Benjamin Péret

Autres poèmes, 1933-1959

 

VIOLETTE NOZIÈRES

Elle était belle comme un nénuphar sur un tas de charbon

de ce charbon

que son père enfournait dans les trains présidentiels

au lieu du président

belle comme une perle dans une huître qui ne sera jamais

pêchée

belle comme un jeune sabot

qui frappe des fesses paternelles

belle comme une hirondelle

nichant sous la gouttière d’une prison en démolition

et si jeune qu’on aurait dit

un raz de marée nettoyant une ville de tous ses curés

 

Papa

Mon petit papa tu me fais mal

disait-elle

Mais le papa qui sentait le feu de sa locomotive

un peu en dessous de son nombril

violait

dans la tonnelle du jardin

au milieu des manches de pelle qui l’inspiraient

Violette

qui rentrait ensuite étudier

entre le mécanicien de malheur

et la mère méditant sa vengeance

ses leçons pour le lendemain

où l’on vantait la sainteté de la famille

la bonté du père et la douceur de la mère

La sienne son billet de mille francs cousu dans son sordide

jupon

valait une concierge et son chien hargneux

une boîte de conserves bombée

plusieurs escouades de ces flics dont s’enorgueillit sa famille

Sur le père rien d’autre à dire

N’en parlons plus

 

Mais le fumier décoré d’une couronne comtale aura de

l’avancement

à la brigade mondaine

avant d’épouser une riche héritière

la fille d’un quelconque M. Émile

tremblant dans son pantalon

Passons le nez bouché

 

Loin de là l’élève Violette Nozières

revient lentement du lycée Fénelon

dans l’espoir que son père sera rentré du jardin

Mais il a déjà préparé une serviette derrière le paravent

 

Plus tard ce sera sur les boulevards

à Montmartre rue de la Chaussée-d’Antin

que tu fuiras ce père

dans les chambres d’hôtels qui sont les grandes gares de

l’amour

 

Au croupier au nègre à tous tu demanderas de te faire oublier

le papa le petit papa qui violait

Mais la martyre

la mère laissée pour compte

manie la vengeance

comme on tient la chandelle

singe les héroïnes antiques de bouse sèche

pour venger la serviette

maculée

oubliée derrière le paravent

qui devait avoir plus d’un trou

 

Et tous ceux qui font uriner leur plume sur le papier de

journal

les noirs flaireurs de cadavres

les assassins professionnels à matraque blanche

tous les pères vêtus de rouge pour condamner

ou de noir pour faire croire qu’ils défendent

tous s’acharnent sur celle qui est comme le premier

marronnier en fleurs

le premier signal du printemps qui balaiera leur boueux

hiver

parce qu’ils sont les pères

ceux qui violent

à côté des mères

celles qui défendent leur mémoire

 

PICASSO

Si la pierre de taille plus usée qu’un vieux doigt de gant crie

comme une choucroute enragée

si le moineau tombé du nid réclame encore une aiguille

qui viendra reproduire le schéma de la bataille de la Marne

sur son bec

à la façon des saumons remontant un estuaire

si le gravier emporté par le vent

se rend compte de son impuissance à paralyser l’œil d’un

vieillard

nous ouvrirons une grande boutique en forme d’artichaut

où l’on ne vendra que des moitiés de journaux

dépareillés

jaunis

et mouchetés comme un parterre de fleurs après un orage

qui a arrêté la fabrication du beurre en plantant des

paratonnerres

dans les barattes plus tremblantes qu’un général en retraite

qui voit sa cravate de commandeur lui adresser de grande

signes d’amitié

du haut d’une potence à gendarmes

qui ressemble tellement à une cathédrale incendiée

que les pois de senteur refusent d’être arrosés avec de l’eau

de bénitier

et exigent de la bière en brandissant des arbalètes

qui avec leurs cuirasses dans lesquelles on découperait

facilement

deux ou trois abat-jour

prennent de si grands airs de mie de pain

imitant un gardien de square qui crie On ferme

qu’on dirait un coureur haletant comme une bouteille

sortant d’une boîte à lettres

comme une sauterelle d’une brosse à reluire

Ainsi le bateau si petit qu’on dirait une puce sur la chemise

nuptiale de la mariée

après avoir désespéré de son gouvernail

qui bâillait du matin au soir comme un cheval fourbu

se joue un air de guitare et se sent ragaillardi

C’est qu’il a aperçu entre deux brins d’herbe à tête de

vache laitière

une sorte de soleil coulant poisseux fainéant et ventru

ou plutôt une boîte de spaghettis déjà percés et prêts à servir

de flûtes

dans une fête villageoise où ils se souviennent d’avoir été

ramassés

ivres au point d’offrir aux passants des sandwiches aux

carafes

Cependant au loin

là où les sources hésitent à devenir camemberts

dans les ascenseurs qui mugissent comme des paquets de tabac

plus édentés qu’une grand-mère

plus sonores qu’un piano à grimace de cercueil

le papier de la chambre

du marchand de charbon qui frise du nez

pour oublier la couleur du pain qu’on rencontre dans les

lavoirs

passés au bleu comme une vieille rivière

et rongés d’eczéma

afin de ressembler à un adjudant hésitant entre le séminaire

paternel

et la fabrique de savon

d’où montent et descendent de quotidiennes marées d’éclats

de rire

le papier mural plus brillant qu’une mâchoire neuve

jaillit comme un cerveau d’enfant dans le cercle grondant

des pierres que le gel fait éclater

et danse comme une feuille morte qui rejoindrait sa branche

sitôt finie la musique de ses nervures

pareilles à un torpilleur dans la tempête

si bien que le bec de gaz se croit devenu sémaphore

ou marchand d’habits

et gémit sur le sort des marins devenus toupies maniées par

des mains plus blanches qu’un oreiller

ou escalopes reconstituées avec des cornes de taureau

et qui ne reverront plus la terre sous sa forme habituelle de

perruque

mais se mordront mutuellement les doigts comme au café-concert

* * *

Les fleurs électriques des estomacs pétrifiés par des yeux

d’Acropole

les courses en sac des machines recherchant leurs outils

devenus brioches

les cauchemars de la bouteille de bière égarée dans la forêt

comme une langouste dans un édredon

le pendu qui se dépend pour se rependre dans un courant

d’air

le visage éclaté comme un volcan qui a trop dormi

et fait de la culture physique

le bâton de rouge qui se prend pour une guitare lasse d’être

muette

et les bateaux qui s’engagent comme cravates

à des devantures en forme de bœuf écorché vif

pour que le soleil trépigne d’impatience

et crie à tous les échos qui ne se lassent pas de le répéter

On m’a volé ma motocyclette d’éclairs jaillissant du fond de

l’horizon

comme un poulet rôti dans une narine entr’ouverte

comme une porte qui laisse passer un chat

peut-être enragé

peut-être échaudé

ou bien encore tondu comme un rocher qui a perdu sa neige

qui se donnait des airs de toile d’araignée sur une vieille

bouteille de vin

mais en tout cas effrayait tellement le bébé de la concierge

dont les yeux en X Y Z faisaient dire aux voisins qu’il avait

un regard d’éboulement

qu’il a fini par mourir comme un gilet de flanelle

tombé dans le lait de sa mère

précieusement conservé par son père

afin de le réduire en écume de mer

propre à ferrer les chevaux

qui s’emballent dans les champs de velours ondulant au vent

de leurs sabots

gonflés comme des oies prêtes à dévorer leur foie

qui ferait un si beau drapeau à brandir par un cul-de-jatte

dans une cérémonie officielle où la poussière sort de la

bouche des assistants

et décrit de grands NON proférés au loin par des armes

prohibées

avec un grand rire de Picasso.

* * *

Les jambes baignant dans un fleuve de bourgeons

accoudés aux montagnes de porcelaine

qui ramollissent

lorsque se lèvent les grands animaux à tête d’enveloppe

bâillant dans une mer calme

prête à avaler un navire d’aspirine

voici l’homme qui a forcé le soleil à montrer sa mâchoire

en lui offrant un os de feu et de torrent

écumant comme un apache

un os d’homme que le taureau a jeté en l’air

et qui ne retombe plus

parce que l’émotion de la foule pareille à une feuille de

papier carbone

l’emporte mieux qu’une fuite de gaz

parmi les astres à bec d’oiseaux-mouches

qui figurent à côté de la cervelle miroitante convoitée par les

moustiques de l’avant bras

des démons en éponge qui sautent comme de vraies poudrières

des grincements d’essieux imitant de longues méditations

des mariages réprouvés entre des lances à incendie et des

carrières de plâtre

dans la pièce du fond

où dorment aussi de leur sommeil de bulles de savon dépolies

les hanches qu’on découpe en spirales

pour illuminer les parcs déserts

et plus sombres que jamais depuis que se sont éteints

les feux d’artifice de feuilles fraîches

qu’on pose sur le front des nouveau-nés

pour leur donner la prudence d’un orteil plusieurs fois écrasé

la force du caillou gelé qui se précipite pour arrêter les

locomotives

l’audace du fleuve qui se jette dans les bras de la ville prête

à l’étouffer

et avec de grandes bottes qui lui permettent de passer d’une

colline à l’autre

en crachant de haut sur les villages

où gémit dans la solitude des poulaillers vides

depuis que le tremblement de terre a rendu les volailles

plus plates qu’un fromage coulant

à leur véritable destination de grottes à stalactites

une échelle de corde autour des reins d’une armure

où fleurit un peu de réséda

 

MINUTE

En arrivant au baromètre tordu comme un vieux jeton

l’homme en or de barre fixe

réclame l’ascenseur qui fuit comme un haricot

pour éteindre le feu de sa végétation tropicale

qui s’use comme un édredon dans une salière

qui rêve d’incendier le fauteuil Voltaire

où le chasse-neige rencontrera le perce-neige

quand le titre au porteur

le plant de rhubarbe le basset le crochet X

et le pont de chemin de fer ruminant une vengeance

se seront rencontrés dans un cerveau de nouveau-né

qui sera rose comme l’électricité évaporée

rébarbative et si sournoise

qu’on dirait une marguerite exfoliée par un hanneton

sorti du gousset d’un pape

Ailleurs l’encre de Chine met son chapeau de beurre salé et

s’en va

Elle fera le trottoir comme un ticket d’autobus

qui enterre son frère quoiqu’il ne soit pas tout à fait mort

mais suffisamment malade pour ressembler à un balai usé

à force de briser des pipes rongées par les crabes

qui chantent dans les couloirs sur l’air de VIENS POUPOULE

des chansons de canapés grinçant sous le poids des vipères

qui les habitent

J’aimerais être ivre comme une charpente dont le toit s’est

envolé

pour imiter les mouches à la recherche d’un bifteck de

général

prêt à mourir dans son lit rongé par les rats qui chantent

des messes de bouche d’égout et des vêpres de melon crasseux

roulant dans des escaliers dont on ne sait

s’ils aboutissent aux sources de glaces biseautées

ou commencent au mont de piété qui brandit son poignard

dans le dos du sourcier affolé parce que sa baguette s’obstine

à lui gratter le nez

et son nez poilu comme un cimetière

regimbe hennit et se fâche comme une tasse de thé

Ainsi le robinet mal fermé réfléchit aux moyens

de se faire trappeur sur une place Vendôme déserte

c’est un long voyage se dit-il un voyage si long qu’on dirait

un petit pain

jeté négligemment dans une armoire à linge

par ma grand-mère qui mange des peaux de chat

roulées dans la farine et faites comme une giboulée dans un

torrent

jaloux du savon à barbe qui brûle sa chandelle par les deux

bouts

comme un grand singe gelé dont se cachent les orangers en

fleurs

en regrettant d’être associés à de ridicules histoires de mariage

où le kilo de sucre de la fiancée est environné de mouches à

viande

qui se sont trompés de porte

et font songer les passants à un patriote bouilli qui voudrait

avaler son drapeau

Mais que vienne le temps de se raser avec une sole

qui pourrait être une sardine

ou une poignée de blé noir

et les sourires furtifs du charbon qui cache son grisou dans

sa poche

ne serviront plus à rien autre qu’à décorer les corps de garde

où sourdront les rivières de pollenta baignant des champs

de bougies

qui ne demanderaient pas mieux d’éclairer la forêt

comme les cuisses d’une jolie femme

dont les seins regardent le lent vol des timbres-poste

 

PREMIERS RÉSULTATS

Quand les étoiles s’en vont par deux en discutant de la

dégradation de l’énergie

les vieilles demoiselles ferment leur parapluie d’un coup sec

en affirmant qu’il n’y aura pas de raisin cette année

Mais une fois les étoiles sorties vers la droite

des petits scarabées blancs surgissent trois par trois

du côté gauche

et montent tranquillement au ciel

par leur échelle habituelle

sans se presser

en ronchonnant sur la longueur de l’échelle

et sa roideur

Peu à peu ils halètent et transpirent

en murmurant

Nous n’arriverons jamais à temps

Mais les voici arrivés

Ils déposent leur chapeau dans une vasque où il flotte

doucement assailli par les poissons

et vont s’asseoir chacun sur leur chaise défoncée

Ils se penchent tous du côté droit

très épuisés et très las

et ramassent dans une corbeille à papier

des grenouilles mortes

qu’ils se lancent les uns aux autres

et qui deviennent lumineuses

en touchant

la face de l’adversaire

Alors les vieilles demoiselles rouvrent leur parapluie

et la plus vieille

son dentier à la main

dit

Ah oui des raisins

 

À GARDER PRÉCIEUSEMENT

Ainsi va la vie

 

Le souffle de la dormeuse gonfle les voiles de la barque

où les naufragés reprennent espoir

à la cadence des baisers qui l’emportent

étincelante des regards d’envie

des passants enfermés dans leur valise

Non qu’elle dorme sous l’armure rouillée braillant des chants

d’averse

ou prisonnière des bas de soie qui multiplient les mots latins

Non compagne née des champs de seins ondulant sous le

plumage qu’ils couvent

au jour naissant qui les favorise d’un clignement d’yeux

à peine plus chargé d’envols que celui s’échappant d’entre

les roseaux

noirs de soupirs satinés par l’ombre

elle laisse

par le double drapeau de ses lèvres insurgées

échapper le cri triomphant du rubis jaillissant de sa gangue

et refusant la sujétion humiliante des coucous

commères consultant leur espion

pour vérifier la démarche tortueuse du facteur

dont le fantôme égaré ne porte plus que des spectres de lettres

prononce le mot brisant de gai cristal

ouvert à tous les vents

et repousse les horizons d’horizon en horizon

de galop en marée

pour qu’elle se dresse

équinoxe des équinoxes

dans les filons bouillants que les flammes les plus hautes

peuvent seules rafraîchir

 

Inutile d’écouter le murmure indistinct des chevelures

roulant sur de blancs tremblements de terre

On sait qu’à midi le soleil soupirant

se suicidera d’un nuage tourbillonnant entre des cils

pour renaître sur la passerelle tendue

de la prairie sillonnée du vol des libellules

au sourd battement qui se précipite

d’une poire ivre de baisers à bascule faisant éclore des jardins

à mourir d’attente

 

Inutile d’afficher les mains au mur de graffiti entassés

si loin des lumières qui devraient jaillir des doigts

pour s’assembler en gerbes à balayer les églises

tombeaux des yeux

 

Je les veux grands ouverts et distillant les soifs insatiables

des forêts pétrifiées

avec des cris d’aube à genêts pétillants d’oiseaux

lointaines et profondes eaux de ciel sans autres ombres que le

vol d’insectes deviné

appelant les immersions folles

et si longues que le jour polaire se dissout en nuit tropicale

où les papillons géants volent des seins aux flancs

imperceptible et lourde caresse de soupirs

se balançant sur le flux et le reflux des reins

et surtout perdus à tout jamais dans les multitudes de bêtes

majeures

qui chassent les monstres excommuniants

acharnés à les étouffer sous les édredons des orgues vêtues

d’araignées

 

La bouche de réveille-matin appellera les éruptions dans les

clos fleuris

et les torrents de lave s’élevant des housses poussiéreuses

qu’elles régénèrent et vivifient

jusqu’à leur accorder une seconde de feu d’artifice

projetant au fond des tiroirs des haleines de cristaux tintant

une charge

à savourer entre les plaintes des tubéreuses et les rires des

cailloux illuminés

 

L’obscure voie lactée que hantent les étincelles noires et

velues des puits de mine

s’écoule

limitée par l’infini

et bat d’une aile onctueuse

le lac laiteux que rident des mots d’eau-de-vie

hypnotisant les larmes des fées guettées par les hiboux

pour qu’elles ceignent le couloir des aveux

d’une explosion de regards de cascade enchantée de sa chute

 

L’orange tranchée en parties égales

laisse circuler une foule de somnambules

dans le col ouvert entre la caresse d’acier

qui dresse un doigt vaincu d’avance

et le baiser en tourbillon qui projette de lourdes étoiles

sur la plage où le vent de terre soulève des dunes aussitôt

résorbées

par l’oiseau de feu délirant du poignard qui le transperce

au point d’exulter à la vue de son sang fuyant à travers les

steppes

sans se douter que la prochaine blessure libérera d’inutiles

poursuivants

 

Femme vêtue de ronces dont les épines s’amollissent au plus

léger contact

femme aux yeux de mangues mûres

qui dissolvent en se dissolvant

les champs de mines qui nous entourent

femme aux bras d’aurore provocante et de nuit à pistolet

aux bras d’âtre en liesse

Femme au lit de barricade bruissante de poings dressés

femme aux mains de rayons de soleil et d’éclairs foudroyants

femme

toi

 

POUR DEMAIN

Lève la tête vers le ciel peuplé de tortues

Si tu vois sur leur dos un éventail agité

tu découvriras ta femme dans la lune

Brise une incisive à un portier galonné

pour entendre prophétiser les beaux jours qui t’attendent

Si ton chien chante à mi-voix

on volera ta vaisselle

Si ta table murmure des imprécations

Arrose-la de lait frais pour éviter la peste

Le vent qui dessine une étoile filante dans le sable

annonce ta prochaine détention

si tu ne brûles pas le drapeau de ton pays

Tatoue sur la joue de ta mère le signe de Saturne

et tu comprendras la fin et le commencement

Rase soigneusement un lion rauque

pour découvrir la voix du corbeau

Fais pleurer un bulbe de lys

en jouant du violon

nu devant un grand feu qui fascine un scorpion

et ta cervelle se multipliera

Mais ne tue sous aucun prétexte

un canard à bec rouge

Ta peau effervescente se soulèverait

pour laisser s’enfuir à jamais tes paroles sages

 

PLUS BAS

Donnez-moi une pierre en forme d’étoile qui puisse éteindre

le clair de lune

et je me charge du reste

c’est-à-dire de faire bouillir le pain frais jusqu’à ce qu’il

libère son rubis

de tuer d’un seul coup de cheveu plusieurs douzaines de

mouches barbues

si occupées à trier les atomes selon leur saveur

que leur langue s’effiloche comme un rideau usé par le temps

 

Donnez-moi un nœud de cravate pleurant à chaudes larmes

et je vous rendrai des mélopées de bateau-lavoir à la dérive

perçant la clairière de la brume mieux qu’un tire-bouchon

une noix de coco

qui roule sur une pente dont on n’aperçoit pas la fin

bondit de chêne en saule

écrase des grenouilles trop occupées de culture physique

pour voir que le soleil

bête terrassée par la chaleur

s’est étalé dans un coin d’ombre et déjà ronfle

à réveiller dans les mines de houille

les grands escargots qui sentent que l’heure est venue de

renaître

et d’envahir les derniers étages des maisons modernes

Donnez-moi une peau d’éléphant

bien tannée bien dorée mais si mince

que je puisse au travers contempler le spectacle d’une flotte

qui se saborde

et je vous apporterai un litre d’eau

réduite en poudre de riz parfumée qui vous attachera à

jamais la plus belle fille de la ville

 

Donnez-moi ce que vous voudrez

à condition que s’en échappe un murmure de zéros qui

complotent

et vous aurez toujours une chanson de pierre morte

 

UN NUAGE SANS AME

Un arbre sans tronc erre au-dessus de ma tête

Une pierre molle se dissout dans ma main dont les lignes

vont pêcher à la rivière

Quatre-vingt-dix ans s’effacent comme le sillage d’un navire

et la foule sans pieds ni tête rentre dans sa tanière

tandis que le veau gras braille une quelconque ritournelle

Où l’on regrette les mots trop bas qui griffent les visages

et parfois arrachent les yeux pour tarir les larmes

 

Où donc va se cacher cet arbre sans tronc qui erre au-dessus

de ma tête

si ce n’est dans une caverne qui éclate sous la pression du

soleil levant

et s’il ne se cache pas comme une fortune toujours mal acquise

où va-t-il si ce n’est au rendez-vous que lui a donné une

trombe de diamants

prête à s’effondrer sur une parade sans lendemain

montée pour des spectateurs usés comme une pierre ponce

frottée sur une lime

si usés qu’ils ne retrouveront jamais le chemin de leur maison

depuis longtemps effacée comme un œil pinéal

depuis longtemps évaporée comme une goutte de rosée au

sommet d’un brin d’herbe

qui se secoue en songeant que la corvée est terminée pour

aujourd’hui

sans s’apercevoir qu’un regard en enseigne de coiffeur

le contemple avec la béatitude d’une bigote avalant une

hostie en mouron rouge

parce qu’il promet une belle journée

 

NE ME DEMANDEZ PAS...

Ne me demandez pas s’il pleut des kiosques à musique

si le syllogisme bâille comme une graine qui germe

si les femmes aux cheveux courts se mirent dans les eaux

claires où brille leur étoile

si le sablier à l’œil unique chante une chanson de corps de

garde

ou si la bouteille contient un message où l’on ne déchiffre que

le mot éternellement

je n’aurais pas le courage de vous avouer que les pavés se

soulèvent

pour que s’entende le cri désespéré des sirènes mises en cage

pas plus que je n’oserais révéler les confidences du manteau

de fourrure

privé des seins nus qu’il recouvrait comme un voile cache la

moitié d’un horizon

Pourtant cela n’aurait que l’importance d’un grain de sable

arrêtant un temps mort

si la circulation automobile s’arrêtait comme un ascenseur

entre deux étages

parce que ses câbles noués figurent une lavallière

que ne dissimule aucune barbe

mais qui sent l’ail

et rue

sans espoir de se débarrasser de sa charge

servitude plus pesante qu’un complément pour un verbe

plus machinale qu’un automne concluant un été sans orage

plus triste qu’un égoutier amoureux de sa tâche

 

LE BŒUF...

Le bœuf à fermeture éclair

ressemble à ton grand-père

à mon grand-père

à celui de tous

bien que ses moustaches aient un air d’adverbe

que ses yeux pleurent comme un escalier où manque une

marche

et supplient les vols d’hirondelles

de lui accorder un chapeau de curé

à fermeture éclair

Mais le chapeau de curé

frémit tout au long de sa fermeture éclair

frontière dont chaque dent cache un douanier

gueule de crocodile guignant une jambe

et cherche un curé vide

à fermeture éclair

à soutane mouchetée d’hosties où fermentent des Verboten

éclatant comme des vesses-de-loup

qui projettent des psaumes poussiéreux et las

à l’image d’un œillet d’Inde fané

ou d’une concierge

à fermeture éclair

comme son Dites votre nom après dix heures

où transparaît une scie ébréchée

pleine de rancœur

et décidée à se venger

sur un passant bigle comme un meuble rongé par les vers

sourd comme une cervelle aplatie par le temps

et muet comme une brique

à fermeture éclair

LES MAINS DANS LES POCHES

N’allumez pas les réverbères

qui germent aujourd’hui comme des nez dans une huître

n’allumez pas votre lanterne

à plumage semblable à une baraque foraine

où des oreillers souriants comme une boulette de mie de pain

vendent des lignes téléphoniques en peau de soupirs

avec des ventres de myopes

et des vernis qu’on astique comme des mille-pattes

comme une tête de pipe qui sera bientôt d’ail

et renaîtra entre les rives d’un citron

où les feux follets à tête d’ours

crieront Au secours

comme s’ils avaient des poumons de fuite de gaz

à asphyxier le Mont-Blanc

qui s’ennuie dans sa salière comme une mouche saoule

qui s’est égarée en recherchant une pince à sucre

qui se travestit si bien en saule pleureur

que le roi la plante devant son banc

de têtes de poulets qui ont avalé la mer

qui n’est bue que dans les grandes occasions

lorsque le pavé glissant révèle à chaque passant

l’image de son vieux père

rasé comme un squelette

très fatigué

et transformé en nid d’hirondelle

dont le prochain envol

à la lueur du dernier rat-de-cave

qui aura pris pour cette fois

la forme solennelle d’un chapeau de mousquetaire

signifiera quoi qu’en dise le salpêtre

inutilisable même comme sang de curé

le prochain et définitif évanouissement

de la violette de Parme

déjà tremblante

et à demi-morte de peur

comme un bain turc

ALLER ET RETOUR

Toi qui regardes comme un brin de mousse avide de rosée

à l’orée d’un bois exhibant ses cuivres astiqués pour

l’ouverture de la chasse

où l’averse passée attire des chants qui claironnent dans les

veines

des images d’hirondelles rassemblées pour des vacances

toi qui embrasses comme une mûre encore rouge en un point

d’aurore tropicale

où se repose un papillon de camélia reflétant un ciel

que n’ose traverser aucun oiseau de crainte d’un passage à

tabac

par mille mesures de flammes montant une garde d’honneur

toi qui tends une main d’angora sans queue ni griffe ni tête

mais pleine d’un vin revigorant comme une sirène de retour

où méditent des caresses de source au fond d’un ravin vêtu

de quartz comme une danseuse

figée dans un dernier sursaut d’éphémère

si mémorable que les montagnes de là-bas l’imitent à qui

mieux mieux

toi qui m’offres tes lèvres de premières fleurs sauvages

épargnées des bestioles

qui rongent comme un métro aux heures d’affluence

que mon baiser et le tien confondus soient le grand cri d’aigle

renaissant des moraines

 

LE "VIN DE LA TERRE"

Le "Vin de la terre" m’a marqué du signe indélébile du

brouillard

à tête de cafard

Qu’y faire

Les veines du bois serpentent capricieusement

attendant les chenilles magnétiques des mines de soie

Dans la demi-brume de mon crâne

vaporeuse

et tapissée de mousse comme un cigare

Entre les lèvres d’une momie

si transparente qu’on dirait un matin agité des sonnettes d’un

ruisseau

pareil à un sein dur de forêt

pleine de papillons de vin

qui enivrent le passant comme mille belladones

scintillantes

pimpantes

exubérante

comme un vol de mouettes dans un salon Louis XV

où tu serais chèvre à reflets d’orage

étoilée de fleurs de fantômes aux éclats aigus d’aigrettes de

cascades

 

TROIS POÈMES-GAGES

Hymme

Et patati et patata

Et tapati et tapata

Et patiti et patoto

Et titipa et totopa

Et pititi et pototo

Et titipi et totopo

Ah !

Rien

Vendredi dit à dimanche

ôte-toi de là que je m’y mette

Mais dimanche est sorti de sa loge

et encombre le printemps

comme une crotte de chien

qui aboie après

les mardi, mercredi, jeudi, samedi et lundi

Battements d’ailes

L’horizon bat la semelle

à cause du vin blanc qui est rare cette année

La rue se mouche très fort

pour faire tressaillir la concierge

L’escalier rit bêtement

à cause du locataire du cinquième

et de sa veuve qui chante

Le locataire du cinquième

est mort et c’est tant mieux

© Mélusine 2011
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