René Crevel, L'Esprit contre la Raison


( C.A.P., n° 6, s.d. (été 1925) - L’Esprit contre la raison, Pauvert, 1986.)

A PROPOS DU SURRÉALISME

Le surréalisme, dont l’annonce fut la première promesse de notre année, doit figurer à la meilleure place dans ce bilan que nous ne manquons jamais d’établir après les diverses tentatives des mois d’hiver. Querelles d’histoires, de termes et de personnes, bien vite nous nous sommes aperçus qu’elles n’avaient rien à voir dans la constatation d’un mouvement qui n’était pas un mouvement littéraire. La soumission au soi-disant Réel ne satisfait plus personne et la vie semble promise non à ceux qui s’accommodent des vieilles formules, mais à ceux qui ignorent ces formules. Lapalissade, dira-t-on, mais ne faut-il pas affirmer quelques bonnes vérités premières alors que tant feignent de croire que le surréalisme fut une simple tentative littéraire. Il se pourrait que de médiocres imitateurs nous condamnassent à certain esthétisme qu’un désordre voulu par des spectateurs superficiels ferait baptiser de surréaliste. Le tout ne se borne point à une question d’écriture automatique. Sans doute y a-t-il des profiteurs de l’écriture automatique, tout comme il y a eu des profiteurs du poème en prose, etc., mais cette tragédie de l’intelligence qui s’accuse et se condamne n’est-elle pas la plus poignante aventure de l’esprit .

Écoutez les poètes :

Au reste, les mots qui vont venir, si mystérieuse soit leur ordonnance, sont des signes dont, en conscience, nous avons appris l’usage. Ainsi ne saurait grossièrement être séparé le clair de l’obscur ; l’un et l’autre se confondent et nos outils d’analyse ne peuvent débrouiller qu’en les brisant les fils noirs et les fils blancs, les nerfs du conscient et ceux de l’inconscient. Le surréalisme pur, s’il était possible de s’en faire quelque idée, ne saurait être réalisé autrement que par des dessins aux lignes ni droites, ni courbes, ni brisées, ou par des onomatopées. (Je pense aux curieux poèmes de Fargue parus dans Intentions et les Feuilles libres.) Et encore trouverait-on jusque dans ces onomatopées le souvenir de la plus lucide raison, représenté par le souvenir des mots. Ainsi ne saurions-nous parler de forêt vierge là où l’homme trouve encore la trace des chemins. Les héros de Stendhal, dit-on, le dépassent. Oui. Mais qui saurait élucider le mystère de l’ordonnance qui se croit expression même de volonté et de conscience ? C’est parce que notre esprit se sent toujours dépassé ou plutôt ne peut prétendre au contrôle de ce qu’il se révèle à lui-même, que la division brutale entre l’inconscient ou l’inconscient (sic) me paraît contredire à cette surréalité, qui nous donne le goût acharné de la vie et des nouvelles aventures poétiques, morales, métaphysiques.

Il faut d’autre part une grande maîtrise pour ne rien laisser échapper du mystère de nous, par nous, en nous, pour nous entrevu. Je ne voudrais pas que cette maîtrise réglât trop précisément notre inconscient, ou plutôt le limitant ne l’amoindrît fort, car voulant user par système de l’inconscient, sans doute risquerions-nous de n’avoir plus d’inconscient en nous qu’une méfiance envers notre mystère.

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