René Crevel, L'Esprit contre la Raison


( Les Feuilles libres, n° 40, mai 1925 - Détours, Pauvert, 1985.)

 

LES MYSTÈRES DE L’AMOUR

drame en 3 actes précédés d’un prologue,
 
par Roger Vitrac (N.R.F., éditeur)

 

" Les Mystères de l’amour, drame en trois actes précédés d’un prologue " dans un éblouissement machinal, comme les enfants qui lisent à haute voix les belles enseignes lumineuses, je répète la couverture d’un petit livre à couverture blanche qui m’a, tout un soir, inquiété, irrité, diverti.

Les mystères de l’amour ?

Je trouvais le titre fort orgueilleux et surtout j’avais peur qu’il ne tînt pas ce qu’il promettait ? J’ai ouvert le bouquin et d’abord me suis arrêté dès le premier feuillet au portrait de l’auteur, par André Masson. Puis la phrase que Vitrac a prise, pour la mettre en épigraphe, à L’Amour absolu de Jarry m’a forcé à une autre pose. " Les femmes, qui nous aiment " rénovent " le vrai Sabbat " constate le Père Ubu. Alors j’ai envié Roger Vitrac d’avoir choisi une telle affirmation, de l’avoir faite sienne. Je l’envie aussi d’avoir dédié son œuvre à Suzanne la plus mystérieuse des amies.

Mais, dira-t-on, que sont Les Mystères de l’amour ?

J’ai une grande pudeur à parler du livre d’un ami, et voici qu’aujourd’hui il s’agit non seulement de ne pas trahir une œuvre que j’aime, mais encore et surtout de ne pas limiter un homme. Cet homme, je l’ai connu voilà quatre ans, dans une caserne, où nous faisions ensemble notre service militaire. Il avait trouvé un mot — le plus beau de tous pour baptiser une revue que nous avions fondée, lui, Max Morise, Georges Limbour, Jacques Baron, Henri Cliquennois, Marcel Arland, et moi.

Cette revue s’appelait Aventure.

Aventure n’eut que trois numéros dont un où fut publiée une pièce de Vitrac, Le Peintre, dont souvent je me suis demandé pourquoi aucun directeur ne l’avait montée. Dans la chambrée, le soir, Roger Vitrac nous lisait Le Peintre et personne qui résistât plus de cinq minutes à son humour. Après avoir donné Le Peintre, Aventure n’avait plus rien à faire. Aussi nous en fûmes nous chacun de notre côté. Max Morise est un dandy aux airs indifférents, Georges Limbour enseigne les enfants d’Albanie, Henri Cliquennois est marié, Jacques Baron a fait des voyages, Marcel Arland des livres. Quant à Vitrac il a rencontré Suzanne, fumé des pipes, discouru, écrit maintes apologies de Jarry, Germain Nouveau. Il sait des histoires très drôles, ne ressemble à personne et se révèle un des seuls dont on puisse attendre quelques surprises au théâtre. Il faut lire les étonnants dialogues des Mystères de l’amour. Des mots les plus simples jaillissent les mystérieuses fusées en quoi je suis bien forcé de reconnaître la poésie.

 

 

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