René Crevel, L'Esprit contre la Raison


( L’Université de Paris , n° 241, avril 1922.)

 

La Renaissance littéraire de la France contemporaine,
par Fortunat Strowski, professeur à la Sorbonne. Librairie Plon. Paris

 

M. Strowski a réuni en un volume ses articles de critique. Il est malaisé de faire la critique de la critique en général, et ne particulier d’une critique aussi savante. Tout de même, il faut signaler l’omnipotence d’un professeur de la Sorbonne qui sait parler avec confiance de la littérature contemporaine.

On peut n’être pas toujours de l’avis de M. Strowski ; quoiqu’il fasse de lui-même certaines réserves, sans doute fait-il trop crédit aux promesses d’un Pierre Benoît, par exemple ; mais au reste, quels hommes peuvent se vanter de s’entendre en tout et pour tout ? il suffit pour que les jeunes remercient un des maîtres universitaires qu’ils aient lu les lignes, en tête du livre, consacrées au lecteur. "L’imagination s’est libérée, les talents anciens se sont rajeunis, de nouveaux talents se sont révélés. Et la littérature contemporaine s’est épanouie comme un jardin au soleil de mai."

Le livre de M. Strowski n’est pas un bréviaire avec les généralités d’un credo. Il est un recueil d’articles. Point n’y faut alors chercher une thèse. Des auteurs ne s’y trouvent pas signalés que nous avons accoutumé de voir les plus grands. Ceux qui connaissent M. Strowski savent qu’il n’y a chez lui ni lacunes, ni parti pris. Je me souviens des cours en Sorbonne, où il avait plaisir à prononcer des noms que d’autres, au contraire, feignaient d’ignorer. En même temps que l’étude de la pièce de Racine, au programme de licence, il conseillait la lecture de Gide et de Romains. Chez lui, le samedi matin, où il recevait ses étudiants, il encourageait à ne pas négliger certaines manifestations d’art, même les plus avancés, sous prétexte qu’avec un calembour douteux ou un mauvais mot d’esprit se trouvaient ridiculisées les recherches jeunes et spontanées. Il écrit que Mme Colette est un des premiers écrivains de ce temps, à l’affirmer il met la même foi admirative et raisonnée, qu’à nous dire autrefois tout son respect pour Montaigne ou Montesquieu.

Il y eut longtemps le préjugé du mot noble. Dans certains milieux on pourrait redouter le préjugé du siècle noble. Maladie de vieillard, dira-t-on. Mon dieu, n’exagérons rien. Tout le monde n’est pas vieux à la Sorbonne, comme essaierait de le faire accroire une opinion préconçue et souvent énoncée. M. Strowski est là pour une réfutation, jeune vraiment, et parfois même beaucoup plus que la masse des étudiants.

sans croire à la portée des oeuvres de vulgarisation et à l’utilité d’un art social, du moins doit-on savoir gré aux hommes libres d’esprit qui savent être agents de liaison entre deux classes, volontairement dédaigneuses l’une de l’autre : littérateurs et universitaires.

Professeur, M. Strowski sait que la vie ne se refroidit pas et qu’il y a d’autres hommes dignes d’intérêt que ceux inscrits aux programmes. Mais très peu ont été capables, tout en demeurant épris du passé, de reconnaître la valeur des oeuvres actuelles. L’auteur de la Renaissance littéraire connaît avant-hier, hier, aujourd’hui et même peut prédire demain, et nous avons plaisir à accepter une prédiction qui se traduit par un encouragement si autorisé.

Tout a été dominé ici par notre confiance dans l’avenir, par notre foi dans la vie.

 

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