Litterature N°13 Litterature N°14 Menu de Litterature


<Litterature N°13

MERCVRE DE FRANCE

Paraît sur 18 feuilles

et donne

288 pages par numéro

soit par an

8 volumes de 864 pages

VENTE ET ABONNEMENTS

   France   Etranger

Un an ....   48 ”   55 ”

6 mois ....   25 ”   29 ”

3 mois ....   13 ”   15 ”

1 numéro....   2 50   2 85

Les abonnements partent de tous les numéros

Tous les numéros anciens, quel qu'en soit le prix marqué, se vendent 2 fr. 50

26, RUE DE CONDÉ

PARIS

"L'EFFORT MODERNE"

Léonce Rosenberg

OEUVRES PAR :

Maria BLANCHARD, Georges BRAQUE

CSAKY, André DERAIN, FÉRAT

Juan GRIS, HERBIN

Irène LAGUT, Henri LAURENS

Fernand LÉGER, André LHOTE

Jacques LIPCHITZ

Jean METZINGER, Pablo PICASSO

Gino SEVERINI, Georges VALMIER

19, rue de la Baume

PARIS (VIIIe)

2e ANNÉE : N° 13, REVUE MENSUELLE, MAI 1920

LITTÉRATURE

VINGT-TROIS MANIFESTES DU MOUVEMENT DADA

PAR

Francis PICABIA, Louis ARAGON, André BRETON, Tristan TZARA, ARP, Paul ELUARD, Philippe SOUPAULT, SERNER, Paul DERMÉE, Georges RIBEMONT-DESSAIGNES, Céline ARNAULT et W. C. ARENSBERG.

13

DEUX FRANCS

DIRECTEURS

Louis ARAGON, André BRETON, Philippe SOUPAULT.

Rédaction : 9, Place du Panthéon, Paris.

Administration : AU SANS PAREIL, 37, avenue Kléber (16e).

ABONNEMENTS

Pour 12 Nos : 15 francs, pour la France ; 20 francs, pour l'Etranger.

Il est tiré à part 10 exemplaires sur Hollande Van Gelder dont l'abonnement est de 60 francs pour la France ; 80 francs pour l'Etranger.

- Collection. complète de Littérature (12 numéros) : Prix 20 fr. -

LITTÉRATURE

publiera au cours de l'année 1920 des textes inédits de Blaise CENDRARS, Pierre DRIEU LA ROCHELLE, André GIDE, Max JACOB, Jean PAULHAN, Raymond RADIGUET, SERNER, Paul VALÉRY,

ainsi que

La main chaude, film ;

Etudes morales ;

Aventures de Télémaque ; par Louis ARAGON.

Les Pas Perdus ;

Lautréamont ; par André BRETON.

Fornications près des tables ; par Francis PICABIA.

Le serin muet, un acte ;

Zizi de Dada, un acte ;

Rate automatique (évènements du jour) par G. RIBEMONT-DESSAIGNES.

Epitaphes ;

Jacques Vaché ;

Mes amis et moi ; par Philippe SOUPAULT.

Monsieur Aa, l'antiphilosophe ; par Tristan TZARA.

Exemples ;

Les Nécessités de la Vie ; par Paul ELUARD.

PRIX DU NUMÉRO : France : 2 francs ; Etranger : 2 fr. 50.

Il a été tiré de ce numéro 10 exemplaires sur Hollande Van Gelder.

N° ...

P. 1 Ces manifestes ont été lus

Au Salon des Indépendants (Grand Palais des Champs Elysées)   le 5 février 1920

Au Club du Faubourg, 6, rue de Puteaux   le 7 février

A l'Université Populaire du Faubourg Saint-Antoine   le 19 février

L'ordre de leur publication a été tiré au sort.

Manifeste du mouvement Dada

Plus de peintres, plus de littérateurs, plus de musiciens, plus de sculpteurs, plus de religions, plus de républicains, plus de royalistes, plus d'impérialistes, plus d'anarchistes, plus de socialistes, plus de bolcheviques, plus de politiques, plus de prolétaires, plus de démocrates, plus de bourgeois, plus d'aristocrates, plus d'armées, plus de police, plus de patries, enfin assez de toutes ces imbécilités, plus rien, plus rien, rien, rien, rien, rien.

De cette façon, nous espérons que la nouveauté qui sera la même chose que ce que nous ne voulons plus, s'imposera moins pourrie, moins égoïste, moins mercantile, moins obtuse, moins immensement grotesque.

Vivent les concubines et les concubistes. Tous les membres du Mouvement DADA sont présidents.

MOI *

* Puits profonds et Sources.

Tout ce qui n'est pas moi est incompréhensible.

Que je l'aille chercher aux rivages du Pacifique ou que je le ramasse dans les contrées de mon existence, le coquillage que P. 2 j'appliquerai à mon oreille retentira de la même voix que je prendrai pour celle de la mer et qui ne sera que le bruit de moi-même.

Tous les mots, si tout-à-coup je ne me contente plus de les garder dans ma main comme de jolis objets de nacre, tous les mots me permettront d'écouter l'océan, et dans leur miroir auditif je ne retrouverai que mon image.

Le langage quoiqu'il en paraisse se réduit au seul Je et si je répète un mot quelconque, celui-ci se dépouille de tout ce qui n'est pas moi jusqu'à devenir un bruit organique par lequel ma vie se manifeste.

Il n'y a que moi au monde et si j'ai de temps en temps la faiblesse de croire à l'existence d'une femme, il me suffit de me pencher sur son sein pour entendre le bruit de mon coeur et me reconnaître. Les sentiments ne sont que des langages pour faciliter l'exercice de quelques fonctions.

Je porte dans mon gousset gauche mon portrait très ressemblant : c'est une montre en acier bruni. Elle parle, elle marque le temps, et elle n'y comprend rien.

Tout ce qui est moi est incompréhensible.

LOUIS ARAGON.

Tristan Tzara

Regardez-moi bien !

Je suis idiot, je suis un farceur, je suis un fumiste.

Regardez-moi bien !

Je suis laid, mon visage n'a pas d'expression, je suis petit.

Je suis comme vous tous ! (1).

1) Je voulais me faire un peu de réclame.

P. 3 Mais demandez-vous, avant de me regarder, si l'iris par lequel vous envoyez des flèches de sentiment liquide, n'est pas caca de mouche, si les yeux de votre ventre ne sont des sections de tumeurs dont les regards sortiront une fois par une partie quelconque de votre corps, sous forme d'écoulement blennhoragique. Vous voyez avec votre nombril - pourquoi lui cachez-vous le spectacle ridicule que nous lui offrons ? Et plus bas, des sexes de femmes, à dents, qui avalent tout - la poésie de l'éternité, l'amour, l'amour pur, naturellement, - les beaftecks saignants et la peinture à l'huile.

Tous ceux qui regardent et qui comprennent, se rangent aisément entre la poésie et l'amour, entre le beafteck et la peinture. Ils seront digérés, ils seront digérés.

On m'a accusé récemment d'un vol de fourrures. Probablement parce qu'on me croyait encore parmi les poètes. Parmi ces poètes qui satisfont leurs besoins légitimes d'onanie froide dans des fourrures chaudes : H a h u, je connais d'autres plaisirs aussi platoniques. Appellez votre famille au téléphone et pissez dans le trou réservé aux bêtises musicales gastronomiques et sacrées.

DADA propose 2 solutions :

PLUS DE REGARDS.

PLUS DE PAROLES. (2).

2) Plus de manifestes.

Ne regardez plus.

Ne parlez plus.

Car moi, caméléon changement infiltration aux attitudes commodes - opinions multicolores pour toute occasior, dimension et prix - je fais le contraire de ce que je propose aux autres. (3).

3) Parfois.

j'ai oublié quelque chose :

où ? pourquoi ? comment ?

c'est à dire :

ventilateur d'exemples froids servira au serpent fragile de cavalcade et je n'ai jamais eu le plaisir de vous voir my dear rigide

l'oreille sortira d'elle-même de l'enveloppe comme toutes les fournitures marines et les produits de la maison Aa et Co le chewing-gum P. 4 par exemple et les chiens ont des yeux bleus, je bois la camomille, ils boivent le vent, DADA introduit de nouveaux points de vue, on s'assoit maintenant aux coins des tables, dans des attitudes glissées un peu à gauche et à droite, c'est pourquoi je suis fâché avec Dada, demandez partout la suppression des D, mangez du Aa, frottez-vous avec la pâte dentrifice Aa, habillez-vous chez Aa. Aa est un mouchoir et le sexe qui se mouche, l'écroulement rapide - en caoutchouc - sans bruit, n'a pas besoin de manifestes ni de livre d'adresses, il donne 25 % de rabais habillez-vous chez Aa il a les yeux bleus.

TRTZ. 20-2-1920.

Bocaux Dada

Comment t'appelles-tu ? (Il hausse les épaules).

Où es-tu ? - Au Grand Palais des Champs Elysées.

Quel jour sommes-nous ? - Jeudi... février 1920.

Quel est ton métier ? - Je labourais, je taillais les vignes.

Et tes parents ? - Le père, c'est un innocent, un homme sans intelligence ; aussi bien l'un comme l'autre, la mère aussi ; c'est moi qui faisais tout.

La douzaine d'oeufs coûte six francs ; quel est le prix d'un oeuf ? - Six francs.

Pourquoi ris-tu ? - C'est les autres qui me font rire.

Crois-tu en Dieu, à la Sainte Vierge ? - Ils font toujours leur travail.

Comment le sais-tu ? - Je le sais.

As-tu bien dormi ? - Je rêve après les taubes, après les sangliers, que je tombe dans les puits, qu'on me court après pour me battre.

Comment te trouves-tu ? - Vous êtes beaucoup trop bon pour moi. Je languis partout ; je voudrais passer aux rayons X. J'étais bien intelligent jusqu'au mois dernier.

Que désires-tu ? - Je ne sais pas.

ANDRÉ BRETON.

P. 5 Dada Philosophe

A André Breton

CHAPITRE I

DADA a le regard bleu, sa figure est pâle, ses cheveux sont bouclés ; il a l'aspect anglais des jeunes hommes qui font du sport.

DADA a les doigts mélancoliques, à l'aspect espagnol.

DADA a le nez petit, à l'aspect russe.

DADA a le cul en porcelaine, à l'aspect français.

DADA songe à Byron et à la Grèce.

DADA songe à Shakespeare et à Charlot Chaplin.

DADA songe à Nietsche et à Jésus-Christ.

DADA songe à Barrès et aux couchers de soleil.

DADA a le cerveau comme un nénuphar.

DADA a le cerveau comme un cerveau.

DADA est un artichaut bouton de porte.

DADA a la face large et svelte et sa voix est cambrée comme le timbre des sirènes.

DADA est une lanterne magique.

DADA a la queue tordue en bec d'aigle.

La philosophie de DADA est triste et gaie, indulgente et large. Les cristaux vénitiens, les bijoux, les soupapes, les bibliophiles, les voyages, les romans poétiques, les brasseries, les maladies mentales, Louis XIII, le dilettantisme, la dernière opérette, l'étoile resplendissante, le paysan, un bock qui s'égoutte petit à petit, un nouveau spécimen de rosée, voilà une physionomie de DADA !

Incomplications et incertitudes.

Changeant et nerveux, DADA est un hamac qui berce un doux balancement.

CHAPITRE II

Une étoile tombe sur un fleuve, laissant un sillage d'exemplaires. Le bonheur et le malheur ont la voix silencieuse et nous parlent à l'oreille.

Soleil noir ou brillant.

Au fond de la barque, nous ignorons le chemin qu'il faut choisir.

P. 6 Un tunnel et revenir.

L'extase devient angoisse dans l'idylle du foyer.

Les lits sont toujours plus pâles que les morts, malgré le cri désespéré de l'homme.

DADA embrasse dans l'eau de source et ses baisers doivent être le contact de l'eau avec le feu.

DADA est Tristan Tzara.

DADA est Francis Picabia.

DADA est tout puisqu'il aime aussi les purs esprits, la nuit qui tombe, les feuillages qui soupirent et les amants, pressés dans les bras l'un de l'autre, buvant éperdument à la double et divine source de l'Amour et de la Beauté !

CHAPITRE III

DADA a vingt-deux ans depuis toujours, il a un peu maigri depuis vingt-deux ans. DADA est marié avec une paysane qui aime les oiseaux.

CHAPITRE IV

DADA vit sur un coussin peplum, il est entouré de chrysan-thèmes qui portent des masques parisiens.

CHAPITRE V

Les passions humaines lui apparaissent sur les rives de l'optimisme, déchiquetées par l'antique poésie de Baudelaire

CHAPITRE VI

"Mais je deviens idiot !" s'écria DADA.

Le désir de s'endormir.

D'avoir un valet de chambre.

Un valet de chambre idiot, à l'autre bout de la chambre.

CHAPITRE VII

Le même valet de chambre ouvrit la porte, et, comme toujours, refusa de nous laisser entrer. De loin nous avons reconnu la voix de DADA.

FRANCIS PICABIA.

Martigues, 12 février 1920.

P. 7 Développement Dada

L'homme a le respect du langage et le culte de la pensée ; s'il ouvre la bouche, on voit sa langue sous globe et la naphtaline de son cerveau empeste l'air.

Pour nous, tout est une occasion de s'amuser. Quand nous rions, nous nous vidons et le vent passe en nous, remuant portes et fenêtres, introduisant en nous la nuit du vent.

Du vent. Ceux qui sont venus avant nous sont des artistes. Les autres sont des malins. Exploitons les malins, plaçons-nous et l'idiot aussi à la place de la tête et de la main.

Nous avons besoin de distractions. Nous resterons ce que nous sommes ou ce que nous serons. Nous avons besoin d'un corps libre et vide, nous avons besoin de rire et nous n'avons besoin de rien.

PAUL ELUARD.

Littérature et le reste

On m'a répété plus de deux cents fois (peut-être trois cents) que deux et deux font quatre. C'est tant mieux, ou tant pis. Mais la main qui est là, ouverte devant vous, ces cinq doigts existent, ou n'existent pas. Je m'en moque comme de l'an quarante. Les beaux mots bordés de plumes ou de petites fusées odorantes, les périodes construites avec des cailloux transparents ne valent pas les deux sous que je vous jette à la figure.

Qui donc osera semer dans vos cervelles plus maigres et plus petites que les feuilles des saules, cette plante ridicule qu'on appelle l'ivraie ou le blé. Qu'on s'amuse si l'on veut à m'arracher les yeux et à regarder ce qui pousse sur le fumier qui me sert de cerveau. Vous n'y verrez rien, parce qu'il n'y a rien. Vous tous qui êtes gonflés d'idées et de principes comme des oies et qui me ressemblez comme des frères, allez vous promener dans les champs et rappelez-vous que le blé qui lève est un roman de Monsieur René Bazin.

Mais moi, qui suis tout seul ici devant ces murs de plâtre, j'ai compris que tous mes amis, assassins ou littérateurs, sont aussi bêtes que moi. Les plus coupables sont ceux qui s'amusent à se prendre au sérieux.

P. 8 - Pourquoi avez-vous écrit un manifeste ? m'a-t-on crié.

J'écris un manifeste parce que je n'ai rien à dire.

La littérature existe, mais dans le coeur des imbéciles.

Il est absurde de diviser les écrivains en bons et en mauvais. D'un côté, il y a mes amis, et de l'autre, le reste.

Quand tous mes contemporains auront compris toutes ces choses, peut-être qu'à ce moment, on respirera plus aisément et qu'on pourra ouvrir les yeux ou la bouche sans risquer d'être asphixié. J'espère, d'ailleurs, que ces gens dont je parlais et qui ont pour moi le plus délicieux mépris ne comprendront jamais rien. C'est la grâce que je leur souhaite.

Qu'ils hurlent au nom de la morale, de la tradition ou de la littérature, c'est toujours le même hurlement, le même vagissement. Leur sourire dédaigneux m'est aussi doux que la rage de leurs épouses majestueuses. Ils peuvent me mépriser ; ils n'arriveront jamais à savoir ce que je pense de moi-même, parce que ma vie s'écoule dans le sens des aiguilles d'une montre.

Tous ces gens qui sont ici n'auront même pas le courage de siffler pour exprimer leur dégoût. Moi, j'ai le courage de siffler et de crier que ce manifeste est idiot et plein de contradictions, mais je me consolerais tout à l'heure en me disant que cette fameuse littérature, la fleur de pissenlit qui est née dans le diaphragme des crétins, est encore plus bête.

PHILIPPE SOUPAULT.

Pâtisserie Dada

La table est ronde, le ciel est fort, l'araignée est menue, le verre est transparent, les yeux ont dix couleurs différentes, Louis Aragon a la croix de guerre, Tzara n'a pas la syphilis, les éléphants sont silencieux, la pluie tombe, une automobile se déplace plus facilement qu'une étoile, j'ai soif, les courants d'air sont inutiles, les poètes sont des pelotes à épingles - ou des cochons, le papier à lettre est commode, le poêle tire bien, le poignard tue bien, le revolver tue mieux, l'air est toujours trop profond.

Tout cela, nous l'avalons, et si nous le digérons, nous nous en foutons absolument.

PAUL ELUARD.

P. 9 Patinage Dada

Nous lisons les journaux comme les autres mortels. Sans vouloir attrister personne, il est permis de dire que le mot DADA se prête facilement aux calembours. C'est même un peu pourquoi nous l'avons adopté. Nous ne savons pas le moyen de traiter sérieusement un sujet quelconque, à plus forte raison ce sujet : nous. Tout ce qu'on écrit sur DADA est donc pour nous plaire. Il n'est pas un fait-divers pour lequel nous ne donnerions toute la critique d'art. Enfin la presse de guerre ne nous a pas empêchés de tenir le maréchal Foch pour un fumiste et le président Wilson pour un idiot.

Nous ne demandons pas mieux que d'être jugés sur nos apparences. On raconte partout que je porte des lunettes. Si je vous avouais pourquoi, vous ne me croiriez jamais. C'est en souvenir d'un exemple de grammaire : "Les nez ont été faits pour porter des lunettes ; aussi j'ai des lunettes." Comment dites-vous ? Ah oui, cela ne nous rajeunit pas.

Pierre est un homme. Mais il n'y a pas de vérité DADA. On n'a qu'à prononcer une phrase pour que la phrase contraire devienne DADA. J'ai vu Tristan Tzara sans voix pour commander une boîte de cigarettes dans un bureau de tabac. Je ne sais pas ce qu'il y avait. J'entends encore Philippe Soupault réclamer avec insistance des oiseaux vivants chez les marchands de couleurs. Moi-même, en cet instant, je rêve peut-être.

Une hostie rouge, après tout, vaut une hostie blanche. DADA ne promet pas de vous faire aller au ciel. A priori, dans les domaines de la littérature et de la peinture, il serait ridicule d'attendre un chef-d'oeuvre DADA. Nous ne croyons non plus, naturellement, à la possibilité d'aucune amélioration sociale, si nous haïssons par-dessus tout le conservatisme et nous déclarons partisans de toute révolution, quelque qu'elle soit. "La paix à tout prix" c'était le mot d'ordre de DADA en temps de guerre comme en temps de paix le mot d'ordre de DADA c'est : "La guerre à tout prix."

La contradiction n'est encore qu'une apparence, et sans doute la plus flatteuse. Je ne me connais pas la moindre ambition : il vous semble pourtant que je m'anime : comment l'idée que mon flanc droit est l'ombre de mon flanc gauche, et inversement, ne me rend-elle pas tout-à-fait incapable de bouger ? Au sens le plus général du mot, nous passons pour P. 10 des poètes parce qu'avant tout nous nous attaquons au langage qui est la pire convention. On peut très bien connaître le mot Bonjour et dire Adieu à la femme qu'on retrouve après un an d'absence.

DADA vous combat avec votre propre raisonnement. Si nous vous réduisons à prétendre qu'il est plus avantageux de croire que de ne pas croire ce qu'enseignent toutes les religions de beauté, d'amour, de vérité et de justice, c'est que vous ne craignez pas de vous mettre à la merci de DADA, en acceptant une rencontre avec nous sur le terrain que nous avons choisi, qui est le doute.

ANDRÉ BRETON.

Les plaisirs de Dada

Dada comme tout le monde a des plaisirs. Le principal plaisir de Dada est de se voir chez les autres. Dada excite le rire, la curiosité, ou la colère. Comme ce sont là trois choses très sympathiques, Dada est très content.

Dada est d'autant plus content qu'on rit de lui sans préparation. L'Art et les Artistes étant des inventions très sérieuses surtout lorsque cela ressort du Comique, on vient au Comique pour rire. Ici rien de cela. Nous ne prenons rien au sérieux. On rit donc, mais pour se moquer de nous. Dada est très content.

La curiosité est éveillée aussi. Les hommes sérieux, qui au fond savent comment on prépare les miracles dans le genre de ceux du Père la Colique ou des Larmes de la Vierge, se disent qu'il serait plus amusant de s'amuser avec nous. Ils ne veulent pas non plus faire crouler tout le Sacré Coeur de l'Art, les voici qui se frottent à nous pour avoir notre recette. Dada n'a pas de recette, mais il a toujours faim. Dada est très content.

Pour la colère, cela est délicieux. C'est comme ça que commencent les grandes amours. Le seul souci pour l'avenir serait d'être trop aimé. Il est vrai que resterait la faculté de renverser les rôles et à notre tour de rire, désirer, ou nous mettre en colère. Mais en attendant quelle somme de profit. La belle gueule de quelqu'un qui vomit les injures est grande ouverte, et Dada sait très bien jouer au basse-boule. Dada est très content.

P. 11 Dada aime aussi jeter des pierres dans l'eau, non pour voir ce qui va arriver, mais pour considérer stupidement les petites vagues. Les pêcheurs à la ligne n'aiment pas Dada.

Dada aime sonner aux portes, frotter les allumettes pour enflammer les cheveux et les barbes. Il met de la moutarde dans les ciboires, de l'urine dans les bénitiers, et de la margarine dans les tubes de couleur des peintres.

Il vous connait et connait ceux qui vous mènent. Il vous aime, et ne les aime pas. Avec vous, on peut s'amuser. Vous aimez probablement vivre. Mais vous avez de mauvaises habitudes. Vous aimez trop ce qu'on vous a appris à aimer. Les cimetières, la mélancolie, le tragique amoureux, les gondoles vénitiennes. Vous hurlez à la lune. Vous croyez à l'art et respectez les Artistes.

Il suffit de démolir tous vos petits châteaux de cartes et vous restituer votre entière liberté pour que vous soyez les amis de Dada. Méfiez-vous de ceux qui vous mènent. Ils se servent justement de votre amour inconsidéré du toc et du ténor pour vous conduire par le bout du nez, pour leur plus grand bien.

Tenez-vous donc à vos chaînes de telle manière qu'on peut impunément user de vous comme d'ours à montrer dans les foires ? Ils vous flattent et vous appellent Ours sauvages, Ours des Carpathes. Ils parlent de la liberté et des grandes montagnes. C'est pour récolter les gros sous des bourgeois spectateurs. Pour une vieille carotte et l'odeur du miel, vous dansez. Si vous n'étiez pas lâches et affaissés parce qu'on vous a trop fait considérer les hauteurs et les abstractions inexistantes, et toutes les balivernes montées en dogmes, vous vous dresseriez, et vous joueriez comme nous au jeu de massacre. Mais vous avez peur de ne plus croire, et de nager comme des bouchons à la surface d'une cantare, avec le seul souvenir de la limonade gazeuse. Vous ne savez pas qu'on peut n'être attaché à rien et être joyeux.

Si le jour vient où vous vous secouerez, Dada fera sonner ses mâchoires en signe d'amitié. Mais si vous vous délivrez des punaises pour garder des poux, Dada fera jouer son petit soufflet à insecticide.

Dada est très content.

GEORGES RIBEMONT-DESSAIGNES.

P. 12Manifeste du Crocrodarium Dada

Les lampes statues sortent du fond de la mer et crient vive DADA pour saluer les transatlantiques qui passent et les présidents dada le dada la dada les dadas une dada un dada et trois lapins à l'encre de Chine par arp dadaïste en porcelaine de bicyclette striée nous partirons à Londres dans l'aquarium royal demandez dans toutes les pharmacies les dadaïstes de raspoutine du tzar et du pape qui ne sont valables que pour deux heures et demie.

ARP.

L'ART

Le principe du mot BEAUTÉ n'est qu'une convention automatique et visuelle. La vie n'a rien à faire avec ce que les grammairiens appellent la Beauté. La vertu comme le patriotisme n'existe que pour les intelligences moyennes vouées toute leur vie au sarcophage. Il faut tarir cette source d'hommes et de femmes qui regardent l'Art comme un dogme dont le Dieu est la convention acceptée. Nous ne croyons pas en Dieu, pas plus que nous ne croyons à l'Art, ni à ses prêtres, évêques et cardinaux.

L'Art n'est et ne peut être que l'expression de notre vie contemporaine. La Beauté, institut, ressemble uniquement au Musée Grévin et ricoche facilement sur l'âme des marchands et connaisseurs de l'Art, gardiens du Musée église des cristallisations du passé.

Tralala Tralala

Nous ne marchons pas

Nous ne nous nourrissons pas à l'office de souvenirs et des représentations de Robert Houdin.

Vous ne comprenez pas, n'est-ce pas, ce que nous faisons. Eh bien, chers Amis, nous le comprenons encore moins, quel bonheur, hein, vous avez raison. - Mais croyez-vous que Dieu savait l'Anglais et le Français ??? ???

Vous lui expliquez la Vie dans ces deux belles langues Tralala Tralala Tralala Tralala Tralala Tralala.

P. 13 Regardez donc avec votre odorat, oubliez les feux d'artifice de la beauté à 100,000, 200,000 ou 199,000,000 de dollars.

Et puis j'en ai assez, ceux qui ne comprennent pas ne comprendront jamais et ceux qui comprennent puisqu'il faut comprendre n'ont pas besoin de moi.

FRANCIS PICABIA.

Dada tue-Dieu

Le plus ancien et le plus redoutable ennemi de Dada s'appelle DIEU !

Il se place entre nous et toutes choses.

Il montre ses yeux fourbes quand nous nous penchons sur notre verre.

Il couche avec nos maîtresses et s'interpose entre leur peau et la nôtre.

Il se juche sur les épaules des généraux victorieux, des vieillards couronnés par les chutes des artistes bien achalandés. Plus haut qu'eux, il attire l'adoration des regards grand écart.

Il est le faussaire, le spéculateur, le dupeur, le grand forceur et le suprême truffeur de cervelles.

Il empoisonne la vie d'un tas d'imbéciles. Dieu est idiot, Dieu porte goître, Dieu porte beau, Dieu porte à gauche.

Combien de poètes, de peintres, de musiciens - gens plus que tous autres ignares - se chaussent chaque matin d'un Dieu comme d'un préservatif et ainsi camouflés offrent à l'adoration des foules leur bedaine verte !

Mais nous crions : ASSEZ de tous ces Dieux embêtants et empestants qui grouillent comme une atroce vermine mangetout !

Faisons VITE quelques fumigations corrosives pour purifier l'atmosphère et quelques lavages à l'eau de vie pour bien décaper la Maison...

Et PARTOUT de la poudre à punaises Dada ! Hygiène au pair !

Dada tue-Dieu.

Dada tue-tout.

Dada anti-tabou !

PAUL DERMÉE.

P. 14 Le Corridor

1° De même que le prénom Apollonie, duquel on peut voir le Panthéon tout comme de la rue Soufflot, est moins joli qu'un dog-cart, il est complètement inutile de penser que le plus bête d'entre nous est tout-de-même moins bête qu'il le paraît, donc encore plus bête. Quand on aura fini de louer certains messieurs particulièrement louches, sous prétexte qu'ils se conduisent toujours comme il faut, c'est-à-dire de façon idiote, on s'amusera peut-être, si l'on est de ceux qui, sans besoin de l'ouvrir, rejettent comme fastidieux "Aloïse ou l'Amour perverti" (chez Albin Michel). Qui s'est jamais rendu compte que toute précaution est insuffisante ? Ne pas oser se rasseoir, à cause des tendres coliques de lecture à usure hystéro-maniaque et par crainte de produire un effet ridicule, n'est pas une raison de regretter de s'être levé. Il paraît qu'à la fin de la troisième année, des entraîneurs en deviennent sauvages. Les habitants de l'Europe centrale ne savent pas leur bonheur de tenir pour uniquement dangereuses les conversations simples ! Au surplus, tout en caressant ses souliers vernis, est-il bien consolant de se dire qu'il existe sur terre des hommes inutiles ? Non, malgré tout. Car, à l'occasion, leurs yeux sont aussi humides de plaisir. Ils vivent, comme les autres, entre l'érotisme mou comme du beurre et le fatras cérébral de telle façon que quelquefois la démoniaque la plus calée avoue son embarras. (C'est là leur plus grand crime !) Un malheur rend si gai que l'on embrasse et que l'on repousse alternativement chaque conduite jusqu'à ce que la dernière, vivant de l'espérance de ne pas en être une, ne soit plus à repousser. Néanmoins, que l'on ne prenne peut-être pas pour une boutade ces paroles de Napoléon, à qui l'on donnait à relire sa proclamation égyptienne : "C'est un peu hâbleur !" (Ce sont les paroles de l'excellent homme.) On ne pourra qu'avoir une orientation plus nette, lorsqu'on aura réussi à entrer en conversation avec sa propre prostate. Probablement. D'ici-là, la seule position vraiment digne de l'homme est de rester couché en effigie, mais toujours sur la partie du corps la plus comique, produisant ainsi un effet exorbitant sur le ciel.

2° On n'est pas encore assez résigné à tout. Voilà ce qu'on devrait apprendre à l'école primaire et ce que, malade, il est bon de s'entendre dire sans cesse dans le dos.

3° Mais chacun renonce à la fermeté, pour peu qu'un autre P. 15 lui semble se conduire niaisement, aussi vrai que le bon Dieu n'est qu'une médecine banale et que l'on n'aime presque plus rien, quand on a cessé de s'aimer soi-même. La joie dernière n'en est pas moins considérable. Il faut la voir se boucler entre les plis du ventre, lorsqu'on réussit, avant de s'endormir, à rattraper les filouteries qui le jour échappent objectivement au cerveau. Ce n'est évidemment pas avec cela qu'on soutire des gaz à un cadavre, si à la rigueur on en soutire à Maurice Barrès qui passe pour être encore vivant.

Dr VAL SERNER.

Dada est américain

Le cubisme est né en Espagne ; la France s'en est approprié les brevets sans garantie du gouvernement. Malheureusement, comme les allumettes françaises, le cubisme ne prend pas ; les surfaces de la boîte manquent de phosphore. M. Rosenberg est en train de fabriquer une boîte énorme, mais les allumettes qu'il y cache sont mouillées, surnageant sur un liquide moisi.

Le cubisme était espagnol, il est devenu alsacien-lorrain, il danse sur les tapis rouges officiels de quelques galeries parisiennes et mercantiles.

Impossible pour lui de crier : Vive DADA ; c'est un poitrinaire sur une chaise-longue ; toute jeunesse s'est envolée de ses yeux méchants ; il ne fait penser à cette vieille dame, Roch Grey, qui n'aime pas les enfants et parle avec le plus grand mépris des pouponnières.

J'ai été obligé de parler un peu du Cubisme, ayant été un de ceux qui attendaient beaucoup de ce mot géométrique ; je suis forcé d'avouer ma désillusion et, en même temps, ma joie à contempler DADA, le représentant mondial de tout ce qui est jeune, vivant, sportif ; Dada dont la religion ne sort pas d'une cathédrale appendicite.

DADA est américain, DADA est russe, DADA est espagnol, DADA est suisse, DADA est allemand, DADA est français, belge, norvégien, suédois, monégasque. Tous ceux qui vivent sans formule, qui n'aiment des musées que le parquet, sont DADA ; les murs des musées sont Père Lachaise ou Père la Colique, ils ne seront jamais Père Dada. Les vraies oeuvres Dada ne doivent vivre que six heures.

P. 16 Moi, Walter Conrad Arensberg, poète américain, je déclare que je suis contre Dada, ne voyant que ce moyen d'être sur dada, sur dada, sur dada, sur dada.

Bravo, bravo, bravo. Vive Dada.

WALTER CONRAD ARENSBERG.

New-York

33 Ouest 67 street.

Manifeste de M. Antipyrine

L'auteur président étant malade a perdu son manifeste. Nous reproduisons, extrait de "La première aventure céleste de M. Antipyrine." (Zurich, 1916, Collection Dada, épuisé), le manifeste lu à la première soirée Dada, à Zurich, le 14 juillet 1916, à la salle Waag.

DADA est notre intensité : qui érige les baïonnettes sans conséquence la tête sumatrale du bébé allemand ; Dada est la vie sans pantoufles ni parallèle ; qui est contre et pour l'unité et décidément contre le futur ; nous savons sagement que nos cervaux deviendront des coussins douillets, que notre antidogmatisme est aussi exclusiviste que le fonctionnaire et que nous ne sommes pas libres et crions liberté nécessité sévère sans discipline ni morale et crachons sur l'humanité.

DADA reste dans le cadre européen des faiblesses, c'est tout de même de la merde, mais nous voulons dorénavant chier en couleurs diverses pour orner le jardin zoologique de l'art de tous les drapeaux des consulats.

Nous sommes directeurs de cirque et sifflons parmi les vents des foires, parmi les couvents, prostitutions, théâtres, réalités, sentiments, restaurants. Hohi, hoho, bang, bang.

Nous déclarons que l'auto est un sentiment qui nous assez choyé dans les lenteurs de ses abstractions et les transatlantiques et les bruits et les idées. Cependant nous extériorisons la facilité, nous cherchons l'essence centrale et nous sommes contents pouvant la cacher ; nous ne voulons pas compter les fenêtres de l'élite merveilleuse, car Dada n'existe pour personne et nous voulons que tout le monde comprenne cela, car c'est le balcon de Dada, je vous assure. D'où l'on peut entendre les P. 17 marches militaires et descendre en tranchant l'air comme un séraphin dans un bain populaire pour pisser et comprendre la parabole.

DADA n'est pas folie, ni sagesse, ni ironie, regarde-moi, gentil bourgeois.

L'art était un jeu noisette, les enfants assemblaient les mots qui ont une sonnerie à la fin, puis ils pleuraient et criaient la strophe, et lui mettaient les bottines des poupées et la strophe devint reine pour mourir un peu et la reine devint baleine, les enfants couraient à perdre haleine.

Puis vinrent les grands ambassadeurs du sentiment qui s'écrièrent historiquement en choeur :

Psychologie psychologie hihi

Science Science Science

Vive la France

Nous ne sommes pas naïfs

Nous sommes successifs

Nous sommes exclusifs

Nous ne sommes pas simples

et nous savons bien discuter l'intelligence.

Mais nous, DADA, nous ne sommes pas de leur avis, car l'art n'est pas sérieux, je vous assure, et si nous montrons le crime pour dire doctement végétation, c'est pour vous faire du plaisir, bons auditeurs, je vous aime tant, je vous aime tant, je vous assure et je vous adore.

TRISTAN TZARA.

Géographie Dada

L'anecdote historique est d'importance secondaire. Il est impossible de savoir où et quand DADA prit naissance. Ce nom qu'il plut à l'un de nous de lui donner à l'avantage d'être parfaitement équivoque.

Le cubisme fut une école de peinture, le futurisme un mouvement politique : DADA est un état d'esprit. Opposer l'un à l'autre révèle l'ignorance ou la mauvaise foi.

La libre-pensée en matière religieuse ne ressemble pas à une église. DADA, c'est la libre-pensée artistique.

Tant qu'on fera réciter des prières dans les écoles sous forme P. 18 d'explications de textes et de promenades dans les musées, nous crierons au despotisme et chercherons à troubler la cérémonie.

DADA ne se donne à rien, ni à l'amour, ni au travail. Il est inadmissible qu'un homme laisse une trace de son passage sur la terre.

DADA, ne reconnaissant que l'instinct, condamne à priori l'explication. Selon lui, nous ne devons garder aucun contrôle sur nous-mêmes. Il ne peut plus être question de ces dogmes : la morale et le goût.

ANDRÉ BRETON.

AU PUBLIC

Avant de descendre parmi vous afin d'arracher vos dents gâtées, vos oreilles gourmeuses, votre langue pleine de chancres.

Avant de briser vos os pourris -

D'ouvrir votre ventre cholérique, et d'en retirer, à l'usage des engrais pour l'agriculture, votre foie trop gras, votre rate ignoble et vos rognons à diabète -

Avant d'arracher votre vilain sexe incontinent et glaireux -

Avant d'éteindre ainsi votre appétit de beauté, d'extases, de sucre, de philosophie, de poivre et de concombres métaphysiques, mathématiques et poétiques -

Avant de vous désinfecter au vitriol et de vous rendre ainsi propres et de vous répoliner avec passion -

Avant tout cela -

Nous allons prendre un grand bain antiseptique -

Et nous vous avertissons -

C'est nous les assassins -

De tous vos petits nouveaux-nés -

Et pour finir il y a une chanson

Ki Ki Ki Ki Ki Ki Ki

Voici Dieu à cheval sur un rossignol -

Il est beau, il est laid -

Madame, ta gueule elle sent la laitance de souteneur.

Le matin -

Car le soir on dirait le cul d'un ange amoureux d'un lis -

C'est joli, n'est-ce pas ?

Adieu, mon ami.

GEORGES RIBEMONT-DESSAIGNES.

P. 19 Ombrelle Dada

Vous n'aimez pas mon manifeste ?

Vous êtes venus ici pleins d'hostilité et vous allez me siffler avant même de m'entendre ?

C'est parfait !! Continuez donc, la roue tourne, tourne depuis eu Adam, rien n'est changé, sauf que nous n'avons plus que deux pattes au lieu de quatre.

Mais vous me faites trop rire et je veux vous récompenser de votre bon accueil, en vous parlant d'Aaart, de Poésie et d'etc. d'etc. ipécacuanha.

Avez-vous déjà vu au bord des routes entre les orties et les pneus crevés, un poteau télégraphique pousser péniblement ?

Mais dès qu'il a dépassé ses voisins, il monte si vite que vous ne pourriez plus l'arrêter... jamais !

Il s'ouvre alors en plein ciel, s'illumine, se gonfle, c'est une ombrelle, un taxi, une encyclopédie ou un cure-dent.

Etes-vous contents maintenant ? Eh bien, c'est tout ce que j'avais à vous dire. C'est ça la Poéésie, croyez-moi.

- Poésie = cure-dent, encyclopédie, taxi ou abri-ombrelle, et si vous n'êtes pas contents...

A LA TOUR DE NESLE

CÉLINE ARNAULD.

Machine à écrire Dada

Depuis que nous sommes au monde, quelques paresseux ont essayé de nous faire croire que l'art existait. Aujourd'hui, nous qui sommes plus paresseux encore, nous crions : "L'Art, ce n'est rien."

Il n'y a rien. Quand tous nos contemporains auront accepté de gré ou de force ce que nous leur disons, ils oublieront vite l'immense farce qui a nom l'art.

Pourquoi s'obstiner.

Il n'y a rien :

Il n'y a jamais rien eu.

Vous pouvez crier et nous lancer à la tête tout ce qui vous tombera sous la main, vous savez très bien que nous avons raison.

Qui me dira ce que c'est que l'Art ?

P. 20 Qui osera prétendre connaître la Beauté ?

Je tiens à la disposition de mes auditeurs cette définition de l'Art, de la Beauté et tout le reste :

L'Art et la Beauté = RIEN.

Vous allez encore crier naturellement ou rire.

Ecoutez-moi.

Un jour, il y a quelques années, un nommé Jésus-Christ guérissait les aveugles et les sourds. Personne ne faisait attention à lui. Les médecins s'inquiétèrent et se réunirent. Puis, quelques-uns allèrent parler au ministre de l'hygiène et on décora le nommé Jésus-Christ des palmes académiques.

A mon tour, je veux vous ouvrir les yeux et vous riez.

Vous ne serez jamais sérieux.

PHILIPPE SOUPAULT.

Cinq moyens pénurie Dada ou deux mots d'explication

Vous déchirez une feuille de papier, de préférence la page 35-36 de poésie RON RON, vous l'allumez,

tous les livres DADA sont bien imprimés, cela doit tenir aux procédés DADA, qui existèrent.

La rue pavée de becs de gaz, les corridors à coulisse fournissent DADA.

DADA, au dernier moment, depuis longtemps pour d'autres, n'a ni fournisseurs ni procédés

mais on en fait courir le bruit activement, les grammaires, les dictionnaires et les manifestes étant encore nécessaires.

MORALE :

Nous voyons tout, nous n'aimons rien,

nous sommes indifférents,

In-di-ffé-rents,

nous sommes morts, mais nous ne pourrissons pas, parce que nous n'avons jamais le même coeur dans la poitrine, ni le même cerveau dans la tête.

Et nous aspirons ce qui est autour de nous, autour de nous, nous ne faisons RIEN, satisfaction Dada.

PAUL ELUARD.

P. 21 Révélations sensationnelles

Si lentement que j'ouvre les paupières, mes yeux n'arrivent à supporter qu'une seule lumière plus douce pour eux que votre colère à mon coeur : c'est l'amitié contre laquelle les doutes viennent mourir en petits ruchets impuissants. Elle me mène au bout du monde, elle me perd et j'attends.

Aujourd'hui, vous me voyez abominablement triste. Tout ce qui part de mon coeur est une fusée sans feu. Cette image va vous déplaire. Je commence déjà à vous ennuyer. Je ne vous injurierai même plus. On ne sait pas où commence la lassitude, on ne sait pas où elle finit. Je vous regarde et vous me regardez. Quelle opprobre anodin trouverez-vous à me jeter en guise de rameau béni ? Je ne cherche ni à vous imposer silence, ni à vous faire crier. Je ne connais plus aujourd'hui que ce grand vide en moi à cause de tous ceux qui sont mes amis comme les gouttes d'eau du fleuve sont les amies de la goutte qu'elles entraînent à la mer. Si vous voulez répondre de quelqu'un vous dites : Je suis sûr de lui comme de moi-même. Or, s'il existe au monde un homme dont je ne puis psychologiquement pas être sûr, c'est moi. J'ignore ma loi ; quel continuel changement permet que les autres me reconnaissent et m'appellent par mon nom ; je ne peux pas me voir de profil. A tout instant je me trahis, je me démens, je me contredis : Je ne suis pas celui en qui je placerai ma confiance. Il n'y a pas là de quoi désespérer. Mais vous savez bien qu'un regard de mes amis suffit à bouleverser mes projets, voilà pourquoi nous sommes amis. Je quitte tout pour perdre mon temps avec eux, je m'abandonne moi-même. Sans doute croyez-vous que j'ai en eux cette confiance que je me refuse ? Détrompez-vous. Je connais leurs travers, mille choses me choquent en eux. Ils font ce que je ne ferais pas pour tout l'or du monde.

Je les sais sans grande affection pour moi. Il y a longtemps que nous ne portons plus sur nous les petites balances qui servent à apprécier la valeur personnelle. Je ne crois pas en mes amis comme je ne crois pas en moi.

Mes amis sont ceux-là à la merci desquels je me suis mis pour des raisons imbéciles mais fortes en mon coeur. Il y a un torrent qui m'entraîne, et je le reconnais mon maître et je le flatte de la voix.

Vous qui restez figés dans cette salle comme une flaque de boue, ne me demandez pas le chemin que je prendrai pour sortir de ce monde, ni ce qui me plie à une force étrangère. L'homme dont le corps est P. 22 pris désormais dans l'engrenage vous parle avec sérénité : n'écoutez pas les mots qu'il forme, entendez seulement le chant monotone de ses lèvres.

Aujourd'hui vous me voyez abominablement triste.

LOUIS ARAGON.

Manifeste de Monsieur Aa l'antiphilosophe

Sans la recherche de je t'adore

qui est un boxeur français

valeurs maritimes irrégulières comme la dépression de Dada dans le sang du bicéphale

je glisse entre la mort et les phosphates indécis

qui grattent un peu le cerveau commun des poètes dadaïstes

heureusement

car

or

mine

les tarifs et la vie chère m'ont décidé à abandonner les D

ce n'est pas vrai que les faux Dada me les ont arrachés puisque

le remboursement commencera dès

voilà de quoi pleurer le rien qui s'appelle rien

et j'ai balayé la maladie en douane

moi carapace et parapluie du cerveau de midi à deux heures d'abonnement

superstitieux déclanchant les rouages

du ballet spermatozoïde que vous trouverez en répétition générale dans tous les coeurs des individus suspects

je vous mangerai un peu les doigts

je vous paye le réabonnement à l'amour en celluloïd qui grince comme les portes de métal

et vous êtes des idiots

je reviendrai une fois comme votre urine

renaissante à la joie de vivre le vent accoucheur

et j'établis un pensionnat de souteneurs de poètes

et je viens encore une fois pour recommencer

P. 23 et vous êtes tous des idiots

et la clef du selfcleptomane ne fonctionne qu'à l'huile crépusculaire révolutionnaire

sur chaque noeud de chaque machine il y a le nez d'un nouveau-né

et nous sommes tous des idiots

et très suspects d'une nouvelle forme d'intelligence et d'une nouvelle logique à la manière de nous même

qui n'est pas du tout Dada

et vous vous laissez entraîner par le Aaïsme

et vous êtes tous des idiots

des cataplasmes

à l'alcool de sommeil purifié

des bandages

et des idiots

vierges

TRISTAN TZARA

La grève qui vient de se terminer et qui a interrompu notre publication pendant 2 mois, nous oblige aussi à mettre désormais Littérature à 2 francs. La plupart des revues vont être dans la nécessité d'augmenter aussi leur prix de vente, car aux nouveaux tarifs des salaires vient s'ajouter une hausse considérable sur papier et les prix de transports.

Le tarif des abonnements est fixé à 20 francs par an pour la France et à 25 francs pour l'étranger.

Bien entendu, les abonnements en cours seront servis jusqu'à leur achèvement sans augmentation de prix et nos abonnés n'ayant pas reçu les nos de mars et d'avril, non publiés, verront d'office la durée de leur abonnements prolongée de deux numéros, afin qu'ils ne subissent aucun dommage.

Dès que les évènements nous le permettront, nous examinerons s'il nous est possible de revenir à un prix de vente moins élevé et nous serons heureux dans ce cas d'en faire profiter nos fidèles lecteurs.

Le gérant : PHILIPPE SOUPAULT.

AU SANS PAREIL, 37, Avenue Kléber, Paris (16e)

DERNIERES PUBLICATIONS

ANDRÉ BRETON : Mont de Piété, avec deux dessins d'André Derain...   12.00

BLAISE CENDRARS : 19 Poèmes élastiques, avec un portrait par Modigliani.   6.00

JACQUES VACHÉ : Lettres de Guerre. (Préface d'Audré Breton) ....   3.50

PHILIPPE SOUPAULT : Rose des Vents avec quatre dessins de Chagall ..   3.50

- Aquarium....   3.50

PAUL MORAND : Lampes à Arc, avec un dessin de l'auteur ....   7.50

LOUIS ARAGON : Feu de Joie, avec un dessin de Pablo Picasso ....   3.50

PAUL ELUARD : Les Animaux et leurs Hommes. Dessins d'André Lhote.   3.00

FRANCIS PICABIA : Unique Eunuque, avec un portrait de l'auteur par lui-même. (Préface de Tristan Tzara) ....   3.50

MARCEL SCHWOB : Spicilège ....   25.00

Viennent de paraître :

ANDRÉ BRETON ET PHILIPPE SOUPAULT

LES CHAMPS MAGNÉTIQUES

Un volume in-16 Jésus, sur vergé d'Arches (tirés à 125 exemplaires) ....   12.50

MARCEL WILLARD

TOUR D'HORIZON

avec 5 dessins en hors texte de Raoul Dufy, tirés à la presse à bras par A. Jourde.

Un volume in-16 Jésus, sur vergé d'Arches (tiré à 325 exemplaires) ....   15.00

Dépôt général de toutes les publications DADA

DADA (TRISTAN TZARA, dir.r) ; CANNIBALE (F. PICABIA, dir.r)

Z (PAUL DERMEE, dir.r) ; PROVERBE (P. ELUARD, dir.r)

"391" ; "DIE SCHAMMADE."

EN VENTE AU SANS PAREIL :

TRISTAN TZARA : 25 Poèmes, avec 10 bois, de Arp.

FRANCIS PICABIA : La Fille née sans mère (51 poèmes et 18 dessins).

- Pensées sans langage.

MAX JACOB : Le Cornet à dés. (Quelques exemplaires).

- Le Phanénogame.

- La Côte. (Quelques exemplaires).

Ainsi que tous les livres modernes

ABONNEMENT DE LECTURE

L'EFFORT MODERNE

LÉONCE ROSENBERG

19, rue de la Baume, PARIS

OEUVRES PAR :

LES MAITRES DU CUBISME

GEORGES BRAQUE, JUAN GRIS, AUGUSTE HERBIN, HENRI LAURENS, JEAN METZINGER, PABLO PICASSO, GINO SÉVÉRINI.

Du 3 mai au 1er juillet inclus de 10 à 12 heures et de 14 à 17 heures (Dimanches et fêtes exceptés)

TYP.-LITH. J. VERMAUT 28, RUE LONGUE DES PIERRES, COURTRAI

 

2e ANNÉE : N° 14., REVUE MENSUELLE, JUIN 1920

LITTÉRATURE

14   TRISTAN TZARA   LA DEUXIEME AVENTURE CÉLESTE DE MONSIEUR ANTIPYRINE.

   JEAN PAULHAN   SI LES MOTS SONT DES SIGNES.

   PH. SOUPAULT   ÉPITAPHES.

   P. DRIEU LA ROCHELLE   PREMIER ARTICLE DE CRITIQUE.

   PAUL ELUARD   ATTESTATION

   CLÉMENT PANSAERS   ICI FINIT LA SENTIMENTALITÉ

   ARP   POEMES.

   G. RIBEMONT-DESSAIGNES   RATE AUTOMATIQUE.

   FRANCIS PICABIA   LE PREMIER MAI.

   LOUIS ARAGON   LIVRES CHOISIS.

   PH. SOUPAULT   SPECTACLES.

DEUX FRANCS

DIRECTEURS

Louis ARAGON, André BRETON, Philippe SOUPAULT.

Rédaction : 9, Place du Panthéon, Paris.

Administration : AU SANS PAREIL, 37, av. Kléber (16e).

PRIX DU NUMÉRO : France : 2 francs ; Etranger : 2 fr. 50.

ABONNEMENTS

Pour 12 Nos : France : 20 francs ; Etranger : 25 francs.

Il est tiré à part 10 exemplaires sur Hollande Van Gelder, dont l'abonnement est de 60 francs pour la France ; 80 francs pour l'Etranger.

- (La 1re année de Littérature (12 numéros) : 20 francs.) -

LITTÉRATURE

publiera au cours de l'année 1920 des textes inédits de Blaise CENDRARS, Pierre DRIEU LA ROCHELLE, André GIDE, Max JACOB, Jean PAULHAN, Raymond RADIGUET, SERNER, Paul VALÉRY,

ainsi que

La main chaude, film ;

Etudes morales ;

Aventures de Télémaque ; par Louis ARAGON.

Les Pas Perdus ;

Lautréamont ; par André BRETON.

Exemples ;

Les Nécessités de la Vie ; par Paul ELUARD.

Fornications près des tables ; par Francis PICABIA.

Le serin muet, un acte ;

Zizi de Dada, un acte ;

Rate automatique (événements du jour) ; par G. RIBEMONT-DESSAIGNES.

Epitaphes ;

Jacques Vaché ;

Mes amis et moi ; par Philippe SOUPAULT.

Monsieur Aa, l'antiphilosophe ; par Tristan TZARA.

Il a été tiré de ce numéro 10 exemplaires sur Hollande Van Gelder

N° ...

P. 1 La Deuxième Aventure céleste de Monsieur Antipyrine

(fragment)

MONSIEUR ABSORPTION

cloches et plateaux de paille d'écorce

dilatent les pupilles de pélican dentelé

malgré l'agitation du sangmètre policeman du volcan

prédisposé à la tuberculose

métallurgique

et chien de garde

enfant coagulé sur le strapontin pot de chambre

tu es mieux comme manivelle

et tant mieux la dent du point de vue personnage restaurant

s'enivre d'attentat serpentin est un chapeau

tu aspirine comprends le là-bas de qui

s'est marié avec je ne sais pas qui

du magneto poignard 37

vulgairement trenteseptoline dit arthur

MADAME INTERRUPTION

les plumes et les scies

insecticide radiateur

MONSIEUR SATURNE

les insecticides sont amers

rappelle-toi par exemple la visite chez le ministre

cinq négresses dans une auto

LE CERVEAU DÉSINTÉRESSÉ

oh oui les pères et les factures

tout-de-même l'honneur

MONSIEUR ABSORPTION

je me déjà

OREILLE

il se déjà

P. 2 LE CERVEAU DÉSINTÉRESSÉ

sifflet gonflé de citronnade sans amour

réveil dans le lait condensé

rencontre un poisson de femme jaune merci aspire

la couleur de lanterne opium

les oreilles du violon

l'heure de la tranche de l'oeil du vent

porte des moustaches

MADAME INTERRUPTION

eh bien mon oeil porte aussi des moustaches

MONSIEUR ABSORPTION

sort par une pompe à gomme

mesure ou parfume

ou allume car je suis toujours possible

MONSIEUR ANTIPYRINE

je exportation

MONSIEUR SATURNE

avez-vous des grenouilles dans les souliers ?

OREILLE

B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.B.

MONSIEUR ABSORPTION

les pincettes chevalines

des sexes d'autruche saturés

OREILLE

somme payée à destination balbutia la reine

décoration en fleurs de caséine durcie

violer les enveloppes

préparer sur la course de têtes rondes l'indignation traversée des banquises

réveil matin attachés aux

sophies finies

mémorandum

aigre et éventuel sourire de bouchon mécanique

os de flûte

P. 3 rectifie

le liquide avec ornements en cuivre

dans une poche à explosion

d'où le nouveau-né sortira avec les fibres de palmier

sans carrosseries se leva résigné et gagna lentement la porte

yacht démonté en boutons de crustacés

à pied

ovation

surplus gonflé

illicite de tic tac

illumine

soudé

si non

très très cher

procession de gendarmes en bouteilles

parapluies et parasols

MADEMOISELLE PAUSE

pause

OREILLE

et autres matières grasses et stérilisées

pour enlever les tannes qui vous désolent faites bouillir

et faites tunnel

tu %

il long

MADAME INTERRUPTION

pour

MONSIEUR SATURNE

décidément décidément décidément décidément décidément décidément décidément décidément décidément

le front découvert du soleil

naturellement naturellement

MONSIEUR ANTIPYRINE

je connais un chiffre à genoux qui n'est pas un poème brosse jouant aux bouches des coquillages

mais l'adresse d'un artiste français

P. 4 et une composition de staccatto noir

de balcon végétal métronome sur un clin d'oeil

médicament pour les vagues pulmonaires dans un sac

OREILLE

c'était à elle de se broderie

MONSIEUR SATURNE

l'emballage de 4 et 4 et 44 combien de points robinets de mensonges et chèvres en cellulose y a-t-il dans le corps humain drame bitume de lavage

MADAME INTERRUPTION

H.N.J. H.N.T. H.N.J. H.H.H.

MONSIEUR ABSORPTION

comme les bretelles des montagnes publiques soutiennent l'attention des pantalons tunnels

c'était à elle de se débrouiller

LE CERVEAU DÉSINTÉRESSÉ

le sommeil le général le carambolage de coeur

le tabac de raisin les narines de l'estomac aux cheveux gris

les épingles fraîches

le savon testiculaire dans le café

une côte de moteur à noisettes

et le cerveau glacé de l'aviateur amoureux

OREILLE

évacuent les racines cardiaques de la maladie éclipse et bijoux

répertoire

jumelles

glace anonyme

roséole

cravate des ruisseaux et zibeline à double cul

TRISTAN TZARA.

P. 5 Si les mots sont des signes ou Jacob Cow le Pirate

A Monsieur Paul Valéry.

Il est difficile de parler des mots de façon détachée, comme un peintre décrit le broyage des couleurs : ils touchent de trop près à notre vie, et tantôt favorables ou néfastes, ou bien insensibles et se refusant à porter sens. Ainsi se trouvent-ils mêlés à notre souci de les faire servir, et connus à travers ce souci.

Plus haut, il n'est pas de différence visible, et de fossé, du mot à la phrase, de la phrase au récit. L'écrivain, qui se paraît à lui-même faiseur de langage - comme il arrive à l'enfant, ou dans notre langue à l'étranger - c'est en imitant sa première opinion sur la nature et le jeu des mots qu'il se prévoit ou se compose.

D'où vient la gravité de cette opinion, et la portée singulière de toute erreur qu'elle peut enfermer.

I. SI LES MOTS SONT DES SIGNES.

L'on suppose le plus volontiers - j'entends les grammairiens ou les critiques - que les mots servent aux gens à s'exprimer. Ils sont signes de pensées ; et, avec eux, ces jonctions et ces fibres qui les viennent unir en toute phrase ; et jusqu'à leurs plus menues variations : l'imparfait du verbe, dit la grammaire, exprime...

P. 6 Une pareille idée du signe n'est pas si tranchée qu'elle ne puisse offrir double figure : de méfiance à l'égard des mots isolés. Car ces mots ne se suffisent pas, mais la pensée, que l'on découvre sous eux, est seule raison d'être et source de leur sens. Hors de cette pensée, ils nous peuvent abuser : “ Ce ne sont là, dit-on, que des mots... ”, ou : “ réfléchir avant de parler ”.

et figure de confiance pourtant, aussitôt que l'on a réuni la pensée au mot. Il semble alors que chaque mot se puisse éclairer de cette pensée ; (il n'en est pas d'irréductible : l'on a peine ainsi à supposer une phrase qui ne voudrait rien dire du tout). Ou bien, à l'inverse, que toute pensée possède son mot. “ Cherchez le mot propre ”, conseillent les critiques, et : “ Tout peut se dire ”.

Cette façon de voir entraîne quelque obscurité. Si le mot est apparence, l'idée réalité, il devient délicat d'expliquer que cette idée parfois suive le mot, sorte de lui, le traduise. Cilia, qui tâche à expliquer au médecin le mal dont souffre son enfant, à mesure qu'elle parle découvre sa crainte véritable, et s'étonne d'elle-même. Ou bien Atys, lorsqu'il est parvenu à dire à Chryse : “ Alors tu as menti ”, chacun d'eux recompose à partir d'un mot sa réelle pensée. Leur idée est signe ici de ce mot, et manière de le partager, loin que le mot le soit de l'idée. (De tel poète encore, nous savons qu'il est d'abord jeté parmi les mots, les presse, les épie, les attend).

P. 7 II. CINQ KILOS DE SUCRE POUR RIEN.

L'opinion comme la critique se peuvent dépasser : c'est où l'on saisit l'usage spontané des mots, grossier, sans réserves.

L'on a vu :

CINQ KILOS DE SUCRE à tout lecteur de “ L'AVENIR ”

Démonstration

Un acheteur au numéro débourse par an 365 exemplaires à 0 fr. 10, soit ....   36 50

Un abonnement d'un an pour Paris coûte ....   25 ”   soit 36 ”

et donne droit à un achat de 5 kil. de sucre à 2 fr. 20 le kilo ....   11 40

C'est donc POUR RIEN que tout lecteur de “ L'AVENIR ” peut obtenir 5 kilos de sucre.

Il est sensible que le seul lecteur qui obtienne, à peu près, cinq kilos pour rien, est l'acheteur au numéro qui s'abonne, à la faveur de ce changement. L'abonné peut bien dépenser onze francs, s'il veut du sucre, et l'acheteur au numéro le plus fidèle n'aura rien.

(A suivre.)

Jean PAULHAN.

P. 8 ÉPITAPHES

On m'a dit qu'il existait des villes habitées par des hommes qui ignorent les noms. Les airs connus, les rengaines et les scies sont les meilleurs souvenirs.

Nous croyons devoir mettre le lecteur en garde contre la tendance qu'il pourrait avoir à considérer l'ensemble des pages qui vont suivre comme des oraisons funèbres tombées de la plume d'un poète.

Mes amis sont bien vivants. Je me suis amusé (singulier passe-temps affirme un lecteur) à les croire morts. Je dois avouer que je nourrissais un secret espoir. Mes vers furent impuissants. En réalité tous ces personnages qui portent des noms célèbres ne sont que Philippe Soupault.

En passant, je remercie mes amis d'avoir accepté d'être pour un instant les reflets d'un autre. Ils ont compris, mieux que moi-même, que ce n'était pas une raison parce que j'habitais près de la Morgue pour me prendre pour un croque-mort.

P.S.

P. 9 ARTHUR CRAVAN

Les marchands de quatre saisons ont émigré au Mexique

Vieux boxeur tu es mort là-bas

Tu ne sais même pas pourquoi

Tu criais plus fort que nous dans les palaces d'Amérique et dans tous les cafés de Paris

Tu ne t'es jamais regardé dans une glace

Tu as villégiaturé à l'hôpital

Qu'est-ce que tu vas faire au ciel mon vieux

Je n'ai plus rien à te cacher

La Seine coule encore devant ma fenêtre

Tes amis sont très riches

J'ai une envie folle de fumer

GEORGES RIBEMONT-DESSAIGNES

Autour de ta tombe

On creuse des trous un peu partout

pour y planter des géraniums et des concombres

Ils fleuriront un jour ou l'autre

mais personne ne le saura

et tu seras là bien tranquille

FRANCIS PICABIA

Pourquoi

as-tu voulu qu'on t'enterre avec tes quatre chiens

un journal

et ton chapeau

Tu as aussi demandé qu'on écrive sur ta tombe

BON VOYAGE

On va encore te prendre pour un fou là-haut

P. 10 THEODORE FRAENKEL

Il faisait un temps magnifique quand tu es mort

Le cimetière était si joli

que personne ne pouvait être triste

On s'aperçoit depuis quelque temps que tu n'es plus là

Je n'entends pas tes ricanements

Tu te tais

ou tu hausses les épaules

tu ne voudras jamais connaître le paradis

Tu ne sais plus où aller

Mais tu t'en moques

MARIE LAURENCIN

Ce bel oiseau dans sa cage

C'est ton sourire dans la tombe

Les feuilles dansent

Il va pleuvoir très longtemps

Ce soir avant de m'en aller

Je vais voir fleurir les arbres

Une biche s'approchera doucement

Les nuages tu sais sont roses et bleus

LOUIS ARAGON

Tes petites amies font une ronde

Elles t'ont tressé des couronnes

avec tes petits mensonges

Je t'ai apporté du papier

et une très bonne plume

P. 11 Tu feras des poèmes pendant l'Eternité

Ton ange gardien te console

Il noue ta cravate lavallière

et t'apprends à sourire

Tu m'as déjà oublié

Dieu est beaucoup plus beau que moi

PAUL ELUARD

Emporte là-haut ta canne et tes gants

tiens-toi droit

les yeux fermés

les nuages de coton sont loin

et tu es parti sans me dire adieu

Il pleut

Il pleut

Il pleut

TRISTAN TZARA

Qui est là

Tu ne m'as pas serré la main

On a beaucoup ri quand on a appris ta mort

On avait tellement peur que tu sois éternel

Ton dernier soupir

ton dernier sourire

Ni fleurs ni couronnes

Simplement les petites automobiles

et les papillons de cinq mètres de longueur

P. 12 ANDRE BRETON

J'ai bien aperçu ton regard

Quand je t'ai fermé les yeux

Tu m'avais défendu d'être triste

et j'ai quand même beaucoup pleuré

Tu ne me diras plus

tout de même tout de même

Les anges sont venus près de ton lit

mais ils n'ont rien dit

C'est beau la mort

Comme tu dois rire tout seul

Maintenant qu'on ne te voit plus

ta canne est dans un coin

Il y a beaucoup de gens qui ont apporté des fleurs

On a même prononcé des discours

Je n'ai rien dit

J'ai pensé à toi

PHILIPPE SOUPAULT.

P. 13 Premier Article de Critique ou La Poutre

On ne connaissait pas Rimbaud dans le quartier de la Plaine-Monceau. Aussi je dessinais à la gloire du rugby des sonnets que j'aurais voulu montrer au bibliothécaire du Sénat (poèmes barbares, antiques, modernes), ou à ce bon gros journaliste officiel (Théo), ou à ce conquistador académicien. Mais ils étaient morts.

Désirant trop les femmes, n'en possédant jamais assez, je convoitais encore les héroïnes de Binet-Valmer. J'écrivais des contes qui se ressentaient de cette fringale.

Raymond Lefebvre, déjà subversif, me prêta des numéros de la N. R. F. J'y rencontrai Claudel qui me donna un coup. Boxeur novice, j'encaissai tant bien que mal l'Otage et je m'en tins là.

En 1914, au retour d'un voyage en Belgique, où je perdis Zarathoustra, je soumis à un employé du Royal-Hôtel, à Deauville (M. Boylesve), un manuscrit intitulé : “ Bataille de Charleroi ”. Il me dit tout de suite avec le flair d'un chasseur de plésiosaures : “ Paul Adam est passé par là ”.

Un réfugié, avec qui je bus à Paimboeuf, me débarrassa de cette littérature ainsi que de mon argent. Tout cela était dans le même sac.

Cet hiver-là pendant des chasses en Champagne, je sculptai dans la betterave gelée des sonnets intitulés “ Fusée ”, “ Premier Assaut ”...

P. 14 Au printemps, je bâclai un conte que je dédiai à d'Annunzio et qui mit à l'épreuve l'affection de mon meilleur ami.

Je partis aux Dardanelles avec “ Les Vierges aux Rochers ”. “ Pas de femmes ”, avait dit Joffre.

Au retour de ma croisière, à Toulon, une infirmière ravissante qu'un bec-de-lièvre avait jetée dans la dévotion, me donna les “ Cinq Grandes Odes ”. Cela faisait trop de coups de soleil.

A Paris, au fond d'un hôpital, j'improvisai des brochures pour défendre Nietzsche et des pages dont je ne savais trop ce qu'elles étaient. L'année suivante j'étais à Verdun.

A la suite d'un accident, je me retrouvai en Auvergne puis à Paris où j'écrivis de plus en plus de pages dont je ne savais trop ce qu'elles étaient.

Je les montrai à une jeune fille que je courtisais, qui les montra à une amie, qui les montra à un poète, qui les montra à un éditeur.

Tous me dirent que c'était de la poésie.

J'avais aussi envoyé du papier à Paul Adam qui écrivit un article où il avait cité mon nom et de ces phrases dont je ne savais pas trop ce que c'était. Il disait aussi que c'était dans le genre de Rimbaud et Whitman.

Je ne les avais jamais lus. Mais si je ne connaissais pas mes grands-oncles, je connaissais mes oncles. J'achetai un Rimbaud. Encore un coup de sang. Il n'y a pas à avoir de pitié pour les jeunes hommes sanguins. Je n'étais plus en retard que de quelques pages : je connaissais l'unanimisme. J'avais ouï parler du futurisme par mon grand-père, embusqué en 70 et lecteur du Figaro où Marinetti avait ses entrées.

Je connus Sic, le cubisme. Je publiai à Sic un poème écrit en 1917 mais pensé trois ans avant ma naissance par quelque prédécesseur.

P. 15 J'avais eu vent d'Apollinaire en 1915.

Je connus Cendrar, la poésie chinoise, malgache, la vérité sur Rimbaud, la Henriade.

Je connus Jean Cocteau qui me jugea simple et compliqué.

Enfin, Dada naquit quand j'étais mort depuis longtemps.

Nous en reparlerons.

Pierre DRIEU LA ROCHELLE. *

* Je sais peu le latin et pas du tout le grec.

P. 16 Attestation *

* Pour “ L'Invitation au Suicide ”, de Philippe Soupault.

A André Breton.

L'auto moderne. Avec les différences d'encre, ceci est peut-être dans une opérette et nous faisons des folies avec le corps des autres.

La table des différences, à table parmi les grattoirs, les poches, les poids et les balances. Si la pudeur est offensée, elle rougit, mais le satyre ne rougit point de l'offensée. Le trou du rideau devient le miroir des distractions.

On sort, a dit Philippe Soupault. Scène dans la salle, scène dans la rue et quel pont alors pour passer le temps ? Plusieurs façons d'inviter : le jeu, la danse, la parole, la fusée-méditation, le langage du coeur et des fleurs, le cinéma, la vitesse, la lutte, - d'inviter au suicide.

Le même jour, voici,

nous étions LES MEMES,

moi, sur la place déserte, les yeux clairs, les yeux haut dans la tête vers la tête de la lumière

et Soupault dans les rues, en avant, riant, le rire lui servant à couvrir la ville des événements indispensables. Le rire ou la douceur dans le sang, le rire ou la raison dans la terreur, le rire ou l'insouciance dans l'affection, le rire ou l'amour P. 17 dans le mensonge. Il étudiait consciencieusement son rôle et répétait sans cesse le titre suivant :

J.-J. GRANDVILLE *

* Paris, Fournier, 1844.

UN AUTRE MONDE

Transformations, visions, incarnations, ascensions, locomotions, explorations, pérégrinations, excursions, stations, cosmogonies, fantasmagories, rêveries, folâtreries, facéties, lubies. - Métamorphoses, métempsycoses, apothéoses et autre chose.

(Texte par Taxile Delord.)

***

Les invités, mes amis, ont cru à un avertissement et n'ont pas éclairé la cible.

Mais les résultats ne se sont quand même pas fait attendre à Philippe Soupault. Ses cheveux sont déracinés, il ne porte plus ses mains à bout de bras et nous conservons son souvenir comme une montre toujours à l'heure.

PAUL ELUARD.

P. 18 ICI FINIT LA SENTIMENTALITÉ

I

Je sonne

je, cloche au pendentif de ma coupole.

Le gars berce son ours : - roulis et tangage - mouvement quadruple autour des quatre dimensions de la verticale.

Ouverts les accumulateurs - la station d'énergie dépasse la supériorité,

- l'ours berce le gars -

traverse

les degrés de la progression arithmétique, la raison, et géométrique, - fluide... anti - a - négatif, a - positif, a - neutre - où le quotient se transforme :

le brut et l'organisé s'entre-pénètrent ; le stable équilibre vacille ; - le vice et la vertu, entre-pétrifiés, filent en deux nuances ultra -, infra -, enfilés ; - le moral, l'immoral, l'amoral : l'absurde et le logique, inclivables, en symétrie asymétrique, kaléidoscopique, en temps, espace - - Gars et ours se bercent en une station d'énergie centrale - A l'intersection du perceptible et de l'imperceptible : le cheveu du gars, merveille blonde, saisit le poil de l'ours.

Au mouvement de l'écartelage de l'acte en quatre dimensions, la verticale vibre A : un tourbillon syncopant sonore A...

Ours et gars se berçant au tremplin du vide : cube, cône, sphère tourbillonnent dans l'inertie : - les cristaux atomiques poreux s'anéantissent et...

le rien chaotique éclate.

Se volatilisent diatoniques entre le bruit et le silence, les vocalises A... Du gars, au désir d'élever son ours de la zone insensible à la sensible - le sensible se sentimentalise ;

dans le ventre de l'ours, le grelot sonne du jouet la sentimentalité enfantine.

Je, cloche, du pendentif de ma coupole dégringole :

les tessons sur la

pierre répercutent les éclats en A...

P. 19 II

Tu, petite annonce...

Un triangle de carmin entre deux cercles d'ambre sirote une “ coupemaison ”.

- Le chaos est une boule tournant sur elle-même. - De petits projecteurs, par couples, derrière la voilette, explorent la pénombre que décrit le chaos dans l'espace : - des courbes se brisent sur les tangentes... Deux ovales ombrées de kohl redoublent la luminosité des phares minuscules. -

Je, prisme -

à mon tour centrifuge, pirouettant,

intercepte les lignes-forces lumineuses -

les réflectant, courbes - se dilatant, concentriques - irradiant en calories les désirs, les volitions vers le centre, intérieur : où, cyclone, torpille le chaos : - se contracte : en deçà des quatre dimensions dans l'espace =

s'y accumulent les durées, vibrant d'impatience au départ des petits projecteurs, deux à deux, circonscrits d'ombres de kohl en amande, qui clignent, s'obscurcissent, tour à tour se redressent ; - bruissent les commotions, bourdonnent ; - fourmillent les luminosités : s'entrechoquent ; - éclatent les éclairs aux courts-circuits...

L'interrupteur tangue en mon centre,

je, prisme :

volatilisé dans la pesanteur attractive du chaos :

en deçà des quatre dimensions dans l'espace, où la durée est électrocutée. Les courbes-forces lumineuses bleuissent, se contractent concentriques vers le centre ;

- la crème en pain de sucre de la “ coupe-maison ” s'effondre aux lèches -

au delà de la zone visuelle, les cercles forment point : grossissant en ovale d'opale ; des doigts bagués clignent...

Le chaos, repu de temps et d'espace, s'évanouit en une fumée...

A louer - bruisse le tulle ; - chatouille “ à vendre ” l'odeur de la poudre de riz...

- grille entre les deux facettes d'ambre une cigarette.

Tu - petite annonce, étalée au dos du sofa...

III

Qui ? - Liseur d'affiches ! -

Je, collectionneur de petites annonces : l'acte quintessencié des viscères -

L'urticaire dessine de minuscules ovaires, que les ongles raffinés, en P. 20 gentille méchanceté, sculptent : vagins vigilamment maquillés -

Je, collectionneur, me noue un rythme concavo-convexe - fragments assemblés, par dissection, des infusoires ingambes - nageant dans la décoction des infections syphilitiques. -

Coller, je, mémoires de moi, collectionneur - les fragments des spéculations en deçà du physique. -

Mon numéro passant - choient tous les systèmes sur le nerveux : repéré, je, collage de mes mémoires, monte en cyclone ma ronde métarythmique. -

S'étirent les petites annonces - en épeires sociabilisées, trament et lancent leur fils -

je, spéculation fragmentaire, en mannequin disloqué, accroche à chaque noeud nerveux une ficelle, lancée de chaque point de l'hexagone, que tirent les petites annonces, remuantes -

Mon rythme concavo-convexe décompose tous mes collages.

Un orchestre exécute une improvisation en ha ! langueur.

La sueur redouble les soupirs, une syncope anéantit le monument spasmodique.

- Tu respires encore, liseur d'affiches ? - Viens feuilleter mon album de petites annonces - Cela ? - : deux gouttes de pipi sous chaque chaise - résidu des calories que l'émotion pressa de la sincérité de ces petites annonces ! -

IV

Je, cloche en éclats, cacochyme...

Ma lumière infra-rouge illumine les jointures niellées de pommades iodées :

je, arlequin aux incrustations cubiques, ensoleillant les affiches de Salomé's, rangées en couples, en dimensions asymétriques, au bar, assonnant.

- L'Orchite, à la douleur précieusement raffinée, m'est

- je, éclats de cloche, cacochyme - une bombe, à calibre fameux, de sentimentalité impure...

La cure pathologique par suggestion pointe ; enflammées toutes les bouches : chaque éclat ouvre son moteur. Toutes les affiches, quant à la couleur se caméléonisant, - ronflent, planent : les Pierrots à toute dimension, comme à toute cadence se congestionnent aux petits mensonges, finement égrenés, se dégrenant délicatement du fil rompu, tournant en marmelade. Les grooms lèchent leur veste de carmin aux éclaboussements des bais.

- Garçon ! un sirop glacé à ma dame - moi, je, cacochyme - camomille...

P. 21 Des désirs caméléonisés, anti-complémentaires, s'échauffent sur le rythme saccadé du quatuor stradivarius.

Les douleurs de l'orchite s'évaporent par une brisée acrobatique : Les nielles se disjoignent :

A, je, cacochyme :

les éclats battent les timbales, entr'écrasant mineur et majeur : mon habit d'arlequin se consume dans la sueur, qui fume : -

En une fumée vert-de-gris trouble, montant en pyramide - odeur de camphre et d'iode - s'évanouit le coït impur :

Un bain de son, cataplasme de lin - je, cloche en éclats, cacochyme...

V

Je, cacochyme...

De l'assemblée se courbent les pavillons en ellipse de sonorité.

Aluminium au foyer, le gramophone se dresse : démonstration scientifique des demi-teintes carusoïennes.

- L'amorphe, pédagogue, dirige l'organisé -

Hypnotiser le mal

je, cacochyme, au foyer opposé :

suggestionner... cataplasme...

- Lutte de la partie organisée, inerte sur elle-même, contre l'inerte organisé - acharnée -

Les tiraillements, en crochets, de la blennorrhagie uréthrale, s'accrochent aux rayons sonores :

sonorités de douleurs syphilitiques se fusionnant, aiguës, aux demi-teintes du ténor rêvant -

A, je, cacochyme - Finie la sentimentalité ! -

Piqûres d'aiguilles aux tympans rangés en ellipse : - transit de la sensation passive à l'excitation active. Les rétines s'élargissent : irritation spasmodique... De la frontière elliptique aux deux foyers, des rayons visuels combattent les rayons auditifs : l'ultra-violet illumine le silence. La frontière est féminine : - le centre gramophone se neutralise métallique - aluminium froid.

Je, cacochyme, centre mâle impuissant : s'y mêle l'oint de l'orchite : odeur de camphre, anti-spasmodique, délaie, couleur d'absinthe, trouble, les rayons femelles hypnotisés de la courbe de l'ellipse : en un troisième, faux, foyer : où grince une redondance sensi-auditive. Dans le silence, raidi en cône tronqué, crisse l'aiguille d'acier, sur la plaque, la finale : des demi-teintes carusoïennes.

- Des chiens, les queues se déroulent, soulagés -

Je, cacochyme, romps la cure pathologique : un cataplasme en macaroni, à l'iodure de potassium et une piqûre au mercure !

P. 22 VI

Porter les instruments de purification, groom : -

la seringue sur la patène.

Je, cachectique...

Concentre les spores de tous les maux des passants, prismatique, le monocle.

- Adoration de la sans-ovaires au matou châtré.

Cet apothicaire, éleveur de sangsues, achète de grosses dames.

Une tisane de chiendent...

Ouvrir les robinets calorifiques : turque la température...

Le cambouis de mes moyeux se liquéfie...

- La danseuse nègre, groom...

Ici finit la sentimentalité !

Devant les maux se localisant - les douleurs filent par l'oblique, de biais -

Je, cloche en éclats, cacochyme, me désagrège - diaphane - : cachectique de tous les maux des vivants...

Nage sur l'eau, l'oeil droit sous le dais du monocle : trois rayons, obliques, s'y brisent - seuls en force de percer le tourbillon des vapeurs impures...

- Tirer de bien plus grosses bouffées, groom en grisaille.

- Ne pas t'éreinter, négresse occidentale - chausser le monocle au creux de ton aisselle : éclate la fameuse comédie humaine -

Daigne se lever, du fond de la baignoire, bénévolement, mon moi :

prendre - vous découvrir toutefois) - la seringue,

sainte : - injecter le sérum aux frères en humanité

- purifier le monde...

- Ici, en cette toilette émaillée, finit la sentimentalité ! -

Enregistrer pour la postérité, gramophone : les éclats carillonnent - airain.

La cachexie s'écoule avec le cambouis crasseux : vérifier au diapason...

En courbe acrobatique, monter au pendentif de ma coupole :

- Sonne grelot de l'ours - le gars vocalise A -

Je, cloche, carillonne au pendentif de ma coupole, une mélopée en A.

CLÉMENT PANSAERS.

P. 23 de "La Pompe des Nuages"

des animaux riants écument par les pots de fer les rouleaux de nuages font sortir les animaux de leurs noyaux et des pierres nu fers à cheval se lèvent de vieilles pierres pierres à entendre une souris trotter dans les branches et des arêtes d'arbres percent les boules de neige sur les chaises les rois galopent dans les montagnes et prêchent le cor de décembre baissez les ponts de paille jetez à la boîte des lettres de fer qui ne font pas de bruit et qu'on entend bien dans la bouteille de glace les tourterelles gèlent

en janvier neige du graphite dans la peau de chèvre en février apparaît le bouquet de craie blanche lumière et d'étoiles blanches en mars l'ange étrangleur entre en rut et les tuiles et plis flottent et les étoiles se balancent dans leurs anneaux et les fleurs de chasse de vent secouent leurs chaînes et les princesses chantent dans leurs pots de brume qui part sur de petits doigts et ailes à la poursuite des vents du matin

P. 24 de "Perroquet supérieur"

sur les chaires d'eau les cascadeurs agitaient leurs petits étendards comme le montre la figure 5

les aventuriers à fausses barbes montés sur des fers de diamant à l'aide de peaux de baleines gonflées neigeant l'estrade

le grand lion fantôme haroun-al-raschid prononcez aroung-al-radi bâilla trois fois et montra ses dents qu'il avait noires à force de fumer

les serpents à sonnettes mercerisés se déroulèrent de leurs bobines moissonnèrent leur récolte et l'enfermèrent dans des pierres

de la bordure de la mort s'avançaient les yeux des jeunes étoiles

après la flagellation sur la joue du soleil les fers de l'âne dansaient sur des goulots de bouteilles

sang et mort tombaient comme des flocons des tours de cuir combien de squelettes tournaient les roues des portes

lorsque la cascade eut poussé trois fois le cri du coq sa tapisserie blêmit jusque dans le sang et la matrice du marin éclata

les armoires montèrent de la profondeur et étalèrent leurs ancres

enfin la mer risqua l'évanouissement des compas amers

ARP.

(traduit de l'allemand par André BRETON et Tristan TZARA)

P. 25 Rate automatique

La seule occupation intellectuelle de la masse, c'est la révision du grand Catalogue public. Cela va de “ Caillaux est-il coupable ? ” à “ quelle heure est-il ? ” en passant par : “ quelle est la plus belle femme de France ? ” - On voit que c'est un bel artichaut à effeuiller. C'est que le cerveau de la masse est bien constitué. Avec un peloton d'exécution, un laboratoire d'analyse, et une musique de la garde.

Méthode invariable. On prend des faits bien étiquetés ou qu'on étiquette d'office. On les fait bouillir jusqu'à ce que seule demeure l'étiquette, et que la partie réalité soit disparue dans un vague bouillon.

On mesure avec un thermomètre spécial la chaleur sentimentale du bouillon dont on prélève un échantillon qu'on classe ensuite. On classe également l'étiquette, au point mesuré par l'altimètre. C'est un bel herbier éthique. Ce Monsieur a dans le coeur un géranium de 1 mètre 25 de haut, et dans le sang un lait condensé de 75 degrés centigrades. C'est un artiste extraordinaire ou un grand Docteur. Musique de la garde. Tout ce qui est au dessous du zéro de l'altimètre est mis hors la loi, la loi étant bien entendu l'aiguille rouillée sur laquelle on empile les étiquettes.

C'est ainsi qu'en ce moment on s'efforce de savoir quelle est la plus belle femme de France. Le public vote. Pour préciser son propre voeu, chaque personne plonge son doigt dans l'oeil ou dans la bouche de la femme - car c'est tout ce qu'il en voit - et suivant le rapport de la chaleur du doigt à celle de l'organe en question, le vote s'établit tout seul.

La méthode concernant les classements sentimentaux et les classements scientifiques est la même. Et pour cause. Les savants ont tous un quelconque de leurs organes en forme de saxophone. Cela est “ plus ” ou cela est “ moins ”. La plus belle femme de France. L'heure la plus précise du monde.

Une association scientifique pour réviser l'heure et l'annoncer par radio au monde entier - Evidemment est excepté du monde entier l'ensemble des “ empires centraux ” - Quelle heure est-il ? L'heure, s'il vous plaît. La passion de l'heure est plus forte que celle de l'alcool. L'heure est une fleur, c'est une femme, c'est un pot de moutarde. C'est un chou-fleur ; c'est un obus asphyxiant. C'est absolu, c'est fixe et éternel. Onze heures vingt-cinq. C'est un poste de police. C'est le Pape, ou une serviette hygiénique.

Les savants révisent l'heure comme on nettoie son fourneau. Ils envoient les vêtements de la vérité au dégraissage, et curent le puits P. 26 de la Nue. Comme celle-ci est une putain engagée au mois et peu soigneuse ou soignée, et qui persiste à mettre de la poudre sur sa crasse, ils ont du travail, un travail délicat, lorsque hebdomadairement ils visitent l'intégrité d'un hymen toujours renaissant.

G. RIBEMONT-DESSAIGNES.

Le 1er Mai

Les jours de fête sont toujours pour moi plus gais le lendemain. F. P.

Pas de poésie, pas de littérature, pas d'antilittérature, écrire quelque chose pour Littérature...

Premier Mai, atmosphère bien connue des dimanches, avec espoir de révolution (très difficile de savoir à quel moment commence une révolution et quand elle finit).

Une amie charmante vient me chercher pour visiter un petit hôtel, délicieux paraît-il, à deux pas de chez moi ; impossible de refuser. Impression : les meubles et autres objets d'art ont l'air d'avoir été vendus et rachetés plusieurs centaines de fois ; ils semblent avoir acquis leur valeur par contacts avec les voitures de déménagements.

Les femmes ne comprennent pas l'acte du corps. Oh, bien, oui ! tu as peut-être raison vois-tu ; belle, douce, je ne suis rien, j'aime les lignes...

Deux étages à monter pour trouver une chambre agréable donnant au Midi ; de là j'aperçois un jardin potager, au milieu duquel des nonnes cloîtrées jouent à cache-cache ! Cela me fait croire au premier mai et j'ai envie de me joindre aux soeurs, étant révolutionnaire. En rentrant, je raconte à Tristan Tzara les émotions de ma promenade, il demande, lui aussi, à jouer à cache-cache...

Mais parlons de choses sérieuses : La conscience de Sardanapale et celle du Christ, qui était un homme de goût, leur faisaient préférer un cercueil moucheté d'étoiles, aux larmes qu'ils pouvaient verser. Mais non ! La jalousie, voilà l'hiver, la neige qui tombe, le drame sifflé par un merle sans pitié.

Verlaine a doré son sexe, il avait la syphilis, une cirrhose du foie, des rhumatismes et du génie.

Ribemont-Dessaignes est le secrétaire de Marthe Chenal et du “ Mouvement Dada ”, ce qui est la même chose.

P. 27 Je voudrais bien savoir ce que c'est qu'un poète ; j'en suis un, je crois, car mon cerveau vésicatoire s'ouvre pour faire un tableau, de belles choses patientes. Belles choses, petite opération, petite infection dans la glace, impressions grotesques ; quel goût la dernière goutte !

O altitude embêtée dans les entrailles jaunes et bleues des bâillements.

Baudelaire s'était fait faire un costume dans du drap de billard. Lord Byron en habit, sortant de l'Opéra à Venise, regagna son hôtel à la nage.

Marthe Chenal se fout autant de la Marseillaise que du mouvement Dada, comme elle a raison !

On voit la campagne et la mer par ma fenêtre ; quelle maladie cette lèpre là ; aimer l'ennui de la belle vue qui reflète la tristesse d'aujour-d'hui. Je ne suis pas de votre avis, toutes les pièces que l'on joue en ce moment à Paris sont absolument idiotes.

A la fin de mai, il y aura à Paris des éléphants comme des pipes, et aussi des singes sublimes.

La peinture d'Henry Bataille est aussi stupide que sa littérature.

Oscar Wilde se promenait à New-York, dans la 5e Avenue, en pantalons courts et chaussettes !

Je voudrais fumer le tabac des oiseaux mouches. Merci ! je ne prends jamais de thé. Ne trouvez-vous pas que le modernisme de Cocteau ressemble à un stoppage ?

Jouer du piano sur la passerelle ; c'est étrange, l'humidité, mais nous causons en garçons momies. Cela tient à l'ennui, à la disette de nouvelles et au médecin des cravates blanches. Le fond de l'eau paraît faux, le plongeur criait du fond de l'eau et sa voix était fausse. Les coquilles madrépores donnent des indigestions comme un bouillon sur les yeux. Je lève la tête, les hommes et les femmes sont des fontaines du Palais Royal, bachelières à répétitions.

André Gide, l'aquarium vide, n'aime pas les Juifs, comme s'il y avait encore des Juifs ! Quelle naïveté, cher Monsieur.

La bêtise, comme le plafond de fleurs d'orangers, sauf dans une caserne pleine de fleurs en bas-relief silence, pousse au mois de mai. La verdure rangée autour des arbres, prodigieux paysage courroies de nuages, descend dans ma poitrine comme un dessin.

Le chant du coq qui gambade en brodequins d'argent, nous fera danser dans une lanterne, dans un temps plus ou moins long. Effacez ! plus rien à faire, plus rien à voir, les journaux sont des carafons éventés.

P. 28 Il y a le mal de chien, toujours triste, il volte en rond, autour de nous. J'ai les yeux humides, mon sang tout le long de la route est impuissant envers les oeillades méprisantes ; prenez votre lorgnon pour contempler le mouvement d'un cheval, c'est bien un motif public.

Le 1er mai va finir sous la pluie comme celui de l'année dernière.

Francis PICABIA.

Livres choisis

Paul ELUARD. - Les animaux et leurs hommes.

La révision des images, jolies barrières neuves où s'accouder, ne se fait pas sans le sourire ni le mystère. Il s'agit de donner un nom à des rapports, zodiaque du coeur. Le mot propre comme un ange ouvre ou ferme, on ne sait plus, les régions interdites de la connaissance claire. Au passage à niveau des idées, le bétail attend les trains d'hommes. Humain, trop humain. Et honnête !

L'accent tonique de la pensée se retrouve après bien des années de confusion mentale. Tout paraît simple maintenant : le sujet ou l'attribut, c'est tout un. S'exprimer revient à nier un peu le principe d'identité, consentir au malentendu, prendre l'effet pour la cause. Au diabolo de la parole, le danger serait de se donner le change. Paul Eluard casse le jouet. Où va-t-il avec le dessus du vent ? Il va rire.

Ernest TISSERAND. - Les Contes de la Popote.

L'observation des caractères et des moeurs est encore pour de nombreux écrivains une méthode de travail de laquelle ils ne songeraient pas à faire le procès. Relative ou absolue, ils n'en corrigent jamais l'erreur. Ils ne la supposent même point. A une telle certitude, les avantages ne manquent pas. On ne leur opposerait que faiblement les inconvénients de la vulgarité. Parfois (1) même nos expérimentateurs maladroits abandonnent sans préméditation leurs exercices, tombent sans le savoir dans l'excès contraire, perdent leur esprit critique et se débattent au milieu des matériaux inconscients. Cherchez l'homme, comme disait Monsieur Lecoq.

(1) Voyez Théodore.

Blaise CENDRARS. - La fin du monde.

Il y a une prison qui s'appelle la Santé. Il suffit de se lever pour P. 29 en écrouler les murs. Cela fait du bruit dans le quartier. La gaîté peut être impassible, la vie peut être muette. On se promène sur le macadam, on s'arrête chez un débitant, on regarde le soleil en hochant la tête : je suis content, tu es idiot, le ciel est bleu, nous sommes en République, vous êtes malades de rire, ils sont délicats des poumons. L'affirmation gratuite porte en soi sa récompense. Il n'y a au monde que cette joie sans mélange, beau temps, beau temps, beau temps. Les gros caractères, au moins, cela ne fatigue pas la vue. Quand j'ai du linge propre, je ne crois pas à la mort. Ne craignez rien pour le coffre : il est solide. Je vous serre la main : pourquoi criez-vous ?

Max JACOB. - Cinématoma.

La femme aime à parler : cela est vrai des femmes en général ; ainsi femme est pris là dans un sens collectif. Mais la proposition est fausse dans le sens distributif, c'est-à-dire que ce n'est point vrai de chaque femme en particulier.

On se sert dans tous les langages de certaines expressions ou formules de politesse, qui ne doivent point être entendues dans le sens littéral étroit : J'ai l'honneur de... Je suis à vos pieds, c'est un fou, c'est une folle. Ces dernières paroles ne marquent pas toujours que la personne dont on parle ait perdu l'esprit au point qu'il ne reste plus qu'à l'enfermer ; on veut dire seulement que c'est une personne qui suit ses caprices, qui ne se prête pas aux réflexions des autres, qu'elle n'est pas toujours maîtresse de son imagination, qu'on ne saurait avoir avec elle ce commerce réciproque de pensées et de sentiments qui fait l'agrément de la conversation et le lien de la société.

L'ironie, enfin, est ce petit bol qu'on passe au dessert pour que nous y trempions des doigts plus fatigués que le ciel des forêts et des montagnes.

Francis PICABIA. - Poésie Ron-Ron.

Né en Afrique, il était naturellement noir. Quand on lui demandait son nom il disait merci :

“ Les poissons respirent de l'eau contenant de l'air. Les baleines ne respirent pas de l'eau contenant de l'air, mais elles respirent de l'air contenant de l'eau.

Quelques éléments sont connus.

Aucun élément n'est connu.

Tous les éléments sont connus.

Tous les éléments ne sont pas connus.

P. 30 Quelques éléments ne sont pas connus.

Il pleut.

AAA.   AAE.   AAI.   AAO.   AEA.   AEE.   AEI.   AEO.

AIA.   AIE.   AII.   AIO.   AOA.   AOE.   AOI.   AOO.

EAA.   EAE.   EAI.   EAO.   EEA.   EEE.   EEI.   EEO.

EIA.   EIE.   EII.   EIO.   EOA.   EOE.   EOI.   EOO.

IAA.   IAE.   IAI.   IAO.   IEA.   IEE.   IEI.   IEO.

IIA.   IIE.   III.   IIO.   IOA.   IOE.   IOI.   IOO.

OAA.   OAE.   OAI.   OAO.   OEA.   OEE.   OEI.   OEO.

OIA.   OIE.   OII.   OIO.   OOA.   OOE.   OOI.   OOO.

La raison n'a que quatre voyelles.

Né en Afrique, il était naturellement noir. Quand on lui demandait son nom, il disait merci.

Henry de MONTHERLANT. - La relève du matin.

Matin de la mort, l'enfance grave se promène. A côté de la ville des hommes, une cité d'arbres s'ouvre tranquillement aux automobiles du dimanche. Là, les garçons grandissent en criant. La vie débute à balle-chasse. Longues avenues des retours d'école, qu'avons-nous écrit à la craie sur vos murs ? A la limite des demeures, nous avions le monde miraculeux des voyages extraordinaires : île des cèdres, cascades, allées cyclables de nos imaginations. A la Plume d'or, les couvertures des cahiers représentaient des batailles : nous ne parvenions pas à nous consoler d'Azincourt.

Passé comme une lettre à la poste, mil neuf cent dix ne se doutait de rien.

Guillaume APOLLINAIRE. - La femme assise.

Prendre le porte-plume entre le pouce et le médius, l'appliquer sur le papier avec l'index demi-fléchi de façon que la plume pose sur son bec, appuyer l'avant-bras sur la table et rester assis bien droit, on ne connaît aujourd'hui pour écrire que cette seule recette. Aussi les écrivains les mieux réputés n'ont-ils qu'une écriture de comptables. Tout homme porte en son coeur un René Bazin qui sommeille. Le style, c'est l'homme même, l'ânerie du naturaliste a fait florès : suivant les genres, nos auteurs, qui furent les lauréats de nos lycées, s'appliquent à des pages de ronde, de cursive ou de bâtarde. Quel beau spectacle, quelle émulation !

Cependant, la vie brûle et nous marchons. A l'épreuve du feu, on reconnaîtra ceux qui sont dignes de régner. Nos corps, cendres du ciel, s'altèrent au grand jour. Comme un mouchoir plié, ma jeunesse tient dans le creux de ma main. Où est-il passé celui qui fumait le tabac du monde entre la douceur et le dédain ; Guillaume Apollinaire est mort et enterré.

LOUIS ARAGON.

P. 31 Louis ARAGON. - Feu de joie.

La paille qui brûle est notre jeunesse. Louis Aragon s'est approché de ce feu pour s'y chauffer les doigts. Le coeur reste froid. Pourquoi mon ami parle-t-il de son enfance avec cette désinvolture ? Je sais qu'il ne peut oublier les livres de prix, les ballons multicolores et les yeux inquiétants des filles de joie. Je sais encore que cette indifférence est une pudeur mal déguisée. Mais nous n'avons pas peur de lui, nous n'avons pas peur de pleurer.

Pourquoi ce sourire insolent ?

Pour Louis Aragon, la terre est une assez jolie bulle de savon. Il est dangereux d'y allumer du feu. Les flammes sont jaunes ou bleues pour notre plaisir. Beaucoup ont souri en lisant ces poèmes, beaucoup les ont trouvé charmants, je n'ai pu m'empêcher d'être triste en songeant à ces jolis feux qu'on allume dans la campagne et qui ne durent qu'une soirée. J'attends au bord d'une route l'incendie des fermes et des forêts.

Ne vous hâtez pas trop de pleurer de peur d'être obligé d'en sourire. J'agite mon mouchoir et je regarde. Viendrez-vous, mon ami ! Je vous attends. Nous vous attendons.

PHILIPPE SOUPAULT.

Spectacles

Théâtre Moderne : Fleur-de-Péché.

On danse autour des longues joies qui sifflent. Il n'y a rien qui ne soit admis dans ce théâtre au fond d'un passage. Ce n'est pas qu'on craigne de trop dire, mais on sait que rien ne demeure. Les calembours, les jeux de mots passent la rampe, s'irisent, flottent, puis crèvent. La convention forme le décor et la lumière est faite d'illusions. L'auteur nous présente “ une femme de feu ”, une mère prude, une étrangère en quête de “ sensations fortes ” et les geishas qui n'apparaissent que pour laisser des regrets. Les personnages principaux, les plus curieux, n'agissent jamais à la légère. Voici d'abord Fleur-de-Péché, le valet Langdru et puis le bonze. Toute cette pièce repose sur le malentendu, principe essentiel au théâtre, sur la règle du nulle-part.

De ma place, où je pouvais apercevoir les rats courir sous les fauteuils, les cygnes peints sur des glaces, j'oubliais Paris, l'heure et mon âge. La pièce se passe au Japon, mais l'auteur, au lieu de chercher la vraisemblance, néglige la couleur locale et nous berce de mensonges. Il ne cherche qu'à amuser et à éveiller le désir. Ne riez pas, il sait être tragique. Ecoutez Fleur-de-Péché :

P. 32 La maison de mon coeur est prête

Et ne s'ouvre qu'à l'avenir

Puisqu'il n'est rien que je regrette

Mon bel époux tu peux venir

Théâtre du Vieux-Colombier : Le Paquebot Tenacity, par Charles Vildrac.

Nous espérions que le naturalisme était mort et enterré, et voilà que sur la scène du Vieux-Colombier (théâtre qui n'est pas comme les autres, affirme M. Jacques Copeau) M. Vildrac nous sert “ une tranche de vie. ” On voit s'agiter un ivrogne bavard ; une servante d'auberge, des ouvriers, une patronne criarde.

Le succès couronne les efforts du Vieux-Colombier. “ Pensez donc, ma chère, le directeur a supprimé la rampe, ajouté un escalier et le rideau n'est pas rouge, mais gris et de quel gris ! ”

Le théâtre des illusions perdues.

Comédie des Champs-Elysés : Le Boeuf sur le toit, par Darius Milhaud et les Fratellini.

J'ai lu autrefois, dans le numéro 2 de Littérature, une charmante étude de Darius Milhaud sur la musique brésilienne, intitulée Le Boeuf sur le toit. Je me demande aujourd'hui sous quelle influence Milhaud a composé cette farce. Elle est triste comme un bonnet de nuit.

La Fête espagnole, par Louis Delluc.

La grande rage qui plane au-dessus des nuages et qui laisse dans son sillage une odeur de sang, se pose un instant sur l'épaule d'une femme. Le soleil éclate dans l'air. Il fait rouge. Le soir descend et les éclairs sont les reflets de la lune sur les couteaux. Qu'importent après tout ces râles et ces cris de gens qu'on ne connaît plus. Il y a le regard d'un homme si fort qu'il peut vous emporter dans ses bras au bout du monde.

Madame Eve Francis, d'un geste ou d'un regard, sait soulever la colère, la haine, la joie et l'amour. Nous ne pouvons oublier ce sourire lointain comme la fumée.

PHILIPPE SOUPAULT.

Le gérant : PHILIPPE SOUPAULT.

ASSOCIATION LINOTYPISTE, 23, rue Turgot, PARIS.

 


[Haut de page]
©2008 Mélusine
Accueil du site