Menu de Litterature


Litterature Nouvelle SERIE N°3

AU SANS PAREIL, 37, Avenue Kléber PARIS (16e)

Louis ARAGON : Feu de Joie (Dessin de Picasso) ....   3 fr. 50

André BRETON : Mont de Piété (Dessins de A. Derain) .   (épuisé)

André BRETON & Philippe SOUPAULT : Les Champs Magnétiques ....   6. »

Blaise CENDRARS : Dix-Neuf Poèmes Élastiques (Portrait de l'auteur par Modigliani) ....   6. »

Isidore DUCASSE (Comte de Lautréamont) : Poésies (Préface de Philippe Soupault) ....   5. »

Paul ELUARD : Les Animaux et leurs Hommes ; les Hommes et leurs Animaux (Dessins d'André Lhôte) ....   3 »

- : Les Nécessités de la Vie et les Conséquences des Rêves, précédé d'Exemples (Note de Jean Paulhan) ....   6.25

Comne de GOBINEAU : Les Pléiades ....   30. »

Max JACOB : La Côte ....   8. »

- : Le Phanérogame ....   8. »

- : Le Laboratoire Central ....   7. »

Paul MORAND : Lampes à Are (Dessin de l'auteur) ....   7.50

- : Feuilles de température ....   6. »

Jean PAULHAN : Jacob Cow le Pirate, ou Si les mots sont des Signes ....   6. »

Benjamin PERET : Le passager du transatlantique   50. »

Francis PICABIA : Unique-Eunuque (Préface de Tristan Tzara)   3.50

Maurice RAYNAL : Lipehitz (24 reproductions) ....   15. »

G. RIBEMONT-DESSAIGNES : L'Empereur de Chine, suivi de le Serin Muet ....   7. »

Arthur RIMBAUD : Les Mains de Jeanne-Marie

Marcel SCHWOB : Spicilège ....   35. »

Philippe SOUPAULT : Aquarium ....   (épuisé)

- : Rose des Vents (Dessin de Chagall).   3.50

Jean de TINAN : Penses-tu Réussir ? ou les Diverses Amours de mon ami Raoul de Vallonges   25. »

Tristan TZARA : Calendrier cinéma du coeur abstrait (24 bois par Arp.) ....   60. »

Jacques VACHÉ : Lettres (Préface par André Breton) ....   3.50

Marcel WILLARD : Tour d'Horizon (Dessins de Raoul Dufy)   15. »

- : La Bonne Aventure ....   4.50

Au SANS PAREIL

viennent de paraître :

MÉGHADOUTA (Le Nuage Messager, de Kàlidasà), traduit du sanscrit par Marcelle Lalou. Un volume in-16 ....   8 fr.

LA BONNE AVENTURE, par Marcel Willard, - Un vol. tiré à 215 exemplaires ....   4 fr. 50

DE RIEN, drame inactuel en 3 actes, par J. M. Ryeul. 1 volume in-8° sur Hollande, tiré à 130 exemplaires. Prix....   30 fr.

RÉPÉTITIONS, par Paul Eluard, avec dix dessins, dont un en couleurs, de Max Ernst.

Un petit in-8° tiré à 350 exemplaires....   15 fr.

PRIME A NOS ABONNÉS

Nous avons le plaisir d'informer nos lecteurs qu'il sera offert à tout nouvel abonné ou ré-abonné, à partir de ce mois

20 francs de livres

à choisir dans le catalogue du "SANS PAREIL" Seuls les frais d'envois seront à la charge du destinataire

ABONNEZ = VOUS

Le Gérant : Philippe SOUPAULT

S. P. 27, RUE NICOLO - PARIS (XVIe)

Littérature

<Fig>

3

Nouvelle Série

NOUVELLE SÉRIE : N° 3

1er Mai 1922

DIRECTEURS :

ANDRÉ BRETON & PHILIPPE SOUPAULT

= Redaction : 37, Avenue Duquesne, PARIS (VIIe) =

Administration : AU SANS PAREIL, 37, Avenue Kléber, PARIS (XVIe)

LITTÉRATURE paraît le 1er de chaque mois

SOMMAIRE

UN CONCOURS.

PHILIPPE WEIL : Au Clair de la Lune.

JACQUES BARON : L'Inconnu.

ANDRÉ BRETON : L'Année des Chapeaux Rouges.

LOUIS ARAGON : Le Roi fainéant

BENJAMIN PÉRET : L'Auberge du "Cul Volant".

SURPRISES THÉATRALES : Conseil de Révision, par Cangiullo. Jardin public, par Marinetti et Cangiullo. Musique de toilette, par Marinetti et Calderone. Déclamation d'un poème de guerre, par Marinetti.

SYNTHESES THÉATRALES : Le Contrat ; Ils vont venir ; Simultanéité, par Marinetti.

LES LIVRES : Dr Bertray : Aux Victimes de l'Amour.

LETTRE.

PRIX DU NUMÉRO

France : 2 francs -:- Étranger : 2 fr. 50

ABONNEMENTS

Les 12 numéros : 20 francs pour la France et 25 francs pour l'Étranger

La Collection de la première série de LITTÉRATURE comprend 20 numéros dont plusieurs sont épuisés et se vend 40 fr.

P.1 UN CONCOURS

Nous avons reçu la lettre suivante :

Messieurs,

Je vous envoie un poème que je trouve intéressant. Je doute cependant que vous osiez le publier. Si, toutefois, votre audace égale votre vantardise et que vous accordiez l'hospitalité de vos colonnes à ce sonnet, j'imagine qu'il serait curieux de poser à vos lecteurs (vous n'en êtes pas à une enquête de plus ou de moins) les questions suivantes :

1° Quel est le titre de ce sonnet ?

2° Quel en est l'auteur ?

Recevez, Messieurs, l'assurance de mes meilleurs sentiments.

Signature illisible.

Le sonnet que nous publions aujourd'hui n'est pas de ceux que l'on peut négliger. Les six derniers vers, notamment, nous ont paru dignes de Littérature et nous serions heureux que nos lecteurs nous aident à répondre aux mystérieuses questions de notre correspondant. La plupart des collaborateurs de notre revue, consultés, ont donné, comme l'on dit vulgairement, leur langue au chat. Nous recevrons avec le plus vif plaisir les réponses adressées à la rédaction de Littérature, 37, avenue Duquesne.

P.2 Obscur et froncé comme un oeillet violet

Il respire humblement tapi parmi la mousse

Humide encor d'amour qui suit la pente douce

Des fesses blanches jusqu'au bord de son ourlet.

Des filaments pareils à des larmes de lait

Ont pleuré, sous l'autan cruel qui les repousse,

A travers de petits caillots de marne rousse

Pour s'en aller où la pente les appelait.

Mon rêve s'accouple souvent à sa ventouse

Mon âme, du coït matériel jalouse

En fit son larmier fauve et son nid de sanglots.

C'est l'olive pâmée et la flûte câline

C'est le tube où descend la céleste praline

Chanaan féminin dans les moiteurs éclos !

P.3 Au Clair de la Lune

A Raymond Roussel.

La première chose qui s'est présentée à mes yeux, c'est un cadavre placé vis-à-vis la porte, un peu à droite. Il était assis par terre, le dos appuyé contre la muraille, l'épaule et le membre supérieur droits touchant le bras et le bord gauche du fauteuil. Les jambes étaient allongées, les bras pendant le long des cuisses, et les mains reposant sur le sol. La tête était fléchie sur la poitrine, et ce n'est qu'en se baissant un peu qu'on pouvait apercevoir la face ; cette dernière était recouverte de sang desséché ; en se baissant davantage et regardant de plus près sans bouger le cadavre, on apercevait plusieurs incisions sur la face, à la hauteur et dans la direction des commissures des lèvres.

Mon premier soin fut d'aller à la recherche de l'instrument qui avait dû déterminer la mort ; recherche vaine, je ne trouvai rien : mais un papier blanc que je vis sur la commode, et que M. le Commissaire de police me dit avoir été trouvé la veille sur le lit, fixa mon attention. Il était roulé sur lui-même, froissé à ses extrémités ; l'une était plus large que l'autre, et paraissait avoir renfermé un corps de forme quadrangulaire. L'idée me vint que ce corps pouvait bien être un étui à rasoirs, contenant deux de ces instruments. M'étant procuré un tel étui, je l'enveloppai d'un papier de même grandeur, entortillant ses extrémités ; puis, le retirant et abandonnant le papier, je le vis revenir sur lui-même et prendre absolument la forme de celui qui était l'objet de mon investigation.

J'ai ensuite procédé à l'examen de la chambre et des différents objets qu'elle contient.

Une seule fenêtre donnant sur la cour éclaire cette pièce, qui a la forme d'un carré long ; elle est garnie de petits rideaux ; et exactement fermée. A l'opposite est une porte s'ouvrant sur un corridor ; elle est fermée à double tour, et on n'en trouve pas la clef.

La porte latérale par laquelle je suis entré n'a pas été et n'a pu être ouverte, m'assure-t-on, que par le propriétaire de la maison, quelques heures après l'événement. Tout autour de moi le plancher et les meubles offrent des traces de sang plus ou moins larges et plus ou moins nombreuses ; et, d'abord, je remarque un canapé dont le dossier est appliqué contre le mur P.4 qui fait face à la porte latérale et à la cheminée. Un vase de nuit est placé vers le milieu du coussin ; il contient environ deux onces d'un liquide qui me paraît être de l'urine mêlée de sang. Des taches de sang de différentes grandeurs sont disséminées çà et là sur ce coussin.

A son extrémité droite est un oreiller renversé qui cache presque en entier une casquette brune ; en relevant l'oreiller, on aperçoit une nappe de sang desséché sur le coussin. Ce coussin étant légèrement incliné vers le bras droit du canapé, le sang aurait dû naturellement suivre cette pente, et je remarque, au contraire, qu'il s'est arrêté brusquement à un pied environ de ce bras pour changer de direction, s'épancher entre le coussin et le dossier, de là, traverser le fond du canapé et se répandre à terre.

En regardant l'oreiller, j'observe que la moitié inférieure du côté que j'ai trouvé en contact avec le coussin, est ensanglantée. Posant alors cet oreiller à la place qu'il doit naturellement occuper, c'est-à-dire sur le bas du canapé, sa partie inférieure, qui est fortement imprégnée de sang, se trouve exactement en rapport avec la large couche de sang du coussin, ce qui me démontre évidemment que l'oreiller était ainsi placé pendant l'action, et que, chargé d'un corps pesant, il a formé l'obstacle qui s'est opposé à ce que le sang pût passer par-dessous.

Environ une douzaine de petites gouttellettes de sang plus ou moins allongées se remarquent sur le papier au-dessous du canapé, ainsi que sur le côté de la commode qui est en rapport avec ce meuble. Le marbre de la commode présente des traînées de sang dans toute sa longueur.

Immédiatement après la commode est un fauteuil en velours jaune, comme le canapé. La partie supérieure du dossier offre une tache d'environ quatre pouces, qui paraît résulter du frottement d'un corps ensanglanté. Sur la moitié droite et avant du siège est une couche épaisse de sang, entièrement desséchée sur les bords, mais encore fluide au milieu. Il paraît qu'accumulé en assez grande abondance dans cet endroit, le sang s'est ensuite répandu à terre, partie en traversant le fauteuil, et partie en s'écoulant le long de son bord inférieur. C'est près de ce fauteuil que repose le cadavre ; de ce dernier à la porte qui est vis-à-vis la fenêtre, il existe un espace libre. Le papier, dans cet intervalle, présente plusieures taches de différentes grandeurs qui paraissent produites par le frottement d'un corps ensanglanté ; l'une d'elles décrit une légère courbe dont la convexité répond à la fenêtre et la concavité à la porte ; précisément dans l'angle et près de là porte, ainsi qu'au-dessous, sur le plancher, se remarquent plusieurs gouttes de sang projetées et plus ou moins allongées ; quelques petites et rares P.5 gouttelettes existent çà et là sur la porte ; une entre autres est située sur la plaque de la serrure.

A un pied de la porte, est une table de nuit appliquée à la muraille, et dont le marbre est couvert de taches épaisses de sang desséché, au milieu duquel se trouve une mèche de cheveux noirs. Au bas de ce meuble on voit une grande quantité de larges gouttes de sang qui, avant d'arriver jusqu'au sol, ont fait des traînées sur la paroi postérieure de son fond, qui est tourné vers l'intérieur de la chambre.

Plus loin, et dans l'angle, est un lit surmonté de rideaux blancs supportés par une flèche. Au bas est un tapis taché de sang, au coin qui répond à la table de nuit. Ce lit est recouvert d'une couverture de coton blanc à raies bleues, et garni d'un traversin et d'un oreiller non revêtu de sa taie ; près du chevet le rideau et la couverture sont empreints de plusieurs gouttes de sang séparées par de très petits intervalles. Sur le bord droit du lit, la couverture est légèrement chiffonnée et offre un petit groupe de taches qu'on pourrait assez bien reproduire en saisissant la couverture avec des doigts ensanglantés. Un peu au-delà se remarque une tache à peu près carrée, qui parait le résultat de l'application d'un corps ensanglanté, et au fond de laquelle on aperçoit quatre gouttes de sang projetées sur une même ligne, et à des intervalles presque égaux.

Un peu plus loin, et vers le milieu du lit, plusieurs taches de sang forment à peu près un éventail ; près d'elles est une mèche de cheveux noirs. Quelques autres petits cheveux de la même couleur sont fixés çà et là sur ces taches, qui me semblent avoir été faites d'un seul coup par un instrument ensanglanté (tel qu'un rasoir) qu'on aurait essuyé rapidement sur la couverture. En revenant un peu vers le bord du lit, sont deux taches noirâtres, à peine mêlées de sang, dirigées de haut en bas, et qui me portent à croire que, là, des pieds ont été essuyés. A l'extrémité de la couverturé, on voit quelques gouttes de sang plus nombreuses à mesure qu'on s'approche du pied du lit, sur le dossier duquel on remarque des traces qui indiquent que le sang y est tombé en abondance, et qu'une partie a coulé sur le dedans du panneau, tandis que l'autre s'est répandue sur le dehors et de là jusqu'au sol, qui en est inondé. La portion du rideau qui recouvre le dossier est imbibée d'un sang plus clair que celui que j'ai remarqué partout ailleurs : la partie inférieure surtout présente une longue tache d'une teinte très pâle, et qui répand une odeur urineuse ; ce rideau est fripé dans certains endroits, et quelques petits cheveux noirs s'y trouvent attachés.

P.6 Le bord du rideau qui, après avoir enveloppé la tête du lit, revient dans la ruelle, est taché de quatre ou cinq goutelettes de sang projetées.

Immédiatement après le pied du lit, se trouve la porte mitoyenne au N° 7 et au N° 8 ; sur son linteau se remarquent quelques gouttelettes de sang un peu allongées.

Vient ensuite un petit secrétaire, sur le marbre duquel on en voit de semblables dirigées un peu obliquement de gauche à droite ; suit la cheminée, puis, en tournant, on arrive à la fenêtre au devant de laquelle est placée une table à écrire, en noyer, dont le drap est entièrement couvert de trainées de sang.

Devant cette table et près du canapé, le plancher est recouvert de sang ; une mèche de cheveux noirs s'y trouve collée. A partir de cet endroit, en se dirigeant vers le pied du lit, on remarque plusieurs taches de sang, au fond desquelles on distingue l'empreinte de clous de souliers. En avançant, ces taches diminuent d'épaisseur et de largeur, jusque près du lit, où l'on n'en aperçoit plus.

J'ai ensuite procédé à l'examen du cadavre. Taille d'un mètre 68 centimètres de hauteur, individu bien constitué, très musculeux ; cheveux noirs ainsi que les poils du pubis et ceux des aisselles, les traits de la face altérés par la décomposition putride que le corps a subie ; au pli de la peau du bras droit et à la face interne de ce membre, deux petites tourterelles qui se becquètent (tatouage) ; aucun autre signe qui puisse servir à constater l'identité de l'individu.

L'habit de couleur marron, dont il est revêtu, est couvert de sang sur les parties extérieures et intérieures des revers ; plusieurs taches se remarquent aussi sur les épaules et dans le dos, ainsi que sur les manches ; le collet de velours présente, dans sa moitié droite, et près de sa brisure, deux longues coupures très nettes et une autre près de l'extrémité gauche. Un tissu vert entre dans la composition de sa doublure, et fait reconnaître qu'un petit morceau d'étoffe de même couleur, trouvé dans la chambre, lui appartient. Un col garni de baleines et recouvert de taffetas noir est fixé par une boucle autour du cou, et n'offre aucune trace de lacération. La chemise est ensanglantée dans toute sa partie antérieure ; le pantalon de coutil grisâtre est fortement taché de sang dans toute la partie qui répond au ventre ; des gouttelettes nombreuses se remarquent sur les cuisses ; la partie extérieure du fond est tachée par le sang qui était répandu sur le sol, les semelles des bottes sont garnies de clous et sont ensanglantées.

Philippe WEIL.

P.7 L'Inconnu

Il disait mes lèvres sont des grappes monstrueuses

des panthères qui chantent

plus douces que les oiseaux si doux de la colline

et les taureaux sanglants des gros nuages obscurs

Il disait

Je porte dans mon sein

des vagues immenses âcres

au milieu des fleurs belles des grands jours

Il appelait Marie

une petite fille qui portait des légumes

Il disait il disait encore

Je suis un coquelicot

qui réveille le matin l'azur-blème des bêtes

Jacques BARON.

P.8 L'ANNÉE DES CHAPEAUX ROUGES

A Pierre Drieu La Rochelle.

I

Pour mieux sauter

J'étais brun quand je connus Solange. Chacun vantait l'ovale parfait de mon regard et mes paroles étaient le seul éventail que pour me dissimuler leur trouble je pusse mettre entre les visages et moi. Le bal prenait fin à cinq heures du matin non sans que les plus tendres robes se fûssent égratignées à des ronces invisibles. O propriétés mal fermées de Mont-fermeil où l'on va chercher le muguet et une couronne princière. Dans le parc où nul couple ne s'isolait plus les rayons glaciaux du faux soleil d'après, véritables chemins de perle, ne trouvaient à étourdir que les voleurs attirés par le luxe de cette vie et qui se mettaient à chanter, dans les voix les plus justes, aux divers degrés du perron. Les serpents réputés inacclimatables qui glissaient dans l'herbe comme des mandolines, les décolletés impossibles et les figures géométriques de papier feu s'éclairant parmi eux qu'on s'effrayait d'apercevoir par la fenêtre, tinrent longtemps dans une sorte de respect miraculeux les chenapans de velours et de liège.

C'est alors qu'accablé de présents et lassé de ces beaux instruments de paresse auxquels dans une chambre atrocement voluptueuse je m'exerçais tour à tour, je pris le parti de congédier mes servantes et de m'adresser à une agence pour me procurer ce dont j'avais besoin : le réveil crépusculaire et un oiseau des mines de diamant qui me tînt la promesse d'extraire les racines d'une petite souffrance que j'avais devinée. Je n'étais pas plus tôt en possession de ce double trésor que je m'évanouis.

Le lendemain était jour que je savais consacré à l'accomplissement d'un rite très obscur dans la religion d'une peuplade des bords de l'Ohio. Sous la protection de l'orage où j'allai me placer, rien ne pouvait m'atteindre à l'exception d'une très vive lueur qui seulement pour moi se distinguerait d'un éclair. La tête renversée et les tempes protégées par deux plaques très minces de saphir, je portais encore en moi ce vide fléché tout en descendant P.9 la côte qui longe le terrain de manoeuvre. On venait de sonner rassemblement et les jeunes hommes blonds se comptaient. L'admirable pluie à l'odeur de sainfoin qui commençait à tomber disloquait si bien le jour que j'avais envie d'applaudir. De l'ombre d'un petit bouquet d'arbres à une centaine de mètres s'envolaient encore dans la direction du soleil quelques-uns de ces pantalons de dentelle qui font merveille au théâtre mais j'avais en vue autre chose qu'un lâcher de pigeons-voyageurs.

Je sais un arc-en-ciel qui n'annonce rien de bon. Quand le vent se ramasse dans un coin de la terre comme une toupie et que vos cils battent tandis que vous sentez un bras imaginaire passé autour de votre taille, essayez de vous mettre à courir. J'étais sous un viaduc pâle à la seule idée de ces voyoux qu'on emploie sur les locomotives à siffler dans leurs doigts. Rien, évidemment, ne se passerait. Je gagnai le petit sentier que la voie perd seulement à l'entrée de Paris. Etais-je devenu l'un de ces enfants pauvres qu'on voit l'hiver s'accrocher aux voitures de charbon et au besoin trouer les sacs ? Peut-être. Un homme d'équipe, de ceux qui portent toujours dans leur main un petit ver rouge enchâssé dans une motte de terreau, me saluait. Nul ne connait comme moi le coeur humain. Un forçat qui avait participé au lancement du cuirassé « La Dévastation » m'assurait un jour que dans l'immense cône de lumière dont nul autre que lui n'avait pû sortir, il était donné d'assister à la création du monde. Pareillement, du plus loin que je me rappelle, rien ne m'a été caché du manège sentimental. J'approchais de la gare d'Est-Ceinture à l'heure de la sortie des usines. Les nacelles retenues dans les cours se détachaient du sol une à une et toutes les passagères semblaient folles d'une branche de lilas. Devant le mur de briques blanches et rouges s'illuminait de place en place un merveilleux lustre de doubles-croches. Le travail commué laissait la nuit libre : des mains allaient pouvoir emplir les saladiers bleus. Sous la blouse de coutil qui est encore un moule, l'ouvrière parisienne au chignon haut regarde tomber la pluie du plaisir.

Il faut savoir ce que c'est que de se promener avec un sceptre dans les ruelles de la capitale à l'entrée de la nuit. La rue Lafayette balance de gauche à droite ses vitrines. C'est l'heure des meetings politiques et l'on peut voir au-dessus des portes se détacher en lettres grasses l'inscription « Rien ne va plus ». J'étais depuis un quart d'heure à la merci de ces voyantes funèbres qui, avec des yeux violets, vous demandent obligatoirement une cigarette. On m'a toujours enseigné que la plus haute expression de gravité consistait à parler tout seul. J'étais cependant moins fatigué que jamais. Un des pôles aimantés de ma route devait être, je le savais depuis P.10 longtemps, la réclame lumineuse de « Longines » à l'angle de la rue de la Paix et de l'avenue de l'Opéra. De là, par exemple, je n'aurais plus su où aller.

Tâche pour tâche, obligation pour obligation, je sens bien que je ne ferai pas ce que j'ai voulu. Les petites lanternes aux armes de Paris qui font rebrousser chemin aux voitures à partir d'une certaine heure m'ont toujours fait regretter l'absence des paveurs. Il faut les avoir vus, ne serait-ce qu'une fois, l'oeil à leur niveau d'alcool, éviter tout cahot aux loutres gantées de craie. Les pavés de bois sont plus légers que les prières dont le soleil use lentement les bords. Si l'un est plus clair que les autres, il y a dans votre portefeuille une dépêche que vous n'avez pas lue. Cependant, à l'un des plus jolis coudes du boulevard, cette clairière orangée plantée d'un paratonnerre et recouverte d'une houle de Liberty était-elle vouée à la circulation d'animaux plus gracieux que les autres ? Ce fut un jeu pour moi d'enjamber sans être aperçu les quelques fioles de parfum qui voulaient m'en interdire l'accès. Une ordonnance de police paraissant dater du milieu du siècle dernier tapissait en partie le manche d'un instrument en forme d'arbalète que je reconnus pour l'avoir déjà vu incrusté de pierres précieuses à la devanture d'une armurerie des passages. Il reposait cette fois sur une claie de feuillage séché de sorte que je pus croire à un piège. Le temps d'écarter cette idée, je mis à jour les deux échelons supérieurs d'une échelle de cordes. Je décidai aussitôt de faire usage de l'appareil qui s'offrait et me donnai seulement le loisir, quand ma tête fut seule à émerger du sol, de baiser éperdument de loin deux hautes bottes noires fermées sur des bas crèmes. C'était là le dernier souvenir que j'emporterais d'une vie qui avait été courte car je ne me rappelle plus bien si j'avais vingt ans sonnés.

Pour comprendre le mouvement dont était animé ce triste ascenseur, il faut faire appel à certaines connaissances astronomiques. Les deux planêtes les plus éloignées du soleil combinent leur rotation autour de lui avec cet étrange va-et-vient. La lumière était celle des boutiques d'eau minérale. Pour quel public d'enfants hagards éxécutais-je des exercices aussi périlleux ? J'apercevais des moulures discontinues passant par toutes les couleurs du spectre, des cheminées de marbre blanc, des accordéons et alternivement la grêle, les plantes ciliées et l'oiseau-lyre. Attendez, naufrages ; soupirez, trompettes marines au son desquelles je serai peut-être un jour reçu par mon frère, ce charmant mollusque qui a la propriété de voler sous l'eau. Peu à peu la lenteur des oscillations me faisait pressentir l'approche du but. Là était le mystère car je n'aurai rien dit en affirmant P.11 que soumis à un tel balancement dans l'air supérieur, j'aurais aussi bien pu m'arrêter à Naples ou à Bornéo. Les zônes torrides, glaciales, lumineuses ou de clair-obscur s'étagéaient, se carrelaient. Quand une jeune fille, dans une ferme, laisse couler à travers sa chambre l'eau d'une source voisine et que son fiancé vient s'accouder à la barre arquée de sa fenêtre, ils partent eux aussi pour ne plus se retrouver. Que d'autres se croient s'ils le veulent à la merci d'un rétablissement : moi que les plus blanches écuyères ont fêté pour mon adresse à lancer leurs chars aveugles sur les routes de poussière, je ne sauverai personne et je ne demande pas à être sauvé. J'ai ri jadis de la bonne aventure et je porte sur l'épaule gauche un trèfle à cinq feuilles. Il peut m'arriver chemin faisant de tomber dans un précipice ou d'être poursuivi par les pierres, mais ce n'est chaque fois, je vous prie de le croire, qu'une réalité.

II

Coutumière du fait

C'est plutôt chaque pas que je fais qui est un rêve et ne me parlez pas de ces tramways d'aspect bénin où le conducteur délivre des billets de tombola. Il profite de toutes les stations pour aller boire. C'est alors que le véhicule qui tend après l'arrosoir à se retirer de la circulation se voit entouré des cerfs les plus photogéniques. Pour moi, mes convictions ne m'ont jamais permis d'y prendre place qu'au rabais, de grand matin, avec les ouvriers qui portent en bandoulière des besaces pleines de perdrix. Tout de même, j'étais venu à Paris et une grande flamme m'escortait, je l'ai dit, de ses quarante pieds blonds.

Les boulevards souterrains n'existaient pas encore.

On sait dans quelles conditions singulières ont été commis presque tous lés crimes : le coupable se croit obligé de dépenser plus de mille francs par nuit. J'étais si riche : tout le fruit de la prostitution entre les années 1914 et 1918, je n'aurais su que faire de cette pomme d'or.

A ce moment l'ennemie de la société pénétrait dans l'immeuble situé au n° 1 du boulevard des Capucines. Mais elle ne fit qu'entrer et sortir. Je ne l'avais jamais vue et pourtant mes yeux s'emplirent de larmes. Elle était discrète comme le crime et sa robe à petits plis noire, en raison de la brise, apparaissait tour à tour brillante et ternie. Il n'y avait pas P.12 d'autre provocation dans son attitude : tant qu'elle alla j'observai que son pied se posait toujours aussi légèrement. A sa gauche, à sa droite, sur le trottoir s'inscrivaient sans cesse en lettres de toutes les couleurs des noms de parfums, de spécialités pharmaceutiques. Dans tous les cas il fait bon suivre de telles femmes dont on est sûr qu'elle ne vont pas à vous et qu'elles ne vont nulle part. Comme celle-ci venait encore de franchir pour rien le seuil d'une maison de la rue de Hanovre, je me portai vivement à sa rencontre et avant qu'elle eût pu se reconnaître, j'emprisonnai dans la mienne sa main crispée sur un revolver si petit que la bouche du canon n'atteignait pas la première phalange de l'index replié. L'inconnue eut alors un regard de supplication et de triomphe. Puis, les yeux fermés, elle prit mon bras silencieusement.

Rien n'est assurément plus simple que de dire à une femme, à un taxi : « Occupez-vous de moi ». La sensibilité n'est autre chose que cette voiture entièrement vitrée dans laquelle vous avez pris place ; une vulgaire dentelle de fil jetée sur la banquette essaie de vous faire oublier les ornières du chemin. Parfois l'impériale est garnie de malles et de cartons à chapeaux oblongs comme des pendantifs. Le tout va se jeter dans un petit lac au pied de l'arbuste des mains jointes. Par la force des choses, autrefois n'ai-je pas attendu qu'une raison de vivre me vînt de ces parties de chagrin ? Les femmes les plus enragées sont les divorcées qui s'arrangent si bien de leur voile de crêpe gris-perle. Au bord de la mer il fut pour moi de saison de jongler avec leurs genoux. Le fouet des victorias disparues ne dessinait plus dans le temps qu'une pluie d'étoiles et il faut avouer que ces deux images froidement distinctes n'étaient pas seules superposables du point où je me trouvais placé. Ainsi au feu de la rampe une bouche apparaît absolument semblable à un oeil et qui ne sait que, pour peu qu'on incline le prisme de l'amour, les archets courent sur la jambe des danseuses ?

Quand il s'agit de Solange... Huit jours durant nous avons habité une région plus délicate que l'impossibilité de se poser pour certaines hirondelles. Sous peine de séparation nous nous étions interdit de parler du passé. La fenêtre donnait sur un navire, lequel, couché dans la prairie, respirait régulièrement. Au loin on apercevait une immense tiare faite de la richesse des anciennes villes. Le soleil prenait au lasso les plus belles aventures. Nous avons vécu là des heures exquisement oubliables en compagnie de l'Arlequin de Cayenne. Il faut dire qu'au beau milieu de l'escalier qui conduisait à notre chambre, Solange avait ôté son chapeau et allumé le feu de paille. Il y avait un bouton de sonnerie pour la réalisation P.13 de chacun de nos désirs et il y avait temps pour tout. Le dessus de lit était fait de nouvelles à la main :

La boule d'or qui roule sur le fond azuré de cette cage n'est reliée à aucune tige apparente et elle est pourtant la boule d'un merveilleux condensateur. Nous sommes dans un bar de la rue Cujas et c'est ici qu'après l'attentat du train 5 Mécislas Charrier vint essayer cette main finement gantée grâce à laquelle il sut se faire reconnaître.

Rosa-Josépha, les soeurs siamoises, il y a huit jours se levaient de table lorsqu'un papillon arborant mes couleurs vint décrire un huit autour de leurs têtes. Jusque-là le monstre, accouplé à un casseur d'assiettes, semblait avoir compris peu de chose au grand destin qui l'attendait. »

On allait être en septembre. Sur un tableau noir, dans le bureau de l'hôtel, une équation tracée de main d'enfant ne comportait plus que des variables. Le plafond, l'armoire à glace, la lampe, le corps de ma maîtresse et l'air lui-même s'étaient approprié la sonorité du tambour. Parfois, entre minuit et une heure, Solange s'absentait mais j'étais sûr de la retrouver le matin dans sa chemise pailletée. Je ne sais encore que penser de son sommeil et peut-être ne fit-elle jamais que s'éveiller à mes côtés. Sous le toit de verdure frémissante partagée entre les échos nocturnes, dans la cheminée refleurissait la fraise des quatre-saisons. Solange avait toujours l'air de sortir d'une redoute. La terrible impersonnalité de nos rapports excluait si bien toute jalousie que les grands verres d'eau teintés des disparitions ne s'attiédissaient jamais. Plus tard seulement j'ai compris l'extraordinaire faiblesse de ces fameux tours de magie blanche.

C'est dans la salle de bains que se passait le meilleur de notre temps. Elle était située au même étage que notre chambre. Une buée épaisse « à couper au couteau » s'y étendait par places, notamment autour de la toilette, à ce point qu'il était impossible d'y saisir quoi que ce fût. De multiples accessoires de fard y trouvaient incompréhensiblement leur existence. Un jour que je pénétrais le premier, vers huit heures du matin, dans cette pièce où régnait je ne sais quel malaise supérieur, dans l'espoir, je crois, d'éprouver le sort mystérieux qui commençait à planer sur nous, quelle ne fut pas ma surprise d'entendre un grand bruit d'ailes suivi presque aussitôt de celui de la chute d'un carreau, lequel présentait cette particularité d'être de la couleur dite « aurore » alors que la vitre demeurée intacte était au contraire faiblement bleue. Sur le lit de massage reposait P.14 une femme de grande beauté dont je fus assez heureux pour surprendre la dernière convulsion et qui, lorsque je me trouvai près d'elle, avait cessé de respirer. C'était comme si une métamorphose ardente se fut opérée autour de ce corps sans vie. Si le drap tiré aux quatre coins s'allongeait à vue d'oeil et allait à une merveilleuse limpidité, le papier d'argent qui tapissait ordinairement la pièce, par contre, se recroquevillait. Il ne servait plus qu'à poudrer les perruques de deux laquais d'opérette qui se perdaient bizarrement dans la glace. Une lime d'ivoire que je ramassai à terre fit instantanément s'ouvrir autour de moi un certain nombre de mains de cire qui restèrent suspendues en l'air avant de se poser sur des coussins verts. Les moyens me manquaient, on l'a vu, pour interroger le souffle de la morte. Solange n'avait pas paru de la nuit et pourtant cette femme ne lui ressemblait pas à l'exception des petits souliers blancs dont la semelle au point d'insertion des orteils présentait d'imperceptibles hachures comme celles des danseuses. Le plus léger indice me manquait. Il était remarquable que la jeune femme fût entrée là toute dévêtue. Comme j'introduisais mes doigts dans ses cheveux fraîchement coupés j'eus soudain l'impression que la belle qui n'avait pas bougé venait de déplacer le corps de gauche à droite, ce qui, joint à la position de son bras droit derrière son dos et à l'hyperextension de sa main gauche, ne pouvait manquer de suggérer l'idée d'un grand écart.

M'étant borné à ces menues constatations, je sortis sans précautions inutiles. Certes les seules décorations qui m'inspirent quelque respect sont ces crachats d'or fixés à la doublure, un peu au-dessous de la poche intérieure du veston. Je rajustai pourtant le ruban rouge que je portais à la boutonnière. On n'a écrit qu'un livre médiocre sur les évasions célèbres. Ce qu'il faut que vous sachiez, c'est qu'au-dessous de toutes les fenêtres par lesquelles il peut vous prendre fantaisie de vous jeter, d'aimables lutins tendent aux quatre points cardinaux le triste drap de l'amour. Mon inspection n'avait duré que quelques secondes et je savais ce que je voulais savoir. Aussi bien les murs de Paris avaient été couverts d'affiches représentant un homme masqué d'un loup blanc et qui tenait dans la main gauche la clé des champs : cet homme, c'était moi.

André BRETON.

(Voir au numéro 5 la fin du chapitre 2 et le chapitre 3 : UN MONDE A PART.)

P.15 Le Roi fainéant

L'homme que l'autre avait deviné sa pensée secoua sa tête comme un tapis : « La vie peut être encore belle, très belle ». Ils causent. Là dessus l'écume escalade la jetée. La femme, sa vie c'est comme si on chantait, donne des pierres à manger aux flots. Les flots, bonne histoire.

Un détail, tout matériel, frappa la petite pensionnaire. Il avait, pendant sa courte absence, changé de costumé. C'était enfin le moment de savoir venu.

Davenant à la terrasse des cafés se croyait à bord d'un navire ou mieux à cet acte d'opéra où d'un toit le baryton découvre la ville. Roger Noir, lui, le long d'une femme. Mais Silence : Silence regarde ses mains et le vent, et se sourit d'être si belle.

Un soir aurore, comme un homme s'y mirait, Silence ferma les yeux : le photographe.

Elle chantait tandis que les meubles descendaient l'escalier sous la conduite du commissaire-priseur.

Il est bien naturel de danser sur les parquets de l'appartement des faillites.

Le long du fleuve d'hommes, qu'importe le parapet ? Epaule à bretelle.

Aux ailes du matin qu'as-tu changé, Maman ?

« J'ai joué aux dés mes tempes ; à pile ou face une robe du soir ; j'ai joué mon souffle à la courte paille. J'ai joué à l'amour l'amour ».

LOUIS ARAGON.

P.16 L'Auberge du "Cul volant"

Je soussigné, Benjamin Péret, certifie que ces lignes ont été écrites, sous ma dictée, la première partie avant de faire l'amour et la seconde partie après.

1. - Avant

L'homme à la couille sauvage descendit de l'arbre qu'il occupait depuis son premier mariage. Il tenait dans chaque main un sexe, d'où sortaient des millions de petites larves qui s'envolaient aussitôt et allaient se poser sur de grosses fleurs bleues. Au contact de ces larves, les fleurs jaillissaient comme si elles eussent été de caoutchouc.

L'homme était un double mâle. Il s'avança vers un rocher où se dessinait à hauteur d'homme une ligne de vagins. Du doigt, il toucha l'un d'eux, qui rendit un son aigu, le second, rendit un son plus aigu encore, le troisième révéla au toucher la sensibilité d'un sourcil. Il appuya sur le quatrième avec son pouce de toutes ses forces, et la pierre s'enfonça. A mesure que la pierre s'enfonçait, deux grands bras blancs, et deux jambes aussi blanches que les bras apparurent et se couvrirent de roses en un instant.

L'homme disparut, cependant qu'à la place du vagin, une longue traînée de soufre coulait jusqu'à terre. Non loin de là, une grande fleur jaune qui s'entrouvrait, quitta son pied et s'enroula autour d'un arbre, - une sorte de magnolia. Elle se colla sur une des fleurs de l'arbre qui disparut dans sa corolle ; et de là aussi, on put voir quelques minutes après, du soufre couler goutte à goutte.

De l'endroit où l'homme était disparu, partait maintenant un bruit d'hélice tournant à toute allure, et de seconde en seconde, des fragments d'os et de chair sortaient du trou par lequel l'homme était entré.

Quatre mouches, et deux grosses araignées bleues, se mirent à tourner silencieusement autour du petit tas d'os et de chair qui se mit à tourner sur lui-même. Bientôt, une tête se forma puis un bras, une jambe, un sexe, et le corps tout entier d'un enfant nouveau-né apparut.

L'enfant porta la main à son sexe qui était mâle, les mouches et les araignées disparurent par le même trou que l'homme. L'enfant, la main à son sexe jouissait. Les arbres, les animaux, les rochers s'incurvaient et dessinaient tous la forme d'un vagin. L'enfant se leva, courut à l'arbre qu'il voulut saisir, mais l'arbre devint liquide, et lui coula entre les bras, il courut aux rochers et ceux-ci s'envolèrent.

De nouveau l'enfant toucha son sexe du doigt et jouit. Une haie de sexes mâles se dressa de chaque côté de lui, et l'enfant s'envola suivi de P.17 deux seins, l'un blanc, l'autre noir. Il descendit à quelque distance de la, sur le bord d'un ruisseau ; et là, il vit sortir de l'eau l'homme à la couille sauvage, dont les mains étaient remplies d'excréments, qui fleurissaient au contact de l'air. Une petite cervelle tomba en sifflant, pénétra dans le crâne de l'enfant et assura sa croissance.

L'homme mit l'enfant dans son ventre, et deux jeunes Espagnoles se jetèrent à ses pieds, embrassant sa verge avec passion. Elles s'arrondirent subitement, se mouchetèrent de taches semblables à celles d'un léopard.

L'homme se roidit comme s'il allait mourir ; celle qui à cet instant lèchait sa verge, se roidit également. Et tous deux, animés d'un mouvement hélicoïdal, s'enfoncèrent droit dans un nuage électrique, et descendirent aux pieds de Dieu.

2. - Après

Le marchand de tapis s'arrêta devant l'auberge et dit : Petites filles fraîches, jeunes garçons tout blancs ! Qui en veut, Messieurs et Dames ?

L'homme au nombril d'écaille, qui portait une main sur la tête, s'éveilla du long sommeil qu'il venait de faire en compagnie d'une négresse : celle qu'il avait ramenée d'un pays où les plantes se déplacent et font l'amour en marchant. Il sortit son revolver et tira sur le marchand, mais celui-ci avait prévu le coup et s'aplatit adoptant à peu près la forme d'une tortue.

En regardant les lampes électriques, il commença à s'enivrer. La petite marchande d'étoiles passa, et vendit à tout le monde sa petite marchandise parfumée, ainsi elle put dîner ce soir-là.

L'homme au nombril d'écaille, le premier s'éveilla de nouveau. Une colombe portant le rameau d'olivier, voltigeait au-dessus de sa tête. Il ouvrit la fenêtre, l'air était pur, le ciel était bleu, les oiseaux chantaient, mais tous les hommes mangeaient dans les arbres avec les oiselles, et les oiseaux étaient dans le lit des femmes.

C'était le matin du 2 avril 1922, et les machines souffraient comme des femmes en couches. Seul l'homme qui s'était aplati comme une tortue allongeait la tête vers la vulve qu'il apercevait à quelque distance de lui, mais à chaque mouvement qu'il faisait pour s'avancer, correspondait un mouvement de la vulve qui s'éloignait.

Une sarcelle, venant à passer entre eux, comprit leur émoi, et consentit à s'étendre pour les relier. La pointe du bec appuyée sur la vulve, une patte sur la tête de l'homme, elle tournait.

L'homme au nombril d'écaille les vit, et éclatant de rire leur dit :

« Vous êtes bien punis mes pauvres enfants. »

BENJAMIN PERET.

P.18 SURPRISES THÉATRALES

Conseil de Révision

par Cangiullo

Le Marié

L'Ami

Le Directeur du Théâtre, en frak

Le passant

Quelqu'un dans la foule

Le Cortège

et, s'il y a lieu, la Mariée.

Dans une grande ville italienne. - 1916. - Une rue. - Soleil d'après-midi d'avril.

Dans le fond, les derniers groupes d'un cortège de noce, très bruyant. - Hommes et femmes de tous les âges. - On suppose que le Marié et la Mariée sont déjà passés et que l'église, la maison, les voitures et tout le reste sont derrière les portants. - Gaîté, émotion, souhaits, bons-mots, etc.

Peu après :

Le Passant (venant de droite, s'arrête, regarde. Puis comme s'il parlait à Quelqu'un dans la foule : On se fiche de la guerre, à ce qu'il paraît !... On se marie quand-même.

Quelqu'un dans la foule. C'est un réformé. On n'a pas voulu de lui, pas même à la deuxième révision...

Le Passant (calmé) Ah ! c'est bien... c'est bien... Mes meilleurs souhaits... (Il disparaît dans la foule).

Le Cortège. Vivent les mariés ! (Applaudissements).

Tout le monde sort. Obscurité.

Après quelques secondes, le Directeur du Théâtre en frak, sort des coulisses et vient à la rampe en disant au public d'un ton grave et solennel :

Le Directeur du Théâtre. Mesdames et messieurs ! C'est en ce moment que la chose a lieu... Réfléchissez !

(Il sort. - Après une minate, éclairage)

Le lendemain. - Même rue, mais à l'aube.

Le Marié (petit, rachitique, phtisique, très ridicule, réformé, encore coiffé de son haut-de-forme, en redingote, avec monocle, mais bouleversé, très agité, entre à gauche. Au milieu de la scène, il rencontre l'Ami, qui était le type le plus en vue dans le cortège).

L'Ami (étonné) Tiens ! Joseph ! ! Seul ? ! A cette heure matinale ? ! Un malheur peut-être ? ! Madame serait-elle endommagée ?

Le Marié. Endommagée ? Hélas ! Non ! Je divorce !

L'Ami (très étonné). Quoi ?...

Le Marié. Incompatibilité....

L'Ami. Déjà ? !... Après quelques heures seulement ?...

P.19 Le Marié. Naturellement ! Le temps qu'il fallait pour m'apercevoir qu'un mari qui a été réformé deux fois ne peut pas être en bons rapports avec une femme qui fut certainement apte au service Dieu sait combien de fois !

L'Ami. Oooooh ! !

Le Marié. Viens ! Tu vas m'accompagner.

(Ils sortent)

Le Directeur du Théâtre (entre en scène). Mesdames et Messieurs, le drame est fini. Seulement, si vous nous faites la grâce d'applaudir les acteurs, nous vous présenterons la Mariée. Bien qu'elle n'ait pas eu de rôle dans la pièce, c'est tout de même... le premier rôle de ce joli petit chef-d'oeuvre.

(Rideau)

Le public (applaudissant) La Mariée ! La Mariée ! Nous voulons la Mariée !

(Le rideau se lève)

Le Directeur du Théâtre (entre en scène tirant hors des portants la Mariée, qui s'accroche, ne veut pas se montrer, et dont on ne voit qu'un bras nu).

(Rideau)

Le Public. La Mariée ! La Mariée ! Nous voulons la Mariée à la rampe !

(Le rideau se lève)

Le Directeur du Théâtre répète les mêmes efforts inutiles pour sortir la Mariée.

(Rideau)

Le public. La Mariée ! La Mariée ! Nous voulons la Mariée !

(Le Rideau se lève, et enfin)

Le Directeur du Théâtre, avec un grand effort, s'empare de la Mariée et la traîne à la rampe. Elle est en chemise, une couronne de fleurs d'oranger sur sa chevelure blonde. Timide et rougissante, elle cache ses yeux avec son bras nu.

(Rideau)

Le propriétaire du théâtre et l'imprésario furent surpris, au point de croire que l'actrice-Mariée ne voulait à aucun prix se montrer sur la scène. Ils s'empressèrent de dépêcher une commission qui se présenta à MM. Marinetti et Cangiullo, en exigeant la présence de la Mariée à la rampe.

Jardin public

par Marinetti et Cangiullo.

Parc ensoleillé. - A gauche deux Amants (acteur et actrice) enlacés, s'embrassent sur un banc. - A droite, un grand tableau futuriste d'Alphabet à Surprise, représentant trois nourrices (grandeur naturelle) faites avec trois B énormes, chacune avec son poupon en forme de grand S.

Près du tableau se dandine un inverti.

A un mètre de la rampe, 6 automobilistes (5 acteurs et 1 actrice) assis sans soutien comme autant de 4, imitent les bonds et les mouvements à ressort de 6 personnes assises dans une auto rapide, avec un chauffeur qui reproduit avec la bouche les bruits du moteur.

P.20 A Lucca, dès le rideau baissé, un spectateur se mit à marcher sur ses mains, les jambes en l'air et fit ainsi le tour de la première galerie, parmi les spectateurs surpris.

A Turin, un spectateur se déguisa en Cavour et fit un grand discours contradictoirement avec un spectateur déguisé en Mazzini, et lui répondit spirituellement.

Musique de toilette

par Marinetti et Calderone.

Les pédales d'un piano vertical et noir sont chaussées d'élégants petits souliers dorés de dame. Un acteur, femme de chambre du piano, époussette le clavier au moyen d'un plumeau en jouant ainsi un morceau. Un autre acteur (seconde femme de chambre du piano) frotte avec une brosse à dents, les dents d'ivoire du piano. A genoux, un petit chasseur d'hôtel vêtu de rouge frotte les petits souliers dorés du piano.

(Rideau)

Cette surprise en provoqua une autre hors de la scène. Un monsieur dans le parterre, s'adressant à Marinetti, qui assistait au spectacle dans une loge, crie : « Non ! vous n'êtes pas fou ! Vous nous rendez fous ! » Au même instant un monsieur du poulailler se met à siffler violemment et aussitôt après, à applaudir avec la même violence. Alors le monsieur du parterre jette l'alarme à haute voix : « Voici le premier cas de folie ! » et s'élance terrorisé vers la sortie.

Déclamation d'un poème de guerre, avec tango voluptueux

par Marinetti.

Le poète déclame un poème de guerre en mots en liberté. Les bruits de la canonnade, de la fusillade et de la mitrailleuse sont imités avec exactitude au moyen de la grosse-caisse et d'un martèlement de tablettes invisibles. En même temps, deux élégants danseurs, homme et femme, (habit et toilette rose décolletée) dansent un tango langoureux autour du déclamateur. Cette déclamation créée par Marinetti en 1913, au Doré-Galerie de Londres, apparaît aujourd'hui perfectionnée.

Cette compénétration d'une âme de combattant (fureur guerrière et nostalgie voluptueuse) est une importante invention futuriste. Partout, dans les salles les plus tumultueuses elle a eu le pouvoir prodigieux de clouer d'admiration le public, qui après avoir écouté la déclamation, en salua la fin par les applaudissements les plus enthousiastes.

P.21 SYNTHESES THÉATRALES

Le Contrat

par Marinetti.

Chambre à coucher. - Pénombre. - On entrevoit un lit blanc dans lequel agonise M. Paul Dami.

L'Ami (entre et s'adresse à la Femme de chambre). Paul est mourant ; il n'y a donc plus d'espoir...

La Femme de chambre. Un brin d'espoir. La balle a traversé le poumon.

L'Ami. Mais dites-moi... C'est vraiment pour... cette femme, qu'il s'est tué ?

La Femme de chambre. Mais non... M. Paul s'est suicidé pour l'appartement. Je vous expliquerai l'énigme. Vous savez qu'il adorait cet appartement. Dernièrement, il pria le propriétaire de lui ouvrir une fenêtre sur la rue. Pour le grand cortège... Ce crétin refusa. Il y a trois jours, M. Paul apprit par hasard que le propriétaire était en pourparlers avec un nouveau locataire. L'idée de perdre cet appartement, l'a rendu fou de douleur et il s'est tiré un coup de revolver.

M. Dami (parlant en rêve). Le feu à la maison ! L'appartement brûle ! Appelez les pompiers ! (Il s'assoupit. - Le Médecin entre, et aussitôt après lui une dame blonde, en noir, très élégante, qui s'approche du lit du moribond, face aux spectateurs).

L'Ami (au Médecin). Il n'y a vraiment plus rien à faire ?

Le Médecin (solennel). Rien. Voyez-vous ?... Quand un monsieur entre dans un appartement, le cas est grave, mais il y a toujours l'espoir d'une guérison... Quand, au contraire, c'est l'appartement qui entre dans le monsieur, le cas est vraiment désespéré !... (A ce moment, la Dame en noir passe de l'autre côté du lit, et tourne le dos aux spectateurs. Sur son dos, on voit une petite pancarte avec ces mots : A LOUER).

(Rideau)

Ils vont venir

par Marinetti.

Un salon. Lustre allumé. Au fond, à gauche, une porte ouverte sur le jardin. A gauche, le long du mur, grande table rectangulaire avec tapis de couleur. A droite, le long du mur, qui est percé d'une porte, un grand fauteuil à dossier très haut, ayant à sa droite quatre chaises de formes différentes, et à sa gauche quatre chaises de formes différentes. Le fauteuil et les chaises sont adossés au mur.

Sitôt levé le rideau on voit entrer par la porte du jardin un Maître d'hôtel et deux Valets de pied.

Le Maître d'hôtel. Ils vont venir. Que tout soit prêt. (Il sort).

Les Valets de pied disposent les huit chaises en demi-cercle, à droite et à gauche du fauteuil, qui demeure à sa place, comme la table. Puis, ils vont à P.22 la porte du jardin et demeurent quelques instants sur le seuil, en tournant le dos au public, comme s'ils guettaient les visiteurs, le buste penché au dehors. Une minute de silence immobile après laquelle le Maître d'hôtel rentre, haletant, dans le salon.

Le Maître d'hôtel. Nouvel ordre. Ils sont excessivement fatigués. Il faut donc beaucoup de coussins. (Il sort).

Les Valets de pied sortent par la porte de droite et rentrent, après quelques instants, chargés de coussins. Ils disposent le fauteuil au milieu du salon et les chaises en cercle autour du fauteuil, tous les dossiers tournés au fauteuil. Ils disposent des coussins sur le fauteuil, sur chaque chaise et en forment des tas sur le plancher.

Les Valets de pied vont ensuite à la porte du jardin, guetter les visiteurs attendus, le dos tourné au public comme auparavant. Une minute de silence immobile.

Le Maître d'hôtel. haletant, rentre par la porte du jardin. Nouvel ordre. Ils ont faim. Préparez la table.

Le Valet de pied disposent la table au milieu du salon. Tout autour, le fauteuil et les chaises. Puis ils préparent les couverts. A une place, ils mettent un vase de fleurs ; à une autre tout le pain ; à une autre, huit bouteilles de vin ; aux autres le couvert seulement. Une chaise doit être appuyée à la table, les pieds postérieurs soulevés, pour indiquer que la place est prise. Puis ils vont encore guetter sur le seuil, le buste penché au dehors. - Deux minutes de silence immobile.

Le Maître d'hôtel rentre en courant. - Briccatirakamékamé ! (il sort).

Les Valets de pied, sans rien changer à la disposition des couverts remettent rapidement la table à la place où elle était au début. Puis ils placent le fauteuil devant la porte, de biais, et ils disposent derrière le fauteuil les huit chaises en monôme, de façon à former une diagonale à travers la scène. Ils éteignent le lustre. La scène est maintenant éclairée faiblement par le clair de lune qui vient du jardin. Un réflecteur caché dans le fond gauche du jardin lance dans le salon son faisceau lumineux en couchant sur le plancher les ombres noires et nettes du fauteuil et des huit chaises. Le réflecteur, en pivotant lentement, déplace lentement mais visiblement ces ombres.

Les Valets de pied, accroupis dans un coin, ont l'air d'attendre avec une angoisse visible, en tremblant, que les chaises, aux ordres du fauteuil, sortent du salon.

(Rideau).

Simultanéité

Compénétration par Marinetti.

Salon. Le mur de droite est entièrement couvert par une grande bibliothèque. - Vers la gauche, une grande table. - Le long du mur, à gauche, des meubles modestes, tels qu'on en voit chez les petits bourgeois, et une porte. - Dans le fond, une fenêtre, à travers laquelle on voit la neige, et une autre porte qui s'ouvre sur l'escalier.

P.23 Autour de la table, au dessus d'une suspension coiffée d'un abat-jour et qui répand une lumière faible et verdâtre, est assise une famille bourgeoise : La Mère, qui coud. Le Père, qui lit son journal. Le Fils de 16 ans, qui fait ses devoirs. La Fille de 15 ans, qui coud comme sa mère.

Devant la bibliothèque, tout près, une toilette très riche, très éclairée, avec glace et candélabres, surchargée de tous les flacons et de tous les petits instruments dont se sert d'habitude une femme très élégante. Une projection très intense de lumière électrique enveloppe ce meuble, devant lequel est assise une jeune Cocotte, très belle, blonde, enveloppée d'un peignoir très riche. Elle vient de se coiffer et s'occupe des dernières retouches à son visage, à ses bras, à ses mains, aidée attentivement par une femme de chambre irréprochable, debout à côté d'elle.

La famille bourgeoise ne voit pas cette scène.

La Mère (au Père). Veux-tu vérifier les comptes ?

Le Père. Je m'en occuperai tout-à-l'heure. (Il reprend sa lecture.)

Silence. Chacun des personnages s'occupe de sa besogne. - La Cocotte, de son côté continue à s'habiller, restant toujours invisible pour la Famille. - La Femme de chambre va vers la porte qui s'ouvre dans le fond, comme si elle avait entendu tinter la sonnette, et introduit un petit commissionnaire qui s'approche de la Cocotte et lui présente un bouquet et une lettre, puis sort, après avoir salué très respectueusement.

Le Fils aîné se lève, va vers la bibliothèque, en passant très près de la toilette, comme si celle-ci n'existait pas. Il prend un livre, traverse encore le salon, revient s'asseoir à la table, et se remet à écrire.

L'Ainé (interrompant son travail et regardant par la fenêtre). Il neige encore... Quel silence !

Le Père. Cette maison est vraiment trop isolée... L'année prochaine nous déménagerons...

(La Femme de chambre de la Cocotte va de nouveau vers la poste, comme si la sonnette avait tinté encore une fois, et introduit une jeune modiste. - Celle-ci, s'étant approchée de la Cocotte, extrait de sa grande boîte un chapeau magnifique. La Cocotte l'essaye, devant la glace, s'impatiente parce qu'elle ne le trouve pas à son goût, et le met de côté. - Puis elle donne un pourboire à la jeune fille et la renvoie d'un geste. La jeune fille sort en saluant.

Tout à coup la Mère, après avoir cherché quelque chose sur la table, se lève et sort par la porte de gauche, comme pour aller prendre un objet qui lui manque.

Le Père se lève, va vers la fenêtre, devant laquelle il reste debout, regardant à travers les vitres.

Peu à-peu, les trois enfants s'endorment, la tête sur la table.

La Cocotte quitte la toilette, s'approche lentement de la table bourgeoise. Elle prend les factures, les devoirs, les ouvrages de couture, et jette tout cela sous la table, nonchalamment).

La Cocotte. Dormez donc !

(Elle retourne lentement s'asseoir devant la toilette, et se met à polir ses ongles avec soin).

(Rideau).

P.24 LES LIVRES

Docteur Bertray : Aux victimes de l'Amour

La vie, à chaque pas, dans chaque rue, se retrouve. C'est toujours la même façade, moins le mystère qu'on n'ose pas avouer. Nous ne pouvons laisser inaperçu ce petit livre du Docteur Bertray. Ce grand savant sait mêler la poésie et la science. Il le fait avec vérité, avec un grand coeur généreux et dévoué. Sera-t-il incompris lui aussi ? Certes, car son antimilitarisme est trop loyal pour nos critiques d'art et journalistes. Pourtant nous qui ne nous chauffons pas du même bois, nous avouons admirer l'esprit du Docteur Bertray De cette pauvre jeunesse abattue, se relèveront bientôt des hommes victorieux qui rempliront le monde d'une progéniture saine et dévouée.

On pourra dire alors : C'est son oeuvre.

Jacques BARON.

Lettre

Nous avons reçu la lettre suivante que nous nous empressons de communiquer à nos lecteurs :

Messieurs,

Nous avons le plaisir de vous informer que nous vous expédions par ce courrier la douzaine d'enfants français morts de faim que vous nous réclamez en échange des spécimens russes que vous avez eu la bonté de nous envoyer.

Toujours dévoués à vos ordres, agréez, etc.

(IIlisible)

AU SANS PAREIL, 37, Avenue Kléber PARIS (16e)

Louis ARAGON : Feu de Joie (Dessin de Picasso) ....   3 fr. 50

André BRETON : Mont de Piété (Dessins de A. Derain) .   (épuisé)

André BRETON & Philippe SOUPAULT : Les Champs Magnétiques ....   6. »

Blaise CENDRARS : Dix-Neuf Poèmes Élastiques (Portrait de l'auteur par Modigliani) ....   6. »

Isidore DUCASSE (Comte de Lautréamont) : Poésies (Préface de Philippe Soupault) ....   5. »

Paul ELUARD : Les Animaux et leurs Hommes ; les Hommes et leurs Animaux (Dessins d'André Lhôte) ....   3 »

- : Les Nécessités de la Vie et les Conséquences des Rêves, précédé d'Exemples (Note de Jean Paulhan) ....   6.25

Comne de GOBINEAU : Les Pléiades ....   30. »

Max JACOB : La Côte ....   8. »

- : Le Phanérogame ....   8. »

- : Le Laboratoire Central ....   7. »

Paul MORAND : Lampes à Arc (Dessin de l'auteur) ....   7.50

- : Feuilles de température ....   6. »

Jean PAULHAN : Jacob Cow le Pirate, ou Si les mots sont des Signes ....   6. »

Benjamin PERET : Le passager du transatlantique   50. »

Francis PICABIA : Unique-Eunuque (Préface de Tristan Tzara)   3.50

Maurice RAYNAL : Lipchitz (24 reproductions) ....   15 »

G. RIBEMONT-DESSAIGNES : L'Empereur de Chine, suivi de le Serin Muet ....   7. »

Arthur RIMBAUD : Les Mains de Jeanne-Marie

Marcel SCHWOB : Spicilège ....   35. »

Philippe SOUPAULT : Aquarium ....   (épuisé)

- : Rose des Vents (Dessin de Chagall).   3.50

Jean de TINAN : Penses-tu Réussir ? ou les Diverses Amours de mon ami Raoul de Vallonges   25. »

Tristan TZARA : Calendrier cinéma du coeur abstrait (24 bois par Arp.) ....   60. »

Jacques VACHÉ : Lettres (Préface par André Breton) ....   3.50

Marcel WILLARD : Tour d'Horizon (Dessins de Raoul Dufy)   15. »

- : La Bonne Aventure ....   4.50

Au SANS PAREIL

viennent de paraître :

MÉGHADOUTA (Le Nuage Messager, de Kàlidasà), traduit du sanscrit par Marcelle Lalou. Un volume in-16 ....   8 fr.

LA BONNE AVENTURE, par Marcel Willard, - Un vol. tiré à 215 exemplaires ....   4 fr. 50

DE RIEN, drame inactuel en 3 actes, par J. M. Ryeul. 1 volume in-8° sur Hollande, tiré à 130 exemplaires, Prix....   30 fr.

RÉPÉTITIONS, par Paul Eluard, avec dix dessins, dont un en couleurs, de Max Ernst.

Un petit in-8° tiré à 350 exemplaires....   15 fr.

PRIME A NOS ABONNÉS

Nous avons le plaisir d'informer nos lecteurs qu'il sera offert à tout nouvel abonné ou ré-abonné, à partir de ce mois

20 francs de livres

à choisir dans le catalogue du "SANS PAREIL" Seuls les frais d'envois seront à la charge du destinataire

ABONNEZ = VOUS

Le Gérant : Philippe SOUPAULT

S. P. 27, RUE NICOLO - PARIS (XVIe)

LITTÉRATURE

 

 

NOUVELLE SÉRIE : N° 4, 1er Septembre 1922

DIRECTEUR :

ANDRÉ BRETON

= Rédaction : 42, rue Fontaine, PARIS (IXe) =

Administration : LIBRAIRIE GALLIMARD, 15, boulevard Raspail, PARIS

LITTÉRATURE paraît le 1er de chaque mois

SOMMAIRE

PICABIA DIT DANS LITTÉRATURE

André BRETON :   CLAIREMENT

Louis ARAGON :   PROJET D'HISTOIRE LITTÉRAIRE

Robert DESNOS :   PÉNALITÉS DE L'ENFER

Francis PICABIA :   PENSÉES ET SOUVENIRS

Jacques BARON :   LA JOURNÉE DES MILLE DIMANCHES

André BRETON et Philippe SOUPAULT   VOUS M'OUBLIEREZ

Raoul HUELSENBECK : EN AVANT

NOTES

par Louis ARAGON, Jacques BARON, Robert DESNOS, Benjamin PÉRET.

PRIX DU NUMÉRO

France : 2 francs. - Etranger : 2 fr. 50

ABONNEMENTS

Les 12 numéros : 20 francs pour la France et 25 francs pour l'Étranger

La Collection de la première série de LITTÉRATURE comprend 20 numéros dont plusieurs sont épuisés et se vend 40 francs

EXEMPLAIRE N°

P.1 CLAIREMENT

Un courant romanesque, né de l'agitation poétique de ces dernières années, a dressé dernièrement les uns contre les autres quelques individus qui jusqu'alors avaient exprimé leur commun désir ici-même et ailleurs. Au plus fort de la crise (août 1921-mars 1922) et à la veille de sa résolution (juillet-août 1922) LITTÉRATURE cessa de paraître. Entre temps Philippe Soupault et moi nous avions essayé sans grand succès de faire diversion : numéros du chapeau haut-de-forme. Mais nous nous rendîmes compte assez vite que nous vivions sur un compromis.

Une certaine obscurité enveloppe aujourd'hui ce tournant de l'histoire de LITTÉRATURE où, pour ainsi dire, Dada prit possession d'une petite revue à couverture jaune qui avait joui à ses débuts d'une considération distinguée. Il est évidemment fâcheux que l'arrivée à Paris de Tristan Tzara ne semble pas étrangère à cette modification quoique, à mon sens, elle ait été infiniment moins opérante, par exemple, que la rencontre que je fis en 1915 de Jacques Vaché et surtout que la nouvelle de la mort de ce dernier, que je reçus en plein coeur vers février 1919. Toutefois j'avoue avoir reporté sur Tzara quelques-uns des espoirs que Vaché, si le lyrisme n'avait pas été son élément, n'eût jamais déçus. De là, sans doute, la méprise de Huelsenbeck qui, dans un ouvrage dont nous publions ci-inclus d'importants fragments, prononce par ailleurs contre Tzara un réquisitoire qui me semble en tous points fondé.

La littérature, dont plusieurs de mes amis et moi nous usons avec le mépris qu'on sait, n'est point traitée par nous comme une maladie (nous avons été obligés d'en passer par ces images grossières). J'écrirais, je ne ferais plus que cela, si, à la question : Pourquoi écrivez-vous ? je pouvais répondre en toute certitude : J'écris, parce que c'est encore ce que je fais le mieux. Ce n'est pas le cas et je pense aussi que la poésie, qui est tout ce qui m'a jamais souri dans la littérature, P.2 émane davantage de la vie des hommes, écrivains ou non, que de ce qu'ils ont écrit ou de ce qu'on suppose qu'ils pouvaient écrire. Un grand malentendu nous guette ici, la vie, telle que je l'entends, n'étant pas même l'ensemble des actes finalement imputables à un individu, qu'il s'en soit ressenti pour l'échafaud ou le dictionnaire, mais la manière dont il semble avoir accepté l'inacceptable condition humaine. Cela ne va pas plus loin. C'est encore, je ne sais pourquoi, dans les domaines avoisinant la littérature et l'art que la vie, ainsi conçue, tend à son véritable accomplissement.

Bon gré, mal gré, il est des hommes qui participèrent plus ou moins de cette angoisse. Leur grand souci est aujourd'hui de n'en rien laisser paraître : à les croire ils ont toujours exercé l'art comme un métier. Il y a quelques jours j'ai rencontré chez un photographe de mes amis M. Henri-Matisse (trait d'union). Nul peintre ne veut passer pour en avoir pris avec la nature moins à son aise. Ses oeuvres anciennes ? des essais dont à ses yeux le seul mérite est d'avoir permis ses réalisations actuelles. Ils sont comme cela aujourd'hui une dizaine, les Valéry, les Derain, les Marinetti, au bout du fossé la culbute, qui reçoivent en plaisantant vos doléances et vous quittent après vous avoir donné sentencieusement rendez-vous dans dix ans.

Il en est d'autres, comme M. Cocteau, dont je m'excuserais que le nom vienne sous ma plume, s'il ne me paraissait urgent de signaler qu'ils vivent sur le cadavre des premiers et si leurs élucubrations à la longue ne finissaient par nous causer un malaise intolérable. Qui n'a pas lu dans l'INTRANSIGEANT une lettre de M. Cocteau où celui-ci entreprend de nous divulguer son « art poétique » ignore encore ce que peut produire en une matière aussi délicate un auteur qui possède, à la fois, le génie du contre-sens et celui de la désidéalisation.

Dieu merci, notre époque est moins avilie qu'on veut le dire : Picabia, Duchamp, Picasso nous restent. Je vous serre les mains, Louis Aragon, Philippe Soupault, mes chers amis de toujours. Vous souvenez-vous de Guillaume Apollinaire et de Pierre Reverdy ? N'est-il pas vrai que nous leur devons un peu de notre force ? Mais déjà Jacques Baron, Robert Desnos, Max Morise, Pierre de Massot nous attendent. Il ne sera pas dit que le dadaïsme aura servi à autre chose qu'à nous maintenir dans cet état de disponibilité parfaite où nous sommes et dont maintenant nous allons nous éloigner avec lucidité vers ce qui nous réclame.

André BRETON.

P.3 PROJET D'HISTOIRE LITTÉRAIRE CONTEMPORAINE

Avant-propos

Agadir. - Les vols du Louvre. - Le Futurisme. - Les ballets russes. - Nick Carter. - Les Duncans.

De 1913 à la guerre

Alcools. - Comment on parlait de Lautréamont. - Vers et Prose, la Closerie des Lilas. - Rimbaud aux mains de Paul Claudel. - La Phalange. - L'époque des Soirées de Paris. - Guillaume Apollinaire se rallie au futurisme un jour de Grand Prix. - Savinio en bras de chemise. - Les Indépendants. - Cravan. - La baronne. - Le Phalène. - Le Sacre. - Chirico. - Lettre d'Arthur Rimbaud contenant Rêve (N. R. F. du 1er Août 1914).

Du 1er août 1914 à la mort d'Apollinaire (10 novembre 1918)

Le Cinéma, Charlot et les Vampires. - Le Mot, l'Elan et les Solstices. - Montparnasse et Montmartre. - Guillaume Apollinaire et la guerre. - Mardis de Flore. - Sic. - Kisling, Abdul, Modigliani, etc. - Baptême de Max Jacob. - Manifestations de l'O. S. T. : Philippe Soupault, les Fuégiens. - Parade. - La rue Huyghens : ou la musique s'en mêle. - Les Mamelles de Tirésias. - Jacques Vaché. - La révolution russe. - Paul Valéry fait paraître la Jeune Parque. - L'aventure Fraenkel-Cocteau : que penser de la poésie moderne ? - 291. - Nord-Sud. - Querelles montmartroises. - Le procès Satie. - Le Val-de-Grâce : André Breton. - Apollinaire censeur et Louis Delluc. - Je fais un sonnet en l'honneur du général Joffre. - L'influence de Jarry se fait sentir. - Guillaume Apollinaire et l'esprit nouveau, Roger Allard, le cubisme littéraire. - Philippe Soupault à l'hôpital. - Organisation commerciale de la Nouvelle Revue Française. - Les P.4 Trois Roses, L'Eventail, L'Instant, La belle Edition, Madame Aurel, Madame Lara, Art et Vie. - Soi-même et la Caravane. - 391. - Pierre Bertin, Pelléas à l'Odéon. - Madame Bathory au Vieux Colombier. - Paul Guillaume, les Rosenbergs. - Picabia en Espagne, en Suisse et en Amérique. - La Suisse pendant la guerre : Dada, Bolo, Casella, Guilbeaux, Romain Rolland. - L'Espagne : Marie Laurencin, Robert Delaunay. - L'Amérique : Marcel Duchamp, Man Ray, Cravan, W. C. Arensberg, etc. - L'Allemagne : Huelsenbeck, Baader, Max Ernst, Baargeld, etc. - Les Ecrits Nouveaux : admiration d'André Germain pour André Breton. - Soirées chez Valéry. - André Breton à Moret. - Le mirage américain. - Adrienne Monnier. - Monsieur Dermée et les fous. - Mariage de Philippe Soupault. - Mort de Guillaume Apollinaire.

De l'armistice à Dada (novembre 1918 à janvier 1920)

Manifeste Dada 1918. - Codification du cubisme littéraire. - Aujourd'hui naît et meurt. - Valori Plastici. - Art et Vie devient Art et Action. - Cocteau prend figure. - Mort de Jacques Vaché. - L'époque des collages. - Le Dit des Jeux du Monde, les Cuirs de Boeuf. - Le Crapouillot, l'Europe nouvelle. - Les prolégomènes de Littérature (le jeune Cliquennois). - Gide se met au courant. - Littérature. - Le Sans-Pareil rue du Cherche-Midi. - Débuts de Paul Morand. - Isidore Ducasse. - Max Jacob et ses nains. - Matinée Reverdy : Raymond Radiguet. - La N. R. F. recommence. - Fraenkel sur le Rhin. - Je rentre à Paris. - Les Champs magnétiques. - Couleur du Temps : Paul Eluard croit reconnaître un mort. - Le Surréalisme. - Les prix littéraires. - Où l'on commence à en avoir assez du cubisme. - Conversations avec Zurich. - Le rétablissement des relations internationales (Ezra Pound, Ivan Goll, etc.). - Je rencontre Drieu la Rochelle. - Vlaminck, Derain, Picasso. - L'offensive réactionnaire en peinture et les premiers Indépendants ; J. L. Vaudoyer, A. Lhôte. J. E. Blanche, Louis Vauxcelles un peu partout. - ON LANCE FAVORY. - J. E. Blanche critique littéraire. - Georges Auric au Val-de-Grâce. - Maurice Raynal à la Renaissance. - Fernand Vandérem découvre la littérature moderne. - IL VA FALLOIR TOUT COMPROMETTRE. - Premiers craquements (Reverdy). - Francis Picabia rentre à Paris.

P.5 Dada (janvier 1920 à octobre 1921)

Picabia. - Tzara. - Ribemont-Dessaignes. - Les ballets russes : un vol de fourrures. - Premier Vendredi de Littérature. - La grande colère. - La Section d'Or. - Ere des manifestations : Grand Palais, Faubourg, Université populaire, Oeuvre, les lettres anonymes, la Salle Gaveau. - Rachilde et Dada. - Le Salon Gallimard. - Acte de vandalisme chez André Breton. - Dada et la N. R. F. - Le Salon de Madame Erlanger : Drieu, Eve Francis. - Max Jacob à Lariboisière : apparition de Benjamin Péret. - Public de Dada. - Dada court à la réussite philosophique. - Paul Valéry chez Miss Barney. - Salon Mühlfeld. - André Germain invite rue du Mont-Thabor. - Le silence. - Expositions au Sans-Pareil. - Les livres Dada paraissent. - Cannibale. - Tzara fait son petit Chateaubriaud. - L'Anthologie Crès. - Madame de Noailles. - Clement Pansaers et la Belgique. - Succès de Picabia : vernissage chez Povolotzki. - Carco grand homme pour Cora et Mistinguett. - Le Boeuf sur le toit et les spectacles Cocteau. - Picabia s'écarte de nous. - Jacques Rigaut fait illusion. - Encore 391. - Où sont les peintres ? L. A. Moreau, Nam, Segonzac, etc. chez Madame Rappoport. - Le mirage allemand : Max Ernst, exposition et manifestation. - Marinetti à Paris : colère de Madame Gustave Kahn. - Vente Kahnweiler. - Saint-Julien-le-Pauvre. - Films de Louis Delluc. - L'Affaire Barrès. - L'excommunication majeure. - Petite entreprise de démolition : histoire d'un portefeuille. - Picabia directeur de Little Review en remplacement de Jules Romains. - Les Dissidences. - André Breton se sépare de Dada. - Le salon Dada, programme et manifestation. - Les bruiteurs futuristes. - Hébertot, fermeture du salon Dada. - Paul Eluard à Saint-Brice. - Les mariés de la Tour Eiffel : Robert Delaunay. - Nouvel éclat de Montparnasse. - Blanche à la campagne. - Le Tyrol pendant l'automne 21.

Après Dada (octobre 1921 à nos jours)

Soirées de Broussais. - Un coup de poing de Georges Braque. - Le torchon brûle. - Rapport de Fernand Divoire sur la poésie (instruction publique). - Aventure, Roger Vitrac, Jacques Baron (Henry Cliquennois reparaît). - Vernissage Man Ray et la Librairie Six. - Congrès de Paris (Max Morise). - Cocteau veut revoir André Breton. - Le salon de Madame Aurel existe encore ! - Comité du P.6 C. P. - André Breton revoit Francis Picabia : révélations. - Tzara démasqué. - La grande crise sentimentale et ce qui s'ensuit. - La Closerie des Lilas. - Comment finit le Congrès. - Le Coeur à barbe qui devait s'appeler l'Oeil à poil. - Voyage en Angleterre : Georges Limbour au Havre. - Dés : politique de Tzara. - Américains : Josephson, Brown, Cummings. - Secession à Vienne. - Le Docteur Caligari. - Salmon, auteur dramatique. - Robert Desnos. - Le Petit Casino : projets de manifestations. - Benjamin Péret au Matin. - La manifestation interdite : beautés du passage du Caire. - Les milieux anarchistes. - Man Ray, grand photographe. - Les littérateurs s'organisent. - Procès Bessarabo. - Francis Picabia à la campagne. - Paul Eluard au Tyrol. - Philippe Soupault, homme d'affaires. - Drieu de retour à Paris. - Bal à Bullier. - Peintures de Crotti : André Lhôte. - Le grand prix du roman à Francis Carco. - Paul Souday s'en prend à Baudelaire : RIEN N'EST ENCORE ENTENDU.

Conclusion

Etat des esprits au début de l'été 1922. - Comment Dada n'a pas sauvé le monde. - Prodromes d'une nouvelle littérature de chemin de fer dont Chateaubriand et Max Jacob seront les prototypes. - Une vague de réaction. - Encore plusieurs qui ne se sont pas pendus. - Tout se classe. - Médiocrité universelle. - Comment on écrira l'histoire.

Louis ARAGON.

LITTÉRATURE

Littérature a été forcée de marcher avec de l'essence « Poids lourds » pendant quelque temps et cela grâce à l'esprit Sans Pareil de quelques-uns, fabriquants à la solde d'un gouvernement commanditaire.

Aujourd'hui Littérature peut vivre par ses propres moyens, les abonnés s'étant réunis et ayant ouvert les plus larges crédits à André Breton et Louis Aragon, pour continuer leur effort unique dans l'histoire de l'Art : Ne pas s'admirer, ne pas s'enfermer dans l'école révolutionnaire devenue pompier, ne pas admettre de spéculation mercantile, ne pas chercher la gloire officielle, ne s'inspirer que de la vie, n'avoir comme idéal que le mouvement continu de l'intelligence.

F. P.

P.7 Pénalités de l'Enfer

Aragon, Breton, Vitrac et moi habitons une maison miraculeuse au bord d'une voie ferrée.

Le matin, je descends l'escalier, assourdi de tapis tricolores, sur la pointe des pieds (pour ne pas réveiller Madame Breton qui dort encore). C'est curieux comme les locomotives hurlantes circulent alors dans mon poignet et dans mes tempes.

Benjamin Péret m'attend en bas. Nous nous en allons dans une île déserte.

Le zanzibar, sans doute, n'est pas une nourriture mais est-ce pour cela que Péret s'endort lorsqu'il n'y a plus de disques à donner aux entonnoirs printaniers et que je m'en vais ?

Aux fortifications les douaniers ricanent à mon passage et me demandent mon permis de conduire :

- Mais je suis à pied !

Sourires mielleux, grossières insultes : Je me sauve. Ils restent sur le pas de la porte à remuer les bras et à agiter leur képi.

Or il n'y a personne dans Paris, plus personne, sauf une vieille épicière morte dont le visage trempe dans un plein compotier de sourires à la crème. Les tramways et les autobus, par deux, sont alignés dans les rues. En plein midi celles-ci sont éclairées à l'électricité. Les horloges sonnent ensemble des heures différentes. Je rentre à la maison. Les photographies de Vitrac, de Baron, de M. et Mme Breton et d'Aragon sont clouées aux marches de l'escalier. Dans la chambre de Vitrac il y a un baril de whisky ; dans celle d'Aragon un cornet à piston ; dans celle de Baron un grand nombre de petits souliers. Sur la porte de la chambre de M. et Mme Breton il y a une inscription P.8 effrayante à la craie : « Numérotez vos abatis ! » Je pénètre, la tête de Benjamin Péret est dans la glace. Je cours à l'Ile déserte, une éruption volcanique l'a détruite et Benjamin Péret sur un petit môle me fait des signes et il lui pousse une barbe immense dans laquelle je m'embarrasse en essuyant mes pieds.

Adieu Péret, adieu ! Quand François 1er mourut les orbes des sphères lumineuses ne laissèrent nulle trace sur les vitres des fenêtres cadenassées de crêpe. Adieu Péret.

Le train passait rapidement. Il sauta dedans, Benjamin sur la route des floraisons chimiques. Pas assez vite cependant car un de ses bras, le gauche, resta dans l'espace au-dessus du quai. A 500 kilomètres Benjamin m'appelait encore pour que je le lui envoyasse. Des troupeaux piétinèrent les angélus et des tapis de cheveux de femme. A quoi bon... le bras de Benjamin Péret je l'ai laissé dans cette gare qui marque le pas. Le bras de Benjamin Péret, seul dans l'espace, au-dessus du quai, indique la sortie, et au delà le grand café du Progrès et au delà...

De petits filaments poussèrent à mes vêtements de laine.

- « Fermez la portière, ou, dans ce compartiment, je ferai monter les signaux d'alarme et les villes horizontales, les unes après les autres. A quoi bon tirer le cordon ? Le concierge brûle les petits canards dont sa femme accouche à chaque minute révolue. Il ne s'arrêtera pas et, d'ailleurs, le ferait-il, nous allons si vite que la maison en pastel de celluloïd serait loin, déjà en ruines, déjà détruite, reconstruite et, qui sait, peut-être habitée par ce monsieur qui tombe en faisant des cabrioles sans pouvoir m'entraîner ».

Je ferme les yeux. La magnifique toison qui me fait frissonner d'énervement à des endroits précis, et au menton, et à la nuque, et à l'oreille, a un trou. A la suite de moi-même je m'amoindris au point de passer par ce trou derrière lequel je me retrouve moi-même sur la toison sans envers.

Voix d'une femme, qui sort d'un lampadère, la nuit, rue de Rivoli.

« - Veux-tu, chéri, cueillir des pigments biliaires au champ n° 3 dans la campagne de la chansonnette ? »

Le champ n° 3 ? j'y suis allé sur les mains.

- « Eh quoi ce n'est qu'un palais aux trente-six allées plantées de P.9 colonnes ? Un enfant joue au cerceau avec le soleil et le numéro 3 coupe le paysage en quatre parties. »

Une pythonisse me fait des signes. Une foule m'acclame. Les hommes ont retiré leur pantalon et leur caleçon ; ils les agitent audessus de leur tête. Le vent joue avec leurs sexes négligemment. Il en a même emporté quelques-uns. Leurs propriétaires furent portés en triomphe autour de la statue d'une carafe et d'une lunette d'approche. Les femmes, elles, ne relevaient pas leurs jupons. Elles peignaient au ripolin des phrases en mon honneur sur le ventre de leurs maris.

- « Non ! je ne veux pas être manchot. Qu'on affrète un train, un vapeur, un globe, pour moi seul et je partirai. Mais d'une gare, je ne conçois pas qu'on sorte autrement que par les échelles qui montent indéfiniment vers l'horizon. »

Toute la famille est réunie autour de la table à festin : Le père et la mère, le fils (13 ans), la fille (15 ans), les trois cousines (11, 12, 13 ans), l'oncle et la tante.

Au dessert le père prononce en vers le discours d'usage :

Ma barbe qui s'enroule

a fait tourner la procession

de Saint André du Roule

au miroir des actions.

Prenez exemple, mes enfants,

sur l'histoire du trousseau de clefs

qui vous a doté en naissant

d'une maîtresse et d'un balai.

Les trois cousines et la soeur jouent alors un morceau à huit mains sur le cul des bouteilles. Le garçon récite une fable :

La limpidité qui fonde ma justice

à l'ignorance des athlètes.

Moralité la chaude pisse

est en germe en l'enfant qui tette.

La mère couche son fils sur ses genoux, baisse la culotte, relève la chemise. Et une fessée !

Les trois petites cousines se pâment en silence, la soeur étouffe de P.10 volupté, les autres perdent le boire et le manger. La mère s'excite au jeu ; le garçon jouit dans les jupes de celle-ci. Deux heures après elle s'arrête. Mais ce derrière rouge est si beau qu'on ne saurait renoncer à le voir : A genoux donc, dans un coin, chemise épinglée aux épaules et culotte basse.

Une heure après, dans la chambre contiguë la soeur et la cousine aînée fessent les deux autres filles. Et tout le monde de jouir. Les autres personnages se sont enfermés.

Dix ans après les quatre filles sont putains taverne de l'Olympia Les parents sont paralysés et font de la dentelle. Le fils est capitaine au long cours. C'est lui qui m'a rapporté mon chapeau que le vent avait enlevé jusqu'aux Nouvelles Hébrides.

Depuis ce temps j'ai repris l'étude des mathématiques. Je ne vais à la Bibliothèque Nationale que pour lire des livres obscènes et je suis prêt à faire l'amour avec n'importe qui.

Mes narines sont l'entrée d'un métropolitain sonore. Mon ami Baignoire, mon amie, mon amie Verdure, mon ami, où allons-nous ?

Cette bouteille de rhum me figure irrésistiblement les hémisphères de Magdebourg, et, si des souvenirs guerriers me conduisent parfois jusqu'au bout du soleil, d'autres pensées trouent ma cervelle d'oriflammes parallèles. Voilà l'histoire de ma vie :

- De petits soldats en pantalons rouges sur le fiacre en temps de pluie.

La chanson sinistre du métropolitain l'axe de mon coeur.

Je marche dans le chemin des forêts vierges tracé par la bordure du trottoir. Ce serait un crime que de piétiner ces ombres silencieuses, capables, au surplus, de mauvais desseins. Le Courrier de Lyon a volé mes cantiques aux lames du parquet sur lesquelles je nage voluptueusement vers des terres inconnues. Au moment suprême où je me noie je ferme à demi les yeux, les traits de mon visage descendent vers mon nombril. Je ressemble alors à ce petit gros Monsieur qui porte une lanterne en guise de nom.

La maîtresse qui a des mains si douces qu'on désire en être frappé.

Pourquoi ceux-ci pissent-ils et crachent-ils si loin ? Moi je n'ai pas la force d'en faire autant.

P.11 Douze drapeaux à la hampe de mon Angleterre à aube. La maîtresse anglaise qui frappe si doucement...

Le criquet que j'avale chantera ma vie durant.

La chanson du marchand de cresson ? la voici :

Petits trous à soupçons des dentelles à fleurs,

je n'aurai jamais l'araignée horrible à vous réparer.

Mon dieu ! mon dieu ! à ces fleurs sans marées

Redonnez l'amour de l'honneur.

Et maintenant que je suis vieux comme un jeune capitaine, maintenant que l'escalier, derrière la porte fermée, paraît, je monte. Je monte, je monte, je monte, je monte.

A chaque étage une ampoule électrique, une porte fermée et le silence respiratoire.

J'ai peur de qui n'est pas là, qui n'est pas là, je le sais bien mais mon sang le monte jusqu'à mes lèvres, lui et sa seringue Pravaz. Vite ! vite ! vite ! je monte vite, je trébuche, je heurte les marches à photographies, et je retombe toute la nuit.

Mon ombre alors sur le toit des hangars, mélangée à celle d'un individu et d'une machine. Quel regret de ne pouvoir projeter la mienne propre.

Je sors le bras, l'espace me le rejette :

- Je ne suis vraiment seul que dans la foule, que dans l'ampoule.

- La douleur volontairement subie de l'amour et des petits bon-bons en costume marin m'accompagnent dans cette aventure.

Quant à Baignoire et Verdure ils ont pris le tramway pour regagner leur demeure. Le whatman est en chocolat.

Les cloisons de leur logis sont des rideaux à carreaux de couleur. Il n'y a trace de porte ni de fenêtre. La grosse ampoule qui éclaire tout l'appartement pend très bas au-dessus de la table sur laquelle la pendule sonne trois coups. Un policeman d'étoffe et de son s'immobilise dans un angle.

Le silence... la pendule sonne un coup, celui de la demie ; enfin voici Baignoire et Verdure.

- Le ruban fil de fer aime le parachute dans son silence à ressort.

- Dormir en chair ferme serait mon rêve, mais je suis emporté P.12 au roulis de petits nuages téléphoniques capitonnés d'épures ingénieuses.

- Riche parfum et gage de victoire, le parfum des gaz lacrymogènes dans le manchon des fiancées morales.

- Erreur : ce silence a le coeur amolli par la fuite en des tuyaux obscurs où des académiciens tendent leur casquette à caducée aux aumônes des parapluies rouges.

- Ton ticket de métro.

- Le mien et le tien et ta valise.

- La tienne et la mienne et ta couverture.

- La mienne et la tienne et nos deux billets.

- A quoi bon renfermer les fauves derrière des grilles si minces ?

Les curieux géophages qui embobinent l'horizon leur disent tous la même parole désobligeante qui les incite à rester sédentaires.

- Remonte l'escalier, la montre, le joli poteau.

- On ne peut pas être et avoir été.

- Baignoire et Verdure tombent vertigineusement à travers des trémies de sel et des feux d'artifice.

Dans l'appartement vide que dit le policeman d'étoffe et de son ?

- Pourquoi n'ont-ils pas éteint l'électricité ?

Le silence, puis l'horloge sonne quatre coups... le silence... ding !... le silence... ding ! ding ! ding ! ding ! ding !... le silence... et encore de même.

Arrivée à douze coups la pendule recommence à sonner un coup... puis deux... et ainsi de suite. Les silences qui séparent les demies des heures deviennent de plus en plus courts jusqu'à se confondre avec ceux qui séparent les coups.

Le policeman de son et d'étoffe tombe à terre...

L'ampoule éclaire immuablement...

La pendule sonne continuellement... ding ! ding ! ding ! ding ! ding ! ding ! ding ! ding ! ding ! ding ! ding ! ding ! ding !

Robert DESNOS.

P.13 PENSÉES ET SOUVENIRS

La personnalité est l'usage de la raison. Dans presque toutes les oeuvres modernes que l'on nous montre, il n'y a qu'individualité. L'individualité est ce qui caractérise l'animal.

***

La première fois que je séjournai en Amérique, j'eus l'honneur d'être présenté au président Roosevelt. Comme je lui demandais au cours de la conversation ce qui l'avait le plus frappé à Paris, il me répondit que c'était l'Eldorado !

***

Il n'y a pas de loi, toute loi étant une convention et la convention une loi de tendance.

***

Je montrais un jour la mer à une jeune fille qui la voyait pour la première fois, elle m'affirma trouver bien plus impressionnant un champ de pommes de terre !

***

Il n'y a que les hommes possédant en eux un mouvement rotatoire, qui puissent attirer les autres hommes.

***

Le maître Carrière voulant un jour expliquer à un élève comment il fallait peindre lui dit : « Fermez les yeux et faites ce que vous voyez ! »

***

Beaucoup de personnes cherchent à se représenter l'infini : Imaginez deux glaces ayant les mêmes formes et dimensions, posées en face l'une de l'autre : l'infini est le reflet qu'elles se renvoient.

Francis PICABIA.

P.14 LA JOURNÉE DES MILLE DIMANCHES

A Andre BRETON

L'homme qui était sur sa chaise, il s'appelait Deplusenplus, cracha trois fois par terre et dit :

« Vous, sensationnel philosophe, gâché par le tabac à priser, devez savoir pourquoi les gens qui marchent sur la tête n'ont pas de cheveux, pourquoi aussi n'ont-ils pas de jambes sur la tête, ce qui serait logique, pourquoi n'ont-ils pas de chaussures à ces jambes et de pantalon sur ces jambes ? »

Le philosophe ne répondit pas mais fit un grand geste. Il avait perdu la mémoire et se découvrait épicier.

Deplusenplus ne tira pas son révolver, mais il sortit. Sur le palier de la porte, il n'attendit pas une femme, contrairement à l'habitude, n'alluma pas une cigarette et ne se rendit pas au café.

A ce sujet il est écrit dans l'histoire de France, page 222 du tome VIII :

« Ce monsieur (pourquoi tant d'ironie) est complètement ignoré, mais on suppose qu'il fit de grandes oeuvres. A ce titre il est nécessaire, vous entendez, nécessaire d'en conserver la mémoire. Nous en parlerons donc souvent avec respect et pendant longtemps. »

Quelques années plus tard un marchand de plumes à l'autogène brasée, le rencontra dans une cave avec une femme nue. D'autres rapportent qu'il s'asseyait souvent dans des fauteuils, jamais sur les banquettes. Enfin une particularité, que tout le monde signale, est à noter, jamais il ne réussit à laisser pousser sa barbe et c'était là une sorte de désespoir cosmique.

Le monde est ainsi fait que nous nous en foutons totalement après ce préambule, et le héros de cette histoire n'est pas celui qu'on croit.

P.15 Comme je me promenais depuis une heure autour du bassin des Tuileries, je vis un petit enfant, qui faisait des efforts désespérés pour pousser son bateau dans la direction opposée, tomber par terre. - Oh temps ! Oh moeurs ! - Maintenant on ne tombait donc plus à l'eau ! Je le pris aussitôt par le fond de la culotte et le jetai dans le bassin, puis comme il pignait et commençait à être mouillé, j'enlevais mon veston, mon pantalon et mes chaussures, je me jetais à l'eau et au bout de trois heures d'efforts inouïs je parvenais à le sauver et à le ramener à sa nourrice après lui avoir tapé dans les mains et offert un sucre d'orge. Il m'embrassa à plusieurs reprises malgré ma répugnance et me donna deux sous pour me consoler.

Je partis, salué par les acclamations générales et rencontrai mon meilleur ami. - « Je vous avais toujours pris pour un idiot, me dit-il, mais là vraiment vous êtes le type le plus couillon de la terre, mais couillon, ah couillon ! deux fois, trois fois, dix fois couillons ! archi couillon ! phénomène de couillon ! enfant de couillons ! couillon de couillon ! et d'autres couillons encore plus couillons ! couillon au maximum ! d'un degré inimaginable de couillonade ! Voulez-vous prendre un bock ? »

J'acceptais avec empressement, quand l'enfant-sauvé courut après nous en disant : « Moi aussi ! Moi aussi ! »

Mon meilleur ami le terrassa d'un regard et l'enfant dit : « Moi aussi, moi aussi ! »

Or ceci se passait dans la solitude. Je pris peur et la fuite. Une fois la fuite finie je me reposai pendant trois jours.

Le troisième jour arrivèrent Deplusenplus, le philosophe, mon meilleur ami et l'enfant-sauvé-par-moi. Ils rirent de ma folle gaîté et s'assirent en rond comme des saucissons. Ils étaient surtout heureux de se retrouver ensemble, c'est-à-dire de nous retrouver en parfaite non-lucidité de moins-esprit. Ce qu'ils affirmèrent d'un commun accord c'est qu'ils étaient vierges. Alors nous dansâmes pendant huit jours et sans musique.

Quand je me regarde dans une surface polie j'ai toujours la tête en bas et l'enfant-sauvé-par-moi est toujours à mes côtés fumant les cigares que j'allume avec un briquet des Indes. Voilà un mois que je n'ai pas revu mon meilleur ami et depuis ce temps je n'ai pas cessé P.16 de rire, ce qui produit une impression centrifuge très désagréable pour mes voisins, mais je m'en moque comme du tiers.

Ici commence la partie philosophique de ce gros oeuvre qui occupa toute ma vie. Elle comprend quatre volumes in-octavo reliés en peau de truie. Elle sert de papier dans les W.-C. des cafés à la mode. Je suis connu dans toutes les bonnes sociétés. On prétend même qu'on chante des hymnes en mon honneur dans les couvents de nonnes que j'eus plaisir il y a quelques temps à dépuceler les unes après les autres.

Toutefois je ne voudrais pas manquer de rapporter au public un discours formidable fait par l'enfant-sauvé-par-moi à la distribution de prix du collège de Sainte-Marie de Monceau renommé par la pédérastie qui y règne en maîtresse d'école (c'est le cas de le dire).

Il prononça :

« Messieurs et chers con frères, voilà cent ans et moins que je n'ai cessé de penser à vous pour une petite plaisanterie faite à mon égard par l'idiot premier de la classe de philosophie et enculé.

Je donne :

Un billard à rétropédalage qui s'envole quand on lui pèse sur la queue au premier en thème grec de tout l'établissement.

Les oeuvres complètes de Cacadibou au dernier en dissertation française.

Une maison à deux tranchants au premier en gymnastique.

Un livre inconnu à celui qui sera roi du pétrole dans 50 ans.

Une perle fine champagne à celui qui a reçu un coup de pied dans l'oeil.

Une sirène silencieuse aux derniers de toutes les classes.

Un diplôme de bonne santé à l'homme qui rigole des fesses.

Un coup de pied au cul à tout le monde et mon gracieux sourire au Président de la République.

Maintenant au revoir. »

Il finit là de parler et s'en alla tout seul.

On dit qu'il est mort.

Jacques BARON.

P.17 Picabia dit dans Littérature :

« Je sais tout » est pour les esprits simples, « L'Esprit Nouveau » pour les esprits compliqués. « Je sais tout » est fait pour l'appétit du peuple, « L'Esprit Nouveau » est destiné à nourrir les artistes - c'est-à-dire l'élite.

« L'Esprit Nouveau » apprécie l'intelligence mais trouve que le génie est trop précurseur - d'après lui le précurseur est un raté (très joli !)

L'esprit est conscient de tout, il est bien certain d'ailleurs qu'il ne fait suer que les inconscients comme moi.

« L'Esprit Nouveau » marche sur ses deux pieds et, comme dit le poète, porte la tête si haute qu'il est impossible de la voir, je me demande si elle existe ?

« Je sais tout » choisit des monstres comme des chevaux de courses remarquables.

« L'Esprit Nouveau » préfère les chevaux d'omnibus qui tirent péniblement la tapissière du cubisme et n'ont de monstrueux que les oeillères.

« L'Esprit Nouveau » trouve que Rémy de Gourmont exagère en affirmant que l'intelligence détruit tout. Heureusement pour les imbéciles à qui cela donne la possibilité de construire.

***

Jean Epstein cherche « à nous le mettre » ; sa philosophie de primaire me fait penser à l'Abbaye dont Mercereau et Gleizes sont les très dignes représentants ; Jean Cocteau dont il dit officieusement beaucoup de mal, l'épate : être né à Paris c'est quelque chose même pour un philosophe !

Jean Epstein est appelé à tenir une grande place de premier vendeur au rayon de la littérature.

***

Maurice Raynal, mon cher Raynal, n'oubliez pas les pernods que nous prenions autrefois en compagnie de Guillaume Apollinaire, place Ravignan ; si je vous dis cela c'est que moi j'aime toujours mieux les pernods que les devoirs de vacances imposés par l'Eglise Jeanneret et la cathédrale Ozenfant.

P.18 Maurice Raynal, vous avez assez de biceps pour foutre un coup de poing sur la gueule à toutes ces conneries. Si vous aimez mieux me le donner, venez déjeuner chez moi quand vous voudrez.

***

Marcel Duchamp a mis des moustaches à la Joconde ; Jeanneret et Ozenfant, parfaits coiffeurs du cubisme, se sont empressés de les couper, mais elles repousseront...

***

Prochainement mariage de Jean Crotti, dit Tabu, avec Paul Guillaume et cela pour avoir des enfants légitimes.

***

Paul Eluard, Tristan Tzara, Philippe Soupault, les almées du dadaïsme, ont un esprit Sans Pareil ; ils viennent de créer l'école buissonnière - ayons de l'indulgence pour les enfants prodigues.

***

Pierre de Massot est un joli papillon qui voltige avec aisance d'une fleur à une merde.

***

Conseils pour admirer un tableau de Robert Delaunay : agitez avant de regarder.

***

Rosenberg porte le cubisme comme Jésus portait la croix.

***

Prochainement à la salle des ventes autodafé des tableaux cubistes.

***

Nous avons aperçu Erik Satie, il portait un petit costume de marin, dans les coins du col il y avait, brodé en place d'ancres, le portrait de Jean Cocteau.

***

Les dadaïstes ont insulté gloires et chefs-d'oeuvre, je me demande pourquoi ils ne dirent jamais de mal de Jacques Emile Blanche ?

P.19 EN AVANT

Faire de la littérature avec un revolver en poche c'était à un certain moment mon grand désir. Quelque chose comme un chevalier errant de la plume, un Ulrich von Hutten moderne, voilà l'image que je me faisais d'un dadaïste. Le dadaïste devait avoir un grand mépris pour ceux qui trouvaient dans l'esprit un tusculum, un recul devant leur propre faiblesse. Le philosophe dans la mansarde était une chose passée depuis longtemps. Mais aussi le littérateur de café, l'esprit subtil qui régale une société de bonnes blagues, l'homme en général capable d'être ébranlé par un travail intellectuel, celui qui trouve dans les choses de l'esprit des bornes agréables, et qui le rendent (à son avis) particulièrement précieux pour les autres hommes - celui-là devait être le contraire d'un dadaïste autant qu'il est possible de l'être. Assis dans des villes, ils peignaient leurs petites images, tournaient leurs vers et étaient de toute leur structure humaine inconsolablement déformés, ayant de faibles muscles, se désintéressant des faits du jour, ennemis de la réclame, ennemis de la rue, du bluff et de la grande transaction qui, journellement, met en péril la vie de milliers d'hommes. Ah oui, la vie. Le dadaïste aime la vie parce que tous les jours il peut s'en débarrasser. La mort, pour lui, est une chose dadaïste. Le dadaïste se ballade en se disant que tout à l'heure un pot de fleurs lui tombera sur la tête, il est naïf, il aime les bruits du métropolitain, il est un habitué des bureaux de l'agence Cook, il connaît les pratiques de la faiseuse d'anges qui, derrière les rideaux bien tirés, fait sécher les foetus sur du papier buvard, pour les lancer dans le commerce comme café moulu. Dadaïste, tout un chacun peut l'être. Dada n'est pas limité à un art quelconque. Le dadaïste c'est le « mixer » du Manhattan-Bar, c'est le monsieur en imperméable qui pour la septième fois entreprend un voyage autour du monde. Le dadaïste devrait être l'homme ayant tout-à-fait compris qu'on n'a le droit d'avoir des idées que tant qu'on peut les changer en vie - le type absolument actif qui ne vit que par l'action parce que seule l'action renferme sa capacité de compréhension. Le dadaïste est l'homme qui loue un étage de l'hôtel Bristol, sans savoir de quel argent il paiera le pourboire à la femme de chambre. Le dadaïste est l'homme du hasard avec de bons yeux et le coup du père François. Il sait lâcher son individualité comme un lasso, il juge chaque cas séparément, il se résigne à se rendre compte que le monde renferme tout à la fois des mahométans, des anabaptistes, des pacifistes, etc., etc... Il aime la diversité du monde P.20 mais il ne s'en étonne pas autrement. Le soir il y a un orchestre au bord du lac et les filles se balançant sur leurs souliers à talons hauts rient en te regardant de près. On se promène nonchalamment en se faisant une philosophie qui tient lieu de souper. Mais sans que tu t'y attendes le facteur t'apporte un télégramme te disant que tous tes porcs sont morts d'hydrophobie, qu'on a jeté ton veston du haut de la tour Eiffel et que ta concierge a attrapé la gangrène. Etonné, tu contemples la lune qui te semble être un bon placement pour les capitaux et le même facteur t'apporte un second télégramme, annonçant que toutes tes poules ont crevé, que ton père est tombé sur une fourche et y a gelé et que ta mère a éclaté de peine à l'occasion de ses noces d'argent (peut-être aussi la poèle à frire resta-t-elle accrochée à ses oreilles, je n'en sais rien). La vie est ainsi faite, mon très cher. Les jours changent comme le mouvement de tes intestins et toi qui fus si souvent en danger d'étouffer d'une arête de poisson, tu vis toujours. Tu te couvres la tête en sifflant la Madelon. Et qui sait, le lendemain te trouvera peut-être attablé, la plume prête à bondir, penché sur ton nouveau roman : « Canailles ! » Qui sait ?

Voici le dadaïsme pur, messieurs. Si ce Tristan Tzara avait une fois seulement compris quelque chose à cette existence qu'on mène entre singes et punaises il n'aurait pas fait du dadaïsme de l'art abstrait. Il aurait reconnu le charlatanisme de tout art et de toute tendance et serait devenu dadaïste. Où ont-ils laissé leur ironie, ces messieurs qui trouvent important d'être nommé dans l'histoire de la littérature ? où est le regard pleurant et riant du monstrueux derrière et du carnaval du monde ? Ils ont perdu leur indépendance derrière leurs livres, l'ambition d'être aussi célèbres que Rabelais ou que Flaubert leur a enlevé le courage de rire - ils ont encore tant à marcher, tant à écrire, tant à vivre. Rimbaud sauta à la mer pour aller à Sainte-Hélène, Rimbaud était un type ; ils sont assis dans des cafés, méditant de quelle manière on pourrait le plus rapidement devenir un type. Ils ont de la vie une notion accadémique - tous les littérateurs sont des Allemands, c'est pour cela qu'ils n'atteindront jamais la vie. Oui, Rimbaud comprenait fort bien que l'art, la littérature sont choses très suspectes - mais que la vie est bonne à un pacha ou à un souteneur à qui le craquement des lits chante une chanson de recettes augmentées. Entre les mains de Tzara le dadaïsme connut de grands succès. Ils écrivirent des livres qui furent achetés dans toute l'Europe ; ils organisèrent des soirées où des milliers de personnes se bousculèrent. La presse du monde entier s'intéressait au mouvement Dada. Une nouvelle sensation, messieurs ! Dada, entre les mains de personnes qui n'étaient pas dadaïstes devint pour l'Europe une immense sensation, il toucha l'âme du véritable Européen, celui qui est chez lui parmi les pistons et les chaudières des machines, celui qui lève à peine le regard au-dessus du Daily News lorsqu'on le rencontre à la station de Charing Cross. - Dada sut mettre en mouvement les grandes machines à rotation, on en parla au Collège de France et dans les livres psycho-analytiques, à Madrid on s'efforça de le comprendre, au Chili on se battit pour lui. Il est incompréhensible que ce Tristan Tzara qui, par un orgueil enfantin, se dit P.21 l'inventeur du dadaïsme, tente de fixer Dada à l'art abstrait, parce que ce désir de fixation témoigne d'une ignorance parfaite du proche et du lointain, parce qu'il méconnaît les possibilités de création, de vie et de mort d'une idée en général et qu'il ne conçoit pas l'importance d'un fluide (que celui-ci se manifeste en paroles, en conceptions ou en idées) aux yeux d'un petit cercle de « connaisseurs » et d'une partie du globe qui, étonnée, lève les yeux de sur son travail. Ils fondèrent à Berlin le Club Dada dont je parlerai plus bas. Ces messieurs de la Galerie Dada s'aperçurent certainement que leur mérite n'était aucunement proportionné au succès du dadaïsme. On était arrivé à se prêter les tableaux de ce courtier en art qu'est le berlinois Herwarth Walden (qui, depuis longtemps, faisait des affaires avec des théorèmes d'art abstrait), et de les présenter aux Suisses étonnés, à la tête carrée, comme des choses extraordinaires. On lisait de la prose du Moyen-âge et Tzara se permit la vieille blague de présenter à ces mêmes Suisses toujours très étonnés des rimes nègres qu'il avait fabriquées lui-même, comme étant des reliques d'une culture de Bantous ou de Vinnetous. C'était là une triste assemblée de dadaïstes. Une atmosphère d'art pour l'art est autour de la Galerie Dada, si je la contemple en ce moment ; c'était un salon-manucure des beaux-arts. La Galerie Dada était une antichambre de l'ambition, où les débutants du bluff artistique, devaient s'habituer à lever vers les meneurs du groupe des regards chargés de la béatitude qui se dégage des poésies de Werfel lorsqu'il chante Dieu, la nature et l'esprit. La Galerie Dada était une étroite cuisine de conventions littéraires où l'on n'éprouve pas la moindre honte de n'avoir été nommé toute la vie qu'en dessous du trait. Tous ces messieurs étaient internationaux, de cette ligue de l'esprit qui a été, au moment décisif, si fatale à l'Europe, personnes à double dimension, planimétriques et qui n'éprouvaient pas dans le bout de leurs doigts la compensation nécessaire à une étroite manifestation artistique. Il y aurait eu une possibilité de sauver la situation - on n'en fit rien, et on eut des succès. C'était une situation qui pour un escroc de l'art et de l'esprit était comme si Dieu l'avait créée pour lui. Mais ceci, aucun de ces messieurs qui vendaient de l'art abstrait dans la Galerie Dada, ne voulait le comprendre. Tzara ne voulait pas lâcher sa position d'artiste dans l'enceinte du mythe abstrait, le rôle de guide si longtemps désiré étant enfin à portée de la main et Ball, le fondateur du cabaret Voltaire (pour le reste un type de grande envergure) était trop honnête, trop catholique, que sais-je ? Tous deux avaient une compréhension trop étroite des possibilités du dadaïsme en général, les facultés psychologiques leur manquaient. Le dadaïste comme chevalier d'industrie, comme Manolescou : cet aspect les tenta de nouveau. Le mécontentement se termina sur une querelle entre Tzara et Ball, véritable tauromachie entre dadaïstes, telle qu'elle a lieu d'habitude, avec tous les moyens d'impertinence, de mensonge et de chantage. Ball se souvint de sa vie intérieure - se retira définitivement de Dada et de tout art, et se mit à devenir démocrate à Berne, ce qui lui a bien réussi - me semble-t-il. Tzara et ses adeptes se turent un moment, stupéfiés, puis (Dada se mouvant joyeusement dans le monde, même sans leur aide) ils se lancèrent avec un zèle renouvelé sur l'art nouveau, l'art abstrait. P.22 Tzara se mit à éditer la revue « Dada » qui prit son chemin à travers tous les pays d'Europe et se vendit bien. Nous l'avons vue en Allemagne et elle nous fit alors absolument l'impression d'une production d'art industriel. Parmi les collaborateurs il y avait, outre les dadaïstes zurichois, tous les noms qui aient jamais fait partie de l'Internationale littéraire la plus moderne. Je cite parmi beaucoup d'autres celui de Francis Picabia que je vénère, qui avait été collaborateur des fameuses Soirées de Paris, dirigées par G. Apollinaire, et qui dut avoir avec cette revue célèbre les rapports du richard avec l'ouvreuse. Apollinaire, Marie Laurencin, le bon Henri Rousseau qui jusqu'à sa mort joue chez lui la Marseillaise : le vieux Paris se réveille - il est mort définitivement. Maintenant ce sont Foch et Millerand qui y règnent, Apollinaire est mort de la grippe, Picabia est à New-York. Le vieux Paris est mort une fois pour toutes. Mais tout récemment Dada y a pris corps. C'est que Tzara y est revenu, après l'épuisement de toute possibilité dadaïste à Zurich et après avoir essayé en vain de ranimer son cercle par l'admission du Dr Serner. Tzara sut immédiatement transformer en Dada la revue « Littérature » ; il mit en scène une grande soirée d'inauguration où des concerts bruitistes et des poèmes simultanés firent grande impression ; il se fit couronner et sacrer pape du monde dadaïste. Dada avait vaincu. Messieurs Picasso et Marinetti ont dû avoir une impression étrange lorsqu'ils apprirent le succès de leurs idées sous le nom de « dada ». Je crains qu'ils n'aient pas été assez dadaïstes pour comprendre dada. Picabia, en tout cas, qui d'année en année avait vu tout ce charlatanisme passer sous ses yeux, ne s'étonna sans doute pas. C'est qu'il avait été dadaïste avant que monsieur Tzara ne lui eut communiqué les sagesses secrètes du dadaïsme.

Raoul HUELSENBECK.

L'autre jour les représentants du mouvement Dada passaient la soirée au Petit-Casino.

Vint un chanteur qui annonça : « Je vais avoir l'honneur de vous chanter quelques-unes de mes meilleures créations. »

En fait de « meilleures créations » il chantait faux et faisait preuve d'un manque total d'expression.

Quelques banalités excitèrent la colère de M. André B... qui tonitruait : « Ta gueule ! Ta gueule ! » après quoi on passa aux chansons patriotiques. Toute la salle applaudit. Seul le groupe hurlait et sifflait. Mouvement dans la salle - comme on dit à la Chambre. Tout le monde debout conspue les dadaïstes. Le chanteur s'adressant à eux, leur dit en montrant sa boutonnière :

- Faites votre devoir, messieurs.

Les dadaïstes de rire...

Tout cela s'est terminé par un pugilat. La salle entière (800 personnes) se sentait forte contre quatre et les frappa lâchement, si bien que la police dut intervenir et protéger leur retraite.

(Le Journal du Peuple, 25 mai 1922).

P.23 QU'EN DIT LE PRÉFET DE POLICE ?

Avant la guerre, dans tous les pays du monde, c'était une coutume que de dire : « Les Français sont peut-être sots, mais qu'ils sont fins ! » Et en effet. A cette époque, on représentait la France sur les cartes de géographie comme une tache rose du plus gracieux aspect. Elle avait une taille, et même une jolie taille. Or qu'est-il arrivé à la France ? On affiche dans les kiosques des boulevards (et les marchandes ne sont pas lapidées par la foule) une carte de l'Europe centrale (sic) où ce pays qui n'avait pour lui que sa finesse a l'air d'une femme enceinte. C'est vilain, c'est lourd, ça n'a aucun chic. Il paraît qu'on appelle Elsass-Lothringen ce ventre obscène.

Louis ARAGON.

LES LIVRES

Philippe Soupault. - WESTWEGO. - Je ne voudrais pas dire de mal de ce livre.

Je n'en dirai d'ailleurs pas, mais je voudrais bien retrouver en Philippe Soupault le personnage de Chansons, l'espèce d'humour qu'il sut créer et qu'il abandonne trop pour un mirage ridicule.

Je ne vous connaissais pas, cher ami, à l'époque où vous construisiez le monde, mais j'ai appris que cela existait et je voudrais bien vous revoir ainsi.

Je me fiche pas mal que vous collaboriez à la Vie des Lettres ou aux Feuilles libres. Je vous reproche seulement d'avoir changé de point de vue puisque vous n'ajoutez rien à vous-même.

C'est triste au fond.

Si au moins vous deveniez ministre.

Tristan Tzara. - PLUSIEURS LIVRES A PARAITRE.

Il vaut mieux avoir l'air millionnaire sans l'être que de l'être sans en avoir l'air.

Mr Tzara n'aura jamais l'air millionnaire.

Jean Cocteau. - VOCABULAIRE.

Monsieur Jean Cocteau vient de publier un livre qui est intitulé Vocabulaire.

C'est tout ce qu'on peut imaginer de mieux comme saloperie.

Jacques BARON.

Max Ernst et Paul Eluard. - LES MALHEURS DES IMMORTELS.

Les Immortels ont bien du malheur : leur qualité l'implique. Max Ernst a retourné le couteau dans leur plaie en décrivant leurs mésaventures et Paul Eluard les a achevés en révélant celles-ci.

Paul Eluard aurait-il du goût pour le suicide ? Chaque année il enclot son dernier soupir dans un petit livre en tout point pareil au précédent puis la métempsycose fait son oeuvre et il expie ses péchés en se réincarnant sous la forme d'un Paul Eluard à répétitions.

Robert DESNOS.

P.24 LES EXPOSITIONS

DELAUNAY

L'empereur Charlemagne allait à l'école. On lui montra une grande peinture qui représentait trois dames dans un chantier. « Mon trône, dit-il, au génial inventeur ». Il ne semble pas que M. Vauxcelles se dépêche de suivre l'exemple illustre que nous venons de rapporter fidèlement. On croit avoir tout dit quand on a dit, et je m'entends, un don indéniable de coloriste, de la vigueur, ou un certain sens de la composition. Mais allez visiter, jeunes gens avides de sensations, la petite maison de la rue de La Baume et regardez les jolies infections qu'un homme intelligent comme Léonce peut suspendre à ses murs ! Ça vous donne le frisson. De là, descendez chez Paul Guillaume, mangez quelques Tours Eiffel et dites-m'en des nouvelles. Ça, au moins, c'est gai, pas malin pour deux sous, et tout de même ça n'aura jamais la prétention de s'y connaître.

Louis ARAGON.

CHIRICO

Après avoir regardé le monde, G. de Chirico sourit de toutes ses dents et demanda à son voisin de table :

- Idiot, tout cela est faux, n'est-ce pas ?

Non content d'intervertir l'ordre des facteurs il pose de nouvelles équations où l'on retrouve toujours la même inconnue : x = 2 + 2. Il préfère lui qui s'y connaît une paire de claques à un coucher de soleil sur la grève.

Ayant compris ce qu'il ne fallait pas comprendre : La révélation du solitaire, la récompense du devin, le rêve de Tobie, le printemps de l'ingénieur, il étabit un nouveau circuit, puis satisfait de lui partit à cheval sur une lampe à acétylène droit devant lui vers Jérusalem. Jérusalem délivrée... Par qui ? par G. de Chirico - mais délivrée du Christ et non des Turcs (heureusement !)

Après avoir regardé dans le cimetière les beaux tombeaux il vit quelques morts qui s'agitaient dans leur tombe. Il les aida à sortir de leur trou et se laissa conduire par eux à une usine où des tours fabriquaient toute une orfèvrerie sentimentale. Un mannequin guidait la machine qui ne se trompait jamais. Trois oranges tournaient autour et traçaient une circonférence de 4 mètres de diamètre en 2 minutes. Dans un coin il y avait diverses planètes qui effectuaient leur habituel mouvement de rotation, et une sorte de petit animal qui se rattachait au crapaud par le charme et au serin par la forme, et qui sautait de l'une sur l'autre sans se reposer. Alors Chirico s'arrêta et sourit de nouveau. Il avait compris.

Benjamin PÉRET.

P.25 VOUS M'OUBLIEREZ

SKETCH

PERSONNAGES

Parapluie

Robe de Chambre

Machine à Coudre

Un Inconnu

VOUS M'OUBLIEREZ a été représenté à la Salle Gaveau, le 27 mai 1920, au cours d'une manifestation dada. La distribution était la suivante : MM. André Breton (Parapluie) ; Philippe Soupault (Robe de Chambre) ; Paul Eluard (Machine à coudre) ; T. Fraenckel (Un Inconnu).

I

Parapluie, Robe de Chambre.

ROBE DE CHAMBRE. - Allons, allons, quoi ? Où vous voudrez. Dites-moi : quel est donc cet arbre, ce jeune léopard que j'ai caressé l'autre jour en rentrant ?

PARAPLUIE. - A bonnet blanc, bonnet et demi. Comme je plains les coureurs cyclistes étendus à cette heure dans les flaques d'eau du printemps !

ROBE DE CHAMBRE (lui met la main sur l'épaule). - Quel est donc cet arbre, ce jeune léopard que j'ai caressé l'autre jour en rentrant ?

PARAPLUIE. - L'indulgence, père Robe de Chambre, est-il rien de plus beau que l'indulgence ? Rappelons-nous la physique amusante : une seule expérience réussit toujours, celle des rides qui se creusent et des cheveux qui blanchissent.

ROBE DE CHAMBRE (ouvre la fenêtre et crie). - Quel est donc cet arbre, ce jeune léopard que j'ai caressé l'autre jour en rentrant ?

P.26 PARAPLUIE. - Vous prendrez froid sans couvertures. Quel affreux, quel inconfortable voyage ! Les cheminées et les sirènes défilent à pas de loup, que les temps sont changés ! Je vous le disais bien : un bol de ciel couleur de camomille est moins sucré que le regard de votre petite nièce.

(On frappe).

ROBE DE CHAMBRE. - La table n'est pas louée.

II

Les mêmes, Machine à Coudre.

MACHINE A COUDRE (entre). - Il fait un temps magnifique. Parapluie, les rayons du soleil sont pour rien. (A ROBE DE CHAMBRE). Tu es là, chéri ?

ROBE DE CHAMBRE. - Quel est donc cet arbre, ce jeune léopard que j'ai caressé l'autre jour en rentrant ?

(Sauf indications contraires, MACHINE A COUDRE se tient immobile au milieu de la scène).

PARAPLUIE (à l'oreille de MACHINE A COUDRE). - La vierge est prête ? Tout ne peut pas se chanter sur l'air des lampions, si des marguerites jaunes tourbillonnent, fleurs de loterie, à la place des yeux qui se ferment.

MACHINE A COUDRE (croise les mains). - Veux-tu des ficelles ou des oranges ? Mon beau singe m'a fait cadeau d'une paire de bretelles et n'est pas tout. Eléphants des grands magasins, accourez avec vos lanternes sourdes. Le soleil n'est pas couché. Robe de Chambre ! Tu es là, chéri ?

(ROBE DE CHAMBRE cherche de tous côtés un objet inconnu.)

PARAPLUIE. - Vous avez perdu quelque chose. Qu'est-ce que l'acacia ? un animal crevé sous un meuble. Que cessent de ronfler ces toupies souvenirs d'enfance ! Robe de Chambre m'inquiète. Quelle épingle va-t-il encore voir briller dans les raies du plancher ?

ROBE DE CHAMBRE. - Quoi ?

MACHINE A COUDRE. - Tais-toi, lapin. Parapluie, écoute-moi. Je P.27 n'ai rien à te dire. Tu es beau, tu es bête, tu es... Parapluie. As-tu regardé dehors ce qui se passe ?

PARAPLUIE. - Le quartier Montparnasse a conservé sa physionomie paisible, avec ses artistes, ses philosophes dont les cheveux gris extravaguent sous le chapeau de forme haute. Au Quartier latin on rencontre encore parfois des rêveurs amoureux de beaux livres et de belles estampes. Montmartre est toujours aussi bruyant et la Rue de Rivoli avec les Magasins du Louvre, est redevenue le quartier des touristes, des nouveaux riches en quête de luxe, et des lunes de miel classiques (Il agite les bras). Jette-moi une miette de pain, tu vois bien que je suis un oiseau de passage.

MACHINE A COUDRE. - Essuie tes lunettes, Parapluie. Tu n'as pas vu comme je suis belle aujourd'hui. Mes cheveux se penchent sur la rivière et mes lèvres sont de longs poissons venimeux. Le Créateur...

ROBE DE CHAMBRE. - Quoi ?

MACHINE A COUDRE. - Chut, voyou rouge. Le Créateur m'a dit où se trouvaient toutes les étoiles qui manquent au ciel. Devine dans quelle main j'ai l'innocence, l'innocence qu'on perd chaque matin et qu'on retrouve le soir au fond des bois du soleil.

PARAPLUIE. - Avant de donner le jour aux crécelles domestiques, la vie vide d'un trait les sentiments comme des coquillages. (Montrant ROBE DE CHAMBRE). Il est sourd et bleu, avec de l'orage sur ses mains, mais enfin ce n'est pas un vieillard exigeant.

MACHINE A COUDRE. - Jolis jours blancs, collier des nuits, nuages lointains, fleurs d'ennui.

ROBE DE CHAMBRE. - Quoi ?

MACHINE A COUDRE. - Rien, mécanique à sonnette.

(Silence)

PARAPLUIE va au tableau noir et y pose l'opération suivante :

1.111.111.111

x 0,000.000.009

----------

.... 9.999

PARAPLUIE. - Voici les grenouilles.

P.28 MACHINE A COUDRE. - C'est toi qui sautes au clair de lune.

PARAPLUIE. - La situation est la même qu'hier.

MACHINE A COUDRE. - Mais tu ne constates rien, Parapluie.

PARAPLUIE. - Mon rôle est de ne rien constater. Il y a sur la table du tabac, une pipe, des gants et mon chapeau.

ROBE DE CHAMBRE. - Que peut-on désirer de mieux ?

MACHINE A COUDRE (à PARAPLUIE). - Cette comédie va-t-elle finir ? Je vous parle sérieusement et vous me répondez en haussant les épaules.

PARAPLUIE. - Je sais, mon amour, tu vas m'apprendre qu'il te faut un sou, sinon ton honneur est sauf.

MACHINE A COUDRE. - Tu connais Drapeau, n'est-ce pas. Tu sais qu'il ne pardonne pas. Si je tombe dans ses griffes je suis perdue.

ROBE DE CHAMBRE. - Combien de retrouvés ?

PARAPLUIE. - Que puis-je pour toi ? J'ai vingt-quatre ans et des lunettes.

ROBE DE CHAMBRE. - Et moi beaucoup de cheveux et dix doigts.

MACHINE A COUDRE. - Lâche ! Tu veux que je me mette à genoux devant toi.

ROBE DE CHAMBRE. - Oui, oui.

MACHINE A COUDRE. - Cela ne te dit rien, l'honneur d'une femme ?

ROBE DE CHAMBRE. - Qu'est-ce que l'honneur ? un animal crevé sous un meuble.

MACHINE A COUDRE. - Je m'en vais toujours sans avoir rien obtenu.

PARAPLUIE. - Reste, Machine à Coudre. Qu'irais-tu faire dehors ? On est si bien.

MACHINE A COUDRE (suppliante). - Parapluie, tu es bon.

ROBE DE CHAMBRE. - Meilleur.

MACHINE A COUDRE (à ROBE DE CHAMBRE). - Toi aussi tu es bon, mais tu ne peux pas savoir. Tu es incapable de reconnaître la nuit et la mer.

P.29 ROBE DE CHAMBRE. - Merci du fond du coeur. L'aiguille qui unit les rêves, la chaleur ou la rage des bébés, qu'elles sont belles, qu'elles sont belles !

PARAPLUIE. - Le bon à tout faire, le bon du Trésor, Machine, à quoi bon ? Laissons ce vieil avare ; nous sommes et nous ne sommes pas ses héritiers.

ROBE DE CHAMBRE. - Le Christ a dit : (se passant la main sur le ventre) Soyez bons pour les animaux.

PARAPLUIE. - Si nous descendions Robe de Chambre à la cave ?

MACHINE A COUDRE. - Ce ne sont pas les toiles d'araignée qui font les bonnes bouteilles.

ROBE DE CHAMBRE. - Ce ne sont pas des histoires pour les enfants.

MACHINE A COUDRE. - Parapluie, regarde-moi. Je porte les noms de tous les parfums qui se dégagent quand je chante. Je suis à moi seule les beaux jours d'été et je n'ai qu'à porter alternativement ma robe rose et ma robe bleue pour que tu me prennes la taille en m'appelant tes journaux de sport.

PARAPLUIE. - Il est certain que tu n'es pas mal.

ROBE DE CHAMBRE. - Cela ne se commande pas.

MACHINE A COUDRE. - Le temps toujours, pourquoi le temps ? De là ton malaise.

ROBE DE CHAMBRE. - Qu'est-ce que l'avenir ? un animal crevé sous un meuble.

MACHINE A COUDRE. - Bien des fois, les myosotis rayés à coups d'ongle de notre chambre à coucher m'ont fait peur au réveil. Parapluie, de grâce réponds-moi. Où en sommes-nous avec le temps ?

PARAPLUIE. - Variable. (Se reprenant) Beau fixe.

MACHINE A COUDRE. - Tu m'aimes.

Un inconnu passe au fond de la scène roulant un tonneau. Il est en bras de chemise et porte un tablier blanc).

PARAPLUIE. - Est-il vrai ?

MACHINE A COUDRE. - Si tu ne m'avais pas ? L'oeil collé au verre, tu te lasserais de voir (montrant ROBE DE CHAMBRE) la tortue avaler ses mouches. Je te connais, va, tu n'es pas le premier. (Silence). P.30 Qu'est-ce qu'on dit à sa petite mère ? (Silence). PARAPLUIE est assis Elle lui refait son noeud de cravate. Entends-tu les cloches ? Dis-moi quelque chose, Parapluie. Je suis prête à tout pour t'être agréable. Pense à ce que nous avons devant nous ; inutile de m'attacher un bandeau. Il y a ce petit cerceau à musique qui tourne seul dans le jardin d'une sous-préfecture. Le polichinelle blanc des arbres en fleurs a perdu la tête. Il faut faire attention à ce qu'on dit, l'heure est passée. (Plusieurs fois elle soulève un objet invisible à bout de bras). Sauvés ! Le joli bateau qui fera naufrage est parti.

ROBE DE CHAMBRE. - Me rapportera-t-on un cornet plein de cette fumée rose qu'on appelle la « barbe à papa » ?

MACHINE A COUDRE. - Vous, les hommes, vous ne savez comment survivre à vous-mêmes. Tout recommence un jour que vous ne savez prévoir, et vous ne mourez pas d'étonnement. Vous consultez votre montre qui s'est arrêtée par hasard. A tire d'aile les chimères s'éloignent, laissant tomber des sacs de lest. Parapluie, Robe de Chambre, vous êtes trop savants ; prenez ce remède. (Elle joue à la marelle). Trêve de compliments, choisissez entre le chanvre et moi. L'idée n'est rien : il n'est pas de si beau papillon qu'on n'aime à le voir se débattre sous un chapeau, (les deux mains croisées comme pour boire) pas de tissu si serré que cette poussière d'or ne passe au travers. A votre santé ! (Crié) Le dernier pan de fleurettes, chanson sur la cour, qui reste debout une fois la maison abattue, doit être réservé à l'affichage Cadum. Elle tombe en proie à une crise de grande hystérie. (Parlé) Ce sont des volubilis pour mettre dans vos cheveux, des voleurs de grand chemin qui vous parlent. Trente-six volubilis s'enroulent autour du paratonnerre. Introduisez les voleurs au salon. Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. (Silence) Dix mille francs à qui fera exploser la première lampe Pigeon. (Silence) La volupté.

ROBE DE CHAMBRE et PARAPLUIE se lèvent.

ROBE DE CHAMBRE. - Machine à Coudre, mes oreilles bourdonnent. Je te prie de te taire.

PARAPLUIE. - Cela a assez duré. Va-t'en.

ROBE DE CHAMBRE ET PARAPLUIE (ensemble). - Je ne peux supporter plus longtemps ce bruit de machine à vapeur.

P.31 MACHINE A COUDRE. (qui s'est relevêe peu à peu). - Je comprends maintenant. Vous me chassez.

ROBE DE CHAMBRE. - Simplement.

MACHINE A COUDRE. - Vous êtes des brutes.

PARAPLUIE. - Ma patience n'est pas aussi longue que ta langue.

MACHINE A COUDRE. - Explique-moi, Parapluie, et je partirai.

ROBE DE CHAMBRE. - Pas d'explications.

MACHINE A COUDRE. - Je sais ce qui me reste à faire.

ROBE DE CHAMBRE ET PARAPLUIE (ensemble). - Elle va encore parler pendant une heure. C'est insupportable.

MACHINE A COUDRE. - Je n'ai pas voulu te faire de peine, Parapluie. Maintenant je te vois triste, qu'ai-je fait, mon Dieu ?

ROBE DE CHAMBRE. - Oh ! assez. Fais-la taire, Parapluie. Si elle ne s'en va pas, qu'elle sorte.

MACHINE A COUDRE. - Laissez-moi placer un mot.

ROBE DE CHAMBRE (ensemble). - Mais la chambre va déborder si tu places encore un mot. Va parler aux arbres et aux réverbères, mais laisse-nous tranquilles, toupie.

MACHINE A COUDRE. - Toupie ! (Elle s'en va en répétant le mot toupie).

III

Les mêmes, moins Machine à Coudre.

On entend une chanson :

Du vase en cristal de Bohème

Du vase en cris

Du vase en

En cristal

Du vase en cristal de Bohème

Bohème

Bohème

En cristal de Bohème

Bohème

Bohème

Bohème

P.32 Hème hème oui Bohème

Du vase en cristal de Bo Bo

Du vase en cristal de Bohème

Aux bulles qu'enfant tu soufflais

Tu soufflais

Tu soufflais

Flais

Flais

Tu soufflais

Qu'enfant tu soufflais

Du vase en cristal de Bohème

Aux bulles qu'enfant tu soufflais

Tu soufflais

Tu soufflais

Oui qu'enfant tu soufflais

C'est là, c'est là tout le poème

Aube éphé

Aube éphé

Aube éphémère de reflets

Aube éphé

Aube éphé

Aube éphémère de reflets

PARAPLUIE se bat les flancs à la manière des cochers qui ont froid.

A plusieurs reprises ROBE DE CHAMBRE se passe le pouce sous le menton.

PARAPLUIE. - Je me rappelle en ce moment sous une forme très vive une visite que j'ai faite il y a un an dans un château de la Loire. Cette visite avait duré deux heures. Aujourd'hui je la refais facilement en imagination : j'entre par l'immense porte, je traverse dans leur ordre les cours, les galeries, les salles, les chapelles superposées, je revois leurs fresques et leurs décorations originales ; je m'oriente assez bien dans le dédale de ce château jusqu'à ma sortie ; mais il m'est impossible de me représenter la durée de cette visite comme égale aux deux heures qui s'étaient écoulées.

ROBE DE CHAMBRE va s'agenouiller pour prier.

(Silence)

Devant la scène, PARAPLUIE vient agiter un drapeau rouge de garde-barrière.

RIDEAU

André BRETON et Philippe SOUPAULT.

Mai 1920.


[Haut de page]
©2008 Mélusine
Accueil du site