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NOUVELLE SÉRIE

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NOUVELLE SÉRIE

NOUVELLE SÉRIE : N° 1

1er Mars 1922

DIRECTEURS :

ANDRÉ BRETON & PHILIPPE SOUPAULT

= Rédaction : 37, Avenue Duquesne, PARIS (VIIe) =

Administration : AU SANS PAREIL, 37, Avenue Kléber, PARIS (XVIe)

LITTÉRATURE paraît le 1er de chaque mois

SOMMAIRE

Enquête.

BENJAMIN PÉRET : Le quatrième danseur. - Ma main dans la bière.

Lettre ouverte au comité Lautréamont.

Déclaration sur l'affaire Ubu.

LOUIS ARAGON : Revue Rhénane, Neue Rundschau, N.R.F., etc.

Un faux médectn.

ANDRE BRETON : Récit de trois rêves.

PHILIPPE SOUPAULT : Un bon mouvement : l'école de technique poétique.

" " : Charlie Chaplin : The Kid.

ROGER VITRAC : Georgio de Chirico.

Une lettre de GEORGIO DE CHIRICO.

Au Cimetière de Levallois.

JACQUES BARON : Scène relative.

TRISTAN TZARA : J'ai vu l'homme qui se dégonfle à l'Olympia.

ANDRÉ BRETON : André Gide nous parle de ses Morceaux choisis.

PHILIPPE SOUPAULT : Le passager du transatlantique : Benjamin Péret.

JACQUES RIGAULT : Mae Murray.

G. RIBEMONT-DESSAIGNES : Einstein et l'Univers : Charles Nordmann.

ANDRÉ BRETON : Interview du professeur Freud à Vienne.

TRISTAN TZARA : Note sur le Comte de Lautréamont ou le cri.

L'Esprit Nouveau.

PHILIPPE SOUPAULT : Cinéma calendrier du coeur abstrait : Tzara Tristan.

G. RIBEMONT-DESSAIGNES : Le Caméléon : Johan Bojer.

Entrevue avec Me de Moro-Giafferi.

HORS-TEXTE : Le Cerveau de l'Enfant, par G. de Chirico.

PRIX DU NUMÉRO

France : 2 francs -:- Étranger : 2 fr. 50

ABONNEMENTS

Les 12 numéros : 20 franc ; pour la France et 25 francs pour l'Étranger

La Collection de première série de LITTÉRATURE comprend 20 numéros dont plusieurs sont épuisés et se vend 40 francs

P. 1 LITTÉRATURE NOUVELLE SÉRIE

ENQUETE

Fatiguée de la manière dont sont menées les enquêtes littéraires et déplorant que cet excellent mode d'information ne serve plus à renseigner que sur des points littéraires d'une importance dérisoire, Littérature, dont on n'a pas oublié l'enquête : " Pourquoi écrivez-vous ? ", s'efforce, pour marquer les tendances de sa reparution, de s'introduire plus avant dans la conscience obscure de ses lecteurs et leur pose à tous cette simple question :

Que faites=vous lorsque vous êtes seul ?

Les réponses devront être adressées à la rédaction, 37, avenue Duquesne, Paris (VIIe). Elles paraîtront par ordre de réception dans les prochains numéros de Littérature.

P. 2 Le Quatrième Danseur

Comme il dansait dans son pantalon

un oeuf sortit de la cuisine

à pas lents

comme une étoile un photographe

jusqu'au lendemain il sortit

jusqu'au lendemain il dansa

avec un collier

avec une musette

et la barbe lui poussa

tout au long de son pantalon

tout autour de la cuisine autour de la cuisine

qui n'est peut-être pas née

Ma Main dans la Bière

Le pendu est un pirate

qui avait des dents

qui avait des os

qui avait des os

avec de l'eau dedans

Puis il courut comme un serpent

sa mâchoire se détendit

sa langue monta sur son oeil

Alors les sauterelles et les oignons

les bananes et les colliers

sortirent de sa poche un à un

Bonheur bonheur disaient-ils

Sa bouche est la soeur de ma bouche

et il fait bon marcher dans la rue des Anesses

BENJAMIN PÉRET.

P. 3 Lettre ouverte au Comité Lautréamont

Nous apprenons qu'un groupe d'amateurs, auquel se sont mêlés adroitement quelques critiques d'avant-garde, a pris l'initiative de célébrer le cinquantenaire de la mort d'Isidore Ducasse, comte de Lautréamont. La cérémonie anniversaire doit avoir lieu le 22 mars, place Vendôme. On a pu remarquer l'extrême discrétion avec laquelle nous avons laissé passer les fêtes du tricentenaire de l'esprit français. Les monuments, tant qu'ils ne commémorent qu'Apollinaire ou Jules Simon, ne requièrent pas autrement notre attention. Mais nos lecteurs, qui n'ont pas oublié les Poésies d'Isidore Ducasse parues ici même, comprendront que nous trouvions cette fois la plaisanterie douteuse. Non, nous ne permettrons pas que Lautréamont serve à remonter le niveau des morts pour la patrie (M.P.L.P.). Nous sommes prêts à tout pour empêcher cette mascarade.

Ce n'est pas à nous de faire observer que le prétexte même de cette petite fête est mal fondé, puisque le centenaire de Ducasse est échu l'année dernière.

Déclaration sur l'Affaire Ubu

Charles Chassé a déclaré que Jarry n'était pas l'auteur d'" UBU ROI ". Nous ne voulons pas plus discuter avec monsieur Chassé qu'avec messieurs Souday, Thérive, et autres critiques.

Pour nous, UBU ROI n'a rien à faire avec les comédies de Molière et de Shakespeare et les romans de Rabelais.

Il est fâcheux d'ailleurs qu'on ait profité du tricentenaire de l'un de ces messieurs pour nous infliger ce petit cours de littérature comparée.

Qui s'amuserait à prendre au sérieux un homme qui, comme le commandant Morin, a passé trente ans de sa vie dans l'armée ?

Devant l'évidence, nous nierons qu'UBU ROI soit l'oeuvre de messieurs Chassé et Henri Morin.

Alfred Jarry a signé UBU ROI et en est mort. Jarry est un des hommes dont nous admirons sans réserve l'attitude, et nous défions qui que ce soit d'entamer sa personnalité par la contestation d'une de ses oeuvres.

P. 4 Nous nous réjouissons qu'UBU ROI soit tenu pour une " c... ade " par les imbéciles. Nous n'avons pas souvent l'occasion de préférer un Paul Fort à un Binet-Valmer. Mais lorsqu'on nous met dans cette alternative à propos de Jarry, nous n'hésitons pas un seul instant.

Cette histoire ne comporte pas de morale.

Nous ajoutons, et il serait trop facile d'en faire la preuve à la manière de messieurs Morin et consorts, qu'UBU demeure un fait unique qui n'engage en aucune façon ce qui l'a suivi.

LA RÉDACTION.

Revue Rhénane, Neue Rundschau, N.R.F., etc.

L'analyse et la synthèse, je constate avec plaisir que le langage scientifique fait des ravages dans les coeurs de nos plus ingénus contemporains : Jacques Rivière rapporte aux Allemands le mot d'André Gide : " Je suis l'homme du second mouvement ", entre parenthèses c'est du joli, et fait un pont d'or à Marcel Proust, tandis que, passant, il ramène DADA à de justes proportions et tire une moralité de la guerre (il serait trop commode d'être absous de ridicule pour quelques précautions oratoires d'ailleurs cousues de fil blanc). Faut-il lui rappeler qu'il n'y a jamais eu de guerre ? Ce n'est que par un impudent abus que le portrait d'Arthur Rimbaud se trouve mêlé à tout ceci. Les possibilités de renouveau de la littérature d'analyse (sic), appuyées des noms de Georges Duhamel, Edmond Jaloux, Jean Schlumberger, Pierre Mac Orlan, constituent un tour de passe-passe où l'on reconnaît le charlatan. Il y a là de quoi rougir.

(Dans les pages d'annonce du numéro de janvier de la n.r.f., un manifeste commercial résume en termes grotesques les efforts désordonnés de cette revue et de ses filiales ; cela suffirait à donner la nausée).

Louis ARAGON.

Un faux Médecin

Louis Pieniri, âgé de 67 ans, sous-officier de gendarmerie retraité, habitant avenue Laumière, se présentait dans les magasins tenus par des femmes seules. En marchandant quelque objet, il affirmait à son interlocutrice qu'elle avait mauvaise mine et, se prétendant médecin de l'Assistance publique, il l'invitait à se dévêtir, afin qu'il pût l'examiner.

Le faux médecin a été arrêté 31, rue de Montmorency et envoyé au Dépôt.

***

<Fig>

G. de Chirico : Le Cerveau de l'Enfant

P. 5 Récit de trois Rêves

Sténographie par Mlle OLLA

Je passe le soir dans une rue déserte qui, autant que je peux m'en rendre compte aujourd'hui, doit être une rue du quartier des Grands-Augustins, quand mon attention est arrêtée par un écriteau au-dessus de la porte d'une maison. Cet écriteau, c'est : " ABRI " ou " A LOUER ", en tout cas quelque chose qui n'a plus cours, Intrigué, j'entre et je m'enfonce dans un couloir extrêmement sombre.

Un personnage, qui fait dans la suite du rêve figure de génie, vient à ma rencontre et me guide à travers un escalier que nous descendons tous deux et qui est très long.

Ce personnage, je le reconnais.

C'est un homme qui s'est occupé de me trouver une situation.

Aux murs de l'escalier je remarque un certain nombre de reliefs bizarres, que je suis amené à examiner de près, mon guide ne m'adressant pas la parole.

Il s'agit de moulages en plâtre, plus exactement de moulages de moustaches considérablement grossies.

Je reconnais, entre autres, les moustaches de Baudelaire, de Germain Nouveau et de Barbey d'Aurevilly.

Le génie me quitte sur la dernière marche et je me trouve dans une sorte de vaste hall divisé en trois parties.

Dans la première salle, de beaucoup la plus petite, où pénètre seulement le jour d'un soupirail incompréhensible, un jeune homme est assis à une table et compose des poèmes. Tout autour de lui, sur la table et par terre, sont répandus à profusion des manuscrits extrêmement sales.

Ce jeune homme ne m'est pas inconnu, c'est monsieur Georges Gabory.

La pièce voisine, elle aussi plus que sommairement meublée, est un peu mieux éclairée, quoique d'une façon tout à fait insuffisante.

Dans la même attitude que le premier personnage, mais m'inspirant, par contre, une sympathie réelle, je reconnais monsieur Pierre Reverdy.

Ces deux personnages n'ont pas paru me voir, et c'est seulement après m'être arrêté tristement derrière eux que je pénètre dans la troisième pièce.

Celle-ci est de beaucoup la plus grande, et les objets s'y trouvent un peu mieux en valeur : il y a un fauteuil inoccupé devant la table. Je comprends qu'il m'est destiné et je prends place devant le papier immaculé.

Je comprends le rôle que je suis appelé à remplir et je me mets instantanément en devoir de composer des poèmes. Mais, en m'abandonnant à la spontanéité la plus grande, je n'arrive à écrire sur le premier feuillet que ces mots : La lumière...

P. 6 Celui-ci aussitôt déchiré, sur le second feuillet : La lumière... et sur le troisième feuillet : La lumière...

II

J'étais assis dans le métropolitain en face d'une femme que je n'avais pas autrement remarquée, lorsqu'à l'arrêt du train elle se leva et dit en me regardant : " Vie végétative ". J'hésitai un instant, on était à la station Trocadéro, puis je me levai et me décidai à la suivre.

Au haut de l'escalier nous étions dans une immense prairie sur laquelle tombait un jour verdâtre, extrêmement dur, de fin d'après-midi.

La femme avançait dans la prairie sans se retourner et bientôt un personnage très inquiétant, d'allure athlétique et coiffé d'une casquette, vint à sa rencontre.

Cet homme se détachait d'une équipe de joueurs de foot-ball composée de trois personnages. Ils échangèrent quelques mots sans faire attention à moi, puis, la femme disparut, et je me trouvai dans la prairie occupé à regarder les joueurs qui avaient repris leur partie et à essayer d'attraper le ballon, mais... je n'y parvins qu'une fois.

III

Je me baignais avec un petit enfant au bord de la mer. Peu après je me trouvai sur la plage en compagnie d'un certain nombre de gens, dont les uns me sont connus et les autres inconnus, quand brusquement l'un des promeneurs fit remarquer, à une certaine distance, deux oiseaux qui volaient parallèlement, et qui pouvaient être des mouettes.

Quelqu'un eut aussitôt l'idée de tirer sur ces oiseaux (car nous portions tous des fusils) et l'on put croire que l'un d'eux avait été blessé.

Ils tombèrent en effet assez loin du rivage, et nous attendîmes quelque temps que la vague les apportât.

A mesure qu'ils avançaient, j'observai que ces animaux n'étaient nullement des oiseaux comme je l'avais cru tout d'abord, mais bien plutôt des sortes de vaches ou de chevaux.

L'animal qui n'était pas blessé soutenait l'autre avec beaucoup d'attendrissement. Quand ils furent à nos pieds, ce dernier expira.

La particularité la plus remarquable que présentait cet animal qui venait de mourir était la différenciation très curieuse de ses yeux.

L'un d'eux, en effet, était complétement terne et assez semblable à une coquille d'oursin, tandis que l'autre était merveilleusement coloré et brillant.

L'animal secourable avait depuis longtemps disparu. C'est alors que monsieur Lefébure qui, je ne sais pourquoi, se trouvait parmi nous, s'empara de l'oeil phosphorescent et le prit pour monocle.

A ce propos, une personne de l'assistance jugea bon de raconter l'histoire suivante :

P. 7 Dernièrement, comme à son habitude, monsieur Paul Poiret dansait devant ses clientes, quand brusquement son monocle tomba par terre et se brisa.

Monsieur Paul Eluard, qui se trouvait là, cut l'amabilité de lui offrir le sien, mais celui-ci subit le même sort.

ANDRÉ BRETON.

Un Bon Mouvement :

L'Ecole de Technique Poétique

Deux charmants garçons, deux jeunes poètes du plus grand avenir, Jules Romains et Georges Chennevière ont décidé de fonder à Paris une école de technique poétique. Nous ne sommes pas de ceux qui négligeons les bonnes volontés et qui tournons en ridicule les efforts des jeunes. Les Français, dont nous connaissons la pureté de moeurs, ont le grave défaut de ne pas s'intéresser aux inventions des jeunes gens et de laisser les étrangers en tirer parti à leur nez et à leur barbe. Notre rôle est de crier à haute et intelligible voix : " Voilà un invention bien française ; prenez garde. " Indiquons d'abord le programme :

A 8 heures moins le quart : réveil et toilette rapide. Petit déjeuner (thé, toasts et fruits confits.)

A 8 heures 1/2 : station à la pissotière.

A 9 heures très précises : cours d'assonnances comparées.

A 10 h. 5 : récréation.

A 10 h. 1/2 : lectures de nos meilleurs poètes : Jules Romains, Georges Chennevière, Jules Romains.

A 12 h. 1/2 : repas léger (oeufs, viandes bouillies, pommes de terre, pas de dessert.)

A 1 h. : récréation.

A 2 h. cours : " La rime à travers les âges ".

A 3 h. cours : " Notre grand poète national : - La jeunesse de Jules Romains ".

A 4 h. " L'unanimisme, l'école de discipline et de vérité.

A 5 h. deuxième station à la pissotière.

A 5 h. 1/2. Qu'est-ce qu'un poète. - Lectures de morceaux de Georges Chennevière et Jules Romains.

A 7 h. dîner (pas de dessert).

A 8 h. récréation, lectures libres (les meilleurs livres sont à la disposition des élèves ; exemple : La Vie Unanime et les autres livres de Jules Romains).

A 9 h. : troisième et dernière station à la pissotière.

A 9 h. 1/2 : coucher.

P. 8 Méditons ce programme et admirons l'ordonnance de ces belles journées studieuses et vivantes.

Nous adresserons seulement un petit reproche (la perfection n'est, hélas, pas de ce monde) : nous estimons que les exercices physiques sont un peu négligés ; n'oublions pas le vieux proverbe latin : mens sana in corpore sano.

Et maintenant, grands-pères et pères de famille, il faut envoyer vos " surgeons " à cette école de technique poétique qui donnera d'excellents résultats. Nous ajouterons un dernier mot qui a d'ailleurs son importance. L'école offre des situations aux élèves sortants. Collaboration aux meilleures revues, correction des épreuves des nombreuses éditions de MM. Romains et Chennevière, courriers littéraires, prix Goncourt, etc., etc.

En terminant, qu'on nous permette de formuler un souhait et d'annoncer une bonne nouvelle. Notre revue ouvre une souscription pour gratifier de bourses les dadaïstes et néo-dadaïstes. Que tout le monde verse son obole. Ayons pitié de ces malheureux jeunes gens qui font les pitres en criant Dada (qu'on nous passe ce calembour que nous trouvons tout de même assez drôle, pourquoi pas Caca ?) p. c. c. Philippe SOUPAULT.

Dernière heure.

Les dadaïstes ont répondu merde (c'est bien ce que je disais).

Au Cimetière de Levallois

En juin dernier, au cimetière de Levallois, Mlle Dufour plantait un rosier sur la tombe de sa mère. Soudain, elle recula d'épouvante. En retournant le terrain, elle avait mis à découvert une masse musculaire ayant la forme d'un coeur.

Dans ce coeur, découpé à la pointe, douze épingles fixaient une mèche de cheveux. Songeant à sa mère morte à l'hôpital Beaujon et dont le cadavre avait été autopsié, Mlle Dufour crut à une odieuse profanation et prévint le commissaire de police. Une enquête fut aussitôt ouverte. Le spécialiste des maladies cardiaques qu'on consulta tout d'abord, déclara que le cas ne relevait certainement pas de sa compétence. Enfin, vint un boucher, qui expertisa qu'il s'agissait bien d'un coeur, mais du coeur d'un jeune veau. Les épingles et la mèche de cheveux achevèrent de procurer la lumière. On était en présence d'une tentative d'envoûtement.

Une caoutchoutière de Levallois, Mlle Joséphine Barraud, abandonnée avec un enfant par un ami, s'était laissé persuader qu'en enterrant dans la tombe d'un inconnu un coeur de veau lardé des cheveux de l'infidèle, l'inconstant lui reviendrait, et le hasard avait voulut qu'elle tentât son expérience sur la tombe de Mme Dufour.

L'envoûtement n'étant plus de mode, a cessé d'être un crime. Mais n'y avait-il pas eu violation de sépulture ? Et, pour ce délit, Mlle Barraud comparaissait hier devant la onzième chambre.

P. 9 - Combien avez-vous payé ce coeur de veau ? lui demanda le président Lemercier.

- Trois francs, répondit Mlle Barraud.

- Eh bien ! vous êtes assez punie, reprit le président, en prononçant l'acquittement de la prévenue.

***

Giorgio de Chirico

ET. QUID. AMABO : NISI. QUOD. RERUM. METAPHYSICA. EST ?

Giorgio de Chirico

Galops suspendus, décalages infimes des attitudes, rotations des boules de verre plus vite ou moins que la lumière qui les situe : la surprise exclue toute idée de représentation habituelle et fait hésiter à la lisière du merveilleux le mouvement, le geste ou la substance.

La résonnance des glaces - écho des vibrations multiples, transformation des roulements, tramways, déménagements, canons, troupes en marche - modifie étrangement les apparences. Une sinusoïde sur un verre fumé, une bande de carton perforée, plusieurs points noirs sur cinq lignes parallèles expriment le son d'un verre de cristal. Est-ce pour que, plus près de nous que le mirage, les plâtres des orthopédistes, révélés nus par les bandages, accouchent hors de leur enveloppe de Dieu grec, de l'atavisme poussé vers nous la main tendue ?

Singulière supposition.

Le harnachement des torses, des bras et des jambes en cuir et en nickel peut trouver dans sa danse même, ou dans l'arrêt qui la surprend, la matière de costumes coloriés et les gestes de s'en vêtir. Le rythme est anonyme.

Giorgio de Chirico ouvre des prisons nouvelles. Les trains enchaînés à la limite de l'horizon, esclaves du soleil - laminoir de cuivre plus dur que la lumière - halètent des sphères de fumée. Repos sous un vert-de-gris antique. Les cheminées hissent des tours plus rouges que l'absence des astres.

Les mains cherchent une crosse rassurante, s'évadent vers la statue unique et, mimétisme accueillant, le Brésil est ouvert comme les portes d'Athènes. Marches, ombrelles sur le sable, sauterelles : les hommes.

Prévue de toute éternité, le lotus et les acanthes en poudre dans l'arène, seule s'élève la galerie blanche plus ouverte que les ruines, image hésitante de tous les temples et dont le reflet subsiste sur les immeubles dévêtus de leurs panneaux réclames.

P. 10 La Ville triomphale il la plante d'étendards confiants. Dans un coin de la toile : le naïf tableau noir où des lignes de craie résument le cerveau de l'architecte.

Comme une réplique à la contemplation il dispose les Fruits : Ananas, gants, voitures de déménagements, boutons, balles de caoutchouc, bananes, poissons, bobines. Bulles spontanées, ou soufflées du monde, fabriquées indifféremment par la terre ou les usines, le bain métaphysique les colore de violet. L'inquiétude suscite de nouveaux sens : Evasion, voyage dans un ciel humoristique, tragique des natures mortes, désespoir devant trois gâteaux sur le bleu électrique et tournés de trois degrés dans le vide. Le ciel angulaire où chevauche l'ombre du roi fou, goutte à goutte dépose dans les berceaux indifférents des façades noires des boues de couleur. Il neige.

L'oeuf d'un visage que découvre la nuit s'incline sur les mailles d'acier d'une robe et sur les pointillés de sang vert dont se nourrit la bouche du poète.

D'autre part, les mannequins d'acajou prennent des attitudes selon les doigts des peintres, les membres artificiels répètent nos gestes, les têtes de carton tournent pour les modistes. Une vie iccidentelle et intermittente nous donne la crainte d'imaginaires plus près de nous que le dragon, le sphinx ou l'hippocampe.

Les Muses inquiétantes, le Trouvère, le Revenant, Hector et Andromaque sont les personnages d'une nouvelle mythologie que l'optimisme et l'habitude nous avaient dérobés. Nous devons à de Chirico de les avoir exclus de notre indifférence.

Bien plus, métonymie de menuisier et d'ingénieur, il recule les visages dans l'absolu en les composant d'équerres, de règles et de pistolets. L'homme se révèle le mannequin qu'il s'est créé. Mais, apparition, s'il revient, les yeux fermés, avec ses jambes de colonne et son corps de méduse blanche, il porte comme des postiches les sourcils, la barbe et les moustaches.

En deça de tout domaine platonicien projection noire d'un bâton sur un angle, masque blême d'Apollon où hésite la lumière de sel d'une étoile de mer écrasée sur une flamme de bougie, jardins de papier peints, armure limitée aux courbes - déséquilibre plus vain que la cendre qui les colore - rouges soudain le bandeau sur le casque et le gant balancé dans les rues de la ville jeté par quel orage sur un peloton vert de laine, cheval primitif au-dessus d'un canon, plus léger d'ailes coupées et la crinière au pieux pêcheur de chevelures, poutres fuyantes et précises, laquées du reflet étiré des épées, livre sans ticket jaune avec un signet pourpre devant l'homme surgi - cervelle anthropomorphe et prête à P. 11 toutes les circonvolutions - le lyrisme immédiat comme la peur de l'ombre et le clignement d'yeux sur la ligne des paupières ravit les découvertes de l'agonie.

Cette expression troublante est aujourd'hui taxée d'incompréhensible par les peintres qui restent les mains crispées dans la couleur.

Nous plaignons ceux qui n'ont pas vu de dédoublements étranges derrière le dessin conventionnel d'une épure (la lumière en haut et à gauche, l'acier bleu, les ombres tournantes, les traits de force, etc...). Avec des leviers minces se meuvent les bras d'une porteuse d'eau, avec les marteaux le poing de l'homme, avec les foreuses les griffes de la taupe et cela en dehors de toute métaphore.

Nous ne craignons pas d'affirmer que les nouvelles perceptions que de Chirico invente sont exprimées au même titre que les guitares et que - s'il copie scrupuleusement les boîtes d'allumettes et les cartes de géographie - c'est pour affirmer un tragique quotidien plus inquiétant et plus multiple, sinon plus audacieux, que celui qu'indiquent les morceaux d'étiquettes et d'affiches collés sur les tableaux de Picasso.

Roger VITRAC.

Une lettre de Chirico

Rome, mercredi.

Mon bien cher ami,

Je suis très ému par tout ce que vous me dites dans votre bonne lettre. Il y avait longtemps que je travaillais sans espoir. Maintenant il faut avant tout que je vous éclaircisse un point : le point qui regarde ma peinture d'aujourd'hui. Je sais qu'en France (et même ici), il y a des gens qui disent que je fais du musée, que j'ai perdu ma voie, etc. ; c'était fatal et je m'y attendais : mais j'ai la conscience tranquille et suis plein de joie intérieure, car je sais que la valeur de ce que je fais aujourd'hui apparaîtra, tôt ou tard, même aux plus aveugles. La connaissance que j'ai faite de vous n'est-elle pas déjà un bon signe ? Le meilleur signe que j'aurais pu souhaiter ?

Et maintenant, mon cher ami, je vais vous parler de ma peinture actuelle. Vous devez avoir remarqué que depuis quelque temps, dans les arts, il y a quelque chose de changé ; ne parlons pas de néo-classicisme, de retour, etc. ; il y a des hommes, parmi lesquels vous êtes probablement aussi, qui, arrivés à une limite de leur art, se sont demandés : où allons-nous ? Ils ont senti le besoin d'un socle plus solide ; ils n'ont rien renié ; ce magnifique romantisme que nous avons créé, mon cher ami, ces rêves et ces visions qui nous troublaient et que, sans P. 12 contrôle, sans soupçons, nous avons jeté sur la toile ou sur le papier, tous ces mondes que nous avons peints, dessinés, écrits chantés, et qui sont votre poésie, celle d'Apollinaire et de quelques autres, mes peintures, celles de Picasso, de Derain et de quelques autres, ils sont toujours là, mon cher ami, et on n'a pas encore dit sur eux le dernier mot ; l'avenir les jugera bien mieux que ne font nos contemporains et nous pouvons dormir tranquilles. Mais une question, un problème me tourmente depuis bientôt trois ans : le problème du métier. C'est pour cela que je me suis mis à copier dans les musées ; qu'à Florence et à Rome j'ai passé des journées entières, en été et en hiver, auprès des maîtres des XIVe et XVe siècles italiens, les étudiant et les copiant ; je me suis enfoncé dans la lecture des anciens traités de peinture et j'ai vu, oui j'ai vu enfin, que des choses terribles se passent aujourd'hui en peinture, et que si les peintres continuent sur cette voie, nous allons vers la fin. D'abord j'ai découvert (je dis découvert parce que je suis le seul à le dire) que la maladie chronique et mortelle de la peinture aujourd'hui est l'huile, l'huile qu'on croit la base de toute bonne peinture ; Antonello de Messine qui, d'après l'histoire, aurait apporté en Italie, des Flandres, le secret de la peinture à l'huile, n'a jamais fait cela ; ce malentendu se base sur le fait que les Flamands, surtout les frères Van Eyck, usaient pour repasser avec des glacis sur leur tempera, d'émulsions où l'huile de lin ou de noix entrait en petite partie ; mais la base de leur peinture était la tempera ou détrempe à laquelle ils mêlaient quelquefois des huiles et surtout des résines ou, d'autres matières encore, comme le miel, la caséine, le lait de figuier, etc. ; ainsi ont peint, sans aucun doute, Dürer, Holbein, Raphaël, Pietro Perugino, et je crois que même Rubens et Titien n'ont jamais peint à l'huile comme on l'entend aujourd'hui. Lorsque j'eus compris cela, je me mis avec la patience d'un alchimiste à filtrer mes vernis, à broyer mes couleurs, à préparer mes toiles et mes planches, et je vis la différence énorme qui en résultait : le mystère de la couleur, la lumière, l'éclat, toute la magie de la peinture (qui, soit dit sans vous fâcher, vous cher ami et grand poète) est, selon moi, l'art le plus compliqué et le plus magique qui soit, toutes ces vertus de la peinture, dis-je, augmentaient prodigieusement comme éclairées d'une lumière nouvelle ; et je pensais avec mélancolie aux impressionnistes, aux Monet, aux Sisley, aux Pissaro, à tous les peintres qui ont cru pouvoir résoudre avec leur technique le problème de la lumière, tandis que sur leur palette ils portaient la source même des ténèbres ! Et j'ai peint aussi ; je peins plus lentement, c'est vrai, mais combien mieux ! J'ai fait dernièrement un portrait par moi-même, dont je vous enverrai la photo ; c'est une chose qui pourrait figurer au Louvre, je ne le dis pas pour me vanter, mais parce que je le pense. Excusez ma longue P. 13 péroraison de peintre, et aussi mon mauvais français de barbare péninsulaire. Pour aujourd'hui, je ne veux pas vous fatiguer davantage. D'ici quelques jours je vous enverrai les photos, et alors je vous écrirai longuement ; je vous parlerai de votre poésie, de mes projets et de ma venue à Paris que j'espère pouvoir réaliser ce printemps.

Encore merci ; je vous embrasse.

Votre ami, G. de CHIRICO.

1922.

Chaplin : == The Kid

Nos plus éminents journalistes, nos meilleurs " cinégraphistes " criaient tellement fort : " Ce film est un chef-d'oeuvre de pitié, d'humour, de gaieté, d'humanité, etc... " que nous nous attendions à la plus authentique ordure.

Nous fûmes surpris : The Kid n'était tout de même pas aussi mauvais que les louanges des individus ci-dessus dénommés pouvaient nous le faire croire.

Charlie Chaplin a sans doute tort de se prendre au sérieux, mais il reste toujours au coin de ses lèvres cette fleur d'insouciance.

Notre ami semble jouer avec des bulles légères qui lui éclatent au nez dans un fracas de vaisselle cassée, de jouets mécaniques et d'accidents de chemins de fer. Parfois il joue avec des accidents de chemins de fer et d'hommes et ce sont, nous nous en apercevons plus tard, de simples bulles qu'un souffle éloigne pour longtemps.

Il ne faut pas cependant se laisser aller à l'indulgence. La sentimentalité fait son apparition dans ce film. Cela nous en promet de belles et nous allons peut être entendre nos bons journalistes nous annoncer de nouveaux chef-d'oeuvres de pitié ect.., (voir plus haut.)

Nous pouvons difficilement nous en étonner puisque nous avons appris avec la plus profonde tristesse que Charlie Chaplin avait visité, lors de son passage à Paris, le quartier latin accompagné de MM. Jacques Copeau et Jules Romains.

Est-ce qu'un jour on ne nous annoncera pas que Charlie Chaplin suit les cours de " l'école de Poésie " de maître Farigoul et autres Chennevière ou bien qu'il est incorporé dans la célèbre compagnie du Vieux-Colombier ? Nous pouvons, vous dis-je, nous attendre à tout. Il ne nous restera bien-tôt plus que les bombes, tendres oeillets, ou l'argent, maîtresse des maîtresses, mère des souvenirs.

Jackie Coogan, sympathique enfant, ne vous affolez pas, vous êtes simplement un bon élève.

Philippe SOUPAULT.

P. 14 Scène relative

Secouer les tristesses vaincues

de délicieuses floraisons

un chemin de fer à l'horizon

charge nos pensées perdues

Accourez accourez tous

mon coeur cuit dans du bouillon

Regardez ces fibres qui poussent

Ce sont des dames en pamoison

Mystère on ne voit pas de racines

Je vous donne dix jours pour réfléchir

sur ce qui fait sourire

ce monde et la joie qu'il rumine

Pendant qu'un charlatan finit de déclamer ces paroles, une femme aveugle passe en chantant

Fin de saison clavicule

des idées du pauvre passant

Chute de la nuit et du temps

demain on récapitule

Zinc

Tu bats les tapis

où sont tous les yeux

enfouis dans l'hiver

bêtes à bon Dieu

ou sont les poussières

P. 15 L'Orient ne nuit

aux plus belles choses

N'étends pas les bras

il y a des rails

où courent nos esprits

La fenêtre s'ouvre

comme un Dieu rose

Tu songes au présent

quand vient l'avenir

Qui peut te dire ose

Car nos voix brisent

les mots vraiments pires

puisqu'il n'y a rien

autre que nous-mêmes

Jacques BARON

J'ai vu : l'homme qui se dégonfle, à l'Olympia

Dans la cour lourde de fatigue, deux hommes dorment - des pastilles d'heures difficiles au cadran des littératures humaines. Une charrette, des planches, des meubles sentent le bois jeune et la résine. Pourquoi sommes-nous assis dans un fauteuil à regarder comme il descend du sommeil dans la mort. Nous sortons toujours par l'escalier de service. La mort est couleur de plomb, ses moustaches tombent comme les ailes des oiseaux mondains. Les bras tombent. La poitrine est lourde. Les muscles des jambes sont en gélatine. Tout est gonflé d'une haleine condamnée. Et cette masse d'étoffe et de chair habituée se visse en spirale dans le centre de gravitation qui l'appelle. Son camarade est fort. Il ne comprend pas. Il essaye de le placer sur une chaise. Pour ne plus être à côté d'un cadavre. Il ne comprend rien. L'autre tombe toujours. Il s'entête. Devient furieux. Ne voit que la tranquillité de l'équilibre. Cela dure comme le cours normal d'une maladie. Ils sont assis l'un à côté de l'autre sur des chaises et dorment. Le soleil. Ils se réveillent. L'homme qui se dégonfle le premier. Et se gratte la tête où fourmillent des nervosités animales.

Tristan TZARA.

P. 16 André Gide nous parle de ses Morceaux Choisis

Je n'ai jamais été un familier d'André Gide, ce qui sans doute me permet de le rencontrer quelquefois et d'échanger avec lui des propos un peu moins insignifiants qu'il ne voudrait. A vrai dire, quoique la légèreté ne soit pas mon fort, l'auteur des " Caves du Vatican " (ces périphrases lui conviennent) m'amuse, depuis longtemps, beaucoup plus qu'il ne m'alarme. Plus j'irai, plus sans doute j'aurai du goût pour un homme qui se confond. Celui-ci est, à notre époque, un critérium tout trouvé : sa superficialité, ses coquetteries, ses prétentions, que balancent quelques bonnes qualités de second ordre, me renseignent aussi formellement sur ceux qu'il enthousiasme que sur ceux qu'il exaspère.

La scène se passe un de ces derniers jours, à l'heure du thé, dans une boulangerie de la rue de Grenelle.

GIDE : - Enfin qu'attendez-vous de moi ? Mon anthologie, qui vient de paraître à la revue, ne vous a-t-elle pas complètement satisfait ?

MOI : - Excusez-moi, Monsieur, je ne l'ai pas lue.

GIDE : - La voici. Mais ne me demandez pas d'y mettre une dédicace. Ce serait avec plaisir, mais je n'en ai mis à personne.

MOI : - Vous avez, je crois, fait paraître un ouvrage de même genre dans la Bibliothèque de l'Adolescence.

GIDE : - Si vous saviez quelle partie je joue. C'est que je ne suis pas un poète ! Les poètes ont trop beau jeu. Mais moi, de combien de réflexions ne fais-je pas précéder le déplacement d'un seul de mes pions ! J'ai encore beaucoup à écrire mais je connais mon but et le plan même de tous mes volumes est arrêté. Soyez certain que j'avance, avec lenteur, soit ; d'autant plus avec volupté.

MOI : - Ne craignez-vous pas qu'on vous tienne faible compte de ces calculs ? Il s'agit de tout autre chose. Peut-être, en ne voulant vous priver d'aucune chance, perdrez-vous la partie de toute façon.

GIDE : - Je ne dois de comptes qu'après ma mort. Et que mimporte, puisque j'ai acquis la certitude que je suis l'homme qui aura le plus d'influence dans cinquante ans !

MOI : - Alors pourquoi vous préoccuper de sauver les apparences ? On sait maintenant quelle légende il vous plaît qu'on accrédite autour de vous : votre inquiétude, votre horreur des dogmes, et ce côté décevant. Les plus maladroits s'y essayent.

P. 17 GIDE : - Mais je suis au contraire plus calomnié que jamais. Dans la " Revue Universelle " M. Henri Massis déverse des ordures sur moi. Croyez-moi, Breton, tout viendra à son heure : en lisant mes Morceaux choisis, vous verrez que j'ai surtout pensé à vous et à vos amis.

MOI : - Une préférence ne nous suffit pas. Il n'est pas un de nous qui ne donnerait tous vos volumes pour vous voir fixer cette petite lueur que vous avez seulement fait apparaître une fois ou deux, j'entends dans les regards de Lafcadio et d'" Un Allemand ". Est-il bien nécessaire que vous vous consacriez à autre chose ?

GIDE : - Ce que vous me dites est bien étrange, mais c'est de la faillite de l'humanité toute entière que vous avez le sentiment. Je vous comprends mieux que vous ne croyez et je vous plains. Comme nous le disions l'autre jour avec Paul Valéry : " Que peut un homme ? " et il ajoutait : " Vous souvenez-vous de l'admirable question de Cervantès : " Comment cacher un homme ? "

ANDRÉ BRETON.

Benjamin Péret ; == Le Passager du Transatlantique

Je secoue aujourd'hui ma paresse.

Le Passager du Transatlantique par Benjamin Péret, a paru au mois de juillet 1921 et je suis le premier qui veut bien lui consacrer quelques lignes.

J'avoue que je suis un ignoble individu de ne pas l'avoir fait plus tôt, mais j'ai une excuse : l'activité de certains personnages louches est tellement écoeurante que je ne pouvais que vomir.

Je sais bien que personne n'a parlé et ne parlera des petites crottes de biques sculptées de Radiguet que Cocteau s'efforce de nous faire prendre pour du crottin d'éléphant, mais j'espérais tout de même que l'imbécilité de mes chers contemporains ne les contraindrait pas à jeter dans le même sac de silence ce livre de Péret et les raclures de Radiguet.

Je n'aime pas beaucoup faire le maître d'école, mais je dois déclarer que ce Passager du Transatlantique est un livre remarquable, un des plus remarquables qui aient paru depuis dix ans.

Je conseille à tous mes jeunes amis de faire des économies et de se procurer ce volume. Ils n'auront perdu ni leur temps ni leur argent.

Pourquoi, hélas, Binet-Valmer salit-il tous les mots qui me permettraient de louer ce livre et d'en dire tout le bien que je pense ? L'aritméthique m'aidera cette fois et j'écrirai : Le Passager du Transatlantique : 19 sur 20.

P. 18 Il ne s'agit plus d'esthétique ou de versification, il ne s'agit plus de chronologie ou de mimétisme, de parenté ou de filiation. Il y a ce livre qui est sur ma table et que je vais ouvrir. Je copie ce poème :

PONT AUX CYGNES

Quel âge quelle heure quel temps

quel âge Merci c'est un secret

quelle heure Elles sont toutes bonnes

meilleures que les prâlines du docteur Docteur

quel temps celui des oreilles chaudes

des mains chaudes

du coeur chaud

ainsi que du reste

Je voudrais copier ainsi beaucoup de poèmes et répéter : c'est très bien.

Je ne parle pas de notre cher Benjamin qui vit tranquillement à Nantes.

Lui aussi est très sympathique et je lui envoie mon amitié avec un gentil signe de la main.

Philippe SOUPAULT.

Mae Murray

On voit déjà en quoi les jeunes gens dans dix ans nous reprocheront de nous être laissé épater par le cinéma. Le dernier refuge de la sentimentalité. Les femmes et les voyages, quels prétextes ! Les stupéfiants se passent de justification. Le miracle inouï, ce sont ces femmes qui ne parlent pas. Tous, au moins une fois, nous serons leur victime.

Les drames de la coquetterie. Son petit rire qu'on ne gouvernera jamais. ses derniers mensonges, ses prochains mensonges, ses robes, ses enfantillages exaspérants, ses ultimatum à propos d'un gant ou d'une promenade, tout ce qu'on ne sait pas, la terreur et le désir d'une inévitable rupture, sa tendresse au moment où on ne l'espère plus, son incorrigible gaité, et le souvenir de ce long corps trop agile, d'une récompense extravagante, d'un vice, je suis amoureux de Maë Murray.

Jacques RIGAUT.

Charles Nordmann : == Einstein et l'Univers

Il y a un nouveau Jésus-Christ qui est Einstein. Dada aussi est un nouveau Jésus-Christ, mais devant la croix, non dessus. Quant à Einstein, que faut-il dire ? Lui ou un autre. On lui prête trop. Et Dada aussi lui prête trop et l'aime trop. Le principe de causalité bousculé, quelle ivresse. Derrière cette petite boulette d'opium aux effets ad libitum qu'y a-t-il ? Une nouvelle vérité scientifique. La vérité de non-vérité. Le ron-ron continue. Mais cette fois sympathique. On l'aime, nous l'aimons, je l'aime. On aime avoir dans sa famille un cousin polytechnicien : Vous voyez bien que je sais compter.

G. RIBEMONT-DESSAIGNES.

P. 19 Interview du Professeur Freud à Vienne

Aux jeunes gens et aux esprits romanesques qui, parce que la mode est cet hiver à la psychanalyse, ont besoin de se figurer une des agences les plus prospères du rastaquouérisme moderne, le cabinet du Professeur Freud avec des appareils à transformer les lapins en chapeaux et le déterminisme bleu pour tout buvard, je ne suis pas fâché d'apprendre que le plus grand psychologue de ce temps habite une maison de médiocre apparence dans un quartier perdu de Vienne. " Cher Monsieur, m'avait-il écrit, n'ayant que très peu de temps libre dans ces jours, je vous prie de venir me voir Lundi (demain 10) à 3 h. d'après-midi dans ma consultation. Votre très dévoué, Freud. "

Une modeste plaque à l'entrée, Pr. Freud, 2-4, une servante qui n'est pas spécialement jolie, un salon d'attente aux murs décorés de quatre gravures faiblement allégoriques : L'Eau, Le Feu, la Terre et l'Air, et d'une photographie représentant le maître au milieu de ses collaborateurs, une dizaine de consultants de la sorte la plus vulgaire, une seule fois, après le coup de sonnette, quelques cris à la cantonade : pas de quoi alimenter le plus infime reportage. Cela jusqu'à ce que la fameuse porte capitonnée s'entr'ouvre pour moi. Je me trouve en présence d'un petit vieillard sans allure, qui reçoit dans son pauvre cabinet de médecin de quartier. Ah ! il n'aime pas beaucoup la France, restée seule indifférente à ses travaux. Il me montre cependant avec fierte une brochure qui vient de paraître à Genève et n'est autre chose que la première traduction française de cinq de ses leçons. J'essaie de le faire parler en jetant dans la conversation les noms de Charcot, de Babinski, mais, soit que je fasse appel à des souvenirs trop lointains, soit qu'il se tienne avec un inconnu sur un pied de réticence prudente, je ne tire de lui que des généralités comme : " Votre lettre, la plus touchante que j'aie reçue de ma vie " ou " Heureusement, nous comptons beaucoup sur la jeunesse ".

André BRETON.

P. 20 Note sur le Comte de Lautréamont ou le Cri

Mal d'or or de douleur

Mal d'or l'or a brisé la mort

Sa folie ne fut pas belle - c'est pourquoi elle vit encore. Qui ose combattre une réalité parce qu'on la sert sous forme de reproche ? VOIR : nécessité d'un déclic cérébral.

Ceux dont l'incertitude s'étale en prétentions et l'orgueil monte sous forme de salive cérébrale, ceux pour qui les marécages et l'excrément ont déterminé la règle de pitié philosophique, verront un jour ou l'autre l'incommensurable malédiction déchirer leurs muscles sales et faibles.

Le comte de Lautréamont a dépassé le point de tengence qui sépare création de folie. Pour lui la création est déjà médiocrité. De l'autre côté c'est l'inarticulable solennité. Les frontières de la sagesse sont inexplorées. L'extase les dévore - sans hiérarchie et sans cruauté.

La douleur lui glace les méninges, lui broie le cristal de sang, conduit sur un étrange canal de regrets pathétiques le désordre des doublures des vieux bateaux des vieux manteaux. Imaginaire ou exagérée, la douleur boit le silence, accompagne la force suraigüe qui tente constamment à se résoudre dans le délirium tremens féérique et universel.

La liberté de ses facultés, que rien ne lie, qu'il tourne de tous les côtés et surtout envers lui-même, la force de s'abaisser, de démolir, de s'accrocher à toutes les tares, avec une sincérité beaucoup trop intime pour nous intéresser, est la plus haute attitude humaine - parce que transformée en action, elle devrait aboutir à l'anéantissement de cet étrange mélange d'os de farine et de végétations : l'humanité. L'esprit de cet homme négatif, prêt à chaque instant à se laisser tuer par le carrousel du vent et piétiner par la pluie des météores, dépasse l'hystérie douceâtre de Jésus et d'autres moulins à vent infatigables, installés dans les somptueux appartements de l'histoire.

N'aimez pas si vous voulez mourir tranquillement.

Mal d'or or de douleur

Mal d'or l'or a brisé la mort

par son éclat et la musique des grenouilles de zéphyr.

Tristan TZARA.

P. 21 L'Esprit Nouveau

Le lundi seize janvier à cinq heures dix, Louis Aragon remontait la rue Bonaparte quand il vit venir en sens inverse une jeune femme vêtue d'un costume tailleur à carreaux beige et brun et coiffée d'une toque de la même étoffe que sa robe. Elle semblait avoir extrêmement froid, plus froid qu'il ne faisait en réalité. A la faveur de la lumière de la librairie Coq, Aragon constata qu'elle était d'une beauté peu commune et qu'en particulier ses yeux étaient immenses. Il eut envie de l'arrêter, mais se rappela qu'il n'avait sur lui que deux francs vingt. Il y pensait encore quand il fut rejoint par André Breton au café des Deux Magots. " Je viens de faire une rencontre étonnante, lui dit ce dernier à peine assis. En remontant la rue Bonaparte j'ai dépassé une jeune fille qui regardait à chaque instant derrière elle, bien que vraisemblablement elle n'attendît personne. Un peu avant la rue Jacob, elle fit mine de s'intéresser à la devanture du magasin d'estampes, de manière à ce qu'un passant incroyable, tout-à-fait immonde, qui l'avait remarquée lui adressât la parole. Ils firent ensemble quelques pas et s'arrêtèrent pour deviser, tandis que je stationnais à quelque distance. Bientôt ils se séparèrent et la jeune fille me parut encore plus désorientée. Elle tourna un moment sur elle-même puis, avisant un personnage d'aspect subalterne qui traversait la rue, elle alla brusquement à lui. Quelques secondes plus tard, ils se jetaient dans l'autobus " Clichy-Odéon ". Je n'eus pas le temps de les rejoindre. J'observai qu'ils restaient sur la plate-forme cependant qu'un peu plus haut dans la rue, le gros homme de tout-à-l'heure demeurait immobile, comme en proie à un regret. " Aragon, comme nous l'avons dit, semblait surtout avoir été frappé de la beauté de l'inconnue, Breton de sa mise très correcte, quoique imperceptiblement excentrique, de ce côté tellement " jeune fille qui sort d'un cours " avec on ne sait quoi dans le maintien d'extraordinairement perdu. Etait-elle sous l'effet d'un stupéfiant ? Venait-il de se produire une catastrophe dans sa vie ? Aragon et Breton avaient beaucoup de mal à comprendre l'intérêt passionné qu'ils portaient tous deux à cette aventure manquée. Le second était persuadé que quoi qu'il eut vu la jeune fille partir en autobus, elle était encore au même endroit de la rue Bonaparte. Il voulut en avoir le coeur net. En sortant il rencontra André Derain qui lui demanda de l'attendre aux Deux Magots. " Je reviens les mains vides ". disait-il à Aragon quelques instants après. Ni l'un ni l'autre ne pouvait prendre son parti de cette déconvenue et, quand Derain arriva, ils ne purent s'empêcher de lui confier le sujet de leur émotion. Ils n'avaient pas plus tôt commencé à le faire que Derain les interrompit : " Un P. 22 costume à carreaux, s'écria-t-il, mais je viens de la rencontrer devant la grille de Saint-Germain-des-Prés ; elle était avec un nègre. Celui-ci riait et je lui ai même entendu dire textuellement : " Il faudra bien changer. " Auparavant j'avais vu de loin cette femme arrêter d'autres gens et j'avais attendu un instant qu'elle vînt aussi me parler. Je suis certain de ne l'avoir jamais vue par ici, et pourtant je connais toutes les filles du quartier. "

A six heures, Louis Aragon et André Breton, ne pouvant renoncer à connaître le mot de l'énigme, explorèrent une partie du sixième arrondissement : mais en vain.

Tristan Tzara : == Cinéma calendrier du coeur abstrait

Il y a en ce moment dans la presse une nouvelle levée de boucliers. C'est sans doute pour saluer la naissance de ce livre dont le luxe désuet en inspirera aux générations présentes et futures.

Tout peut se chanter sur l'air de " Mon homme ". Mes poèmes, mes chers petits poèmes si loin de tout, vous êtes des astres de verres aux parfums de couleur, je suis seul près de vous et j'écoute.

Oiseaux des polygones tubes tapis de Paris rouge comme les lunes des serpents de deux sons brulûres tendres et féroces comme les papillons automobiles saintes, vieux bouchers du lundi. L'espérance qui court comme l'eau comme le feu se feuillète de trois à quatre près d'une gazelle de dentelle.

Mon vieux Tzara il manque dans votre livre votre rire inoubliable que j'aime tant, je l'entends encore et vous êtes là vous êtes loin.

Mon vieux Tzara j'aime votre livre comme un oeuf, mais je n'ai jamais pu vous appeler Tristan.

Philippe SOUPAULT.

Johan Bojer : == Le Caméléon

L'oeil du caméléon suit d'un mouvement oblique la physionomie du spectateur étonné devant l'étrange couleur apparue. Johan Bojer est peut-être un idiot, mais son Caméléon a tant de charme qu'on oublie de se poser la question. Une couleur, une autre couleur. Une couleur nouvelle. Mais ceci, non. Il faut se borner à se parer de lie-de-vin ou de vert-de-gris, et tromper sur sa couleur véritable. Et la prison sans murs dans laquelle est enfermée par nature le pauvre Andreas qui va jusqu'à simuler P. 23 le simulateur professionnel mêne toujours à la prison pourvue par les lois. Et la prison qui n'a que quatre murs finit dans son exiguïté par rendre artiste le Caméléon né : il a épuisé tous les rôles que les hommes prennent au sérieux et qui finissent si mal. Il lui reste à prendre pour lui-même l'attitude d'un roi souverain de trois sphères de l'espace. Un détenu seul peut se permettre ce luxe ; et avec lui tout patenté des beaux-arts.

G. RIBEMONT-DESSAIGNES.

Entrevue avec Maître de Moro=Giafferi

" Allo ! l'Instruction publique ? Je voudrais parler à Bérard... Maître de Moro-Giafferi... Comment ? c'est bien ennuyeux. Veuillez insister... Ah ! c'est toi. As-tu vu l'exposition *** au Cercle interallié ? Alors, mon cher, j'ai justement une demi-heure à t'accorder cet après-midi ; extraordinaire, mon cher, extraordinaire. Une chose à mettre à côté de Goya, de Tiépolo. Et un coloriste. " Un petit homme à la moustache tombante, aux yeux fatigués, vêtu d'une jaquette déformée et coiffé d'un chapeau melon aux larges bords quitte la cabine téléphonique et vient retrouver son verre de turin sec à la table voisine de celle qu'occupent André Breton et Philippe Soupault au café Francis, place de l'Alma.

Maître de Moro-Giafferi, car c'était bien lui, s'installa en remuant les jambes ; il tira à petits coups sur une cigarette presque éteinte et frisa distraitement sa moustache. Brusquement, il saisit des journaux et commença à lire un article des Potins de Paris qui lui était consacré. Il accompagnait sa lecture de petits gloussements, de sourires et de haussements d'épaules. André Breton et Philippe Soupault le regardaient et allaient lui adresser la parole pour l'entretenir du Congrès de Paris quand Me de Moro-Giafferi s'écria : " Pardon, Messieurs, ces journaux sont-ils à vous ou à moi ? "

Philippe Soupault qui se trouvait placé à côté du député de la Corse répondit avec son amabilité bien connue : " Maître, ils sont à moi, mais je les mets très volontiers à votre disposition. "

- " Vous êtes bien gracieux, dit Me de Moro en s'inclinant. Si vous voulez consulter les miens... "

- " Je profite de votre permission, répliqua Philippe Soupault avec un sourire, car nous sommes désireux, mon ami et moi, de lire l'article qui vous concerne.

Me de Moro-Giafferi très aimablement nous tendit les Potins de Paris en ajoutant quelques mots incompréhensibles qui signifiaient sans doute : P. 24 " Je suis très flatté que vous m'ayez reconnu. " Il n'en semblait pas autrement étonné. L'article était manifestement un éreintement et poliment, en remerciant Me de Moro, nous lui en fîmes la remarque. Il n'attendait que cette occasion : " C'est juste, dit-il, mais le plus drôle est qu'un rédacteur de cette feuille m'avait écrit, il y a quelques mois, en me priant de le faire citer au procès Landru. Il avait, prétendait-il, rencontré une des femmes de Landru dans un bordel. J'ai vérifié moi-même ce détail qui, naturellement, était faux. Je n'ai pas cru devoir faire citer ce journaliste, d'où cette petite vengeance. " Me de Moro-Giafferi nous entretint ensuite avec abandon de sa plaidoirie, des réformes à apporter dans l'institution du jury, et tout naturellement, il fut amené à parler de Landru.

" J'ai travaillé l'affaire pendant plusieurs longs mois et j'ai vécu près de cet homme. Je ne crois pas qu'il soit possible de rencontrer dans les annales judiciaires un accusé sur lequel pèsent autant de présomptions et si peu de preuves. Landru est soit un épileptique, car pour être digue-digue il n'est pas nécessaire de se cogner la tête à tous les coins de rue. soit l'homme le plus insensible que j'ai rencontré de ma vie. Après tout, que voulez-vous ? moi, je ne sais rien de cette histoire : toutes ces femmes qui disparaissent, c'est bien extraordinaire. On a raconté beaucoup d'histoires qui presque toutes sont fausses et je déclare qu'à la fin de ma plaidoirie je n'ai pas pleuré, comme on me l'a fait faire. Il est impossible de prendre la défense de quelqu'un sans se passionner et j'avoue avoir ressenti en terminant le petit coup au coeur. Eh bien, immédiatement après sa condamnation, je suis allé voir Landru dans sa cellule. C'est toujours à ce moment que nous essayons de connaître la vérité. Je l'ai cuisiné pendant deux heures. (Je m'excuse de vous dévoiler les dessous du métier, mais j'ai beaucoup de plaisir à causer avec vous, il y a si longtemps que je ne suis pas entré dans un café). Je lui ai fait remardonc que j'ai cuisiné Landru pendant deux heures. Je lui ai fait remarquer combien sa situation était ennuyeuse et tragique pour sa famille. Je lui parlai longuement d'une de ses filles, le seul être pour lequel il paraisse témoigner une sincère affection. Il ne me répondit rien. A bout d'arguments je crus bon, ce n'est guère à répéter, de lui décrire une exécution capitale avec toute l'éloquence dont je suis capable. Quand j'eus terminé, Landru me regarda et dit : " Mais savez-vous que ce que vous me racontez là, c'est très intéressant ".

Maître de Moro-Giafferi acheva son turin, appela le garçon et lui déclara : " Je voudrais payer. " Puis il reprit ses journaux. Il mit dans ses poches le Petit Parisien, le Journal et les Potins de Paris, mais déchira avec énergie l'Action Française, en froissa les morceaux et jeta le tout sous la banquette : " Je ne tiens pas à leur faire de la propagande ", dit-il en se levant.

***

AU SANS PAREIL, 37, Avenue Kléber PARIS (16e)

Louis ARAGON : Feu de Joie (Dessin de Picasso) ....   3 fr. 50

André BRETON : Mont de Piété (Dessins de A. Derain) .   (épuisé)

André BRETON & Philippe SOUPAULT : Les Champs Magnétiques ....   6. "

Blaise CENDRARS : Dix-Neuf Poèmes Élastiques (Portrait de l'auteur par Modigliani) ....   6. "

Isidore DUCASSE (Comte de Lautréamont) : Poésies (Préface de Philippe Soupault) ....   5. "

Paul ELUARD : Les Animaux et leurs Hommes ; les Hommes et leurs Animaux (Dessins d'André Lhôte) ....   3 "

- : Les Nécessités de la Vie et les Conséquences des Rêves, précédé d'Exemples (Note de Jean Paulhan) ....   6.25

Comne de GOBINEAU : Les Pléiades ....   30. "

Max JACOB : La Côte ....   8. "

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- : Le Laboratoire Central ....   7. "

Paul MORAND : Lampes à Arc (Dessin de l'auteur) ....   7.50

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Jean PAULHAN : Jacob Cow le Pirate, ou Si les mots sont des Signes....   6. "

Benjamin PERÉT : Le passager du transatlantique   50. "

Francis PICABIA : Unique-Eunuque (Préface de Tristan Tzara)   3.50

Maurice RAYNAL : Lipchitz (24 reproductions) ....   15 "

G. RIBEMONT-DESSAIGNES : L'Empereur de Chine, suivi de le Serin Muet ....   7. "

Arthur RIMBAUD : Les Mains de Jeanne-Marie

Marcel SCHWOB : Spicilège ....   35. "

Philippe SOUPAULT : Aquarium ....   (épuisé)

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Jean de TINAN : Penses-tu Réussir ? où les Diverses Amours de mon ami Raoul de Vallonges   25. "

Tristan TZARA : Calendrier cinéma du coeur abstrait (24 bois par Arp.) ....   60. "

Jacques VACHÉ : Lettres (Préface par André Breton) ....   3.50

Marcel WILLARD : Tour d'Horizon (Dessins de Raoul Dufy)   15. "

- : La Bonne Aventure....   4.50

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AU SANS PAREIL

37, Avenue Kléber, PARIS (XVIe)

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Littérature

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2

Nouvelle Série

NOUVELLE SÉRIE : N° 2, 1er Avril 1922

DIRECTEURS :

ANDRÉ BRETON & PHILIPPE SOUPAULT

- Redaction : 37, Avenue Duquesne, PARIS (VIIe) -

Administration : AU SANS PAREIL, 37, Avenue Kléber, PARIS (XVIe)

LITTÉRATURE paraît le 1er de chaque mois

SOMMAIRE

GERMAIN NOUVEAU : Les Mains.

ANDRÉ BRETON : Lâchez tout.

LOUIS ARAGON : Asphyxies.

GEORGES ANQUETIL : Les Fleurs du Bien.

PHILIPPE SOUPAULT : Raymond Roussel,

JACQUES RIGAUT : Un brillant Sujet.

ROGER VITRAC : Monuments.

JACQUES BARON : Le Masque au Nez de Caoutchouc.

QUELQUES PRÉFÉRENCES DE

Louis ARAGON - Jacques BARON - André BRETON - Paul ELUARD - Théodore FRAENKEL Max MORISE - Benjamin PÉRET - Georges RIBEMONT-DESSAIGNES - Jacques RIGAUT Philippe SOUPAULT - Roger VITRAC

PRIX DU NUMÉRO

France : 2 francs -:- Étranger : 2 fr. 50

ABONNEMENTS

Les 12 numéros : 20 franc pour la France et 25 francs pour l'Étranger

La Collection de la première série de LITTÉRATURE comprend 20 numéros dont plusieurs sont épuisés et se vend 40 fr.

P. 1 Des attitudes nous en avons à revendre. Des poèmes, cela se défend encore et toujours. Ce qui se défend beaucoup moins, c'est la sorte de prédilection que nous portons à certaines des choses qui nous entourent. C'est dans ce domaine aussi que nous nous trouvons les plus étrangers les uns aux autres. Pourquoi choisissez-vous cette femme, cette marque de cigarettes ? On aurait tort de croire que cela n'engage à rien. En tout cas nous ne voyons pas de quel droit les détectives privés continueraient à se passer de ces éléments.

1 Jardin de Paris, 2 Monarque, 3 Objet usuel, 4 Pays, 5 Epoque, 6 Quartier de Paris, 7 Automobile, 8 Peintre, 9 Occupation, 10 Science, 11 Animal, 12 Parfum, 13 Age, 14 Métier, 15 Couleur, 16 Poète, 17 Métal, 18 Femme, 19 Homme politique, 20 Mets, 21 Fourrure, 22 Boisson, 23 Musicien, 24 Objet de vêtement, 25 Yeux, 26 Partie du corps, 27 Fleur, 28 Divinité, 29 Heure, 30 Saison, 31 Toucher, 32 Plante, 33 Geste, 34 Pierre précieuse, 35 Danse, 36 Excitant, 37 Manière de faire l'amour.

LOUIS ARAGON

1 Buttes Chaumont, 2 Philippe IV le Bel, 3 Salière Cérébos, 4 Thibet, 5 Fin août 1914, 6 Carrefour Belleville-Oberkampf, 7 Mercédès, 8 Picasso, 9 Dormir, 10 Zoologie, 11 Zèbre, 12 Brûlé, 13 Aucun, 14 Aiguilleur, 15 Jaune, 16 Ducasse, 17 Etain, 18 La Parabère, 19 Annam, 20 Pommes de terre frites, 21 Loutre, 22 Café, 23 Moussorgski, 24 Culotte de jersey, 25 Noirs, 26 Hanche, 27 Violette, 28 Sainte Vierge, 29 3 heures, 30 Juin, 31 Emeri, 32 Agave, 33 Serrer les dents, 34 Charbon, 35 Gigue, 36 Miroir, 37 Par derrière.

P. 2 JACQUES BARON

1 Square du Bon-Marché, 2 Jules César, 3 Cravate, 4 Kamtchatka, 5 Décadence romaine, 6 Porte-Maillot, 7 Voisin, 8 Rousseau, 9 S'asseoir dans un fauteuil, 10 Philosophie, 11 Serpent rouge, 12 Aucun, 13 Aucun, 14 Acrobate, 15 Rouge, 16 Rimbaud, 17 Acier, 18 Madame Tallien, 19 Badina, 20 Omelette nature, 21 Vigogne, 22 Porto, 23 Mozart, 24 Epingles de cravate, 25 Verts, 26 Biceps, 27 Aucune, 28 Bouddha, 29 2 heures, 30 Eté, 31 Cerveau, 32 Algues, 33 Faire signe du doigt, 34 Opale, 35 Nègre, 36 Décolleté, 37 Pompier.

ANDRE BRETON

1 Square des Arts-et-Métiers, 2 Charles VI, 3 Ciseaux, 4 Java, 5 Septembre 1871, 6 Porte Saint-Denis, 7 Voisin, 8 Ingres, 9 Rêver en dormant, 10 Aucune, 11 Plésiosaure, 12 Fougère, 13 30 Ans, 14 Aucun, 15 Blanc, 16 Ducasse, 17 Plomb, 18 Marguerite de Bourgogne, 19 Briand, 20 Artichaut, 21 Renard blanc, 22 Café, 23 Aucun, 24 Chemise de femme noire, 25 Violets, 26 Yeux, 27 Capucines, 28 Pan, 29 5 heures, 30 Août, 31 Plantes, 32 Potiron, 33 Oeillade, 34 Aucune, 35 Shimmy, 36 Jupes plissées, 37 Soixante-neuf.

PAUL ELUARD

1 Square des Arts et Métiers, 2 Charlemagne, 3 Portefeuille, 4 Java, 5 XVIIIe siècle, 6 Opéra, 7 Cadillac, 8 Poussin, 9 Dormir, 10 Logique, 11 Singe, 12 Mandarine, 13 35 ans, 14 Peintre, 16 Baudelaire, 17 Argent, 18 Lucrèce Borgia, 19 Mandel, 20 Escalope, 21 Renard blanc, 22 Champagne, 23 Grieg, 24 Bas de soie, 25 Feuille morte, 26 Seins, 27 Myosotis, 28 Saboth, 29 18 heures, 30 Juin, 31 Mousseline de soie, 32 Iris, 33 Caresse, 34 Turquoise, 35 Orientale, 36 Les aisselles, 37 Assis, femme à cheval.

THÉODORE FRAENKEL

1 Square des Arts et Métiers, 2 Deschanel, 3 Chapeau, 4 ...., 5 Les Gaulois, 6 Place d'Italie, 7 Citroën, 8 ...., 9 Se promener, 10 Physique, 11 ...., 12 Celui des fruits, 13 26 ans, 14 Aucun, 15 Noir, 16 Racine, 17 Cuivre, 18 ...., 19 Georges Anquetil, 20 Mayonnaise, 21 Loutre, 22 Café, 23 ...., 24 Chapeau, 25 Révulsés, 26 Le Front, 27 Anémone, 28 P. 3 12 heures, 30 Aucune, 31 Les boules, 32 ...., 33 ...., 34 Opale, 35 ...., 36 ...., 37 ....

MAX MORISE

1 Aucun, 2 Pharaon, 3 Cure-ongle, 4 Laponie, 5 1922, 1 Bercy, 7 Hispano-Suiza, 8 Chirico, 9 Flâner, 10 Chimie, 11 Gnou, 12 Rose rouge, 13 91 ans, 14 Colleur d'affiches, 15 Gris, 16 Aucun, 17 Fer-blanc, 18 Salomé, 19 Aucun, 20 Oeufs brouillés aux truffes, 21 Petit-gris, 22 Whisky, 23 Bach, 24 Echarpe, 25 De Vache, 26 Saignée du bras, 27 Fleurs des champs, 28 Baal, 29 1 h. 1/2, 30 Hiver, 31 Naseaux de cheval, 32 Bambou, 33 Tomber, 34 Perle noire, 35 Danses acrobatiques, 36 Bretelle de soutien-gorge, 37 Assis.

BENJAMIN PÉRET

1 Square de la Trinité, 2 Catherine II, 3 Pots de Chambre, 4..., 5 1789-1799, 6 Boulevard Sébastopol, 7 ...., 8 Henri Rousseau, 9 Marcher, 10 Cuisine, 11 ...., 12 Herbe, 13 22 ans, 14 Aucun, 15 citon, 16 Ducasse, 17 Uranium, 18 Lucrèce Borgia, 19 Raspoutine, 20 Crême fraîche, 21 Chinchilla, 22 Alcool, 23 Le Bruit, 24 Monocle, 25 Verts, 26 Les fesses, 27 Fleurs en papiers, 28 ...., 29 1 heure, 30 Milieu de l'Eté, 31 Choses rugueuses, 32 Herbe, 33 Tenir une canne, 34 ...., 36 Tango, 36 ...., 37 ....

GEORGES RIBEMONT-DESSAIGNES

1 Champ de Mars, 2 Néron, 3 Bidet, 4 Nouvelle-Guinée, 5 Babylone, 6 Passy, 7 Mercédès, 8 Greco, 9 Amour, 10 Botanique, 11 Lézard, 12 Ambre, 13 37 ans, 14 ...., 15 Vert, 16 Ducasse, 17 Plomb, 18 Isabeau de Bavière, 19 Caillaux, 20 Muscat, 21 Renard, 22 Kummel, 23 Jazz, 24 Peignoir de bain, 25 Troubles, 26 Seins, 27 Oeillet de montagne, 28 Istar, 29 Midi, 30 Eté, 31 Fourrures, 32 Vanille, 33 Caresse, 34 Emeraude, 35..., 36 Les parfums, 37 Sodomie.

P. 4 JACQUES RIGAUT

1 ...., 2 Caligula, 3 ...., 4 Sumatra, 5 XIXe siècle, 6 Canal St-Martin, 7 Hispano-Suiza, 8 Picasso, 9 ...., 10 ...., 11 Chat, 12 Jasmin, 13 29 ans, 14 Aucun, 15 vert, 16 ...., 17 Platine, 18 Messaline, 19 ...., 20 Soufflé, 21 ...., 22 Bourgogne, 23 Les Nègres, 24 Tous, 25 Yeux, 26 ...., 27 ...., 28 Fatalitas, 29 10 heures, 30 Août, 31 ...., 32 Fleurs carnivores, 33 Mouvement des paupières, 34 Perle, 35 ...., 36 Monstres, 37 Sodomiser.

PHILIPPE SOUPAULT

1 Tuileries, 2 Louis XI, 3 Lorgnons, 4 Congo, 5 1880, 6 Chaussée d'Antin, 7 Cadillac, 8 Henri Rousseau, 9 Fumer, 10 Hydrographie, 11 Poissons, 12 Iris, 13 28 ans, 14 Banquier, 15 Bleu, 16 Soupault, 17 Acier, 18 Phryné, 19 Caillaux, 20 Côte de boeuf, 21 Renard bleu, 22 Whisky, 23 Rag-time, 24 Cravate, 25 Beige, 26 Nuque, 27 Oeillet rouge, 28 Ange Gabriel, 29 16 heures 30, 30 Hiver, 31 Cheveux, 32 Cactus, 33 Frapper sur la table, 34 Diamant, 35 Danses anglaises, 36 Odor di femina, 37 N° I.

ROGER VITRAC

1 Place des Vosges, 2 Clovis, 3 Pipe en terre, 4 Tahiti, 5 XVIe siècle, 6 Les Halles, 7 Hispano-Suiza, 8 Uccello, 9 ...., 10 Géométrie, 11 Serpents, 12 Esther, 13 ...., 14 Menuisier, 15 Jaune, 16 Rimbaud, 17 Plomb, 18 Mademoiselle Mady Cisterne, 19 Louis-Jean Malvy, 20 Huîtres, 21 ...., 22 Stout, 23 Stravinsky, 24 Chemise, 25 ...., 26 Cul, 27 Fuchsias, 28 ...., 29 10 heures 30, 30 Eté, 31 Boule de nickel, 32 Plantes vertes, 33 Mettre la main sur le coeur, 34 Topaze, 35 Les Glissades, 36 Nudité au travers des cheveux, 37 Femme en jockey, les mains gantées de blanc sur les épaules de l'homme couché.

P. 5 L'inédit n'existe pas et nous n'avons que faire de l'actualité, ce noeud burlesque à notre mouchoir. Dorénavant Littérature ne rendra plus compte que de livres anciennement parus ou ne devant jamais paraître. Nous verrons pour les spectacles, et le reste. Pour marquer le pas, nous reproduisons en tête de ce numéro le poème suivant que nous jugeons admirable et dont nous avons différé trop longtemps la publication :

Les Mains

Aimez vos mains afin qu'un jour vos mains soient belles,

Il n'est pas de parfum trop précieux pour elles.

Soignez-les. Taillez bien les ongles douloureux

Il n'est pas d'instruments trop délicats pour eux.

C'est Dieu qui fit les mains fécondes en merveilles,

Elles ont pris leur neige aux lys des Séraphins.

Au jardin de la chair ce sont deux fleurs pareilles

Et le sang de la rose est sous leurs ongles fins.

Il circule un printemps mystique dans les veines

Où court la violette, où le bluet sourit ;

Aux lignes de la paume ont dormi les verveines ;

Les mains disent aux yeux les secrets de l'esprit.

Les peintres les plus grands furent amoureux d'elles,

Et les peintres des mains sont les peintres modèles.

Comme deux cygnes blancs l'un vers l'autre nageant,

Deux voiles sur la mer fondant leurs pâleurs mates,

Livrez vos mains à l'eau dans les bassins d'argent,

Préparez-leur le linge avec les aromates.

P. 6 Les mains sont l'homme ainsi que les ailes l'oiseau ;

Les mains chez les méchants sont des terres arides ;

Celles de l'humble vieille où tourne un blond fuseau

Font lire une sagesse écrite dans leurs rides.

Les mains des laboureurs, les mains des matelots

Montrent le hâle d'or des Cieux sous leur peau brune.

L'aile des goélands garde l'odeur des flots,

Et les mains de la Vierge un baiser de la lune.

Les plus belles parfois font le plus noir métier,

Les plus saintes étaient les mains d'un charpentier.

Les mains sont vos enfants et sont deux soeurs jumelles ;

Les dix doigts sont leurs fils également bénis ;

Veillez bien sur leurs jeux, sur leurs moindres querelles,

Sur toute leur conduite aux détails infinis.

Les doigts font les filets et d'eux sortent les villes,

Les doigts ont révélé la lyre aux temps anciens,

Ils travaillent pliés aux tâches les plus viles,

Ce sont des ouvriers et des musiciens.

Lâchés dans la forêt des orgues le dimanche,

Les doigts sont des oiseaux, et c'est au bout des doigts

Que, rappelant le vol des geais de branche en branche,

Rit l'essaim familier des Signes de la Croix.

Le pouce dur avec sa taille courte et grasse

A la force. Il a l'air d'Hercule triomphant.

Le plus faible de tous, le plus doux a la grâce,

Et c'est le petit doigt qui sut rester enfant.

P. 7 Servez vos mains, ce sont vos servantes fidèles,

Donnez à leur repos un lit tout en dentelles.

Ce sont vos mains qui font la caresse ici-bas,

Croyez qu'elles sont soeurs des lys et soeurs des ailes.

Ne les méprisez pas, ne les négligez pas,

Et laissez-les fleurir comme des asphodèles.

Portez à Dieu le doux trésor de vos parfums,

Le soir à la prière, éclose sur les lèvres,

O mains, et joignez-vous pour les pauvres défunts

Pour que Dieu dans les mains rafraîchisse nos fièvres.

Pour que le mois des fruits vous charge de ses dons,

Mains, ouvrez-vous toujours sur un nid de pardons.

Et vous dites, ô vous qui détestant les armes

Mirez votre tristesse au fleuve de nos larmes,

Vieillard dont les cheveux sont tout blancs vers le jour,

Jeune homme, aux yeux divins où se lève l'amour,

Douce femme mêlant ta rêverie aux anges,

Le coeur gonflé parfois au fond des soirs étranges,

Sans songer qu'en vos mains fleurit la volonté,

Tous vous dites : " Où donc est-il, en vérité,

Le Remède, ô Seigneur, car nos maux sont extrêmes ? "

Mais il est dans vos mains, mais il est vos mains mêmes.

Germain NOUVEAU.

P. 8 Lâchez tout

J'habite depuis deux mois place Blanche. L'hiver est des plus doux et à la terrasse de ce café voué au commerce des stupéfiants, les femmes font des apparitions courtes et charmantes. Les nuits n'existent guère plus que dans les régions hyperboréennes de la légende. Je ne me souviens pas d'avoir vécu ailleurs ; ceux qui disent m'avoir connu doivent se tromper. Mais non, ils ajoutent même qu'ils m'avaient cru mort. Vous avez raison de me rappeler à l'ordre. Après tout qui parle ? André Breton, un homme sans grand courage, qui jusqu'ici s'est satisfait tant bien que mal d'une action dérisoire et cela parce que peut-être un jour il s'est senti à jamais trop durement incapable de faire ce qu'il veut. Et il est vrai que j'ai conscience de m'être déjà dévalisé moi-même en plusieurs circonstances ; il est vrai que je me trouve moins qu'un moine, moins qu'un aventurier. N'empêche que je ne désespère point de me reprendre et qu'à l'entrée de 1922, dans ce beau Montmartre en fête, je songe à ce que je puis encore devenir.

On se fait de nos jours une pensée de la précipitation de toute chose en son contraire, et de la résolution de tous deux en une seule catégorie, celle-ci conciliable elle-même avec le terme initial et ainsi de suite jusqu'à ce que l'esprit parvienne à l'idée absolue, conciliation de toutes les oppositions et unité de toutes les catégories. Si " Dada " avait été cela, certes ce ne serait pas si mal, encore qu'au sommeil de Hegel sur ses lauriers je préfère l'existence mouvementée de la première petite grue. Mais Dada P. 9 est bien étranger à ces considérations. La preuve en est qu'aujourd'hui où sa grande malice est de se faire passer pour un cercle vicieux : " Un jour ou l'autre on saura que avant dada, après dada, sans dada, envers dada, contre dada, malgré dada, c'est toujours dada ", sans s'apercevoir qu'il se prive par là-même de toute vertu, de toute efficacité. Il s'étonne de ne plus avoir pour lui que de pauvres diables qui, retirés dans leur poésie, s'émeuvent bourgeoisement au souvenir de ses méfaits déjà anciens. Il y a longtemps que le risque est ailleurs. Et qu'importe si, poursuivant son petit bonhomme de chemin, M. Tzara doit partager un jour la gloire de Marinetti ou de Baju ! On a dit que je changeais d'homme comme on change de bottines. Passez-moi le luxe, par charité je ne puis porter éternellement la même paire : quand elle a cessé de m'aller je la laisse à mes domestiques.

J'aime et j'admire profondément Francis Picabia et l'on peut sans m'offenser rééditer quelques boutades de lui sur mon compte. On a tout fait pour l'égarer sur mes sentiments, prévoyant que notre entente serait de nature à compromettre la sécurité de quelques " assis ". Le dadaïsme, comme tant d'autres choses, n'a été pour certains qu'une manière de s'asseoir. Ce que je ne dis pas plus haut, c'est qu'il ne peut y avoir d'idée absolue. Nous sommes soumis à une sorte de mimique mentale qui nous interdit d'approfondir quoi que ce soit et nous fait considérer avec hostilité ce qui nous a été le plus cher. Donner sa vie pour une idée, Dada ou celle que je développe en ce moment, ne saurait prouver qu'en faveur d'une grande misère intellectuelle. Les idées ne sont ni bonnes ni mauvaises, elles sont : à concurrence pour moi de déplaisir ou de plaisir, bien dignes encore de me passionner dans un sens ou dans l'autre. Pardonnez-moi de penser que contrairement au lierre, je meurs si je m'attache. Voulez-vous que je m'inquiète de savoir si par ces paroles je porte atteinte P. 10 à ce culte de l'amitié qui, selon la forte expression de M. Binet-Valmer, prépare le culte de la patrie ?

Je ne puis que vous assurer que je me moque de tout cela et vous répéter : Lâchez tout.

Lâchez Dada.

Lâchez votre femme, lâchez votre maîtresse.

Lâchez vos espérances et vos craintes.

Semez vos enfants au coin d'un bois.

Lâchez la proie pour l'ombre.

Lâchez au besoin une vie aisée, ce qu'on vous donne pour une situation d'avenir.

Partez sur les routes.

André BRETON.

P. 11 Asphyxies

Boulevard Bonne-Nouvelle, un jeune employé se rend hâtivement à son travail. Tout à coup, il s'arrête. Fou rire. Un témoin l'entend dire : " Si c'est une brune ". Une femme brune presque aussitôt les dépasse. Le jeune homme se tue.

Dans sa poche, il y avait une lettre pour remercier d'une invitation à dîner.

***

Suicide ou banqueroute, Desdémone s'auréolait d'une tragique histoire dont on ne connaissait pas bien les détails. Son ami A. restait des heures et des heures à jouer silencieusement avec son ombrelle. Il avait passé pour un jeune homme d'avenir. Maintenant il faisait la lecture à Desdémone : Trompée au seuil de la chambre nuptiale.

Le 1er Mars courant, Célestin Pradelineau ayant assassiné sa maîtresse la " Dandinons ", la police opéra une raffle dans le quartier Saint-J... et surprit A. en flagrant délit avec une petite fille et un petit garçon malingre. A. mourut en arrivant au poste. Dans la coiffe de son chapeau on trouva un papier roulé.

" 28 Février 1922. - Je n'ai jamais aimé que Desdémone : je la déteste. Que ma mort ne lui serve de rien : elle croira que je lui mentais.

Le commissaire de police a porté ce petit papier à l'intéressée. On dit qu'elle va débuter au cinéma.

***

N... (Deux-Sèvres).

Taciturne dès le plus jeune âge, George S *, né le 24 janvier 1889, se montra toujours un fils respectueux. Pas de punition au service militaire, pas de casier judiciaire. Il épouse le 2 juillet 1912 Marie Dr..., âgée de dix-neuf ans, fille de notaire. Il ne la trompe pas. Mobilisé en 1914, il ne déserte pas. En 1919, son père lui cède la direction d'un magasin de nouveautés. Il la prend. Ses employés sont unanimes à louer sa bienveillance. A une amie, Madame S... se déclare très heureuse bien que ce soit dommage un mari si peu bavard.

P. 12 Le 17 août 1921, comme à son habitude, S..., levé avant sa femme, siffle : Adieu, Mignon, courage !, dira la bonne. Il descend au jardin, bine un carré pour les laitues, puis s'enferme dans le bureau où il écrit une lettre à un destinataire resté inconnu. Il met son canotier et porte sa femme, la trouve sommeillant encore, et l'étrangle. Il ouvre les persiennes avant de partir, puis disparaît.

On découvre dans ses papiers une épitaphe pour la victime : Bonne épouse, elle emporte les regrets de ceux qui ne l'ont pas aimée.

Le 28 janvier 1922, on retrouve S... portefaix à Cette. Toujours taciturne, sobre. On ne lui connaît pas de maîtresse. Il déclare seulement qu'il en avait assez.

***

Le fameux général R. dont on n'a pas oublié les succès vient de donner sa démission. Nous lui en avons demandé les raisons. Il nous a répondu que les plaisanteries les plus courtes étaient les meilleures. Il passe maintenant ses journées à se regarder dans la glace.

***

Le petit Raoul, sept ans, faisait le bonheur de sa mère, Madame D. D. travaillait dans le blanc. Sophie sa soeur avait épousé Paul G. et les deux couples habitaient sur le même palier. Madame D. n'avait d'yeux que pour Raoul. Le grand événement de la semaine était une promenade au bord de l'eau. Madame D. ne quittait pas l'enfant d'une semelle. Le 3 janvier 1922, comme elle descendait l'escalier, elle croisa son beau-frère, une main posée sur la rampe. Elle rentra précipitamment chez elle, regarda Raoul, éclata de rire, vida les tiroirs et vint retrouver Paul qui n'avait laissé à sa femme que quatre francs sur la cheminée. En passant près de la loge, elle dit assez haut pour que la concierge l'entendit : " Une bonne expérience pour un gosse : ça va le mûrir ".

Dans une autre ville, un homme et une femme danseront six mois dans tous les bals. Ils ont entre eux un excellent sujet de plaisanteries : petite tête rase au médaillon qui descend entre ces seins faits pour les paumes.

***

P. 13 Commis modèle jusqu'à son mariage, Vincent V... a épousé l'autre jour C... Il part pour le magasin tous les matins à sept heures trente. Mais il passe la matinée, quelque temps qu'il fasse, sur un banc de l'avenue du Maine. Il arrive en retard pour déjeuner et retourne précipitamment au même travail. A la fin du mois, il n'aura donc pas un sou à donner à C..., qui le croit tout le jour à vendre des essuie-plumes. Cela le réjouit un peu.

***

En 1907, au cirque Z., le clown F. chantait :

Premier couplet

Non, je ne rentrerai plus à la maison.

Non, je ne rentrerai plus à la maison.

Non, je ne rentrerai plus à la maison.

Non, je ne rentrerai plus à la maison.

Non, je ne rentrerai plus à la maison.

Deuxième couplet

Non, je ne rentrerai plus à la maison.

Non, je ne rentrerai plus à la maison.

Non, je ne rentrerai plus à la maison.

Non, je ne rentrerai plus à la maison.

Non, je ne rentrerai plus à la maison.

Troisième couplet

Non, je ne rentrerai plus à la maison.

Non, je ne rentrerai plus à la maison.

Non, je ne rentrerai plus à la maison.

Non, je ne rentrerai plus à la maison.

Non, je ne .... plus .... m .. son.

Non, je .... nplus .... am .. son.

Non, je ne re .... à la m .... son.

- Non .... plus .... m ....

Non plus .... je ne r .... mson.

Jamais je ne rentrerai .... à la maison.

Jamais plus je ne .... à la maison.

Louis ARAGON.

P. 14 Georges Anquetil, le sympathique directeur du Grand-Guignol, actuellement sous les verrous, est, on ne l'a pas oublié, le créateur de " La Carte postale littéraire " (Ed. Aux Alliés.) Littérature, qui poursuit dans un autre domaine une action parallèle à celle du Grand-Guignol, ne peut manquer de protester contre l'incarcération de l'éminent sociographe. Par la même occasion elle se fait un plaisir de rendre hommage à son beau talent poétique.

LES FLEURS DU BIEN

Le Blé perdu

(Sur une pensée d'Eugène Manuel)

à Monsieur J. Gournay.

De l'Angelus du soir que les cloches sonnaient

La paix en tous les coeurs descendait des clochers,

Pendant que les boeufs roux, traînant les blés fauchés,

Vers la ferme, à pas lents, par deux s'acheminaient.

Mais, à chaque cahot, des épis s'égrenaient :

Grains tombés, grains perdus, grains à jamais gâchés,

Sans doute dédaignés des moissonneurs couchés,

Et que, près du hameau, des poulets seuls glanaient...

Or je songeais qu'au blé comme au bonheur il faut

Un an pour sa beauté, un seul jour pour la faulx,

Un instant pour sa perte, et, rêveur solitaire,

Je pensais, soudain triste en mon esprit amer :

Que d'heureux on ferait, sur notre pauvre terre,

Rien qu'avec le bonheur qui chaque jour s'y perd !

P. 15 Les autres Fleurs

pour Albert Brun

- " Aime Les Fleurs du Mal du divin Baudelaire,

Me dit un amateur du vice et du pervers.

Si cet impur chef-d'oeuvre a séduit l'univers,

C'est que de tous les snobs il est le bréviaire.

Il se peut qu'il échappe au bon sens populaire,

Qui n'en comprend souvent que fort peu les grands vers -

Certains, bons pour les sphinx, semblant faits à l'envers -

Je n'en aime pas moins sa Muse solitaire.

Car si dans les jardins où rôdent les sarcleurs,

Il vit que, défriché, le mal avait ses fleurs,

Il lui faut savoir gré de t'en offrir la gerbe ! "

Ce discours me troubla, jeune collégien,

Et je dis seulement - candeur d'enfant imberbe :

- " Ça n'existe donc pas aussi, les... fleurs du bien ? "

GEORGES ANQUETIL.

P. 16 Raymond Roussel

Retrouver comme par hasard la règle du jeu et calculer sans gaieté permet-il de répondre à l'interrogation muette des lignes de chemin de fer et de navigation ? Ce souci, cet incroyable souci qui pèse sur notre vie comme la crainte d'un accident, la terreur d'une bousculade, je le découvre à chaque pas dans les Impressions d'Afrique.

La sympathie silencieuse, d'une part, l'antipathie respectueuse d'autre part, qui entourent Roussel, sont expliquées par la fortune de cet auteur. Malgré le sens péjoratif attaché à ce mot quand il s'applique à un écrivain, il n'est pas inutile de déclarer que Raymond Roussel est riche. Je ne crois pas mentir en ajoutant que cette fortune lui vient de ses parents. L'éducation spéciale qu'il a reçue, les spectacles de son enfance ont accentué le penchant qui n'appartient qu'à ceux " qui n'ont que la peine de naître " : ce plaisir incomparable de regarder s'agiter les autres, bêtes, gens ou machines. Tous les hommes ne peuvent s'intéresser à ces jeux, à ces travaux. Les fervents des réunions sportives sont ou des sportifs, ou des professionnels de la fortune.

Roussel possède à un très haut degré ce goût-là. Il s'y abandonne sans crainte dans son livre. Il imagine des effets nouveaux, des machines sensationnelles, des tours de force surhumains, qu'il décrit à la manière d'un Chirico et d'un spécialiste. A ce goût incroyablement vif s'ajoute le désir du risque. Toutes les combinaisons qu'il échafaude sont à la merci d'un moment d'inattention. Lorsque dans le silence spontané le danger vole comme un oiseau blessé, lorsque la vie d'un homme, pour un instant, miroir de soi-même, tremble comme une étoile au bout d'un fil, un coeur s'arrête ; des yeux se fixent et l'assourdissement commence.

Transporter (sans tomber un seul instant dans l'exotisme) ce plaisir sous un soleil de métal, dans un pays d'Afrique occidentale, où la nature est la seule supportable, où la cruauté rôde, est la tâche que Roussel accomplit avec un peu d'affectation, dans ses Impressions d'Afrique.

Roussel a choisi ce titre par ironie gratuite. La gravité de cette ironie s'étend au livre tout entier. L'auteur qui est un grand voyageur adopte le parti-pris, le jugement des lecteurs du Journal des Voyages : l'amour des Africains pour les verroteries, les vêtements européens et les montres. P. 17 Il découvre la place publique, la fête foraine et les boniments des charlatans. Une rue devient un théâtre et les hommes, méprisables et méprisés, des animaux savants, tandis que les bêtes sont mieux dressées que les hommes.

L'ironie, en général masque commode, est le complément indispensable de la bêtise. Le ricanement sort généralement du gosier des pauvres diables qui lèchent lentement la poussière tombée du ciel. Je donne deux sous pour que ces gens aillent ironiser ailleurs. Par contre je ne conseille à personne de ranger Roussel dans cette catégorie. L'ironie dont il colore son livre est du même ton que celle qui flamboie dans la Saison en Enfer. Elle lui permet de proposer sans faiblesse les combinaisons les plus simples, elle ne chasse pas le mystère des romans, dits romans policiers, ni le halètement du lecteur qui tourne les pages de plus en plus vite. On peut après avoir rapproché le nom de Rimbaud de celui de Roussel, continuer ce petit jeu en accouplant les noms de Gaston Leroux et de Raymond Roussel.

Au milieu des vents, des pluies et des arbres, des ombres flottent. On les voit glisser sans pouvoir les distinguer. Il semble que des jumelles de théâtre et parfois même une longue vue soient nécessaires. Ce sont les nommes que l'auteur décrit comme de petits jouets mécaniques, ceux que ses parents lui achetaient sur les grands boulevards. Une vague inquiétude dont l'objet est plus vague encore que l'inquiétude les anime et la crainte d'un tyran les domine. Ces pauvres jouets ne connaissent les éléments que de nom : le feu, l'eau sont aux ordres de qui parle le dernier.

Les Impressions d'Afrique n'illustrent pas une carte de géographie, mais un mouvement d'horlogerie. A Paris, je connais une boutique où des vieillards recueillent soigneusement les mille reflets de la fantaisie à travers les siècles. Tout est à l'ordre du jour et correspond aux mille sornettes joyeuses de mon esprit. Je puis admirer sans réserve ces objets qui n'attendent que mes mains pour les caresser. Un regard déclanche des mécanismes de cristal et délivre des torrents de carton-pâte. Je ne sais plus quel imbécile attaché à nos jupons qui pénétrait avec mes amis et moi dans ce joli lieu me confia aimablement et confidentiellement : " Ce magasin me fait penser au poème d'Arthur Rimbaud qui débute par ces mots :

J'aimais les peintures idiotes...

P. 18 Dans ce boulevard, Roussel s'est promené, il y a quelques années ; il écrivait à ce moment ces " impressions " et en admirant la devanture de cette boutique il devait rire. Ce n'est pas au poème de Rimbaud qu'il pensait, mais aux cent premières pages du livre qu'il terminait. Chacun de nous est libre de partager ce rire d'évidence. Je ne puis nier pour ma part que je découvre dans son livre le même plaisir qui est le parfum du magasin. Chaque objet et chaque ligne se mêlent aux minutes que je vis et si je ne craignais pas d'employer ce mot si rouillé j'avouerais que l'atmosphère des Impressions d'Afrique est franchement " moderne ".

Ecrire, écrire, cela revient au même. S'agit-il encore d'arithmétique ? On ouvre une fenêtre sur du papier à musique et on parle de dynanisme. A d'autres ! Eh bien, les autres parlent de métier, de talent et de subjonctif.

Roussel répond en 1897 en publiant ces vers :

Quelquefois un reflet momentané s'allume

Dans la vue enchassée au fond du porte-plume

Contre lequel mon oeil bien ouvert est collé

A très peu de distance, à peine reculé ;

La vue est mise dans une boule de verre

Petite et cependant visible qui s'enserre

Dans le haut, presque au bout du porte-plume blanc

Où l'encre rouge a fait des taches, comme en sang.

La vue est une très fine photographie

Imperceptible, sans doute, si l'on se fie

A la grosseur de son verre dont le morceau

Est dépoli sur un des côtés, au verso ;

Mais tout enfle quand l'oeil plus curieux s'approche

Suffisamment pour qu'un cil par moments s'accroche.

Je tiens le porte-plume assez horizontal

Avec trois doigts par son armature en métal

Qui me donne au contact une impression fraîche ;

Mon oeil gauche fermé complètement m'empêche

De me préoccuper ailleurs, d'être distrait

Par un autre spectacle ou par un autre attrait

Survenant au dehors et vus par la fenêtre

Entr'ouverte devant moi.

P. 19 Lassitudes : yeux creux, tremblement des mains, rideaux levés, fin de journée.

La hâte ne permet pas de lever la tête et de chercher pendant des heures. La poésie de Roussel ne peut être mise entre toutes les mains. Dactylographes ou expéditionnaires, vous n'y découvrirez qu'un inutile bavardage. Malgré les apparences, cette poésie est plus hermétique, plus difficilement accessible que celle de Mallarmé. Elle semble à beaucoup ennuyeuse ; elle n'est que luxueuse. Il faut pouvoir connaître l'oisiveté et ce charme de ne savoir que faire de ses dix doigts.

Est-ce vous, lecteur qui acceptez de répéter chaque matin, chaque soir : " Où allons-nous ? "

Poésie de désoeuvré et de tuberculeux, l'auteur de ces lignes y cherche l'inutilité absolue. C'est pour cela que " la Doublure " (1896) et " la Vue " (1897) lui semble d'une aussi tragique importance que les " Impressions d'Afrique ".

Il n'y a vraiment rien à croire. Roussel n'a pas besoin d'apôtre. Les amitiés sont à la merci d'un coup de tonnerre mais jamais à la merci d'un coup d'épée. Cela ne revient pas au même.

" Eloignez de moi les petits enfants ", répète Roussel, et il tourne la tête.

Nous nous permettons de comparer cette attitude poétique à celle plus volontairement poétique de nos chers poètes d'à-présent. Roussel sait d'ailleurs utiliser la publicité. Il y a une douzaine d'années de grandes affiches s'étalaient sur les murs de Paris pour annoncer les représentations d'Impressions d'Afrique au théâtre Antoine. Je me souviens de l'émerveillement des petits télégraphistes qui lisaient à haute voix l'étonnante nouvelle : " Des rails en mou de veau ! "

Depuis cette époque, Roussel s'entoura de silence et s'en alla. Il m'écrivit en 1920 de Tahiti. Je le quitte à mon tour. Il n'est plus temps de parler de lui. Le premier de nous deux attendra l'autre.

Philippe SOUPAULT.

P. 20 Un brillant sujet

Roman

à André Breton.

Un mobile animé d'une vitesse telle qu'il fait, selon le plan de l'Equateur et dans le sens inverse à celui de la rotation de la terre, une fois le tour de cette sphère, pendant que celle-ci se serait déplacée d'une quantité négligeable, se conçoit. Avec quelques figures et une bonne réputation, il n'est pas plus difficile de représenter le temps comme une spirale que le temps absolu ou la marche du temps, et un mobile parti d'un point à midi, passerait par 6, 0, 18 heures, et arriverait au midi du jour précédent, - et la suite.

Un ingénieur divorcé construit un appareil en forme d'oeuf géant, qui, par des différences de température obtenues par l'électricité et sans influencer la température de la cellule ménagée à l'intérieur de cet oeuf, est propre à remonter le courant du temps. Une inquiétude subsiste : on craint que le voyageur ne rajeunisse au cours de son expédition, on craint de trouver à la première station, un nourrisson, ou, si le voyage se prolonge, le père et la mère du voyageur, et peut-être toute son ascendance comprimée dans l'appareil.

Un jeune homme sentimental - soit Palentête - veut profiter de cette invention pour refaire sa vie. Il se propose de retrouver, sept ans en arrière, une maîtresse perdue, et de recommencer cette expérience autant de fois qu'il le faudra pour obtenir un amour réussi.

Départ de Palentête, arrivée de Palentête. Il pénètre dans l'appartement de sa maîtresse : " Moi prime ! s'écrie-t-il en se trouvant en présence d'un Palentête âgé de 20 ans, couché dans le lit de sa maîtresse. J'avais imparfaitement prévu l'intégralité du passé. Je suppose qu'en emmenant le Palentête, ici présent avec moi dans mon oeuf, et qu'en faisant une station chaque année, je pourrai me recueillir à mes différents âges, et me confronter dans une même pièce avec une vingtaine de mes exemplaires de toutes les tailles ".

Rivalité de Palentête et de Palentête'. Palentête, fort de la connaissance de ce qui va se passer, supplante Palentête'. Désespéré, Palentête' menace de se suicider. Effroi de Palentête qui redoute que ce suicide n'entraîne sa mort ; il cède la place à Palentête' et remonte dans son appareil.

P. 21 Désireux de se dégourdir les jambes, Palentête s'arrête 23 ans en arrière, dans le même pays. Divers incestes sont consommés. Palentête a quelques raisons de croire qu'il est son propre père.

" Napoléon, Hannibal, les Pyramides ! Zut ! Passons au déluge ! " articule Palentête en s'appliquant sur la poitrine une machine à enregistrer les battements du coeur, afin de rester capable d'évaluer son âge. Palentête part à la découverte de la Genèse.

Incertain de rencontrer Dieu et impuissant à modifier un passé dont il est issu, Palentête s'applique à en créer de nouvelles versions, juste de quoi déconcerter ceux des hommes de son époque qui s'aventureraient à sa suite dans le passé et qui risquent de ne plus rien y rencontrer de conforme à l'histoire :

A la fin du règne d'Auguste, Palentête, après avoir parcouru six mois la province de Judée, découvre un enfant, Jésus de Nazareth, endormi sous un olivier ; il lui injecte du cyanure de potasse dans les veines.

Quelques années plus loin, il guette, pendant ses promenades, une fillette d'Egypte ; un jour qu'il l'aperçoit seule, il se jette sur elle et, avec sa pince à gaz, il lui mutile le nez. Cette fillette s'appelait Cléopâtre.

Faisant halte dans l'Amérique du sud, Palentête découvre à des hommes rouges l'usage de la vapeur et de l'électricité. On l'honore comme une divinité ; sur sa demande, on lui livre chaque mois 50 filles et 50 garçons.

Palentête enseigne dans les 5 continents le dogme du suicide obligatoire à 20 ans.

Palentête dépose entre les mains d'Homère la deuxième Aventure céleste de Monsieur Antipyrine de Tristan Tzara.

Palentête s'illustre par des prophéties sous différents noms : Ezechiel, Jérémie, Isaïe.

Palentête n'est pas à l'abri des passions. Il s'éprend d'une courtisane hindoue. Supportant mal les excès du climat, Palentête saute par dessus les étés et consacre les saisons froides à la courtisane. Il se prend pour ses prémisses d'un tel goût qu'il ne couche plus avec elle une fois après l'autre, mais une fois avant l'autre, jusqu'à ce qu'elle en meure à l'âge de 7 ans.

Ses conserves alimentaires sont épuisées, Palentête est obligé de s'arrêter fréquemment. Il perd plusieurs mois à jouer la comédie de la divinité, pour se faire remettre des provisions. Une barbe blanche lui cache la poitrine. De vieillesse, Palentête meurt dans son oeuf qui tourne encore.

Jacques RIGAUT

P. 22 Monuments

Sur la plate-forme d'un autobus un homme d'un certain âge dit à un jeune garçon qui lui ressemble comme un fils : " Des lettres de trois mètres de haut, à 1.250 francs l'une. Il y en a 8. 1250 par 8 cela fait 10.000 francs.

Le jeune garçon. - Il faut tenir compte de la couleur.

L'homme âgé. - De la longueur.

Le jeune garçon. - Et du vertige.

A ce moment une femme appuie sur le bouton de la sonnette pour obtenir l'arrêt. Elle s'interrompt brusquement et se dirige vers l'homme âgé. Celui-ci semble la reconnaître et lui tend la main. Elle, se ravise, détourne la tête et descend en disant : " Je vous remercie, monsieur Pelucheux, mon fils se porte bien. Il est toujours aux colonies. "

Le jeune garçon. - Que dit-elle.

L'homme âgé. - Tu devrais prendre garde, Gustave. Tu m'inquiètes un peu. Je suis pourtant ton grand'père.

SUJET DE TABLEAU

Le père, la mère et l'enfant autour d'un phonographe. Le père lit le journal. L'enfant souffle dans ses doigts. La mère un pied sur le bras du fauteuil tire son bas. Par la porte entr'ouverte passe une jolie tête de jeune fille. Une panoplie de cuirassier est accrochée au mur.

INTERROGATOIRE

- Comment vous appelez-vous ?

- Jean-Marie Pelucheux. Gonzague aussi.

- Quel âge avez-vous ?

- Quarante-sept ans.

- Quelle est votre profession ?

- Je joue au cerceau sur les toits avec une baguette rouge la nuit. Le jour j'ai une boule de verre dans chaque main.

- Mettez sans profession.

P. 23 CHANSON DE LA JEUNE FILLE

L'arc tendu de la mer

Jette une femme à mes pieds

Le renard autour des colonnes

Rôde à l'ombre de vos cheveux.

Si j'étais jalouse mais, mais...

Je ne te le dirai jamais (bis).

Le lendemain dans la classe du jeune Gustave Pelucheux (10 ans) un professeur proposait ce sujet de Composition Française : Qu'est-ce que la lumière ?

A midi Adolphe le marin ouvrait la porte à son jeune frère et l'embrassait. Il revenait de Madagascar.

Paris, le 15 Mars 1922.

A Monsieur Gonzague Pelucheux,

35, rue de Vaugirard, Paris.

Monsieur,

Il est mort. Mais il a laissé pour vous et votre famille un petit carnet orné d'images découpées dans un dictionnaire et un cierge de première communion.

Celle que vous connaissez bien.

P.S. - Je crois qu'il n'avait pas toutes ses idées. Il se plaignait beaucoup du jour.

UNE ILLUMINÉE

Paris, le 18 mars 1922. - Au cours du sermon prononcé à l'église Saint-François-des-Champs, on remarquait une femme debout au milieu de toute l'assistance assise.

Lorsque le prédicateur descendit de la chaire, quelle ne fut pas la stupéfaction des fidèles de la voir traverser la nef et se diriger vers le choeur prodiguant à droite et à gauche les gestes rituels d'une bénédiction épiscopale. Elle allait gravir les degrés de l'autel lorsque le Suisse et le bedeau arrêtèrent cette étrange personne qui, on s'en rendit vite compte, était devenue folle.

Roger VITRAC.

P. 24 Le Masque au nez de caoutchouc

Mon premier ami fut très intelligent, leau, bien fait, très fort. Il était boxeur. Moi, petit et faible, je l'avais choisi pour me défendre me laissant aller pour lui aux plus basses complaisances. Le jour que je lui déclarai mon amitié, il sourit et me prit négligemment sous sa protection.

Depuis, il est mort m'a-t-on assuré en gonflant une chambre à air.

Cette petite histoire est assez divertissante, car mon ami était grand mâcheur de chewing-gum. C'est en la racontant à un monsieur, portant avec fierté une fausse barbe, qu'il m'est arrivé la plus belle affaire de moeurs connue. Ce monsieur était une femme et voulait se faire passer pour la femme à barbe (tout le monde sait que dans les milieux bien pensants, on ne parle de la femme à barbe qu'avec certaines restrictions). Il m'entraîna dans une pissotière et m'embrassa subtilement sur la bouche en disant : " Ce bâillon qui m'empêche de crier " A l'assassin ! " fait plus de mal en un an que la plus sanglante des batailles. "

Je m'empressai aussitôt : " En êtes-vous sûr ? "

Il enleva lentement ses habits et se plaça tout nu devant moi. Je pus alors m'assurer qu'il n'avait pas de sexe. Devant ce spectacle il rougit et, se ravisant : " Je vous demande pardon, dit-il. " Puis il partit.

Profondément dégoûté de cette façon d'agir je ramassai un morceau de charbon et j'écrivis sur la tôle : " Que la police vienne, elle apprendra mon nom de baptême et la manière de s'en servir. "

Depuis ce temps je ne peux plus parler de l'histoire de mon premier ami sans y joindre celle-là.

Un autre jour, j'assistais au lancement d'un paquebot. Je n'oubliais pas de protester énergiquement au nom de mon ami mort devant le geste ridicule que fait l'homme placé à la pointe du navire quand celui-ci entre dans la mer. L'homme n'ajouta rien et mourut. On me sacra immédiatement Président de la République. Je porte encore ce titre avec dignité.

MORALITÉ :

Faites aux autres ce que vous voudriez qu'on vous fît.

Jacques BARON.



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