René Crevel, L'Esprit contre la Raison


( Galerie Bernheim, 1er décembre 1928 - Babylone, Pauvert, 1975.)

 

PREFACE AU CATALOGUE D’UNE EXPOSITION MAX ERNST

 

Magicien des palpitations subtiles, Max Ernst a libéré un essaim de colombes dont nos doigts voudraient mais ne peuvent éprouver la chaleur, les craintes, les volontés, car des os revêtus de chair ne sont point dignes de se faire perchoir pour les oiseaux de l’Esprit. Plus haut que le ciel, plus loin que le soleil est une île couleur de mystère, et c’est pourquoi le peintre devenu prophète, a raison lorsqu’il nous dit " qu’au-dessus des nuages marche la minuit. Au-dessus de la minuit plane l’oiseau invisible du jour. Un peu plus haut que l’oiseau, l’éther pousse les murs et les toits flottent ".

Alors parce que Max Ernst nous convie à la miraculeuse ascension, nos paupières deviennent des ailes, nos regards volent, plus rapides que le vent.

Le vent : Picasso, à sa gloire, de chaque pierre triste a fait jaillir les Arlequins et leurs soeurs cyclopéennes, et tout un monde endormi dans le secret des guitares, l’immortalité du bois en trompe-l'œil, les lettres d’un titre de journal.

Encore à la gloire du vent, Chirico a construit ses villes immuables, et je suis sûr que c’est en l’honneur de cet invisible que Max Ernst a peuplé de volantes créatures ses forêts. Fleurs sans joie, nos mains voudraient ressusciter au seuil d’une autre vie, car les voilà hantées du secret d’une création si simple mais si impérieuse qu’elles cherchent à caresser ce rêve, ce cheval qui galope sur les nuages.

Max Ernst, sous le titre : " Histoire naturelle ", nous a présenté les terribles merveilles d’un univers dont notre semelle ne peut essayer d’écraser les secrets, plus grands que nous.

Que les bûcherons, comme par le passé, coupent les arbres, les étoiles, dans les troncs des chênes, dont les ébénistes avaient coutume de faire le centre des guéridons, réintègrent l’éther et des petites tables tournent, astres autour de notre globe. Les araignées lasses de manger des mouches se repaissent de nos montagnes habituelles, et nous connaissons le règne des choses disproportionnées. La terre frémit et la mer invente des chansons nouvelles.

Toute flore, toute faune se métamorphosent. Le rideau du sommeil tombé sur l’ennui du vieux monde, se relève pour des surprises d’astres et de sable. Et nous regardons, vengés enfin des minutes lentes, des cœurs tièdes et des cerveaux raisonnables.

Univers imprévu, quels océans ont pu, jusqu’à ces bords, mener le peintre, navigateur du silence ? À cette question, Max Ernst répond par le nom trouvé pour l’un des plus surprenants de ses tableaux : " La Révolution,… La Nuit. "

La Révolution,… La Nuit.

Nous savons que l’esprit attentif aux contours, docile aux objets, soumis à leurs apparences, comme on lui a si longtemps conseillé d’être, n’aurait point de vie propre, et même, à vrai dire, n’existerait pas. André Breton ne nous rapporte-t-il pas, et non sans raison, dans le " Manifeste du Surréalisme ", que le poète Saint-Pol Roux avait écrit sur la porte de sa chambre à dormir, de sa chambre à rêver : " Le poète travaille " ?

Miracle de Transsubstantiation qui fait chair et esprit la toile que le peintre a couverte de son dessin, de ses couleurs. Les cadres des tableaux de Max Ernst ne sont que simples portes. Semblable miracle, dans une ville, où tout, jusqu’à la fumée, s’était pétrifié sous une lave glauque, nous fut offert par Giorgio de Chirico. Ses avenues insensibles, creusées au centre même de la terre, son ciel ignorant du chaud et du froid, l’ombre de ses arcades, de ses cheminées, en nous donnant le mépris des apparences, des phénomènes, déjà, nous rendaient plus dignes du rêve où Kant put sentir son âme s’amplifier, en plein vertige nouménal.

Ainsi craquent nos vieux remparts.

L’ombre du mystère, à elle seule, disjoint les plus lourdes pierres.

" Visage perceur de murailles ", explique le poète Paul Éluard, et de la planète minuscule, nous partons pour le pays sans limite.

Et il ne s’agit plus de quelque arbitraire mythologie.

Max Ernst a raison qui annonce " Histoire naturelle ". Le Sphinx ne se nourrit pas des mêmes pommes de terre que nos porcs. N’empêche que la Folie n’est point son aliment préféré.

Et l’histoire du rêve, du miracle, l’histoire Surréelle est bien, comme le dit Max Ernst : Une Histoire Naturelle.

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