulut pas me refuser. Je demandai un numéro. C’était celui d’un amiral, qui, sans me laisser le temps de parler, m’annonça qu’il allait quitter Paris pour se rendre à bord de son navire. Il devait prendre part à des manœuvres navales dans la Méditerranée. Je raccrochai l’appareil. On me jeta sur la bascule. Je me trouvai dans le même état d’excitation sexuelle que lorsque la guillotine m’était apparue. M. Deibler s’en aperçut et enjoignit à un de ses aides de me satisfaire.

– Puisqu’il va mourir et qu’il n’y a pas de femmes ici, disait-il, vous pouvez bien le satisfaire.

Jamais de ma vie jouissance n’avait été aussi complète ; il est vrai que j’allais mourir. Effectivement, quelques minutes après, le couperet de la guillotine tombait sur ma tête. Justice était faite, comme on dit…

 

© Mélusine 2011
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