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<Litterature N°11

DADA

Tristan Tzara, Directeur

est en vente

AU SANS PAREIL 102, Rue du Cherche-Midi

Lire dans DADA 3

l'important manifeste de Tristan TZARA

Prix : 1 Fr. 50

DADA 4-5 contient

des proses et des vers de PICABIA, TZARA, COCTEAU, REVERDY, SOUPAULT, BRETON, ARAGON, BIROT, etc.

des dessins et des reproductions de PICABIA, ARP, JANCO, HAUSSMANN, RICHTER, EGGELING, etc.

Prix : 4 Francs

KUNDIG

Passage des Lions

GENEVE

DÉPOSITAIRE EXCLUSIF POUR LA SUISSE DE LITTÉRATURE

et des éditions Au Sans Pareil

LITTÉRATURE

a publié

les “ POÉSIES ”

d'Isidore DUCASSE (Comte de LAUTRÉAMONT) ;

“ LES MAINS DE JEANNE-MARIE ”

Poème retrouvé d'Arthur RIMBAUD ;

les LETTRES DE GUERRE

de Jacques VACHÉ ;

des poèmes et des proses de :

Guillaume APOLLINAIRE.   Stéphane MALLARMÉ

Louis ARAGON.   Jules MARY.

Georges AURIC.   Darius MILHAUD.

André BRETON.   Paul MORAND.

Blaise CENDRARS.   Jean PAULHAN.

Charles CROS.   Raymond RADIGUET.

Pierre DRIEU LA ROCHELLE.   Maurice RAYNAL.

Paul ELUARD.   Pierre REVERDY.

Léon-Paul FARGUE.   Jules ROMAINS.

Bernard FAY.   Henri ROUSSEAU.

André GIDE.   André SALMON.

Henri HOPPENOT.   Philippe SOUPAULT.

Max JACOB.   Tristan TZARA.

Valery LARBAUD.   Paul VALÉRY.

2e Année. - N° 11.

REVUE MENSUELLE

Janvier 1920.

LITTÉRATURE

DIRECTION

9, PLACE DU PANTHÉON, 9

DIRECTEURS :

LOUIS ARAGON - ANDRÉ BRETON PHILIPPE SOUPAULT

RÉDACTION : 9, Place du Panthéon, PARIS.

ADMINISTRATION : AU SANS PAREIL, 37, av. Kléber.

ABONNEMENTS

Pour la France Edition ordinaire....   15 fr. par an

Edition de luxe ....   60 fr. par an

Prix du numéro : 1 fr. 50

Pour l'étranger Edition ordinaire....   20 fr. par an

Edition de luxe ....   80 fr. par an

Prix du numéro : 2 fr.

Chaque collaborateur est seul responsable de ses articles.

SOMMAIRE

André GIDE ....   Pages du journal de Lafcadio.

Philippe SOUPAULT ....   Fleuves.

ALCUIN ....   Dispute entre Pépin, fils de Charlemagne, et son maître Alcuin

P. DRIEU LA ROCHELLE...   T. S. F.

André BRETON ....   Lune de Miel.

Tristan TZARA ....   Haute couture.

Paul ELUARD....   Montre avec décors.

Maurice RAYNAL ....   Noces.

Paul MORAND ....   Déplacement.

Raymond RADIGUET ....   Emploi du temps.

ENQUETE : Pourquoi écrivez-vous ?

Réponses de MM. Michel Corday, Paul Brulat, J. Redelsperger, Jacques Bainville, Max Maurey, O. Uzanne, Fernand Gregh, J. de Bonnefon, P. Decourcelle, Louis Dimier, Adrien Vély, L. Riotor. Mme I. Hillel-Erlanger, MM. René Ghil, H. R. Lenormand, Roch Grcy, P. H. Loyson, H. Falk, E. Jaloux, Max et Alex Fischer, Henri Duvernois, Jean Paulhan, Paul Souday, Frantz Jourdain Francis Jammes Ungaretti, André Colomer.

CHRONIQUES, par B. FAY, A. BRETON, L. ARAGON.

PALETS - NOTES.

Il a été tiré de ce numéro 15 exemplaires sur papier de Hollande de Van Gelder Zonen numérotés de 1 à 15.

EXEMPLAIRE N°

Le 10 janvier

OUVERTURE

37, avenue Kléber (XVIe)

DE LA LIBRAIRIE

AU SANS PAREIL

LIVRES MODERNES

TIRAGES LIMITÉS

GRANDS PAPIERS

LIVRES ANCIENS

DESSINS & GRA VURES

ÉDITION

AU SANS PAREIL, 37, avenue Kléber, Paris (16e)

Viennent de paraître :

PAUL MORAND

LAMPES A ARC

AVEC UN DESSIN DE L'AUTEUR

Un vol. in-8° jésus sur vélin d'alfa....   7 fr. 50

MARCEL SCHWOB

SPICILEGE

FRANÇOIS VILLON PLANGON ET BACCHIS - SAINT JULIEN L'HOSPITALIER DIALOGUES SUR L'ART, L'AMOUR ET L'ANARCHIE

Un vol in-8° jésus sur vélin satiné...   25 fr. ”

tirage sur Japon ancien, 60 fr. - Hollande, 45 fr.

Vergé d'Arches, 35 fr.

Paraîtront en janvier 1920 :

Louis ARAGON : Feu de Joie, avec un dessin de Pablo Picasso.

Un vol. in-16 jésus sur alfa : 3 fr. 50

André BRETON et Philippe SOUPAULT : Les Champs magnétiques.

Un vol. in-16 jésus sur bouffant : 5 fr.

Paul ELUARD : Les Animaux et leurs hommes, avec des dessins d'André Lhote.

Un vol. in-16 double écu sur alfa : 3 fr.

Marcel WILLARD : Tour d'Horizon, avec cinq dessins de Raoul Dufy.

Un vol. in-16 jésus sur vergé : 6 fr.

On peut adresser dès maintenant les souscriptions

AU SANS PAREIL, 37, avenue Kléber, Paris (16e)

P. 1 PAGES DU JOURNAL DE LAFCADIO

(Extraites des “ FAUX MONNAYEURS ”)

- Des opinions, me dit Edouard, lorsque je lui montrai ces premières notes. Opinions... Je n'ai que faire de leurs opinions, tant que je ne les connais pas eux-mêmes. Persuadez-vous, Lafcadio, que les opinions n'existent pas en dehors des individus et n'intéressent le romancier qu'en fonction de ceux qui les tiennent. Ils croient toujours ratiociner dans l'absolu ; mais ces opinions dont ils font profession et qu'ils croient librement acceptées, ou choisies, ou même inventées, leur sont aussi fatales, aussi prescrites que la couleur de leurs cheveux ou le parfum de leur haleine... Ce défaut de prononciation de Z, que vous avez fort bien fait de noter, m'importe plus que ce qu'il pense ; ou du moins ceci ne viendra qu'ensuite. Y a-t-il longtemps que vous le connaissez ?

Je lui dis que je le rencontrais pour la première fois. Je ne lui cachai pas qu'il m'était extrêmement antipathique.

- Il importe d'autant plus que vous le fréquentiez, reprit-il. Tout ce qui nous est sympathique, c'est ce qui nous ressemble et que nous imaginons aisément. C'est sur ce qui diffère le plns de nous que doit P. 2 porter surtout notre étude. Avez-vous laissé voir à Z qu'il vous déplaisait ?

- Non ; je n'en ai rien laissé paraître.

- C'est bien. Tâchez de devenir son ami.

Je protestai que cela ne me serait point facile, car mes goûts différaient trop des siens.

- Ah ! vous avez encore des goûts personnels, s'écria-t-il, sur un tel ton que je ne songeai plus qu'à les désavouer aussitôt. Vous avez peut-être aussi des scrupules, des répugnances ?...

- Je tâcherai de m'en débarrasser, pour vous servir, dis-je en riant. Si j'étais d'avance parfait, je n'aurais que faire de vos conseils.

- Lafcadio, faites attention, mon ami (son front s'était légèrement rembruni), ce que j'attends de vous c'est le cynisme, ce n'est pas l'insensibilité. Certains vous diront que l'un ne peut aller sans l'autre ; ne les croyez point. Mais, tout de même, méfiez-vous. L'émotion s'accompagne volontiers de maladresse et il y a certaine virtuosité du coeur, si je puis dire, qui d'ordinaire ne s'acquiert qu'au détriment des qualités les plus exquises, et qui, comme toutes les autres virtuosités, entraîne une certaine froideur d'exécution. L'émotion gêne ; et néanmoins tout est perdu dès qu'on l'élude, ou que seulement elle diminue, car, somme toute, elle est la fin dernière et c'est à cause d'elle que l'on joue. Je vous ennuie ?

- Pouvez-vous croire !... Ceci m'explique cette sorte de crainte que je ressens et que jusqu'alors je ne m'expliquais pas très bien.

- Quelle crainte ? fit-il avec une charmante expression de sollicitude, qui me toucha.

- Celle, repris-je, d'être un peu sec lorsque j'agis ; un peu inactif, ou si vous préférez : impropre à l'action, aussitôt que je m'attendris.

- Je crains que vous ne confondiez l'émotion avec P. 3 cet attendrissement qui mène aux larmes et qui n'a rien à voir avec ce que j'appelais : sensibilité - qui n'est le plus souvent qu'un joyeux frémissement de la vie. Persuadez-vous tout au contraire que c'est au plus pressé de l'action que vous la ressentez la plus vive ; du moins il sied que cela soit ainsi... Ah ! pendant que j'y pense : avez-vous une maîtresse ?

Je lui dis que depuis que j'étais réchappé du service, j'avais eu moins souci d'attachement que de liberté.

Il sourit, puis :

- Je vous demande cela parce qu'une certaine personne m'a promis pour ce matin sa visite. (Il tira sa montre). Et même elle devrait être là. Restez encore quelques instants ; vous n'avez rien de mieux à faire. Et en attendant, prenons un verre de porto ; ou mieux, laissez-moi vous préparer un cocktail.

Il ouvrit un petit buffet bas, mais il n'en eut pas plus tôt sorti des gobelets et diverses bouteilles qu'un coup de sonnette retentit....

II

Il n'y a pas bien longtemps que j'ai fait la connaissance d'Edouard ; mais depuis que je le connais, ma vie a pris un tour neuf et je trouve enfin son emploi. Je commençais vraiment d'être las de ne vivre que pour moi-même ; je ne m'aime pas assez pour cela. Au demeurant pas bien assuré de répondre à ce qu'Edouard attend de moi ; je sens en mon esprit je ne sais quoi de courant et de desultory qui me laisse craindre de n'être pas de bon usage. De plus, je manque d'éducation à un point qu'il ne saurait croire. Je n'ai guère rien lu et ne me sens en humeur de rien lire. J'ai peut-être certain goût pour les mots P. 4 et les courtes phrases, mais je sais trop de langues pour en parler parfaitement bien aucune ; et j'écris n'importe comment. Je crois que je suis trop impatient pour jamais rien réussir.

Au fond, Edouard ne me connaît pas plus que je ne le connais moi-même. Quand il m'a demandé si j'avais une maîtresse, j'ai failli lui dire que je ne redoute rien tant qu'une liaison ; mais mieux vaut ne pas trop se découvrir. J'ai l'horreur de parler de moi ; cela ne vient pas seulement de ce que je ne m'intéresse pas à moi-même, mais surtout de ce que je n'avance rien sur moi-même, que le contraire ne m'apparaisse aussitôt beaucoup plus vrai. Ainsi j'allais écrire : j'ai le goût de la volupté, mais il faut bien que je me l'avoue : l'amour m'ennuie. Et je songe aussitôt que ce qui m'ennuie dans l'amour c'est la romance, le long diffèrement du plaisir, les petits soins, les minauderies, les protestations, les serments... Car, amoureux, je le suis sans cesse, et de tout, et de tous. Ce qui me déplairait, ce serait de ne l'être plus que de quelqu'un.

Ce besoin que j'ai d'obliger, de rendre service, d'où jaillit la plus claire source de mon bonheur, et qui me fait sans cesse préférer autrui à moi-même, n'est peut-être, après tout, qu'un besoin de m'échapper, de me perdre, d'intervenir, et de goûter à d'autres vies.

Assez parler de moi. Sans Edouard je n'en aurais jamais tant dit.

ANDRÉ GIDE.

P. 5 FLEUVE

Couloir longitudinal des grands bâtiments souterrains

tendance obscure des lions parasites

ô lune affreuse qui court comme une grande lueur

fleuve impressionnant et magique

les sillages des bateaux sont tes cheveux

la nuit est ton manteau

les reflets qui dorment sur toi sont tes écailles

personne ne veut plus te connaître

tu coules des yeux de cette étoile inconnue

pleurs fertilisants

mais jamais nous ne connaîtrons ta source pâle

ton adorable bouche

et ton vagissement prolongé dans les champs de ta naissance

A chaque arbre qui se penche vers toi tu dis

Passe mon ami mon frère et regarde devant toi

les espoirs sont moisis

il n'y a plus que ce Dieu magnifique

et ces grands appels là-bas très près de mon coeur

Cours si tu peux jusqu'à Lui

Mais ne sais-tu pas que la nuit t'étranglerait

avec ces mains sanglantes

Adieu mon frère marin, mon ami sourd

je ne sais plus si ce fleuve qui est ton frère te reverra jamais

Fleuve sinueux comme des lèvres

et comme le serpent qui dort dans ce gazon savoureux

brebis maternelle

troupeau de lueurs

PHILIPPE SOUPAULT.

P. 6 DISPUTE ENTRE PÉPIN, SECOND FILS DE CHARLEMAGNE, ET SON MAITRE ALCUIN

INTERLOCUTEURS : PEPIN, ALCUIN.

PÉPIN : Qu'est-ce que l'écriture ?

ALCUIN : La gardienne de l'histoire.

P. Qu'est-ce que la parole ?

A. L'interprète de l'âme.

P. Qu'est-ce qui donne naissance à la parole ?

A. La langue.

P. Qu'est-ce que la langue ?

A. Le fouet de l'air.

P. Qu'est-ce que l'air ?

A. Le conservateur de la vie.

P. Qu'est-ce que la vie ?

A. Une jouissance pour les heureux, une douleur pour les misérables, l'attente de la mort.

P. Qu'est-ce que la mort ?

A. Un évènement inévitable, un voyage incertain, un sujet de pleurs pour les vivants, la confirmation des testaments, le larron des hommes.

P. Qu'est-ce que l'homme ?

A. L'esclave de la mort, un voyageur passager, hôte dans sa demeure....

P. 7 P. Comment l'homme est il placé ?

A. Comme une lanterne exposée au vent.

P. Où est-il placé ?

A. Entre six parois.

P. Lesquelles ?

A. Le dessus, le dessous, le devant, le derrière, la droite, la gauche...

P. Qu'est-ce que le sommeil ?

A. L'image de la mort

P. Qu'est-ce que la liberté de l'homme ?

A. L'innocence.

P. Qu'est-ce que la tête ?

A. Le faîte du corps.

P. Qu'est-ce que le corps ?

A. La demeure de l'âme.

P. Maître, je crains d'aller sur mer.

A. Qu'est-ce qui te conduit sur mer ?

P. La curiosité.

A. Si tu as peur, je te suivrai partout où tu iras.

P. Si je savais ce que c'est qu'un vaisseau, je t'en préparerais un, afin que tu vinsses avec moi.

A. Un vaisseau est une maison errante, une au-berge partout, un voyageur qui ne laisse pas de traces ..

P. Qu'est-ce qui rend douces les choses amères ?

A. La faim.

P. De quoi les hommes ne se lassent-ils point ?

A. Du gain.

P. Quel est le sommeil de ceux qui sont éveillés ?

A. L'espérance.

P. Qu'est-ce que l'espérance ?

A. Le rafraîchissement du travail, un événement douteux.

P. Qu'est-ce que l'amitié ?

A. La similitude des âmes.

P. 8 P. Qu'est-ce que la foi ?

A. La certitude de choses ignorées et merveilleuses.

P. Qu'est-ce qui est merveilleux ?

A. J'ai vu dernièrement un homme debout, un mort marchant, et qui n'a jamais été.

P. Comment cela a t-il pu être ? explique-le-moi.

A. C'était une image dans l'eau.

P. Pourquoi n'ai-je pas compris cela moi-même, ayant vu tant de fois une chose semblable ?

A. Comme tu es jeune homme de bon caractère et doué d'esprit naturel, je te proposerai plusieurs autres choses extraordinaires ; essaie si tu peux de les découvrir toi-même.

P. Je le ferai ; mais si je me trompe, redresse-moi.

A. Je le ferai comme tu le désires. Quelqu'un qui m'est inconnu a conversé avec moi sans langue et sans voix ; il n'était pas auparavant, et ne sera point après, et je ne l'ai ni entendu, ni connu.

P. Un rêve peut-être t'agitait, maître ?

A. Précisément, mon fils. Ecoute encore ceci : j'ai vu les morts engendrer le vivant, et les morts ont été consumés par le souffle du vivant.

P. Le feu est né du frottement des branches, et il a consumé les branches.

A. Il est vrai.

ALCUIN.

OEUVRES, Pages 352 à 354 (Trad. Guizot.)

P. 9 T. S. F.

Une brise étrange rôde par les plaines de l'air.

Un aviateur qui ne pensait qu'à sa bonne amie en fut étonné.

Il crut qu'il était Panurge et que la chaleur de son moteur déliait des paroles gelées.

A terre il constata que son hélice était embrouillée de paroles, herbes aériennes.

- “ Hola ! terre. Quelqu'un sur la terre... Nous ne ferons aucune tentative vers les étoiles. Nous ne demanderons pas la lune au central solaire.

Vous, hommes... Vous... Hé ! hola ! vous.

- Qui est là ?

- Nous les habitants des pays extérieurs, nous les Scythes, à vous, aux Anciens de l'Occident, il se passe en nous quelque chose dont nous voudrions vous faire part.

- Nous vous déclarons le silence.

- Vous, hé ! voyons, ne coupez pas. Vous autres. Hallo !

- Qui est là ?

- Nous les Scythes, nous...

- Nous vous avisons du silence.

- Vous, vous, vous. D'autres hommes.

P. 10 Nos paroles se dissolvent dans le silence du monde. ”

Là-haut vers le pôle les cris d'un homme dérangent l'éther. Il appelle.

Partout des vigies, l'oreille appliquée à la rondeur du ciel.

Des mâts percent l'air, langues de communiants tirées vers Dieu.

Des vergues barrent l'espace, bras de danseuses pour engluer les désirs.

Des câbles assujettissent à la terre qui roule cette mâture ébranlée.

Ce vaisseau sur ses ancres est sans cesse assailli par certains souffles.

P. DRIEU LA ROCHELLE.

P. 11 LUNE DE MIEL

A Madame G. D.

A quoi tiennent les inclinations réciproques ? Il y a des jalousies plus touchantes les unes que les autres. La rivalité d'une femme et d'un livre, je me promène volontiers dans cette obscurité. Le doigt sur la tempe n'est pas le canon d'un revolver. Je crois que nous nous écoutions penser mais le machinal “ A rien ” qui est le plus fier de nos refus n'eut pas à être prononcé de tout ce voyage de noces. Moins haut que les astres il n'y a rien à regarder fixement. Dans quelque train que ce soit, il est dangereux de se pencher par la portière. Les stations étaient clairement réparties sur un golfe. La mer qui pour l'oeil humain n'est jamais si belle que le ciel ne nous quittait pas. Au fond de nos yeux se perdaient de jolis calculs orientés vers l'avenir comme ceux des murs de prisons.

ANDRÉ BRETON.

P. 12 HAUTE COUTURE MONSIEUR Aa L'ANTIPHILOSOPHE

Prosélyte à prix fixe servira peut-être de préface.

Dada laisse peler ses ailes stigmatisées sous forme de D, c'était son élan littéraire et chaleureux, et contracte par de minuscules cascades staccatto le scénario du célèbre Monsieur ; à sa demande comment il pourrait multiplier sa vie en quelques pages de livre il n'y a que 2 genres dit-il : le poème et le pamphlet : Pourquoi, ou : défense d'entrer au feufollet, accomplis exactement les visites, ou plutôt :

Pour les résidus (résédas). Pour les résidus de l'appendice chromo, résistant à toute distance, ou chacun serait devenu rastaquouère, c'est de trop, et les restes ne me séduisent point quant à la question de qualité, mais c'est trop, c'est vraiment trop, à la demande du célèbre Monsieur Aa, comment il pourrait multiplier sa vie en quelques pages du livre.

Après l'arrangement du problème, il commence à vivre en deux paniers, son piano à pédale de poète ayant sonné et annoncé l'avancement, commence familièrement à vivre la géographie de sa constitution nerveuse.

A sa demande comment il pourrait multiplier son souffle insaisissable en combien de pages

le pâle oeil du second ara

P. 13 Dada ayant survécu à la conception vocale, immense et compromettant signe de faiblesse

après la protestation digne

soixante chameaux

quatre cents chevaux

trois cents peaux de zibeline

cinq peaux d'hermine

trois peaux de loup cervier

cent peaux de renard blanc et jaune

vingt peaux de renard jaune

cinq peaux de boeufs, dorées

un grand oiseau en vie nommé Tyao

quatre beaux fusils.

TRISTAN TZARA.

P. 14 MONTRE AVEC DÉCORS

I

Juges dont l'oeil dix doigts accuse,

Dans la lumière en bonne santé

Un arbre où il y a des fruits à l'endroit et des voleurs à l'envers.

A son âge.

Une tache s'ouvre à l'imagination.

Quel crime a commis sa mère ?

II

Puis les pinceaux peignent une prison sur son corps, sur le coeur,

Une grille bien transparente.

Il est soudain aussi fleuri qu'une poupée déshabillée.

ÉVASION POUR DÉPLAIRE.

III

Biais d'abord, comme à la nage.

Il se partage la rue,

Mais les maisons n'ont plus ni portes, ni fenêtres,

Les habitants s'ennuient

Et COMIQUE s'inscrit sur le pain et la viande.

IV

Le moteur joue et perd des secondes.

Piste noire, joues rondes,

Les promeneurs peuvent user les promenades, long rail dans la nuit roule

Le domaine est ici.

Ce n'est pas du domaine de l'évasion.

“ J'ai traversé la vie d'un seul coup. ”

PAUL ELUARD.

P. 15 NOCES

(Sur un tableau de Juan Gris)

Trois coups.

Et le rideau se lève sur une grappe de raisins. Sur le côté jardin, le verre et la bouteille ont fait un mariage d'amour et de raison. Mais si sollicitée du côté cour, la courbe de la poire s'excuse, et se réserve, l'onde amortie du journal quotidien consent.

Monsieur le Maire se fait attendre.

Peut-être même ne viendra-t-il jamais.

Quand soudain, froissé avec quel art, ouvertement laissé en blanc, un billet de faire-part est glissé sous le mur. Ouvertement laissé en blanc, à moins que certaine encre sympathique dont quelque dieu saurait seul la formule secrète...

MAURICE RAYNAL.

P. 16 DÉPLACEMENT

Le wagon salon est rédigé en style pompéien,

avec, au centre d'un motif de fruits :

COMPAGNIE INTERNATIONALE DES WAGONSLITS ET DES GRANDS EXPRESS EUROPÉENS.

Le trains gémit comme un panier d'osier

sous le poids de sa vitesse.

Les vitres tremblent.

Dans les courbes les cendriers tombent.

Le ministre salit la glace

avec son haleine et ses cheveux.

Il s'intéresse à la route parallèle,

à l'hommage des disques prosternés à genoux,

aux flaques d'eau dans la campagne,

comme du verre pilé,

à l'orage qui s'effondre par un trou.

Le long des fils les télégrammes d'agences nous accompagnent.

Coups de poings des voyageurs inverses,

giffles noires des tunnels.

Aux aiguilles le train oublie le refrain et bafouille,

Nous sommes gobés par la gare comme un oeuf.

On a pris un mécanicien

qui sait arrêter juste en face

du tapis rouge.

P. 17 Velours. Musique. Cinématographe. Initiales dans les chapeaux.

Marins à barbe noire,

officiers supérieurs à casques nickelés

ornés tout autour du reflet

des redingotes voisines.

Les attachés du cabinet tendent des gants jaunes à baguettes noires.

Le Nonce lui-même est là

les mains et la face d'améthyste

malgré le coton dans les oreilles.

Une femme manchotte qui tricotait avec ses pieds

s'arrête, les orteils écartés

pour voir passer.

PAUL MORAND.

P. 18 EMPLOI DU TEMPS

I

Mécontents si Dimanche ignore les pensums

Au lieu de mots anglais mâchons du chewing-gum

Souriez un peu

Aurore à mon gré volage

Le bonnet d'âne sied à ravir à votre âge

II

On a le temps de rougir durant les vacances

Puis après avoir lu tous les livres de prix

Bouche en coeur apprends à chanter faux des romances

Souriant aux rosiers nains qui n'ont pas fleuri

Une à une mes chansons mouraient en chemin

Le lieu du rendez-vous

Déteigne une pancarte

Le moindre de mes soucis pourvu que demain

Les gratte-ciel jalousent mes châteaux de cartes

P. 19 III

Les doigts engourdis à force de réussites

Elle dans l'herbe folle perdant la raison

Mensonges en fleurs

Les soirs où vous vous assites

Nouai-je une gerbe avec les brins du gazon

Votre regard m'accompagne en train de plaisir

Plus morte que vive sous le pont qui l'outrage

La rivière roule des sanglots de plaisir

A la fin eux seuls compagnons de mes voyages

IV

CONCLUSION

Lasse de soulever d'indociles collines

Elle en a assez des pensums que j'inventais

Aurore ! adieu ! en lambeaux la robe d'été

Je me sens assez fort pour regagner les villes

RAYMOND RADIGUET.

P. 20 NOTRE ENQUETE

Pourquoi écrivez-vous ?

(Suite) 1

1 Voir le n° 10 (Décembre).

M. MICHEL CORDAY

Persuadé que le livre le plus modeste exerce une action et laisse une trace, j'écris surtout pour répandre les convictions qui me sont chères, pour combattre la souffrance et servir le bonheur.

MICHEL CORDAY.

M. PAUL BRULAT

Vous me demandez :

Pourquoi écrivez-vous ? Voici ma réponse :

J'écris pour exprimer ce que je pense et ce que je sens, c'est-à-dire pour tâcher de satisfaire ma passion de sincérité.

PAUL BRULAT.

M. JACQUES REDELSPERGER

Pourquoi j'écris ?... tout simplement

Par un égoïsme suprême,

Pour, sans plus subtil argument,

Me faire plaisir à moi même ;

Mais si le public pris d'ennui

Trouve quelque chose à redire,

Il ne doit s'en prendre qu'à lui,

N'étant pas forcé de me lire...

Etrange réclame après tout

De la part d'un homme de plume,

Et mon éditeur, je présume,

Va la trouver peu de son goût.

JACQUES REDELSPERGER.

P. 21 M. MAX MAUREY

Directeur du Théâtre des Varietes

Pourquoi écrivez-vous ? me demandez-vous.

C'est la question que je me pose toutes les fois que j'ai écrit une pièce.

MAX MAUREY.

M. OCTAVE UZANNE

Pourquoi j'écris ?

Je n'ai jamais eu à me le demander, car j'ai toujours obéi à cette ardente impulsion passionnelle qui est peut-être la vocation.

En outre j'estime que la seule récompense de la vie intellectuelle réside dans le labeur de la pensée et dans toutes les ivresses et immunités des maux vulgaires que confère l'autosuggestion de l'action cérébrale. Le reste : succès publics, honneurs, glorioles ne vaut pas la peine d'être sollicité. Il y a dans la combustion des idées un retour de flamme qui suffit à réchauffer toute une vie de bénédictin de lettres. Ceux qui demandent autre chose à la société ne sont pas dignes d'exercer un apostolat pour ainsi dire religieux et mystique qui paie largement ses dévots.

Et dire qu'il y a des écrivains qui veulent se réunir à la C. G. T.

OCTAVE UZANNE.

M. FERNAND GREGH

... Voici, je ne suis plus maintenant qu'un rêveur

Qui veut en mots confus balbutier son rêve,

Qui veut rythmer les bruits passagers de son coeur

Non plus pour qu'on l'admire et pour qu'on l'applaudisse :

- La gloire est le beau nom doré de l'injustice

Et le plus valeureux n'est pas toujours vainqueur ; -

Mais parce qu'à jamais il sent un instinct vague

De se chanter pour lui son âme, un sourd dépit

D'y faire varier l'heure, pour le plaisir,

Comme une femme fait chatoyer un bague,

Et puis pour que plus tard aussi quand il mourra,

Il laisse un peu de lui dans quelque strophe austère,

Et que l'on sache un jour qu'il fut jadis sur terre

Un pauvre homme pareil aux autres, qui pleura.

FERNAND GREGH.

Reprise, dans l'Or des minutes, page 43. - 1905

P. 22 M. JACQUES BAINVILLE

J'écris parce que tel est mon métier et pour dire ce que je pense.

JACQUES BAINVILLE

M. JEAN DE BONNEFON

J'ai écrit, au début de ma vie, parce que la profession des lettres m'a semblé être la plus libérale et la plus indépendante du monde.

J'ai continué, sans cesser, le dur et cher métier parce que l'indépendance est un objet de perpétuel combat. J'ai continué parce que la bonté des lecteurs donne courage et force.

Puis... dans l'écriture “ le travail est un but non un moyen ”.

JEAN DE BONNEFON.

M. PIERRE DECOURCELLE

... “ Eh bien, en vérité, les sots auront beau dire,

Quand on n'a pas d'argent, c'est amusant d'écrire.

Si c'est un passe-temps pour se désennuyer

Il vaut bien la bouillotte... Et si c'est un métier,

Entre nous, après tout, ce n'en est pas un pire

Que fille entretenue, avocat, ou portier... ”

(ALFRED DE MUSSET.)

Pour copie conforme :

PIERRE DECOURCELLE.

M. LOUIS DIMIER

J'écris : 1° pour posséder.

Posséder la vérité des choses apparue à mes sens et à ma raison. En exprimant cette vérité, je la fais mienne, mes vues sont le lien qui la rassemble. Dans Aristote cela se nomme imitation. Il faut en concevoir l'essentiel. Imiter c'est recréer l'objet, partant s'en emparer autant qu'il se puisse concevoir. C'est un plaisir incomparable, un attrait souverain, auquel deux causes ont part : l'intelligence de l'objet, son rendu ; l'une est lumière, l'autre puissance ; la seconde trouvant dans la première son guide, la première trouvant dans la seconde son épreuve et son complément. Corot disait : Oh ! la belle vache ; je vais la peindre. Crac ! la voilà.

2° pour persuader.

Le vrai des choses entré dans l'intelligence, l'objet fait esprit, P. 23 devient communicable. Nécessairement il tend à se communiquer. L'universel de la pensée qui l'informe est comme un ressort qui pousse à l'infini. Tous les hommes sont appelés à jouir de ce que je possède. Nouvelle épreuve des lumières qui président à l'imitation, nouvel exercice de la puissance qu'elle suppose. Persuader dérive de posséder. Il en est la suite nécessaire ; il procède du même attrait. Ceux qui les séparent, qui dépeignent le plaisir d'écrire comme indépendant de l'approbation, prennent un trait d'orgueil ou de dépit pour l'essence des choses.

Tel est le goût d'écrire, tel en est le démon. Des deux causes que je viens de dire, dans un sens général, on peut nommer la première poésie, la seconde aura nom éloquence. L'une donne naissance à l'art en soi, la seconde en répand l'effet.

L. DIMIER.

M. ADRIEN VÉLY

Parce qu'on m'a appris à écrire.

ADRIEN VÉLY.

LÉON RIOTOR

Président honoraire de la Société des Poètes français.

Est-ce l'origine concrète de cette fonction que vous visez, le pourquoi de l'acte matériel, puisque vous jugez inutile l'exposé de la tendance ?

Si oui : j'écris comme je lis, parce qu'enfant de typographe et d'imprimeur, dans un milieu saturé de papier imprimé, je fus tenté de faire comme tous ces gens qui m'environnaient, d'être imprimé comme eux, sur du papier humide, puis dans des journaux et sur un livre.

J'avais à peine 14 ans quand une poésie signée de mon nom parut dans un journal. J'ai continué depuis à écrire et à publier, comme on mange ou boit, avec une sorte de satisfaction nouvelle à chacune des extériorisations de ma pensée. Et je continuerai sans doute jusqu'à la mort. C'est un acte tellement naturel qu'il m'aurait semblé anormal de ne pas m'y être soumis.

LÉON RIOTOR.

Mme IRENE HILLEL-ERLANGER

Pourquoi j'écris ?... pas facile à écrire.

Disons (s'il vous plaît) que

j'écris parce que j'adore la parole et aussi parce que

j'aime Paris - et les catalogues des grands magasins

de nouveautés !

IRENE HILLEL-ERLANGER.

P. 24 M. RENÉ GHIL

Lorsqu'en Novembre 1884, à vingt-deux ans, je signai la Préface de mon premier livre, où dès lors je signifiai un premier plan de l'Oeuvre qui occuperait ma vie, - je crus que cette Oeuvre, avec sa doctrine philosophique, ses théories techniques et ses directives, se présentait nécessairement, pour une évolution de sens profond de la Pensée poétique. Je dis : nécessairement, et que nul autre ne pouvait cet effort de Poésie à bases scientifiques, et de Synthèse.

Je crois que l'Oeuvre accomplie - qui s'achèvera par quatre volumes encore - est venue en témoignage, quelle que soit la distance, hélas ! entre l'exprimé et le rêve créateur... C'est pourquoi j'ai écrit.

RENÉ GHIL.

M. H. R. LENORMAND

J'écris, comme tout écrivain, pour affirmer des tendances intimes refoulées dans la vie réelle. Je crois que l'oeuvre d'art pourrait être définie une compensation du réel. Nos instincts révolutionnaires et sexuels, nos instincts de domination et de connaissance ne peuvent se satisfaire pleinement au cours de la vie. Leur refoulement produit une sublimation qui donne naissance à l'oeuvre d'imagination. Celle-ci n'est donc que l'épanouissement de vélléités contrariées. Elle peut, dans les cas de refoulement excessifs, aboutir à une contradiction complète et magnifique de l'existence effective de l'écrivain.

Les atrocités sans frein des ouvrages de de Sade peuvent s'expliquer par le fait qu'il écrivit surtout en prison. L'outrance de ses inventions me ferait plutôt croire à la non-réalisation de ses tendances érotiques. C'est une revanche du rêve sur la réalité.

En ce qui me concerne, il n'y a pas lieu de douter que certaines de mes pièces, Poussière, les Possédés, Terres chaudes, entre autres, sont une tentative de compensations d'instincts révolutionnaires entravés et de désirs de voyages incomplètement satisfaits.

H. R. LENORMAND.

M. ROCH GREY

J'approuve pleinement le nouveau jeu de société qu'inaugure votre questionnaire.

Mon ami Léonard Pieux, explorateur du désert africain, vogue dans les parages de facteurs ignorés. Sûr de son consentement, je vous réponds pour lui : il écrit comme moi, d'abord pour vous faire plaisir ; ensuite, pour participer à l'entretien de l'équilibre universel qui à grands cris demande notre concours.

ROCH GREY.

P. 25 M. PAUL HYACINTHE LOYSON

Pour justifier Alceste.

PAUL HYACINTHE LOYSON.

M. HENRI FALK

“ Pourquoi écrivez-vous ? ” Vous n'êtes pas les premiers à me poser cette question : je me l'adresse souvent à moi-même. Car, s'il s'agit de faire fortune, écrire est aujourd'hui un singulier moyen ; et, s'il s'agit de “ faire de l'art ”, écrire témoigne d'une singulière suffisance. Est-on jamais sûr d'être artiste ?

J'écris donc sans raison, mais non pas sans motif : je serais trop chagrin si je n'écrivais point.

HENRI FALK.

M. EDMOND JALOUX

Si je n'écrivais pas, je mourrais de faim.

EDMOND JALOUX.

MM. MAX ET ALEX FISCHER

Par bonté : pour ne décourager personne...

MAX ET ALEX FISCHER.

M. HENRI DUVERNOIS

J'écris pour essayer d'amuser les “ honnêtes gens ! ”

HENRI DUVERNOIS.

M. JEAN PAULHAN

Je suis touché que vous attendiez mes raisons ; mais enfin, j'écris peu, votre reproche me touche à peine.

JEAN PAULHAN.

M. PAUL SOUDAY

Aussi loin que remontent mes souvenirs d'enfance, j'y trouve cette idée profondément ancrée en moi que la seule vie intéressante et noble est celle qui se consacre exclusivement aux choses de l'esprit. Le soin des intérêts matériels m'a toujours inspiré une répugnance invincible. Je ne pouvais être que prêtre, professeur, homme de lettres, artiste ou savant. De ces carrières, j'ai choisi celle que j'ai crue la plus conforme à mes aptitudes ; sans doute, j'aurais préféré me composer qu'un petit nombre d'ouvrages longuement mûris. Le journalisme, P. 26 où j'ai dû entrer tout jeune, a été pour moi, une nécessité alimentaire C'est un métier absorbant et parfois décevant, mais passionnant aussi. Je fais de mon mieux pour m'y rendre utile et y servir le culte des bonnes lettres. Mais tout cela est peut-être un peu ambitieux. Mettons simplement que j'ai suivi mon plaisir.

PAUL SOUDAY.

M. FRANTZ JOURDAIN

Président du Salon d'Automne.

Pour embêter, en général, les gens que mes idées dégoûtent, et pour donner une attaque d'apoplexie à M. Lampué, l'honorable et sympathique conseiller municipal de la Ville-Lumière.

FRANTZ JOURDAIN.

M. FRANCIS JAMMES

J'écris parce que, lorsque j'écris, je ne fais pas autre chose.

FRANCIS JAMMES.

M. GIUSEPPE UNGARETTI

Par pudeur.

Si je pouvais être quelqu'un, je ne m'amuserais pas à paraître.

Vous savez que la pudeur est la forme consciente de la lâcheté.

Mais, par hasard, je viens de me montrer tout nu.

Ne m'en gardez pas rancune.

UNGARETTI

M. ANDRÉ COLOMER

J'écris, je mange, je respire, je fais l'amour, je pleure, je chante, je marche et je danse et je pense et je vis et je mourrai et je ne saurai jamais pourquoi.

Pourquoi je vis ? Pourquoi j'écris ? Suis-je Dieu, pour résoudre des pourquoi ? Je me constate et cela me suffit.

Je suis

ANDRÉ COLOMER.

(A suivre.)

P. 27 CHRONIQUES

du merveilleux.

Parmi les dictées d'orthographe de mon enfance, celle que je fis le plus mal dissertait sur le merveilleux païen et le merveilleux chrétien. Elle était pleine de grandeur. On m'avait expliqué le sens de ces mots : j'étais persuadé d'avoir compris. Pourtant où serait classé Peau d'Ane ? Je l'attendais. Il n'en fut pas question. D'un coup ma confiance et la satisfaction de mon esprit disparurent.

Une inquiétude analogue me reprit hier. Comme je lisais des journaux de la fin du XVIIIe siècle, je rencontrai tour à tour : une Ode à l'Electricité, six articles sur la fille hydroscope qui exista ou n'exista pas, un poème en trois chants sur l'Education physique des enfants au berceau, une discussion scientifique et philosophique sur l'inflammabilité du cerveau d'un homme mort ivre, le récit de la lutte entre Franklin et le tonnerre en boule, et comment celui-ci ayant pris un fouet chassa celui-là de sa chambre, l'avis que contrairement aux dires de certains savants les filaments brillants trouvés sur les haricots et que récoltaient avec avidité les paysans n'étaient pas de l'or, mais le résidu des oeufs des araignées de Hollande, une étude sur les serpents qui naissent de la moëlle des cadavres, surtout de longs rapports sur Otahiti où l'amour est nu, et le monde des pygmées.

Sur ces sujets nos ancêtres étaient heureux et prolixes. Ils créaient un monde fantasque d'êtres P. 28 nouveaux. Je plaignais la fille publique qu'ils nommaient Vénus par habitude et l'exempt qu'ils rimaient par piété Gabriel.

Dans leur domaine propre, à la limite des connaissances scientifiques récemment découvertes, non en deçà, non au-delà, nos ancêtres avaient leur merveilleux. Sans doute l'ont-ils méconnu.

Il nous importe que du nôtre bien plus puissant nous tirions tout le plaisir et toute la beauté qu'il entre cache. (La fiction m'ennuie. Cela seul est le merveilleux qui donne encore à jouer à mon imagination et déjà sollicite mon désir).

Bernard FAY.

LIVRES CHOISIS

Giorgio de Chirico. - 12 Tavole in Fototipia.

“ Lorsque Galilée fit rouler sur un plan incliné des boules dont il avait lui-même déterminé la pesanteur, ou que Toricelli fit porter à l'air un poids qu'il savait être égal à une colonne d'eau à lui connue, alors une nouvelle lumière vint éclairer tous les physiciens. ”

On se fait une idée imparfaite des Sept Merveilles du monde ancien. De nos jours quelques sages : Lautréamont, Apollinaire ont voué le parapluie, la machine à coudre, le chapeau haut de forme à l'admiration universelle. Avec cette certitude qu'il n'y a rien d'incompréhensible et que tout, au besoin, peut servir de symbole nous dépensons des trésors d'imagination. Se figurer le sphinx comme un lion à tête de femme fut autrefois poétique. J'estime qu'une véritable mythologie moderne est en formation. C'est à Giorgio de Chirico qu'il appartient d'en fixer impérissablement le souvenir.

A son image Dieu a fait l'homme, l'homme a fait la statue et le mannequin. La nécessité de consolider celle-là (socle, tronc d'arbre), l'adaptation à sa fonction de celui-ci (pièces de P. 29 bois verni remplaçant la tête, les bras) sont l'objet de toutes les préoccupations de ce peintre. On ne peut douter que le “ style ” de nos habitations l'intéresse sous le même rapport, ainsi que les outils construits déjà par nous en vue de nouvelles constructions : équerre, rapporteur, carte de géographie.

La nature de cet esprit le disposait par excellence à reviser les données sensibles du temps et de l'espace. Les rameaux de l'arbre généalogique fleurissent un peu partout. Simultanément une certaine lumière orangée apparaît comme une flamme de bougie et comme une étoile de mer. Angles dièdres. Toutefois Chirico ne suppose pas qu'un revenant puisse s'introduire autrement que par la porte.

Il paraît que tout ça n'a rien à voir avec la peinture. Mais le colosse de Rhodes et le Temple d'Ephèse nous les connaissons grâce à Philon de Byzance, ingénieur et tacticien grec, auteur de traités sur l'art des sièges et la fabrication des machines de guerre (fin du IIIe siècle av. J.-C.)

ANDRÉ BRETON.

Lucien Descaves - L'imagier d'Epinal.

L'honneur, l'amour sincère, la fidélité, le patriotisme sont parfois des fleurs plus fraîches que le vent : “ Plaisirs et travaux du jeune âge ” un certain ton commande aux mouvements du coeur. Les exercices du dimanche font une tache claire au bout de la semaine et l'enfant marche vers le soleil. On arrive ainsi sans heurt à la mort qui n'est qu'un moment à passer.

Robert Morche - Les Extases.

Cette même douceur naît à lire certains poètes déshérités qui nous retient aux éventaires des marchands de cartes-postales. Rien n'a le charme de ce qui nous est interdit : oserions-nous jamais peindre ce calicot en habit noir qui offre son coeur ou des roses sur un joli fond de nuages ? L'allégorie, le symbole nous apportent une tranquillité sans pareille. Comme les mots ridicules deviennent touchants si tu les prononces sans ironie. Il y a encore des Muses dans les bois, elle marchent comme des personnes vivantes sur les tapis de mousse et P. 30 viennent essuyer le front des poètes qui sont des jeunes gens très beaux et très pâles, assis à minuit sur les bancs de pierre des parcs. Il s'agit ici de bien autre chose que du génie, de la langue ou de la postérité : ces images banales et sans valeur sont des paroles humaines comme celles qu'on entend dans la rue. Il suffit de trouver le secret de s'en émouvoir.

Paul Fort - Les Chants Paniques (à paraître).

Si je veux parler d'un poète, ce que j'ai pensé de lui me limite. Je répugne à me reprendre, à me remettre en mémoire. Heureux si je découvre à nouveau cet homme, je me butte à l'imposibilité que ce soit pour la première fois. Le chemin de ma pensée, quelque chose déjà le trace, et je repasse avec mauvaise humeur (1) par de vieux plaisirs oubliés. Je porte en moi ce cadre fait sur commande à la précédente occasion et si le portrait s'y adapte il ne reste plus qu'à bâiller Qu'au contraire il ne réponde plus à ses mesures, je m'irrite de ne pouvoir lui ajuster mes idées faciles. Quelque chose en moi s'est faussé par l'usage, et d'avoir aidé ceci me rend difficile de l'aimer encore.

(1) Cette phrase seule s'applique au cas Paul Fort. Tout le monde avait pris plaisir aux premières Ballades Françaises. Le tort fut de nous infliger chaque année le pensum de les relire.

Marcel Proust - A l'ombre des jeunes filles en fleurs.

M. Marcel Proust est un jeune homme plein de talent, et comme il a bien travaillé, on lui a donné un prix. Allons, ça va faire monter le tirage. Excellente affaire pour la Nouvelle Revue Française. On n'aurait jamais cru qu'un snob laborieux fut de si fructueux rapport. A la bonne heure, M. Marcel Proust vaut son pesant de papier.

André Salmon - Manuscrit trouvé dans un chapeau.

Nous avons des dents d'or parce que tout ce qui brille je l'adore, et c'est pour leurs manches d'ivoire que nous portons des parapluies qui ne s'ouvriront jamais. On ne se fait aucune idée des yeux des femmes. L'amour n'illumine les paliers que P. 31 par intervalles. Entre temps nous fumons un petit brouillard humide où s'épanouissent plusieurs fleurs inconnues.

On pense toujours un peu au suicide, pas du tout au lendemain. Tout de même, comme on est chez soi ! Des groupes de danseurs bleus tourbillonnent contre les carreaux : la neige.

Voici les Mille-et-une Nuits qui charmeront nos veillées. L'aurore arrivera si vite que nous serons immortels.

Paul Morand - Lampes-à-arc.

A la lumière de ces globes, je n'aperçois qu'un spectacle vulgaire. Le mobilier ne vaut pas la peine qu'on en parle. Les filles qui traînent aux terrasses ne sont ni belles ni propres. Quel ennui ! Pour n'en pas perdre l'habitude on finit sur un Art Poétique. Le chef d'orchestre se retourne, salue, réclame un peu de silence et dit : Beaucoup de bruit pour rien.

LOUIS ARAGON.

PALETS

L'héroïne.

Toujours moins forte de ceux qui l'entourent, elle pleure à tout perdre et elle oublie que le désespoir l'amuse.

Maintenant. Quelle fourrure est plus belle qu'une belle chevelure ? Pourtant, elle garde la bête sur son visage.

Et ne sourit pas n'importe où.

A Tristan Tzara.

L'aube tombée comme une douche. Les coins de la salle sont loin et solides. Plan blanc. Aller et retour sans mélange, dans l'ordre. Dehors, dans un passage aux enfants sales, aux sacs vides et qui en dit long, Paris par Paris, je découvre. L'argent, la route, le voyage aux yeux rouges, au crâne lumineux. Le jour existe pour que j'apprenne à vivre, le temps. Façons-erreurs. Grand agir deviendra nu miel malade, mal jeu déjà sirop, tête noyée, lassitude.

Pensée au petit bonheur, vieille fleur de deuil, sans odeur, je te tiens dans mes deux mains. Ma tête a la forme d'une pensée.

(LE MEME.)

P. 32 ***

Nous avons reçu de Milan la dépêche suivante :

“ Mis en liberte j'envoie à mes amis de Littérature le témoignage de ma profonde sympathie et de ma vive gratitude.

MARINETTI. ”

***

C'est grâce à l'obligeance de MM. J. et W. Chester, éditeurs propriétaires des oeuvres d'Igor Stravinsky, 11, Marlborough Street (Londres), que nous avons publié Berceuses du chat et Chansons plaisantes dans notre dernier numéro.

Le gérant : Philippe SOUPAULT.

Imp. R. TANCREDE, 15, rue de Verneuil, Paris (7e arr.).

AU SANS PAREIL, 37, avenue Kléber, Paris (16e).

LITTÉRATURE

REVUE MENSUELLE

SOMMAIRE DU N° 10

Un acte nécessaire.

Tristan TZARA....   Lettre ouverte à Jacques Rivière.

Igor STRAWINSKY....   Berceuses du Chat.

   Chansons plaisantes.

André BRETON....   Les Champs Magnétiques (suite) : III. - Eclipses.

et Philippe SOUPAULT....

Irène HILLEL-ERLANGER....   Par amour.

Chroniques

ENQUETE : Pourquoi écrivez-vous ?

Réponses de MM. Louis Vauxcelles, Henri Ghéon, Mme Jean Bertheroy, MM. Paul Féval fils, Jean Royére, Jean Giraudoux, Joseph Reinach, Fernand Divoire, Georges Pioch, Mme Rachilde, MM. F. Vandérem, Max-Jacob, Georges Lecomte, Mme Marcelle Tinayre, MM. Paul Morand, A. Doderet, J.-H. Rosny aîné, Paul Eluard, Jean Ajalbert, André Gide, Blaise Cendrars, Louis de Gonzague-Frick, Eugène Montfort, Willy, Pierre Mille, Pierre Reverdy, Jules Mary. Paul Valéry.

LIVRES CHOISIS, par Louis ARAGON, TRISTAN TZARA.

SPECTACLES, par Philippe SOUPAULT.

LES ARTS, par Maurice RAYNAL.

PALET.

BULLETIN D'ABONNEMENT

Veuillez m'inscrire pour un abonnement d'une année à la revue LITTÉRATURE pour :

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Tristan Tzara, Directeur

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l'important manifeste de Tristan TZARA

Prix : 1 Fr. 50

DADA 4-5 contient

des proses et des vers de PICABIA, TZARA, COCTEAU, REVERDY, SOUPAULT, BRETON, ARAGON, BIROT, etc.

des dessins et des reproductions de PICABIA, ARP, JANCO, HAUSSMANN, RICHTER, EGGELING, etc.

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GENEVE

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et des éditions Au Sans Pareil

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DERNIERES PUBLICATIONS

Arthur RIMBAUD : Les Mains de Jeanne-Marie ; avec un portrait du poète par J.-L. Forain et une notice.

Un vol. in-8° écu sur vergé d'Arches : épuisé.

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André BRETON : Mont de Piété ; avec deux dessins d'André Derain.

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Lettres de guerre de Jacques VACHÉ, avec un autographe et un dessin de l'auteur, et une introduction par André Breton.

Un vol in-16 jésus sur bouffant : 3 fr. 50

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Blaise CENDRARS : Dix-Neuf Poèmes Elastiques, avec un portrait de l'auteur par Modigliani.

Un vol in-16 double écu sur vélin d'alfa : 6 fr.

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Philippe SOUPAULT : Rose des vents ; avec quatre dessins de Marc Chagall.

Un vol. in-8 écu sur vélin d'alfa : 3 fr. 50

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Tristan TZARA : Vingt-cinq poèmes, avec dix bois gravés par H. Arp. (Collection DADA).

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Philippe SOUPAULT : Aquarium.

Un vol in-16 jésus en long : 3 fr.

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Pierre REVERDY : La Guitare endormie, avec 3 dessins de Juan Gris.

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Max JACOB : La défense de Tartufe.

Un vol. in-16 jésus : 6 fr.

"L'EFFORT MODERNE"

(Léonce Rosenberg)

OEUVRES PAR :

Maria BLANCHARD, Georges BRAQUE, CSAKY, FÉRAT, Juan GRIS, A. HERBIN, Irène LAGUT, Henri LAURENS, Fernand LÉGER, André LHOTE, Jacques LIPCHITZ, J. METZINGER, Pablo PICASSO, Gino SEVERINI, VALMIER.

19, rue de la Baume,

PARIS (VIIIe)

2e Année. - N° 12., REVUE MENSUELLE, Février 1920.

LITTÉRATURE

DIRECTION

9, PLACE DU PANTHÉON, 9

DIRECTEURS :

LOUIS ARAGON - ANDRÉ BRETON PHILIPPE SOUPAULT

RÉDACTION : 9, Place du Panthéon, PARIS.

ADMINISTRATION : AU SANS PAREIL, 37, av. Kléber.

ABONNEMENTS

Pour la France Edition ordinaire....   15 fr. par an

Edition de luxe ....   60 fr. par an

Prix du numéro : 1 fr. 50

Pour l'étranger Edition ordinaire....   20 fr. par an

Edition de luxe....   80 fr. par an

Prix du numéro : 2 fr

SOMMAIRE

Paul VALÉRY....   Ode secrète.

Francis PICABIA....   Papa fais-moi peur.

André SALMON....   Archives du Club des Onze.

Max JACOB....   Qu'on se le dise.

G. RIBEMONT-DESSAIGNES. Astres.

Louis ARAGON....   Démon du Foyer.

et André BRETON....

Tristan TZARA....   Surface maladie.

Philippe SOUPAULT....   Hôtels.

Raymond RADIGUET....   Paul et Virginie.

ENQUETE : Pourquoi écrivez-vous ? (Fin)

Réponses de MM. Marius André, Jacques Copeau, Mme Berthe de Nyse, MM. Tancrède Martel, Albert Keim, Octave Houdaille, Andre de Fouquières, Mme Jeanne Landre, MM. Henry D. Davray, Paul Dermée, Edmond Teulet, Edouard Dujardin, Camille Mauclair, André Lebey, Mme de Noailles. MM. Léon Bazalgette, Louis de Robert, Jacques Dyssord, Fritz Vanderpyl, Maurice Leblanc, Jean Pellerin, André Germain, Sébastien Voirol, Raymond Radiguet, Jacques-Emile Blanche, Henri Hoppenot, Francis Picabia, Kaut Hamsun.

LIVRES CHOISIS, par Louis ARAGON.

SPECTACLES, par Philippe SOUPAULT

FIL SPÉCIAL, par GOLLIFAN.

Il a été tiré de ce numéro 15 exemplaires sur papier de Hollande de Van Gelder Zonen numérotés de 1 à 15.

EXEMPLAIRE N°

P. 1 ODE SECRETE

Chute superbe, fin si douce,

Oubli des luttes, quel délice

Que d'étendre à même la mousse

Après la danse, le corps lisse !

Jamais une telle lueur

Que ces étincelles d'été

Sur un front semé de sueur

N'avait la victoire fêté !

Mais touché par le crépuscule,

Ce grand corps qui fit tant de choses,

Qui dansait, qui rompit Hercule,

N'est plus qu'une masse de roses !

Dormez sous les pas sidéraux,

Vainqueur lentement désuni !

Une Hydre inhérente au héros

S'est éployée à l'infini !

O quel Taureau, quel Chien, quelle Ourse,

Quels objets de conquête énorme,

Quand elle entre aux temps sans ressource,

L'âme extraordinaire forme !

O quel brusque étincellement

D'événements très précieux

Etonne universellement

Les silences qui sont aux cieux !

PAUL VALÉRY.

P. 2 PAPA FAIS-MOI PEUR

Un homme la gent écrivante de bavarder

Caves du ventre une espèce toute

En envie seul coup un livre anti-liberté au fond

Ça me distraira des plus mauvaises s'assouvit

Voilà tout nier le génie tout refaire de l'antiquite

Dans les périodes dont je parle c'était

Idéal cinq cents sans crainte de neuf

Voilà tout

Nourriture du tabac publier ou

J'ai cet axiome que a du est et en

Dans rien puisse ne

De ne pas publier les bassesses de l'art pas

Vierge voilà l'homme

Ensemble au même niveau du tabac

Lors de la vogue or

Un moment les relations de Calais

Satisfaisant trouve celui-ci c'eût

Du libéralisme sur la place sinon une médiocrité

En littérature et rien venu en revanche

Nous avons les sens en commun

Et l'éloge inattendu

La jeune fille est pure c'est bien beau

Premières et secondes dans un exclusivisme

Homme honnête d'être

FRANCIS PICABIA.

P. 3 INTRODUCTION A LA LECTURE DU RÉPERTOIRE DÉTAILLÉ DES ARCHIVES DU CLUB DES ONZE (*)

(*) Il paraîtra sous le seul titre Archives du Club des Onze un volume contenant la somme manuscrite et des coupures caractéristiques des dites Archives qu'on suppose enfin confisquées, déchiffrées, traduites et mises au propre en leur totalité.

Les logis les plus précieux gardent à cette heure une perspective ouverte sur l'office. L'avenue aristocratique a des ardeurs et des fraîcheurs et des gaietés de voie plébéïenne. Des commères aux bras loués suspendent aux balcons des peaux de bêtes ou font claquer comme des drapeaux les chefs-d'oeuvre de Téhéran, de Boukhara ; les boîtes à lait tintent, clarines ! Autour du kiosque, les journaux pliés, étalés, déployés, brandis, chiffonnés de rage, roulés en boule, avec leurs six colonnes et leurs manchettes et leurs titres multipliant à l'infini le sens et la dimension, les journaux allongent les drames et menus-plaisirs, catastrophes et récréations, les faits-divers du monde en merveilles de verre filé.

Les vapeurs du matin ouvrent et ferment les yeux à l'homme-tronc stylite, qui fut styliste ; le buste de bronze dieu du carrefour.

Aimé le bien-aimé, ganté de jaune, mène pisser le pékinois d'Orange. Un agent hume au long des murs l'odeur du capital.

Mollets nus, bas écossais, cols larges, serviettes en cuir de Russie, petits sacs bruns de football ; les enfants qui vont au lycée figurent déjà, en groupe conscient, un conseil d'administration.

P. 4 Au sommet d'une échelle de bambou, un gazier qui astique son candélabre chante, pour les boniches qui gloussent, émergeant de la mousseline des rideaux.

Petit pied

Petite menotte...

Térence Riphar - calotte de velours, tablier bleu, pantoufles brodées à la chinoise - frotte au tripoli le bouton de sonnette.

Térence Ripnar a vieilli.

Quinze ans ! L'ombre et la moiteur de la loge conservent aussi bien qu'un garde-manger les viandes, mais c'est l'amour et la gloire de l'amour qui faisaient voici quinze ans encore, Térence Riphar si ragoûtant au regard des créatures de feu, de l'escalier de service aux étages des maîtres.

Qui se souvient encore de Térence Riphar ? Quand les journaux à un sou n'avaient pas moins de vingt-cinq pages, ils publiaient à l'envie l'iconographie de Térence Riphar. Térence au seuil du bel immeuble. Térence en jaquette et chapeau melon, une cassette finement ciselée en main, allant “ porter le terme ! ” Térence présidant le banquet de l'Amicale des Loges du XVIe. Térence à vingt ans, caporal de secrétaires d'Etat-major, fier de ses belles épaulettes blanches. Térence frisé, huilé, verni, culotté de blanc, le brassard de communion au bras, avec des franges d'argent longues comme celles des épaulettes promises.

Vous souvenez-vous de lui ? L'affaire Syvanège ? Raphaël Syvanège ? Le député suicidé ? Le trésorier de la Ligue des Vexilaires ?...

Alors, Térence Riphar était bien beau et la belle Valérie Brocard, la belle-fille de Raphaël Syvanège, l'aimait de cet absurde et tumultueux amour dont l'avaient aimé Dona Ramire, la femme du docteur Fleiche, du ministre Courard, de Tourte l'académicien, de Misty-Mamisty le psychologue, de Sulpice Dyname, professeur au Collège de France et Parfaite Dora l'actrice et Cléopâtre Zongue la somnambule mondaine, tant d'autres !

P. 5 Mme Riphar, elle, ne vieillissait pas. Sans doute parce que, déjà réduite, voici quinze ans, à ne s'énivrer que des amours égoïstes de son Térence, rien n'entamait plus son rêve poursuivi dans le demi-jour de la loge en époussetant les photographies de femmes, de Dona Ramire à Cléopâtre Zongue par Valérie Brocard, et celle de son homme entre toutes chère à ses yeux : Térence au feutre cucurbite, le coffret Renaissance sous l'aisselle quadrillée, allant porter le terme.

Dans ce temps-là - quinze ans passés - la loge s'emplissait du parfum de jardins inouïs, six fois le jour, quand le facteur apportant le courrier jetait les enveloppes sur la table ronde couverte d'une toile cirée éducative, illustrée des effigies des héros et martyrs de la science ; Bernard Palissy sciant saintement son buffet Henri II pour que les autres pussent emplir les leurs de vaisselle artistique ; Pasteur guérissant de la rage une jeune bergère.

- Les plus belles sont pour vous, Monsieur Riphar.

Ou bien :

- Ah ! ce monsieur Riphar, il en a plus que ses locataires.

Soulevée par la puissance des essences combinées, la loge s'élevait alors au-dessus de notre univers avec sa table ronde autel du progrès vainqueur - ô Palissy ! - des embûches par les bûches ; vainqueur par la foi qui sauve des défaillances de ses servants, si l'on se persuade enfin de l'identité de l'erreur scientifique et de l'erreur judiciaire. Au zénith établi par l'idéale ascension se fixait la Constellation des Chromos et la Voie Irisée des coquillages et la Grande Ourse de la Commode-Secrétaire et le centre d'attraction planétaire du Chien empaillé et l'Etoile Polaire de la Lampe avec sa suspension et son abat-jour illustré d'un Vesuve en éruption, et les mondes mineurs du globe aux souvenirs nuptiaux, de la médaille du Bien Public et, pour qu'un dieu s'y repose, la halte P. 6 astrale d'un fauteuil de peluche paon habillé de crochet, ouvrage de Mme Riphar.

C'est dans ce fauteuil que se laissait choir, lasse d'épousseter les précieux simulacres, Mme Riphar en possession de l'art de recréer ainsi ce ciel meublé depuis ce temps que les parfums épistolaires ne soulevaient plus la loge.

Le gazier sur son échelle de bambou chantait :

Petit pied

Petite menotte...

Térence fourbissait ses cuivres en réussissant d'évoquer le fantôme charmant de Valérie Brocard.

Le spectre se dissipa à la vue d'un inconnu. Un homme d'âge incertain, jeune encore cependant. vêtu à la façon d'un contremaître rangé, avec un rien d'artiste dans le choix de la coiffure. Des yeux clairs, une ombre de moustache. Un nez fin singulièrement remuant. Aux ordres nombreux dont les Chancelleries étrangères avaient payé son zèle, les Saints Maurice et Lazare, Victoria, Saint Wladimir, Saint Jacques. Léopold, Pour le Mérite, la Couronne de fer, etc., il préférait la simplicité des palmes académiques. Un ruban fatigué, mais jusqu'au rajeunissement de la toute fraîcheur, ultra-violet.

L'inconnu porta, d'un geste léger, une main gantée d'ocre aux bords du feutre noir.

- Monsieur le Concierge, avez-vous ici un nommé Gnou ?

- Parfaitement, j'ai ça ; mais dans la cour ; au troisième. Gnou, Martin ; c'est bien après lui que vous demandez ?

- Non, Amatémathée.

- Amat.... ?

- Amatémathée Gnou ; Amatémathée c'est son prénom.

- Il m'a pourtant toujours bien dit Martin, et sur ses lettres...

- Il ne vous a peut-être pas dit la vérité,

P. 7 - Voyez-vous ça !... C'est bien possible... on ne se méfie jamais trop du monde. Mais, dites-moi donc, comme ça, ce drôle de nom d'Amati...

- ...témathée.

- Qu'est-ce que ça signifie, si ça n'est pas un mot de sorcier comme Abracadabra ?

- Cela signifie, en grec, Erreur de Dieu.

- Erreur de... Ah ! nom de Dieu !... Sacré Monsieur Laitance !

Le mouchard recula d'un pas, puis, d'un pas plus résolu, revint sur Térence Riphar.

- Vous me connaissez donc ?

- Oh ! Monsieur Laitance !... pour vous oublier il faudrait que je me sois oublié moi-même !... L'affaire Syvanège... c'était pas rien.

- Chut !

- Compris. Alors vous dites que ce Gnou, un locataire sur le compte duquel il n'y a rien à dire, a ce drôle de nom...

- D'Amatémathée, n'en doutez pas, Riphar ; au surplus, l'ayant, son droit est absolu à se prénommer aussi bien Amatothée...

- Voyez-vous ça !

- Et s'il lui plaît encore Theosphalle, dont il fait bien, pourtant, de se défier, à cause du calembour obscène qui tenterait trop les demi-savants.

- Tout de même ! Et tout ça, Monsieur Laitance, d'après vous qui avez de l'instruction ça voudrait toujours dire Erreur de Dieu ?

- Vous en savez autant que moi.

- Et c'est Martin qui est de la comédie ?... Mathilde !

- Laissez Mme Riphar à sa cuisine.

- Qu'est-ce qu'il a fait pour que vous l'arrêtiez ?... Il n'est pas là ce matin, vous savez.

Le mouchard haussa distraitement les épaules. Don Juan Pipelet se grattait le nez.

- Qui parle d'arrêter votre locataire ?... Il est à moi, cela suffit. Aimez-vous toujours les vers

P. 8 - J'en lis tous les soirs à Mme Riphar, et les vôtres sont si jolis !

Laitance daigna sourire et ouvrant la bouche en U

Qu'on apréhende ou bien qu'on élargisse

Quand sur un plan choisi par vos soins l'homme glisse

C'est toujours même sacrifice

humain - je vous le bonis -

Au dieu bénin, banni

Qui bénit la police.

- Divin !

Le vent du sud soufflait quand il l'a prise

Un chaste vent du nord lui rabat sa chemise,

Sans qu'aucun s'en effare,

O monde sans amour !

On conduit chaque jour,

O pensée indécise !

Judith à Saint-Lazare,

Abraham en Cour d'Assises.

- Céleste !... Ah ! vrai, vous me tirez des larmes en me rappelant ma jeunesse.

- Tu pleures, Monsieur Riphar ?... Tiens, Monsieur Laitance !

- Madame Riphar, je vous présente mes devoirs

- Qu'est-ce qui se passe donc ?

- Térence vous expliquera.

Térence saisit le policier par le châle de son gilet.

- Et ce sont ses parents, à ce Gnou, qui lui ont donné ce nom ; comment qu'ils ont su que c'était une erreur ?

- Térence, fit sévèrement l'inspecteur, je suis à moi seul la brigade des Cas ; on ne me confie que des Cas ; j'ai de la valeur, mais je ne les puis résoudre tous. Parlons net. Est-il riche ?

- Peuh !... prodigue... des pourboires idiots... mais pour ce qui est d'être riche...

- Est-il abonné à de nombreuses revues ?

P. 9 - Il les reçoit toutes ; mais sur la chemise il y a toujours d'imprimé, ou bien au timbre mou : Service... gratuit... specimen...

- A quelle titre les reçoit-il ?... Il n'est pas écrivain.

- Il n'y a même pas d'encre chez lui. Mme Riphar fait son ménage.

Mme Riphar prit la parole :

- Il n'est pas méfiant, un peu innocent même... et si c'est pour le surveiller...

- Ces revues qu'en fait-il ?... des collections ?

- Il les jette au panier, Monsieur Laitance.

- Sans les lire ?

- Que non !... mais pas entières... c'est-à-dire que dans chacune il découpe, ici ou là.

- Et ces fragments, il les conserve ?

- Dans une valise, aussi vrai que je suis l'épouse à Térence.

Laitance souriait de satisfaction.

- Entrez donc dans la loge prendre le madère, Monsieur Laitance.

Sur le seuil du sanctuaire aux images mondaines et voluptueuses. Laitance, songeur, articula :

- Ce Gnou, sans profession... je dis bien ?... ne s'est-il jamais flatté d'être archiviste ?

- Il n'a pas d'orgueil et il n'est pas bien liant.

- Oui... quel journal lisez-vous ?

- Le Figaro.

- Jamais Paris-Midi ?

- Des fois, pour les courses.

- Avez-vous le souvenir d'y avoir lu, aux environs de 1912, en écho à un filet de Gil Blas, certain articulet signé Jehan de l'Ecritoire et relatif à l'existence d'un club de onze membres dont chacun s'ignorant ignorait même qu'il fût membre de ce cercle ? On insinuait qu'il se pouvait agir d'un Baudelaire-Club analogue à ce Stendhal-Club dont... vous ne savez absolument rien. Or, ce club, dont l'existence ne fait pas de doute pour moi, mais qui n'est aucunement P. 10 Baudelaire-Club, pauvre invention de journaliste, aurait un archiviste qui...

Mme Riphar referma la porte de la loge avec pré caution.

Aux approches de la dernière Exposition Universelle, les derniers écrivains à moustaches roulées et cravates flottantes blanches, dites à la Colin (Sardou, Mendès. Meurice, etc.), qui régalaient d'historiettes professionnelles les jouvenceaux de l'Ermitage, de la Plume et de la Revue Blanche, redisaient souvent celle inscrite sous la rubrique “ Hugo, Leconte de Lisle et Dieu ”. “ Lorsque je paraîtrai devant le Créateur, demandaient - selon ces vieillards - l'Olympio de Besançon, comment, en quels termes le saluerai-je ? ” L'Antechrist mulâtre de l'île Bourbon, naturellement méchant comme la fleur de lin est bleue, avec des gaietés glacées d'assassin à distance, tueur académique de mandarins, avec des jovialités de cornac librepenseur, des humeurs de pasteur de béhémots en boutique, passage Choiseul, secouant la neige de ses crins, conseillait perfide et clairvoyant : “ Si vous commenciez par “ Mon cher Confrère !... ”

Avant toute chose était le Verbe.

Après il y eut la Bible, les Evangiles et d'autres livres ; le Catéchisme, les brochures de propagande, les Actes des Apôtres, les journaux, que sais-je !

Dieu écrit trop. Dieu qui écrit trop décréta Amatothée Gnou (alias Amatémathée, voire le scabreux Theosphalle) ; Erreur dont Dieu manqua périr.

Dieu ne se relisant pas, sous peine de n'être plus Dieu, et les Séraphins lecteurs sautant, par paresse, les passages difficiles, et, par excès de délicatesse, les passages ennuyeux du Livre. Amatémathée dit Martin pût vivre, au moins jusqu'à l'instant que s'en inquiète le policier Laitance, chef de la brigade des Cas.

Si les Séraphins eurent tort en leur fausse délicatesse, l'auteur se réjouit d'un Gnou, Erreur monstrueuse qui justifie l'étude. Un livre encore vivra pour en administrer la preuve.

P. 11 Le gazier polissait les vitres convexes d'un dernier candélabre municipal.

Sur l'avenue, cheminant de conserve, passèrent Pied d'Ange, efféminé, parfumé ; le bel agent de la brigade des Scandales et, lourdaud, balancé comme un cargo plein de barriques, avec son nez courbe sur des bagantes huileuses, Prosper Fleur de Nase, de la déniée brigade des Moeurs. Spontanément, couvrant de leurs pas cadencés la façade du 72, Pied d'Ange et Fleur de Nase se découvrirent devant l'immeuble où “ travaillait ” Laitance.

On ne sait si parvint jusqu'à eux le soprano du maître faisant valoir cette odelette :

Petits pieds

Petites MENOTTES,

Il n'en est pas d'assez petites

Pour les poignets de Marguerite

- Une voix sort d'une guérite

Valentin parle à des troupiers -

O chaînes, sonnez, note à note,

Au gré de Faust que l'on acquitte,

Cette romance huguenote !

ANDRÉ SALMON.

(La fin - de cette introduction - dans un prochain numéro.)

P. 12 QU'ON SE LE DISE

Monsieur VRON ;

Monsieur PICKLE ;

Monsieur RIDIDI DU RADADA ;

Monsieur et Madame POUFLE ;

Monsieur et Madame LESEMAJESTÉ et leurs enfants ;

Monsieur BREGEDENT ;

Madame BEGLE ;

Madame FARABEUF et ses neveux ;

Monsieur LANJUINAIS ;

Monsieur PIÉDEPORC ;

Madame CORON ;

Monsieur et Madame LÉONARD DE VINCI et leurs enfants ;

Monsieur COUCICOUCI, membre de l'Interprétation Nationale ;

Madame LEFEVRE, directrice ;

Madame MEMBRE, membre ;

Madame Arthur MEMBRE, membre ;

Monsieur et Madame Eugène MEMBRE, membres ;

Monsieur PETITFIXE, membre ;

Monsieur GRANDOEIL, directeur de la Direction Générale ;

Monsieur TOUTALEGUE, directeur général ;

Madame LONGANIMITÉ, ainsi que leurs père, mère, fils, filles, neveux, oncles, tantes, belles-mères et beaux-fils, et toute la famille, ont l'honneur de vous faire part qu'ils sont décorés de l'Ordre du Petit Bâton Transversal en ivoire de Chine.

MAX JACOB.

P. 13 ASTRES

Le voiturier Scorpion guide un regard terrible vers l'absence noire

L'abeille écartèle les mille yeux uniques pour tirer un contentement

Et jaillissent les lancinements cancer d'être

Stupide Ourse du problème réduit

Dans le dédale moteur Colomb perpétué

La photographe a le tétanos

Ce serait trahir que de dire

Quoique hurlement froid en deça du saisi

Le sang se caille derrière l'iris évaporé aux confins invertis

Jusqu'à n'être plus

Car être et voir c'est encore négation

L'acteur Dieu avec arrière-pensée de larcin

Désir viol et de sa fille à travers le viol gigogne

Délesté de son coeur hélas son coeur poisson rouge hume un soleil double

Et s'éteint l'illumination en atroce contrition

Pleine des bêlements du troupeau cafard

Le serpent musique au travers des cendres apporte une llusion marionnette ressemblante

Mais de solitaire

Dans une grande chute

Solitaire

Dans les débris mécaniques les larmes sèchent sur l'habituelle balance

Le sauveur qui fait perdre le chemin

Est couché dans l'allumeur de réverbères

Qu'attendre

Etre délivré du poids et soumis universel

Amour ignorant de son objet

(1918)

G. RIBEMONT-DESSAIGNES.

P. 14 DÉMON DU FOYER

A Madame Eve Francis.

Le meilleur c'est peut-être, les cuivres finis, de passer les cheveux de son mari au Faineuf.

Les murmures indistincts des femmes rétives nous parviennent à travers les murailles de l'esclavage. Les libertins jouent avec cette troisième puissance de l'inconnue comme avec une constellation les vents d'ouest que les gravures anciennes représentent avec des joues de santé et des cheveux bouclés par le tonnerre. Quel mal peut faire un regard jeté en passant dans le panier aux papiers où les hommes négligents ont laissé tomber leurs femmes décoiffées et lasses après ces luttes inégales dont l'issue est trop facilement prévisible, hélas ! Qui apporta ces corbeilles, - corbeilles de noces ? Mais sans doute les jalouses petites filles du mécontentement universel, élevées à force de soins par la Sainte Vierge et gardées à l'oeil au couvent.

Après la déception de ces longues années aux yeux d'amandes amères, comment voulez-vous qu'une plante de bonne famille se contente des consolations luisantes du coton à repriser ? Ces pauvres croix sur fond orange donnent une piètre idée de la passion de chaque homme et du Mont des Oliviers semblable au réconfort du Dément et à la paresse des colporteurs. L'éponge imbibée de pitié si aigre dont on nous rafraîchit les lèvres après tant de nuits d'amour passées à la belle étoile, cette médiocre tasse de chocolat qui se prend au bord d'un lac consternant, tient plus ou moins de place dans notre poitrine, entre les crosses les mieux imaginées des processions humaines et les loboggans épouvantables du besoin de se nourrir. L'accueil forestier des cathédrales, la ferveur des prières désespérées, les paroles chaudes et perdues des grands prêtres pâles ne réussissent pas toujours à retenir par les cheveux celles qui tiennent entre leurs doigts maigres la fleur grise du mariage et qu'ébranle déjà la mousson d'automne. Elles répondent étrangement au bois sec des confessionnaux qui n'est jamais P. 15 si jeune qu'on puisse en soulever l'écorce pour y graver une date et des initiales entrelacées. Les grandes anémones qui sont le surplis du vicaire n'étoilent guère que cinq ou dix minutes la nuit très avancée de leur coeur. “ O Dieu qui nous écoutes sous forme de grille, Tu sais bien qu'il est difficile de rester enfermées tout le jour dans le caveau conjugal qui est à peine plus doux que Ton regard. Tu sais bien... Mais il ne veut pas nous entendre et nous tordons nos désespoirs en forme de huit. La palme des souffrances stériles est la mieux ouvragée de celles qui sont sur les tombes : A mon époux adoré. J'ai les larmes aux yeux ; comme elle est couverte de poussière ! Il faudrait faire soigneusement le ménage, le matin, dans les cimetières. Les petits arrosoirs verts à portée de la main, nous les avons toute notre vie. Qu'il paraît beau, le tentateur des compagnes aux yeux modestement baissés quand il se montre en petit veston d'alpaga. Nulle tendresse ne raccommode ses coudes lumineux. Je ne puis pas manger indéfiniment cet affreux pain de ménage et sauriez-vous jamais m'indiquer la porte de sortie ? Albert, c'était le nom du garçon de bureau, mettait si souvent la tête dans son plumeau qu'il finit par tousser. Ah ! les chasseurs n'ont pas pensé à cela ! Je vous citerais mille exemples de ce genre, tous plus miséricordieux que le bois de campêche, ou le brou de noix, sans parler des puits de pétrole qui sont bien les plus rafraîchissants. Quels modèles de vertu m'ont été les saintes et les autres pour que je me défende ces pauvres petites joies sans plumes ? Il paraît que les hommes aiment que leurs femmes empruntent à la flore imprévue des marchands de couleurs la saveur du poivre de Cayenne et le piquant des feuilles d'aloës. ”

Aussi bien le battement des portes de commerçants se confond avec la diastole et la systole des plantes vertes qu'ils mettent à leur étalage pour que les maisons de rapport ne nous happent pas seulement aux étages supérieurs.

LOUIS ARAGON ET ANDRÉ BRETON.

P. 16 SURFACE MLAADIE

il dit la chanson du givre enfer son cou est raide

sa queue est une fleur de fil de fer

ses cheveux sont des ressorts sa tête rosace aplatie

chez lui tout est oxydé il chevauche sur une ligne

si je suis fou seigneur chrysanthème mon coeur est un vieux journal farci

ne me regarde trop tes lumières deviendront des fils de fer

et le squelette de ton enfant aussi

l'arbre n'a qu'une seule feuille

l'arbre n'a qu'une seule feuille

j'entends les pas du fou prière regarde le cheval vert l'athlète insoucieux et le saut du saint dans le cristal métal des variations le long des oreilles des éléphants

piano qui verse arc-en-ciel de soufre et fleurs lunulaires

phosphore et l'air les fleuves aux broderies de charbon

tu coules en moi multicolore

les veines dans certaines pierres

le feuillage saigne

golfe mouton

gonfle

la mort noircit les ongles

tes mains lucifuges caressent les louves el les fleuves

ton oeil cuit : descends araignée de cuivre

attends sur le coeur j'ai de si belles taches

aux bords cicatricés comme les robes des jeunes filles

en arcs-en-ciel de cendre

les couleurs humides rôdent

ivres

TRISTAN TZARA

P. 17 HOTELS

A minuit vous verrez encore les fenêtres ouvertes et les portes fermées. La musique sort de tous les trous où l'on peut voir meurir les microbes et les vers majuscules. Mais plus loin, toujours plus loin, il y a encore des cris si bleus que l'on meurt d'émoi. Tout est bleu ici. Les avenues et les grands boulevards sont déserts. La nuit est surpeuplée d'étoiles et le chant de tous ces gens monte vers le ciel comme la mer s'en va à la recherche de la lune, bonheur si lourd et si peu décevant pour les âmes délicates des vagues. Les plages sont pleines de ces yeux sans corps que l'on rencontre près des dunes et des prairies lointaines et rouges du sang des troupeaux fleuris. Cadavres des jours adorés, cirque des émotions et des ivresses rouges, rouges, mais où le coeur bat comme une cloche fine et pâlie par les soleils extérieurs. La porte majeure laisse écouler les fumées oranges comme les champignons que nous aimions, le bois est tout près et les femmes rondes courent de-ci de-là en ramassant les feuilles ressuscitées et passagères ; ce sont des oiseaux de toutes les couleurs et qui chantent mieux que le vent. Quadrilatère où l'on étouffe pour jamais. mais à la sortie on sait que le chasseur est là, avec tous ces chiens, tous ces yeux et personne n'oublie la montre putain d'église qui vous frappe à la tête comme une roche qui se désagrège sans un cri.

PHILIPPE SOUPAULT.

P. 18 PAUL ET VIRGINIE

Ciel ! les colonies

Dénicheur des nids

Un oiseau sans ailes

Que fait Paul sans elle ?

Où est Virginie ?

Elle rajeunit

Paul et Virginie

Ciel des colonies

Pour lui et pour elle

C'était une ombrelle

RAYMOND RADIGUET.

P. 19 NOTRE ENQUETE

(Fin) 1

(1) Voir les numéros 10 et 11.

Nous terminons aujourd'hui la publication des lettres qui nous sont parvenues. Nous rappelons que dans chaque numéro - et non d'un numéro à l'autre - nous avons suivi pour les faire paraître l'ordre inverse de nos préférences, afin de maintenir l'intérêt de la lecture et d'éviter à nos correspondants la surprise d'un commentaire.

Pourquoi écrivez-vous ?

M. MARIUS ANDRE

J'écris parce que j'en éprouve le besoin et que c'est un des meilleurs moyens que j'ai trouvés de vivre dans la joie.

Je fais de temps en temps une poésie provençale parce que le lyrisme qui est en moi veut être exprimé dans la langue maternelle et que cela fait plaisir à quelques amis.

Je fais de la critique littéraire et des travaux d'histoire pour la défense de ce que je sais être la vérité. Je crois accomplir ainsi, dans mon petit coin et à ma manière, mon devoir de citoyen.

Marius ANDRÉ.

M. JACQUES COPEAU

Je réponds à votre circulaire du 1er octobre.

J'ai extrêmement peu de temps pour écrire. C'est pourquoi je m'efforce de n'écrire que pour dire quelque chose.

Jacques COPEAU.

Mme BERTHE DE NYSE

Ecrire est pour moi la plus délicate des jouissances, la plus exquise des joies et la plus efficace des consolations.

C'est poussée par une force intérieure que je prends la plume, alors que dans ma pensée la phrase est déjà entièrement dessinée.

P. 20 La Douleur est pour moi une féconde Inspiratrice, j'écris aussi pour chanter l'Amour, et quant à la Joie, il faut qu'elle soit éclatante et la fin d'une angoisse pour que j'éprouve le besoin de la célébrer à voix haute et non dans le calme et la solitude.

J'écris aussi, pour prolonger l'émotion causée par la vue d'un paysage rare, pour défendre les idées qui me sont chères et m'efforcer de les faire triompher. La Sincérité et la Passion sont en résumé les raisons majeures qui m'ont toujours amenée à écrire.

Berthe DE NYSE.

M. TANCREDE MARTEL

Pour obéir à une impérieuse vocation, ce que Théodore de Banville appelait “ l'amour du laurier ”. Au reste, mes livres : Blancaflour, Rien contre la Patrie, le Prince de Hanau et quelques autres, ont déjà répondu pour moi.

Tancrède MARTEL.

M. ALBERT KEIM

Il me semble qu'on écrit comme on vit, comme on respire, comme on aime, comme on souffre...

L'art, pour nous l'art littéraire, c'est un approfondissement de la réalité.

Il s'agit donc de fixer des êtres et des choses éphémères avec leur caractère éternel. Telle est notre volonté plus ou moins claire. Ah ! quelle étrange entreprise de tirer du néant l'étincelle de Dieu !...

Nous passons notre temps à sentir notre coeur battre avec celui des autres, à dire la pauvreté, ainsi que la splendeur humaines.

Albert KEIM.

M. OCTAVE HOUDAILLE

Pour donner du vol à l'essaim un peu confus des idées subjectives et les faire chanter dans la musique des mots.

Octave HOUDAILLE

LE CHEVALIER ANDRE DE FOUQUIERES

J'écris - car je considère que le livre et le ournal sont des tribunes qui me permettent d'exposer mes idées et de les défendre et de faire si possible des adeptes.

P. 21 C'est un grand plaisir personnel et c'est quelquefois une satisfaction pour autrui.

Quand j'ai publié mon voyage sur les Indes, je désirais que le lecteur soit imprégné des beautés et des splendeurs de l'Orient.

Quand j'écris sur la Tradition, je me fais illusion, peut-être, mais j'espère idéaliser notre société qui, hélas ! se démoralise et se nivelle à outrance.

André de FOUQUIERES.

Mme JEANNE LANDRE

J'écris parce que cela me permet de dire ce que je pense, sans voir la tête de ceux à qui je le dis.

Jeanne LANDRE.

M. HENRY D. DAVRAY

Je n'ai plus le temps d'écrire. Je dicte, même par téléphone, quand on me demande de dire quelque chose sur un sujet que je connais plus ou moins.

Henry D. DAVRAY.

M. PAUL DERMEE

a) Pour faire enrager certains de mes voisins.

b) Pour leur faire écrire grotesquement qu'on ne peut s'enrichir qu'en pillant le tronc des pauvres.

Paul DERMÉE.

M. EDMOND TEULET

Je me suis souvent posé cette question : pourquoi la source sourd-elle et l'oiseau chante-t-il ? sans jamais résoudre le problème.

A la réflexion, peut-être voulez-vous dire : dans quel but ?

Alors, je répondrai qu'il est multiple et changeant comme le crépuscule, cependant qu'immuable, puisque j'ai le sentiment d'être impressionné par l'amour du bien et du beau en la justice et l'idéal.

Edmond TEULET.

M. EDOUARD DUJARDIN

Pourquoi un écrivain écrit-il ? c'est, à mon avis, demander : Pourquoi un pommier produit-il des pommes ?

Bernardin de Saint-Pierre eût sans doute répondu que P. 22 les pommiers avaient un but et que ce but était de fournir aux humains une matière premiere aux beignets. Je crois moins à cette finalité qu'à l'accomplissement d'une fonction. La fonction accomplie, c'est-à-dire la pomme arrivée à maturité, le jardinier la cueillera, le marchand la jettera dans son panier, la cuisinière la fera cuire, et l'objet servira à meubler une table, à moins qu'on ne l'utilise à l'endroit de quelque orateur impudent. Une utilisation n'est pas un but.

Que l'oeuvre de l'écrivain naisse ingénue, Nietzsche eût dit innocente, telle qu'un beau fruit riche des sucs de la terre et caressé de soleil, et il se trouvera qu'elle sera, tout aussi bien, belle aux regards et réconfortante au coeur des hommes, ou châtiment aux insolences.

En écrivant, l'écrivain accomplit une fonction ; Dieu (si j'ose m'exprimer ainsi) fait le reste.

Edouard DUJARDIN.

M. CAMILLE MAUCLAIR

J'ai bien envie de vous répondre avec Carmen : “ Je chante pour moi-même, et je crois qu'il n'est pas défendu de chanter. ”

J'écris avant tout parce que c'est pour moi une passion et une consolation. Je satisfais à un désir inné. Ensuite, j'écris pour engager autrui à aimer ce que j'aime et à le lui faire mieux comprendre.

Enfin, j'écris parce que j'adore le travail, et ce travail est celui qui me plait le plus. N'étant aucunement gendelettre ni arriviste, et vivant dans mon petit coin, je regrette énormément que le fait d'écrire constitue aussi un métier : un fichu métier, auquel il me faut demander mon pain alors que j'eusse voulu ne lui demander que des idées et des songes. Mais à tout autre métier j'eusse été inapte : Je tâche donc d'exercer celui-là avec honnêteté et même plaisir.

Camille MAUCLAIR.

M. ANDRE LEBEY

J'écris parce que je ne peux faire autrement. Et je dirais qu'on n'a qu'une excuse d'écrire, c'est, en effet, de ne pouvoir faire autrement.

André LEBEY.

P. 23 Mme la Comtesse DE NOAILLES

J'écris pour que le jour où je ne serai plus

On sache comme l'air et le plaisir m'ont plu,

Et que mon livre porte à la foule future

Comme j'aimais la vie et l'heureuse nature,

Comtesse de NOAILLES.

M. LÉON BALZAGETTE

Pourquoi cet enfant dans la rue siffle-t-il en suivant la grille qui surplombe la voie ?

Pourquoi, au sortir du gouffre des années misérables, gardons-nous encore, malgré tout, indéracinable, la vieille foi en l'homme et le monde ?

Pourquoi cette vie qui n'est plus la vie, parce qu'elle est trop imprégnée de fraîche mort, garde-t-elle néanmoins un arome ?

Pourquoi ai-je frémi d'aise et d'émotion en retrouvant. à la fin dé l'été, les feuillages et les eaux et les ciels familiers ?

Pourquoi, pourquoi ?

Il me semble que si je pouvais répondre à l'une de ces questions, mieux que par une autre question, je saurais dire aussi pourquoi j'écris.

Léon BALZAGETTE.

M. LOUIS DE ROBERT

Excusez-moi de ne pouvoir répondre à votre question. Quand on n'est plus un tout jeune homme, on n'est plus guère tenté de discuter sur son art : on préfère l'exercer. Pourquoi j'écris ? Je n'en sais rien du tout. Probablement parce que c'est la seule chose qu'il me plaise de faire.

Louis de ROBERT.

M. JACQUES DYSSORD

Parce que je ne peux pas faire autrement et à ce sujet, écoutez cet apologue : “ Il y avait autrefois, au château de Belle-Lurette, à deux pas de l'Espagne, une mère admirable qui avait souhaité de faire de son fils un saint. Il n'est pas de meilleur moyen pour attirer l'attention du Malin.

P. 24 “ Le fils commença de très bonne heure son noviciat de prodigue et un jour qu'il embrassait les larmes que venait de verser sa mère sur une de ses récentes équipées, elle lui dit :

- Mon enfant, pourquoi me fais-tu pleurer ainsi ?

- Parce que je ne peux pas faire autrement, répondit-il.

Et ils se regardèrent longuement au visage. ”

Jacques DYSSORD.

M. F. VANDERPYL

Vous ne m'avez pas demandé pourquoi j'écris. Vous avez raison...

Je n'écris pas, je gueule.

F. VANDERPYL.

M. MAURICE LEBLANC

Après vingt-cinq ans de travail et deux ou trois douzaines de romans publiés, il serait difficile d'analyser les raisons pour lesquelles on a commencé d'écrire. Chaque matin on prend la plume parce que l'on ne peut plus faire autrement sous peine de malaise, d'inquiétude et de remords. Il y a là vis-à-vis de soi-même, en même temps qu'une obligation morale, une nécessité physique. La santé de l'esprit et du corps, l'équilibre même de notre système nerveux, dépendent de notre tâche quotidienne, à laquelle chacun de nous croit loyalement qu'il était destiné.

Maurice LEBLANC.

M. JEAN PELLERIN

Si je vous répondais “ j'écris parce que j'écris ” vous jugeriez la réponse insuffisante - vous auriez raison ; impertinente - vous auriez tort...

Pourtant, je ne vois vraiment pas d'autre explication à fournir - même à moi-même.

Jean PELLERIN.

M. ANDRE GERMAIN

Il me semble que c'est à la fois une question générale et une question individuelle que vous nous posez.

Evidemment, c'est sans aucun motif légitime que pour la plupart nous écrivons.

P. 25 Ceci posé, vous comprendrez que je ne veuille pas répondre en mon nom personnel. Ou bien je formulerais un aveu d'extrême humilité ou bien je commettrais un acte de suffisance.

Les excès me répugnent.

André GERMAIN.

M. SEBASTIEN VOIROL

Pour tenter d'exprimer avec précision un idéal complexe.

Pour avoir ainsi de temps à autre la sensation agréable de triompher d'une difficulté.

Pour rendre hommage à la sémantique.

Pour embêter certains dont les jugements me semblent bas.

Pour interrompre par un travail adéquat un rêve épars et sans pareil.

Pour laisser la faible trace d'une individualité dont la formation présente un intérêt relatif et pour au moins 22 autres raisons.

Sébastien VOIROL.

M. RAYMOND RADIGUET

Un homme raisonnable ne peut agir sans motif.

CHAMFORT.

Il est toujours pénible de reconnaître la voix de Julius de Baraglioul.

Le meurtre, pas plus que la littérature, n'est à la portée de toutes les âmes. J'attendais votre question pour m'identifier à Lafcadio. Sans raison, il commet un crime : raison de plus pour le considérer non dépourvu de sérieux.

Cher Julius, si vous me dénoncez à la justice de ce pays, je feindrai d'avoir “ commis ” des poèmes afin de m'enrichir.

(Demandez plutôt à vos lecteurs : pourquoi lisez-vous ?)

Raymond RADIGUET.

M. JACQUES-EMILE BLANCHE

Avant de lire la lettre de M. Tristan Tzara, j'aurais répondu, ou à peu près :

“ Si on écrit, ce n'est qu'un refuge : de tout point de vue. ” Mais il est trop tard. Donc :

“ Je n'ai pas appris à jouer sur le violon ”, ou bien :

“ C'est pour recommencer les gestes de ma première enfance.

J.-E. BLANCHE.

P. 26 M. HENRI HOPPENOT

La question posée par vous à ces “ représentants les plus qualifiés des diverses tendances de la littérature contemporaine ” risque d'interrompre la carrière des plus sincères d'entre eux. Je marche dans la vie depuis huit jours, précédé de ce point d'interrogation et je n'écrirai peut-être plus jamais.

J'ai le profond regret de ne pouvoir vous dire que j'écris pour gagner de l'argent. Un pareil motif, en effet, me justifierait pleinement à mes yeux et j'ai d'autant plus de déception à ne pouvoir l'invoquer que tous nos gains futurs d'auteur ne suffiront sans doute pas à amortir les dépenses inconsidérées qu'entraînèrent jadis pour ma bourse de jeune homme l'impression de quelques plaquettes indéfendables.

Hors cette utilisation du cerveau-outil et cette transmutation de l'oeuvre intellectuelle en toutes les belles et bonnes choses que l'argent seul procure, je ne trouve au fait d'écrire qu'une raison valable et celui qui aurait seul pu l'invoquer est mort.

Il vous aurait peut-être dit : j'écris pour me libérer de tout l'accidentel, pour récuser ce qui peut me détruire, pour tuer en l'exprimant ce à quoi je veux survivre. Mon oeuvre est avant tout la négation de ce que je ne suis pas. J'arrache de moi les phrases et les rythmes comme les pièces d'un vêtement dégoûtant et je jette à la fosse commune ces défroques. Nu et seul, je demeurerai dans le désert.

L'homme sincère est mort, et nous tous qui écrivons et écrirons encore, nous ne le ferons que pour des raisons allant du deuxième au dix-huitième ordre du sentiment et que je laisse à mes distingués confrères le soin de vous exprimer.

Henri HOPPENOT

M. FRANCIS PICABIA

Je ne le sais vraiment pas et j'espère ne jamais le savoir.

Francis PICABIA.

M. KNUT HAMSUN

J'écris pour abréger le temps.

KNUT HAMSUN.

P. 27 LIVRES CHOISIS

Paul Valéry - Introduction à la Méthode de Léonard de Vinci.

La critique des idées ne m'intéresse pas, mais de savoir comment elle me touche ; par quelle lente progression elle me pénètre ; comment, sous couleur de s'en prendre à la pensée d'un tiers, elle s'attaque à la mienne, et comment elle parvient à bouleverser ma matière mentale. C'est peu que de me prouver la faiblesse d'un syllogisme : j'exige qu'on ébranle ma foi en ses conclusions. A ce moment je crie : Arrêtez ! et je remonte le chemin de mon trouble à votre dialectique. Ou, si vous préférez : dès lors que vous me tenez prisonnier dans votre salle d'armes intellectuelle, il m'indiffère que vous me convainquiez de ceci ou de cela, je ne me passionne qu'à démonter le mécanisme de la conviction.

Que les vérités ne soient que rapports, la sagesse des nations l'affirme et je n'y contreviens pas. Je perdrais donc mon temps à compter les poids en balance, la position d'équilibre seule importe, le quotient de votre éloquence par ma crédulité (cette faculté qui m'est faite de vous abandonner mon bien), la mesure dans laquelle je me trouve à votre merci, ou de tout autre événement.

L'ambition où nous voyons Léonard (je veux dire vous-même) de connaître la valeur absolue de son esprit, et pis, Dieu me pardonne, de l'esprit, me déçoit si je l'examine. Connais-toi toi même est un conseil ironique, et qui souvent se pèse bien se connaît m'a toujours semblé un sophisme. A l'encontre de ce que l'autre (1) en pense, l'esprit ne peut s'appliquer qu'à des objets extérieurs à lui ou qui tiennent quelque chose du fini. Comment s'embrasserait-il ? On imagine difficilement ses noces solitaires (2)

(1) Malebranche.

(2) “ Par exemple, répliquez-vous, rien n'est plus aisé : il suffit d'être dupe un instant du langage ”.

Cette conscience que nous prenons de nous-mêmes suppose que nous nous heurtons à autrui, à ce mur qui nous en sépare, impalpable, réel. Nous ne saurions concevoir clairement notre essence, ni l'accident qui nous distingue d'un autre homme. Mais avec un peu d'entraînement le premier venu apprécierait ses limites : je n'en désire pas P. 28 davantage. Malheureusement le succès nécessite ici une quiétude qui ne m'est pas laissée et, dans ce domaine, le Sandow reste à inventer.

Guy Lavaud - Imagerie des Mers.

Il a quelque chose de réconfortant à constater que fatalement un Guy Lavaud trouve un Lhote qui l'illustre ; en consentant à une pareille alliance on ne sait pas lequel des deux compères se joue le plus mauvais tour.

Max Jacob - La Défense de Tartufe.

“ Tant que les hommes auront de l'inclination pour un bien qui surpasse leurs forces et qu'ils ne le posséderont pas, ils auront toujours une secrète inclination pour tout ce qui porte le caractère du nouveau et de l'extraordinaire ; ils courront sans cesse après les choses qu'ils n'auront point encore considérées, dans l'espérance d'y trouver ce qu'ils cherchent, et, leurs esprits ne pouvant se satisfaire entièrement que par la vue de celui pour qui ils sont faits, ils seront toujours dans l'inquiétude et dans l'agitation jusqu'à ce qu'il leur paraisse dans sa gloire. ”

Il y a un homme sérieux comme un pape. Il y a ce sourire et cette voix fausse comme celle des anges. Il y a le jeu, que voulez-vous il est joueur ! Il y a la vie. C'est une dame qui a eu des malheurs. Comme sur les images, il y a tout le monde qui tutoie le poète (moi seul je n'oserai jamais). Il y a enfin l'arc-en-ciel qui fait un bien joli noeud-papillon autour du cou.

LOUIS ARAGON.

SPECTACLES

Le temps est un songe. - H.-R. Lenormand.

On frappe les trois coups et le rideau se lève sur un point d'interrogation.

Les paysages qui passent devant nos yeux quand nous appuyons le front contre la vitre des compartiments sont illuminés par tous nos souvenirs ; ce sont les tableaux de ce drame. Est-ce l'avenir qui est devant nous ?

L'angoisse nous étouffe comme si l'on tirait les cartes.

La rue fraîche est un rêve.

Nous allons sans doute continuer à vivre.

P. 29 A l'abri des lois.

Les yeux des folles et leur ivresse ressemblent à des papillons.

Cette femme qui boit ne connaît que la fumée légère de ses désirs. J'aime ces grincements de dents, ces rages pâles et cette brusque colère.

Un gentleman correct vous apporte des roses. Déchirezles avec vos deux mains blanches, ma folle chérie, et jetezles au panier. Vous allez tuer quelqu'un et vous hésitez. Ouvrez vos yeux immenses puisque votre main ne tremble pas.

Ce film est ridicule et sentimental.

Pourquoi cette folle est-elle si belle. Nous irons revoir “ A l'abri des lois ”, n'est-ce pas, André Breton ?

Une ldylle aux Champs. - Charlie Chaplin.

Les poètes savent faire des additions sans avoir jamais rien appris. Charlie Chaplin conduit les vaches sur les sommets où repose le soleil. Au fond de la vallée, il y a cet hôtel borgne qui ressemble à la vie, et la vie n'est pas drôle pour ce garçon qui se croit sentimental.

Nous rions aux larmes parce que les fleurs sont celles du pissenlit et que dans les coquillages on écoute l'amour, la mer et la mort.

Les Ballets russes.

Que d'art ! que d'art !

Et ça va durer encore longtemps. Nous étouffions dans ce théâtre. Jusqu'au dernier accord, j'espérais qu'un spectateur allait se jeter d'une galerie. On aurait vu du sang, je n'ai vu que des sourires, et des sourires.

Sur la scène, on immolait André Derain.

Qu'est-ce que ça peut lui faire ? Il grincera des dents, il sourira en apprenant que Monsieur André Lhote l'injurie et le traite de “ plus grand peintre français vivant ”.

Puis il ira dans son atelier et demandera qu'on lui foute la paix.

Nous nous tairons et nous continuerons à l'aimer simplement.

PHILIPPE SOUPAULT.

P. 30 FIL SPÉCIAL

Le docteur SERNER, philosophe dadaïste, vient de succomber à la suite d'une imprudence. Des peintres genevois s'étant introduits dans son appartement pour tapisser les murs de différentes peintures, SERNER, en rentrant, prit pour des réalités ces femmes et ne tarda pas à esquisser des attitudes malheureusement trop banales, lorsqu'il apprit de quoi il s'agissait. La mort fut instantanée.

ARCHIPENKO expose 38 sculptopeintures au Kunsthaus. ARP expose 16 hypoglosses, SCHAD 8 peintures Dada. 62 membres du Kunsthaus ont donné leur démission.

On nous assure que A. SAVINIO est un homme honnête. Rien de plus inexact : c'est un idiot.

Le duel TZARA-ARP n'a pas eu de suites fâcheuses, puisque les duellistes ont tiré avec des canons dans la même direction. La police a ouvert une enquête sur le mouvement Dada.

André SALMON n'est pas dadaïste.

M. ROBBER, le dadaïste américain, vient d'arriver à Zurich avec 2 autos. Le but de son voyage est d'écraser MARINETTI, qui malheureusement est déjà à Milan.

GOLLIFAN.

Notre enquête.

L'abondance des matières et le peu de place dont nous disposons nous contraignent de renoncer à leur publication des réponses de MM. Louis Barthou, Mgr Baudrillart, Pierre Boissie, Adolphe Boschet, Emile Boutroux, John Charpentier, Léon Daudet, Paul Deschanel, Robert Dieudonné, Georges Docquois, Mme Jeanne Dortzal, MM. Anatole France, Louis Forest, Eugène Figuière, Félix Galipaux, Lucien Gleizes, Halpérine-Kaminsky, Raymond Lefebvre, Général Mangin, Emile Massard, Frédéric Masson, Mme Lydie Martial, MM. Alexandre Mercereau, Gaston Picard, Raymond Poincaré, René Puaux, J. Joseph-Renaud, Charles Richet, Guillermo de Torre et Pierre Valdagne.

Nous leur présentons toutes nos excuses.

P. 31 AU SANS PAREIL, 37, avenue Kléber, Paris (16e)

Viennent de paraître :

LOUIS ARAGON

FEU DE JOIE

AVEC UN DESSIN DE PABLO PICASSO

Un vol. in-16 jésus sur vergé bouffant : 3 fr. 50

PAUL ÉLUARD

LES ANIMAUX ET LEURS HOMMES

LES HOMMES ET LEURS ANIMAUX

AVEC CINQ DESSINS D'ANDRÉ LHOTE

Un vol. in-8° écu sur velin d'alfa : 3 fr. ”

MARCEL SCHWOB

SPICILEGE

FRANÇOIS VILLON PLANGON ET BACCHIS - SAINT JULIEN L'HOSPITALIER DIALOGUES SUR L'ART, L'AMOUR ET L'ANARCHIE

Un vol. in-8° jésus sur vélin satiné...   25 fr. ”

tirage sur Japon ancien, 60 fr. - Hollande, 45 fr.

Vergé d'Arches, 35 fr.

Paraîtront prochainement :

André BRETON et Philippe SOUPAULT : Les Champs magnétiques.

Un vol. in-16 jésus sur bouffant : 5 fr.

Marcel WILLARD : Tour d'Horizon, avec cinq dessins de Raoul Dufy.

Un vol. in-16 jésus sur vergé : 6 fr.

P. 32 AU SANS PAREIL, 37, av. Kléber. Paris (XVIe)

DERNIERES PUBLICATIONS

André BRETON : Mont de Piété ; avec deux dessins d'André Derain.

Un vol. in-16 jésus sur Hollande : 12 fr.

Lettres de guerre de Jacques VACHÉ, avec un autographe et un dessin de l'auteur, et une introduction par André Breton.

Un vol in-16 jésus sur bouffant : 3 fr. 50

Blaise CENDRARS : Dix-Neuf Poèmes Elastiques, avec un portrait de l'auteur par Modigliani.

Un vol in-16 double écu sur vélin d'alfa : 6 fr.

Philippe SOUPAULT : Rose des vents ; avec quatre dessins de Marc Chagall.

Un vol. in-8° écu sur vélin d'alfa : 3 fr. 50

Paul MORAND : Lampes à arc ; avec un dessin de l'auteur.

Un vol. in-8° jésus sur vélin d'alfa : 7 fr. 50.

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AU SANS PAREIL, 37, avenue Kléber. Paris (16e).

Le gérant : Philippe SOUPAULT.

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