Benjamin Péret

De Derrière les fagots,1934

 

QUATRE A QUATRE

Meurtrie par les grandes grues électriques

la patte de mouche voyage cependant dans mon œil comme

nul explorateur

Qu’il pleuve des sardines

ou vente à en tire-bouchonner le Mont Blanc

elle voyage sans se laisser arrêter par la tentation des

parapluies fermés

vieux sabres de panoplies

qui ne savent plus que se moucher et éternuer

Se moucher et éternuer

en voilà une vie que n’envieraient pas les carottes à la

sauce blanche

ni l’herbe qui pousse entre les pavés bordés de dentellières

sournoises comme un œil derrière un lorgnon

comme un signal de chemin de fer qui passe du rouge au

vert

sans plus crier gare

qu’un jardin public où se cache un satyre

Mais la patte de mouche ne demande rien à personne

car les professeurs ne craignent que les escaliers branlants

où le gaz réussit parfois à tuer son ennemi le rat

à coups de pierres comme un flic chassé à courre

et les étoiles qui effraient les poissons rouges

ne sont ni à vendre ni à louer

car à vrai dire ce ne sont pas des étoiles mais des tartes aux

abricots

qui ont quitté la boutique du pâtissier

et errent comme un voyageur qui a perdu son train à minuit

dans une ville déserte aux becs de gaz geignant à cause

de leurs vitres cassées

Même si le voyageur rencontre une femme nue marchant

sur le bord du trottoir

parce qu’entre les maisons et elle passe un troupeau

silencieux

de crocodiles épouvantés par le feu de leurs pipes

et cherchant une église avec un large bénitier

même si le voyageur rencontre cette jeune femme

il n’évitera pas l’incendie d’un magasin de confections

d’où s’enfuiront des milliers de puces qui seront tenues pour

responsables du désastre

mais si le magasin brûle comme une lampe Pigeon

le voyageur se sentira consolé

et attendra

paisiblement

bêtement

amoureusement

courageusement

tristement

ou paresseusement

que sa barbe pousse pour se raser

et se fera une large entaille près de l’oreille

par où sortira prudent et inquiet

un petit lézard de verre

qui ne réussira jamais à retrouver le nombril de son maître

et se perdra dans la cheminée

où l’attendent pour lui faire un mauvais parti

l’épingle à cheveux l’épingle à chapeau l’épingle de cravate

l’épingle de nourrice

et cette brute de saladier écorné

qui serre déjà les poings

 

BRAVES GENS

À René Char

La querelle entre la poule au pot et le ventriloque

nous a valu un nuage de poussière

qui est passé au-dessus de la ville

en sonnant de la trompette

Il sonnait si fort que son chapeau melon tremblait

et que sa barbe se redressait

pour lui mordre le nez

Il sonnait si fort

que son nez s’est ouvert comme une noix

et que la noix a craché

bien loin

une petite étable

où le plus jeune veau

débitait le lait de sa mère

dans des bouteilles en peau de saucisson

vulcanisées par son père

 

UN DE PLUS UN DE MOINS

Mille parapluies et mille bouteilles de Pippermint

se battant autour d’un alambic

engendrent plus ou moins fatalement une avalanche de

pelotes d’épingles

qui piquent rageusement les ponts et chaussées

endormis dans les champs d’asperges

Et les asperges irritées se réveillent de leur léthargie

séculaire

et les champs écœurés cachent leur visage dans un mouchoir

à vitraux

Ainsi commence la nouvelle vie des peupliers bordant

les routes

où ne passent qu’à la tombée des marteaux

les porcelaines recherchées par les amateurs agités sur leur

chaise de poulailler

Ils voudraient bien se reposer dans un fauteuil électrique

et gémir sur la dureté des temps

mais les temps sont mous

et les peupliers ont beau traverser les rues entre des

gendarmes

les gendarmes hélas ne sont pas encore pendus

car le vent n’arrive ni à décorner les bœufs

ni à hausser les montagnes de la hauteur du talon d’un

soulier de femme

C’est que les aiguilles des montres

ont entrepris un grand voyage à travers la mécanique

et ont fini par épouser en justes noces le ressort à boudin

qui leur faisait de l’œil depuis si longtemps

TOURNEZ A GAUCHE

Tandis que le rocher surplombant la mer

admirait sa mâle prestance

et se disait

qu’il lui serait facile d’écraser quelques douzaines de crabes

le pain à cacheter

cachetait

plombait

à faire envie à une baignoire

qui n’a rien à espérer de son ennemi le chauffe-bains

et avec un faible effort d’imagination

se croit une chute d’eau

et se dit que si les arbres perdent leurs feuilles

elle pourrait fort bien mourir de soif

et les champignons volants

qui décrivent de si parfaites paraboles

par-dessus les points de suspension des taupes

se demandent si cette aventure va bientôt finir

s’ils vont bientôt retrouver leurs pantoufles

et empêcher les vignes de dormir dans les poêles à frire

ce qui révolte les pommes de terre

pourtant si calmes

et si inoffensives

qu’elles s’écrasent quand on les laisse tomber sur un crâne

chauve ou non

mais susceptible de devenir un billard japonais

 

TÊTE A GIFLE

Ah que les os sont maigres par temps de pluie

quand les pépinières de nez grecs

retentissent du cri strident des œufs rouges

qui parfois pleurent des larmes de biftecks

parfumés comme une bête de somme

quand les pommes demandent justice

et quand les lorgnons crèvent les yeux des ministres

de la troisième république

où les princes se cachent comme des pots ébréchés

dans des recoins d’armoires

avec les nouveau-nés de la bonne

qui ne veut pas être renvoyée

 

Ah que les os sont gras

quand les lampions de feutre

bâillent comme des haricots

quand les nombrils se font tailler la barbe

et les cheveux

chez le tondeur du quartier

qui n’a jamais vu de pareils caniches

si bien dressés à avaler le sucre

comme des aveugles au coin d’un quai

des bicyclettes dans un cimetière

ou des musiciens dans un égout

 A DEMAIN

Que meure le blé noir si les dents du moineau

n’attirent pas les alouettes

si les lumières du vin blanc n’obscurcissent pas les miroirs

anciens

si les lacets de souliers ne guident pas les papillons

le soir

quand la pluie tombe comme un pendu

dont la corde s’est rompue

parce que le voisin se battait avec sa femme

à cause d’une horloge qui s’obstine à rire avant de sonner

pour signifier à ses propriétaires que le monde est renversé

que les sources demain chasseront les hommes à courre

montées sur des mouches des punaises ou des microbes

de jolis microbes en forme de baromètres

et qui feront couic couic à chaque pas

à cause de leurs chaussures crevées par leurs enfants

il n’en fera ni plus ni moins chaud

mais il pleuvra des miettes de pain

dont tu te frotteras les fesses

comme les lapins se frottent les fesses sur des Citroën

avec lesquelles on ferait du si bon bouillon

pour les curés et les généraux

qui demain couleront

oubliés dans un tiroir avec des hosties

tueuses de rats

et des petits balais qui crieront

À nous les généraux empoisonnés

À nous l’odeur de ministre

que les chiens flairent au coin des rues

Mais ceci ne résout pas le problème

des communications directes de la place Blanche

avec la rue Trousse-Nonnains

Il ne sera résolu que lorsque les haricots verts

abandonnant leur tige avec colère

se rendront d’eux-mêmes à la casserole

qui les attendra le sourire aux lèvres

se frottant les mains avec un culot de pipe

ayant appartenu à Platon ou à Archimède

Et d’ici là nous verrons un grand nombre de sabots

se briser sur le vieux crâne sale du soldat inconnu

et lui dire

Tu sens le bouc hé morpion

 

RENDRE L’ÂME

Plonger dans le pain rassis

voilà ce qui attend les pierres plates

grognant à l’approche des camions de fer-blanc

car les moules vernies pour les expositions universelles

meurent d’ennui avant l’inauguration

et leur âme céleste fait éternuer les sénateurs

dont la barbe masque une jeune fille violée

Demain après-demain dans huit jours peut-être

les bruits de plaques d’égouts sautant sur la gueule des flics

tailleront dans le ciel autant de bleu qu’il en faut pour

la tête de la plus jolie femme du monde

et le pac pac n’empêchera pas les petits oiseaux de dormir

Le monde sera plus grand qu’une boîte plus grande depuis

qu’elle est vide

et toutes les exécutions du monde n’arriveront pas à la

remplir

Il faudra une petite pluie fine

une poudre d’or qu’on ne ramassera pas

pour rafraîchir les visages en sueur qui n’auront rien perdu

de leur fatigue

mais où le perce-neige accostera les passantes nues

 

À CELA PRÈS

Quelques petites pierres rectangulaires

se sont donné rendez-vous sur la langue d’un pompier

qui pour cela se croit un chêne

autant dire le père d’un troupeau de cochons

Mais le monde est si petit qu’un moustique y étoufferait

et la moindre goutte de rosée éprouve le besoin

de donner de grands coups de pied dans tous les sens

comme la moutarde

C’est ainsi que le chapeau melon graisseux comme il

convient

s’est réveillé un beau matin sur une tête de pierre

qui se grattait les dents avec un chien empaillé

Mais quel chien

On aurait dit une lanterne vénitienne

demandant l’aumône à un chef de gare

une brouette appelant Pascal à la rescousse

un tremblement de terre hésitant entre Naples et Tokio

ou entre le premier et le cinquième étage

Et le verre blanc des bouteilles n’acceptait plus que le

contact du vin rouge

à cause de la fièvre jaune qui soufflait dans ses doigts

un air à faire se dresser les cheveux de pierre

des navires en perdition à l’entrée d’un port

Mais le port a vu passer cette semaine un vent de sciure

de bois

qui a rongé portes et fenêtres

et en a fait de gros volumes destinés aux loisirs des

académiciens

qui ne voyagent qu’en petite vitesse

O vieille mousse des mâchoires d’âne

qu’on ne rencontre plus que dans les commodes Louis XVI

 

AU BOUT DU MONDE

Quand les charbons enflammés s’enfuient comme des lions

apeurés au fond de la mine

les oiseaux de farine

se traînent comme des timbres-poste sur des lettres

retournées à l’envoyeur

et les escaliers branlants

bêtes comme des saucisses dont la choucroute a déjà été

mangée

attendent qu’il fasse jour

que les pommes soient mûres

pour appeler le cheval de fiacre

qui joue à cache-cache avec son fiacre

et le détruira

avant que les orteils des concierges deviennent des rails

de chemin de fer

 

CHASSE À COURRE

 Je m’étonne de l’orthographe de fois

qui ressemble tant à un champignon

roulé dans la farine

Il n’a pas les mains blanches parce qu’il est nègre

Son nez est une boussole

qui se retourne vers le centre

où il fait chaud

C’est le creux de ma main

Il crache sur le soleil qui a froid

et veut me voler mon pardessus

qui n’a rien à se mettre sous la dent

 

NUITS BLANCHES

Passée la caisse de camemberts

le petit hanneton s’est perdu dans le désert

où le jambon a failli mourir de faim

Il court à droite et à gauche

mais à droite et à gauche il ne voit que des tomates blanchies

à la chaux

Il regarde au-dessus de lui et voit un portemanteau

qui se moque de lui

O portemanteau verni ciré par les homards

aie pitié d’un petit hanneton qui tire la langue

parce qu’il ne peut pas tirer à coups de fusil sur les

chaussettes

qui lui feraient un si bon dîner

Aie pitié d’un petit hanneton qui joue de la flûte

pour essayer de te charmer

car il a cru que tu étais un serpent

Que n’étais-tu un serpent à sonnettes ou lunettes

le hanneton n’aurait pas rongé sa flûte

dans son désespoir

et n’aurait pas attendu la mort

derrière une cravate

Et la mort ne serait pas venue

comme un râtelier de cristal

et la mort ne l’aurait pas ramassé

comme un mégot

ÇA CONTINUE

La vieille valise la chaussette et l’endive

se sont donné rendez-vous entre deux brins d’herbe

croissant sur un autel habité par des tripes

Il en est résulté la création d’une banque hypothécaire

qui prête des oignons pour recevoir des fauteuils

Et le monde continue

Un petit tas de sable par ci

un ressort abandonné par là

Une oreille en moins se retrouve

barbe poisseuse

dans un salon Louis XV

Et le chiendent aide la chienne de vie

qui lèche des culs et marche sur des pieds

Et nous n’en finirions pas s’il nous fallait parler

de tous les boutons de porte vomissant quand la main les

empoigne

de tous les escaliers qui se bouchent le nez

à cause du macchabée des cravates

et des poissons rouges qui meurent de honte

et des pigeons qui refusent de se poser sur des nez

tombés depuis trop longtemps dans le ruisseau

où nul n’ose s’aventurer

parce que trop vieux ou trop jeune

ou parce qu’il va perdre son train

qui heureusement déraillera

DANS LE BLANC DES YEUX

La fenêtre s’ouvre et se ferme

comme une tempête dans un verre d’eau

qui proteste parce que la pluie refuse de le faire déborder

sous les yeux de la salade morte

dont le cœur est devenu depuis longtemps

un parapluie d’enfant

qu’on cache pour ne pas faire peur aux abeilles

dont l’essaim se nicherait avec plaisir

dans les profondeurs éternelles d’un os à moelle

J’en étais là de mon analyse spectrale

des reflets qui vont se cacher dans les oreilles des

militaires

quand

Mais je n’insiste pas

Le vert-de-gris a vraiment bonne mine ce soir

il est un peu ivre

et prendrait volontiers un bain

dans une brioche

Un vaste rire fait se tordre les boutons de ma braguette

On dirait une aigrette sous l’aisselle d’une jolie femme

amoureuse d’une pince à sucre

À MI-CHEMIN

Le vieux chien et la puce ataxique

se sont rencontrés sur le tombeau du soldat inconnu

Le vieux chien puait l’officier crevé

et la puce disait

Si ce n’est pas malheureux de s’accrocher des petites merdes

avec des rubans rouges

sur la poitrine

Jadis les poireaux pourris ne rougissaient pas d’être

pourris

les bouts de bois toussotant et crachotant

faisaient des corbillards très convenables

avec une odeur vénéneuse de champignons d’église

et la moustache ne servait qu’à balayer

Maintenant les sources de vieux poils jaillissent entre les

pavés

et tu les adores vieux général

car ils viennent du crâne d’un curé

qui n’a pas d’os

qui n’a pas d’yeux

et qui se regarde dissoudre dans un bénitier

 

DÉFENSE D’AFFICHER

Non jamais plus les os du vent n’effraieront les vieilles

horloges bâillant dans les boîtes à sardines

Non jamais plus les pieds de table ne prendront leurs

jambes à leur cou

pour imiter les mouches

Non jamais plus les dents cassées ne feront de musique

Non jamais plus les miches de pain ne se promèneront nues

Non jamais plus les courants d’air ne donneront d’ordre

aux statues de sel

Non jamais plus la barre d’appui ne sera un indicateur de

chemin de fer

Non jamais plus la moustache rasée ne repoussera au-dessus

de l’œil de mon voisin

Non jamais plus le bifteck ne sifflera son chien

Non jamais plus l’électricité de ma queue n’empêchera la

foudre de tomber

Non jamais plus le métro ne demandera A boire par pitié

Non jamais plus les noyaux de cerises ne voleront de

pissotières

car le moindre grain de poussière la puce qui cherche les

oreilles oubliées dans les taxis

les œufs durs qui savent si bien espionner par les trous de

serrures

et ce qui reste de la muraille de Chine

sont là pour veiller aux traditions

 

et faire respecter les premières fraises

qui se regardent dans tous les miroirs

et seraient si heureuses de voir un veau pendu à l’étal

se jeter sur le boucher

et courir après sa peau qui serait si usée

qu’il verrait son frère au travers

 

À UN MILLIMÈTRE PRÈS

Le pavé râpé comme une barbe mal faite

se perd en conjectures sur l’utilité du tournesol en mie de

pain

qui oscille comme une cheminée prête à tomber

sur une tête de général moisie comme un vieux robinet de

cuivre

un robinet savant

qui est devenu de cuivre pour que le bronze ne fasse plus

de statue de saindoux

et pour que le pain blanc limite la croissance des

moustaches

à juste ce qu’il faut d’eau pour noyer un regard

dans une poche de gilet

Ainsi la terre tourne comme une sauterelle autour d’un bec

de gaz

et le bec de gaz trépigne crie pleure injurie

le gaz

qui l’empêche de bâiller et de se tourner les pouces

comme un chêne au bord d’une route nationale

où passent deux par deux

des brouettes vides

qui ne demandent pas mieux que de transporter des

pince-nez

en charbon de bois

en pierre ponce

 

avec des petites assiettes plates

au derrière desquelles on verrait

mal peint en rouge

avec des taches bleues

qui voudraient figurer des larmes de crocodiles

un Poincaré jaune malgré tout

se grattant le foie

qui serait un trou dans la porcelaine

par lequel on verrait un petit lion

pissant sur la tête du même Poincaré

cinquante ans plus vieux

et dormant

comme seuls savent dormir les déchets de boucherie

qui voyagent lentement dans une diligence

traînés par de vieux caps si pelés

qu’on dirait une vieille reliure d’un très vieux livre

Ils passent dans un tunnel sans lumière

où l’on entend des bruits qui rappellent les grondements

effrayant les salades

qui fleurissent subitement au sommet des arcs de triomphe

croulants

et fuyant cependant à toutes jambes

écrasant les taxis

qui miaulent comme des brioches à qui l’on a marché sur

la queue

 

plongeant dans des rivières de purée de pomme de terre

au risque de se noyer et de faire couler

les magnifiques navires de manteaux de vison

qui passent comme des mains tendues

et s’appellent fleurs de pissenlit

 

UNE BOTTE DE CAROTTES

Sang sang et sang de la morue volante

Qu’il retombe sur les orteils du sage

qu’il recouvre les cascades

comme les fantômes

et que le sang le sang de la morue fraîche

inonde les vaches maigres

qui seront des pneus et éclateront

à la première piqûre de moustique

Et leurs échines seront labourées

si scientifiquement

que les paysans se tourneront les pouces

comme des obus

qui éclateront dans le sang le sang de la morue volante

et le projetteront de tous les côtés

comme une tignasse ébouriffée.

 

PARTI SANS LAISSER D’ADRESSE

Un petit chien s’endort sur un plat de rotin

et le rotin médite sur l’injustice du tribunal

qui condamne le rotin sans condamner les chiens

Mais ce tribunal se noie dans un plat de sauce

où il a voulu pêcher des orteils

qui ressemblaient à la pleine lune

et bâillaient comme un âne devant un chapeau melon

cependant que des cuisses de femme s’ouvraient et se

refermaient

comme une huître qui voudrait respirer la fraîcheur du

soir

sans montrer sa perle

qui boit comme un trou

et est toute la journée plus ivre qu’un manège de chevaux

de bois

Et si le tribunal se regarde dans le fond de son assiette

il voit un robinet ouvert

d’où s’échappe toute la récolte de petits pois de son hôte

qui meurt lentement comme un champignon dans une

chaudière

où les cheveux des uns tombent pendant que ceux des autres

poussent

ce qui fait hennir les chevaux galopant sur la route

au-devant d’un tombereau de betteraves

qui jouent au piquet

en attendant d’être admises dans l’intimité du sucre

ce voyou qui fait mourir le café à petit feu

comme on brûle la plante des pieds d’un général

pour l’obliger à manger ses bottes

sans boire une seule goutte d’eau

qui pourrait être une citrouille trop mûre

ou un chapeau à plumes

ou une maison à loyers modérés

ou une nuée de sauterelles

ou une mine de plomb

qui n’est pas dans une musette

 

MILLE FOIS

À Elsie

Parmi les débris dorés de l’usine à gaz

tu trouveras une tablette de chocolat qui fuira à ton

approche

Si tu cours aussi vite qu’un tube d’aspirine

tu iras loin derrière le chocolat

qui bouleverse le paysage

à la manière d’un soulier percé

sur lequel on jette un manteau de voyage

pour ne pas effrayer les passants par le spectacle de cette

nudité

qui fait claquer des dents aux boîtes de poudre de riz

tomber les feuilles des arbres comme les cheminées

d’usine

Et le train passe sans s’arrêter devant une petite gare

parce qu’il n’a ni faim ni soif

parce qu’il pleut et qu’il n’a pas de parapluie

parce que les vaches ne sont pas encore rentrées

parce que la route n’est pas sûre et qu’il n’aime pas

rencontrer des ivrognes ou des voleurs ou des flics

Mais si les alouettes faisaient la queue à la porte des

cuisines

pour se faire rôtir

si l’eau refusait de couper le vin

et si j’avais cinq francs

Il y aurait du nouveau sous le soleil

il y aurait des pains à roulettes qui défonceraient les casernes

de gendarmerie

il y aurait des pépinières de barbe où les moineaux feraient

l’élevage des vers à soie

il y aurait dans le creux de ma main

un petit lampion froid

doré comme un oeuf sur le plat

et si léger que la semelle de mes chaussures s’envolerait

comme un faux nez

en sorte que le fond de la mer serait une cabine

téléphonique

d’où personne n’obtiendrait jamais aucune communication

 

MAL RASÉ

Un poulet se promène de long en large dans une tabatière

qui est une sépulture très convenable

pour une brosse à reluire

édentée comme un ministre de l’agriculture

et si faible

qu’on a envie de la pendre

comme un paquet d’oignons au bord du toit

pour chasser les hirondelles

qui sans cela viendraient nous aboyer aux chausses

pour nous faire regretter les omnibus à impériale

et la Jamaïque

qui dort au coin du feu et se demande pourquoi il n’y a

pas plus souvent

des catastrophes de chemin de fer

où des centaines de pèlerins se rendant à Lourdes

font une fois pour toutes rêver les vertueuses limaces

qui pourries depuis sept siècles

et déjà transformées en cheveux blancs ayant abandonné

le crâne d’un pauvre bougre

pour aller bayer aux corneilles

pensent à ce qu’il a pu advenir

de leur bouton de culotte

autrefois si bien peigné et si bien rasé

que même de près

on l’aurait pris pour un lavabo de porcelaine rose

rongé par les mites

et cependant prêt à entreprendre le tour de France

à pied

comme une pomme de terre frite

 

RUMINANT

 À André Breton

Le garçon ouvre son ventre comme son portefeuille

et les yeux au ciel qui reflète une chasse à courre

moyenâgeuse et un peu militaire

dans laquelle les pervenches montrent impudemment leurs

cuisses

comme les chutes d’eau leurs dessous vaporeux

de lumière électrique

que les abat-jour modernes n’arrivent pas à réduire

aux ridicules dimensions d’un pékinois

moustachu comme Hindenburg

le garçon dis-je

sort de son ventre une paire de ciseaux à ongles que son

père avait oubliée là

et me la prête

en regrettant les dimensions de mes oreilles

qui lui rappellent le lac de Genève

encore que la S.D.N. n’y soit représentée

que par un poil qui est le tunnel du Simplon

dans lequel les lapins russes

travaillent ardemment à faire une de ces magnifiques

avalanches

qui commencent blanches

pour finir rouges

comme un Vittel-fraise

 

PATTES DE MOUCHE

Un coup de vent entre les cuisses

déchaîne des colères folles

qui ravagent les champs de pierres

et font éclore trois ou quatre hannetons

Il y a des courants d’air

qui secouent les décorations

d’autres qui pissent dans les coins

Il y a les fenêtres qui ont mal au ventre

et d’autres qui mangent du pain moisi

Il y a des lumières qui percent les oreilles

et d’autres qui épilent les pédérastes

des chaises qui se battent comme des charretiers

des chapeaux de bois vert

des souliers de vin blanc

des mois de savon

et des coups de pied au cul

Je regarde passer les briques qui ont des bottes de sept

lieues

et j’attends que le plafond me tende la main

S’il ne le fait pas je le clouerai

sous la semelle d’une savate

qui aura bon pied bon œil

 

DORMIR DEBOUT

Quand les poissons sortent des yeux de la mariée

qui bave des hirondelles

le pain mie

mi-moisi mi-savon

se dilate

et sur cette corde à nœuds se suspend un petit perroquet

qui crie comme un disque de chemin de fer

Il braille même

mais s’il braille c’est que le télégraphe

a perdu au poker

cependant que sa femme recevait les hommages

d’un banc de harengs

Minuit ou une heure du matin

Les pilules Pink ont fini leur journée

et rentrent dans leur caverne

Quarante voleurs

C’est une chèvre qui a laissé tomber 40 crottes

de ce côté de la Seine

qui est un vieux pain sec

habité par les poux

Ainsi le matin lorsque la poussière fatiguée par une nuit

d’insomnie

s’étire en même temps que les lévriers des riches

les marronniers en fleurs soupirent après l’hiver

qui peut-être leur donnera une barbe illustre

ou un pendu qui lui aussi pourra être illustre

Peu importe

pourvu qu’il tire la langue

comme un cordon de sonnette qu’on arrache

à quatre épingles

 

LE BON VIEUX TEMPS

Variations de la lumière

dans un sabot de corne

 

Les nez en trompette jouent une marche funèbre

et les trèfles à quatre feuilles

annoncent le beau temps

qui a un cerveau d’enfant

et des pattes de canard

comme au temps des cerises

qui mangent du pain bénit

quand il neige

des œufs sur le plat

quand les pattes des mouches

marquent le pas

en fabriquant des fauteuils de jardin

Peine perdue

Le sable prêche à la porte des grands magasins

où les rubans se font flèches de premier ordre

où les escaliers luttent contre les coliques hépatiques

 

Les petits chiens iront bientôt faire la queue

à la porte des dentistes

qui n’en ont pas

 

SE LAVER LES MAINS

Il a donné sa vaisselle à laver au Gulf Stream

doré ses petits pains avec un rayon de soleil

et maintenant il se fait une ceinture

avec la queue qu’il a arrachée au diable

Tout cela lui vaudra la rencontre de la danse de Saint-Guy

au pied d’un escalier en colimaçon

qui fait la pluie et le beau temps

comme un petit oiseau sur le chapeau des braves gens

C’est pour cela que je n’ai pas de chapeau

C’est pour cela aussi que les poux

détestent les miroirs

que j’ai faits de mes yeux

comme la pluie et le cheval

ont fait le fer à cheval

Il n’y a guère que le papier mural des chambres d’hôtel

qui ne puisse pas en faire autant

Il est vrai que les temps sont durs

on dirait ma queue

et ne s’inquiètent pas des grains de sable

qu’on trouve si souvent dans le raisin

C’est un tort

car d’eux vient le désert du Sahara

et quelques autres

 

PONT DE FLANDRE

Bleu de Prusse

Le savon gras s’enfuit sur la rampe de l’escalier

et les écorces d’amandes amères

demandent du vin blanc

qui joue à cache-cache

avec la queue des porcs

qu’on rencontre tous les jours

dans les couloirs des hôtels

Ils ont des drapeaux des nombrils

et des cervelles de bière brune

avec des couvre-chefs de canards

qui attendent la fonte des neiges

pour crier As-tu vu la mariée

qui sent l’ail comme une vieille vache

parce que le pavé est gras

et les mains des sextants sentent le gras double

comme les serrures s’effraient de rester fermées

tous les jours

et le jour de Pâques principalement

parce que ce jour-là est une vieille momie

qui a mal aux dents et mâche du mica

Mais les gares couvertes de sucre

crachent sur les militaires

décorés de la croix de guerre

La pluie chassera tout cela

et le soleil le séchera

mais il restera sur le seuil de la chaumière

un râtelier à moitié dévoré

par le cheval du propriétaire

 

DU JOUR AU LENDEMAIN

Nuages atteints de la variole

et morts à la fleur de l’âge

qu’avez-vous fait des soubrettes

qui rient si bien dans les théâtres des boulevards

qu’avez-vous fait des crocodiles

égarés dans les bottes d’un gendarme

Le gendarme voulait manger ses bottes

mais ses bottes lui ont mordu la main

et il est devenu roi d’un petit pays

où l’on pêche le platine

avec un filet à papillons

Il finit par s’apprivoiser

le platine

il fait beau et le laid

boit du vinaigre

avale des grenouilles vivantes

et se bat les jours de marché

pour défendre son auto

qui tousse comme un sanatorium

et deux ou trois cimetières

Mais les vents sont contraires

parce que le temps est beau pour les fraises

qui ne se rasent pas tous les jours par paresse

 

C’est ainsi que surgissent les magasins de nouveautés

 

ÇA NE SERT A RIEN

Ah petits chiens petits chiens

Nagez dans l’encre

dans l’encre qu’on extrait du poil des grands chiens

à coups de sabot

à coups d’orange

comme une vache enragée

qui se pétrifie lentement sous les yeux

d’un marchand de tabac

Vous aurez beau porter des cravates

qui seront peut-être hors concours

les savates éculées traîneront au coin des rues

qui mènent aux terrains vagues

comme une légion d’honneur mène à l’égout

Le vent en aura une attaque d’apoplexie

et les pierres se lanceront d’elles-mêmes

sur les crânes ravagés par l’hiver et les inondations

pour après murmurer La Tour prends garde

aux pains d’épices qui se décomposent peu à peu

Prends garde à quoi

aux petites fleurs des champs

ou aux orteils que secoue un grand rire

le rire d’un melon qui s’ouvre

pour laisser fuir une douzaine de papillons

 

S’ENNUYER

À René Crevel

Quand les montagnes têtent les serpents qui les étouffent

et les bêtes de sang somment l’électricité

d’aller se faire pendre ailleurs

la poussière amalgamée sur les nouveau-nés

se fend de haut en bas

et sous la robe de soirée

apparaît le numéro gagnant

C’est un petit chien qui compte jusqu’à 18

et s’arrête en gémissant parce qu’il a avalé la queue du 9

si bien qu’aussi loin que se traînent ses regards

on découvre le désert d’un rayon bleu d’acier

qui flotte au-dessus d’une bouteille de champagne

riant à cause d’un naufrage

où tout un séminaire fut pendu par les pieds

pour éloigner les puces qui s’étaient converties à la faveur

de la tempête

Il pleut C’est vrai il pleut des fibres de palmier

qui s’enroulent autour des maisons bourgeoises

et les bourgeois sont les lamproies

dévorées par les nègres

qui depuis longtemps ont reconnu l’inexistence du Japon

qu’on dit perché quelque part sur un arbre mort

d’où le matin sortent de belles formes blanches

des femmes nues qui disparaissent ensuite

dans la respiration des dormeurs

Tout cela ne va pas sans une certaine stupeur

qui leur fait dire une fois réveillées

Tout tourne

Oui tout tourne jusqu’aux plus beaux yeux du monde

qui se vissent dans d’autres yeux

et y restent mais tournent parce que les fauves font le tour

de leur cage

C’est ainsi que le vent après avoir gonflé les tuiles des

toitures

s’asseoit tranquillement à l’ombre des grands arbres

et attend la détonation qui le réveillera

mais il arrive qu’en sa présence

deux automobiles se heurtent violemment

et projettent dans l’œil des flics un grand jet d’iode

qui en fait des morues

de vieilles morues catholiques si salées et desséchées

qu’il n’y a plus d’espoir

d’en faire autre chose qu’une paire de ciseaux qu’on jette

aux ordures

Ensuite vient le savon qui malgré sa coxalgie

court assez vite pour rattraper un cycliste

Ce n’est pas moi car je ne sais pas me servir de cette bête

qui miaule pour imiter les chats en rut

ce n’est pas moi mais un petit chien

qui a avalé la queue du 9

 

L’ESCALIER AUX CENT MARCHES

L’aigle bleu et le démon des steppes

dans le dernier fiacre de Berlin

Légitime défense

des âmes errantes

le moulin rouge à l’école des mendiants

attend l’étudiant pauvre

Avec la bonne Chasseurs sachez chasser

un jour de paie

Chasseurs sachez chasser

comme papa spécule

avec le sourire

Par l’épée par l’épée par l’épée

le tigre des mers rêve de bonheur

Vengé

La vestale du Gange s’écrie Vanité

quand la chair succombe

Arrêtez regardez écoutez

la fameuse dinde prend une journée de plaisir

en tournant dans le cercle enchanté

avec un cran de lion

M’sieur le major

Mon Paris

mon oncle d’Amérique

mon cœur et mes jambes

esclaves de la beauté

admirent les conquêtes de Nora

pendant qu’on demande une dactylo

pour le pirate noir

Non pas possible

qu’une femme en habit c’est la Veuve Joyeuse

devienne la proie du vent

parce que milliardaire Madame Sans-Gêne

dans la peau d’un autre

mène une course endiablée

Son fils avait raison

le patrouilleur 129 qui porte un chapeau de paille d’Italie

est l’as des jockeys

abandonne une petite aventurière

pour une femme

C’est Lune-Rousse qui chasse le buffle

à Notre-Dame de Paris

Ah quelle scie l’homme aux yeux clairs

indomptable

veut lui appliquer la loi du désert

mais les amants âmes d’enfants sont partis

Ah le beau voyage

 

UNE QUERELLE D’ALLEMAND

Bavardez dans l’oreille des sourds

et mettez les vôtres dans une valise

La valise pourra s’égarer dans une gare quelconque

mais vos oreilles trouveront le chemin du chef de gare

et ce sera une tragédie

car ce fonctionnaire ne verra pas d’oreilles

mais un navet se balançant sur sa tige

serpent de pot-au-feu

et pinçant le malheureux à la bedaine

Là le drame deviendra affreux

mais ceci est l’affaire de monsieur le ministre de la justice

qui s’est fait représenter dans la région

par le petit balai des cabinets

Le petit balai

ne manquera pas de se jeter à la tête du chef de gare

et de le barbouiller

Pouah dira-t-il

et il rendra son âme au chef des lampistes

qui ce soir-là allumera ses lampes

avec ses moustaches

 

MES SOURCES

Quand la pointe des seins rencontre le vent frais

et dit Bonjour

le nombril descend l’escalier

sans s’inquiéter de savoir s’il pleut

s’il y a plus de marches que de pieds

pour les descendre

La beauté des pattes de mouche

devient alors plus relative que celle des pattes de tortue

C’est parce que l’écaille

fait des siennes d’un bout de l’année à l’autre

et le soir le tour des boîtes de nuit

Je ne lui veux pas de mal

cependant le fil à coudre se souvient du pain

qui lui ferait du bien

et pleure

Ah si j’étais machine à battre

mais c’est lui qui est battu

À force d’être battu comme plâtre

le plâtre s’effrite

mais les graffitis restent

et ne se retiennent plus de dire

Merde on n’a pas fini de s’ennuyer

Et les rats ne s’arrêtent pas de grignoter

Attention ce n’est pas le maréchal

mais les braves rats qui véhiculent la peste

comme les chemins de fer

le plâtre

le papier d’Arménie qui réjouit les rats

et les bottes de sept lieues

 

Assez Assez les perroquets se cachent dans les serrures

pour singer les gens du monde

 

ANNIVERSAIRE

Les orteils tannés qu’on se suspend au nez comme des clous

de girofle

ne se faneront plus

car c’est fini de cultiver les orangers en pots

À quoi bon d’ailleurs

puisqu’ils fleurissent sous le couvercle des pianos

que la poussière n’arrive jamais à rajeunir

et puis un peu de neige au bout de l’oreille

oblige le soleil à se lever

Les pingouins se passent de soleil et de savon

Mais ils sont obligés de crier Papa Maman du matin au soir

et papa et maman

sont plus souvent qu’on ne pense

une aurore boréale

 

Ce distributeur automatique

qui pour deux sous donnait des coups de pied aux curés

a fait son temps

et se repose au bord d’une rivière

en pêchant à la ligne

La dentelle aussi

mais l’hiver seulement

alors que les escaliers à révolution

conduisent à la guillotine

et qu’on applaudit le jet d’eau

qui lance le plus loin les têtes coupées

Les enfants s’en emparent et jouent aux billes

C’est ainsi que j’ai vu l’année dernière

un enfant de dix ans qui avait eu de la chance

Il avait gagné tant de têtes

que ses oreilles entendaient la délicieuse musique des scies

qu’on fait vibrer

pour les mettre en colère

 

UNE NUIT COMME UNE AUTRE

Pince l’œil pour appeler le violon de beurre

et la mayonnaise chantera une chanson d’ivrogne

dans la cour des casernes

où poussent les fils du crottin

qui passent leur temps à se donner des airs d’eaux grasses

d’anthrax blanchi par les veilles

et suintent le gaz

qui est à la moutarde

ce que la moutarde est au crottin

Au mou de veau revient l’honneur

des chaussettes sales

qui font si bien peintes en trois couleurs

au bout d’un bâton

Le bâton est habitué depuis longtemps

à être employé à cet usage

et cependant il proteste

Parfois il aboie avec fureur

et les ferblanteries tressaillent

ce qui donne beaucoup de travail

aux conduites d’eau et d’égout

Il y a aussi des fleurs sur les murs

ou ailleurs

mais peu importe

ce qui compte c’est le papier sale

qu’on met dans sa poche parce qu’on ne sait pas

Les cochons petits ou grands n’en voudraient pas

mais ceux qui ont un ventre de noyé

s’en empiffrent

Il y a aussi des chemins de fer qui font un bruit de rêve

et sèment des arbres qui poussent avec des feuilles qui ne

jaunissent pas

pour emmerder ceux qui parlent de l’automne

avec des hoquets dans la voix

et des tremblements de terre entre les jambes

L’automne justement vient de crever dans son trou

et le géranium de la maison grogne après les abeilles

Ce n’est pas cela qui ressuscitera les abeilles et l’automne

mais la peste ne perd pas son temps

et court et se dépêche

Jamais elle n’ira assez vite

Il y a trop de gens à tuer

et puis après ceux-là il en vient d’autres

Quel travail

Et tout cela parce qu’il faut que tout le monde vive

que la mousse recouvre les yeux qui lancent des flammes

douces

et que le savon imite la terre

quand on souffle dessus

Je n’en finirais pas de parler de ce roi qui n’avait pas de

pantoufles

parce qu’il les avait mangées

à la sauce blanche

Qu’il sache seulement que son tour viendra

d’être mangé par quelques malles

Cependant ce roi a une collection d’éléphants

et les éléphants devront rêver pour lui

et les éléphants rêveront de meubles chinois avec des

incrustations de cyclones

Ce sera un cauchemar naturellement

et ils se réveilleront en disant

C’est la vie

Oui c’est la vie

C’est la vie qui fait des stalactites de papier argenté

dans le cerveau des comptables

et de papier de soie

dans celui de leurs épouses

C’est la vie qui a fait de l’homme une carrière de schiste

C’est la vie qui a fait de la puce

un cordon ombilical

et du cordon ombilical

une trompe d’éléphant en colère

C’est la vie qui

mais ceci ne nous regarde plus

 

VIN NOUVEAU

Un sou qui n’est pas autre chose que la pomme d’Adam

dans un coffre-fort

s’embête comme il n’est pas permis

Rien à faire sur la terre

et il ne sait pas nager

Il voudrait bien prendre l’air bourgeoisement

mais il n’a pas de bourgeoise

et les tours s’écroulent bruyamment

pour mystifier les échos de leurs caves

qui croient renfermer des trésors

Mais les araignées ne sont pas des trésors

et si elles se cachent c’est qu’elles n’ont rien de mieux à

faire

et ne savent pas jouer aux échecs sur leurs toiles

parce qu’il n’y a pas assez de poussière

par ce temps gris et pluvieux

qui fait tomber les chiffres des horloges

Ils roulent dans le ruisseau

et voilà le temps perdu à tout jamais

Alors à quoi sert le jus de citron

 

LA CANICULE

Bouton bouton c’est dans ma main que tu sautes

et les chèvres des lampes t’imitent

Un pétale s’envole et se dépose dans mon œil

Il a les mains jaunes

le cœur pâle

et danse

C’est que la pendule sonne une heure horrible

l’heure où les enfants montrent leurs dents blanches

en caressant une brosse

qui du coup perd ses poils et se promène lentement

en roulant les hanches

Dans les rues très fréquentées c’est une jolie femme

qui agite son sac à main

Elle n’a pas froid aux yeux

parce qu’on abat les arbres dans l’avenue voisine

parce que la moisissure

envahit jusqu’aux chapeaux hauts de forme

dont les racines plongent jusqu’au plus profond des

gouffres

Tu tournoies et tes fleurs rouges

brillent comme tes yeux

et je vois ta langue dans tes yeux

Viens par ici

il y a des fleurs écloses

des jambes de femme

 

LES LOUPS NE SE MANGENT PAS ENTRE EUX

Tout ce qui se lit est la cendre du bois mort

qui attriste les murs et leur chemise de salpêtre

Rien ne vient

pas un malheureux petit poisson de friture à 2 fr. 45

pas une mouche sèche de visage anguleux

Rien Les sources de plâtre

jaillissent sur les plafonds anciens

cachent le sang des mères égorgées

et le suif des chandelles humaines

Les marins qui empestent l’iode

sur le coup de midi

se cachent sous des pommes cuites

et le style mauresque

qu’on peut saisir avec une pince à feu

comme une dentelle en point et virgule d’Alençon

Alençon

un pou qui confond les vêpres avec l’Opéra

le macaroni avec les pendus

et les thermomètres vertigineux avec la danse du ventre

Rien ne s’oppose à ce que les nez droits portent un fil à

plomb

et les crochus des chiffonniers

cependant que les sourds tendront la corde de piano

sur laquelle sèche leur oreille

comme un vieux bifteck

qui a perdu son alliance

 

LES ALOUETTES ROTIES

Le sang de ma mère alimente les tuyaux d’orgue

qui pissent des boîtes de sardines bombées

et des écorces d’orange

semblables à des pièces de cent sous

des monnaies du pape

Elles restent là à attendre le coucher du soleil

pour retrouver leur frère qui joue du violon

afin de se faire de la publicité

comme le chêne s’en est fait en brûlant lentement

dans les cheminées du Moyen Age

qui sont maintenant des mines de charbon

habitées par des souris blanches

Les papillons y retrouvent leur mère

et les pôles hivernent près d’eux

lorsque le sang frais refuse de rentrer dans les boudins

qu’on punit en les faisant sauter à la corde

si longtemps qu’ils se cassent

et crient comme si leur oreille

devenait une mare à grenouilles

 

IL NE SAVAIT QUE FAIRE DE SES DIX DOIGTS

J’ai jeté quelques gouttes d’eau sur une tête de mort

et un mât de cocagne m’a reconnu pour son frère

Il avait les dents blanches

et ses paroles étaient des pensées sauvages

qui écartaient les grains de sable entre ses cils

pour s’asseoir confortablement dans le fauteuil de ses yeux

Mais les cochons d’Inde en étaient revenus depuis

longtemps

Ils avaient semé des marrons sur la route

pour être sûrs de se perdre

et ces marrons se lèvent comme des bateaux le matin

Ils respirent à faire pâlir un soufflet de forge

qui dès lors ne trouve plus rien d’autre à dire que

Je vous aime ma belle enfant

Vos yeux sont deux statues de sel

qui fondent comme un beau jour

dans le creux de n’importe quelle main

Il est 10 heures et tes cheveux flottent dans l’air

comme un rayon de soleil dans la poussière

Pourquoi rire de l’expression

Avoir pignon sur rue

autant dire cela que de téléphoner au chien de pique

aboyant à la mort

pour faire avorter les femmes enceintes qui croient aux

esprits

et à cause de cela

cachent leur nombril sous un petit myosotis

 

QUOI QU’ON EN DISE

Les boutons les poireaux et l’oseille

ont rencontré le soleil

au coin de l’avenue Matignon

C’était une queue-de-rat

qui avait dessiné au passage

un sein informe sur le front d’un vieux monarque barbu

Il y avait aussi une belle étrangère

qui ne perdait pas son temps

et le cœur rouge de la vallée s’épanouissait

elle les mangeait

elle les chantait

et le cœur rouge de la vallée s’épanouissait

Il avait des oreilles et un beau porte-monnaie

une voix éraillée

et une tête de souris

qui s’en allait sans plumes ni couronnes

suivie d’un tombereau

d’une douzaine de cannes à pêche

d’un collier de chien

et d’un chapeau haut de forme

qui tournait lentement autour d’un cheval emballé

 

FAIRE DES PIEDS ET DES MAINS

L’œil levé l’œil couché l’œil assis

 

Pourquoi s’égarer entre deux haies de rampes d’escalier

pendant que les échelles s’assoupissent

comme des nouveau-nés

comme les zouaves qui perdent leur patrie avec leurs

chaussures

Pourquoi lever les bras au ciel

puisque le ciel s’est noyé

sans rime ni raison

pour passer le temps et faire pousser ses moustaches

Pourquoi mon œil s’assied-il avant de se coucher

parce que les bâts blessent les ânes

et que les crayons se brisent de la plus imprévisible façon

par tous les temps

à l’exception des jours d’orage

où ils se brisent en zigzags

et des jours de neige

où ils déchirent leur chandail

Mais les lunettes les vieilles lunettes dépolies

chantent en cueillant du chiendent pour les chats

Les chats suivent la troupe

en portant des drapeaux

des drapeaux et des insignes

L’arête de poisson qui traverse un cœur battant

la gorge qui se soulève régulièrement pour imiter la mer

qui l’entoure

et le poisson qui tourne autour d’un ventilateur

Il y a aussi des mains

de longues mains blanches avec des ongles de verdure

fraîche

et des phalanges de rosée

des cils oscillants que contemplent des papillons

mélancoliques parce que le jour a fait un faux-pas dans

l’escalier

Il y a aussi des sexes frais comme une eau vive

et qui bondissent dans la vallée

parce que le soleil les touche

Ils n’ont pas de barbe mais des yeux clairs

et poursuivent les libellules

sans se soucier du qu’en dira-t-on

 

VOUS N’IREZ PLUS AU BOIS

Il n’y a pas de galeries dans les pommes

ni dans les chronomètres

car les arbres sont en coton

et chantent des chansons obscènes

parce que c’est Noël

et que les petits enfants pissent sur les vaches

que leurs mères se laissent caresser les cuisses

par les flics

dont les crânes engendrent des parapluies

qui sont des grilles en fer forgé

bordant une route où défilent des officiers

qui

conduits par des soldats

s’en vont au poteau d’exécution

Ils ont des moustaches de bannière

et pleurent des nez camus

qui sont les leurs

Leurs bras tombent le long de la route

et guident la foule

Leurs pieds adhèrent au sol

et leur corps tombe

sur des cloportes qui font l’exercice

en costume de jambon

Quelle nuit quelle pluie nom de dieu

Les cloportes ont oublié leur parapluie

et fondent

La tache d’huile s’étale sur le front du moribond

qui n’a pas fait de testament

Il voulait pourrir en espalier

comme une mouche qui bourdonne à l’oreille de mes

lecteurs

et leur crie Tas de vaches

 

FAIRE LE PIED DE GRUE

L’orage éclate au fond des plus secrets tiroirs

et c’est la lutte à mort

entre le peigne et le salsifis

Le peigne a des dents de salsifis

et le salsifis une chevelure qui lui tombe sur les talons

Ils se regardent en chiens de faïence

et les chiens en question se brisent comme du verre

C’est qu’ils voulaient aboyer

et que la faïence le leur défendait

Adieu faïence chien salsifis peigne

Les boutons de mon veston chantent à tue-tête

et le premier prend le tramway

Il s’en va à la Villette

Il se promène rue de Flandre

où il achète des sabots

et les rails du tramway l’applaudissent

Il salue le crottin fumant

au-dessus duquel tournoient les moineaux

Oh Un manège s’écrie une petite vieille

qui porte une pince à sucre au sommet de son chignon

Et ses arrière-petits-enfants qui boitent

ceux des années paires

de la jambe gauche

et les autres de la jambe droite

poursuivent à coups de pierres des chiens accouplés

Il pleut

et les cheveux de la vieille fondent dans la pince à sucre

Sa tête n’est qu’une grosse betterave

dont ses enfants ont mangé les feuilles

La betterave tremble

et les maisons en beurre fondu glissent

s’étalent comme des parachutes

cependant que les boutons de mon veston

s’en vont bras dessus bras dessous comme des matelots

ivres

 

DANS LE CREUX DE L’OREILLE

Se casser le nez sur un piano

qui fait miaou miaou

éplucher un bégonia ou une chaussette

se suspendre une paire de binocles sur le nombril

donner les morts à manger aux chevaux

et mille autres choses qu’on voudrait faire en prenant un

bain

voilà de quoi mettre le feu au musée de l’armée

Mais l’armée qui vagabonde comme une souris

en réclame à la vitrine d’un magasin de jouets

ne brûle pas à la manière des torches

Il est vrai qu’aujourd’hui les torches ne brûlent pas

on les a arrosées de vinaigre

cuites comme des pommes de terre

et servies chaudes sur un plat de légion d’honneur

C’est pourquoi l’armée avec sa face de terre glaise

l’armée qui pisse sur tous les becs de gaz

pour leur faire des galons

l’armée est représentée à ce banquet

sous la forme d’une épingle de nourrice

qu’un prince se passe au travers du nez

Mais l’épingle se sent soudain l’ambition de devenir

limousine

et chante une chanson de Jonas

où il est question de baleine

de père-la-colique

et de ruse d’apaches

Rien n’y fait Il faut que Jonas élève des pies

pour faire éternuer la baleine

et sortir

Rien n’y fait encore puisque Jonas n’est plus qu’un de ces

mille parapluies

que j’envoie à tous les diables

comme j’ai dix doigts

peu de cheveux

et pas loin de 32 dents

Il y a ceux qui se cachent dans le cirage et brisent les

lacets de chaussures

il y a ceux qui se déposent au fond des verres d’alcool

ceux qui font trop vite pousser la barbe

ceux qui vident mon portefeuille

et mangent des biscuits de soldat déjà rongés par les rats

ceux qui mettent de l’huile dans l’oreille des aveugles

et sucrent les homards pour les dresser à la chasse

Mais aucun diable n’a hurlé sous la neige

au coin d’une rue déserte

Norwège Norwège voilà bien de tes coups

BLANC D’ESPAGNE

Qu’as-tu fait de ton soulier

fonctionnaire

Je l’ai perdu dans l’escalier

Ce n’est pas vrai fonctionnaire

puisque ton rat blanc est un chameau

Ce n’est pas vrai non plus

puisque ta femme a les cheveux longs

et qu’elle tond des oies

parce qu’elles ont les dents longues

des pattes qui les condamnent

et mangent toutes à la même gamelle

que leur tend un vieux général sale

pétant sur l’air de la Marseillaise

 

AU PETIT JOUR

La tour qui s’allonge comme un pain de seigle

et le chien traînant sa queue comme un jardin ses plates-bandes

se rencontrent dans l’antichambre d’un dentiste

Ils sont tous deux glabres et borgnes

et les becs de gaz s’éteignent sur leur passage

Ils ont des mains d’évêque et des pieds d’escargots

Leur sourire se fige sur leurs lèvres enflammées

et leurs yeux se sont battus jusqu’à la mort de l’un d’eux

Tue tue et tue

Que les poissons s’étranglent dans les fusils

et que les bateaux écrasent les enterrements

La poussière qui recouvre les chemins de ronde

s’envolera comme une barbiche

et les panneaux verts des arrêts facultatifs

se croiront le pouvoir de repeupler les tiroirs

sans l’aide des colonnes montantes ou descendantes

des barques renflouées

et des lacets qui se brisent le matin à la dernière heure

au moment où les becs de cane mordent comme des portes

parce qu’un œil s’est ouvert comme une bouteille

une branche d’arbre rompue comme une bourrasque

un portemanteau s’est démené comme une pipe allumée

est mort six fois par jour

et a promis du beurre au pain

 

ATOUT TRÈFLE

Assemble la pierre de l’élan brisé et l’erreur des branches

au fil de l’eau

Doute de l’horizon de l’autre côté de tes yeux

et va-t-en à travers les montagnes blanches de fougères

que sapent lentement les cordelettes de la passion folle

Les cuisses du ciel s’arrondiront devant toi

et les ténèbres fermeront leur porte sans verrou

car le verrou ne se tire pas à cause des malfaiteurs en

forme de tunnel

mais à l’unique voisinage des pentes abruptes

et lorsque les colliers de mirages se brisent comme le cristal

des larmes

que le ruisseau s’affaisse lourdement comme un verre vide

le misérable coquillage de la route se déroulera comme une

ceinture de sauvetage

une ceinture qui ne sauve que les suicidés aux mains de

flamme

debout sur les collines qui rient

car les collines des suicidés rient d’un rire de chute d’eau

avec des vis dans leur voix de fumée

et des escaliers infinis dans leurs gestes

qui s’égarent dans les boules bleues du temps perdu

Celui qui n’a pas perdu son temps dans les soupapes de la

neige

ne connaît pas la force dissolvante de l’aubépine fleurie

baignant dans le sable blond

ni le courage désespéré des petites rivières traversant des

marais d’armoiries

Et celui qui n’a pas senti le regard prismatique des

palmiers

se poser sur l’épine dorsale de l’avoine

dont la chute correspond au degré de torréfaction du café

celui-là ne sait pas ce que c’est que le vent perdu

et ne peut prétendre qu’à l’oubli

au plus définitif oubli des cils battants

à moins que son souffle sursaute

au passage affolé des murailles mordues par les écorces

tombantes

qu’anime la colère des obstacles surmontés

 

PRÊTE-MOI TA PLUME

Nous sommes passés dans cette avenue plantée de seins

bleus

où les clous de girofle étoilaient le ciel de café

Qu’ai-je fait aux herbes de verre qui mangent les agneaux

Que leur ai-je fait

pour qu’elles me jettent au visage leur soulier percé

à travers lequel je vois le monde à l’envers

le mort de peur tuer celui qui l’a fait mourir

et la chaîne de montre se pendre au cou du pendu

Un géranium montre ses fleurs de poussière dans les cheveux

transparents d’un oiseau de proie

qui n’hésite pas à se jeter comme un train déraille

sur la barbe de mon frère

Le géranium ne songe qu’à la pleine lune parce qu’elle a

le visage d’un héros

qui a mordu la mousse pourrie des forêts ravagées par

un tremblement de terre

survenu sans murmurer Gare de l’Est

j’ai mon rasoir à la main pour faire une coupe scientifique

du corps humain conservé dans l’essence d’héliotrope

parmi les cailloux du Rhin qui font des phonographes pour

les garde-champêtres

et les vieilles bigotes qui coupent du pain blanc avec des

limes à ongles

Nous sommes passés par cette avenue plantée de seins

bleus

où le jour ne se différencie de la nuit que par une virgule

et la sardine du hanneton que par un poil à gratter

Il y avait sur le bord du trottoir

un journal de 1896 où l’on annonçait une pluie de tulipes

pour 1903

et il pleuvait des aiguilles à tricoter

qui se tordaient sur la chaussée

se rejoignaient

et faisaient un arbre généalogique

dans lequel je reconnus les lèvres d’une femme aimée

qui battaient des ailes et volaient à la poursuite des

Hispano-Suiza

dont le dernier spécimen allait naître d’une bouteille de

clair-obscur

clair-obscur voilà ce qui manquait aux lunettes de l’aveugle

dont la silhouette ne s’est pas encore tout à fait engouffrée

dans le topinambour du coin

car le bruit des marteaux frappant le crâne d’un sourd

l’a arrêté juste le temps nécessaire aux homards

pour devenir amoureux des renards blancs

dont le regard est un triangle scalène

enfermé dans un coffret de verre pilé

blanc comme un linge qui sèche sur le dos d’un

homme-sandwich

dont la langue regarde les portes de la ville

s’ouvrir comme un pyrogène

mort comme un faux-col

entouré de la famille du président de la république

guillotiné à la place de son justicier

 

ET AINSI DE SUITE

Encore un coup de pied au cul

et la boîte de sardines vide se croira sainte

Un coup de talon dans la gueule

et c’est une divinitié

qui nage dans le miel pur

sans se soucier des protozoaires

des hippocampes

des cailloux célestes qui voltigent d’un œil à l’autre

et transportent la raison

avec un peu de sauce et les dents cassées

dans la société des trognons de choux

qui ne savent plus où donner de la tête

depuis que les eaux grasses étouffent dans la zibeline

 

DÉJETÉ

À Picasso

Le sucre coiffé d’un dégoûtant chapeau de curé

s’élança sur la plate-bande

la piétina avec une fureur

qui me fit songer à Vercingétorix se mordant la langue

De sa poche jaillit une tasse à café

du savon à barbe

et la croix de la Légion d’honneur

qui te regarde comme un navet pourri

Que faire ô Platane si les mouches de fer-blanc s’enivrent

de vinaigre

si le printemps tousse comme un mutilé de guerre

en se cachant la bouche avec un drapeau tricolore

Que faire si un cerf s’offre à faire sécher le linge des

putains

qui dorment assises sur les cheminées

au-dessus des septièmes étages de soupe à l’oignon

Que faire si la force de l’habitude se couche dans la paille

que les vaches ont essayé de manger

sans autre résultat que de voir 36 chandelles

Que faire si le porto rouge attend l’orage

pour inonder les rues de Paris

Que faire si les pieds de table se serrent les mains avant

de se dire adieu

Que faire si les arrêts facultatifs se mangent mutuellement

le nez

Que faire si les lances à incendie

pompent l’eau de l’arbre du voyageur

Que faire si les chefs de gare font dérailler les trains

Que faire si les centenaires sèment des haricots

Que faire si les ventilateurs

font se cabrer les palais de la nouveauté

Que faire si les riches cultivent des militaires

Que faire si le chapeau melon pue le fumier

Que faire si des fesses énormes couronnent une barbe

blanche

Que faire si le radeau de la Méduse

surgit du bassin des Tuileries

Que faire si le nez d’un roi

devient une station de métro

Rien

Il n’y a qu’à regarder le pissenlit se cacher dans les dés à

coudre

et les cheveux des tramways de banlieue se balancer

comme des sous-marins

sur des oreillers

blancs parce que la nuit est rouge

comme un homard effrayé par la serviette chaude du

coiffeur

qui est un soupir de femme après l’amour

Une boîte de cirage fera un bruit de bottes dans l’escalier

et la concierge croira à l’invasion des Huns

Le canari en avalera le courrier des locataires

et l’on verra au loin

un peu au-delà de la porte cochère

un petit bateau à voile

dont le pilote mort

brandira une branche de tomates

Il n’y aura plus qu’à ramasser le crottin empilé sur les

toits

et les passages souterrains

se hérisseront de sexes de chevaux

et les passages avaleront les flics

qui reviendront chez eux plus sales que des ministres

plus fatigués que des lampions

en un mot

prêts à donner des forces aux malheureuses petites

pensées

qui gémissent dans les baignoires

oubliés comme un centime

 

JAMBES DE BOIS

Entre deux eaux ni chair ni poisson

l’individu se regarde dans le blanc des yeux

Il n’a ni chaud ni froid

il attend

Quoi

que les routes s’ouvrent devant ses yeux de poignées de

portes

que la mer lui monte jusqu’au nez

pour montrer à tous ses os blanchis à la chaux

et dire

Je suis le rat annonciateur de la rage de dents

et j’allonge les courts-circuits

avec un peu de sauce

Ne m’en veuillez pas pour la sauce

ce n’est pas de ma faute s’il y a des riches et des pauvres

des flics et des assommés

Je suis le chapeau entre la trique et la tête

l’enfant de cochon qui dit

on va s’arranger

 

S’IL FAIT NUIT

Masqué par son œil

le pied de biche

dit bonjour au saindoux

Bonjour sein dur

dulcinée

voiture à bras

nénuphar de bretelles

Il fait beau dans les tiroirs

et les mentons en galoche dorment lourdement

au bord des champs de blé

où s’ébattent les pipes culottées

qui blanches et roses comme un navet

se penchent galamment

sur les cerisiers en fleurs

Ne dirait-on pas que les serruriers reviennent de la pêche

à la baleine

les mains pleines

et le regard extatique

comme un squelette sous la poussière de sa mère

qui tremble en voyant apparaître son père

 

EN VOITURE MESSIEURS DAMES

Bâti comme une carte à jouer

l’œuf à roulettes fuit devant le soleil de pied de porc

qui grogne

comme un officier de cavalerie

On aura beau lui planter des radis dans les oreilles

ce sera toujours un officier de cavalerie

c’est-à-dire de la sueur d’âne

dont on fait les bougies

c’est-à-dire la fumée puante dont on recouvre les quartiers

pauvres

quand il fait un temps à ne pas mettre une puce

sur la soutane d’un curé

ce qui est rare

car la musique qui sent l’anguille oubliée dans un placard

fait régulièrement des siennes

sur les passages cloutés qui rappellent celui de la Bérésina

vu de dos

comme un portemanteau que le commissaire-priseur brandit

à bout de bras

comme une oreille qui se cache dans une bouteille

à cause de la foudre qui a rôti les marrons

hésitant encore à mûrir sur l’arbre

Mais tout cela n’a qu’un temps

et froid aux pieds

comme une vulgaire mouche éternuant dans un piano à

queue

 

LES LYCÉES DE JEUNES FILLES SONT TROP PETITS

À Yves Tanguy

La nature des voies de chemin de fer

laisse indifférents les scarabées qui moururent de la peste

de même que le vin chaud

n’empêche pas les petits poissons de dormir

à la lueur d’une lanterne

De long en large

la mie de pain passe de long en large

et s’extasie devant les chiens pissant devant les arbres

centenaires

Quelle audace

Mais l’audace son chapeau à la main

vous dit merde

car vous êtes plat et moisi

tricolore et pourri

décoré

décomposé

barbu

véreux

et pour tout dire semblable en tous points à une armée de

puces sur un tapis sale

 

MI-FIGUE MI-RAISIN

Si ton chandail a mal aux dents donne-lui un collyre

s’il a mal aux oreilles

un peu de moutarde

mais si l’herbe pousse haute et drue

dans ton tuyau à gaz

n’hésite pas à appeler quelques bossus

chauves

ataxiques

au nez en forme de pantalon de femme

et aimant à jouer aux dames au-dessus des taupinières

Il suffirait d’une brosse à reluire dans une étuve

d’une fraise des bois descendant la rue des Martyrs à

bicyclette

pour que les huîtres apprennent à lire

et les haricots à écrire

Hélas cela ne sera pas

car il pleut des boudins qui font ouf en tombant sur la tête

des nègres

cela ne sera pas car les oranges éclatent comme des

grenouilles

car les grenouilles rient comme des vidangeurs

car les vidangeurs chantent comme des tulipes

car les tulipes soupirent comme des gants bleus abandonnés

sur un billard

car les billards s’ennuient comme des locomotives

car

 

POUR PASSER LE TEMPS

En mai ou septembre

les ustensiles de cuisine claquent des dents

et leur poil tombe parce que les chapeaux perdent le leur

Ainsi la fumée qui sort d’un tiroir

indique qu’un avion

quelque part entre un peuplier et une cloche à plongeur

avale la poussière qu’il avait crachée ailleurs

et ça nous fait rire

comme un melon

comme une saucisse

comme une tarte à la crème

comme une bouteille de Leyde

comme l’ouverture de la pêche

comme un sac de blé

comme etc.

qui danse dans les placards où dort la vaisselle rôtie au

four

fêlée par la guerre de 1870

et qui demande sur tous les tons

qu’on lui donne une cravate en tôle ondulée

qui serait une cabane à lapins

où les ressorts à boudins

deviendraient du pain frais et blanc

comme une huître perlière pendue au cou d’une femme

nue

sans voix ni poils

mais si blanche qu’on dirait une forêt de sapins

dans le trou d’une serrure

 

QUI EST-CE

J’appelle tabac ce qui est oreille

et les mites en profitent pour se jeter sur le jambon

d’où un remarquable combat entre les sources

jaillissant du pain d’épices

et les lunettes qui empêchent les aveugles de voir clair

Même si la femme en face de moi mangeait une table de

dissection

la roulette donnerait des déboires à un prince chinois

qui se cache dans une valise

dans laquelle un vagabond ganté et botté

comme un porte-plume

reconnaîtrait facilement l’arc-en-ciel qui apparaît loin

au-dessus des vignes après la vendange

quand le vin hésite à devenir rouge ou blanc

et renonce à tout jamais à regarder l’avenir en face

de peur que celui-ci lui tourne le dos

en sifflant une tyrolienne

où il serait question de cheveux blonds

à moins que ce ne soit de cheveux bruns

ou bien de lièvres qui tuent les perdrix

pour que la chasse soit bonne

et que le vent qui souffle dans les cheminées

empêche les rivières de dormir dans leur lit

 

PAIN RASSIS

Après avoir réfléchi profondément à l’origine des glands

la carpe soupira

et pensa

Quel dommage que les groseilles à maquereau ne soient

pas des putains

il y aurait sous les premières asperges

un petit palais de cristal de Bohème

une tomate triste

qui se perdrait le lendemain au vent du large

sans arriver à se suicider

et qui oubliant son passé de robinet mal fermé

se jetterait à plat ventre sur une paire de bottes

si petites qu’on les prendrait pour un morceau de sucre

Après cela les années pourront passer comme une fleur

de pissenlit

les orteils pourront s’écarter les uns des autres

comme une femme qui divorce

parce que son mari ronge les pieds de la table de nuit

les muselières pourraient chasser les hannetons

dans les déserts des malles à double fond

Tout cela serait en vain car les oripeaux dont on a

recouvert la statue de la bière

trembleraient de fièvre ou d’ivresse

de froid ou de peur

comme n’importe quel saladier tombant du quatrième

étage

sur un vieux paratonnerre

 

BRAS DESSUS BRAS DESSOUS

Elle aura de grands yeux de boomerang

qui faucheront les blés comme une vitre dépolie

et étoilée par une balle de revolver

Il y aura aussi sur la première marche d’un escalier très

vieux comme un matelas qui s’envole

un petit rat

dont la queue rappellera au premier passant venu

son ancienne profession de chef d’orchestre

qu’il avait oubliée à cause de son chapeau

qui est la carte de l’Angleterre

avec l’Ecosse légèrement abîmée par une tache d’encre

dont on ne saurait dire si elle est bleue

rouge ou verte

ou si c’est la graisse qui l’entoure

qui forme cette petite aurore boréale

plate et exsangue comme une gaufrette

ou un âne pelé qui a encore la force de braire

en voyant un tournevis

se balancer nonchalamment au-dessus de sa tête

et ouvrir une gueule énorme et verte comme une église en

ruines

d’où s’échappent quelques acrobates boiteux

un dindon qui bat de l’aile comme une banque

et plus de mille dictionnaires qui ressemblent à de vieux

vestons

de très vieux vestons

des vestons extrêmement vieux

avec des poches déformées à force d’avoir contenu des

étoiles

avec des boutonnières si larges qu’on pourrait s’y pendre

avec le col qui ressemble à un drapeau français dans le

fumier

de très vieux vestons

avec des taches de cambouis qui pleurent

des larmes de mayonnaise

de très vieux vestons

 

VARIABLE

L’oreiller malade bondit hors du lit

ce qui fait hurler les chiens à l’étage inférieur

Ils paraissent dormir comme un vase à fleurs au pôle nord

mais il a suffi d’un pied sur une graine de blé noir

pour que l’éclipse de lune s’enfuie la queue entre les

jambes

devant le ressac qui fait dire

à une femme nue sur un toit pour exciter la girouette

Les oreilles ennemies nous écoutent

 

Un fameux lapin

répond entre haut et bas le homard qui n’est pas encore tout

à fait cuit

à l’américaine

C’est un fameux lapin que ce moulin à café

qui court après les chats dans les escaliers

en braillant des chansons patriotiques

comme s’il était un moulin à prières

une ventouse qui chante comme un rossignol dans une

pipe

ou un grincement de dents dans l’oreille d’un sourd

Mais nous n’en sommes pas là

Une bougie allumée devant une bouche d’égout

indique qu’un scaphandrier dort là

nu dans son scaphandre

entouré de moineaux qui se demandent

comment atteindre le crottin

qui gémit à l’intérieur

comme un petit pois cuit à l’étouffé

 

Il y aurait encore beaucoup à dire sur le sel

qui s’échappe périodiquement des réveille-matin

en sifflant pour avertir le chef de gare

que les mimosas commencent à s’ennuyer

dans leur prison

en habit comme des ambassadeurs

lépreux et sentant le mou de veau

Et puis aussi loin que portent les regards des chèvres

amassées devant l’Opéra

une rondelle de saucisson roule

tambour défoncé par les soupirs des femmes en couches

qui ne savent pas ce qui va sortir de là

si ce sera un peu de tabac à priser

une brouette

ou un seau à confitures qui pourrait être

un coffre-fort éventré

et cependant vivant

c’est-à-dire une sole tellement frite

qu’elle demande son chemin à un passant

Assez

Le public est fatigué et veut dormir

mais ce n’est pas moi qui favoriserait e désir

car si le public dort

il n’y aura pas de haricots cette année

pas de tortues vagabondant sur les bureaux ministre

pas de poussière dans les ressorts de montre

et même pas de jets de salive dans la gueule des curés

 

 

© Mélusine 2011
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