Compte rendu par Bernard Baillaud
On songe déjà, après avoir refermé le premier de ces deux livres, à le relire une troisième fois. Car il suffit de s'y être essayé : il n'est pas facile d'écrire sur Antonin Artaud. Soixante ans après la mort du poète, ce qui fut un mythe ne « fonctionne » plus. Le mimétisme a largement montré ses limites (pourquoi écrire s'il ne s'agit que de répéter ?), la métaphorisation enrichit l'écriture critique mais ne la rend pas toujours plus pertinente pour autant, et les « concepts » issus de l'œuvre restent d'une construction fragile. Le premier courage d'Olivier Penot-Lacassagne est d'avoir relevé ce défi, sans se laisser impressionner par les polémiques récurrentes nées des conditions de publication des Œuvres complètes, ni par l'immense bibliothèque que constituent aujourd'hui les travaux consacrés à Antonin Artaud. Deux livres se partagent le fruit de cet effort, fondés sur la conviction qu'il ne saurait « exister » de lecture définitive. Les choix du second livre d'Olivier Penot-Lacassagne sont différents, mais ils étaient perceptibles – et souhaités, sinon attendus, par le lecteur – dans les marges du premier. Une entrée en matière empruntée à un texte d'Artaud, expulsant « cinquante piges » d'un état-civil sans repos, et qui fonde une « biographie » en forme d'errance vive. Des précisions utiles sont apportées sur la présence cinématographique d'Artaud, souvent omises dans les travaux littéraires, tant les crispations disciplinaires ont la vie dure. Même utilité à propos du séjour au Mexique. Le lecteur complètera in petto ce qu'il lit avec ce qu'il aurait aimé lire, par exemple à propos des interlocuteurs ruthénois d'Antonin Artaud, qui surmontaient des préjugés plus tenaces encore que leurs homologues parisiens : Jean Digot et l'imprimeur Jean Subervie. Mais à trop laisser le texte se gonfler de ses annotations et de ses virtualités, il en serait devenu rigoureusement impossible. Olivier Penot-Lacassagne a l'autre mérite, au cœur même d'un texte biographique qui en d'autres mains s'en serait passé (c'eût été à tort), de donner au texte d'Artaud le premier et le dernier mot, comme si cette vie, au-delà des informations par lesquelles elle peut toujours être précisée, était tout entière passée dans le texte. On savait déjà que le texte d'Artaud subsistait, depuis que l'auteur a été lâché par son corps. Mais l'occasion est bonne de vérifier que la critique du mythe Artaud est une forme efficace de respect pour le texte, et que ce texte lui-même conserve une frappe intacte. |